DEUTSCHE BILDER - EINE SPURENSUCHE
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P. 3 — En Filigrane Sabrina Biro P. 26 — P. 5 — Une évolution logique Nothing can stop me now P. 6 — Eva Leitolf Deutsche Bilder – eine P. 30 — Yannic Bartolozzi Toblerone Spurensuche Alizé Hafner P. 34 — Inventaire P. 38 — Filipe Borges Le projet loup P. 16 — En Filigrane P. 18 — Bérénice Mercier En Campagne P. 42 — Diego Saldiva Bye Bye Brazil P. 22 — Antoine Bruy Desires P. 46 — Remerciements Partenaires P. 47 — Impressum
En Filigrane Le projet Spurensuche (à la recherche des traces) propose d’aborder un champ élargi de la photographie, en interrogeant le dialogue du texte et de l’image. L’enquête mémorielle sert de fil conducteur. Dans une évocation de l’oubli et de l’absence, les étudiant(e)s ont rassemblé des fragments de mémoire liés au territoire suisse ainsi qu’à l’intimité de sa population. Cette documentation (images, textes et archives) aborde le souvenir par allusion, par touches imperceptibles, en écho à la démarche d’Eva Leitolf — Ariane développée dans Deutsche Bilder – eine Spurensuche (2006-2008). Le Pollet contenu visuel de cette série se réduit à des paysages vides et silencieux, Historienne de la photographie, Doctorante FNS à l’Université d’apparence anodine. Combinées à des textes retraçant méticuleuse- de Lausanne. Chargée d’un ment le déroulement factuel et le traitement judiciaire d’une criminalité atelier d’écriture avec les étu- diants pour En Filigrane. raciste latente, ces images prennent un tout autre sens, de l’anonymat on bascule dans le lieu de mémoire, le silence devient critique sociale, la tension s’insinue dans le calme apparent. L’espace, la nuance entre l’évocation et l’oubli, entre ce qui peut être vu et ce qui est laissé à l’imagination a permis aux étudiant(e)s d’aborder des sujets aussi variés que des faits de société (guerre mondiale, ges- tion du loup en Valais), des stéréotypes (immigration, maisons closes) ou l’intime (corps, grenier d’une maison), dans une perspective commune d’engager une réflexion sur la naissance de la signification et les possi- bilités du langage visuel. Attiré par le battage médiatique et l’effervescence suscitée par la présence du loup en Valais, Le projet loup de Filipe Borges développe un point de vue personnel et articule le clivage nature/culture, authentique/ artificiel, dans une enquête sur l’impact de cette présence sauvage dans un milieu naturel tout à fait exploité et dominé par l’homme. Proche de l’archéologie du quotidien, la démarche d’Alizé Hafner sonde les strates de son histoire familiale. Comme un album de famille, Inventaire aborde le souvenir par l’objet, et plus particulièrement par son accumulation. Le geste photographique se fait instrument de conserva- tion capable de cartographier une vie révolue, entassée dans un grenier. La série Nothing can stop me now de Sabrina Biro se tourne aussi vers l’inventaire pour se réapproprier une part de son intimité, évoquer un passé attaché à des lieux, des objets, que la pratique photographique matérialise et réactualise. Ici, les lieux de vie deviennent des lieux de mémoire vive. Dans le sillage du style documentaire (frontalité, rigidité du cadrage, sobriété), la série Desires d’Antoine Bruy enquête sur les salons de mas- sage en milieu urbain et résidentiel. Abordés sous l’angle de l’hétérotopie (utopie réalisée), ces lieux marquent une césure, un temps d’arrêt, bien qu’immergés dans un quotidien des plus courants. Diego Saldiva interroge le stéréotype culturel et identitaire. Bye Bye Brazil capte la vie d’immigrés brésiliens en Suisse et interroge la perti- nence du recours à la caricature dans le processus d’intégration. Tandis que Bérénice Mercier suit la démarche des Spurensuche, dans la région de Vallorbe, zone de passage durant la Seconde Guerre mondiale et à l’heure actuelle avec la présence du Centre d’enregistre- ment pour requérants d’asile. En Campagne, présente deux temporalités simultanées, un présent photographié qui bascule dans le passé par l’in- termédiaire du texte.
