Cahiers du CEVIPOL Brussels Working Papers - La-N-VA et les élections d'octobre 2018 : des aspirations contrariées Pascal Delwit - Ulb
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Cahiers du CEVIPOL La-N-VA et les élections d’octobre 2018 : des aspirations Brussels Working Papers contrariées 2/2019 Pascal Delwit
Centre d’étude de la vie politique (CEVIPOL) Université libre de Bruxelles Campus du Solbosch Avenue Jeanne 44 – CP 124 1050 Bruxelles T. +32(0)2 650 4039 Editrice/Editor: Amandine Crespy, acrespy@ulb.ac.be Archives et consignes pour soumission/Archives and instructions: http://cevipol.ulb.ac.be/fr/cahiers-et-notes/les-cahiers-du-cevipol-brussels- working-papers
Delwit Pascal is Professor of Political Science at the Université libre de Bruxelles (ULB) and researcher at Centre d’étude de la vie politique (Cevipol). His main research interests include political parties and electoral processes. In 2016, he published: Les gauches radicales en Europe. XIXe-XXIe siècles. (Editions de l’Université de Bruxelles). E-mail: pdelwit@ulb.ac.be
Abstract On October 14, 2018, the Nieuw-Vlaamse Alliantie (N-VA) aimed to become the new Flemish People's Party at Local elections and to assert its status of Dominant Party at the Provincial elections. Examining the electoral and political results of the two elections, it appears that the N-VA failed to achieve both goals. At the opposite, the party suffered an electoral defeat and witnessed a return to favor by Vlaams Belang, the far-right Flemish party. Its electoral decline is widespread but is more marked in its areas of average settlement. Therefore, the party presents itself – still – more connected to the province of Antwerp and appears as a minor or intermediate political actor in Western Flanders, in Limburg and, to a lesser extent, in Eastern Flanders. Résumé Le 14 octobre 2018, la Nieuw-Vlaamse Alliantie (N-VA) ambitionnait de s’affirmer comme le nouveau parti populaire de Flandre aux élections communales et d’affirmer son statut de parti dominant au scrutin provincial. A l’examen des résultats électoraux et politiques des deux élections, il apparaît que la N-VA a échoué à atteindre ses deux buts. Au contraire, elle a encouru une défaite électorale et a assisté à un certain retour en grâce du Vlaams Belang, le parti flamand d’extrême droite. Son recul électoral est généralisé mais est plus marqué dans ses zones d’implantation moyenne. Ce faisant, le parti affiche un caractère – encore – plus anversois et se donne à voir comme un parti mineur ou de format intermédiaire en Flandre occidentale, dans le Limbourg et, dans une moindre mesure, en Flandre orientale.
1. INTRODUCTION Le 14 octobre 2018, la Nieuw-Vlaamse Alliantie (N-VA), le parti indépendantiste flamand, ambitionnait d’atteindre deux objectifs majeurs. Le premier était de s’affirmer comme le nouveau parti populaire – Volkspartij 1 – de Flandre. La notion de Volkspartij renvoie à deux idées pour partie liées, pour partie indépendantes : d’abord le caractère transversal de l’électorat sur le clivage socio-économique ; en d’autres termes, la capacité d’attirer des segments d’électeurs tout aussi bien à gauche et à droite sur ce clivage. Ensuite, une référence plus spécifique à l’implantation locale – une dimension fondamentale historique de la vie politique en Belgique – assurant une facette importante du maillage politique et social des partis et de la pilarisation telle qu’elle s’est édifiée en Belgique 2. En Flandre, ce statut de Volkspartij est détenu par les chrétiens-démocrates, qui répondent aux deux critères. L’Union catholique, le Bloc catholique, puis le parti social chrétien-Christelijke Volkspartij (PSC-CVP), le CVP et le CD&V (Christen-Democratisch en Vlaams) sont des partis qui ont attiré et captent encore un vote transversal sur le clivage socio-économique. Cette capacité n’a pas nécessairement été exclusive mais elle était la plus dominante 3. Le caractère transversal du parti n’est d’ailleurs pas assuré que par le corps électoral. Jusqu’en 1945, l’Union et le Bloc catholiques étaient organisés sur la base de standen 4, dont l’Algemeen Christelijk Werkersverbond (ACW) à gauche et le Christelijke Landsbond van de Belgische Middenstand (CLBM) pour le versant patronal. La dimension indirecte 5 du parti a été défaite en 1945 mais, dans le temps, l’équilibre a toujours été recherché entre ces deux standen et il en reste partiellement de même actuellement entre l’UNIZO (De Unie van Zelfstandige Ondernemers) et l’ACW. Quant à l’implantation au plan local, c’est l’une des caractéristiques les plus fortes des sociaux chrétiens flamands. Pour la N-VA, il s’agissait d’approfondir la mise en œuvre de cette stratégie déjà échafaudée pour les élections communales de 2012 6, de ravir ce statut au CD&V, d’amplifier la percée électorale aux élections communales d’octobre 2012 et de conquérir un maximum de mayorats. 1 « Wie wordt de Vlaamse volkspartij? », De Tijd, 13 octobre 2018 ; « N-VA wil ‘de grote volkspartij’ worden », Knack, 13 octobre 2018 ; « Zijn lokale verkiezingen een referendum over N-VA? », Doorbrak, 24 septembre 2018. 2 Delwit Pascal, Magnette Paul, De Waele Jean-Michel (Eds) (1999) Gouverner la Belgique. Clivages et compromis dans une société complexe. Paris. Presses universitaires de France. 3 Voir à ce sujet Adam Jeroen (2004) « Een electorale en socio-professionele analyse van het Vlaams-nationalisme in West-Vlaanderen, 1938-1976-2000 ». Revue belge d’histoire contemporaine. 34 (11): 79-131. 4 Dejaeghere Yves, Vansintjan Peter (2007) « Les composantes du pilier catholique au bureau du CVP », in Dewachter Wilfried, Depauw Sam (Eds) Bureaux de partis, bureaux du pouvoir. Cinquante ans d'histoire. Bruxelles, Editions de l’Université de Bruxelles : 81-96. 5 Un parti indirect est un parti à travers lequel on adhère via une organisation contrairement à un parti direct où l’adhésion est individuelle. van Haute Emilie (2009) Adhérer à un parti. Aux sources de la participation politique. Bruxelles. Editions de l’Université de Bruxelles. 6 Rochtus Dirk (2012) « The rebirth of Flemish nationalism : assessing the impact of N-VA Chairman Bart De Wever ‘s Charisma ». Studies in ethnicity and Nationalism. 12 (2): 281.
