Campagnes solidaires (Re)vivre ensemble en milieu rural - Confédération Paysanne

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Campagnes solidaires (Re)vivre ensemble en milieu rural - Confédération Paysanne
Campagnes solidaires     Mensuel de la Confédération paysanne
N° 360 avril 2020 – 6 € – ISSN 945863

    Dossier

    (Re)vivre ensemble
    en milieu rural

Coronavirus La nécessaire refondation
de nos systèmes agricoles et alimentaires
Campagnes solidaires (Re)vivre ensemble en milieu rural - Confédération Paysanne
Sommaire
                                                                                     Dossier
                                                                                     (Re)vivre ensemble en milieu rural
                                                                                          Lettre ouverte à nos concitoyen·nes
                                                                                      4 Coronavirus La nécessaire refondation de nos systèmes
                                                                                          agricoles et alimentaires
                                                                                      6 Vie syndicale
                       Des vidéos pour                                                  Hommage
                   l’agriculture paysanne                                             7 Joseph Bourgeais
             Il est souvent question de mieux communiquer sur                           Actualité
             les pratiques de l’agriculture paysanne. Cette année,                    8 Pour un plan de transition sociale et écologique de l’agriculture
             la Fédération des associations départementales pour                      9 Le tomatovirus, un grand danger pour les cultures de tomate
             le développement de l’emploi agricole et rural (Fadear)                 10 Quand l’argent public finance de très controversés élevages
             a pu appuyer la réalisation de trois vidéos. Si les
             cibles de ces outils ne sont pas nécessairement les
                                                                                        industriels de poulets
             mêmes, l’objectif, lui, est partagé : ces vidéos ont                    12 Pour une filière volailles plus vertueuse en Bretagne
             vocation à communiquer largement autour du pro-                              Courrier
             jet de d’agriculture paysanne.                                          13 Stock de retraité·es : un langage inacceptable !
             La première, réalisée par l’Ardear du Centre-Val-de-
                                                                                     13 Taxer la viande : une nouvelle idée de génie !
             Loire, présente ce projet d’une manière décalée, via
             l’animation graphique. Son objectif est aussi de mettre
                                                                                        Internationales
             en valeur un des outils du réseau : le diagnostic d’agri-               14 Les Suisses pourraient se prononcer par référendum sur
             culture paysanne (1).                                                      un accord de libre-échange
             La deuxième, réalisée par l’Addear de la Loire, met                     15 N’exportons pas nos problèmes en Afrique
             en lumière l’accompagnement des collectifs de pay-                           Agriculture paysanne
             san·nes qui permet par l’échange, le partage et la
             mutualisation, de nourrir le projet.                                    16 Vosges La toute nouvelle ferme « Au bon vieux temps »
             La troisième, réalisée par Initiatives Paysannes (Hauts                 17 Béarn « Nous voulions faire revivre cette fermette »
             de France), met en évidence la construction d’une                          Initiative
             filière, « Du blé au pain » : depuis 2017, l’association                18 La Maison Paysanne de l’Aude, un lieu de vie pour le monde
             régionale a établi un partenariat avec la coopérative                        paysan
             Biocer autour d’une filière de blés anciens/blés pay-
             sans. La vidéo retrace sa mise en place, interrogeant
                                                                                          Culture
             les différents acteurs et actrices de la démarche.                      19   Atlas du business des espèces menacées
             Ces vidéos, publiées en mars, sont visibles sur le site                 19   Gilles Luneau Steak barbare
             de la Fadear et des Adear concernées :                                  21   Abonnement
                            agriculturepaysanne.org                                       Annonces
                                                                                     22
             Pour plus d’informations : contact@fadear.org
                                                                                          Action
             (1) agriculturepaysanne.org/en-savoir-plus-sur-le-diagnostic-agricul-   24 Le 8 mars, on arrête toutes !
             ture-paysanne
Mines de plombs

             2 \ Campagnes solidaires • N° 360 avril 2020                                      Les textes publiés dans Campagnes solidaires peuvent être reproduits avec indication d’origine à l’exception de ceux de la
                                                                                                     rubrique Point de vue qui sont de la responsabilité de leurs auteurs et pour lesquels un accord préalable est requis.
                                                                                                                                                                   Campagnes solidaires est imprimé sur du papier recyclé
Campagnes solidaires (Re)vivre ensemble en milieu rural - Confédération Paysanne
On l’ouvre
                                                 Crise et mutation
                                                   À la vitesse à laquelle évolue la pandémie du Covid-19, cet édito sera peut-être dépassé
                                                 au moment de sa parution (1). Malgré cela, j’aimerais avoir une pensée pour les proches
                                                 des défunt·es, pour les soignant·es (qui tiraient la sonnette d’alarme depuis un an),
                                                 pour celles et ceux qui prennent soin des plus fragiles, toujours premières victimes en cas
                                                 de crise. Un soutien aussi au monde agricole qui assure l’essentiel, en n’oubliant pas que
                                                 la différence entre la barbarie et la civilisation se limite à une assiette pleine.
                                                   Je laisserai le soin aux historiens et aux historiennes de nous expliquer qu’au quinzième
                                                 mort sur 1,4 milliard d’habitant·es, la Chine savait déjà que c’était une épidémie. Je leur
                                                 laisserai aussi voir si certains (Trump…) n’ont pas essayé d’en profiter pour faire plier leurs
                                                 adversaires (Chine ou Iran, par exemple) avant d’être rattrapés par le virus. Le moment venu,
                                                 on s’interrogera sur le lien entre la maladie et l’effondrement financier prédit par des
                                                 économistes.
                                                   En attendant, la Confédération paysanne doit répondre dans l’urgence aux problèmes
                              Denis Perreau,     des paysan·nes. Qu’il s’agisse de la désorganisation des filières amont et aval, de l’accès
   paysan en Côte-d'Or, secrétaire national      aux marchés ou de la poursuite de l’activité, pour certain·es. Elle se bat, entre autres, pour
                                                 le maintien de marchés de plein-vent, la non-fermeture des abattoirs aux abattages fermiers
Mensuel édité par :
l’association Média Pays                         ou l’indemnisation des différentes pertes liées à l’épidémie. Elle reste vigilante aussi
104, rue Robespierre – 93170 Bagnolet            aux difficultés des filières longues, difficultés qui ne vont pas manquer d’arriver.
Tél. : 01 43 62 82 82 – fax : 01 43 62 80 03
campsol@confederationpaysanne.fr                   Mais dès à présent, la Confédération paysanne doit également réfléchir à ce que nous révèle
confederationpaysanne.fr                         cette crise. Le président Macron a affirmé que « déléguer notre alimentation, notre capacité à
facebook.com/confederationpaysanne
                                                 soigner, notre cadre de vie à d’autres est une folie » (il faudra penser à lui proposer
Twitter : @ConfPaysanne
Abonnements : 01 43 62 82 82
                                                 une adhésion !). La question de la résilience de nos systèmes alimentaires est posée.
abocs@confederationpaysanne.fr                   La compétition mondiale sur l’alimentation (mais pas seulement) est mortifère, socialement,
Directeur de la publication : Nicolas Girod
                                                 économiquement, écologiquement… La relocalisation des productions pour une souveraineté
Rédaction : Benoît Ducasse et Sophie Chapelle
Secrétariat de rédaction : Benoît Ducasse
                                                 alimentaire accrue est incontournable. Cela passera par des fermes nombreuses, diverses
Maquette : Pierre Rauzy                          et diversifiées.
Dessins : Samson, Denys Moreau                     Il nous appartiendra de faire que cet épisode ne soit pas qu’une perturbation dans
Diffusion : Anne Burth et Jean-Pierre Edin       la marche en avant du capitalisme financier et de la mondialisation économique,
Comité de publication : Christian Boisgontier,
Michel Curade, Joël Feydel, Florine Hamelin,     et qu’il débouche bien sur une mutation de notre monde.
Véronique Léon, Jean-Claude Moreau,                Face à la crise, les politiques ont été capables de prendre des mesures fortes. Il faudra
Michèle Roux
Impression : Chevillon                           le moment venu les pousser à faire preuve de la même volonté pour reprendre la main
26, boulevard Kennedy                            sur le monde économique.
BP 136 – 89101 Sens Cedex
CPPAP n° 1121 G 88580                              Ce n’est pas gagné, mais la Confédération paysanne mettra toutes ses forces dans la bataille
N° 360 avril 2020                                pour, entre autres, réorienter le système agricole actuel vers l’agriculture paysanne.
Dépôt légal : à parution
Bouclage : 25 mars 2020                          (1) Texte rédigé le 23 mars

