Vers un futur bio-inspiré - SUEZ
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Nous sommes à l’ère de la révolution de la ressource. Face à l’augmentation de la population mondiale, l’urbanisation croissante et la raréfaction des ressources naturelles, sécuriser, optimiser et valoriser les ressources est indispensable pour notre avenir. SUEZ produit 7,6 milliards de mètres cubes d’eau potable et traite 5,1 milliards de m3 d’eaux usées. SUEZ collecte également plus de 19,5 millions de tonnes de déchets par an en Europe, met sur le marché 4,4 millions de tonnes de matières premières secondaires et produit 7,7 TWh d’énergie locale et renouvelable. Enfin SUEZ évite à ses clients l’émission de 10 MtCo2 d’émissions de GES. Avec 88 775 collaborateurs, SUEZ présent sur les cinq continents est un acteur clé de l’économie circulaire pour la gestion durable des ressources. En 2018, SUEZ a réalisé un chiffre d’affaires de 17,3 milliards d’euros. www.suez.com - openresource.suez.com - @open_resource
vers un futur bio-inspiré open_resource magazine est la publication semestrielle de la révolution de la ressource. Une révolution qui, comme la révolution industrielle en son temps, transforme de plus en plus profondément nos styles de vie, nos habitudes de consommation et nos modes de production. Dans un monde en constant développement, il est essentiel d’instaurer dès à présent une gestion radicalement nouvelle et circulaire des ressources naturelles qui se raréfient. Convaincu que l’innovation, la collaboration entre acteurs et l’intelligence collective sont les moteurs de cette transformation, SUEZ souhaite valoriser, à travers cette publication, les idées fortes et les solutions de tous ceux qui contribuent à imaginer et concevoir le futur de la ressource. Pour ce sixième numéro, SUEZ a choisi d’aborder le thème de la nature. Êtres humains et nature sont en effet indissociables et interdépendants : leur équilibre conditionne la survie de la planète. Pourtant, cet équilibre fondamental est menacé par le réchauffement climatique, l’épuisement des ressources et les diverses formes de pollution, tous imputables aux activités humaines. Des menaces qui pèsent lourdement sur l’ensemble du vivant, malgré son ingéniosité et sa capacité d’innovation. Une prise de conscience urgente s’impose donc aujourd’hui : nous devons plus que jamais faire de la protection de la nature une priorité. Pour cela, pourquoi ne pas s’inspirer des solutions qui existent déjà dans la nature, plus particulièrement de ses formes, de ses mécanismes et des écosystèmes ? Nous parviendrons alors à développer une économie circulaire et bas carbone, un modèle qui permettrait de conjuguer durablement bien-être et développement des êtres humains, protection des ressources et préservation de la planète. Ensemble, soyons plus imaginatifs et innovants que jamais pour relever ce défi. Et ainsi faire avancer la révolution de la ressource. Bonne lecture ! open_resource magazine est une publication conçue et éditée par © Casey Horner
— DANS CE NUMÉRO — 6 AVANT- PROPOS nature vivante et êtres humains: à la recherche de l’harmonie perdue 14 OPINION peut-on s’inspirer du vivant sans le piller ? _ par Kalina Raskin-Delisle, directrice générale du CEEBIOS 18 RENCONTRES 3 personnalités inspirantes : Jérôme Perrin, Kathy Willis et Megan Schuknecht 32 VU DU CIEL à Alicante, un parc inondable pour prévenir les inondations — à Shanghai, on sait traiter les eaux industrielles grâce à la nature 36 CHALLENGE protection du vivant et économie circulaire : un avenir indissociable _ par Jean-Louis Chaussade 4
— DANS CE NUMÉRO — 40 SOLUTIONS zoom sur 6 solutions illustrées pour un futur bio-inspiré : ReFISH / BioWAVE & BioSTREAM / Pili /Nextalim/ Spygen / CleargreeenTM Mainstream 54 EXPERTISE le secret des biomolécules 58 AU COIN DE L’ART 68 à la rencontre des bâtiments vivants AGENDA de l’archibiotecte Vincent Callebaut 71 L’ACTUALITÉ DE LA RESSOURCE 10 actualités à découvrir open_resource magazine est une publication externe de SUEZ. Directeur de la publication Jean-Louis Chaussade I Directrices de la rédaction Frédérique Raoult, Hélène Parent I Rédactrice en chef Martha Rodriguez I Rédacteur en chef adjoint Jean-Marc Piriou I Coordination éditoriale Nanaïssa Diakite I Conception bearideas I Couverture Vincent Callebaut I Traduction Caupenne&co I Impression Deckers Snoeck nv, Eekhoutdriesstraat 67, 9041 Gent, Belgique I Tirage 12 000 exemplaires I Dépôt légal Avril 2019 I ISSN : 2590-6603 I Les opinions exprimées dans ce magazine n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement celles de SUEZ I Écrivez-nous : open_resource@suez.com I SUEZ, Tour CB21, 16, place de l’Iris, 92040 Paris la Défense, France 5
— AVANT-PROPOS — nature vivante et êtres humains: à la recherche de l’harmonie perdue © Leon Liu Antelope Canyon, États-Unis 6
— AVANT-PROPOS — Jusqu’à la première révolution industrielle, les êtres humains vivaient en bonne intelligence avec une nature prodigue. Le passage à l’ère industrielle marque un tournant : les êtres humains commencent à exploiter à grande échelle des ressources par essence limitées – eau, minerais, terres arables, etc. Aujourd’hui, lesdites ressources se tarissent et, dans certaines régions du monde, la nature ne parvient même plus à s’autoréguler. Les menaces pesant sur la planète sont de plus en plus nombreuses, visibles et pressantes. Pour preuve, la situation de la faune, qui subirait actuellement sa sixième extinction de masse1. Préserver le vivant est un défi que nous devons relever collectivement avant qu’il ne soit trop tard, car il y va aussi de notre propre survie. Illustrations de Denis Carrier 1 - Gerardo Ceballos, Paul R. Ehrlich, Rodolfo Dirzo, Biological annihilation via the ongoing sixth mass extinction signaled by vertebrate population losses and declines, 2017. 7