Enfin, Yannic Bartolozzi traque un objet insolite : le Toblerone – bar- rage antichars en béton armé en forme de pyramide (d’où son assimila- tion au chocolat du même nom). Paradoxalement ces reliques obsolètes de la Seconde Guerre mondiale s’illustrent par leur intégration tant en milieu rural qu’urbain et questionnent notre rapport au territoire ainsi qu’au temps. À la manière de certains procédés optiques, les démarches envisa- gent le texte et l’image comme un tout et l’aborde à travers une vision binoculaire, soit dans une juxtaposition de deux entités planes (texte et image) qui finissent par se superposer et générer une troisième image en relief. Ici, la figure du spectateur se fait primordiale, en tant que récepteur de ces souvenirs ; son rôle est de générer cette image en relief, de se l’approprier et de la reformuler en y ajoutant des pans de sa propre ex- périence. L’évocation de la mémoire implique une communication avec l’autre, une transmission, un partage qui réactualise ce passé oublié. L’intérêt du projet se situe à plusieurs niveaux : enquête mémorielle poursuivie au fil des mois, rédaction d’une documentation, échange avec le spectateur, autant de démarches artistiques qui viennent se réunir et se prolonger dans l’élaboration de l’exposition : En Filigrane, Photoforum- PasquArt à Bienne. Cet événement fédérateur et collectif incite les étu- diant(e)s à réfléchir et à s’investir dans le processus de monstration jus- que dans ses moindres détails — de la production des séries de tira- ges jusqu’à leur accrochage, en passant par le respect des délais et la collaboration avec d’autres étudiant(e)s ainsi que des professionnels du domaine — avec toutes les joies et les difficultés qu’une telle aventure réserve. — AP Ce projet En Filigrane est une aventure pédagogique dans le sens où les étudiant(e)s ont participé à toutes les étapes du processus d’élabora- tion de la publication et de l’exposition. Le choix des images, l’élaboration du budget, la rédaction du texte — Virginie de présentation, la mise en page de la publication, la réalisation de la Otth maquette d’exposition, des impressions, et au final l’installation dans Enseignante à l’Ecole de photographie l’espace, toutes ces étapes ont été suivies par des professionnels et des de Vevey / CEPV enseignant(e)s afin de donner aux étudiant(e)s une expérience réaliste de l’ensemble des processus. Il est parfois paradoxal d’allier une expérience pédagogique et une logique de production, où le résultat prime sur la démarche. Je remercie en ce sens : Ariane Pollet qui a aidé les étudiant(e)s pour l’écriture de leur texte, Ann Griffin et Nicolas Jeanmairet pour les quel- ques jours qu’ils ont passés avec les étudiant(e)s afin de concevoir la mise en page de cette publication, et bien sûr Eva Leitolf qui a suivi de très près tous les travaux et qui a été en contact de manière permanente avec eux pendant près de neuf mois, des premières pages de la publica- 4 CEPV (2010) — En Filigrane tion jusqu’à la mise au mur. — VO
Une évolution logique Quel est le rôle du PhotoforumPasquArt dans le projet En Filigrane ? Pour y répondre, un détour historique est indispensable. Le PhotoforumPasquArt de Bienne se définit comme une plateforme dédiée à la photographie contemporaine, un laboratoire de réflexion sur son évolution et son positionnement dans le monde de l’image. Née en 1984 d’une initiative visionnaire, cette association s’est attachée dès ses débuts à faire connaître une discipline qui était alors largement négligée et à révéler son rôle capital dans le renouvellement de la représenta- — Daniel tion visuelle. Le public a pu ainsi s’initier à la photographie à travers des Mueller expositions célébrant son histoire tout en valorisant la richesse de ses Directeur du PhotoforumPasquArt pratiques. En 25 ans d’activité, le PhotoforumPasquArt a donc contribué à dessiner, en plus de 200 expositions individuelles, monographiques et thématiques, un panorama pluriel et innovant de la photographie. Il a ac- quis une position d’envergure nationale avec une devise fondamentale : susciter l’éveil du regard. Au cours de son évolution récente, le PhotoforumPasquArt a mis l’ac- cent sur le soutien aux talents émergents pour lesquels il joue un rôle de tremplin. Cette orientation se reflète dans le programme annuel où figu- rent de jeunes artistes qui ont l’opportunité d’une première exposition significative. Brigitte Lustenberger, Raphael Hefti, Pétur Thomsen, Rolf Siegenthaler, Anne Golaz, Augustin Rebetez ou encore Mirko Martin sym- bolisent quelques exemples de cette politique. Elle s’incarne aussi à tra- vers le partenariat étroit avec les Journées photographiques de Bienne : depuis 2005 la galerie biennoise contribue à la thématique du festival en produisant le travail d’une jeune créatrice ou d’un jeune créateur qui se voit ainsi offrir une visibilité précieuse. Enfin, cet effort s’exprime au moyen de l’exposition-concours SELECTION | AUSWAHL & Prix Photo- forum. Cette manifestation nationale permet aux photographes de sou- mettre des travaux qui sont sélectionnés par un jury indépendant. Et le Prix Photoforum, distinction d’encouragement, récompense la meilleure proposition avec un montant de CHF 5’000.–, ce qui le place parmi les prix importants pour la photographie en Suisse. Le projet En Filigrane, mené en partenariat avec la Formation su- périeure de l’Ecole de Photographie de Vevey et l’artiste allemande Eva Leitolf, s’inscrit logiquement dans l’évolution du PhotoforumPasquArt. Il s’agit pour lui d’une collaboration sans précédent qui lui permet d’of- frir un cadre de qualité et des conditions « réelles » à une classe de la Formation supérieure pour la mise en valeur d’un projet pédagogique ambitieux. Ce soutien est non dénué d’une certaine prise de risque qui doit être inhérente à la politique d’un espace destiné à la promotion de la photographie. Montrer des travaux personnels qui sont le fruit d’un cheminement intense, engagé et sincère constitue cependant un privi- lège. Et la démarche prend un supplément de sens lorsque les travaux des étudiant(e)s côtoient ceux d’une intervenante comme Eva Leitolf, en l’occurrence la remarquable série Deutsche Bilder – eine Spurensuche. Le PhotoforumPasquArt est particulièrement heureux d’avoir pu contribuer à la réalisation du projet En Filigrane dont la présente publica- tion constitue une indispensable trace. Il tient à remercier les personnes de la Formation supérieure du CEPV qui en ont assuré l’encadrement, à savoir Léonore Veya, Virginie Otth et Nicolas Savary. Il n’oublie pas bien sûr Eva Leitolf, dont la compétence et l’élan ont rendu cette aventure possible. — DM
Mit ihrem zwischen 1992 und 2008 ent- standenen Werkkomplex Deutsche Bilder – eine Spurensuche setzt sich die Fotografin Eva Leitolf mit fremdenfeindlich motivierten Gewalttaten in Deutschland und dem gesell- schaftlichen Diskurs zu diesen auseinander. Ihre Anfang bis Mitte der 1990er Jahre entstandenen Bilder zeigen Tatorte von Anschlägen, Sympathisanten im Umfeld und unbeteiligte Zuschauer. Als Eva Leitolf diese Arbeit 2006 wieder aufnimmt, reduziert sie die Bildinhalte auf die Orte des Geschehens und verbindet sie mit akribisch recherchierten Texten zum Tathergang sowie der juristischen, medialen und politischen Aufarbeitung. Ihre als Langzeitstudie konzipierte Arbeit hinterfragt den gesellschaftlichen Umgang mit fremden- feindlich motivierter Gewalt und lotet zugleich die Möglichkeiten und Grenzen des Abbildba- ren aus. Bei SNOECK/Köln ist ein gleichnamiges Fotobuch erschienen. Dans sa série Deutsche Bilder – eine Spu- rensuche (Images d’Allemagne – à la recherche de traces) réalisée entre 1992 et 2008, la photo- graphe Eva Leitolf traite des actes de violence de nature xénophobe en Allemagne et du discours social qui en découle. Les premières photographies prises jusqu’au milieu des années 1990 montrent le théâtre des attentats, des sympathisants et des curieux aux alentours. Lorsque l’artiste reprend ce travail en 2006, elle réduit le contenu de ses images à la simple représentation des lieux qu’elle relie à des textes retraçant méticuleusement le dérou- lement des faits ainsi que leur traitement poli- tico-judiciaire et médiatique. Ce projet de longue durée questionne le rapport de la société à la cri- minalité raciste et explore les limites des capaci- tés d’évocation de la photographie. Un ouvrage éponyme est paru aux éditions SNOECK/Köln.