                                                                                                   Campagnes solidaires • N° 360 avril 2020 / 3
Campagnes solidaires (Re)vivre ensemble en milieu rural - Confédération Paysanne
Le ruraleur

                                    Le ruraleur
La petite bête                                    Lettre ouverte à nos concitoyen·nes
Depuis 25 ans, nous étions ran-
gés dans les empêcheurs de
mondialiser en rond. Face à                       Coronavirus
nous, le triomphe des grands
acteurs économiques plaçant                       La nécessaire refondation de nos
leurs pions là où se trouvent les
meilleurs avantages compara-                      systèmes agricoles et alimentaires
tifs. Point de plan B, disaient-

                                                  L
ils aux ignares du nouveau                              a crise du Coronavirus que         d’œuvre comme des marchan-               nos acheteurs internationaux ne
                                                        nous traversons est avant tout     dises comme les autres, à pro-           s’approvisionnent plus auprès de
monde que nous étions. Et pour
                                                        sanitaire. Mais ces effets tou-    duire l’alimentation comme une           nous pour leurs achats de veaux,
les pays qui ne dérouleraient
                                                  chent nos vies dans leur ensemble        denrée industrielle standardisée         de chevreaux, de lait ou de blé ?
pas le tapis rouge aux trans-                     et engendrent des conséquences           et échangeable à travers la pla-           Si on continue à baser notre
nationales, les marchés finan-                    de grande ampleur qui secouent           nète, comment ferons-nous face           modèle alimentaire sur la consom-
ciers se chargeraient de rap-                     les économies de tous les pays du        à l’effondrement de la biodiver-         mation d’énergies fossiles, la des-
peler où se trouve le pouvoir.                    monde. C’est un épisode fulgu-           sité, aux conséquences sanitaires        truction des cycles naturels, le
La Chine s’est offerte à ce nou-                  rant, avec un trait révélateur           et agronomiques du changement            recours permanent à la technolo-
vel eldorado, sans contraintes
                                                  important : cette crise montre que       climatique ?                             gie, nous ne saurons pas faire face
                                                  bien des domaines de notre quo-            Si on continue à breveter le           aux réactions du vivant, de notre
climatiques ni droit du travail,
                                                  tidien doivent être extraits des         vivant et déléguer la production         planète. Il est illusoire de croire à
au prix de pollutions redou-
                                                  logiques de compétition mon-             de semences à des firmes multi-          une maîtrise totale des sociétés
tables. 80 % des molécules                        diale, de recherche de profit à tout     nationales, qu’en sera-t-il en           humaines sur la nature par une
médicamenteuses de base sor-                      prix, de financiarisation de l’éco-      période de crise si nous n’avons         artificialisation et une « techno-
tent de cet autre goulag, l’équi-                 nomie réelle, de spécialisation des      pas la main sur la base de toute         logisation » croissante de nos
valent de notre sous-proléta-                     territoires.                             notre alimentation ?                     modes de vie. Nous avons besoin
riat du XIXe siècle. Où on ne                       Il devient ainsi commun d’en-            Si on continue à construire des        de pouvoir compter sur les savoir-
bricole pas avec la discipline :                  tendre parler, dans le débat public,     filières internationalisées dont         faire paysans et leur connaissance
                                                  de l’importance de la souverai-          le moindre choc économique,              de la complexité des écosystèmes.
10 000 condamné·es à mort
                                                  neté. Dans le domaine de la fabri-       sanitaire, climatique, engendre            Les tendances actuelles à la dis-
chaque année…
                                                  cation des médicaments et de la          une volatilité catastrophique des        parition de l’emploi paysan et à la
Pas un problème pour Danone                       santé, par exemple. Dans ses allo-       marchés, comment garantir des            mondialisation des échanges nous
qui y emploie 8 400 salarié·es,                   cutions récentes, le Président de        prix justes, stables et sécurisés        exposent à une concurrence achar-
ni pour SEB d’où proviennent                      la République, Emmanuel                  pour nous, paysannes et pay-             née sur les prix et les moyens de
53 % de ses bénéfices, ni pour                    Macron, a lui-même déclaré que           sans, qui vous nourrissons, ici          production à l’échelle mondiale.
LVMH qui y a ouvert 950 bou-                      « déléguer notre alimentation, notre     et ailleurs ?                            Les accords de libre-échange
tiques. Les affaires sont les                     protection, notre capacité à soigner,                                             aggravent la situation sur le plan
affaires…
                                                  notre cadre de vie (…) à d’autres est    Nous avons besoin                        social, économique, sanitaire et
                                                  une folie. Nous devons en reprendre      de paysannes                             écologique. Il est grand temps que
Rien ne semblait perturber                        le contrôle ». Dans cette lettre         et de paysans nombreux                   cela change.
cette véritable machine de                        ouverte, nous voulons nous pen-            Si on continue à prôner l’agran-         Il n’est pas question de répondre
guerre économique. Mais                           cher sur le domaine alimentaire,         dissement et l’industrialisation de      à la mondialisation et au système
moins qu’un grain de sable, un                    pilier essentiel de notre société, qui   nos structures agricoles, et donc        financier capitaliste par une autar-
virus est venu tout dérégler.                     doit être reconnu comme tel.             à favoriser la disparition de nos        cie ou le repli sur soi, mais bien
Des dizaines de millions de per-                    La souveraineté alimentaire            emplois paysans et la dépendance         de remettre au cœur des politiques
sonnes confinées, l’économie
                                                  devient une idée prégnante dans          au secteur de l’agrobusiness, com-       publiques la question de l’auto-
                                                  ces temps de crise où la sécurité        ment ferons-nous, alors que nous         nomie. Ce principe d’autonomie
mondiale dans la panique.
                                                  alimentaire de tout le pays est sous     avons besoin de paysannes et de          nous est plus que cher : il guide
Comme à chaque crise, celles                      pression, et nous, Confédération         paysans nombreux, pour faire face        depuis des années nos luttes et
et ceux qui l’ont provoquée                       paysanne, estimons que c’est le          aux enjeux de climat, de biodi-          fonde l’agriculture paysanne, pro-
vont nous promettre d’en tirer                    moment approprié pour parler de          versité ou de crise sanitaire qui        jet agricole et alimentaire de la
les enseignements. En 1973,                       l’avenir du système alimentaire          sont et seront devant nous ?             Confédération paysanne. Nous
une crise due à l’embargo sur                     qui la fonde. Nous estimons en             Si on continue à spécialiser les       espérons que la situation actuelle
le soja avait multiplié le prix                   effet que si la crise est avant tout     territoires, à segmenter les filières,   permette à chacun·e de se rendre
                                                  sanitaire, notre réponse à celle-ci      à faire parcourir aux biens agri-        compte de la valeur du travail
mondial par deux. Trente ans
                                                  ne peut être que politique, et puis-     coles et agroalimentaires le tour de     paysan et de l’importance de l’au-
plus tard, prenant cet exemple,
                                                  qu’on ne reviendra pas à avant le        la planète, comment ferons-nous          tonomie paysanne pour la rési-
la commissaire européenne à                       Covid-19, cette réponse engage           quand nous nous rendrons                 lience de nos systèmes alimen-
l’Agriculture avait déclaré :                     notre avenir.                            compte que la France ne produit          taires.
« Pourquoi produire ici ce que                      Si on continue à piller les res-       plus que la moitié des fruits et           La Confédération paysanne,
l’on peut trouver à moins cher                    sources naturelles, à considérer         légumes consommés par sa popu-           inspirée par des valeurs huma-
sur le marché mondial ? » Ah, si                  la terre, le vivant et la main-          lation ? Comment ferons-nous si          nistes, a toujours porté la ques-
les petites bêtes pouvaient
faire le tri des coupables…                       4   \ Campagnes solidaires • N° 360 avril 2020
Campagnes solidaires (Re)vivre ensemble en milieu rural - Confédération Paysanne
Lettre ouverte à nos concitoyen·nes

