Art et expertise Vontobel Portrait 2015
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A propos de Vontobel Nous nous sommes fixé pour objectif de protéger et d’augmenter sur le long terme les avoirs confiés par les clients. Spécialisés dans la gestion de fortune active et dans les solutions de placement sur mesure, nous offrons un conseil responsable et prévoyant. Ainsi, nous nous engageons à délivrer un service de qualité suisse et performant. La famille propriétaire s’y engage, de par son nom, depuis des générations. Nos compétences clés Protéger et augmenter les actifs: nous souhaitons protéger et augmenter sur le long terme les avoirs confiés par les clients. Ainsi, nous conseillons nos clients de manière prévoyante et responsable de génération en génération. Gérer activement la fortune: en pratiquant une gestion de fortune active, nous créons une plus-value financière pour nos clients. Pour ce faire, nous élaborons des solutions de qualité visant à optimiser le rendement et à gérer les risques. Appliquer des solutions de placement sur mesure: nous appliquons des solutions de placement sur mesure pour nos clients. Notre recherche prévoyante ainsi que nos compétences en matière de produits et de processus font de nous le partenaire idéal. Nos valeurs entrepreneuriales Nous pensons avec prévoyance, nous agissons de manière responsable et nous travail- lons avec excellence pour nos clients. A fin décembre 2014, les avoirs confiés par nos clients s’élevaient à CHF 190.7 milliards. Vontobel emploie environ 1’400 collaborateurs dans le monde répartis sur 21 sites. Les actions nominatives de Vontobel Holding AG sont cotées à la SIX Swiss Exchange. Les familles Vontobel et la Fondation Vontobel possèdent la majorité des actions et des voix.
Préface – Vontobel Portrait 2015 3 L′art embellit notre vie Chère lectrice, cher lecteur, L’art est une composante essentielle de notre société. Il embellit notre vie, nous interpelle et annonce, voire favorise, nombre d′évolutions sociales. Notre société libre se traduit notamment par le fait que l’art peut être sans compromis, peut remettre en question l’existant, en explorer les limites et conquérir de nouveaux territoires. La liberté de l’art doit être défendue au nom d’une société moderne, ouverte et innovante. Et la meilleure façon d’y parvenir, c’est de s’engager personnellement en faveur de l’art. Il est indispensable que les particuliers et les entreprises soutiennent activement l’art et la culture dans la mesure de leurs moyens. Chez Vontobel, nous sommes conscients de cette obligation depuis toujours. Notre président honoraire, Dr Hans Vontobel, qui s’exprime en pages 26/27, a ainsi œuvré en ce sens et créé plusieurs fondations. Nous montrons notre engagement, en sponsorisant par exemple le Festival de Lucerne qui se tient en été: il compte parmi les festivals de musique classique de renommée internationale et attire chaque année en Suisse des mélomanes des quatre coins du monde. La présente édition de Portrait constitue une autre preuve de l’intérêt que nous portons à l’art. Elle offre une tribune à des figures emblématiques de l’art: artistes, amateurs d’art ou conservateurs, des personnes qui vivent pour l’art, avec l’art et de l’art. Nous en profitons aussi pour vous présenter nos experts qui excellent dans l’«art de l’investissement actif». Car, chez Vontobel, nous sommes convaincus que nous pouvons créer, par ce biais, de la valeur ajoutée à long terme pour nos clients. Outre la créativité, l’«art de l’investis- sement actif» présuppose un degré de latitude et une dose de courage adequats. La latitude de concevoir et l’audace d’avoir une conviction et une opinion personnelles à propos des marchés et des thèmes d’investissement, puis d’agir en fonction. Dans cette nouvelle édition, vous en saurez davantage sur les arguments pour et contre un investissement dans l’art. Faut-il considérer l’art comme une catégorie d’actifs autonome? Un investissement adapté se prête-t-il même, éventuellement, à la diversification de son patrimoine? Des questions intéressantes auxquelles nous répondons dans cette publication. Nous vous souhaitons une agréable lecture du Vontobel Portrait 2015. Herbert J. Scheidt, Dr Zeno Staub, Président du conseil d’administration Chief Executive Officer
4 Vontobel Portrait 2015 – Sommaire 6 Dr Zeno Staub 40 22 De l’art de nager à contre-courant Regula Lüscher Bien plus que de simples constructions, Taryn Simon c’est de l’architecture Quatre questions à l’artiste 9 Dr Christoph Becker «L’art est fondamen- talement humain et 44 30 nécessaire» Herbert J. Scheidt De l’art de construire l’avenir Philippe Jordan «J’incite les musiciens à s’investir personnelle- ment»
Vontobel Portrait 2015 5 6 28 Dr Zeno Staub Claudio Pedrazzini De l’art de nager à Un œil, un rabot contre-courant et beaucoup de temps 9 30 Dr Christoph Becker Philippe Jordan «L’art est fondamen- «J’incite les musiciens à talement humain et s’investir personnellement» nécessaire» 32 12 Prof. Dirk Boll Chiffres et faits L’économie du bon goût Art et expertise 36 14 Chiffres et faits Christophe Bernard Art et expertise La singularité américaine 38 16 Axel Schwarzer Guido Hager Investir : un art ou «On m’a repris mon premier une science ? tableau le lundi» 39 18 Roger Studer Klaus Thamm L’art de l’individualité «Collectionner des structurée œuvres d’art marque le collectionneur» 40 Regula Lüscher Photo de couverture: Détail de l’œuvre d’Andy Warhol 21 Bien plus que de Georg Schubiger simples constructions, «Marilyn Diptych» repré- sentant l’actrice Marilyn Investir dans l’art c’est de l’architecture ou l’art d’investir ? 42 Monroe, décédée en 1962. Andy Warhol, une des figures centrales du mouve- ment pop art, était déjà une 22 Vontobel en chiffres Taryn Simon légende de son vivant. La sérigraphie originale réalisée Quatre questions à l’artiste 44 en 1962 est conservée à la Herbert J. Scheidt très célèbre Tate Modern à Londres. 26 De l’art de construire Dr Hans Vontobel l’avenir Marilyn, 1981 (silkscreen), Warhol Andy (1928–1987)/Private «Quand même» Collection/Photo © Bonhams, London/Bridgeman Images, Berlin © The Andy Warhol Foundation for the Visual Arts, Inc./2015, ProLitteris, Zurich
