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Eine Welt
Un solo mondo No 2 / JUIN 2008
LE MAGAZINE DE LA DDC
Un seul monde SUR LE DÉVELOPPEMENT
ET LA COOPÉRATION
www.ddc.admin.ch
La perte de la biodiversité
ne nuit pas seulement aux pays
en développement
Congo : enfin le bout du tunnel ?
Biocarburants : l’énergie en concurrence
avec l’alimentationDOSSIER Le Laos à la carte
Des géographes de l’Université de Berne, mandatés par
la DDC, élaborent un atlas socio-économique du Laos
24
FORUM
BIODIVERSITÉ
L’érosion génétique, une menace pour l’alimentation
La variété génétique des plantes cultivées et des animaux
d’élevage diminue rapidement depuis des années. Cette
érosion a des conséquences au niveau mondial.
6
Les savoirs anciens sauveront l’agriculture Quand il faut choisir entre manger et conduire
Entretien avec Tewolde Berhan Gebre Egziabher, ministre Toujours plus de terres arables sont mobilisées pour la
éthiopien de l’environnement culture de plantes alimentaires destinées à la production
12 de biocarburants. Les pauvres et l’environnement en
pâtissent.
Un tubercule plein de ressources
Le Centre international de la pomme de terre, à Lima,
26
et la DDC jouent un rôle important dans la marche Premier voyage
Sommaire
conquérante de la pomme de terre L’écrivaine haïtienne Évelyne Trouillot évoque « une vie qui
14 n’offre aucune once de bonheur, nul coin où attendre que
s’arrête la déveine »
29
HORIZONS CULTURE
Congo: enfin le bout du tunnel? Un jardin dans la poche
Après trois décennies sous la férule de Mobutu et sept ans Les livres du Sud ont de la peine à percer sur le marché
de guerre civile, les citoyens de la République démocratique européen. Ils se heurtent aux préjugés, au manque de
du Congo ont pu faire usage de leurs droits démocratiques moyens et à des éditeurs allergiques au risque.
16 30
L’interminable traversée de Kinshasa
Désiré Baere Pene-Yanganya raconte l’aventure qui consiste
à se déplacer dans la capitale congolaise avec les transports
en commun Éditorial 3
Périscope 4
20 DDC interne 25
Au fait, qu’est-ce que le mainstreaming ? 25
DDC
Service 33
Les toilettes, une évidence ? Loin de là ! Impressum 35
Beate Wilhelm, vice-directrice de la DDC, commente le fait
que 40% de la population mondiale est privée d’installations
sanitaires
21
Les sans-abri construisent leur avenir
Dans son aide à la reconstruction des régions du Pakistan Un seul monde est édité par la Direction du développement et de la
ravagées par un séisme, la DDC applique une approche coopération (DDC), agence de coopération internationale intégrée au
Département fédéral des affaires étrangères (DFAE). Cette revue n’est
novatrice cependant pas une publication officielle au sens strict. D’autres opinions
22 y sont également exprimées. C’est pourquoi les articles ne reflètent pas
obligatoirement le point de vue de la DDC et des autorités fédérales.
2 Un seul monde No 2 / Juin 2008Éditorial
Accumuler des richesses
ne coupe pas la faim
Au même titre que la lutte contre les effets néfastes du ré- tures vivrières. Le prix des céréales comestibles augmente
chauffement climatique, la protection de la biodiversité est et les problèmes alimentaires s’aggravent en même temps
devenue une nécessité pour garantir, à long terme, la qua- que les espèces se raréfient.
lité de vie sur notre planète. Les dangers qui la menacent
sont nombreux et, dans le règne végétal comme dans le En fonction de ses moyens, le plus souvent avec ses par-
règne animal, des centaines d’espèces ont disparu à tout tenaires locaux des pays en développement, la DDC s’en-
jamais. La prise de conscience de ces risques doit se fai- gage résolument en faveur du maintien de la biodiversité.
re à l’échelon international, dans les pays industrialisés Elle investit 40 millions de francs par année, répartis sur
comme dans ceux en développement. Des politiques, des plusieurs dizaines de projets, dans des régions défavori-
scientifiques tirent la sonnette d’alarme et expliquent pour- sées, isolées et éloignées des grands centres urbains. Elle
quoi il est urgent d’agir. aide les paysans à maintenir la diversité de leurs cultures
et à réintroduire d’anciennes variétés oubliées. En œuvrant
En février dernier, dans un archipel situé à un millier de ki- de la sorte, elle leur permet non seulement de continuer à
lomètres du pôle Nord, la Norvège a inauguré une arche vivre sur la terre qui les a vus naître, la terre de leurs an-
de Noé des temps modernes. Celle-ci est destinée à abri- cêtres ; mais elle leur fournit aussi l’occasion de générer
ter les semences de diverses espèces végétales de la pla- des revenus supplémentaires et la possibilité d’accéder aux
nète et à les protéger contre le changement climatique, les marchés locaux. Leur bénéfice est donc double.
guerres, les catastrophes naturelles et les divers fléaux
que l’humanité s’ingénie à engendrer. Protéger, c’est bien; Dans l’interview qu’il nous a accordée, le ministre éthio-
éviter de détruire, c’est encore mieux. Ce constat est une pien de l’environnement explique pourquoi la sauvegarde
évidence. Et pourtant : sous la pression de l’industrie agro- de la biodiversité est capitale, dans les pays africains plus
alimentaire, parce qu’il faut sans cesse augmenter les ren- encore qu’ailleurs. La sacrifier au profit de cultures inten-
dements, parce que de moins en moins d’agriculteurs doi- sives destinées à l’exportation ne servirait à rien d’autre
vent produire toujours davantage pour une population qu’à engranger de modestes avantages pécuniaires,
mondiale en forte croissance, l’homme cultive de moins en des profits à court terme. Grave erreur : l’argent n’a jamais
moins d’espèces. Seules les plus rentables sont utilisées; coupé la faim à personne.
les autres peu à peu abandonnées.