— AVANT-PROPOS — Pourquoi ne pas nous inspirer de ce qui a fonctionné pendant ces derniers milliards d’années ? Processus biochimiques, II est impératif biomécaniques, services écosystémiques, d’apprendre à évoluer etc., nous fournissent une source quasiment inépuisable d’inspiration pour innover et en harmonie avec favoriser la transition de l’économie la nature. linéaire vers une économie circulaire vertueuse. En l’occurrence, il ne s’agit pas seulement de comprendre la nature ou de la calquer, mais bien de travailler en harmonie avec elle. Les enjeux sont de Pourtant, ce fabuleux potentiel s’amenuise taille : environnementaux et sanitaires, chaque jour de façon dramatique et bien sûr, mais également économiques, souvent irréversible sous les effets sociétaux, éthiques. cumulés du changement climatique, de la pollution, de la déforestation ou encore de l’urbanisation incontrôlée. Le vivant : un patrimoine riche… mais menacé Pour en donner une illustration concrète, le rapport 2018 « Planète vivante » du La nature a plus de 3,5 milliards d’années WWF annonce la disparition de 60 % d’avance sur nos laboratoires de recherche d’espèces d’animaux sauvages depuis et développe me nt . L e s mi l l i a rd s quarante ans : « Les espèces n’ont jamais d’organismes vivants – unicellulaires ou décliné à un rythme si rapide, qui est complexes, végétaux et animaux – sont aujourd’hui cent à mille fois supérieur que en effet le fruit de la lente évolution de celui calculé au cours des temps processus biochimiques particulièrement géologiques. » élaborés, qui utilisent des biomolécules « intelligentes » – acides nucléiques et enzymes. Le résultat : une biodiversité Les services écosystémiques : tellement vaste que nous n’en connaissons de nombreux bienfaits offerts qu’une infime partie. aux êtres humains Sur les quelque 8,7 millions d’espèces présentes sur la planète, 86 % des espèces Les êtres humains font pleinement partie terrestres et 91 % des espèces marines de cette biodiversité. Ils bénéficient sont encore inconnues, d’après une étude d’ailleurs largement des services dits publiée en 2011 et intitulée How Many écosystémiques rendus par la nature, telle Species Are There on Earth and the la fourniture d’une eau douce et d’un air Ocean? . respirable. La ferme verticale autosuffisante de Vincent Callebaut 8
© Pixel Anarchy Fleur de bardane, dont les crochets ont inspiré la création du Velcro On distingue quatre types de services aquatiques sains, fournissent des écosystémiques : services d’appro- sources fiables d’eau propre ou même visionnement (la fourniture de matières du combustible renouvelable. Mais une premières, de nourriture, etc.), de régulation mauvaise gestion de ces services peut (climat, précipitation, autoépuration de avoir des effets négatifs, tels que des l’eau, etc.), culturels (aspects esthétiques inondations ou des glissements de terrain, et récréatifs) et enfin les services dits engendrés par la déforestation. II est donc « de soutien », qui servent de base au impératif d’apprendre à évoluer en fonctionnement des trois premiers (cycle harmonie avec la nature. du carbone, formation des sols, etc.). Comme le relève l’Organisation des Une prise de conscience collective Nations unies pour l’alimentation et de l’importance du vivant l’agriculture (FAO) : « Bien que la valeur [de ces services] soit estimée à 125 000 Face à l’urgence écologique, la communauté milliards de dollars américains, ces actifs internationale s’empare aujourd’hui ne sont pas pris en compte comme il se progressivement de cette thématique qui doit dans les décisions politiques et s’invite au cœur des débats. Ainsi, en 2012 économiques, ce qui signifie que l’on est créée la Plateforme intergouver- n’investit pas assez dans leur protection nementale scientifique et politique sur la et leur gestion2. » biodiversité et les systèmes écosystémiques (IPBES). Aussi appelée « GIEC de la Précieux pour la nature et les êtres humains, biodiversité », cette organisation sous ces services aux effets positifs doivent être préservés. Les forêts contribuent naturellement au maintien d’écosystèmes 2 - www.fao.org/ecosystem-services-biodiversity/fr/ 9
— AVANT-PROPOS — d’Act4nature. Cette initiative a été lancée Précieux pour la nature par un collectif d’entreprises, d’institutions scientifiques et d’ONG, parmi lesquelles et les êtres humains, l’EpE (groupe d’Entreprises pour les services écosystémiques l’environnement dont font par exemple partie SUEZ, BASF et LVMH), la Fondation ont de nombreux Goodplanet ou encore le Muséum national effets positifs et doivent d’histoire naturelle. Le but ? Créer une dynamique collective à l’échelle être préservés. internationale. Parmi les dix premiers engagements pris en juillet 2018, les 65 signataires promettent notamment de l’égide des Nations unies est aujourd’hui « développer en priorité des solutions une référence pour connaître l’état fondées sur la nature » mais aussi des connaissances sur les systèmes d’« évaluer économiquement [leurs] écosystémiques et la biodiversité. Autre impacts et [leur] dépendance au bon institution en la matière : le Congrès fonctionnement des écosystèmes ». Pour mondial de la nature, qui sera organisé aller encore plus loin, il faudrait en France en 2020 et réunira élus, maintenant que les entreprises se voient industriels, universitaires ainsi que la à leur tour comme des écosystèmes, à société civile pour prôner une « bonne l’image des forêts : pourquoi ne pourraient- gouvernance environnementale ». elles pas générer des externalités positives et des services offerts « gratuitement aux Cet enjeu émerge également au sein des autres entreprises, aux individus et à la entreprises, qui sont de plus en plus nature qui les entourent ? » selon Navi nombreuses à intégrer le « facteur Radjou, théoricien de l’innovation frugale. biodiversité » dans leurs plans d’actions. Pour certaines d’entre elles, il devient même un nouvel axe stratégique, à l’image L’usine forêt : quand les entreprises se voient comme des écosystèmes 10