6 Vontobel Portrait 2015 – Dr Zeno Staub, Chief Executive Officer De l’art de nager à contre-courant Monsieur Staub, en quoi réside l’art de Affirmer que diriger une entreprise est avant Dr Zeno Staub est CEO diriger une société de gestion de fortune tout de l’art me semble quelque peu présomp- de Vontobel depuis 2011. suisse leader du marché ? tueux. Auparavant, il a été CFO Pour moi, le management n’est pas vraiment Parallèlement au savoir-faire professionnel, à Vontobel, puis a dirigé un art, c’est davantage un savoir-faire qui ne faut-il pas néanmoins des qualités l’Investment Banking et enfin l’Asset Management. s’acquiert avec le temps. Je partage l’avis du humaines spécifiques pour réussir à diriger Zeno Staub a étudié professeur en management Peter Drucker qui une entreprise ? l’économie à l’université ne voulait pas réduire cette discipline à des Certes, quelques aptitudes de base sont absolu- de Saint-Gall où il a mots-clés tels que charisme ou vision, mais qui ment décisives : il faut être authentique et pré- également passé son doctorat. mettait en avant l’importance des compéten- visible, rester toujours fiable même dans les si- ces professionnelles. J’attache plus d’importance tuations de stress – voilà de nos jours la clé d’une au savoir-faire qu’à la notion abstraite d’art. direction efficace. Par ailleurs, il faut être pas-
Vontobel Portrait 2015 7 sionné par le sujet et le métier que l’on exerce. que c’est le seul moyen de favoriser la réflexion La capacité à développer et à communiquer intellectuelle qui préserve et stimule les capa- cette passion est essentielle parce que la prise cités exceptionnelles de chacun. Il est également de décision en entreprise repose aujourd’hui essentiel pour ces collaborateurs d’avoir la fortement sur les connaissances et que les struc- garantie d’être soutenus, épaulés et stimulés tures sont plus horizontales. Sans passion indi- par l’organisation. viduelle, il manque la base nécessaire à une per- Les «artistes» ont-ils besoin d’espaces de formance durable. J’en suis convaincu. liberté ? Voyez-vous tout de même une composante Il faut leur permettre de développer leur propre artistique dans votre métier ? style. Sur ce plan, Vontobel est en mesure Considérons tout d’abord ce que l’on entend d’offrir plus de liberté parce que notre organi- couramment par le terme «artiste». Un artiste sation est restreinte et agile, et que l’action- est une personne qui sort de la norme, qui naire principal soutient cette philosophie avec s’affranchit des conventions, une personne qui conviction. Comme nous ne fonctionnons anticipe, qui déconstruit les structures et la pas par cycles trimestriels, nous pouvons laisser réalité pour les recomposer, qui crée quelque plus de temps aux idées et aux initiatives des chose de nouveau, etc. Cela peut tout à fait collaborateurs que ne le font nos concurrents. s’appliquer à notre métier : pour obtenir par ses Chez ces derniers, il est fréquent que personne investissements des résultats supérieurs à la ne veuille assumer de responsabilité lors- moyenne, il faut avoir des connaissances qui que le succès n’est pas visible à court terme. s’écartent du consensus et des conventions. Comment une banque arrive-t-elle encore à Ensuite, il faut s’imposer et défendre sa position, octroyer des libertés dans un environnement même si la majorité des collègues ou d’autres si profondément régulé ? parties prenantes n’y adhèrent pas. L’investis- Les régulations sont une chose, le concept de seur actif et l’artiste ont effectivement un direction, qui influence en grande partie les point commun : ils ont le courage de nager à contre-courant. Il en va de même pour un conseil responsable et prévoyant. Avec le «Sans passion individuelle, il client, il faut arriver à définir l’objectif individuel manque la base nécessaire recherché en le condensant le plus possible à une performance durable. avec un souci d’authenticité de manière à pou- voir en «brosser un tableau» – au sens figuré J’en suis convaincu.» du terme – conforme au projet avec les moyens à la disposition de notre profession tout en s’appuyant sur les réalités du marché libertés, en est une autre. Les nouveaux colla- des capitaux. borateurs me disent souvent qu’ils n’ont encore Que faut-il pour attirer des personnes jamais eu autant de latitude, mais également possédant de telles compétences ? qu’ils n’ont jamais dû endosser autant de res- Parmi les principaux moteurs, citons la possibi- ponsabilités. Il n’y a pas de liberté sans respon- lité de disposer d’un environnement stimulant sabilité. C’est d’ailleurs un concept incontour- qui leur permet de discuter avec les meilleurs nable qui s’applique à l’ensemble de la société. dans leur domaine et de se mesurer à eux – Quelle importance revêtent les incitations ce que nous observons très clairement à économiques ? Vontobel. Chez nous, même les plus grands Elles restent un moyen essentiel d’exprimer de talents travaillent toujours en équipe, parce la gratitude et de récompenser les réussites.