Jean-Philippe Jutzi
On en arrive même à des paradoxes, pour ne pas dire des Chef suppléant médias et communication DDC
aberrations. Un exemple parmi d’autres: pour lutter, à juste
titre, contre les émissions de gaz à effet de serre, on pro-
duit des biocarburants à base de végétaux. Conséquence :
d’immenses surfaces arables sont perdues pour les cul-
Un seul monde No 2 / Juin 2008 3Périscope ce poêle nommé Score (Stove for
cooking, refrigeration and elec-
tricity) contribuera à réduire la
pauvreté. Il devra être écono-
mique, efficace, facile à utiliser et
acceptable sur le plan social. De
petites entreprises locales partici-
peront également à l’opération.
Le Score utilisera la technologie
dite thermo-acoustique: la cha-
leur générée par la combustion
de bois dans le fourneau produit
des ondes sonores, qui sont
converties en courant électrique;
celui-ci est ensuite utilisé pour
faire fonctionner le réfrigérateur
ou d’autres équipements domes-
tiques.
Langues en voie de
disparition
VU/laif
(bf) Sur les 7000 langues aujour-
Des girafes sauvées Chaud ou froid grâce à la d’hui parlées sur la planète, près
in extremis « thermo-acoustique » de la moitié ne survivront pas
(jls) En Afrique occidentale, les (bf) Des chercheurs de quatre à ce siècle. L’avertissement des
girafes ont été décimées par le universités britanniques se sont spécialistes est clair: tous les
braconnage, la sécheresse et la donné cinq ans pour développer quinze jours, l’une d’elles cesse
déforestation. Les derniers trou- un appareil révolutionnaire qui définitivement d’être utilisée.
peaux vivent dans la région de servira à la fois de cuisinière, de Contrairement à ce que l’on
Kouré, au Niger, à une centaine réfrigérateur et de générateur. pourrait penser, ce ne sont pas
de kilomètres de la capitale. En À cette fin, ils ont constitué un les langues indigènes des pays en
1996, ils ne comptaient plus que consortium international, qui développement qui sont les plus
cinquante têtes. En dix ans, ce réunit également une multinatio- menacées. Celles-ci sont en effet
nombre a triplé, grâce aux efforts nale d’équipements électriques, protégées, car les grandes langues
déployés par les habitants.Avec un organisme philanthropique internationales n’ont pas (encore)
l’appui de donateurs européens, ainsi que diverses universités pénétré partout. Les scientifiques
ceux-ci ont en effet reconstitué d’Afrique et d’Asie. Selon ont ainsi découvert qu’une
la brousse tigrée, l’habitat de pré- Paul Riley, de l’Université de langue secrète d’Amérique latine,
dilection des girafes, plantant des Nottingham, qui dirige le projet, utilisée dans la médecine tradi-
acacias arbustifs dont elles appré-
cient particulièrement les feuilles.
Les braconniers sont systémati-
quement dénoncés. Désormais
sans prédateurs, les girafes se
promènent tranquillement et
vivent en parfaite harmonie avec
la population. De plus en plus de
visiteurs viennent les observer.
Les recettes de cet écotourisme
sont partagées entre 45 villages.
Elles financent divers travaux, tels
que l’entretien des routes ou la
construction d’écoles, et servent
Penny Tweedie/laif
à indemniser les paysans lorsque
les girafes mangent certaines de
leurs cultures.
4 Un seul monde No 2 / Juin 2008Dessin de Martial Leiter
La biodiversité
tionnelle, et quelques langues avantage: les organisations qui arides d’Afrique et d’Asie, de
parlées uniquement par de petites proposent des microassurances- grandes installations industrielles
minorités perdureront par-delà maladie – à des tarifs toutefois devraient transformer l’eau de
les siècles.Aussi étonnant que encore trop élevés – assument mer en eau potable. L’idée n’a
cela puisse paraître, le risque de en général d’importantes tâches rien de nouveau en soi, puisque
disparition menace surtout des au service de la société: elles de telles stations fournissent déjà
langues parlées dans le nord de proposent notamment des cours quotidiennement 50 millions de
l’Australie, sur la côte nord-ouest sur l’hygiène et les maladies, et mètres cubes d’eau aux villes
des États-Unis, dans l’est de la contrôlent le marché des soins. côtières du Proche-Orient. Le
Sibérie, dans les États américains En collaboration avec des univer- problème, c’est que cette techno-
de l’Oklahoma, du Nouveau- sités du Ghana, du Malawi et logie est complexe, gourmande
Fraunhofer ISE
Mexique et du Texas, ainsi qu’en du Botswana, l’Université de en énergie et inadaptée à des
Amérique centrale. Cologne passera deux années à pays mal équipés en infrastruc-
suivre et à analyser les micro- tures. L’Institut Fraunhofer pour
Une assurance-maladie assurances-maladie dans les trois les systèmes d’énergie solaire plusieurs mètres cubes d’eau po-
abordable pays concernés. Les connaissances (ISE), à Fribourg en Brisgau, table par jour. Le prix d’un mètre
(bf) Le succès planétaire de la ainsi réunies contribueront à vient de mettre au point des cube (1000 litres) avoisinera les
microfinance a donné des idées réduire les coûts. Elles permet- installations décentralisées de 10 euros. Selon les chercheurs de
à d’autres secteurs.Tout comme tront également aux universités dessalement qui fonctionnent l’ISE, un tel système sera très vite
l’accès au microcrédit améliore partenaires d’élaborer un standard à l’énergie solaire. Reposant rentable, si l’on songe à ce que
les conditions de vie des popula- commun, afin de garantir la qua- sur le principe de la distillation les gens paient aujourd’hui pour
tions pauvres, des assurances- lité de tels produits. membranaire, ces stations trans- acheter la même quantité d’eau
maladie à prix modique peuvent forment l’eau de mer ou sau- minérale ou de boissons sucrées.