— AVANT-PROPOS — Le vivant comme modèle : un champ d’innovation Cette tendance à se regrouper pour prendre ensemble la décision d’affronter la crise de la biodiversité permet de voir émerger de nouvelles perspectives d’innovation, à partir de la nature. Le biomimétisme, expression conceptualisée en 1997 par Janine Benyus dans son livre Biomimicry: Innovation Inspired by de nouvelles Nature, consiste à imiter le vivant. Selon matières, tels les Kalina Raskin-Delisle, ingénieure physico- biomatériaux, ou des chimiste et directrice générale du énergies alternatives, CEEBIOS3, le biomimétisme permet de tels le biogaz ou les réconcilier biodiversité, innovation et biocarburants. Cela écologie 1 . La bio-inspiration, terme se traduit par un Transformer les courants proche du précédent, intègre la notion effort d’analyse des marins en énergie d’écosystème pour prendre exemple modèles biologiques, sur les relations entre espèces et le biochimiques, fonctionnement du vivant. biomécaniques, etc., associés aux concepts techniques en vue d’applications Ainsi l’entreprise australienne BioPower industrielles. C’est ce qu’explique par Systems 2 a mis au point deux systèmes exemple Jérôme Perrin, Directeur marémoteurs complémentaires qui Scientifique de Renault, qui cherche des imitent, pour le premier, les mouvements solutions fondées sur la nature pour de la nageoire caudale de certains améliorer la sécurité et la propreté poissons, pour le second, ceux d’une algue des véhicules 3 . Cette démarche géante, afin de produire une électricité transdisciplinaire sollicite aussi bien les renouvelable grâce à l’énergie marine. sciences fondamentales que les sciences de l’ingénieur. À l’image de la recherche Prendre le vivant pour modèle, cela sur les biomolécules, un nouveau champ signifie aujourd’hui s’inspirer de ce qui se d’expertise du CIRSEE (le principal centre passe au sein de la nature et l’optimiser de recherche de SUEZ) qui démontre en mettant au point des technologies que les chercheurs se diversifient afin adaptées aux besoins des êtres humains d’intégrer de nouvelles disciplines à leurs dans une logique de développement compétences 4 . durable. Il est ainsi possible d’imaginer En étudiant ainsi le vivant, dans ses formes les plus microscopiques ou à très grande échelle, nous développons des 1 opinion : Kalina Raskin-Delisle_p.16 savoir-faire innovants pour répondre aux 2 solutions : BioWAVE & BioSTREAM_p.44 défis présents et futurs de la révolution 3 rencontres : Jérôme Perrin_p.24 de la ressource. On comprend dès lors que 4 expertise : les secrets des biomolécules_p.54 notre survie dépend essentiellement de notre capacité à mettre en œuvre de façon urgente une transition écologique au 3 - Créé en 2014, le Centre européen d’excellence en biomimétisme sein de laquelle lutte contre le changement de Senlis (CEEBIOS) souhaite démocratiser l’appropriation du biomimétisme en tant que mécanisme innovant de transition climatique et préservation de la énergétique. biodiversité sont indissociables. 11
— DIXIT — Scrute la nature, c’est là qu’est ton futur. Léonard de Vinci Artiste et savant Je pense que les plus grandes innovations du XXIe siècle seront à l’intersection de la biologie et de la technologie. Une nouvelle ère commence. Steve Jobs Fondateur d’Apple Martin-pêcheur, dont le bec aérodynamique et hydrodynamique inspire les ingénieurs en transport 12
— DIXIT — Le monde tel qu’il est conçu est toujours en retard sur la nature en termes de sophistication des matériaux et des comportements. Neri Oxman Architecte et designer israélo-américaine Regardez attentivement, très attentivement la nature et alors tout vous paraîtra plus compréhensible. Albert Einstein Physicien Apprendre sur la nature est une chose ; apprendre de la nature, c’est là qu’est la clé du changement. © Gabriele Agrillo Janine Benyus Scientifique américaine et pionnière du biomimétisme 13
— OPINION — © Kennethr Culture de tissus végétaux à l’institut de recherche en biotechnologie de Malaisie 14
— OPINION — peut-on s’inspirer du vivant sans le piller ? Protéger la biodiversité et s’en inspirer, c’est la promesse d’une transition durable vers une économie circulaire. Conscient de cet enjeu majeur, SUEZ ouvre ses pages à Kalina Raskin-Delisle, directrice générale du Centre européen d’excellence en biomimétisme de Senlis (CEEBIOS). 15