tion de la répartition : répartition des           ment et du vivant, relocalisée et ancrée           paysan, producteur d’alimentation, doit
moyens de production, répartition des              dans son territoire. Une agriculture capable       retrouver un statut et une situation à la
richesses à l’échelle internationale. La           d’être la base pour une sécurité sociale ali-      hauteur de l’enjeu auquel nous répon-
recherche d’autonomie est pleinement               mentaire, prochaine grande avancée sociale         dons : satisfaire le besoin premier de la
complémentaire avec la solidarité humaine          de notre siècle.                                   population de se nourrir sainement, en
qui traverse les frontières et qui est néces-        La pandémie actuelle a des répercus-             quantité et qualité.
saire en cas de crise. Un système écono-           sions importantes sur nous tou·tes. Pay-             On voit actuellement qu’il est possible
mique relocalisé, équitable, qui place les         sans et paysannes, nous sommes parmi               d’avoir des actes politiques forts face à
considérations sociales et le travail avec         les premiers impactés. La Confédération            des enjeux planétaires, ici une menace
la nature au cœur de la réflexion, est la          paysanne appelle à un soutien indéfectible         sanitaire. Cela nous prouve que nous
voie d’avenir à suivre.                            aux paysannes et paysans, aujourd’hui, et          pouvons aussi agir pour changer notre
  Toutes les questions que la pandémie du          elle demande aussi que ce soutien soit             système économique et améliorer notre
coronavirus pose de manière aiguë remet-           durable. À ce jour, les modes de distri-           mode de vie vers plus de justice sociale
tent en cause nos systèmes alimentaires            bution et de commercialisation qui font            et climatique. Il faut maintenant que
dans leur ensemble, dont l’avenir sera fondé       vivre des dizaines de milliers de pay-             nous nous donnions les moyens de
par les réponses que nous donnons et don-          san·nes et concernent des millions de              répondre à l’urgence sociale dans la pro-
nerons à cette crise.                              citoyen·nes sont sous pression. Il faut            duction agricole et à l’urgence climatique
                                                   trouver des solutions concrètes, inno-             et écologique que nous avons à relever
Repenser                                           vantes et durables pour tou·tes les pay-           collectivement. Il est plus que temps
nos systèmes alimentaires                          san·nes, touché·es parce qu’ils dépendent          maintenant de prendre des décisions qui
  Repensons l’organisation de nos filières,        du système mondialisé, de contrats avec            aboutissent à plus de solidarité et de res-
de notre consommation, de notre alimen-            la restauration hors domicile, de marchés          ponsabilité.
tation. Repensons nos systèmes alimen-             de plein-vent dont l’ouverture est incer-            Tirons les enseignements sur notre sys-
taires pour un accès à une alimentation de         taine. Il faut les trouver, ensemble, en fai-      tème économique et financier actuels pour
qualité pour toutes et tous. Repensons-les,        sant des propositions pleinement res-              l’avenir de notre société. Revalorisons nos
de sorte à les fonder sur une protection           ponsables et efficaces face à l’urgence            paysan·nes et redonnons tout son sens à nos
accrue, ambitieuse et durable du monde             sanitaire. Réguler les marchés, rééquili-          métiers de l’alimentation pour reposition-
paysan. Cette protection ne veut pas dire          brer la chaîne de valeur au profit des agri-       ner ce secteur au cœur de notre projet de
absence d’évolution mais, au contraire, un         culteurs et agricultrices, stopper la concur-      société !
accompagnement fort par les politiques             rence effrénée, sont des mesures urgentes            Relocalisons notre agriculture et nos sys-
publiques d’une agriculture créatrice d’em-        pour nous garantir un revenu digne. L’ali-         tèmes alimentaires en France, en Europe,
plois de qualité, rémunératrice, produc-           mentation et l’agriculture doivent rede-           et pour tous les peuples ! n
trice d’une alimentation diversifiée, résiliente   venir dès demain l’un des socles et des fon-                                Le secrétariat national
aux chocs, respectueuse de l’environne-            dements de nos sociétés. Le métier de                                de la Confédération paysanne

                                                                                                   Campagnes solidaires • N° 360 avril 2020       /5
Campagnes solidaires (Re)vivre ensemble en milieu rural - Confédération Paysanne
Vie syndicale