Le deuxième but était de confirmer le nouveau statut du parti, atteint aux élections fédérales et régionales de mai 2014 : être la première formation de Flandre et le nouveau parti dominant dans le sous-système politique flamand ; en d’autre termes, selon les critères de Jean Charlot, atteindre un certain seuil qu’il évalue à 30-35% des suffrages dans un (sous)système partisan marqué par la multiplicité et « l’émiettement de ses adversaires » 7. Rétrospectivement, ces deux objectifs fondamentaux apparaissent comme extrêmement ambitieux à la lumière de plusieurs dimensions. La première réfère à la relative jeunesse de la N-VA. Officiellement, le parti a vu le jour en 2002 sous la forme d’une des deux formations issues de l’implosion de la Volksunie, l’autre étant incarnée par le courant progressiste : SPIRIT (Sociaal, Progressief, Internationaal, Regionalistisch, Integraal-democratisch en Toekomstgericht) 8. La N-VA avait pris part seule au scrutin fédéral de 2003 et n’avait décroché qu’une performance électorale très modeste (4,9%) et un seul député (Geert Bourgeois, en Flandre occidentale). A la lumière de ce résultat plutôt décevant, le parti avait noué un partenariat avec le CD&V 9. Celui-ci fut éprouvé pour la première fois aux élections régionales de 2004. L’expérience fut rééditée aux élections communales et provinciales de 2006, et au scrutin fédéral de 2007. Elle a permis à la N-VA d’élargir son nombre de parlementaires fédéraux et régionaux, d’obtenir un nombre appréciable de conseillers communaux et de goûter aux délices du pouvoir. En effet, à partir de 2004, la N-VA est partie prenante au gouvernement flamand et, en 2006, entre dans nombre de Collèges des bourgmestre et échevins. Mais, au niveau régional, l’expérience tourna court en septembre 2008. N’avalisant pas le manque de résultats en matière de réforme de l’Etat et sur le très sensible dossier de la circonscription électorale de Bruxelles-Hal-Vilvorde, les indépendantistes flamands mettent fin au cartel et reprennent une pleine indépendance, avec les risques et les coûts afférents. Ainsi, la N-VA quitte, dans la foulée, le gouvernement régional et communautaire flamand. Ce choix périlleux fut pourtant gagnant. Aux élections régionales de 2009, le parti nationaliste flamand surprend en engrangeant 13,2% et seize députés régionaux. Mieux, au scrutin fédéral anticipé du printemps 2010, avec 28,0% des suffrages, la N-VA s’impose comme la première formation de Flandre. C’est dans cette nouvelle posture qu’elle se présenta aux élections communales et provinciale d’octobre 2012. Pour le parti, il s’agissait d’une nouvelle épreuve du feu à cette échelle. L’essentiel de sa participation en 2006 s’était opérée sous l’autel du cartel avec le CD&V. Or, la dernière expérience de la Volksunie aux élections communales d’octobre 2000 s’était révélée complexe 10. A l’échelle de l’ensemble des communes flamandes, la Volksunie 7 Charlot Jean (1970) « Du parti dominant ». Projet, p. 942. 8 Delwit Pascal, van Haute Emilie (2002) « L’implosion et la fin d’un parti : la Volksunie ». L’année sociale : 13-24. 9 van Haute Emilie (2011) « Volksunie, Nieuw-Vlaams Alliantie, Spirit, Vlaams-Progressief ». In Delwit Pascal, Pilet Jean-Benoit, van Haute Emilie (Eds) Les partis politiques en Belgique. Bruxelles. Editions de l’Université de Bruxelles : 201-218. 10 Delwit Pascal (2001) « Les élections communales et provinciales du 8 octobre 2000 ». L’année sociale : 13-40.
n’avait décroché que 4,9% des voix et 336 des 7.929 sièges communaux. Ramenés aux seules communes où la Volksunie était en compétition, les chiffres étaient de 6,8% des voix et 336 sièges des 4.963 en compétition. Certes, l’état et la dynamique de la N-VA étaient foncièrement différents de ceux de la Volksunie en 2000. En 2000, la Volksunie ne pouvait plus se prévaloir que de 15.624 membres pour 36.439 à la N-VA douze ans plus tard. Et, alors que la Volksunie était en plein débat existentiel, la N-VA était en phase ascendante spectaculaire. Pour autant, ce scrutin était une inconnue pour les nationalistes flamands, notamment confrontés à l’implantation historique extrêmement forte des sociaux chrétiens, nous l’avons dit. La N-VA réussit largement son pari de traduire ses importantes progressions électorales de 2009 et 2010 au plan local. Politiquement, elle remportait par ailleurs un succès spectaculaire en décrochant l’hôtel de ville de la plus grande commune flamande et belge : Anvers (Antwerpen). Certes, le CD&V restait toujours le premier parti local mais cette première frappait néanmoins les imaginations. De même, les nationalistes flamands enlevaient-ils un résultat prometteur au scrutin provincial, moins marqué par les effets de notabilité (Tableau 6). Ce scrutin tremplin pour les élections fédérales, régionales et européennes de mai 2014 donnait en parallèle à voir une dynamique cruciale : un transfert de voix très significatif du Vlaams Belang vers la N-VA. Le Vlaams Belang est issu du Vlaams Blok. Originellement, le Vlaams Blok est un cartel électoral formé du Vlaams Nationale Partij (VNP) et du Vlaams Volkspartij (VVP) qui se présente pour la première fois aux élections législatives de 1978. L’échec relatif de la liste amène au retrait puis à la fin du VVP, dont plusieurs membres rejoignent le VNP dans l’édification d’un parti à part entière : le Vlaams Blok. Flamingant et à droite, le Vlaams Blok endosse les habits d’une formation d’extrême droite au milieu des années quatre-vingt. Il connut son apogée aux élections régionales flamandes de 2004, en captant 24% des suffrages. Dès 2010, la dynamique de transfert massif de voix entre les deux partis fut une des clés du bond spectaculaire au profit de la N-VA, tout comme elle sera une composante cruciale de la victoire électorale de mai 2014. Avec 32,4% des voix à l’échelle fédérale, la N-VA y enlève son meilleur score, la performance la plus probante de l’histoire électorale des organisations nationalistes flamandes. Ce résultat permit à la N-VA de s’ouvrir les portes du gouvernement fédéral et de la Ministre-Présidence du gouvernement régional et communautaire flamand. Pour autant, ce succès était loin d’être total. La direction de la N-VA devait aussi prendre acte que le total des voix et des sièges des trois partis (quasi) indépendantistes flamands – la N-VA, le Vlaams Belang et la Lijst De Decker – était inférieur au résultat de 2010. C’est fort de ces constats que se sont nouées les majorités aux plans régional, communautaire et fédéral. Premier parti du gouvernement fédéral et régional- communautaire flamand, la N-VA se présentait donc au scrutin d’octobre 2018 dans un statut doublement modifié. - D’abord, nous l’avons épinglé, en raison de sa nouvelle stature électorale et politique. La N-VA est devenue le grand parti de deux exécutifs, détient la Ministre-présidence en Flandre et des postes régaliens clés au fédéral. Son