éviter à des individus ou à des fa- Dessalée sous le soleil mâtre en eau potable de qualité.
milles de tomber sous le seuil de (bf) Pour pallier le manque d’eau Existant en deux tailles diffé-
pauvreté en cas de maladie.Autre dans les régions arides et semi- rentes, elles peuvent produire
Un seul monde No 2 / Juin 2008 5Biodiversité
L’érosion génétique,
une menace pour
l’alimentation
Cela fait des années que la biodiversité régresse à toute vitesse
dans l’agriculture. On essaie aujourd’hui de combattre cette ten-
dance par différents moyens. En effet, si la variété génétique
des plantes cultivées et des animaux d’élevage devait dispa-
raître définitivement, notre existence même serait menacée.
De Gabriela Neuhaus.
Le plus grand congélateur du monde a été inau- chance de survie qu’aux espèces considérées com-
guré le 26 février 2008 sur l’île de Spitzberg, en me rentables. De nos jours, il ne reste plus qu’une
Norvège. Enfoui au cœur d’une montagne, il est quinzaine d’espèces végétales et huit animales pour
protégé par la masse de grès et le permafrost. Un nourrir 90 pour cent de la population mondiale.
tunnel de 120 mètres conduit à des chambres Les trois principales céréales – riz,maïs et blé – cou-
fortes, dans lesquelles on conservera bientôt à une vrent à elles seules la moitié des besoins alimen-
température de –18°C des millions de semences taires. Cette évolution est étroitement liée à l’in-
de plantes vivrières. Comme l’arche de Noé qui dustrialisation et à la pression qui en résulte sur
sauva du déluge les animaux de la création, cette l’agriculture: la paysannerie voit ses rangs s’éclair-
banque végétale a pour but d’assurer la pérennité cir rapidement; pourtant, elle doit nourrir une po-
des ressources génétiques des espèces cultivées – pulation sans cesse croissante, et cela avec des sur-
donc la survie de l’humanité – en cas de catas- faces cultivables qui rétrécissent comme peau de
trophe. chagrin.
Mais même sans désastre majeur, la protection et La nécessité d’augmenter l’efficacité a fait naître au
le maintien de la biodiversité sont devenus indis- cours du 20e siècle une multitude de centres de re-
pensables pour l’agriculture mondiale et pour notre cherche et de sociétés agricoles privées qui déve-
alimentation. Cela fait des millénaires que l’on sé- loppent des semences. Celles-ci sont ensuite don-
lectionne les plantes vivrières et les animaux de ren- nées ou vendues aux producteurs. Pour obtenir les
te, en tirant parti de leur patrimoine génétique; améliorations voulues, on s’est concentré sur la
ces croisements successifs ont créé des multitudes création de variétés rentables et susceptibles d’être
de races et de variétés. On estime qu’au cours des cultivées également à l’échelle industrielle. Cette
12000 dernières années, les agriculteurs ont culti- stratégie s’est avérée payante: la plupart des pro-
vé plus de 7000 espèces végétales destinées à l’ali- ducteurs, surtout en Europe et en Amérique du
mentation humaine, lesquelles ont donné à leur Nord,se procurent leurs semences auprès de l’agro-
tour d’innombrables variétés qui possèdent leur industrie, dont les variétés sont protégées par des
propre bagage génétique. droits de propriété intellectuelle. Mais lorsque les
paysans renoncent à cultiver leurs propres variétés,
Plus de rendements – moins de diversité il en résulte irrémédiablement une perte de bio-
Cette biodiversité agricole (ou agrobiodiversité) is- diversité.
sue d’une longue évolution est aujourd’hui mena- La Révolution verte des années 60 et 70 a eu des
cée: beaucoup d’espèces ont déjà disparu, quanti- effets analogues en Asie: des semences améliorées,
té de variétés végétales ne sont plus cultivées,d’an- mises au point grâce à des recherches intensives,
ciennes races animales sont en voie d’extinction. ont permis d’accroître massivement les rendements
La mondialisation galopante et la pression crois- à l’hectare et d’éviter des famines. Le revers de la
sante sur les ressources naturelles ne laissent une médaille, c’est que ces nouvelles variétés sont des-
Un seul monde No 2 / Juin 2008 7La préservation de la
biodiversité est vitale
pour l’humanité toute
entière, comme le mon-
trent ces illustrations :
la banque de gènes du
Spitzberg (Norvège),
recherche sur le riz au
Viêt-nam (en bas à
gauche), un institut de
biotechnologie en Inde
(en bas à droite), petits
paysans dans des pays
en développement (page
suivante)
Mari Tefre/Global Crop Diversity Trust
Chris Stowers/Panos/Strates
Agrobiodiversité
Le terme d’agrobiodiver-
sité désigne la diversité
Paul Hahn/laif
biologique nécessaire pour
assurer la pérennité de la
production alimentaire, de
même que celle des éco-
systèmes agricoles. Ce
foisonnement de vie inclut tinées à des monocultures et qu’elles sont de ce fait versité des espèces sur leurs terres. Cela implique
les ressources génétiques vulnérables aux maladies. Pour en obtenir de hauts que les petits paysans améliorent leurs systèmes de
des variétés de plantes rendements, de grandes quantités d’engrais et de production et recourent à des méthodes nova-
cultivées, des races de pesticides sont nécessaires, ainsi qu’une irrigation trices. La DDC réalise de nombreux projets allant
bétail, des espèces de
poissons ainsi que les res- intensive. Il n’est pas rare que cela entraîne la des- dans cette direction. Nous devons éviter que le
sources non domestiquées truction des écosystèmes. monde ne compte plus à l’avenir qu’une dizaine
à l’intérieur des différents de plantes alimentaires importantes.»