 Fermer indistinctement les marchés
 est irresponsable
   Nous l’avons dit et nous le réaffirmons : il   des emballages en plastique… Un guide de           mettent de les adopter et pour qu’ils soient
 faut maintenir et pérenniser l’approvision-      bonnes pratiques a été proposé. Il permet          force de propositions vis-à-vis des pouvoirs
 nement en nourriture sur le territoire natio-    d’ouvrir le dialogue avec des mairies qui          locaux.
 nal en l’adaptant à la crise sanitaire du        doivent allouer plus de moyens humains               Nous demandons au gouvernement de
 Covid-19.                                        pour la tenue de ces marchés.                      faire sa part et qu’une parole claire soit
   La décision du Premier ministre, le 24 mars,     Ces initiatives vont d’ailleurs bien plus loin   prononcée dans les plus brefs délais pour
 de supprimer de manière unilatérale les          que ce qui se pratique dans la grande dis-         donner aux municipalités les moyens de
 marchés de plein-vent sur l’ensemble du ter-     tribution où il n’y a pas eu d’analyse des         s’organiser et de garantir l’approvisionne-
 ritoire est inadaptée à la situation et poten-   risques, avec des personnes laissées à elles-      ment en nourriture, sécurisant ce qui s’ima-
 tiellement dangereuse. Nous ne pouvons pas       mêmes, touchant les mêmes produits et se           gine localement.
 accepter qu’à cause de quelques marchés          rapprochant les unes les autres dans des             Nous exigeons enfin que le gouvernement
 trop fréquentés dans lesquels les restrictions   espaces clos. Ce serait malencontreux et           assume clairement ses responsabilités face
 sanitaires n’ont pas été appliquées de           dangereux de voir les gens se ruer dans les        aux producteurs et aux productrices qui
 manière conséquente, l’ensemble de la            supermarchés parce qu’il n’y a plus de mar-        subissent des pertes dans cette situation de
 population soit privé d’un mode d’appro-         chés ouverts. C’est pourtant ce qui risque         crise. Nous le disons clairement, il faut une
 visionnement fondamental et les produc-          de se passer si le gouvernement ne com-            indemnisation complète des pertes : nous
 teurs de débouchés.                              prend pas très vite la situation et n’incite       ne tolérerons pas un·e seul·e paysan·ne de
   Qu’elles soient à la ferme, dans des points    pas les pouvoirs locaux à multiplier les pra-      moins à la sortie de cette crise.
 de distribution itinérants ou sur des mar-       tiques imaginées de concert avec les pay-                              (Communiqué du 24/3)
 chés réorganisés, nombreuses sont les ini-       san·nes pour maintenir et pérenniser l’ap-
 tiatives qui se mettent en place au niveau       provisionnement.
                                                                                                     Pour se renseigner sur les initiatives qui se sont
 local dans le respect strict des règles sani-      La Confédération paysanne s’engage dans          mises en place, qui se mettent en place ou qui
 taires en vigueur : espacement des bancs (sur    tous les départements à identifier, décrire        se projettent localement, se renseigner auprès
 les marchés), distanciations entre les per-      et diffuser les initiatives qui sont en train      de la Confédération paysanne de son départe-
 sonnes, absence de caddie, paniers à dis-        de se mettre en place, pour donner aux             ment. Pour la trouver :
 position, interdiction du libre-service ou       paysan·nes les instruments qui leur per-           confederationpaysanne.fr/reseau.php

   Apiculture : victoire juridique
    Le tribunal correctionnel d’Orléans a rendu son jugement le 13 février sur le cas des cires altérées vendues par Thomas Apicul-
   ture, un procès dans lequel la Confédération paysanne était partie civile.
    En 2017, plusieurs apiculteurs et apicultrices ont constaté un effondrement de la cire des cadres de leurs ruches. Ce phénomène
   affecte le nombre d’alvéoles. Il a pour effet de réduire la production de miel, le nombre des abeilles et met en péril, par voie de
   conséquence, l’équilibre financier des élevages. Très vite, la suspicion s’est portée sur la société Thomas, basée dans le Loiret, four-
   nisseur de nombreux apiculteurs et apicultrices.
    Les prévenus – les deux gérants de la société – ont été reconnus coupables des faits qui leur étaient reprochés : pratique com-
   merciale trompeuse, vente de produits agricoles falsifiés, corrompus ou toxiques, non-information des acquéreurs d’un produit de
   sa non-conformité portant sur une qualité substantielle, non-respect d’une mesure de consignation ordonnée par un agent de la
   Répression des fraudes.
    Le tribunal a condamné Thomas Apiculture à 15 000 euros d’amende – dont 10 000 euros avec sursis – et les deux dirigeants à
   1 500 euros d’amende chacun avec sursis.
    À la suite de cette décision, la Confédération paysanne demande que l’interprofession (InterApi) et l’Institut technique de l’abeille
   se saisissent du dossier afin d’établir des protocoles de qualification et des contrôles rigoureux des lots de cires.

   Mutagénèse: alerte avant les semis
    À l’approche des semis de tournesol puis de colza, la Confédération paysanne a alerté – par lettre ouverte, le 4 mars, les produc-
   teurs et productrices sur les conséquences de la décision prise par le Conseil d’État le 7 février : les récoltes « pourraient être éti-
   quetées OGM » en cas de variétés issues de mutagenèse in vitro. « Le gouvernement a l’obligation dans les neuf mois, soit avant le
   11 novembre, de faire retirer du catalogue officiel les variétés obtenues et multipliées par les techniques de mutagenèse in vitro (diri-
   gée ou aléatoire) ou de suspendre l’autorisation de culture. Passé ce délai, elles ne pourront pas être cultivées et commercialisées sans
   avoir obtenu au préalable une autorisation de dissémination d’OGM. En cas d’autorisation, elles devront être étiquetées et tracées tout
   au long de la filière jusqu’au client final. » La Confédération paysanne réclame la transparence des semenciers sur les techniques
   qu’ils utilisent pour obtenir leurs variétés.

 6 \ Campagnes solidaires • N° 360 avril 2020
Campagnes solidaires (Re)vivre ensemble en milieu rural - Confédération Paysanne
Hommage

Jo                        Joseph Bourgeais – Jo – nous a quittés le 15 mars. C’était le doyen du comité de rédaction
                          de Campagnes solidaires. Pendant plus de 30 ans, il a notamment rédigé les écobrèves,
                          très documentées et professionnelles. Mais il n’était pas que cela.