— OPINION — Kalina Raskin-Delisle directrice générale du CEEBIOS vers une industrie bio-inspirée : kin R as potentiel, tendances et opportunités na li Ka © S’appuyer sur quatre milliards d’année de R&D et S’inspirer du vivant : une démarche ancienne puiser dans un réservoir de plusieurs millions qui s’inscrit dans le temps d’idées ? C’est ce que propose la bio-inspiration. Une démarche qui peut être décrite comme le La conception bio-inspirée était déjà référencée développement d’innovations combinant les dans les premiers écrits et ses premières disciplines de la biologie et de la technologie, sur la applications les plus célèbres sont notamment base de structures, fonctions, processus et systèmes illustrées par des croquis de Léonard de Vinci. La biologiques naturels optimisés par l’évolution. bio-inspiration s’est développée ensuite au cours des années 1950 dans les domaines de l’ingénierie Parmi les mécanismes de cette évolution des espèces ; aéronautique, navale et automobile, ainsi que de la la sélection naturelle, qui a contraint les organismes cybernétique et de la modélisation de systèmes à résoudre les problèmes d’alimentation, de complexes. Dans les années 1980, elle s’est étendue déplacement et de reproduction au sein de systèmes aux échelles micro et nano et rapidement développée écologiques capables de se maintenir dans des dans le domaine de la biotechnologie. environnements dynamiques. Selon des estimations Cité en France dès 20072 comme l’outil de la récentes, 90 % des 10 millions d’espèces eucaryotes1 prochaine révolution industrielle, le biomimétisme sur Terre attendent encore d’être décrites, malgré associe innovation et responsabilité sociétale 250 ans de travail sur la classification taxonomique puisqu’il repose sur l’étude des systèmes biologiques et plus de 1,5 million d’espèces déjà répertoriées. Un pour créer de nouveaux produits, services et vivier riche que nous pouvons observer afin d’en tirer modèles d’organisation durables. une méthodologie en réponse à nos besoins actuels et à ceux de la planète. Étudier la nature… pour mieux la protéger Dans le secteur de l’énergie, le recours aux énergies Dans le secteur de l’énergie, propres (solaire notamment par la photoproduction le recours aux énergies d’hydrogène), la séquestration du dioxyde de carbone atmosphérique et la mise en œuvre de propres correspond bien sources diversifiées et décentralisées correspondent aux stratégies adoptées bien aux stratégies adoptées par les systèmes vivants. De manière similaire, les principes de la par les systèmes vivants. chimie douce rejoignent les processus biologiques : 1 - Organismes unicellulaires ou multicellulaires dont le noyau est séparé du cytoplasme par une membrane. 2 - « Les apports de la science et de la technologie au développement durable , tome II : La biodiversité : l’autre choc ? l’autre chance ? », rapport n° 131 (2007-2008) de Pierre Laffitte et Claude Saunier, fait au nom de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, déposé le 12 décembre 2007. 16
— OPINION — utilisation majoritaire d’éléments atomiques complexe. Le domaine de la biomimétique est abondants, conditions de température et de pression hautement interdisciplinaire et ne peut être efficace modérées, biodégradabilité et biocompatibilité, sans impliquer les biologistes dans le processus catalyse enzymatique… Les matériaux du vivant d’innovation. sont également remarquables par leur diversité, leurs propriétés multifonctionnelles et leur manufacture par auto-assemblage et autoréparation. Créer un écosystème industriel propice Enfin, les systèmes biologiques favorisent une au développement des solutions bio-inspirées approche minimaliste et une gestion optimisée de l’information pour limiter les coûts énergétiques et Ainsi, des réseaux de compétences et d’expertise la consommation de ressources, et augmenter doivent être structurés au niveau national et des l’adaptabilité et la résilience. Ces aspects sont outils et méthodologies spécifiques doivent être aujourd’hui explorés pour le développement d’une développés pour accélérer la diffusion des stratégies agriculture écologiquement intensive et pour de R&D académiques et industrielles. concevoir des villes régénératives. Créé en 2014, le CEEBIOS, par son rôle de réseau, d’interface et de soutien aux projets de R&D innovants, vise à catalyser la richesse des compétences La bio-inspiration : une ingénierie de pointe nationales de la recherche universitaire, de l’enseignement et de la R&D industrielle. Sur le plan international, de nombreuses structures de recherche universitaires et privées travaillent Si l’exploration, la conservation et la restauration sur des produits ou des processus bio-inspirés. de la biodiversité sont reconnues mondialement Depuis 1990, les publications et les brevets sur ce comme des enjeux urgents et majeurs, la mobilisation sujet ont été multipliés par 15. Les États-Unis et la des acteurs industriels sur ce défi reste insuffisante. Chine sont de loin les contributeurs les plus La bio-inspiration est donc une formidable efficaces. Cependant, l’Europe se positionne sur la opportunité de concilier performance industrielle, scène mondiale avec plus du tiers des publications, enjeux environnementaux et en particulier principalement grâce à l’Allemagne, au Royaume- conservation de la biodiversité. Uni, à la Suisse et à la France. ceebios.com En France, plus de 175 équipes de recherche sur la biomimétique ont été identifiées. Plus d’une centaine d’entreprises, de grands groupes ou de PME y ont recours, quel que soit leur secteur d’activité : énergie, construction, matériaux, cosmétique… Malgré le nombre croissant de chercheurs et d’utilisateurs dans le domaine de la bio-inspiration, le transfert de connaissances du domaine de la biologie vers la technologie reste un processus © Congerdesign La toile d’araignée, un champ de recherche immense pour les scientifiques qui étudient son étonnante résistance 17
encontres 3 personnalités inspirantes expliquent comment la nature peut être source d’inspiration et de valeur pour nos sociétés.