écosystèmes – champs,
forêts, pâturages, milieu
Préserver les ressources génétiques Cela fait déjà longtemps que l’on a commencé de
aquatique. L’agrobiodiver- Certes, il existe encore beaucoup d’agriculteurs – conserver des plantes cultivées, puis leurs cousines
sité comprend également surtout des petits paysans dans le Sud et dans des sauvages, dans des banques de semences. Il s’agis-
les éléments de cette di- régions périphériques – qui continuent d’utiliser sait au départ de stocker du matériel génétique
versité biologique qui ren-
dent des « services écolo-
leurs propres semences,apportant ainsi une contri- pour les futures activités de recherche scientifique
giques », comme le main- bution importante au maintien de la biodiversité. et de sélection. Une entreprise complexe et coû-
tien du cycle alimentaire, Mais la tendance générale va clairement dans le sens teuse, comme on a pu le constater depuis lors: il
le contrôle des parasites d’une commercialisation et d’une centralisation est en effet indispensable de cultiver régulièrement
et des maladies, la pollini-
sation, la sauvegarde de la toujours plus poussées de l’économie agricole.«Ne certaines espèces pour en renouveler les semences.
faune et de la flore sauva- soyons pas naïfs», indique Katharina Jenny, de la Par ailleurs, le meilleur patrimoine génétique ne
ges, la protection des bas- section Ressources naturelles et environnement sert à rien si l’on oublie de recueillir le savoir re-
sins versants, celle contre
l’érosion, la régulation cli-
de la DDC. «Les paysans ne préserveront la biodi- latif aux anciennes variétés et de le mettre à la dis-
matique ou la séquestra- versité que si cela s’avère rentable pour eux. Le position des milieux intéressés.
tion du carbone. grand défi est donc de les inciter à maintenir la di- Dès les années 70, la DDC s’est fortement impli-
8 Un seul monde No 2 / Juin 2008Thomas Grabka/laif
Biodiversité
Hemis/laif
Animaux d’élevage
Sur les quelque 14 000
espèces connues de
mammifères et d’oiseaux,
une trentaine seulement
ont pu être domestiquées
à des fins d’exploitation
agricole. Les cinq grandes
Miquel Gonzalez/laif
Andrea Kuenzig/laif
sont les bœufs, les mou-
tons, les chèvres, les porcs
et les poules, indique la
Commission des ressour-
ces génétiques pour l’ali-
mentation et l’agriculture,
quée dans la création de centres internationaux de Initiatives et conventions qui a publié en 2007 un
recherche agricole. «Les paysans pauvres ne tirent Mais les banques de gènes ne peuvent pas résoudre inventaire global de la bio-
pas des bénéfices immédiats d’une banque de tous les problèmes. Elles sont seulement un ins- diversité dans le secteur
de l’élevage. La banque
gènes. Mais à long terme, il est important pour eux trument parmi d’autres pour stopper la régression
de données de la FAO
aussi que soient conservées les anciennes variétés, fatale de la biodiversité. Le plus important – et le contient des informations
car elles pourront être utilisées pour de nouvelles plus ancien – accord international dans ce domai- relatives à 7616 races
sélections. Les banques de gènes constituent en ne est la Convention sur la biodiversité, signée en d’animaux de rente. On
estime que plus de 300
outre une copie de sécurité essentielle, au cas où 1992 et ratifiée depuis lors par 191 États. Ses ob- races se sont éteintes au
certaines espèces disparaîtraient à la suite de catas- jectifs sont «la conservation de la diversité biolo- cours des quinze dernières
trophes naturelles ou de guerres», explique Katha- gique,l’utilisation durable de ses éléments et le par- années. En outre, 30% de
rina Jenny. tage juste et équitable des avantages découlant de celles qui restent – dont
beaucoup d’anciennes
L’évolution récente montre à quel point il est im- l’exploitation des ressources génétiques». races bovines et ovines –
portant de disposer d’un vaste réservoir de res- Cette convention a ainsi imposé pour la première sont menacées.
sources génétiques. Aujourd’hui, la demande ne fois le partage équitable de ce que l’on peut tirer
porte plus uniquement sur l’obtention de variétés des ressources génétiques. C’est là un aspect im- Plantes de culture
Les quatre principales
à haut rendement; on recherche aussi des plantes portant, si l’on songe que 90 pour cent des espèces plantes alimentaires sont
résistant aux maladies et d’autres peu gourmandes se trouvent dans des pays en développement. Et le riz, le blé, le maïs et la
en engrais ou en eau. Le changement climatique aussi que les industries pharmaceutique et agrico- pomme de terre. D’autres
végétaux cultivés ont une
pose de nouveaux défis aux sélectionneurs. le du Nord manifestent depuis quelques années un très grande importance à
Le Fonds fiduciaire mondial pour la diversité des énorme intérêt pour ce matériel génétique fonda- l’échelle régionale. Ainsi,
cultures a été créé en 2004 par la FAO et Biover- mental. Des dispositions strictes ont permis de ju- le manioc nourrit environ
sity International.Il fournit les moyens et le savoir- guler presque entièrement au moins le commerce 600 millions de personnes
dans le monde. L’aliment
faire requis pour que les millions de variétés végé- et les échanges transfrontaliers légaux de ces res- de base des Ougandais
tales stockées dans plus de 1400 banques de gènes sources. L’une d’elles stipule, par exemple, que le est la banane plantain ou
puissent être non seulement sauvegardées pour les patrimoine génétique appartient à l’État dans le- matoke. Disparu ailleurs
générations futures, mais aussi rendues accessibles quel il s’est développé. depuis longtemps, le teff
reste une céréale très ap-
à la recherche scientifique. Ce fonds participe éga- Les mesures destinées à protéger les plantes et les préciée en Éthiopie, où on
lement dans des proportions déterminantes à l’en- animaux sauvages sont difficilement applicables au la consomme sous forme
tretien des chambres fortes du Spitzberg, où se domaine agricole.C’est pourquoi l’on a élaboré en de galettes. Le quinoa, dé-
pourvu de gluten comme
trouveront des copies de sécurité des principales 2001, sous l’égide de la FAO, le Traité internatio-
le teff, est au menu des
ressources conservées dans les banques de semences nal sur les ressources phytogénétiques pour l’ali- Boliviens depuis des millé-
régionales. mentation et l’agriculture. Un aspect fondamental naires.