Althaldensleben („Olln“), 2007 Am 12. Dezember 2006 werden sechs im Stadtteil aufgeklebte Plakate mit dem Wortlaut „Alles was nicht weiß ist muss draußen bleiben“ und „Olln bleib sauber!!“ sichergestellt. Das Ermittlungsverfahren wird wegen des Verdachtes auf Volksverhet- zung gegen Unbekannt geführt und Anfang 2007 der Staatsanwaltschaft Magdeburg übergeben. Althaldensleben (« Olln »), 2007 Le 12 décembre 2006, six affiches ont été placardées dans le district d’Althaldens- leben. Elles portaient les messages suivants : « Toutes les personnes de couleur dehors ! » et « Gardons Olln propre ! ». Une investigation a été menée contre X pour incitation à la haine raciale et les résultats ont été présentés au procureur de Magdeburg début 2007. 8 CEPV (2010) — En Filigrane
Schöna, Sächsische Schweiz, 2006 In der Gemeinde Reinhardtsdorf- Schöna erhält die NPD bei der Landtagswahl 2004 23,1% der Stimmen. Sie pflegt laut Presse- berichten enge Verbindungen zur verbotenen SSS (Skinheads Sächsische Schweiz), einer Gruppe, die sich zum Ziel gesetzt hat, die Ge- gend „ausländerfrei“ zu machen. Schöna, Sächsische Schweiz, 2006 Lors des élections de 2004 en Saxe, le parti fasciste national démocrate a obtenu 23,1% des suffrages à Reinhardtsdorf-Schöna. D’après un article de presse, ce parti entre- tient des contacts étroits avec le groupe illégal SSS (Sächsische Schweiz Skinheads), qui s’est fixé l’objectif de débarrasser la région des étrangers. 10 CEPV (2010) — En Filigrane
Kreisverkehr, Oschersleben, 2007 Ein vietnamesischer Imbissbetreiber wird am 5. August 2006 von vier jungen Männern zum Anhalten gezwungen. Ihm wird mit dem Tod und mit einem Anschlag auf seinen Imbiss gedroht. Die Männer beschädigen seinen Kleintransporter mit Fußtritten und Flaschen. Da dem Angegriffenen die Flucht aus dem Kreisverkehr nicht gelingt, startet er durch und fährt dabei einen Täter an, der leicht verletzt wird. Der Vietnamese fährt sofort zur Polizei und zeigt den Vorfall an. Gegen die Männer, die unter Alkoholeinfluss standen, werden Ermittlungsverfahren wegen Bedrohung, Nöti- gung und Sachbeschädigung eingeleitet. Zwei erwachsene Täter werden zu einer Geld- strafe von 60 beziehungsweise 40 Tagessätzen von je 10 Euro verurteilt. Einer legt dagegen Berufung ein. Der beteiligte Jugendliche wird verwarnt und muss 250 Euro Schadenswieder- gutmachung an das Opfer zahlen. Rond-point, Oschersleben, 2007 Le 5 août 2006, le propriétaire d’un res- taurant traiteur vietnamien a été contraint de stopper son van par quatre jeunes hommes le menaçant de mort et d’attaquer sa boutique. Les agresseurs ont endommagé le van avec des bouteilles et des coups de pied. La victime, après avoir en vain essayé de sortir du rond- point, a appuyé sur l’accélérateur, heurtant et blessant légèrement l’un des agresseurs. L’homme vietnamien a tout de suite rapporté l’incident à la police. Une enquête a été ouverte contre les hommes qui étaient sous l’emprise de l’alcool, pour menace, intimidation et dommages criminels. Deux adultes ont été condamnés à des amendes de 600 € et 400 €. L’un a fait appel de son jugement. Un mineur a reçu un avertissement et a été condamné à payer des dommages et intérêts de 250 € à la victime. 12 CEPV (2010) — En Filigrane
Teichanlage, Viersen, 2007 Ein 22-Jähriger erklärt bei der Polizei in Viersen, er sei am 10. Juli 2006 von vier jungen Männern wegen seiner Hautfarbe beleidigt und angegriffen worden. Ihm sei es gelungen, sich erfolgreich zur Wehr zu setzen und zu fliehen. Der Staatsschutz der Mönchenglad- bacher Kriminalpolizei nimmt die Ermittlungen auf, kann aber keine Täter ermitteln. Étang, Viersen, 2007 Un homme de vingt-deux ans s’est plaint à la police de Viersen d’avoir été insulté ver- balement et agressé physiquement le 10 juillet 2006 par quatre jeunes hommes, du fait de sa couleur de peau. Il a déclaré avoir réussi à se défendre lui-même et à s’enfuir. Le département de sécurité publique de la police de Mönchen- gladbach s’est chargé de l’enquête mais n’a pas été en mesure d’identifier les auteurs de l’agression. 14 CEPV (2010) — En Filigrane
Eva Leitolf Deutsche Bilder – eine Spurensuche, 2006-2008 24 c-prints, 81 x 69 cm, encadrées, palette, text folders Traduction en français : Pyramid Copyright Eva Leitolf — www.evaleitolf.de
étudiant(E)s de 2 ème année 1 en Formation supérieure en Photographie, école de photographie de Vevey / CEPV 2 — En 3 Filigrane 4 5 6 7 16 CEPV (2010) — En Filigrane
— Bérénice Mercier En Campagne — Antoine Bruy Desires — Sabrina Biro Nothing can stop me now — Yannic Bartolozzi Toblerone — Alizé Hafner Inventaire — Filipe Borges Le projet loup — Diego Saldiva Bye Bye Brazil