J
      oseph naît en janvier 1937 à Champi-          reau (1936-1995). En 1972, à 35 ans, il              tion et l’information paysannes), dont l’ob-
      gné (Maine-et-Loire), dans une famille        « passe » à la FDSEA (Fédération départe-            jectif était de devenir une plate-forme de
      modeste, catholique pratiquante, son          mentale des syndicats d’exploitants agri-            coopération large entre syndicalistes pro-
père sera proche du MRP (Mouvement répu-            coles) qu’il quitte en 1974, avec une dizaine        gressistes de diverses obédiences (forma-
blicain populaire, créé à la Libération), d’es-     de membres du conseil d’administration,              tion, information, études, échanges inter-
sence démocrate-chrétienne réformatrice.            pour créer un syndicat « paysan-travailleur »        nationaux…).
  Il quitte l’école à quatorze ans, aide fami-      dans le Maine-et-Loire. Il est très proche             Il cède sa ferme en 1997 mais poursuit une
lial sur la ferme de ses parents. Il participe      de Bernard Lambert (1931-1984), le prin-             activité syndicale au sein de la commission
aux activités de la Jeunesse agricole catho-                                                             « Retraites » de la Confédération paysanne,
lique (JAC), mouvement de masse                                                                                     dont il devient responsable au
à l’époque. À 17 ans, il devient                                                                                    niveau national à partir de 2003 jus-
responsable cantonal et participe                                                                                   qu’à 2013.
au comité fédéral (départemental).                                                                                    Toutes celles et tous ceux qui
  En 1960, Jo participe à l’équipe                                                                                  l’ont connu sont sincèrement affec-
nationale de la JAC en tant que                                                                                     tés par sa disparition, même si l’âge
permanent non salarié, gardant                                                                                      avançant et son état de santé se
son statut d’aide familial. Il a en                                                                                 dégradant ne poussaient pas à l’op-
charge le journal Militants à l’action                                                                              timisme. Un autre membre du
et les campagnes thématiques                                                                                        comité de rédaction de Campagnes
annuelles de l’organisation. Il est                                                                                 solidaires, ancien porte-parole
élu président au congrès de fin                                                                                     national de la Confédération pay-
1961 qui transforme la JAC en                                                                                       sanne, Christian Boisgontier adres-
MRJC (Mouvement rural de jeu-                                                                                       sait ce petit mot à l’annonce du
nesse chrétienne), dans une                                                                                         décès de Jo : « Que de souvenirs
période où les relations de ce mou-                                                                                 partagés, de veillées ponctuées de
vement avec la hiérarchie de l’Église                                                                               grands éclats de rire lors des réunions
catholique sont difficiles. Il occu-                                                                                de notre commission des anciens
pera ce poste jusqu’en février 1964.                                                                                quand il nous parlait de sa rencontre
  Pendant son mandat, il rencontre,                                                                                 a l’Élysée avec de Gaulle ou de celle
en mai 1962, le pape Jean XXIII,                                                                                    avec le Pape, quand il était le premier
dans le cadre de la préparation du                                                                                  président du MRJC. Il disait encore
concile Vatican II (1962-1965). En                                                                                  qu’il aurait pu être le président de la
1965, il se marie avec Claudine Nol-                                                                                Fnsea s’il avait accepté de collaborer
let qui fut permanente nationale à                                                                                  à la machine de guerre professionnelle,
la JECF (Jeunesse étudiante chré-                                                                                   ayant fait ses armes dans la lignée des
tienne féminine) puis devient père de deux          cipal animateur du mouvement, paysan                 Debatisse ou Lacombe. Mais il n’en était pas.
filles: Anne (née en 1966) et Ghislaine (1967).     dans la Loire-Atlantique voisine.                    Et ses colères quand il trouvait que les com-
  En 1965, Jo est secrétaire général du CDJA          Il participe alors à la rédaction du men-          bats syndicaux étaient trop mous ! Mais quelle
(Centre départemental des jeunes agricul-           suel de l’organisation, Vent d’Ouest, lancé fin      belle histoire, il a écrit, de sa vie ! »
teurs) puis, de 1966 à 1972, membre du              1969, notamment pour les brèves et de                  Le dernier mot à Jean-Claude Moreau,
bureau régional des jeunes agriculteurs de          petits articles, activité qu’il poursuit jusque      lui aussi partenaire de longue date de Jo au
l’Ouest. Il présente, lors du congrès du 27 sep-    dans Campagnes solidaires après la fonda-            sein de notre comité de rédaction : « Nom-
tembre 1968, un rapport d’orientation Des           tion de la Confédération paysanne, en 1987.          breux sont ceux et celles qui auront le senti-
choix difficiles qui exigent une action syndicale     Au long de son parcours syndical, Joseph           ment que, s’ils ont quelque chose de pas trop
combative. Quelques semaines après les jour-        Bourgeais reste à l’écart des structures poli-       mauvais en eux, ils le doivent en particulier à
nées de Mai, le rapport marque une radica-          tiques, y compris dans les années 1976-              un homme comme Jo. » n
lisation des jeunes paysan·nes de l’Ouest. À        1977 où certain·es, à la direction des Pay-                Benoît Ducasse, avec l’aimable autorisation
la tribune, derrière le rapporteur, un slogan       sans Travailleurs, se réclament des dogmes                 de Serge Cordellier, militant de l’éducation
sur un grand calicot: OUI au développement          marxistes-léninistes des communistes chi-                  populaire, auteur d’une note biographie plus
de l’agriculture, NON à l’écrasement des faibles!   nois. Il explique ne pas s’être écarté d’une                    complète de Jo Bourgeais sur le site du
  Notre homme devient administrateur                église pour en rejoindre une autre.                          Dictionnaire biographique du mouvement
national du CNJA à partir de 1966, en                 En 1980, Joseph Bourgeais est cofonda-                                    ouvrier/mouvement social :
compagnie notamment de Bernard Tha-                 teur de l’Afip (Association pour la forma-                   maitron.fr (copyright : Éditions de l’Atelier)

                                                                                                      Campagnes solidaires • N° 360 avril 2020            /7
Campagnes solidaires (Re)vivre ensemble en milieu rural - Confédération Paysanne
Écobrèves

                                    Écobrèves
       Dissonance
                                                Actualité
Le 13 mars, Nicolas Giroud,
porte-parole de la Confédéra-
tion paysanne, a participé à une
action symbolique près du
                                                Pour un plan de transition sociale
Palais de l'Élysée, préparée par
plusieurs organisations non gou-                et écologique de l’agriculture
vernementales. Le but était de
porter des portraits d’Emma-                    À l’occasion du Salon                          être une formidable opportunité              vivre le dialogue entre monde agri-
nuel Macron pour dénoncer la
                                                de l’Agriculture 2020,                         pour la transition agricole.                 cole et société civile.
dissonance entre ses discours et
                                                la Confédération paysanne                        En dix ans, nous nous devons de              Le dialogue et l’échange sont les
ses actes : le non-respect des
engagements climatiques de la                   et d’autres organisations                      sortir de ce modèle agro-industriel          seuls moyens de construire un
France, la fragilisation du sys-                syndicales ou associatives                     mortifère et de ses logiques de              futur vivre ensemble.
tème social français et le creu-                se sont engagées à rédiger                     concentration, agrandissement,                 Nous croyons à un nouveau
sement des inégalités, mais                     un plan de transition sociale                  spécialisation, compétitivité-prix           contrat social pour des systèmes
aussi la casse des services                     et écologique de l’agriculture                 et industrialisation de la produc-           alimentaires équitables et durables.
publics et notamment celle du                   française. Les travaux                         tion agricole.                                 Nous savons ainsi que la transi-
secteur hospitalier, une casse                  devraient démarrer                               Ce plan devra permettre une                tion agricole et alimentaire ne se
dont les effets se font cruelle-                prochainement.                                 réorientation des politiques                 fera qu’avec les paysan·nes. Nous
ment sentir aujourd'hui.                                                                       publiques pour développer l’emploi           avons besoin de paysannes et de
Action symbolique mais répres-