8 Vontobel Portrait 2015 – Dr Zeno Staub, Chief Executive Officer L’artiste a la galerie, nous avons le dialogue avec long de son parcours, la banque Vontobel a le client. Si l’œuvre ou plus exactement le pro- toujours regardé de l’avant. Se tourner inlassa- duit financier suscite beaucoup d’intérêt, cela se blement vers l’avenir et être ouvert au change- répercute inévitablement sur la performance. ment fait en quelque sorte partie du génome «Se tourner Comptez-vous des «artistes» parmi vos de la banque. inlassablement clients ? La Banque Vontobel est sponsor du Festival Oui, clairement. Notre clientèle est issue d’une de Lucerne. Pourquoi ? vers l’avenir catégorie privilégiée de la population à laquelle J’aimerais résumer cet engagement en une et être ouvert au appartient une majorité de personnes bril- phrase: la qualité suisse rayonne dans le changement lantes, exigeantes et ambitieuses. Ce sont des monde. Le Festival de Lucerne fait partie des personnes qui aiment le défi, des acteurs premiers festivals de musique classique fait en quelque hors du commun qui recherchent des placements du monde. Un public polyglotte y rencontre sorte partie hors du commun. Je me souviens d’un client d’éminents orchestres, chefs d’orchestre et du génome de qui a créé deux entreprises leaders sur le marché solistes virtuoses. Le festival se déroule au mondial avec beaucoup de détermination et Palais de la culture et des congrès de Lucerne la banque.» d’investissement personnel alors qu’en soi, il (Kultur- und Kongresszentrum Luzern), édifice avait déjà fait le nécessaire pour assurer son moderne et à l’acoustique exceptionnelle avenir financier. créé par Jean Nouvel qui semble faire écho Quel rang l’art au sens classique occupe-t-il à la ville historique voisine et au lac idyllique. au sein de la banque Vontobel ? Qu’est-ce que cela signifie pour Vontobel ? C’est un élément de positionnement et égale- C’est une prestation de niveau international ment un média qui véhicule un message. Dans capable de s’imposer sur le marché mondial notre établissement, l’art se présente pour le tout en préservant sciemment son caractère client, les visiteurs et les collaborateurs comme suisse. Nous nous sentons proches de l’esprit l’expression d’une décision délibérée. Prenez du Festival de Lucerne. Nos deux institutions l’agencement de nos espaces ou le design, les parviennent à attirer en Suisse les artistes matériaux et les teintes de l’aménagement inté- les plus talentueux du monde et à proposer rieur. Ils contrastent, et c’est intentionnel, avec un produit de renommée internationale. le style Louis XV que privilégient de nombreuses Percevrait-on là un soupçon de patriotisme ? maisons traditionnelles et dont l’interprétation Plutôt un engagement en faveur de la Suisse est purement historique. Ils créent une atmosphère en tant que plateforme de la promotion des de modernité, de transparence, de confiance connaissances, du savoir-faire et du dévelop- et de performance. Notre message est clair : pement de produits performants. Nous nous nous sommes transparents, nous savons ce qui comprenons comme une société d’exportation, compte et nous répondons à ces attentes. au même titre que n’importe quelle entreprise Votre nouvel engagement en faveur de construction mécanique ou entreprise phar- de la photographie contemporaine est maceutique. Nous réfléchissons, faisons de la conforme à cette vision. recherche et produisons pour ensuite exporter Oui. La photographie contemporaine convient dans le vaste monde nos prestations de conseil parfaitement à notre image et à nos objectifs. et notre produit, le placement de fortune. ■ Elle encourage le dialogue et la discussion. Forte de ses 90 ans d’expérience, Vontobel pourrait s’intéresser à un art plus ancien. Nous sommes très sensibles à notre histoire. Néanmoins, il faut garder à l’esprit que tout au
Dr Christoph Becker, directeur du Kunsthaus Zurich – Vontobel Portrait 2015 9 «L’art est fondamentalement humain et nécessaire» Monsieur Becker, vous avez dit un jour Quelle est la valeur de l’art ? Dr Christoph Becker que l’art était la plupart du temps ennuyeux. L’art fait partie intégrante du monde. Il est (*1960) est directeur du Kunsthaus Zurich depuis Votre métier serait-il donc ennuyeux ? l’expression visible de ce que l’homme est 2000. Il a étudié l’histoire Je ne pense pas avoir dit cela – cette déclaration capable de créer lorsqu’il s’affranchit de ses de l’art et la philologie ne me ressemble absolument pas. Mon métier obligations. C’est pourquoi l’art est fonda- germanique à Munich, est d’une diversité surprenante. Grâce à lui, j’ai mentalement humain et nécessaire. Vienne et Stuttgart et passé sa maîtrise en 1987. des contacts avec un nombre considérable de Il existe le joli terme d’«éducation artis- En 1992, il obtient son personnes qui ont toutes, d’une manière ou tique». Que signifie-t-il en 2015 ? doctorat à l’université d’une autre, des activités tournées vers l’art – Je n’aime pas ce terme. L’art n’est pas en soi Ludwig Maximilian de avant tout avec notre public, ces centaines de un outil éducatif. Cette formulation date du Munich et à l’Institut cen- tral d’histoire de l’art milliers de visiteuses et visiteurs qui se rendent temps de la règle à calculer. L’art est omni- (Zentralinstitut für chaque année au Kunsthaus pour voir ce qu’a présent et nous contribuons à ce qu’il fasse Kunstgeschichte). Avant réalisé la grande équipe du Kunsthaus qui partie de la réalité de chacun. de venir à Zurich, il était rassemble des gens de tous les horizons. Ils sont L’art permet-il d’avoir un impact positif conservateur à la Staats- galerie de Stuttgart. près de 180 à travailler au Kunsthaus et à sur la société, de la changer ? s’investir pour le musée : conservatrices et conser- Toute expression artistique – qu’elle soit figu- vateurs, artisans, membres de l’organisation rative, musicale, théâtrale ou littéraire – peut des expositions et de l’administration, agents avoir un impact à condition qu’il y ait quelqu’un de surveillance et bien d’autres (dont certains pour en prendre connaissance. Le Kunsthaus sont là depuis 30 ans...), sans oublier la est un lieu dédié à la rencontre vivante avec l’art. direction qui fait aussi partie de cette équipe Notre objectif n’est pas d’améliorer le monde, dont tous les efforts, comme autant de nous ouvrons des horizons qui dépassent les liens tissés, convergent vers un même objectif. frontières du quotidien. Nous constatons d’ail-