En Campagne 1 L’opération Tannenbaum était le 3ème plan d’invasion de la Suisse établi par l’Oberkommando Der Wehrmacht (Grand Quartier Général alle- mand). Après l’invasion de la France en 1940, les troupes se sont arrêtées à la frontière suisse, et l’ordre d’exécution de l’opération n’a jamais été donné. Le 17 juin 1940, mon grand-père a rencontré des soldats de la Wehr- macht au col de Jougne. Ils ont conversé des deux cotés d’une barrière. La même année, les vaches qui passaient la douane étaient fouillées. — Bérénice Mercier Il y a un fort situé à 521’385/173’561 selon les coordonnées suis- ses qui a été construit entre 1937 et 1939. Il était composé de six bloc- khaus à une casemate, mais a conservé l’aspect extérieur d’un chalet de montagne. Vingt-trois bunkers de béton armé s’étendent au Nord-Est de Vallorbe sur environ 8 kilomètres. Depuis le 13 novembre 2000, 37’000 requérants d’asile sont passés par le centre d’enregistrement et d’office de Vallorbe. Il y a cinq centres de ce type sur le territoire helvétique, tous situés à proximité de la fron- tière, et inscrits dans la loi sur l’asile. Tout est règlementé. La Blitzkrieg est une guerre éclair qui implique une invasion blindée du territoire par les routes. Le point le plus bas sur lequel se cartographie la frontière, aux alen- tours de Vallorbe, est à 519’423/176’120 selon les coordonnées suis- ses, et à 818 mètres au-dessus du niveau de la mer. C’est également le point de rencontre entre la route principale et la ligne frontière. — BM 18 CEPV (2010) — En Filigrane
20 CEPV (2010) — En Filigrane
Images tirées de la série « En Campagne » (2010) 12 impressions jet d’encre, 40 x 40 cm, encadrées Vitrine comprenant le journal de recherche, une carte d’identité et une carte géographique
Desires 2 Desires est le titre d’une série consacrée aux salons de massages, ter- me ambigu et politiquement correct qui prête souvent à confusion pour désigner ce que l’on nomme plus communément des maisons closes. Adoptant une démarche de style documentaire, j’ai choisi de photo- graphier les chambres vides de toute présence humaine. Les images sont frontales et empruntent à première vue une rigidité familière, celle de l’école de Düsseldorf. Ce travail semble m’avoir propulsé dans la peau d’un photo- graphe sociologue qui aurait pour seule exigence une approche scientifique — Antoine et systématique. Bruy Dans ces photographies, il est frappant de constater que ces lieux aux couleurs criardes, aux intérieurs parfois surchargés, nous paraissent inuti- lisés, dépourvus des traces qui témoigneraient d’un quelconque passage. Le kitsch est à son comble, pourtant, le spectateur pourrait être troublé par la froideur qui se dégage de ces chambres où des hommes en manque d’amour et de sexe viennent s’abandonner l’espace d’un quart d’heure. Il est évident que le dispositif employé (utilisation du flash) joue un rôle ; celui d’éclipser les ambiances tamisées qui sont de rigueur et de mettre en valeur les détails les plus infimes. L’impression est mitigée ; difficile de dire où nous nous trouvons. Petit à petit, des éléments s’accordent : un mi- roir au plafond, une lampe de chevet racoleuse, une photographie de deux femmes nues qui s’enlacent, flanquée au-dessus d’un lit. Ce n’est qu’après une inspection minutieuse que le doute laisse place à la certitude. Même ces endroits qui passent inaperçus la plupart du temps n’échappent pas aux stéréotypes, loin de là. Par contre, ces images viennent défaire un cliché répandu, celui qui prétend que la prostitution est sale, glauque, et pratiquée dans des chambres insalubres. Ce que ces images nous donnent à voir est au contraire d’une propreté digne des hôpitaux les plus stériles. Après avoir travaillé sur les salons, j’ai eu le souci de les recontextua- liser, de montrer le milieu qui les entoure, en associant des images des quartiers et des espaces intermédiaires : salles d’attentes, halls d’entrée et autres sortes d’antichambres. En effet, il me paraît intéressant d’insister sur le fait que ces lieux ne sont pas uniquement concentrés dans les « quartiers rouges » mais qu’ils sont situés n’importe où, qu’ils se mêlent incognito à notre vie de tous les jours sans que les « non initiés » ne se doutent de quoi que ce soit. Cette mise en relation suggère la co-présence de ces réalités, 1. Citation de de ces deux univers d’apparence antinomique et incompatible. Charles Perraton Le concept du poster comme objet de désir et de représentation des désirs s’est imposé pour l’exposition. Desires s’appuie sur la théorie des hétérotopies de Michel Foucault. Ce concept définit des lieux au sein de la structure sociale, simultanément phy- siques et mentaux, offrant une autre perception du temps et de l’espace et donc une nouvelle vision de la société. « En nous permettant de voir autre- ment l’espace auquel nous appartenons, l’hétérotopie nous plonge au cœur de l’expérience d’une inquiétante étrangeté. Elle propose une expérience qui permet de voir autrement et de transformer la réalité familière en un espace autre par la dramatisation du regard.1 » — AB 22 CEPV (2010) — En Filigrane
24 CEPV (2010) — En Filigrane
Images tirées de la série « Desires » (2010) 4 impressions jet d’encre, 120 x 80 cm, pliage poster 8 impressions jet d’encre, 60 x 40 cm, pliage poster
Nothing can 3 stop me now Des lieux Des lieux où je pouvais vibrer, me sentir exister, m’affranchir de l’autorité. Des lieux qui contrastaient avec ce qui m’entourait, qui bouleversaient — Sabrina de leur anarchie séduisante l’ordre et la rigueur que je ne pouvais plus Biro supporter. Des lieux où je pouvais valider, exprimer et vivre ce qui se passait au plus profond de moi, cette révolte que je ne pouvais plus contenir, qui n’en pouvait plus d’être muselée. Des lieux où j’étais fascinée par ce qui s’y passait et les gens qui y évo- luaient, des gens auxquels je pouvais m’identifier, auxquels je voulais m’identifier et auxquels je voulais ressembler. Des lieux qui sentaient la liberté, la liberté de faire ce que l’on veut, d’être qui l’on veut, de porter ce que l’on veut, de dire ce que l’on veut, de pen- ser ce que l’on veut, quand on le veut et comme on le