Megan Schuknecht Directrice des « design challenges » au Biomimicry Institute page 20 Jérôme Perrin Directeur Scientifique de Renault page 24 Dr Kathy Willis Biologiste et professeure de biodiversité, université d’Oxford page 28
— RENCONTRES — Megan Schuknecht Directrice des « design challenges » ch t kne an Sc g hu au Biomimicry Institute Me © bio-inspiration : passer des savoirs aux solutions © Miroslav Chovan et Zuzana Tončíková Schéma du BioCultivator : un système de culture potagère pour les urbains 20
— RENCONTRES — Le Biomimicry Institute, ONG américaine, a été fondé en 2006 par la biologiste Janine Benyus, une des premières à avoir popularisé le terme « biomimétisme » et par l’entrepreneuse sociale Bryony Schwan. Il vise à promouvoir la bio-inspiration comme un outil au service de la production de biens et de services durables. Ciblant en premier lieu tous ceux qui innovent (entrepreneurs, designers…) et qui enseignent (chercheurs, professeurs…), l’ONG, accompagnée de la société de conseil Biomimicry 3.81, dispense des programmes de formation et d’accompagnement qui invitent à intégrer le vivant dans la création de valeur. SUEZ a rencontré Megan Schuknecht, biologiste et directrice des « design challenges » du Biomimicry Institute. Quels moyens utilisez-vous pour faire également des start-up, via un la promotion du biomimétisme auprès « Launchpad », l’unique accélérateur de publics d’innovateurs ou de start-up au monde qui favorise d’entrepreneurs ? la mise sur le marché de solutions biomimétiques ou bio-inspirées. Tout d’abord cela consiste à encourager tous nos publics à regarder comment Pour aider chacun à accéder d’une façon la biologie peut façonner le design. intuitive à des connaissances en biologie, Le but final est de favoriser la nous avons enfin créé AskNature, notre conception de solutions bio-inspirées, portail Web qui propose une qui répondent aux grands enjeux liés bibliothèque de « stratégies » biologiques au développement durable. organisées par fonction, des idées d’inspiration et des ressources Nos programmes se concentrent sur pédagogiques. l’enseignement et l’entrepreneuriat. Nous proposons des cours ou de la formation à de jeunes élèves, des étudiants ou des professeurs dans le domaine du design, des sciences et des Nos « design challenges » technologies, mais aussi autour de la et notre programme créativité et des méthodes de conception de projets. Nous avons aussi créé les d’incubation ont soutenu « Youth and Global Design Challenges » ou conduit à la création destinés aux professionnels, pour valoriser des initiatives durables de nombreuses inspirées de la nature. Nous soutenons entreprises. 1 - Également fondée par Janine Benyus, Biomimicry 3.8 est le leader mondial du conseil en solutions bio bio-inspirées. La société de conseil s’adresse à des publics variés : chefs d’entreprises, ingénieurs, architectes… Elle a été un temps réunie au sein de la même structure que le Biomimicry Institute. 21
— RENCONTRES — Nos impacts sont donc multiples. Ces dernières années, Nos efforts ont donné naissance à des réseaux : au niveau local, une trentaine le biomimétisme a investi à travers le monde, auxquels s’ajoute de nombreuses disciplines un réseau de plusieurs milliers d’enseignants qui ont intégré le nouvelles et cette biomimétisme dans leurs cours. Nos tendance devrait se « design challenges » et notre programme d’incubation ont soutenu poursuivre. ou conduit à la création de nombreuses entreprises. Je peux citer Biofractal, un cabinet de conseil sur la bio-inspiration mettre au point sa solution, l’équipe a au Mexique ; Nexloop, une société observé la façon dont les organismes new-yorkaise qui conçoit des systèmes aquatiques maintiennent leur flottabilité : biomimétiques permettant de capturer en régulant la quantité d’air dans leurs l’eau atmosphérique pour l’agriculture différents compartiments internes – sans urbaine ; Mangrove Still et BioCultivator, utiliser d’eau, donc. Elle a imité cette deux équipes qui participent, en Grèce, stratégie pour concevoir une série à un projet pilote à grande échelle afin de de compartiments gonflables attachés créer un système durable de production à la coque d’un navire qui maintiennent d’eau potable en circuit fermé. sa portance. Qu’apportent les « design challenges » Qu’observez-vous quant à la diffusion à votre démarche et quels types de du biomimétisme aujourd’hui ? solutions permettent-ils de Se déploie-t-il au-delà du seul champ développer ? du design ? L’objectif est double : offrir gratuitement Aujourd’hui, nous n’arrivons plus à des opportunités d’apprentissage aux comptabiliser le nombre de réseaux équipes d’étudiants et de professionnels d’acteurs et de cours à l’université dédiés qui participent aux « design challenges », au biomimétisme ! Le Centre européen qui sont organisés sous la forme de d’excellence en biomimétisme de Senlis concours annuel et proposer un terrain (Ceebios) en France, Biokon en favorable au lancement de solutions Allemagne, Biomimicry NL aux Pays- biomimétiques sur le marché. Bas, Bioversum en Autriche, l’Université d’Akron aux États-Unis et bien d’autres Une des solutions les plus créatives que travaillent à promouvoir les démarches j’ai vu éclore est le cargo Air Ballast, qui d’innovation durable inspirées du vivant. réinvente le mécanisme de gestion des eaux de ballast, que les navires relâchent Au départ, les prescripteurs étaient des pour leur stabilisation. Le design du architectes, des designers ou des bateau permet de ne plus utiliser d’eau biologistes, entrepreneurs à l’occasion. en guise de lest mais de l’air, ce qui Mais ces dernières années, le réduit le transport des espèces non biomimétisme a investi de nombreuses indigènes1, un désastre écologique disciplines nouvelles et cette tendance majeur pour le monde marin. Pour devrait se poursuivre. Il va ainsi devenir 2 - Espèces introduites dans les eaux où elles n’existaient pas auparavant, en l’occurrence ici via le rejet des eaux de ballast non traitées. 22