Dr Christoph Becker, directeur du Kunsthaus Zurich – Vontobel Portrait 2015 11 leurs avec plaisir que les gens sont nombreux nous tient à cœur, mais ce n’est pas notre à profiter de cette offre et à lui accorder une unique motivation. Les projets d’exposition qui place dans leur vie, à lui consacrer du temps. Ils attirent un large public doivent également quittent le Kunsthaus heureux après une visite remplir une mission culturelle allant au-delà de «Nous ouvrons enrichissante – pourquoi cela ne pourrait-il pas ce que représente un «blockbuster», sans des horizons avoir des retombées positives au sein de la quoi nous trouverions notre travail ennuyeux société ? et le public sans doute aussi. qui dépassent Selon vous, l’art n’a d’impact que si celui Que signifie pour vous l’extension du bâti- les frontières qui contemple une œuvre est disposé à ment approuvée par la population zurichoise du quotidien.» accepter de dialoguer avec elle. Qu’enten- en 2012 ? Ce projet est-il un défi artistique, dez-vous par là ? logistique ou économique ? L’art n’est pas un aliment. Il faut bien sûr être L’extension du Kunsthaus de Zurich est essen- prêt à profiter d’une offre culturelle, quelle tielle pour le développement du musée. Elle qu’elle soit, parce qu’elle oblige à faire un pas répondra aux attentes du public à l’égard en avant, au propre comme au figuré, tout en d’une institution culturelle du XXIe siècle. L’élé- exigeant souvent une contribution financière. gant bâtiment de David Chipperfield, aux Nous créons un lieu qui réunit les meilleures lignes claires, va permettre au Kunsthaus de gran- conditions pour permettre ce dialogue. Nous dir pour s’imposer comme l’un des principaux devons et nous voulons satisfaire aux exi- musées d’Europe. L’art et le public seront placés gences liées à cet engagement. Cela peut sem- en situation de dialogue dans un cadre mo- bler un peu contraignant, mais pour nous, ce derne, mais surtout novateur puisque l’actuel modèle est un moteur qui préserve notre élan bâtiment du Kunsthaus sera relié à l’extension créatif. Par ailleurs, nous nous adressons à pour former un ensemble cohérent. Comme toutes les générations en leur proposant de ce projet d’agrandissement permettra d’augmen- nombreuses offres différentes qui permettent ter le nombre d’œuvres inestimables à notre d’accéder facilement à l’art (et à peu de frais). disposition, avec en particulier les chefs- Le Kunsthaus est ouvert à tous. d’œuvre impressionnistes exceptionnels de la Si l’on considère vos 15 dernières années collection E.G. Bührle, Zurich va faire un véritable à la direction du Kunsthaus, quels ont été bond en avant sur le plan culturel. La planifica- les expositions les plus exigeantes sur le tion de l’extension du Kunsthaus a pris une plan artistique et vos plus grands succès dizaine d’années et comprend un business plan commerciaux ? détaillé. Le financement des travaux (presque Quels qu’en soient la taille et le coût, tout pro- pour moitié avec des capitaux privés !) et les jet, toute exposition est un défi. C’est l’en- futurs coûts d’exploitation sont assurés. Lors semble avec ses multiples facettes qui renforce du vote populaire de 2012, les habitants de à long terme la notoriété locale et internatio- Zurich ont approuvé la réalisation de ce projet nale du musée. Nous sommes particulièrement culturel – le plus important pour la ville depuis fiers de l’excellente réputation dont jouit le un siècle. Un recours déposé contre le permis Kunsthaus de Zurich, à l’étranger comme chez de construire par une fondation lucernoise a nous. L’institution contribue ainsi au rayonne- retardé le lancement des travaux, mais l’affaire ment international de la Suisse dans le domaine est désormais réglée et la première pierre culturel. Le Kunsthaus de Zurich est connu sera posée à l’automne 2015. Une fois la cons- dans le monde entier pour la remarquable qua- truction achevée, en 2020, le Kunsthaus de lité de son programme et le haut niveau esthé- Zurich sera alors le plus grand musée d’art de tique de ses productions. Le succès commercial Suisse. ■
12 Vontobel Portrait 2015 – Faits et chiffres La question à 300 millions USD «Quand te maries-tu?» (en tahitien, Nafea faa ipoipo) – c’est ainsi que Paul Gauguin intitule le tableau qu’il a peint à Tahiti, en 1892. Rudolf Staechelin, qui en était le propriétaire jusqu’à présent, l’a vendu en février 2015 à l’Emir du Qatar. Prix de la toile la mieux payée de tous les temps: 300 millions USD. Photo: Bridgeman Images, Berlin millions USD Le deux-roues le plus cher au monde 101 millions USD: c’est le prix auquel la sculpture en bronze d’Alberto Giacometti, «Chariot» (1950), a été adjugée lors des dernières enchères d’automne de Sotheby’s, à New York. Source: www.wsj.com De Richter à Rist: René Burri les dix artistes Le Suisse René Burri était un photo- les plus en vogue graphe d’art de renommée mondiale, qui a immortalisé des icônes († 20 octobre 2014). Ses portraits de personnalités re- 1 Gerhard Richter Peinture Allemagne flètent l’intérêt qu’il portait à son travail. 2 Bruce Nauman Objets et art vidéo Etats-Unis Le cliché qui montre Che Guevara avec 3 Rosemarie Trockel Objets et dessin Allemagne un cigare à la bouche (1963) est certaine- 4 Georg Baselitz Peinture Allemagne ment le plus célèbre d’entre eux. Photo: © Samuel Rouge 5 Cindy Sherman Photographie Etats-Unis 6 Anselm Kiefer Peinture Allemagne 7 Olafur Eliasson Sculpture et installation Danemark 8 William Kentridge Dessin et film Afrique du Sud 9 Richard Serra Sculpture Etats-Unis 10 Pipilotti Rist Art vidéo Suisse Sources: Kunstkompass 2014/manager magazin Super- 36+6+949R complication Les plus grands USA 49% collectionneurs En 1925, le banquier américain Henry Graves a commandé à Patek Philippe (Genève) une CH montre à gousset à 24 complications, soit Sur les 200 plus grands collection- 6% huit de plus que pour celle du constructeur automobile James Ward Packard. La pièce a neurs dans le monde en 2013, été vendue aux enchères le 11 novembre 49% étaient domiciliés aux Etats-Unis, 2014 par Sotheby’s, à Genève, au prix record DE de 23.2 millions CHF. 9% 9% en Allemagne et 6% en Suisse. Sources: Arts Economics (2014) sur la base de données Photo: Sotheby’s provenant d’ARTnews Source: www.watchtime.net