Un seul monde No 2 / Juin 2008 9En Suisse, de nom-
breuses espèces végé-
tales et animales sont en
voie d’extinction. C’est le
cas, par exemple, de la
chèvre col fauve mais
aussi de nombreuses
variétés de pommes de
terre et de légumes.
ProSpecieRara (3)
Conservation in situ ou
ex situ
Le terme latin in situ signi-
fie sur place. En biologie,
il est utilisé pour indiquer
que l’on perpétue des
plantes ou des animaux
dans leur milieu d’origine.
Bioversity International
s’engage dans le domaine de cet accord est qu’il reconnaît officiellement les variétés de haricots jaunes, a alors présenté une
de la recherche et dans le droits de propriété intellectuelle des agriculteurs demande de révision du brevet. Comme on a pu
développement de projets sur les variétés traditionnelles cultivées dans leur prouver que le patrimoine génétique de l’Enola
in situ pour la promotion et
le maintien de l’agrobiodi-
pays. était identique à celui de la variété mexicaine, le
versité. À l’inverse, ex situ Un cas grave de biopiraterie aux États-Unis illustre brevet a été annulé après de longues et difficiles
désigne les mesures prises l’importance de cette disposition. Lors d’un séjour tractations.
pour sauvegarder des res- au Mexique dans les années 90,Larry Proctor,pro- Ces haricots sont un bien public, comme 64 autres
sources génétiques en de-
hors du milieu naturel des
priétaire de l’entreprise semencière Pod-Ners,avait espèces de plantes cultivées qui – en vertu du Trai-
espèces considérées, par acheté un sac de haricots jaunes.Après deux ans de té international sur les ressources phytogénétiques
exemple dans des ban- sélection sur ce lot, il a fait breveter ses graines sous pour l’alimentation et l’agriculture – restent à la
ques de gènes, des jardins le nom d’Enola. Il a obtenu ainsi un monopole sur libre disposition des scientifiques et des paysans, et
botaniques ou des zoos.
Sur le plan international, les ventes aux États-Unis de la variété mexicaine ne peuvent pas être brevetées.Tout sélectionneur
le Fonds fiduciaire mondial traditionnelle: quiconque voulait commercialiser qui crée de nouvelles variétés commerciales à par-
pour la diversité des cultu- cette légumineuse sur le territoire américain de- tir de ces ressources génétiques, entravant ainsi la
res soutient et coordonne
vait désormais payer des royalties à Pod-Ners. Le libre utilisation du matériel d’origine, doit rem-
la conservation des res-
sources phytogénétiques Centre international d’agriculture tropicale (CIAT), bourser une partie de son bénéfice. Cet argent sera
pour l’agriculture. qui conserve dans sa banque de données plusieurs alors affecté dans l’esprit du traité.
10 Un seul monde No 2 / Juin 2008Biodiversité
Dans les pays en déve-
loppement – ici un mar-
ché au Guatemala –, la
biodiversité est beaucoup
mieux préservée que
dans les pays riches
Frank Tophoven/laif
Biodiversité vécue vent générer des revenus supplémentaires. Grâce
On a manifestement besoin de règles internatio- aux efforts de la fondation ProSpecieRara, des va-
nales pour protéger la biodiversité et ceux qui riétés oubliées de fruits et légumes connaissent une
l’entretiennent, et de banques de gènes pour assu- seconde vie en Suisse et les gourmets ont redé-
rer la sécurité alimentaire des générations futures. couvert la chair du mouton nez noir.Aux Philip-
La DDC et la
Mais il est tout aussi évident qu’une exploitation pines,les habitants de Mindanao retrouvent le goût biodiversité
judicieuse est le meilleur moyen de perpétuer les incomparable des anciennes variétés de riz.En Bo- La DDC investit chaque
animaux domestiques et les plantes cultivées. livie, des organisations de paysans et de consom- année quelque 40 millions
Pourtant, beaucoup de paysans qui pratiquent en- mateurs ont établi un catalogue qui décrit 101 va- de francs dans la sauve-
garde de la biodiversité.
core une agriculture diversifiée – principalement riétés d’oca, le tubercule traditionnel. Elle participe aux efforts
en Afrique, en Asie et en Amérique latine – vivent Ce ne sont là que quelques-unes des innombrables coordonnés de la commu-
aujourd’hui dans une pauvreté extrême.Pour nour- possibilités de perpétuer d’anciennes espèces. nauté internationale pour
rir les populations urbaines en constante augmen- Compte tenu des problèmes écologiques croissants, freiner l’érosion génétique.