— RENCONTRES — © Emma Charalambou Le projet Mangrove Still s’inspire des marais salants et des mangroves pour produire de l’eau douce de plus en plus académique et climatique, il est impératif de continuer à scientifique, rendant plus rigoureuse son apprendre de la nature comment stocker utilisation par les acteurs économiques. le carbone atmosphérique et à l’utiliser On peut s’attendre enfin au déploiement comme composant de base. de nombreux outils facilitant l’accès à la connaissance dans le domaine de la biologie. Les technologies issues _inspirations des laboratoires de recherche vont aussi Une solution bio-inspirée qui reste à inventer ? se multiplier. En termes d’ingénierie, il y En s’inspirant de la peau de certains animaux marins comme le a un énorme potentiel dans le domaine requin, il est possible de créer des tissus et matériaux afin de la science des matériaux, de l’énergie d’empêcher par exemple la prolifération des bactéries. et de la gestion de l’eau. La nature Quelle espèce vivante ou quelle propriété du vivant vous a également de nombreuses leçons à fascine le plus ? nous apprendre. Par exemple en ce qui Depuis un travail autour de l’apiculture, au Paraguay, ce sont les concerne la séquestration du carbone abeilles à miel qui me passionnent ! ou l’utilisation de ressources, qui restent abondantes, pour fabriquer de nouveaux Quel est l’endroit sur terre que vous chercheriez à préserver en produits. Blue Planet Ltd., par exemple, priorité ? utilise du CO2 en abondance comme Dans un monde rêvé, les calottes glaciaires des pôles ; dans la matière première – comme le font les réalité, les corridors3 qui connectent le parc national du Yellowstone coraux et d’autres organismes au Yukon canadien. cimentaires – pour fabriquer de la roche 3 - Les corridors écologiques assurent des connexions entre des réservoirs carbonatée pour le ciment, séquestrant de biodiversité, offrant aux espèces des conditions favorables à leur ainsi le carbone. Étant donné les impacts déplacement et à l’accomplissement de leur cycle de vie. actuels et imminents du changement 23
— RENCONTRES — Jérôme Perrin Directeur Scientifique de Renault in e rr eP m rô Jé © s’inspirer de la nature pour développer une filière automobile durable Les procédés du vivant constituent des sujets de recherche passionnants pour les constructeurs automobiles, en perpétuelle quête d’innovation pour imaginer des véhicules plus ergonomiques, plus sécurisés et, surtout, plus propres. Les animaux sont à ce titre des sources d’inspiration inépuisables. Les recherches des entomologistes nous permettent d’envisager un futur où, grâce aux facultés de certains insectes, nous roulerons dans des véhicules autonettoyants ou disposant d’un système anti-collision plus efficace. Pourquoi ne pas également envisager un jour que les interactions entre nos futurs véhicules autonomes imitent le comportement des bancs de poissons ? Jérôme Perrin, Directeur Scientifique de Renault, nous explique comment le groupe automobile français innove grâce au vivant. 24
— RENCONTRES — À quand remonte l’intérêt de Renault En 2017, nous avons lancé un projet pour la bio-inspiration, et comment se de recherche en collaboration avec concrétise-t-il aujourd’hui ? des laboratoires académiques ainsi que l’équipementier Faurecia. Il s’est agi de Cela fait plusieurs années que Renault trouver des solutions innovantes pour noue des contacts avec des experts rendre les surfaces et les habitacles de la bio-inspiration. Cela s’est traduit moins salissants. En effet, avec par un partenariat avec le Centre l’autopartage (véhicules en libre service) européen d’excellence en biomimétisme et éventuellement demain les robotaxis2, de Senlis (CEEBIOS) initié en 2015. Nous les véhicules connaîtront davantage avons commencé par une thèse sur la de problèmes de maintenance et de bio-inspiration pour étudier les modes maintien de la qualité d’usage qu’un d’utilisation d’une chaîne de traction véhicule individuel. hybride rechargeable. Pour cela, nous Nous avons donc eu l’idée de développer nous sommes inspirés des métabolismes des surfaces autonettoyantes inspirées cellulaires, différents suivant les efforts par la cuticule superoléophobe qui physiques des sportifs1. recouvre le corps du collembole, un petit © Renault Design La twin’z : un concept car s’inspirant du vivant 25