Vontobel Porträt 2015 13 Une plus-value de 1 million de dollars par an Avec la Ferrari 250 GTO, produite à seulement 39 exemplaires, on aurait pu gagner plus de 1 million USD par an, en supposant qu’on l’ait achetée en 1963 et qu’on l’ait revendue au prix record de 52 millions USD, comme récemment le collectionneur de voitures Paul Parpadello. Photo: DUKAS Le rose pour L’art, c’est le pouvoir: les les connaisseurs dix acteurs les 46.2 millions USD: c’est la somme que plus influents le joaillier Laurence Graff a dû débourser pour acquérir le diamant étincelant de de la scène 24.78 carats et d’un rose intense, vendu artistique par Sotheby’s le 16 novembre 2010, à Genève. Un prix record pour une pierre précieuse mise aux enchères. Photo: Sotheby’s Source: www.sothebys.com Û 1 Nicholas Serota Directeur de la Tate Gallery * ¬ 2 David Zwirner Galeriste reconnu dans le monde: il représente des artistes à succès et a ouvert une nouvelle galerie 16.3 millions USD/g imposante à New York ¬ 3 Iwan Wirth* Zurich, Londres et New York, Los Angeles, Somerset Le diamant bleu le plus cher au monde est une pierre précieuse de 9.75 carats en Û 4 Glenn D. Lowry Directeur du Museum of Modern Art (MoMA), New York forme de poire. Vendu aux enchères en novembre 2014 par Sotheby’s, à New Û 5 Marina Abramović Performeuse, muse d’éminentes personnalités York, il a trouvé un nouvel acquéreur et crowdfunder à succès pour le Marina Abramović Institute pour 32.6 millions USD, soit 16.3 millions USD le gramme pour ce joyau qui en Ü 6 Hans Ulrich Obrist & Julia Peyton-Jones fait tout juste deux. Directeurs des Serpentine Galleries, Hans Ulrich Obrist ayant initié d’innombrables projets et expositions Photo: Sotheby’s artistiques dans le monde Source: www.nzz.ch Û 7 Jeff Koons Le millionnaire au «Balloon Dog» 8 Larry Gagosian Ü Galeriste renommé qui dirige 13 galeries dans le monde et mise sur des expositions dignes de musées Û 9 Marian Goodman Célèbre galeriste qui représente des figures exception- Un ouvrage d’art nelles de l’art et dirige des galeries à New York et Paris 10 Cindy Sherman de plus de 100 ans Û Artiste et photographe connue pour ses autoportraits qui constituent l’essentiel de ses créations Innovation et architecture dans les Alpes suisses: l’industriel zurichois Alfred Guyer-Zeller a initié la construction du chemin *Le Suisse Iwan Wirth fait partie des trois re- de fer à crémaillère sur le Jungfraujoch, une prouesse pionnière présentants qui font autorité dans le monde de à l’aube de la révolution technique. Cette édification unique l’art. Négociant en art, il est également associé donnera naissance à la station ferroviaire la plus haute d’Europe, de plusieurs galeries. devenue l’attraction touristique la plus célèbre de Suisse. Sources: 2014 Power 100, ArtReview
14 Vontobel Portrait 2015 – Christophe Bernard, stratège en chef La singularité américaine S ept ans après l’éclatement de la crise financière, la croissance mondiale reste fragile et très dépendante d’injections massives de liquidités par les banques centrales. La dette publique atteint des niveaux tels que toute hausse des taux d’intérêt rendrait rapidement le service d’une telle dette insupportable. Par conséquent, les autorités monétaires font tout ce qui est en leur pouvoir pour maintenir les taux d’intérêt réels très bas, voire négatifs, d’où un environnement très complexe à la fois pour les épargnants et pour les investisseurs. Christophe Bernard est stratège en chef de Vontobel. En tant que Un cercle économique vertueux aux Etats-Unis Président du Comité d’in- Lorsque l’on observe les grandes économies de ce monde, les Etats-Unis se distinguent vestissement il est res- à deux égards. Premièrement, ils se sont attaqués avec détermination aux conséquences ponsable de la stratégie de la crise financière – le niveau d’endettement des consommateurs a baissé, l’immo- d’investissement, de la banque. Christophe bilier se redresse, les banques sont bien capitalisées, l’emploi progresse et la produc- Bernard bénéficie de plus tion économique est supérieure aux niveaux d’avant la crise. Deuxièmement, grâce au de 20 ans d’expérience leadership mondial des entreprises américaines dans les secteurs technologiques et en matière d’investisse- grâce à une révolution énergétique domestique, à savoir la production croissante de ments. pétrole et de gaz de schiste, les Etats-Unis ont renoué avec d’excellents niveaux de com- pétitivité, attirant d’importants investissements étrangers directs. C’est tout à l’oppo- sé de la zone euro et du Japon, où la croissance économique reste anémique malgré l’attitude de plus en plus conciliante de la Banque centrale européenne et de la Banque du Japon. Leurs politiques monétaires extrêmement accommodantes conduisent à une appréciation structurelle du dollar américain et, fait intéressant, contribuent à limiter la hausse potentielle des taux d’intérêt à long terme américains. Sauf poussée d’inflation, ceci renforce le «cercle vertueux» américain. La chute des prix des matières premières contrecarre l’inflation De tels risques semblent irréalistes, car tant que prévaudront des forces désinflation- nistes mondiales, la menace d’augmentation des prix ne sera pas un sujet d’inquiétude pour les investisseurs. Internet reste un puissant facteur désinflationniste, ainsi que la main-d’œuvre excédentaire. En outre, une surproduction de matières premières clés telles que minerai de fer, charbon, céréales ou pétrole brut ont provoqué une forte chute des prix, qui accentue la désinflation. Par ailleurs, le nouveau modèle écono- mique chinois a été conçu pour libérer le pays de sa dépendance vis-à-vis des investis- sements et de l’immobilier et cible une croissance du PIB plus lente, moins gourmande en matières premières. Bien sûr, cette baisse a du pour et du contre : d’un côté, le consommateur «occi- dental» bénéficiera de prix à l’importation plus intéressants. De l’autre, certains pays exportateurs de matières premières, d’Afrique et d’Amérique du Sud par exemple, en souffriront. Quand on envisage d’investir dans des actions, des obligations ou des devises, il est essentiel d’évaluer les ramifications à moyen terme de tels mouvements de prix «tectoniques».