président dirige la principale ville de Flandre et son Secrétaire d’Etat à l’Asile et aux migrations est devenu l’homme le plus populaire de Flandre selon plusieurs enquêtes d’opinion. - Ensuite, relativement à son ou ses identité(s). Initialement, il ne fait pas beaucoup de doute que la N-VA réfère au premier chef au clivage centre- périphérie 11, souvent qualifié de clivage linguistique en Belgique 12. Elle est issue de la Volksunie, en est l’organisation la plus fidèle aux thématiques originelles et a fait de l’avènement de l’indépendance d’une République flamande son objectif premier : “In haar streven naar een beter bestuur en meer democratie kiest de Nieuw-Vlaamse Alliantie logischerwijs voor de onafhankelijke republiek Vlaanderen, lidstaat van een democratische Europese Unie” 13. Cette référence au versant périphérie s’exprime non seulement dans le cadre belge mais aussi à l’international. La N-VA est membre de l’Alliance libre européenne, une fédération européenne de partis 14 dont les objectifs primaires sont la promotion de la décentralisation, allant de l’autonomie à l’indépendance des « peuples européens », la pierre angulaire étant le droit à « l’autodétermination » : « The EFA (….) focuses its activity on the promotion of the right of self- determination of peoples, human, civil and political rights, democracy, internal enlargement, multi-level governance, devolution of powers, cultural and linguistic diversity; as well as on nationalism, regionalism, autonomy and independence. The right to self-determination is a cornerstone of the EFA’s program and ideology » 15. Cette inscription dans le combat pour l’autodétermination des peuples et des nations européens s’est matérialisée dans la période contemporaine par un soutien appuyé au parti national écossais (SNP) lors du référendum pour l’indépendance de l’Ecosse et, de manière plus saisissante encore, aux acteurs promoteurs de l’indépendance de la Catalogne lors du référendum organisé en septembre 2017. Dans son exil belge, Carles Puigdemont a trouvé réconfort et soutien politique et matériel de la N-VA, et d’organisations et personnalités flamingantes. 11 Lipset Seymour-Martin, Rokkan Stein (2008) Structures de clivages, systèmes de partis et alignement des électeurs : une introduction. Bruxelles. Editions de l’Université de Bruxelles (Réédition). 12 Delwit Pascal (2012), La vie politique en Belgique de 1830 à nos jours. Bruxelles. Editions de l’Université de Bruxelles (troisième édition). 13 Nieuw-Vlaamse Alliantie, Statuten Gecoördineerde versie, 25/06/2018, p. 2. 14 Seiler Daniel-Louis (2001) « Le parti démocratique des peuples PDPE-ALE ». In Delwit Pascal, Kulahci Erol, van de Walle Cédric (Eds) Les fédérations européennes de partis. Organisation et influence. Bruxelles. Editions de l’Université de Bruxelles: 155-170 ; Cetrà Daniel, Liñeira Robert (2018) « Breaking up within Europe: Sub-state Nationalist Strategies in Multilevel Polities ». Journal of Common Market Studies. 56 (3): 717-729. 15 http://www.e-f-a.org/about-us/
Mais, dès le scrutin fédéral de 2010, un deuxième trait identitaire se dévoile : la position extrêmement néo-libérale du parti sur les thématiques socio- économiques. Cette dimension qui avait alors échappé à nombre d’observateurs et d’acteurs s’affirme dans l’opposition au gouvernement dirigé par Elio Di Rupo. Et avant même sa mise en place, le président des nationalistes flamands avait frappé les imaginations par cette sentence : « Voka 16 is mijn echte baas als Voka niet tevreden is, ben ik niet tevreden » 17. En 2014, la campagne de la N-VA sera d’abord et avant tout anti-socialiste, marquée d’une hostilité forte à la régulation publique dans les affaires économiques et sociale, et au rôle des acteurs intermédiaires comme les organisations syndicales. Ce positionnement sur le versant possédants du clivage possédants-travailleurs est devenu identifiant et s’est affirmé dans l’exercice des politiques publiques. Enfin, la N-VA a révélé, dans la période récente, une troisième référence identitaire, celle d’un parti ethnocentrique et fixé sur les thématiques Law and order 18. Adam et Deschouwer ont montré l’évolution de la N-VA dans son approche restrictive envers l’immigration ou les demandeurs d’asile 19. Et à compter des années 2009 et 2010, le propos de certains cadres de la N-VA confine à la xénophobie. Cette rhétorique est alors interprétée comme la volonté du parti d’attirer à lui un électorat qui optait pour le Vlaams Blok puis le Vlaams Belang. Cette opération apparaissait nécessaire pour atteindre des objectifs centraux : décrocher le mayorat d’Anvers ou rendre la N-VA incontournable après les élections fédérales et régionales du printemps 2014. En 2014, c’est d’ailleurs à la N-VA qu’échoient deux postes stratégiques relativement à ces thématiques : le ministère de l’Intérieur et le secrétariat d’Etat à l’Asile et aux migrations. Dans le temps, ce qui n’apparaissait que comme des éléments de langage des personnalités les plus à droite du parti est devenu central. La N-VA s’est progressivement affichée comme une formation politique promotrice d’un nationalisme organiciste 20 ou identitaire 21 et pour laquelle le rejet de la figure de l’autre est devenu crucial. En la matière, l’apport et la démarche de Theo Francken ont été révélateurs d’une vision néo-conservatrice voire réactionnaire et ethnocentrique 22. De manière emblématique, le parti a 16 VOKA : Vlaams netwerk van ondernemingen (Réseau flamand des entrepreneur). 17 « Le VOKA est mon vrai patron. Si le VOKA n’est pas content, je ne le suis pas non plus ». « Voka is mijn echte baas », De Standaard, 14 août 2010. 18 Bennett Stephen E., Tuchfarber Alfred J. (1975) «The Social-Structural Sources of Cleavage on Law and Order Policies ». American Journal of Political Science, 19 (3): 419-438. 19 Adam Ilke, Deschouwer Kris (2016) « Nationalist parties and immigration in Flanders: from Volksunie to Spirit and N-VA ». Journal of Ethnic and Migration Studies. 42 (8): 1290-1303. 20 Sternhell Zeev, Sznajder Mario, Ashéri Maia (1989) Naissance de l’idéologie fasciste. Paris. Folio : 23. 21 Müller Jan-Werner (2018) Qu’est-ce que le populisme ? Définir enfin la menace. Paris. Folio : 154. 22 Le néo-conservatisme réfère à une démarche initiée dans les années soixante-dix visant tout à la fois à un retour à un credo libéral sinon libertarien dans les questions socio-économiques et à un combat culturel contre les principales idées des lumières et les principaux acquis du libéralisme culturel du mouvement de mai 1968. Elliott Brian, McCrone David (1987) « Class,