                                                A
                                                         lors que l’État préfère cri-          agricole et rural et soutenir le redé-       paysans nombreux dans nos cam-
sion sans détour : une dizaine                           minaliser les opposant·es             ploiement de l’agriculture paysanne          pagnes pour réussir ce plan : il
de participant.es arrêté.es et                           à l’agro-industrie par sa             et biologique et la relocalisation de        nous faut un million de paysan·nes
mis.es en garde à vue, dont
                                                cellule autoproclamée Demeter                  nos systèmes alimentaires.                   pour répondre à l’urgence sociale
Khaled Gaiji, le président des
Amis de la Terre, et Aurélie
                                                (cf. dossier), que l’État, en coges-                                                        et climatique.
Trouvé, porte-parole d'Attac.                   tion avec la Fnsea, organise le                Agir rapidement                                Nous sommes conscient·es que
                                                maintien du statu quo au lieu                    En parallèle, l’urgence clima-             notre modèle agricole doit chan-
        Solutions                               d’engager la transition, nous avons            tique et écologique nous saute aux           ger pour répondre aux enjeux
La mission interministérielle                   décidé d’unir largement nos forces             yeux et nous appelle à agir rapi-            actuels : changement climatique,
sur le suicide des agriculteurs                 pour l’avenir de notre agriculture             dement et efficacement. En dix               effondrement de la biodiversité,
rendra ses recommandations                      d’ici 2030.                                    ans, nous nous devons de chan-               qualité de l’eau, alimentation de
dans cinq mois. C’est ce qu’a                     Dans les dix ans à venir, la moi-            ger de modèle social et écono-               qualité accessible à tou·tes, emploi,
indiqué le ministre de l’Agri-                  tié des paysan·nes partiront à la              mique pour répondre à cette                  rémunération paysanne… Nous
culture en remettant, le                        retraite. Sans installations à la hau-         urgence. Sobriété et relocalisation          nous devons d’y répondre.
10 mars, sa lettre de mission
                                                teur, nos territoires se videront et           sont indispensables pour atténuer              Les soutiens à l’agriculture indus-
au député Olivier Damaisin
                                                l’industrialisation poursuivra son             le changement climatique et                  trielle doivent cesser. Nous reven-
(LREM). Celui-ci a été chargé
d’enquêter sur la prévention
                                                œuvre destructrice de l’autono-                accroître la résilience de nos sys-          diquons une politique ambitieuse
et l’accompagnement des agri-                   mie, de la rémunération paysanne               tèmes alimentaires locaux pour y             d’accompagnement des paysan·nes
culteurs en difficulté. Le député               et de la planète.                              faire face.                                  à la transition agricole et alimen-
du Lot-et-Garonne a indiqué                       L’urgence sociale dans les cam-                Nous sommes collectivement                 taire, en commençant par la Pac
avoir connu de près le suicide                  pagnes est là ! Pourtant, si nous              convaincu·es que la solution est             et l’enseignement agricole. Ceci
paysan et s’est dit surpris                     relevons ce défi de l’installation,            de traiter conjointement urgence             afin de sortir les paysan·nes du
« qu’on puisse quasiment tous                   cette nécessité de transmettre peut            sociale et écologique en faisant             piège tendu par l’agro-industrie et
connaître cette situation et                                                                                                                les politiques mises en place depuis
qu’on ne trouve pas les solu-                                                                                                               cinquante ans. Cette évolution du
tions ». Sans doute que ça ne                                                                                                               modèle, proposée à tou·tes, répon-
résoudra pas tout, mais chan-
                                                                                                                                            dra aux enjeux de revenu paysan,
ger les politiques publiques qui
                                                                                                                                            de dynamique territoriale, aux
précipitent paysannes et pay-
sans dans la faillite, la préca-
                                                                                                                                            droits sociaux, à la santé des popu-
rité et le burn-out, ça pourrait                                                                                                            lations et de l’environnement, au
être une piste…
                                                                                                                                            climat et à la biodiversité. n

        Un chiffre
9 Français sur 10 qualifient les                                                                                                            Premiers signataires : Nicolas Girod,
paysan·nes d’« utiles » et                                                                                                                  porte-parole de la Confédération pay-
                                                                                                                                            sanne, Jean-Marie Le Boiteux, secré-
« courageux », ou encore de
                                                                                                                                            taire général du SNETAP-FSU, Cécile
« passionnés », sondage de
                                                                                                                                            Duflot, directrice générale d’Oxfam
Odoxa-Dentsu Consulting pour
                                                                                                                                            France, Anne-Laure Sablé, chargée de
franceinfo et Le Figaro, à la
                                                                                                                                            campagne Agriculture des Amis de
veille de l’ouverture du Salon
                                                                                                                                            la Terre, Jean-François Julliard, direc-
de l’Agriculture 2020. Parmi
                                                                                                                                            teur général de Greenpeace, Éric Bey-
les autres adjectifs utilisés, on               « Nous avons besoin de paysannes et de paysans nombreux dans nos campagnes pour
                                                réussir ce plan : il nous faut un million de paysan·nes pour répondre à l’urgence sociale   nel, porte-parole de Solidaires, Auré-
trouve aussi « sympathiques »                                                                                                               lie Trouvé, porte-parole d’Attac.
                                                et climatique. »
(77 %) et « proches des gens »
(70 %). Et donc certain·es
crient à l’« agribashing »…                     8   \ Campagnes solidaires • N° 360 avril 2020
Campagnes solidaires (Re)vivre ensemble en milieu rural - Confédération Paysanne
Écobrèves
                                                                                                                                       Écobrèves
                                                                                               Actualité                                       Prévisions
                                                                                                                                       Lors du colloque de l’innova-
                                                                                                                                       tion céréalière, Phloème (29
                                                                                                                                       et 30 janvier), les effets mar-
Fruits et légumes                                                                                                                      quants du réchauffement cli-
                                                                                                                                       matique dans les années à

Le tomatovirus, un grand danger                                                                                                        venir ont été mis en avant. Il
                                                                                                                                       faut s’attendre à une recru-
                                                                                                                                       descence          d’événements
pour les cultures de tomate                                                                                                            extrêmes pour toute la France.
                                                                                                                                       Les vagues de chaleur seront
Une histoire presque banale,                Où est la logique ? Plus l’indus-      vement adaptée. La Confédéra-                       plus longues en durée et en
                                                                                                                                       intensité, tout comme les
ou quand les cultures                     trie standardise, plus elle simpli-      tion paysanne a donné son aval
                                                                                                                                       vagues de froid. Les pluies
industrielles essaiment                   fie le vivant et plus celui-ci lui       à ce programme, sous condition
                                                                                                                                       exceptionnelles d’hiver ne
de nouveaux virus. Cette                  répond !                                 d’une cotisation spécifique (dont                   seront plus limitées aux Pyré-
fois-ci, ce sont les tomates                Très vite, la « profession » se sai-   les modalités restent à définir)                    nées et au Sud-Est. Leur fré-
qui sont en danger, menacées              sit du sujet, tant l’organisation de     proportionnelle au chiffre d’af-                    quence et leur durée augmen-
par un virus provenant                    productrices et producteurs              faires.                                             teront. La sécheresse gagnera
des serres de culture                     impactés (OP) que l’interprofes-           La où en tant que syndicalistes                   du terrain : la Nouvelle Aqui-
intensive du Moyen-Orient.                sion nationale des fruits et légumes     paysans nous sommes circons-                        taine et l’Occitanie seront par-
                                          (Interfel).                              pects, c’est sur la mise en place du                ticulièrement touchées. La