Vontobel Portrait 2015 15 La hausse des marchés boursiers va-t-elle se poursuivre ? La réponse est, pour simplifier, «oui», à condition que la croissance des bénéfices et les politiques monétaires conciliantes ne changent pas. Mais l’évolution à long terme des bénéfices dépend de la croissance de la productivité qui, à son tour, est tributaire des investissements. Depuis l’éclatement de la crise financière, la croissance des résultats par action est plus le fait d’une amélioration de l’efficience et de rachats d’actions que d’investissements productifs, notamment aux Etats-Unis. Etant donné que les résultats des entreprises américaines atteignent des sommets par rapport au produit intérieur brut du pays, le risque est bel et bien là que la croissance des résultats se stabilise, avant même la prochaine phase de récession. La zone euro se lasse des réformes «Les Etats-Unis De façon générale, la zone euro, le Japon et même la Chine font face à une demande ont atteint une atone en raison d’évolutions démographiques défavorables et/ou de coups de frein sur les dépenses publiques en raison de dettes abyssales. Comment les responsables compétitivité su- politiques vont-ils pouvoir relever le défi ? La restructuration de la dette, qui obligerait périeure à la les investisseurs à renoncer à une partie de leurs investissements initiaux, n’est pas moyenne et atti- (encore) acceptable politiquement. De même, l’expansion budgétaire, avec la hausse des dépenses publiques par exemple, n’est plus envisageable puisqu’elle conduirait à ré des investisse- un niveau de dettes insoutenable. Dans une telle situation, recourir à des politiques ments directs monétaires extrêmes peut faire gagner du temps. Mais une telle stratégie, que nous étrangers subs- pourrions appeler le «faisons comme si», finira par perturber gravement les marchés tantiels.» financiers. Le seul moyen de stimuler la demande sans s’endetter davantage est d’amé- liorer le potentiel de croissance par des réformes structurelles. Des pays comme l’Espagne, l’Irlande et le Portugal, qui en fait n’avaient pas d’autre choix que d’avaler la pilule amère de la restructuration, ont montré que c’était possible. Dans le même temps, on note une forte opposition à toute réforme dans des pays comme le Japon ou l’Italie, sans parler de la France, car des mesures draconiennes bouleverseraient un modèle socio-économique en place depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale. En somme, les questions politiques vont revenir hanter les marchés financiers à plus ou moins brève échéance car les pratiques actuelles ne sont pas viables sur le long terme, à notre avis. Que peuvent donc faire les investisseurs ? Voici un conseil que nous pourrions leur donner : profitez de la hausse tout en gardant un pied sur la pédale de frein. ■ Prévisions basées sur les informations disponibles en février 2015.