Depuis de longues années,
tation, il faudra inévitablement continuer d’ac- comme l’érosion, la pénurie d’eau et la dégrada- elle apporte son aide aux
croître les rendements sur des surfaces qui vont en tion des sols, l’agro-industrie se verra peut-être centres de recherche agri-
s’amenuisant,d’autant que la culture de plantes ali- contrainte à terme d’explorer de nouvelles voies. cole créés par le Groupe
consultatif pour la recher-
mentaires se voit maintenant concurrencée par L’évolution vers une agriculture plus durable pour- che agricole internationale
celle, plus lucrative, de végétaux destinés à être rait faire réapparaître dans les champs une partie de (GCRAI) et soutient sur le
transformés en carburants (voir p. 26). la biodiversité perdue, par exemple sous la forme plan bilatéral, dans divers
Malgré cela,ou plutôt justement pour cette raison, de cultures mixtes qui sont un moyen naturel de pays prioritaires, des pro-
jets découlant de ces tra-
il est important de tirer parti des opportunités qui combattre les parasites et de préserver la fertilité des vaux scientifiques. Plu-
existent afin de maintenir et d’accroître l’agrobio- sols. ■ sieurs projets appuyés par
diversité. L’organisation Bioversity International, la DDC dans le domaine
soutenue par la DDC, finance la recherche scien- (De l’allemand) de la biodiversité ont reçu
des prix internationaux.
tifique et des projets destinés à encourager la bio- C’est le cas, par exemple,
diversité dans les cultures.L’amélioration ciblée des de la sélection en Afrique
semences et des méthodes culturales permet d’ac- de variétés de maïs résis-
tantes et de l’initiative
croître les rendements également dans les régions
T’ikapapa en faveur des
pauvres et avec des variétés anciennes. pommes de terre indigè-
Partout dans le monde, les produits de niche peu- nes au Pérou (voir p. 14).
Un seul monde No 2 / Juin 2008 11Les savoirs anciens sauveront
l’agriculture
Le ministre éthiopien de l’environnement, Tewolde Berhan Gebre
Egziabher, œuvre depuis de longues années pour la préserva-
tion de la biodiversité et pour les droits des paysans sur les res-
sources génétiques de l’agriculture. Les modèles actuels de
l’agro-industrie n’ont pas d’avenir à ses yeux. Entretien avec
Gabriela Neuhaus.
Tewolde Berhan Gebre
Egziabher, de nationalité
éthiopienne, a étudié la
Dirk Eisermann/laif
biologie à Addis-Abeba et
au Pays de Galles. Après
avoir notamment enseigné
à l’Université d’Addis-
Abeba et dirigé la banque
de gènes éthiopienne, il
est actuellement ministre
de l’environnement de son
pays. Il s’engage depuis
les années 90 au niveau
international pour la sauve-
Karl-Heinz Raach/laif
garde de la biodiversité.
Lors des négociations de
Cartagena (Colombie) en
1999 et de Montréal en
2000 sur la sécurité biolo-
gique, il a été le porte-
parole de la majorité du Un seul monde: Vous militez depuis long- ve conditionné chez la plupart des gens, cela ne
Groupe des 77. Contre temps pour la conservation de la biodiversi- fonctionne pas sans vaches. C’est justement parce
une forte opposition des té. Quels progrès ont été réalisés? que le contact direct avec la biodiversité se perd
États-Unis et de l’UE,
Tewolde Berhan Gebre Egziabher: Le plus im- qu’il est essentiel de faire comprendre la complexité
ces pays avaient alors
fait prévaloir leur volonté portant de nos succès est sans aucun doute la pri- de l’ensemble et de montrer que nous avons inté-
de se protéger du génie se de conscience au niveau mondial qu’en portant rêt, en fin de compte, à préserver la vie.
génétique et de sauvegar- atteinte à la biodiversité, l’homme met en péril sa
der la biodiversité. Tewolde
Berhan Gebre Egziabher,
propre survie. Cela n’aurait pas été possible sans la Une agriculture diversifiée peut-elle encore
âgé aujourd’hui de 68 ans, Convention internationale sur la biodiversité et les s’avérer compétitive et justifiée?
s’est vu décerner en 2000 instruments qui lui sont associés. Après la Seconde Guerre mondiale, et en particu-
le prix Nobel alternatif, en lier dans les années 60 et 70, on s’est désintéressé
reconnaissance de « son
action exemplaire pour la Pourquoi ce travail de conscientisation est- du principe de diversité dans l’agriculture. Le ma-
préservation de la diversité il si important? tériel génétique a été rassemblé dans des banques
biologique et la protection L’humanité s’urbanise de plus en plus et s’isole ain- de gènes. Mais celles-ci ne fonctionnent pas com-
des droits que les agricul- si de tous les autres aspects de la vie. C’est ce que me on l’avait escompté: les gouvernements n’al-
teurs et les communautés
exercent traditionnellement montre par exemple une étude dans laquelle on a louent plus guère de moyens à la sauvegarde de la
sur leurs ressources demandé à des enfants si le lait vient de la bouteille biodiversité et beaucoup de ces banques ont été
génétiques ». En 2006, il a ou de la vache. Ils ont répondu en majorité qu’il privatisées. Or, le changement climatique va nous
été désigné « Champion de
la Terre » par le Programme
vient de la bouteille. Ces enfants n’étaient pas rendre encore plus tributaires des ressources géné-
des Nations Unies pour bêtes, mais on tire en général ses informations de tiques pour adapter nos sélections végétales aux
l’environnement. son contexte de vie. Pourtant, même si le lait arri- nouvelles conditions. La confiance accordée au
12 Un seul monde No 2 / Juin 2008Biodiversité
génie génétique est étroitement liée à la privatisa- viendra donc à des techniques préindustrielles, elle
tion croissante des ressources agricoles: on part de exploitera les nutriments naturels et mettra en pla-
l’idée que cette technologie pourra assurer les ce un système de gestion de la fertilité.
adaptations nécessaires des plantes aux transforma-
tions de l’environnement. Pour moi, c’est comme Nous devons donc faire marche arrière, par-
quelqu’un qui saute dans une rivière sans savoir na- ce que l’agriculture intensive ne sera plus
ger. dans nos moyens?