veut. Parfois, la liberté de ne vivre de rien, de n’avoir besoin de rien et d’en être satisfait. La liberté d’envoyer tout chier, de cultiver la contradiction, de revendiquer la différence, par principe… et s’en faire une raison de vivre. Des lieux où j’avais l’impression d’accéder à moi-même. Des objets Des objets qui étaient les symboles de cette liberté, qui définissaient cet état que je voulais atteindre. Des objets qui étaient des prolongements de moi-même, qui consti- tuaient mon identité et qui la définissaient. Des objets qui me permettaient d’afficher ma révolte, de la revendiquer. Des objets qui s’exprimaient à ma place ou avec moi. Des objets qui me permettaient de m’identifier aux uns et de me démar- quer des autres. Des objets qui semblaient me procurer une sensation de liberté, qui me permettaient de la palper, de la rendre réelle et accessible comme pour m’assurer qu’elle était bien là. Des objets dont j’avais besoin pour me sentir libre, comme si l’habit fai- sait le moine et que cela pouvait suffire. Des images Des images et un geste, le geste photographique. Un besoin compulsif de fixer le monde qui m’entourait, comme pour le valider, m’assurer qu’il était bien tel que je le percevais. Pour en garder une trace, pour témoigner, comme si j’avais conscience que tout pouvait m’échapper d’un instant à l’autre. Pour rendre le monde supportable et acceptable. Pour le comprendre et lui donner du sens. Pour reprendre le contrôle ou ne pas le perdre. Pour recouvrer la raison et ne pas succom- ber à la folie. Pour reprendre cette liberté qui m’avait échappé ou me convaincre qu’elle était toujours là. — SB 26 CEPV (2010) — En Filigrane
Images tirées de la série « In the flesh : 2003-2010 »
1 28 CEPV (2010) — En Filigrane
2 1. « Discman : 1995-2006 » (2010) 2. « Montreux Jazz Festival : 1999-2004 » (2010) Impression sur blueback, 200 x 200 cm, nombre variable vitrines avec tirages jet d’encre, tirages argentiques et polaroïds.
Toblerone 4 « Toblerone », célèbre pyramide en chocolat, est aussi le nom romand donné à un type spécifique de barrages antichars utilisé dès la Seconde Guerre mondiale. Il s’agit de blocs de béton armé de 14 tonnes, géné- ralement coulés sur place et disposés stratégiquement en ligne. Ils cou- vrent la totalité du territoire suisse et parfois sur plusieurs kilomètres. Ils créent un obstacle de terrain artificiel capable de stopper l’avancée de l’envahisseur lorsque le paysage ne présente aucune barrière naturelle. N’ayant jamais servis, mais ayant été longtemps entretenus, ces blocs — Yannic sont en excellent état de conservation, et pour des raisons esthétiques, Bartolozzi historiques, écologiques, touristiques et économiques, leur intégration est généralement préférée à leur destruction. Paradoxalement, bien que parfaitement obsolètes, ces blocs sont ancrés dans le paysage et dans la culture suisse, à tel point qu’ils font dé- sormais partie de notre quotidien. Ces vestiges de guerre sont présents dans des lieux aussi divers que les forêts, les bords de rivières, de part et d’autre des routes et des chemins de fer, et, plus curieusement, dans des parkings de centre commerciaux, au cœur de quartiers d’habitations et même dans des jardins privés. Dans ce travail, je m’intéresse à l’évolution du paysage et de la culture suisse autour de ces monuments qui n’évoluent plus depuis leur construction. Je me sers du médium photographique pour extraire ces vestiges du passé et pour les confronter au présent, afin de créer une tension temporelle qui met en valeur certaines notions telles que la créa- tion involontaire d’un monument historique et le devenir de nos construc- tions actuelles. — YB 30 CEPV (2010) — En Filigrane
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2 3 5 32 CEPV (2010) — En Filigrane 4
6 7 Série « Toblerone », mars à août 2010 1. Dans le lac (mai 2010) 2. Villa (mars 2010) 3. Réduit (mars 2010) 4. Parking (juillet 2010) 5. Propriété privée (août 2010) 6. Zone industrielle (juillet 2010) 7. Entrée (août 2010) Impressions jet d’encre, 45 x 56 cm, encadrées
Inventaire 5 Un peu à la manière d’une archéologue, je travaille ici sur la mémoire et l’héritage familial par le biais de la photographie. Ce médium me permet de rassembler des objets, des souvenirs et d’en faire un état des lieux, celui de mon galetas, où sont entreposées en vrac des reliques du passé, telles que des cadres, des jouets, des pou- pées ou encore de vieux gants de boxe en une panoplie d’objets aussi marquants qu’obsolètes. Dans « Inventaire », l’objet est en quelque sorte utilisé à l’instar d’une photo de famille, comme une trace visuelle tangi- — Alizé ble permettant de figer des bribes de mémoire. Par ailleurs, j’interroge Hafner également le changement apporté par le numérique dans la tradition du portrait de famille, désormais pixélisé, amassé et retenu dans l’ordinateur. La tension entre le patrimoine virtuel et le patrimoine physique m’incite à m’interroger sur le phénomène d’accumulation et de conservation qui touche de nombreux foyers. C’est un riche passé qui laisse des traces et qui raconte des tranches de vie. Mon approche est méthodique, j’organise ce lieu comme un site ar- chéologique, le divisant en zones. Les prises de vues sont effectuées sur la base d’un plan détaillé de la soupente, quadrillé de façon à pouvoir restituer les emplacements des différentes pièces qui sont regroupées, notifiées, inventoriées