accepté de siéger au Parlement européen dans le groupe eurosceptique des conservateurs et réformistes européens (ECR) 23 aux côtés du parti conservateur britannique mais, surtout, de partis réactionnaires ou nationalistes, comme Droit et Justice (PiS) en Pologne et le parti démocratique civique (ODS) de République tchèque, et même d’extrême droite, à l’instar du parti populaire danois (DF) et du parti des vrais Finlandais (PerusS). A cet égard, il est intéressant de relever la tolérance nouvelle de l’Alliance libre européenne. En 1994, l’ALE n’avait pas hésité à suspendre la Lega Nord, pour son participation à la coalition gouvernementale avec le parti post-fasciste Alliance nationale (AN). La Ligue du nord avait d’ailleurs choisi de quitter l’ALE peu après 24. Cet ensemble a conduit certains scientifiques, à l’image du sociologue Dirk Jacobs 25, à désormais qualifier la N-VA de parti d’extrême droite. Et dans la période récente, le président Bart De Wever a emprunté sémantiquement à deux schémas et chemins empruntés par plusieurs partis d’extrême droite, celui du Welfare Chauvinism 26 et du danger d’une supposée promotion des frontières ouvertes par les formations de gauche. La sécurité sociale doit être réservée aux « vrais » nationaux et peut se perpétuer dans cette configuration uniquement, ou elle disparaîtra : « Devons-nous accueillir tout le monde et cet accueil doit-il se faire par l’immigration ? Il faut alors savoir que nous ne pourrons plus maintenir notre système social à son niveau actuel. Si nous choisissons cette voie, il nous reste deux options : un système fermé de sécurité sociale accessible uniquement aux personnes qui y contribuent ou qui s'effondrent » 27. culture and morality: a sociological analysis of neo-conservatism ». The Sociological Review. 35 (3): 485-515 ; Green Philip (2004) « Le néo-conservatisme et les « contre-Lumières » ». Raisons politiques, 16 (4) : 83-90. 23 Brack Nathalie (2018) Opposing Europe in the European Parliament: Rebels and Radicals in the Chamber. Londres. Palgrave : 135 et ss. 24 Delwit Pascal (2005) « Petites patries, petits partis ? Les partis régionalistes en Europe », In Delwit Pascal (Ed.) Les partis régionalistes en Europe. Des acteurs en développement ? Bruxelles. Editions de l’Université de Bruxelles : 11. 25 Dirk Jacobs (ULB): « La N-VA est aujourd'hui un parti d'extrême droite » », RTBF, 24 septembre 2015 (https://www.rtbf.be/info/belgique/dossier/gouvernement-michel/detail_il-est-temps- que-le-federal-se-demande-jusqu-ou-il-peut-aller-avec-la-n-va?id=9089358). 26 Ketola Markus, Nordensvard Johan (2018) « Reviewing the relationship between social policy and the contemporary populist radical right: welfare chauvinism, welfare nation state and social citizenship ». Journal of International and Comparative Social Policy. 34 (3): 172-187 ; de Koster Willem, Achterberg Peter, van der Waal Jeroen (2013) « The new right and the welfare state: The electoral relevance of welfare chauvinism and welfare populism in the Netherlands ». International Political Science Review. 34 (1): 3–20. 27 Bart De Wever, «La gauche doit choisir entre des frontières ouvertes et l’Etat providence», Le Soir, 25 janvier 2018.
2. LE SCRUTIN COMMUNAL : UN BUT POLITIQUE MANQUE Il est rarement aisé de tirer des conclusions électorales et politiques globales d’une élection communale. En raison des effets de notabilité, elle donne le plus souvent à voir des dimensions contrastées. Il n’empêche, il est possible de faire la part des choses en termes de satisfactions et de désillusions. La Nieuw-Vlaamse Alliantie s’est présentée seule ou dans le cadre d’un cartel ou d’une liste d’union dans l’écrasante majorité des communes flamandes 28. Ce nombre est désormais de trois cents. En effet, par rapport à l’élection de 2012, quinze communes ont opéré un processus de fusion donnant naissance à huit nouvelles communes : Oudsbergen (résultat de la fusion de Meeuwen- Gruitrode et Opglabbeek), Kruisem (résultat de la fusion de Kruishoutem et Zingem), Aalter (résultat de la fusion de Aalter et Knesselare), Pelt (résultat de la fusion d’Overpelt et Neerpelt), Deinze (résultat de la fusion de Deinze et Nevele), Puurs-Sint-Amands (résultat de la fusion de Puurs et Sint-Amands) et Lievegem (résultat de la fusion de Lovendegem, Waarschoot et Zomergem). Dans les trois cents communes flamandes, la N-VA n’est absente du scrutin que dans neuf communes, soit un taux de couverture de 97% 29. Encore convient-il de mentionner que trois d’entre elles sont des communes à régime linguistique spécial à forte proportion d’habitants francophones – Drogenbos, Crainhem (Kraainem) et Linkebeek – et que les six autres sont très ténues d’un point de vue démographique : Herstappe (83 habitants), Messines (Mesen, 1.050 habitants), Ruiselede (5.363 habitants), Espierres-Helchin (Spiere-Helkijn, 2.069 habitants), Vorselaar (7.861 habitants), Zuienkerke (2.722 habitants). Cette large couverture est très légèrement meilleure que celle de 2012, qui est était déjà très ample. A cette occasion, la N-VA avait été présente dans 297 des 308 communes flamandes, soit un taux de couverture de 96,4%. 2.1. Les satisfactions de l’élection locale Au premier rang des satisfactions, épinglons, au premier chef la situation à Anvers (Antwerpen). La principale commune flamande a focalisé une bonne part de l’attention politique et médiatique pendant la campagne. Malgré un tassement électoral (- 2,4 points de pourcent), Bart De Wever a su garder la main et conserver l’hôtel de ville. L’élaboration d’une majorité fut assez laborieuse mais aboutit finalement à un accord inattendu entre les nationalistes flamands, l’Open Vld et le sp.a, renvoyant de la sorte le CD&V et le Vice-Premier ministre Kris Peeters dans l’opposition. Ce-dernier a d’ailleurs décidé de ne pas siéger au conseil communal. Plus largement, électoralement, la N-VA demeure à un niveau élevé tant au plan de la ville que dans les districts. On y observe néanmoins des évolutions non homogènes. La N-VA progresse dans certains d’entre eux, notamment les 28 Dans le cas d’un cartel, une évaluation a été faite de l’apport des voix N-VA à partir du nombre de candidats du parti élus. 29 Nos remerciements à Piet De Zaeger pour les informations fournies.