— RENCONTRES — arthropode très ancien vivant dans des La question reste de traduire cela de milieux sombres et humides. manière industrielle, ce qui pose des Plus globalement, une dynamique se défis majeurs. Il faut ajuster ce que la crée : depuis 2017, la Plateforme de la nature peut apporter aux logiques de filière automobile (PFA), qui rassemble productivité de notre filière. Une voiture les acteurs de la filière automobile va, qui plus est, à une vitesse qui n’est française, a créé un groupe de travail pas celle des systèmes naturels, cela exploratoire sur la bio-inspiration pour requiert aussi des adaptations. Mais face créer des synergies sur le sujet. à l’urgence du défi d’une industrie durable, ces contraintes vont nécessairement nous obliger à réviser Pourquoi l’industrie automobile d’une manière ou d’une autre notre s’intéresse-t-elle à la bio-inspiration ? conception-métier : redéfinir nos modes de production, voire repenser ce qu’est Cet intérêt s’inscrit d’abord dans une la mobilité. nécessité générale d’innovation, qui est bien sûr inhérente à tout système industriel. Ensuite, la bio-inspiration est Quels sont les champs d’application connectée à deux dimensions qui la font potentiels de la bio-inspiration pour entrer en résonance avec nos les industries de la mobilité ? problématiques. D’une part, la nécessaire recherche de durabilité dans les Nous visons en permanence l’allègement solutions technologiques que nous des véhicules, afin de réduire leur développons, étant donné que notre consommation d’essence. Nous industrie consomme des ressources travaillons donc sur les matériaux rares et épuisables, quand bien même (fibres et matériaux composites) mais elles sont recyclées. D’autre part, la biodiversité en elle-même, qui représente une mine d’inspiration précieuse en matière d’innovation, la nature ayant développé pour elle-même de nombreux procédés ingénieux. Et la perte de © Erop Kamelev biodiversité rend encore plus importante cette quête ! Les chercheurs dans l’industrie automobile s’inspirent des propriétés superoléophobes de la cuticule du collembole pour développer des revêtements moins salissants 26
— RENCONTRES — aussi sur les structures. On ne peut pas innovation bio-inspirée fait intervenir reproduire facilement tout ce que fait la des intrants et des effluents non nature, mais la fabrication 3D peut être « propres », le défi n’est évidemment pas une option pour certaines pièces, en relevé. marge des cadences d’usine. En dehors des surfaces autonettoyantes, d’autres Mon souci est de faire entrer dans fonctionnalités de surface sont l’opérationnel une évolution des susceptibles d’être bio-inspirées pour pratiques. Une proposition de norme des applications dans l’automobile : française sur l’écoconception mouillabilité, adhésion, autoréparation, bio-inspirée a été faite : il s’agit par couleur adaptative… exemple pour l’industrie automobile L’aérodynamique adaptative3 est de se l’approprier, afin de créer des également un autre domaine de la bio- normes de bio-inspiration by design. inspiration, potentiellement stratégique Nous allons ainsi participer à diffuser pour augmenter l’autonomie des cette norme et lancer des filières de véhicules électriques sur autoroute. formation interne. On peut également évoquer Il faut être modeste, mais opiniâtre. l’optimisation du pilotage des véhicules Un cycle d’innovation complet est autonomes en vue de fluidifier d’environ cinq ans, or les enjeux et d’adapter collectivement leurs climatiques sont urgents. trajectoires et comportements. Ici, le modèle est celui de l’essaim d’insectes renault.com ou du banc de poissons, dont la recherche comprend de mieux en mieux les fonctionnements. _inspirations Face à l’ampleur des défis Une solution bio-inspirée qui reste à inventer ? environnementaux, comment faire Une mobilité locale aussi élégante, précise et économe de la bio-inspiration autre chose en énergie que celle des insectes ou des petits passereaux. qu’un outil comme un autre ? Quelle espèce vivante ou quelle propriété du vivant On pourrait voir la bio-inspiration vous fascine le plus ? comme quelque chose de très La croissance très rapide et orientée des longues pousses opportuniste. Cela nous engage à ne pas de la glycine. rester dans du pur biomimétique et à Quel est l’endroit sur terre que vous chercheriez à concentrer nos développements sur les préserver en priorité ? process industriels, dans une gestion La vallée de la Loire, ou tout endroit dans le monde où se beaucoup plus globale de l’impact marient le travail des êtres humains et la richesse et la environnemental, à l’échelle des cycles beauté de la nature. de vie. En effet, si le process d’une 1 - Cette thèse a donné lieu à un des 41 films de la série « Nature=Futur » accessible sur la plateforme Vimeo : « Un moteur plus humain ». 2 - Petits véhicules électriques automatisés sans chauffeur se déplaçant à la demande. 3 - Un véhicule dont la morphologie et les comportements s’ajustent à sa vitesse pour optimiser sa consommation énergétique. 27
— RENCONTRES — Dr Kathy Willis Biologiste et professeure de biodiversité, yW at h illi s université d’Oxford ©K biodiversité et croissance économique : des bénéfices mutuels © Joel Vodell Les mangroves constituent des réserves écologiques abritant une biodiversité très riche 28