et classées. Le galetas est alors l’album de famille qui retient tout un passé que j’ouvre de façon à cartographier l’intime d’une vie entassée. La lumière est artificielle, à la façon du light painting, elle focalise l’objet et accentue l’impact de l’image. Le procédé numérique me permet d’obtenir des résultats instanta- nés. Cette rapidité d’exécution s’est affirmée par la construction d’un stu- dio sommaire à l’intérieur même du grenier, intensifiant ainsi le sentiment d’immersion dans le lieu. Par respect pour la démarche archéologique, les objets ont été ensuite remis minutieusement à leur place. Dans quelques mois, la plupart de ces objets aura été jetée, remet- tant en jeu la pérennité des souvenirs. Je souhaite en garder la trace et les façonner en nature morte avant qu’ils ne disparaissent. Il ne restera ensuite que cette empreinte photographique symbolisant leur propre fi- nitude. Pour souligner le travail de mémoire, chaque photographie est accompagnée d’une fiche technique de l’objet, décrivant ses caractéris- tiques. Cet objet-fiche possède une valeur égale à celle de la photogra- phie, c’est le lien, le trait d’union entre l’objet et la mémoire. — AH 34 CEPV (2010) — En Filigrane
Images tirées de la série « Inventaire » (2010)
36 CEPV (2010) — En Filigrane
Images tirées de la série « Inventaire » (2010) Nombre variable d’impressions jet d’encre et de listes sur papier recyclé, 14,8 x 21 cm, encadrées
Le projet 6 loup Ces dernières années, des loups ont régulièrement migré vers la Suisse depuis les Alpes françaises et italiennes. Leur réapparition sur le territoire helvétique et en particulier en Valais donne lieu à un débat survolté sur les mesures à prendre. Les décisions politiques de gestion — Filipe du loup votées par la Confédération tentent de rendre compatible la pro- Borges tection du loup et « l’élevage traditionnel d’animaux […] dans les régions de montagne, sans restrictions intolérables. » 1 Si l’on a parfois l’impression d’être entouré de paysages « sauva- ges » et de nature « vraie », les forêts et pâturages alpins sont rigoureu- sement entretenus pour maintenir les activités humaines en montagne. Comment, dès lors, la faune sauvage, les éleveurs, les chasseurs et les touristes arrivent-ils à cohabiter, malgré leurs intérêts parfois divergents et sur un espace disponible relativement réduit ? J’ai entrepris de m’infiltrer au cœur de cette problématique, malgré le fait qu’elle soit étrangère à mon mode de vie plutôt citadin. En en- quêtant sur la présence du loup dans les Alpes valaisannes, j’ai voulu confronter la représentation du paysage « naturel et authentique » inspi- rée par le travail de Nicolai Howalt 2, et la gestion scientifique et politique d’un territoire restreint et exploité. Ainsi, j’ai collecté des traces, interrogé des témoins, et écrit sur cette aventure dans un canton que j’ai souhaité apprivoiser par l’image. Naturellement, la représentation du loup, animal extrêmement furtif et rarement photographié dans son milieu naturel, donne lieu à des pro- jections, des récits légendaires et des discours écologiques stéréotypés et largement véhiculés par les mass médias. — FB 1. Plan loup, office fédéral de l’environnement OFEV, projet du 26.1.2004 2. HOW TO HUNT / Nicolai Howalt. 38 CEPV (2010) — En Filigrane
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En redescendant (en rampant tellement je suis essoufflé), il me raconte qu’il a vu un loup un jour. « Mais si j’avais su que c’en était un, je ne serais même pas descendu de la jeep ». Il avait cru que c’était un gros chien. Ils se sont regardés sans bouger et Fabrice est reparti. « Il n’avait pas l’air méchant, mais c’était impres- sionnant ». 2 LIDDES SAINT-MAURICE 05.06.2010 10.05.2010 Fabrice travaille au Service de l’Agricul- Je me décide à prendre la route pour Saint ture ; il est député au Grand Conseil valaisan Maurice. Je veux voir le loup exposé au Collège et est un passionné de chasse. On se donne de l’Abbaye. L’animal avait été abattu suite aux rendez-vous à sept heures du matin à Liddes, attaques dans le Val d’Illiez. Il avait été taxider- un village de montagne sur la route du Grand- misé et exposé là-bas en fanfare. Canal 9 était Saint-Bernard en direction de l’Italie. Il se même venu faire un reportage au collège… trouve que je n’ai dormi que trois heures la Je prends rendez-vous avec le recteur de l’école. nuit précédente. J’étais à la Fête de la Fleur Mais quand j’arrive, il n’y a ni recteur ni loup. d’Amigne. Cette fête réunit tous les encaveurs du village autour d’un cépage qui n’est pro- duit qu’à Vétroz : l’Amigne. J’ai eu toutes les peines du monde à me lever, mais je suis à l’heure. Fabrice m’attend au pas de la porte. Il fait à peine jour et le soleil est encore caché derrière les sommets. Il m’emmène dans une région qu’il qualifie de « garde-manger à loups ». En effet c’est un district franc fédé- ral, une sorte de réserve naturelle. C’est à la combe de l’A. On monte en jeep, et ensuite à pied jusqu’à la Tsissette. Il observe constamment et se tourne vers moi de temps en temps pour me dire : « Prends tes jumelles et regarde là-bas au-dessus du névé » en pointant du doigt la montagne. Mais je ne vois rien. Au bout d’un certain temps, je vois enfin une biche et c’est le déclic. A partir de là, je vois des bêtes partout ! Des marmottes, des biches, des chamois mais « pas assez, c’est anormal de voir si peu de chamoix à cette période de l’année, je me demande ce qui se passe ». On en voit pourtant un magnifique qui se cachait derrière un rocher et qui détale en sautillant quand on tente de s’en approcher. 40 CEPV (2010) — En Filigrane 3