districts cossus de Merksem et Wilrijk, et s’affaisse dans d’autres, singulièrement les districts plus populaires d’Hoboken et Borgerhout (Tableau 1). Tableau 1. Résultats comparés de la N-VA dans les districts anversois aux élections de 2018 et 2012 2018 2012 Différentiel Anvers 28,5 26,0 2,5 Berchem 32,6 32,9 -0,3 Berendrecht-Zandvliet-Lillo 35,9 38,6 -2,7 Borgerhout 21,4 25,5 -4,1 Deurne 35,7 40,7 -5,0 Ekeren 40,5 42,0 -1,5 Hoboken 32,5 35,6 -3,1 Merksem 37,8 35,6 2,2 Wilrijk 38,3 36,2 2,1 sources : https://www.vlaanderenkiest.be/verkiezingen2012/; https://www.vlaanderenkiest.be/verkiezingen2018/ Hors Anvers, la N-VA a su conserver la direction des importantes communes d’Alost (Aalst) et de Saint-Nicolas (Sint-Niklaas) en Flandre orientale, et a pu conquérir le mayorat d’Hasselt dans le Limbourg. En Brabant flamand, dans sa commune de Lubbeek, Theo Francken a fait progresser le parti de 8,9 points de pourcent, et à Brasschaat, où Jan Jambon tirait la liste, la N-VA grimpe de 4,9 points de pourcent. Par ailleurs, quelques résultats ont marqué. Par exemple celui de la commune d’Edegem où le jeune Koen Metsu a permis à la N-VA de décrocher une majorité absolue en voix (+ 15,1 points de pourcent). 2.2. Les désillusions du scrutin communal Toutefois, examiné dans une perspective globale, le scrutin communal est une désillusion importante pour la N-VA. Les nationalistes flamands escomptaient s’imposer comme le nouveau Volkspartij. Il n’en est rien. Au contraire, le résultat d’ensemble de la N-VA est plus mauvais que celui glané lors des élections communales d’octobre 2012. Cette observation est vérifiée à l’échelle provinciale partout (Tableau 2). En Brabant flamand, la N-VA se tasse de 0,3 points de pourcent (- 1,4% de ses voix). Dans la province d’Anvers, le tassement se fixe à 0,9 points de pourcent (- 2,8% de ses suffrages). Mais c’est surtout en Flandre orientale et occidentale, et dans le Limbourg que le recul est le plus net. En Flandre orientale, la N-VA passe de 21% à 18,3%, soit une perte de 2,7 points de pourcent (- 12,9% de ses voix). Dans le Limbourg, elle passe de 20,8% à 18,4%, soit un reflux de 2,4 points de pourcent (- 11,5% des voix de 2012). Enfin, en Flandre occidentale, le repli est le plus sévère. La N-VA passe de 19,5% à 15,8%. La perte est de 3,7 points de pourcent (- 19% de ses voix).
Tableau 2. Résultats de la N-VA aux élections communales de 2018 et 2012 agrégés à l’échelle provinciale 2018 2012 Nombre de Nombre Nombre Nombre 2018 par % en sièges total de % en % en de sièges total de % en rapport à voix enlevés sièges sièges voix enlevés sièges sièges 2012 Brabant flamand 20,6 321 1545 20,8 20,9 322 1529 21,1 -0,3 uniquement dans l'espace où la N-VA est présente 20,9 321 1490 21,5 21,3 322 1463 22,0 -0,4 Anvers 29,7 564 1755 32,1 30,6 561 1756 31,9 -0,9 uniquement dans l'espace où la N-VA est présente 29,8 564 1736 32,5 31,1 561 1735 32,3 -1,3 Flandre occidentale 15,8 225 1496 15,0 19,5 275 1494 18,4 -3,7 uniquement dans l'espace où la N-VA est présente 15,9 225 1448 15,5 20,2 275 1400 19,6 -4,3 Flandre orientale 18,3 280 1542 18,3 21,0 339 1603 21,1 -2,8 uniquement dans l'espace où la N-VA est présente 18,3 280 1542 18,3 21,2 339 1584 21,4 -2,9 Limbourg 18,4 177 1054 16,8 21,1 224 1078 20,8 -2,7 uniquement dans l'espace où la N-VA est présente 18,4 177 1047 16,9 21,1 224 1071 20,9 -2,7 Nos calculs ; sources : https://www.vlaanderenkiest.be/verkiezingen2012/; https://www.vlaanderenkiest.be/verkiezingen2018/
Ce recul d’ensemble s’observe aussi à l’aune de la comparaison du nombre de tassements et de progressions entre 2012 et 2018. Sur les 285 communes où la comparaison peut être effectuée, la N-VA progresse dans 98 communes (34,4%) et recule dans 187 (65,6%). Dans deux tiers de communes, le résultat de la N-VA est ainsi inférieur à ce qu’elle avait décroché au scrutin local de 2012 (Tableau 3). Tableau 3. Nombre de communes où la N-VA progresse et régresse aux élections communales de 2018 par rapport aux élections communales de 2012 Nombre de Reculs Progressions communes Brabant flamand 34 28 62 Anvers 37 30 67 Flandre occidentale 42 19 61 Flandre orientale 41 15 56 Limbourg 33 6 39 Flandre 187 98 285 Nos calculs ; sources : https://www.vlaanderenkiest.be/verkiezingen2012/; https://www.vlaanderenkiest.be/verkiezingen2018/ Alors même que les nationalistes flamands escomptaient y progresser et y investir l’hôtel de ville dans plusieurs d’entre elles – Gand (Gent) et Louvain (Leuven) par exemple –, cette mauvaise performance d’ensemble est, au contraire, exacerbée dans les plus grandes localités flamandes. Dans les 23 communes de plus de 40.000 habitants, la N-VA recule dans dix-sept d’entre elles (Tableau 4), parfois de manière spectaculaire comme à Gand (Gent, - 5 points de pourcent, soit une perte de 27,9% de ses voix), Bruges (Brugge, - 8,1 points de pourcent, soit une perte de 40,0% de ses voix), Malines (Mechelen, - 6,7 points de pourcent, soit une perte de 28,9% de ses voix), Courtrai (Kortrijk, - 5,2 points de pourcent, soit une perte de 31,8% de ses voix), Ostende (Oosente, - 6,3 points de pourcent, soit une perte 27,7% de ses voix), Roulers (Roeselare, - 10,6 points de pourcent, soit une perte de 36,3% de ses voix), Beveren (- 10,5 points de pourcent, soit une perte de 29,8% de ses voix), Beringen (- 9,2 points de pourcent, soit une perte de 35% de ses voix), Turnhout (- 7,4 points de pourcent, soit une perte de 22.6% de ses voix), Lokeren (- 6,0 points de pourcent, soit une perte de 32,8% de ses voix) et Geel (- 9,7 points de pourcent, soit une perte de 26,5% de ses voix). Dans ce tableau, la ville de Genk où la secrétaire d’Etat Zuhal Demir tirait la liste fait office d’exception ; les nationalistes flamands y progressent de 9,3 points de pourcent. Par ailleurs, nous l’avons pointé, en progressant de 3,1 points de pourcent à Hasselt, la N- VA sous le leadership du ministre de la Défense Steven Vandeput, a pu accéder au mayorat de la ville. 14