16 Vontobel Portrait 2015 – Guido Hager, architecte paysagiste et collectionneur d’art Guido Hager devant un tableau de Herbert Brandl de la série «Panoramen». «On m’a repris mon premier tableau le lundi» Monsieur Hager, pourquoi collection- Par quoi et comment avez-vous commencé ? «La peinture nez-vous des œuvres d’art ? J’ai commencé par hasard. Il y a environ 20 ans, A vrai dire, je n’ai jamais eu l’intention de alors que nous assistions à une vente aux en- me touche pro- collectionner des œuvres d’art. En revanche, je chères à Zofingue dans l’espoir de trouver du fondément.» suis un amateur de musées et d’expositions, mobilier pour notre maison d’Art nouveau, avec depuis toujours un intérêt particulier pour nous sommes tombés sur deux tableaux ovales les œuvres inaccessibles. Ma passion est née relativement imposants d’un mètre soixante de manière totalement inattendue lorsque j’ai environ. Ils provenaient d’un «palazzo» italien ramené pour la première fois une œuvre chez et représentaient deux putti moqueurs qui moi. nous plaisaient énormément. Nous nous
Vontobel Portrait 2015 17 sommes dit, plutôt sur le ton de la plaisanterie, couvert de nouvelles approches telles que les que ce pourrait être un début. Mais, comme ils deux traits de couleur de l’Américain Fred étaient relativement chers, nous avons renoncé Sandback qui redessine l’espace avec deux fils. à les acheter d’autant plus que nous étions Bien que je n’aie jamais souhaité posséder invités à l’inauguration de l’exposition de la gale- d’œuvres d’art ayant pour thème la nature ou rie Mark Müller. Là, dans le prolongement les paysages parce que ces sujets m’occupent de l’entrée, un tableau fascinant de Harry Jo au quotidien, ce sont précisément celles-ci qui Guido Hager (*1958) est Weilenmann était accroché au mur. Après les ont commencé à me fasciner. propriétaire, avec Patrick deux putti, j’ai été fasciné par cette toile de Dans quelle mesure l’art est-il Altermatt et Pascal Posset, 2 × 2 mètres, relativement abstraite, qui rappe- un placement pour vous ? de l’agence d’architecture paysagiste Hager Partner lait un peu les prés fleuris de Klimt. Son prix C’est une question atroce ! Dès que la cote AG qui possède des bu- était tout aussi élevé que celui des putti, mais d’un artiste monte, je ne peux plus m’offrir ses reaux à Zurich et à Berlin. ce n’était plus une plaisanterie, c’était de la œuvres, les primes d’assurance augmentent et Après un apprentissage peinture. J’ai alors demandé à Mark Müller de tout prêt devient une source d’anxiété ex- d’horticulteur et fleuriste, Guido Hager a suivi des me prêter le tableau pour le week-end et trême. L’œuvre reviendra-t-elle dans l’état où études d’architecture pay- très vite, j’ai perdu toute envie de le lui rendre. elle était? De ce fait, je ne considère pas la hausse sagiste à l’Ecole technique Malheureusement, je ne pouvais pas le garder des prix comme un avantage. Certes, les prix intercantonale de Rap- et on me l’a repris le lundi. Voilà l’histoire de qu’atteignent certains artistes dans les ventes perswil, puis s’est mis à son compte en 1984. De- ma première toile. J’avais attrapé le virus – et il aux enchères sont très réjouissants sur le puis 1997, Guido Hager s’est révélé de plus en plus virulent avec le temps. moment, mais l’histoire des enchères nous montre est consultant auprès de Quel est le thème principal que des facteurs totalement indépendants de la Commission fédérale de votre collection ? l’artiste ou du collectionneur peuvent rapide- des monuments histo- riques (CFMH) et, depuis D’une part, c’est la peinture contemporaine ment faire baisser la cote de n’importe quel ar- 2010, membre de l’Aca- avec des œuvres d’artistes de ma génération – tiste. Dans ce domaine, on prend toujours de démie des Arts de Berlin. un domaine on ne peut plus vaste aujourd’hui. gros risques. En ce qui me concerne, l’essentiel Il fait régulièrement partie Il y a 20 ans, je voulais comprendre comment est le plaisir que l’art me procure. J’aime accro- de jurys nationaux et internationaux, tient des un artiste pouvait peindre une toile à une cher mes tableaux aux murs et, quand je n’ai conférences et est l’auteur époque où la peinture n’était absolument plus plus de place, je les stocke quelques années. de plusieurs publications. à la mode et où tous étaient attirés par l’art Qu’ils conservent ou non leur valeur reste pour Photo à gauche: Helenio Barbetta vidéo, la photographie ou les installations. moi secondaire. Photo ci-dessus: Markus Bertschi Cette question me travaillait, d’autant plus que Si vous pouviez choisir une œuvre indépen- je n’ai pas grande affinité avec les autres mé- damment de son prix et de sa disponibilité, dias alors que la peinture me touche profondé- laquelle aimeriez-vous avoir ? ment. Je suis fasciné par les jeux de lumière, Sans penser à une œuvre précise, j’aurais aimé par les rapports de proportions et leurs effets. avoir la possibilité de m’intéresser plus en dé- Par ailleurs, je collectionne des dessins et tail aux peintres anciens, à William Turner, par aquarelles. Les œuvres sur papier les plus an- exemple. Cela m’aurait fasciné au plus haut ciennes que je possède remontent aux XVIe et point. Ou alors ce serait un croquis de Francis XVIIe siècles, et sont signées Annibal Carrache. Bacon qui me permettrait de comprendre ce Cette collection s’étend jusqu’à nos jours et qui le tourmentait – ce serait fantastique. Je comprend un vaste éventail de sujets. Au début, possède par ailleurs des œuvres mineures qui je m’intéressais particulièrement au corps hu- ne sont ni chères ni célèbres et qui me pro- main. Mais la figuration corporelle m’a très vite curent, elles aussi, énormément de plaisir. mené à la sculpture abstraite. Je me suis tout J’aime vivre avec mes œuvres et ne cesserai d’abord tourné vers la sculpture, puis j’ai dé- jamais de les apprécier. ■