E
      n 2014 apparaît un nouveau            Le virus se propage d’un pays à        plan de lutte et sur les méthodes                   sécheresse d’automne sera plus
      virus dans des serres israé-        l’autre, comme on l’a vu par les         de prévention annoncées qui sont                    importante au Nord, la prin-
      liennes sur des variétés            plants et les semences, mais aussi       inadaptés aux fermes diversifiées,                  tanière et l’estivale s’étendront
hybrides de tomates. Il impacte la        par les cageots, les palettes, les       en circuit court notamment :                        partout. Les risques d’incen-
culture en la rendant invendable.         vêtements, etc. Le risque de pro-        rédaction d’un plan de culture                      die vont croître de 40 % au
Il se répand rapidement dans              pagation à toutes les serres de          doublé d’un plan de circulation                     Sud et frapperont des zones
                                                                                                                                       jusqu’à maintenant non
d’autres pays, compte tenu de l’ho-       tomates, quel qu’en soit leur mode       des personnes et des cageots dans
                                                                                                                                       concernées…
mogénéisation des modes d’ob-             de production, est bien réel.            la ferme…
tention des semences et des modes           Il a été acté que le ministère           À moyen terme, c’est-à-dire dès                      Procrastination
intensifs de culture.                     français de l’Agriculture devait         la saison 2021, le ministère devra                  D’après une étude réalisée par
  Le virus atteint le territoire métro-   mettre en place un plan de lutte         avoir impulsé une politique de                      le cabinet Carbone 4 pour les
politain français en ce début d’an-       et, qu’étant donné qu’aucun trai-        relocalisation (que nous prônons                    organisations à l’origine de l’Af-
née 2020. Il arrive d’abord dans des      tement n’existe, une indemnisa-          depuis toujours) de toute la                        faire du siècle (Notre affaire à
serres bretonnes hors sol, par des        tion des producteurs et produc-          filière, de la semence à la distri-                 tous, la Fondation pour la
plants britanniques issus de              trices devait être effective. Pour       bution.                                             Nature et l’Homme, Green-
semences vraisemblablement néer-          ce faire, les dirigeants du Fonds          Au plus vite, pour enrayer la dif-                peace et Oxfam), la France
landaises ou péruviennes…                 national agricole de mutualisation       fusion de cette maladie, il est                     n’atteindra pas la neutralité
                                          sanitaire et environnemental             nécessaire d’interdire l’importa-                   carbone avant 2085, si l’on
                                          (FMSE) se sont réunis lors du            tion des plants pour les jardine-                   considère la réduction
  Redoutable pour                         Salon de l’Agriculture, fin février,     ries, dont le potentiel de dissé-                   moyenne de ses émissions sur
  les cultures à haute                    et ont acté qu’une « cotisation          mination du virus en plein champ                    la période 2011-2017. Dans la
  densité                                                                                                                              nouvelle version de la Straté-
                                          volontaire étendue » sera lancée         est considérable et pourrait ruiner
  On l’a baptisée Tomato brown                                                                                                         gie nationale bas carbone
                                          pour éviter qu’un trop grand             toute mesure de biosécurité prise
  rugose fruit virus (ToBRFV). Chlo-                                                                                                   (SNBC), dont la consultation
                                          nombre de producteurs et pro-            par ailleurs. n
  roses, mosaïques et marbrures                                                                                                        s’est terminée début mars, le
                                          ductrices soit en difficulté. Cette                        Jonathan Chabert,
                                                                                                                                       gouvernement a fixé l’objectif
  sur les feuilles des plantes, tâches
  nécrotiques sur les pédoncules,         réaction à court terme est relati-               paysan dans les Côtes-d’Armor               de neutralité pour 2050. Or,
  déformation des fruits, symp-                                                                                                        en 2020, le volume d’émis-
  tômes de rugosité… La liste des                                                                                                      sions projeté aurait déjà été
  conséquences de cette maladie                                                                                                        atteint le 5 mars, d’après les
  virale sur les plants de tomate et                                                                                                   études de Carbone 4. Une date
  leurs fruits est longue, rendant                                                                                                     que les associations nomment
  les produits invendables. Selon                                                                                                      « jour du dérèglement », et à
  l’Agence nationale de sécurité                                                                                                       partir duquel « l’État français
  sanitaire de l’alimentation                                                                                                          est donc à découvert climatique
  (Anses), le virus peut infecter jus-                                                                                                 et aggrave son impact sur le
  qu’à 100 % des plantes sur un
                                                                                                                                       dérèglement de la planète ».
  site de production, ce qui le rend
  redoutable pour les cultures à
  haute densité de plantation
                                                                                                                                               Un chiffre
  comme les cultures sous serre.                                                                                                       En 2018, le cap de 2 millions
  En revanche, il n’a pas d’impact                                                                                                     d’hectares cultivés en bio en
  sur l’homme. Mais le poivron et                                                                                                      France a été franchi, selon
  l’aubergine y seraient aussi sen-                                                                                                    l’Agence Bio. Ce qui représente
  sibles.                                                                                                                              7,5 % de la surface agricole,
                                                                                                                                       contre 6,5 % en 2017. Il oscil-
                                                                                                                                       lerait entre 8 % et 9 % fin
                                                                      Campagnes solidaires • N° 360 avril 2020 / 9                     2019.
Campagnes solidaires (Re)vivre ensemble en milieu rural - Confédération Paysanne
Écobrèves

                                       Écobrèves
    Quand l’homme                                  Actualité
     favorise les
      épidémies
C'est le titre d'un article paru en
septembre 2014 sur le site
d'info du Centre national de la
                                                   Quand l’argent public finance de très
recherche scientifique (CNRS) (1),
interview du biologiste Fran-                      controversés élevages industriels
çois Renaud. On y apprend ou
rappelle ceci (extrait) :
«Il y avait un milliard d’individus
                                                   de poulets
en 1800, il y en a aujourd’hui
                                                   Le conseil régional de Bretagne soutient financièrement la filière avicole industrielle, au nom
sept milliards, et l’on parle de                   de l’emploi et en souhaitant orienter la production vers une meilleure qualité. Mais ce sont
neuf milliards demain… Pour les                    surtout les industriels qui en profitent et les paysan·nes restent coincé·es dans un modèle
nourrir, on a généralisé l’élevage                 instable, aux conséquences écologiques et sociales négatives.
industriel intensif partout sur la
planète. Ce faisant, on a consti-