Tableau 4. Evolution de la N-VA entre les élections communales de 2012 et 2018 dans les communes de plus de 40.000 habitants30 Nombre Evolution entre d'habitants 2012 et 2018 Anvers (Antwerpen) 525.851 -2,4 Gand (Gent) 261.118 -5,0 Bruges (Brugge) 118.585 -8,1 Louvain (Leuven) 100.531 +3,1 Malines (Mechelen) 86.424 -6,7 Alost (Aalst) 85.964 +2,0 Hasselt 77.941 +3,1 Saint-Nicolas (Sint-Niklaas) 77.829 +0,5 Courtrai (Kortrijk) 76.483 -5,2 Lommel 72.021 -0,7 Ostende (Oostende) 71.525 -6,3 Genk 66.124 +9,3 Roulers (Roeselare) 62.724 -10,6 Beveren 48.437 -10,5 Beringen 46.169 -9,2 Termonde (Dendermonde) 45.719 -0,7 Turnhout 44.474 -7,4 Vilvorde (Vilvoorde) 44.295 -3,6 Heist-op-den-Berg 42.633 -3,2 Dilbeek 42.597 +1,1 Lokeren 41.564 -6,0 Saint-Trond (Sint-Truiden) 40.976 -1,4 Geel 40.011 -9,7 Nos calculs ; sources : https://www.vlaanderenkiest.be/verkiezingen2012/; https://www.vlaanderenkiest.be/verkiezingen2018/ A la lumière de ces données et malgré une appréciation d’ensemble plus difficile pour un scrutin local que pour des élections législatives et régionales, il apparaît bien que l’élection communale d’octobre 2018 se décline comme une défaite électorale marquante pour la N-VA. Politiquement, la N-VA se donne bien sûr à voir comme un parti important après les communales. Selon nos calculs, elle enlève 1.567 conseillers communaux sur les 7.263 en jeu dans les communes où elle était en compétition (21,6% ; 21,2% si l’on compte tous les sièges en jeux – 7.392). 30Source : Chiffre global de la population par commune, au 1er janvier 2018, Service public fédéral Intérieur. 15
Politiquement, à l’entame de la législature 31, elle décroche cinquante-quatre mayorats (Tableau 5). Assez logiquement, plus de moitié d’entre eux se situent dans la province d’Anvers. En revanche, l’investissement d’un hôtel de ville est minimal en Flandre occidentale – 3 – et dans le Limbourg – 3. Tableau 5. Communes où la N-VA occupe l’Hôtel de ville Province d’Anvers Brabant flamand Aartselaar Dilbeek Anvers (Antwerpen) Herent Arendonk Kapelle-Op-Den-Bos Boom Lubbeek Bornem Meise Brasschaat Leeuw-Saint-Pierre (Sint-Pieters-Leeuw) Brecht Steenokkerzeel Dessel Tervuren Duffel Zemst Edegem Flandre occidentale Geel Le Coq (De Haan) Herselt Dentergem Hove Izegem Kontich Flandre orientale Lier Alost (Aalst) Lille Diepenbeek Lint Evergem Mortsel Haaltert Oud-Turnhout Kruibeke Ranst Lebbeke Rijkevorsel Maarkedal Rumst Saint-Nicolas (Sint-Niklaas) Schilde Limbourg Schoten Alken Sint-Katelijne-Waver Fourons (Voeren) Stabroek Hasselt Turnhout Wijnegem Willebroek Wommelgem Zoersel 31 Dans plusieurs communes, un accord sur le partage du mayorat dans la législature est intervenu. En principe, à la fin de la législature, les données seront – un peu – ajustées. 16
Outre les 54 participations à un Collège dans lequel la N-VA détient le poste de bourgmestre, les nationalistes flamands sont partie prenante dans 71 majorités. In fine, la N-VA est ainsi présente dans 125 des 300 collèges en Flandre. Ce résultat n’est pas négligeable. Le nombre de bourgmestres est même légèrement supérieur à celui de 2012 (48). Toutefois, la N-VA enregistre trois défaites significatives dans ce scrutin. La première renvoie à l’échec de son objectif nodal : devenir le Volkpartij. Le CD&V conserve aisément ce statut à l’échelle locale. Les chrétiens- démocrates ont résisté à l’assaut nationaliste flamand sur les communes de format intermédiaire, de zone péri-urbaine et d’aires rurales, et ressortent du scrutin avec 124 bourgmestres, soit 70 de plus que la N-VA. La deuxième est l’échec à investir de nouvelles places fortes alors que la N-VA y aspirait, singulièrement à Louvain (Leuven) et Gand (Gent). Hasselt est la seule exception. La troisième est la très bonne tenue du Vlaams Belang dans cette élection locale. En 2012, l’extrême droite flamande avait subi un échec cuisant. Et deux ans plus tard, elle avait été renvoyée à ses études. Avec à peine un peu plus de 5% des suffrages, le Vlaams Belang se situait à des scores et à un statut antérieurs à sa première grande percée aux élections de novembre 1991 32. Le résultat de 2018 témoigne d’un renversement de tendance par rapport à ce déclin. Alors que le Vlaams Belang n’avait obtenu que 240 mandats de conseillers communaux en 2012, il en décroche 340 en 2018. 2.3. Un échec bruxellois Dans la perspective des élections fédérales, mais sans doute plus encore, du scrutin régional bruxellois, la N-VA avait soigneusement préparé les élections communales à Bruxelles 33. Il s’agissait de faire du scrutin local un tremplin vers 2019 dans l’espoir de pouvoir s’y imposer dans le rôle linguistique néerlandophone de la majorité et, possiblement, de « bloquer » la Région de Bruxelles-capitale. Pour ce faire, la N-VA n’a guère fait dans l’originalité. Le parti avait tout simplement imité l’approche du Vlaams Blok aux élections régionales de 1999 et de 2004 : une diffusion massive d’un toutes-boîtes axé sur le supposé « laxisme » dans la région et un message complètement centré sur les thématiques ethnocentriques et Law and order, le tout en français et en néerlandais. Pendant la campagne, il en est allé largement de même avec une campagne d’encarts dans des journaux francophones avec en têtes d’affiche, Jan Jambon et Theo Francken. Cette démarche du centre du parti n’a pas toutefois pas pu masquer l’implantation poussive de la formation 32 Delwit Pascal, De Waele Jean-Michel, Rea Andrea (1998) « Les étapes de l’extrême droite en Belgique », in Delwit Pascal, De Waele Jean-Michel, Rea Andrea (Eds) L’extrême droite en France et en Belgique. Bruxelles. Complexe : 57-83. 33 Pour une analyse plus approfondie sur la dynamique aux élections communales de 2018 à Bruxelles, voir Delwit Pascal, van Haute Emilie (2019), « Le scrutin communal du 14 octobre 2018 à Bruxelles: une élection détonante ». Cahiers du Cevipol / Brussels Working Papers. (1) : 1-41. 17