Quand j’ai rédigé ma thèse en Grande-Bretagne
En quoi la biodiversité est-elle essentielle dans les années 60,la recherche s’intéressait au cycle
pour les pays pauvres? naturel de l’azote dans le sol et aux moyens de l’op-
Hollandse Hoogte/laif
Dans la plupart des pays africains, les paysans utili- timiser. Le triomphe des engrais chimiques a son-
sent encore leurs propres semences – ce qui a été né le glas de ces investigations, mais le moment est
détruit en Europe et en Amérique du Nord per- venu de les reprendre. La science se concentrera
dure ici.La perte de l’agrobiodiversité est bien plus désormais sur les écosystèmes naturels, afin de ma-
grave au Nord que chez nous. Et si ces pays de- ximiser la productivité des sols sans apports exté-
vaient affronter une crise du secteur agricole, leur rieurs. L’agriculture du futur tablera davantage sur
richesse ne leur serait d’aucun secours: l’or amon- le savoir et sera – contrairement à la Révolution
celé ne remplace pas la nourriture! verte – diversifiée à l’échelle locale. On a déjà lan-
cé des projets de recherche axés sur les conditions
Même l’Afrique est cependant contrainte de du terrain.
produire toujours davantage sur des espaces
qui s’amenuisent. Les multinationales agri- Il s’agit là d’un bouleversement fondamen-
coles se présentent comme des partenaires, tal dans l’agriculture. Mais peut-il se réaliser
avec leurs variétés commerciales à haut ren- en temps utile?
dement. Cette transformation peut intervenir très rapide-
Ces entreprises n’ont pas eu beaucoup de succès ment,pour trois raisons.Premièrement,même dans
en Afrique jusqu’à présent et cela ne va pas chan- les régions où l’agriculture a abandonné la biodi-
ger ces prochains temps.En revanche,ce qui va im- versité, on peut retrouver dans des livres le savoir
poser des remises en question, c’est le changement hérité du passé. Deuxièmement, il existe encore
climatique. Je n’ai encore vu aucune plante géné- dans le monde de nombreuses régions disposant
tiquement modifiée capable de concurrencer les d’une agriculture diversifiée et où le savoir tradi-
sélections traditionnelles et d’améliorer les rende- tionnel est toujours vivant; celui-ci serait exploi-
ments dans des conditions réelles de culture. On table partout sur la planète.Troisièmement, les cir-
pourrait envisager une Révolution verte, comme constances nous forceront à intensifier les re-
celle qui a été réalisée en Asie. Mais cela exige des cherches dans cette direction, afin de réactiver et
produits chimiques,ce que personne n’a les moyens d’améliorer les connaissances anciennes. ■
de s’offrir en Afrique. D’ailleurs, le prix du pétro-
le grimpe tellement vite qu’à moyen terme, même (De l’anglais)
les paysans d’Europe et des États-Unis ne pourront
plus acheter des engrais chimiques.L’agriculture re-
Un seul monde No 2 / Juin 2008 13Un tubercule plein de ressources
Le Figaro Magazine/laif
Ce n’est pas sans raison que la pomme de terre, originaire des
Andes, est l’une des plantes les plus consommées dans le
monde. Le Centre international de la pomme de terre (CIP), à
Lima, et la DDC jouent un rôle important dans sa conquête
de la planète, qui est loin d’être terminée.
(gn) Elles sont multicolores,de formes très diverses ner des chips et de la purée pour le marché régio-
et possèdent un goût intense; elles résultent d’une nal», explique l’économiste Ruth Egger, experte
initiative couronnée de succès et distinguée au en développement et présidente du conseil d’ad-
niveau international : une trentaine de variétés ministration du CIP.
traditionnelles de pommes de terre des Andes
péruviennes sont proposées aux clients dans les Sauvegarder et développer
supermarchés de Lima sous le label T’ikapapa. Ces Le CIP conserve dans une banque de gènes envi-
tubercules sont produits par des familles de petits ron 5000 échantillons de variétés traditionnelles et
paysans de montagne à 3500 mètres d’altitude – des sauvages de pommes de terre, et sa collection ne
régions qui sont aussi le berceau de nos pommes cesse de s’enrichir. Entretenir ces ressources géné-
de terre. tiques est coûteux, mais absolument indispensable.
Le projet T’ikapapa s’inscrit dans le programme Le matériel stocké est exploité en permanence à
Papa Andina, une initiative régionale lancée par des fins scientifiques. La recherche constitue en ef-
le CIP en 1998 pour promouvoir la production et fet la seconde fonction essentielle du CIP,qui a son
la commercialisation d’espèces traditionnelles de siège à Lima et des antennes sur tous les continents.
pommes de terre dans la région andine. La DDC L’objectif principal est d’améliorer les semences
appuie cette démarche innovante qui, tout en afin d’obtenir des variétés robustes, résistantes aux
contribuant à préserver et à diffuser des variétés de maladies, adaptées à la fois aux conditions de pro-
haute valeur,assure un revenu à des familles pauvres duction et aux besoins du marché. Le CIP colla-
dans des zones déshéritées. bore avec les chercheurs et les paysans, tant au
«Depuis que les paysans ont la possibilité de vendre niveau des organisations de base que dans le cadre
leurs produits dans des supermarchés, les variétés de programmes nationaux. Il occupe ainsi une
anciennes ont retrouvé un certain prestige. Cette position centrale dans l’amélioration de la pomme
entreprise commune renforce l’organisation des de terre en tant que plante de culture et denrée
producteurs et stimule leur créativité. Sur les hauts alimentaire.
plateaux du Pérou, on s’est ainsi mis à confection- Car ce tubercule revêt une grande importance
14 Un seul monde No 2 / Juin 2008Biodiversité
À propos de la pomme
de terre
Cecilia Ynouye/CIP
L’ONU a proclamé 2008
Année internationale de la
pomme de terre.