                                                   L
                                                         e 5 octobre dernier, 300 per-      en liquidation judiciaire. La col-       ses prix, et le rémunérera. En choi-
tué une niche écologique rêvée
                                                         sonnes sont rassemblées            lectivité est actionnaire à hauteur      sissant ce modèle, l’agriculteur
pour les pathogènes. Prenez
H5N1, le virus de grippe aviaire                         devant la mairie de Néant-         de 5 % – participation qu’elle por-      arrête de cultiver ses six hectares
apparu en Asie dans les années                     sur-Yvel, dans le Morbihan. Elles        tera à 33 % d’ici 2021, soit 2 mil-      de terres servant à alimenter ses
1990, avant de défrayer la chro-                   manifestent leur inquiétude face         lions d’euros –, aux côtés du groupe     poulets et à composter les
nique en Europe dans les années                    au projet agro-industriel d’un           sarthois LDC, leader européen dans       effluents. Ceux-ci seront désor-
2005-2006. À l’origine, H5N1                       jeune agriculteur local qui compte       la production de volaille, de l’im-      mais exportés par camion par la
est un virus d’oiseau extrême-                     multiplier par cinq la capacité de       portateur saoudien Al Munajem et         société Terrial, une filiale com-
ment virulent, mais peu efficace
                                                   son élevage, de 40 000 à 192 500         de deux coopératives agroalimen-         mune au groupe Avril. Le projet
à l’état sauvage : il tue son hôte,
l’oiseau, très rapidement – d’où                   poulets. La fébrilité est palpable :     taires, Terrena et Triskalia.            devient complètement hors sol.
une transmission à d’autres hôtes                  un autre éleveur de volaille de la         L’objectif : reconquérir le marché       « Bien sûr, il vaut mieux faire de la
limitée. C’est l’élevage indus-                    commune, en grande difficulté            français, malmené par la concur-         volaille chez nous de manière maîtrisée
triel qui a créé les conditions de                 économique, s’est donné la mort          rence venue d’Europe de l’Est. La        que d’importer des produits faits n’im-
son succès, grâce à une concen-                    la semaine précédente. Une               Bretagne fournit déjà 40 % de la         porte comment en Ukraine, déplore
tration exceptionnelle d’oiseaux                   minute de silence précède la prise       production nationale de volaille de      Arnaud Clugery, président d’Eaux
et une promiscuité des volatiles
                                                   de parole de la Confédération pay-       chair. L’arme de cette reconquête        et Rivières de Bretagne. Mais nous
favorisant la transmission du
virus. Le passage à l’homme,                       sanne qui dénonce le piège du            est la Société bretonne de volaille      aurions préféré un plan national qui
malgré la barrière inter-espèces,                  surendettement dans un système           (SBV), crée par LDC pour porter          relocalise la production de volailles
a fini par se faire du fait de cette               d’élevage intensif. L’association        ses investissements dans la région,      au plus près des territoires en capa-
concentration de volailles en un                   Eau et Rivières de Bretagne, le col-     dont la construction d’un nouvel         cité de produire des céréales et de
seul endroit et de conditions                      lectif « Non à la ferme usine de         abattoir à Châteaulin (Finistère)        recevoir la matière organique, plutôt
sanitaires dégradées. C’est un                     Brocéliande », le syndicat Soli-         d’ici 2021, dans laquelle la région      que d’exporter les fientes dans les
jeu d’essai-erreur : en théorie, le
virus aviaire n’est pas transmis-
                                                   daires et le Collectif de soutien        investit pas moins de 12,7 millions      grandes plaines céréalières. »
sible à l’homme, mais à force                      aux victimes de pesticides dénon-        d’euros.                                   Pour la reconquête du marché
d’essayer, il finit par passer… Le                 cent également les impacts envi-                                                  intérieur, le conseil régional sou-
même scénario ou presque s’est                     ronnementaux de l’extension, sou-        « Construisez                            haite une « montée en gamme » : du
reproduit en 2009 avec le virus                    mise à une enquête publique.             des bâtiments, on va                     poulet lourd, pesant 2,1 kg contre
H1N1, apparu dans les élevages                       Outre sa taille industrielle, une      vous donner du travail »                 1,6 kg pour le poulet export dont
de porcs au Mexique. »
                                                   autre particularité du projet contro-      « Pour être compétitif, nous devons    la région s’était fait une spécialité,
Pour le biologiste : « On n’éra-
                                                   versé agace : il est en partie financé   être capables de produire bon et pas     surtout à destination du Moyen-
dique pas un pathogène, on
apprend à vivre avec. C’est un                     par le conseil régional de Bretagne      cher, explique Ronand Tonarelli, le      Orient. Cela implique des instal-
travail long et fastidieux (…) Pour                qui soutient allègrement la filière      directeur de SBV. La région nous         lations un peu moins low cost :
ce faire, il faut comprendre la                    volaille locale. 20 millions d’euros     accompagne parce qu’avec un nou-         lumière naturelle (fenêtres) à la
totalité des événements qui ont                    d’argent public y sont investis          vel outil d’abattage, on peut inciter    place des néons dans les bâtiments
conduit à son émergence (…)                        depuis 2018, à travers des prises        les éleveurs à investir et nous enga-    d’élevage, dalle de béton à la place
Cela demande une approche glo-                     de participation actionnariales, la      ger sur le long terme, avec eux et les   de la terre battue et une durée d’éle-
bale des épidémies dans toutes
                                                   construction ou modernisation            banques, en disant : construisez des     vage qui va jusqu’à 40 jours, contre
leurs composantes, biologiques,
mais aussi environnementales et                    d’usines et différents investisse-       bâtiments, on va vous donner du tra-     20 jours pour le poulet exporté.
sociales. »                                        ments. La « ferme-usine » de             vail. » D’où le choix, malgré les          Ces arguments pour le poulet
(1) lejournal.cnrs.fr                              Néant-sur-Yvel a ainsi bénéficié         impacts environnementaux, de             made in France ont cependant du
                                                   d’une subvention de 50 000 euros.        financer aussi l’agrandissement          mal à passer. Les exportations sont
          Un chiffre                                 Cette politique publique inter-        d’élevages afin d’alimenter cette        au beau fixe, un an après la liqui-
88 % des Français·es préfèrent                     roge, d’autant qu’elle profite aussi     reconquête.                              dation judiciaire de Doux. 340000
le modèle des « petites exploi-
tations qui privilégient la qua-
                                                   à de gros industriels. La Région est       LDC est justement l’intégrateur        têtes sont abattues chaque jour à
lité des produits » à celui des                    ainsi actionnaire d’une entreprise       de l’éleveur portant le projet à         l’abattoir de Châteaulin, dans lequel
« grandes exploitations qui pri-                   agroalimentaire, Yer Breizh (« la        Néant-sur-Yvel. L’éleveur restera        la société saoudienne Al Munajem
vilégient la quantité pour res-                    poule bretonne »), créée en              propriétaire et investira en son         a augmenté son capital, passant de
ter compétitives » (sondé·es                       décembre 2018 pour reprendre les         nom propre, LDC lui vendra les           100 000 à 5 millions d’euros. La
par Odoxa-Dentsu Consulting                        activités du groupe volailler Doux,      poussins et les aliments en fixant       région y a également injecté 1,2 mil-
pour franceinfo et Le Figaro, à
la veille de l’ouverture du Salon
de l’Agriculture 2020).                            10 \ Campagnes solidaires • N° 360 avril 2020
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