Je parcours toute l’école à la recherche du MAYENS-DE-CONTHEY loup. Le recteur se trouve en réunion, d’après 31.07.2010 sa secrétaire. J’évite un peu les concierges, mais je finis Texte tiré du Livre de lecture des degrés élémentaires et moyens, écoles par leur demander de l’aide. Ils m’indiquent primaires du valais, 5ème édition, édité par le Département de l’instruction que l’animal est exposé près de la bibliothèque, publique du canton du Valais, 1948. dans le musée d’histoire naturelle de l’école. Il est bien là, au fond d’un couloir sans lumière. Avec mon amie, nous passons la soirée, dans son chalet, aux Mayens. J’y trouve un livre daté de 1948 destiné aux élèves du degré élémentaire de l’Ecole primaire en Valais. « Le loup a beaucoup de force. Il porte avec sa gueule un mouton, sans le laisser toucher à terre, et court en même temps plus vite que les bergers, en sorte qu’il n’y a que les chiens qui puissent l’atteindre et le forcer à lâcher prise. Lorsqu’on le tire et que la balle lui casse quelque membre, il crie et cepen- dant, lorsqu’on l’achève à coups de bâton, 1. Le Vèla, 08.07.2010 il ne se plaint pas comme le chien ; il est plus 2. Champi, 08.07.2010 dur, moins sensible, plus robuste ; il marche, 3. Fabrice, député au grand conseil valaisan, Liddes, 05.06.2010 4. Collège de l’Abbaye, St. Maurice, 10.05.2010 court, rôde, des jours entiers et des nuits ; 21 impressions jet d’encre, 35 x 23 cm, verre, autocollants vinyle, il est infatigable, et c’est peut-être de tous les lecteurs MP3, écouteurs animaux le plus difficile à forcer à la course. Quoique féroce, le loup est timide. Lorsqu’il tombe dans un piège, il est si fort, si longtemps épouvanté, qu’on ne peut le tuer sans qu’il ne se défende, ou le prendre vivant sans qu’il ne résiste. On peut lui mettre un collier, l’enchaîner, le museler, le conduire ensuite partout où l’on veut sans qu’il ose donner le moindre signe de colère ou même de mécontentement.» 4
Bye Bye 7 Brazil Dans les années 1920, São Paulo accueillait la Semaine d’Art Moder- ne. Mise à part la volonté de rompre avec les codes esthétiques du 19e siècle, les modernistes brésiliens ont surtout tenté de créer une identité nationale indépendante ; une nouvelle mentalité culturelle décentrée du — Diego point de vue européen, quelque chose de brésilien. Une métaphore intel- Saldiva lectuelle est venue illustrer ces idéaux : l’Anthropophagie. En tant que manifeste anthropophage, Macunaïma ou les héros sans aucun caractère 1 énonce les intentions de ce mouvement : « une œuvre de nationalisme critique, mais pas xénophobe, qui incarne en Macunaïma le Brésilien qui ne possède pas de civilisation et donc pas de conscience traditionnelle. Cet Indien hybride nous déclare : ‹Je suis un Indien Tupi qui joue du luth›. Miraculeusement blanchi puis renoirci, grand séducteur de la reine des Amazones, il ne cesse de répéter malicieusement : ‹J’ai la flemme›. Et pourtant, il part à la recherche de son talisman volé, le muira- quitá, c’est-à-dire de son identité, entraînant le lecteur dans ses aventures à travers tout le Brésil, jusqu’à sa métamorphose finale en étoile, toujours en quête de son profil ethnique et de son caractère national. » 2 Malgré le renouvellement multiculturel, Macunaïma approfondit aussi les caractéristiques d’une caricature sociale brésilienne. Pour cette rai- son, j’ai choisi de croiser les idées des anthropophagies culturelles avec la situation des immigrants brésiliens en Suisse, qui semblent mener une « recherche du muiraquitá » à l’étranger. Cette approche fait émerger cer- tains questionnements : quel emploi fait-on du cliché dans la construc- tion d’une nouvelle réalité/identité ? Une fois installé dans un nouveau territoire, quels aspects culturels doit-on conserver ou rejeter pour réus- sir à se l’approprier et à s’intégrer ? — DS 1. Mário de Andrade, Macunaïma ou le héros sans aucun caractère, trad. franç. J. Thiériot, éd. Flammarion, Paris, 1979. 2. Dominique Berthet, Vers une esthétique du métissage, éd. de L’Harmattan, Paris, 2002. 42 CEPV (2010) — En Filigrane
1 2 Son accent est clairement brésilien, je peux l’entendre quand elle hèle une collègue depuis la caisse enregistreuse. Je me demande ce que je vais dire quand ce sera à mon tour de payer. – Est-ce qu’elle est vraiment brésilienne ? Peut- être que je me trompe. Debout, elle demande encore quelquechose, 3 tout le supermarché l’entend. Sa peau foncée et ses cheveux crépus, séparés en deux, plaqués, ne bougent pas. Je n’ai plus de doute. Elle est devant moi. Je pense lui dire que les chocolats sont des cadeaux pour mes parents. — Au Brésil, on aime ces trucs de l’étranger — Non. Mais il faut vite dire quelque chose, il faut montrer que les brésiliens savent distinguer leurs compatriotes, un bonjour c’est déjà bien. – « Oi. » Elle me regarde. C’est le plus long silence Images tirées de la série « Bye Bye Brazil » (2010) 1. Sans Titre 2010 qu’elle a expérimenté aujourd’hui. Ses prochains 2. Sans Titre 2010 3. Sans Titre 2010 mots viennent comme s’ils pouvaient couper l’air : 5 impressions jet d’encre, 29 x 23 cm, 3 impressions jet d’encre, 18 x 23 cm, encadrées – «Neunundvierzig und fünfundfünfzig, bitte.»