La production mondiale
pour la sécurité alimentaire et le développement terre en provenance de l’Emmental ont été livrées de pommes de terre est
de certaines régions: il prospère dans les zones ac- à la Corée du Nord pour l’aider à combattre la fa- estimée à 314 millions de
tonnes par année et la
cidentées et montagneuses, ainsi qu’à des latitudes mine. Les rendements ont augmenté de manière tendance est à la hausse.
où le riz ne pousse plus. Il possède une valeur nu- spectaculaire,avec l’aide de la DDC et de bons spé- La Chine et l’Inde récoltent
tritive élevée et son rendement à l’hectare dépas- cialistes locaux. Plus récemment, la DDC a mis sur ensemble un tiers de ce
total.
se largement celui des céréales. Le revers de la mé- pied un programme de promotion de la pomme
daille, c’est que les pommes de terre sont vulné- de terre en Mongolie; la première phase ayant été Les premières pommes de
rables aux maladies et que leur culture exige à la bouclée avec succès, il s’agira, au cours des quatre terre ont été plantées il y a
fois beaucoup de travail et d’importants investisse- ans à venir, de faire en sorte que les paysans des 8000 ans dans la région
du lac Titicaca, à 3800 m
ments. régions isolées puissent eux aussi avoir accès aux d’altitude. De nos jours,
C’est pourquoi la promotion et l’amélioration de semences d’espèces améliorées. on cultive environ 2700
cette culture occupent une place de choix dans le Les anciennes variétés andines font actuellement variétés traditionnelles rien
programme agricole de la DDC. Dans les années fureur dans la patrie ancestrale de la pomme de ter- qu’au Pérou.
70 déjà, celle-ci s’est par exemple jointe au CIP re.Et les habitants de la capitale péruvienne ne sont Près de la moitié de la
pour lancer un programme national au Népal:grâ- manifestement pas les seuls à y avoir pris goût. production mondiale est
ce à des variétés plus robustes et plus productives, T’ikapapa a reçu deux distinctions prestigieuses en consommée en Asie.
à des méthodes culturales améliorées et à des 2007: outre le prix Seed, attribué par l’ONU, le Cependant, les plus gros
mangeurs de pommes
semences saines, le rendement de la pomme de projet a remporté devant 940 concurrents le World de terre sont de loin les
terre à l’hectare a doublé en vingt ans. Et comme Challenge doté de 20000 dollars. Le critère déter- Européens, avec 96 kilos
un nombre croissant de paysans se mettent à la minant a été son approche très globale:T’ikapapa par habitant et par année.
cultiver, la production totale a quintuplé au cours permet à des paysans isolés d’augmenter leurs re- Pour d’autres
de la même période. venus et d’accéder aux marchés urbains ; les informations
consommateurs profitent pour leur part de produits Souhaitez-vous des infor-
À la conquête de nouvelles régions intéressants et de qualité; enfin, le projet contribue mations plus approfondies?
Vous trouverez sur le site
«Son potentiel a fait de la pomme de terre une cul- de manière très dynamique à la préservation de la de la DDC un dossier
ture toujours plus appréciée dans nombre de pays biodiversité dans les Andes. Le montant du World publié à l’occasion de
pauvres affichant des déficits alimentaires», constate Challenge sera d’ailleurs investi dans de nouvelles l’Année internationale
Paul Egger, qui fut responsable de projets agricoles cultures. Pour que T’ikapapa puisse voler vers de la pomme de terre
(www.ddc.admin.ch/
à la DDC durant de longues années. «L’Inde est d’autres succès. ■ pommedeterre2008) ainsi
ainsi devenue le troisième producteur mondial,der- qu’une version longue
rière la Chine et la Russie», écrit-il dans un article (De l’allemand) de l’interview de Tewolde
Berhan Gebre Egziabher,
paru à l’occasion de l’Année internationale de la
ministre éthiopien de l’en-
pomme de terre 2008. vironnement, sur la biodi-
Dans les années 90, des semences de pommes de versité.
Un seul monde No 2 / Juin 2008 15Christian Kaiser/laif
Dieter Telemans/Panos/Strates
H O R I Z O N S
Redux/laif
Congo : enfin
le bout du tunnel ?
En juillet 2006, la République démocratique du Congo (RDC)
est entrée dans une ère nouvelle. Après trois décennies sous
la férule de Mobutu Sese Seko et sept ans de guerre civile, la
population a pu faire usage de ses droits démocratiques pour
la première fois depuis l’indépendance en 1960. Mais les conflits
qui secouent le pays sont loin d’être apaisés. Et le développe-
ment économique progresse péniblement. De Ruedi Küng*.
Fin janvier dernier, Goma a connu une vive agi- Ce succès, on le doit à l’abbé Malu Malu et au
tation. Le chef-lieu de la province congolaise du président de l’Assemblée nationale Vital Kemerhe
Nord-Kivu accueillait la Conférence sur la paix, la qui ont dirigé les débats avec prudence, mais fer-
sécurité et le développement du Nord et du Sud- meté. Compte tenu de leur poids diplomatique, les
Kivu. Prévue sur une semaine, la manifestation de- représentants des États-Unis, de l’Union euro-
vait accueillir quelques centaines de participants. péenne, de l’Union africaine et de la Mission des
Elle a finalement duré deux semaines et demie et Nations Unies au Congo (Monuc) ont également
a rassemblé plus de 1500 personnes: ministres et contribué à la réussite des travaux.
gouverneurs, députés nationaux et étrangers, re-
présentants de l’économie, organisations sociales, Le lourd héritage du génocide rwandais
communautés religieuses et miliciens. Elle s’est L’importance de cet accord apparaît clairement à
terminée par la signature d’un accord qui promet la lecture des derniers comptes rendus sur la situa-
de mettre fin à la violence dans l’est du Congo. tion dramatique de la population. Depuis le géno-
16 Un seul monde No 2 / Juin 2008Vous pouvez aussi lire