nationaliste flamande dans plusieurs communes de Bruxelles. La N-VA n’a pu soumettre une liste au corps électoral que dans treize des dix-neuf communes de la Région – trois de plus qu’en 2012. Aucune de ses listes n’était complète et plusieurs étaient réduites à une expression très modeste : deux candidats à Auderghem, Evere, Koekelberg et Saint-Josse-ten-Noode, trois candidats à Ixelles, quatre candidats à Uccle et six candidats à Jette. Aucune dynamique électorale d’ensemble ne s’est donnée à voir, mais dans un nombre appréciable de communes où la N-VA était présente en 2012, elle a reculé en 2018 : Anderlecht, Berchem-Sainte-Agathe, la ville de Bruxelles, Molenbeek-Saint-Jean et Saint-Josse-ten-Noode. A contrario, une progression est observée dans quatre d’entre-elles : à Ganshoren, Ixelles, jette et Schaerbeek (Tableau 6). La N-VA n’a donc pas réussi son pari de faire du scrutin communal un levier pour les élections régionales de 2019. Tableau 6. Résultats électoraux de la N-VA et du Vlaams Belang aux élections communales bruxelloises de 2018 et de 2012 et nombre de conseillers communaux (entre parenthèses) N-VA 2018 2012 Anderlecht 4,1 (1) 5,1 (2) Auderghem 2,3 (0) - Berchem-Sainte-Agathe 6,7 (1) 7,0 (1) Bruxelles 3,7 (1) 4,3 (1) Etterbeek - - Evere 4,8 (1) - Forest - 2,2 (0) Ganshoren 6,7 (1) 4,9 (0) Ixelles 2,9 (0) 2,3 (0) Jette 4,3 (1) 4,2 (1) Koekelberg 3,5 (0) - Molenbeek-Saint-Jean 3,4 (1) 4,0 (1) Saint-Gilles - - Saint-Josse-ten-Noode 2,1 (0) 3,3 (0) Schaerbeek 2,7 (0) 2,2 (0) Uccle 2,3 (0) - Watermael-Boitsfort - - Woluwe-Saint-Lambert - - Woluwe-Saint-Pierre - - Source : http://bruxelleselections2012.irisnet.be/; https://elections2018.brussels 18
3. LE SCRUTIN PROVINCIAL DE 2018, UNE ÉLECTION INTERMÉDIAIRE SANCTION POUR LA N-VA ? En 1980 puis en 1984 et 1985, Karlheinz Reif et Hermann Schmit avaient caractérisé les élections européennes de scrutins de deuxième ordre 34. Au- delà de la qualification de deuxième ordre à l’endroit des élections européennes, Reif avait d’emblée élargi la portée de sa proposition en distinguant deux catégories d’élections : le(s) scrutin(s) de premier ordre – les élections nationales, le plus souvent législatives – et les élections de deuxième ordre – les scrutins européen et infranational : “And this leads us to the other dilemma, European elections face: Since it is the national arena that clearly dominates political life in Western Europe, European elections – just as any other subsystem election in the member countries – are inevitably relevant for the domestic competition among political parties in each country. Of course, they have no constitutional, institutionally binding, consequences for the distribution of power among parties in the national institutions. They nevertheless play a role in the national game of politics. European elections are inevitably second order national elections” 35. Dans le temps, le propos initial de Reif et Schmitt a régulièrement été vérifié, amendé ou critiqué à la suite des élections européennes de 1989, 1994, 1999, 2004, 2009 et 2014 36. En revanche, un examen large et critique dédié aux scrutins infranationaux est plus exceptionnel. Pour les scrutins subnationaux, la catégorisation d’élections intermédiaires a aussi été avancée. L’idée d’élections intermédiaires fut présentée pour la première fois en 1983 par Jean- Luc Parodi 37 et notamment reprise par Reif peu après, les assimilant clairement à ce qu’il nomme « une version additionnelle des élections nationales de second ordre ». Les données le plus souvent avancées pour qualifier ces scrutins de la sorte sont d’abord la plus faible considération à l’endroit du scrutin. Tous les acteurs 34 Reif Karlheinz, Schmitt Herman (1980) « Nine Second-Order National Elections. A conceptual framework for the analysis of European Election Results ». European Journal of Political Research. 8 (1): 3-44 ; Reif Karlheinz (1984) « National Electoral Cycles and European Elections 1979 and 1984 ». Electoral Studies. 3 (3): 244–255 ; Reif Karlheinz (1985) Ten European Elections. Aldershot. Gower. 35 Reif Karlheinz (1985) Ten European Elections. Aldershot. Gower: 4. 36 Hassing Nielsen Julie , Franklin Mark N. (2017) « The 2014 European Parliament Elections: Still Second Order? ». In Hassing Nielsen Julie , Franklin Mark N. (Eds), The Eurosceptic 2014 European Parliament Elections. Londres, Palgrave : 1-16 ; Voir aussi les papiers présentés au panel de l’ECPR à Bordeau en 2013 au panel « European Parliament Elections: Still Second Order? » coordonné par Michael Marsh : https://ecpr.eu/Events/PanelDetails.aspx?PanelID=1077&EventID=5 37 Parodi Jean-Luc (1983) « Dans la logique des élections intermédiaires ». Revue politique et parlementaire. 903 : 42-70. 19