Remerciements partenaires L’Ecole de Photographie de Vevey remercie : Daniel Mueller, Directeur du PhotoforumPasquart ; Eva Leitolf, photographe, artiste ; Mathieu-Bernard Reymond, enseignant au CEPV ; IDPURE (Ann Griffin, Nicolas Jeanmairet et Thierry Hausermann) Centre d’enseignement professionnel de Vevey Eva Leitolf remercie : Av. Nestlé 1 – Case postale – CH - 1800 Vevey 1 Les étudiant(e)s et les enseignants Tél. +41 (0)21 557 14 00 – Fax +41 (0)21 557 14 04 du CEPV avec lesquels elle a www.cepv.ch – secretariat.cepv@vd.ch travaillé, Daniel Mueller, IDPURE, Marlies Ranegger-Belzner et Bernd Katzbichler pour leur généreux soutien Bérénice Mercier remercie : M. Charly Jaillet et M. Willy Helfer Faubourg du Lac 71 Antoine Bruy remercie : CH - 2502 Bienne Guillaume Herbaut ; ses parents : Tél. +41 (0)32 322 44 82 – Fax +41 (0)32 322 45 13 Martine et Jean-Marc Bruy et bien sûr, toutes les personnes qui l’ont autorisé à pénétrer dans les salons de massages afin de les photographier. Sabrina Biro remercie : Rinzing Thaptsangky ; For Noise Festival et l’espace autogéré Département de la formation, de Lausanne. de la jeunesse et de la Culture Rue de la Barre 8 – CH - 1014 Lausanne Yannic Bartolozzi remercie : Tél. +41 (0)21 316 30 30 tous les gens qui l’ont laissé entrer www.vd.ch sur leurs propriétés pour photo- graphier des toblerones ; l’Asso- ciation de la ligne fortifiée de la Promenthouse et la bibliothèque militaire fédérale qui a effectué des recherches de documentation sur les toblerones. Filipe Borges remercie : Jacques Blanc, Fabrice Ançay, Ernst&Olga Gubler-Hablützel Stiftung Christine Cavalera et Véronique Bleicherweg 45 – CH - 8002 Zürich Mottiez pour leur aide précieuse. Tél. +44 202 77 77 – Fax +44 206 16 86 www.gubler-habluetzel.ch Diego Saldiva remercie : Lívia, Chica, Magda Laderach, Andrea da Rocha, Maria José Perrin, Viviane et Edileusa, Francisca et Rose pour avoir ouvert leur maison ; Nicolas Savary pour l’équipement ; Roberto et Eloisa Saldiva, Le magazine suisse du design et de la création visuelle Bernard et Susanne Cormier Ch. du Pré 4a – Case postale – CH - 1110 Morges 1 pour le support financier et Tél. +41 (0)21 802 50 84 – Fax +41 (0)21 802 50 76 Noémie Saldiva pour le support www.idpure.ch immatériel. Centre d’Impression Edipresse s.a. Ch. de Mochettaz 8 – CP 80 – CH -1030 Bussigny Tél. +41 (0)21 349 57 57 – Fax +41 (0)21 349 57 39 46 CEPV (2010) — En Filigrane www.cie-imprimeries.ch
Impressum Conception Graphisme et mise en page Eva Leitolf, photographe, artiste Ann Griffin et Nicolas Jeanmairet et intervenante en Formation de chez IDPURE (Morges) pendant supérieure en Photographie, Ecole un workshop du 25 au 27 août 2010. de photographie de Vevey / CEPV — Virginie Otth, enseignante à l’Ecole de photographie de Vevey / CEPV Police de caractère Theinhardt Nicolas Savary, responsable de (distribuée par Optimo Genève) la Formation supérieure en Photo- graphie, Ecole de photographie — de Vevey / CEPV Impression — Centre d’Impression Edipresse s.a. Christoph Stutz (Commercial) Photographies christoph.stutz@edipresse.ch Eva Leitolf Tél. +41 (0)21 349 57 43 et www.cie-imprimeries.ch Yannic Bartolozzi, Sabrina Biro, Filipe Borges, Antoine Bruy, — Alizé Hafner, Bérénice Mercier, Diego Saldiva, étudiant(e)s Papier de 2ème année en Formation 80 g/m2 amélioré FSC-Mixed supérieure en Photographie, Ecole de photographie de — Vevey / CEPV Tirage : — 3000 exemplaires Textes — Ariane Pollet, Daniel Mueller, Eva Leitolf, Virginie Otth, © images: Eva Leitolf Yannic Bartolozzi, Sabrina Biro, et CEPV / 2010 Filipe Borges, Antoine Bruy, Alizé Hafner, Bérénice Mercier, Diego Saldiva — Coordination Virginie Otth, enseignante à l’Ecole de photographie de Vevey / CEPV Nicolas Savary, responsable de la Formation supérieure en Photo- graphie, Ecole de photographie de Vevey / CEPV Léonore Veya, responsable de l’Ecole de photographie de Vevey / CEPV
CEPV | 2010 En Filigrane En Filigrane est une collaboration entre l’école de photographie de Vevey et le PhotoforumPasquArt initiée en 2010 par Eva Leitolf, photographe, intervenante dans le cadre de la Formation supérieure en Photographie. A partir de sa recherche intitulée Deutsche Bilder – eine Spuchensuche, les étudiant(e)s ont développé un travail autour de la mémoire, l’histoire et l’identité suisse. Cette enquête photographique a pris la double forme d’une exposition au PhotoforumPasquArt en octobre 2010 et de la publication présente.
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