18 Vontobel Portrait 2015 – Klaus Thamm, entrepreneur et collectionneur d’art «Collectionner des œuvres d’art marque le collectionneur» Monsieur Thamm, pourquoi de Picasso entre en scène et ouvre la danse Klaus Thamm (*1941) se collectionnez- vous des œuvres d’art ? des différents styles artistiques de Picasso. Un met à son compte à 23 ans, Ma mère était une collectionneuse passionnée personnage, qui rappelle la «Femme assise» pendant ses études de d’objets en porcelaine. Comme tout avait peinte en 1927, est assis à côté de l’arlequin. Une droit. Il est le fondateur été détruit pendant la guerre, elle a dû recons- dame d’honneur, qui évoque les œuvres de du groupe allemand Thamm qui est un acteur tituer sa collection. Enfant, j’ai été témoin de Picasso de la fin des années 30, se tient à sa de poids dans les secteurs cette passion. Je l’ai vue réussir à rassembler droite. Le personnage situé derrière la des placements immobi- une nouvelle collection avec des moyens res- femme assise, et qui la domine, est inspiré des liers, des prestations de treints grâce à une quête incessante d’informa- «Demoiselles d’Avignon». Un taureau sem- services immobilières et de la gestion de patrimoine. tions. Cet environnement m’a marqué et ins- blable à celui de «Guernica», l’œuvre historique Dans les années 1990, le piré. J’ai alors commencé à peindre. Découvrir de Picasso, est couché aux pieds du groupe. groupe a élargi son porte- qu’il est possible d’exprimer ses sentiments et Ici, ce n’est pas Velázquez qui se tient devant feuille aux maisons de ce que l’on vit à travers la peinture a été une la toile, mais Picasso. Le marteau et la faucille retraite. Klaus Thamm ha- bite depuis 1978 en expérience extraordinaire. Pourtant, malgré les apposés sur sa poitrine font allusion à l’orien- Suisse et depuis 1986 à éloges, j’ai compris que mes capacités étaient tation politique du peintre. La dimension Küsnacht où se trouve limitées. Mais mon intérêt pour la peinture narrative de cette œuvre est tout simplement également sa collection avait été attisé et je voulais désormais voir exceptionnelle ! d’œuvres d’art. © Damien Hirst and Science Ltd. comment faisaient ceux qui peignaient beau- Quel est le thème principal de All rights reserved/2015, coup mieux que moi. C’est ainsi qu’est née votre collection ? ProLitteris, Zurich (images à l’arrière-plan: cette envie d’avoir chez moi des tableaux qui Le thème principal de la collection est le Pop Damien Hirst, UNIQUE PRINT from SANCTUM, a unique me touchaient particulièrement et de vivre Art anglais et américain ainsi que le réalisme photogravure etching, pub. 2011, avec ces tableaux. capitaliste allemand, dont les artistes ont d’ail- et Psalm – Print – Verba mea auribus edition 19/25, pub. 2009) Par quoi et comment avez-vous commencé ? leurs été également influencés par le mouve- Picasso est l’artiste qui m’a le plus impressionné. ment Pop Art. Ma collection comprend des Lorsque j’ai découvert l’Hommage à Picasso œuvres de Richard Hamilton, David Hockney, publié à l’occasion de son 90 e anniversaire et Allan Jones, Sigmar Polke, Gerhard Richter, qui regroupe des œuvres de David Hockney, Andy Warhol, Robert Rauschenberg et de Roy Roy Lichtenstein, Richard Hamilton et d’autres Lichtenstein. artistes, j’ai été particulièrement impressionné Dans quelle mesure l’art est-il par le tableau d’Hamilton «Picasso’s Meninas». un placement pour vous ? J’ai été fasciné par le contenu narratif de ce Si vous avez un regard aiguisé et le courage tableau, passionnant au plus haut point, et par d’apprécier ce qui est vraiment inédit, si une l’histoire si originale de sa création. Lorsqu’en œuvre vous touche au plus profond de vous- 1972, la maison d’édition berlinoise Propyläen même et que vous discutez régulièrement a proposé à Hamilton de participer au projet avec des artistes, des conservateurs et des ga- en réalisant une gravure, celui-ci a accepté à la leristes, vous pourrez identifier très tôt les condition de pouvoir travailler dans le studio talents. La valeur des œuvres s’accroîtra alors Crommelynck où Picasso faisait régulièrement avec le temps, d’elle-même, mais cela ne doit imprimer ses œuvres – et un tableau impres- pas et ne peut pas être une fin en soi. En deve- sionnant a pu voir le jour. Picasso et Hamilton nant pur investissement, l’art perdrait son âme considéraient tous deux «Las Meninas» de et l’artiste serait alors tenté d’adapter son Velázquez comme l’une des œuvres majeures travail au marché – ce qui serait fatal. Collec- de l’art occidental. Hamilton restitue fidèle- tionner des œuvres d’art marque le collection- ment le caractère scénique de la pièce peinte neur au fil des ans, oui, peut-être que cette par Velázquez. Un arlequin de la période rose passion le transforme à la longue. Rencontrer
20 Vontobel Portrait 2015 – Klaus Thamm, entrepreneur et collectionneur d’art «Collectionner des œuvres d’art marque le collectionneur au fil des ans, oui, peut-être que cette passion le transforme à la longue.» l’artiste, découvrir sa vision des choses non seulement au travers de ses œuvres, mais aussi en discutant avec lui, comprendre son regard sur le monde, ses craintes et ses espoirs, sa façon de vivre – tout cela élargit l’horizon. Rester en contact avec d’autres personnes du monde de l’art est une démarche intéressante qui forme la personnalité. Si vous pouviez choisir une œuvre indépen- damment de son prix et de sa disponibilité, laquelle aimeriez-vous avoir ? Mon œuvre favorite est exposée au Musée Ludwig de Cologne. Il s’agit de la femme de Richter, Marianne Eufinger. Gerhard Richter a photographié sa femme nue qui descend un escalier en exhalant un érotisme latent, puis l’a «Mao et Marilyn», Andy Warhol (Sunday B. Morning) peinte d’après ce cliché. Ce tableau marque © The Andy Warhol Foundation for the Visual Arts, Inc./2015, ProLitteris, Zurich un tournant dans son œuvre. Cette toile aux couleurs douces et estompées, dans le plus pur style de Richter, touche si profondément qu’on ne se lasse pas de la regarder. Fascinante, elle a même inspiré l’auteur Bernhard Schlink qui l’a placée au centre de son roman «Die Frau auf der Treppe» («La femme sur l’escalier»). L’œuvre de Richter est intitulée «Ema (Nu sur un escalier)». Le titre se réfère au tableau inti- tulé «Nu descendant un escalier no 2» peint par Marcel Duchamp en 1912. On perçoit le caractère très personnel, la tendresse même, qui émane du tableau de Richter. Il reflète la réalité intime du peintre. Ce n’est pas un nu quelconque sur un escalier quelconque. Non, il s’agit de son Ema ! ■
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