impliqués dans la campagne électorale y portent moins d’intérêt que pour des élections nationales de premier ordre : les adhérents et les militants de partis, les formations politiques elles-mêmes, leurs dirigeants, les leaders d’opinion, les journalistes ou encore les organisations de la société civile. Et, bien évidemment, les citoyens-électeurs, pour lesquels l’enjeu du scrutin apparaît faible. Depuis les premiers travaux sur la participation électorale 38, la relation entre saillance du scrutin et l’enjeu a été établie. Il en serait ainsi dans ce type d’élections. Second-order elections, that is, “elections where voters believe little to be at stake” épinglent Koepke et Ringe 39. Il en résulte une participation électorale bien plus faible que pour les élections de premier ordre. Cette dynamique est largement vérifiée pour les élections européennes et régulièrement pour les scrutins subnationaux. L’abstention serait due à ce plus faible intérêt pour l’élection et à l’existence d’un abstentionnisme différentiel. L’abstentionnisme différentiel renvoie à l’idée que les supporters du ou des partis de gouvernement se rendraient moins aux urnes pour envoyer un message à leur parti. « Dans la logique des élections intermédiaires, à la façon d’un vote sanction, on peut compter sur une part plus ou moins significative d’abstention sanction des gouvernements nationaux en place » estime Anne Muxel 40. Au-delà de cette plus faible considération, la dimension stratégique ou utile du comportement électoral serait moins dominante. Nous aurions affaire à un vote plus sincère, à un vote de cœur ébréchant les dynamiques de vote utile. L’électeur pourrait opter pour le parti de son choix sans arrière-pensée. Cette affirmation d’un déploiement d’un vote sincère a parfois été contredite sous l’angle d’un autre comportement de type instrumental autre que l’abstentionnisme différentiel : un vote d’avertissement, c’est-à-dire autre que celui opéré pour le parti lors du précédent scrutin de premier ordre, afin de lui exprimer une forme de mécontentement. Nous serions alors dans le registre de la punishment election 41. Pour autant, et c’est important dans le contexte que nous étudions, Franck et Isnard ont introduit une nuance à la dynamique de sanction en isolant la notion de « sanction asymétrique». Toutes choses égales par ailleurs, la sanction frapperait proportionnellement bien plus les partis de gauche que les formations à la droite de l’échiquier politique 42. La sanction 38 Siegfried André (2010) Tableau politique de la France de l’Ouest sous la Troisième République. Bruxelles. Editions de l’Université de Bruxelles (Réédition) ; Gosnell Harold (1930), Why Europe votes. Chicago. The University of Chicago Press. 39 Koepke Jason R., Ringe Nils (2006) « The Second-order Election Model in an Enlarged Europe ». European Union Politics. 7 (3) : 322. 40 Muxel Anne (2009) « La participation électorale : un déficit inégalé ». Revue internationale de politique comparée. 16 (4) : 579. 41 Hix Simon, Marsch Mischael (2007) « Punishment or protest ? Understanding European Parliament Elections ». The Journal of Politics. 69 (2): 495-510. 42 Franck Christian, Isnard Lise (2009) « Un vote sanction asymétrique ». Revue internationale de politique comparée. 16 (4) : 607-621. 20
est donc soulignée et elle a été souvent mise en évidence pour des élections infra-nationales 43. A la lumière de ce vote-sanction, les partis de gouvernement obtiendraient régulièrement un score inférieur à celui du scrutin de premier ordre. Ces regards et ces perspectives ont cependant été interrogés 44, critiqués voire démentis dans l’analyse des élections subnationales 45. Par ailleurs, elles sont difficilement transposables dans le cadre belge à la lumière de trois éléments. - La mesure d’un plus faible intérêt, traduite dans une participation électorale en retrait, a fortiori dans un abstentionnisme différentiel ou une mobilisation différentielle 46, n’est pas possible dans un pays où le vote est obligatoire ; qui plus est, dans un pays où cette obligation est très largement respectée. En Belgique, le niveau de participation électorale est parmi les plus élevés à l’échelle de l’Europe 47. Et cette mobilisation électorale importante vaut tant pour les élections nationales que subnationales et supranationales. - L’élection provinciale est désormais concomitante au scrutin communal. Or, les observations et les analyses sur les théories d’élections de deuxième ordre montrent que les conclusions sont brouillées lorsque deux élections interviennent le même jour. De plus, l’élection communale est souvent appréhendée comme la deuxième élection de premier ordre. En tout état de cause, en Belgique, elle ne répondrait pas aux caractéristiques du scrutin de deuxième ordre 48 - Enfin, dès lors que la Belgique est extrêmement marquée par la coexistence de plusieurs (sous)systèmes politiques – fédéral et régional-communautaire –, il n’est pas facile pour les électeurs de faire la part des choses entre un vote sanction ou de cœur sans référence claire à un seul Exécutif. La difficulté est d’autant plus prégnante que les partis ne sont pas toujours dans le même statut (majorité ou opposition) aux deux niveaux. Pour une majorité d’électeurs, le niveau provincial est bien moins connu et compris que la vie politique au plan communal. Même si quelques dynamiques s’y donnent régulièrement à voir, à l’instar d’un score chrétien-démocrate en moyenne supérieur à leurs résultats aux scrutins fédéral et régional, la performance d’ensemble des partis aux élections provinciales s’inscrit le plus souvent dans la dynamique électorale nationale en cours. A ce titre, elles 43 Shileds James (2018) « Winner loses all: The 2015 French regional elections ». Regional and Federal Studies. 28 (3) : 367-381. 44 Muller Jöchen (2018) « German regional elections: Patterns of second-order voting ». Regional and Federal Studies. 28 (3): 301-324. 45 Schakel Arjan H., Jeffery Charlie (2013) « Are Regional Elections really ‘Second-Order’ Elections? ». Regional Studies. 47 (3) : 323-341. 46 Martin Pierre (2004) « Des cantonales à l’image des régionales ». Revue française de science politique. 54 (4) : 682. 47 Delwit Pascal (2013) « The End of Voters in Europe? Electoral Turnout in Europe since WWII ». Open Journal of Political Science. 3 (1): 44-52. 48 Lefevere Jonas (2014) « Les élections locales sont-elles des élections de deuxième ordre ? », in Pilet Jean-Benoit, Dassonville Ruth, Hooghe Marc, Marien Sofie (Eds) L’électeur local. Le comportement électoral au scrutin communal de 2012. Bruxelles. Editions de l’Université de Bruxelles : 71-85. 21
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