— RENCONTRES — Et si, pour les entreprises, la biodiversité représentait un actif à préserver et à valoriser ? Il faudrait pour cela être en mesure d’évaluer la valeur de ce « capital naturel ». C’est là l’objectif des travaux du Dr Kathy Willis, professeure de biodiversité au département de zoologie de l’université d’Oxford. Biologiste de formation, elle développe en effet depuis une dizaine d’années cartes et logiciels permettant aux entreprises de quantifier la valeur écologique des écosystèmes naturels dans lesquels elles s’implantent. Une approche innovante qui va au-delà de l’acceptation classique de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE). Explications et cas d’école. En quoi votre démarche se distingue-t-elle des approches RSE traditionnelles ? Jusqu’à présent, ces approches ont permis de créer un lien entre la biodiversité et les entreprises, celles-ci se concentrant généralement sur la protection des espèces, des communautés et des paysages considérés comme « menacés », « rares » ou « vulnérables ». Il existe ainsi des exemples de programmes de RSE financés par les entreprises qui ont réussi à agir pour leur sauvegarde. Il faut pourtant aller encore plus loin et faire comprendre que la biodiversité peut être en soi une ressource importante, apportant de la valeur aux activités économiques. On parle alors de « capital naturel », en référence au capital économique. Il s’agit ainsi du stock mondial de ressources naturelles composé notamment des organismes vivants, des sols, de l’air ou de l’eau et fournissant des flux de services 29
— RENCONTRES — environnementaux. Ces flux incluent par exemple la séquestration du carbone De nombreux exemples dans la biomasse, la régulation des démontrent que valoriser cycles de l’eau, la réduction de l’érosion des sols… Ils offrent également aux êtres la biodiversité de cette façon humains de nombreux services améliore le développement socioculturels liés, par exemple, à des aspects récréatifs ou esthétiques. économique des entreprises. Il s’agit alors de protéger et d’augmenter les actifs de ce capital naturel, afin de créer une réciprocité entre les activités économiques et la biodiversité. et intégrer des valeurs fonctionnelles Pourquoi et comment cette approche et éthiques dans le calcul de la permet-elle de créer de performance économique des l’interdépendance entre activité entreprises. économique et biodiversité ? Pour y arriver il faut des spécialistes de De nombreux exemples démontrent que la modélisation, du Big Data et de valoriser la biodiversité de cette façon l’informatique qui peuvent créer des améliore le développement économique interfaces ergonomiques tenant compte des entreprises. Je pense ainsi à Mars de la diversité biologique ou de la Inc., qui étudie l’impact de ses activités responsabilité économique de économiques sur la biodiversité, de la l’entreprise vis-à-vis des écosystèmes. quantité d’eau extraite aux ressources utilisées pour fabriquer ses emballages. Visant la réduction des impacts de ses Comment accompagner le changement processus de production sur les de paradigme et quels sont les ressources naturelles (érosion des sols, principaux freins rencontrés jusqu’à pollution de l’eau, dégradation de la présent ? végétation), cette entreprise a constaté non seulement l’amélioration de la Personnellement, j’ai commencé à biodiversité autour de ses sites mais travailler sur ce sujet il y a environ dix également une réduction de ses coûts ans, avec une compagnie pétrolière d’exploitation. C’est une relation norvégienne. Celle-ci souhaitait gagnant-gagnant. disposer d’un outil pour évaluer à Certaines entreprises sont d’ailleurs distance la valeur du capital naturel sur allées plus loin en intégrant les actifs de les sites qu’elle explore. Les ingénieurs ce capital naturel dans leur comptabilité pouvaient évaluer la géologie, générale. Mars Inc. est une des rares à l’hydrographie, l’approvisionnement l’avoir fait et j’espère que d’autres en en électricité, etc., en revanche ils ne prendront le chemin. Pour cela il faut un prenaient pas en compte cette valeur réel changement de paradigme, mettre écologique. C’était vrai en particulier en place des méthodes et des outils qui en dehors des zones protégées – qui ne permettraient rapidement d’évaluer les recouvrent que 13 % de la surface stocks et les flux issus de ce capital terrestre. Depuis, cet outil a été naturel. Il faudrait créer des indicateurs développé pour fonctionner partout 30
— RENCONTRES — L’outil de mapping NaturEtrade.net dans le monde (https://www.left.ox.ac.uk) permettant aux entreprises de calculer le risque écologique autour de leur site. Nous avons également mis au point un autre outil permettant de modéliser la valeur du capital naturel (NaturEtrade.net). Se pose aujourd’hui la question _inspirations de l’acquisition des connaissances sur Une solution bio-inspirée qui reste à inventer ? le capital naturel. Car pour généraliser Une solution exploitant le potentiel des in fine ce genre de pratiques, des mycètes (champignons) qui peuvent digérer et partenariats entre scientifiques et biodégrader d’autres matériaux, comme le entreprises sont primordiaux. Plusieurs polyuréthane, un plastique. raisons peuvent en expliquer les freins : la résistance au changement dans les Quelle espèce vivante ou quelle propriété méthodes d’évaluation et le fait que la du vivant vous fascine le plus ? législation n’exige de se concentrer que Le règne des mycètes, un royaume caché mais sur l’évaluation des impacts, c’est-à-dire essentiel pour la plus grande part de la vie sur sur les dommages potentiels faits aux terre. actifs naturels mais, par exemple, pas Quel est l’endroit sur terre que vous sur l’utilisation durable et équitable chercheriez à préserver en priorité ? du vivant. Il demeure en effet encore Les prairies et savanes tropicales, essentielles dans les esprits cette idée sous-jacente pour la séquestration du carbone, riches que le capital naturel est inépuisable. d’espèces endémiques au patrimoine L’idée d’investir pour cartographier génétique de première importance pour les et mesurer sa véritable valeur reste besoins humains. contre-intuitive. 31
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