FACE À ARCIMBOLDO 29.05.2021 22.11.2021 - FACE À ARCIMBOLDO / DOSSIER DÉCOUVERTE - Centre Pompidou Metz
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SOMMAIRE 1. PRÉSENTATION P.3 2. GIUSEPPE ARCIMBOLDO P.5 3. PARCOURS DE L’EXPOSITION P.6 4. FOCUS ŒUVRES P.10 5. LISTE DES ARTISTES P.18 6. MOTS EN LIBERTÉ P.20 7. OFFRE POUR LES SCOLAIRES P.32 8. CATALOGUE P.35 9. INFORMATIONS PRATIQUES P.36 En couverture : © M/M (PARIS) Giuseppe Arcimboldo, Les Quatre Saisons, Le Printemps, 1573 ; huile sur toile, 76 × 63,5 cm ; Paris, musée du Louvre, département des Peintures. Photo ©RMN-Grand Palais (musée du Louvre) /Jean-Gilles Berizzi 2 FACE À ARCIMBOLDO / DOSSIER DÉCOUVERTE
1.PRÉSENTATION FACE À ARCIMBOLDO 29.05.2021 > 22.11.2021 GRANDE NEF Commissaires Chiara Parisi, directrice du Centre Pompidou-Metz et Anne Horvath, chargée de recherches au Centre Pompidou-Metz, dans un fructueux dialogue avec l’artiste Maurizio Cattelan, les historiens de l’art Patricia Falguières et Antonio Pinelli, et le conservateur Yasha David. Scénographie Berger&Berger Laurent P. Berger et Cyrille Berger Vous qui allez, errant à travers le monde, Curieux d’y voir hautes et stupéfiantes merveilles, Venez-ci, où vous trouverez des... Cette inscription destinée aux promeneurs du jardin de Bomarzo dès le XVIe siècle pourrait accueillir avec délice le visiteur de Face à Arcimboldo, l'exposition en hommage au peintre lombard, au Centre Pompidou-Metz. Ce portrait subjectif d’Arcimboldo à travers le regard d’artistes – dont le choix a été guidé par l’influence assumée, inconsciente ou fantasmée des recherches de l’artiste – est construit comme le fragment d’une histoire à la portée individuelle. Par le biais de rapprochements entre les œuvres d’Arcimboldo et de James Ensor, Hannah Höch, Pablo Picasso, René Magritte, Francis Bacon ou encore Cindy Sherman, l’exposition montre combien les réflexions de l’artiste ont irrigué l’histoire de l’art, hier comme aujourd’hui. Tout en façonnant sa singularité, l’œuvre d’Arcimboldo s’inscrit dans le Maniérisme qui ébranle la Renaissance. Sans former une véritable école, ses contemporains partagent les mêmes désirs d’abandon des règles de la perspective, recourent à des couleurs incandescentes comme Rosso Fiorentino et jubilent de leurs expériences de déformation des corps qui culminent entre autres avec l’autoportrait au miroir convexe du Parmesan ou le journal du tourmenté Pontormo. En faisant progressivement glisser l’attention sur la manière de représenter le sujet et d’être artiste, ils font primer leur idée sur la facture de la réalisation et écrivent la première théorie moderne de l’histoire de l’art. Tout comme l’œuvre d’Arcimboldo, le Maniérisme, véritable langage artistique partagé sur le continent européen au XVIe siècle, a été oublié – voire méprisé – jusqu’au début du XXe siècle qui témoigne du retour en grâce de ce courant intellectuel et artistique florissant. Après avoir été associé à l’art dégénéré pendant l’entre-deux- guerres par Wilhelm Pinder, il symbolisera l’expression possible d’une culture européenne commune pour les peuples meurtris au sortir du second conflit mondial. FACE À ARCIMBOLDO / DOSSIER DÉCOUVERTE
Également lu comme la première avant-garde anticlassique1, le Maniérisme annonce, par son potentiel subversif, les multiples révolutions de la modernité, de l’Abstraction au Cubisme. À la rencontre de ces deux analyses, la figure complexe d’Arcimboldo, à la fois le fil rouge de son siècle foisonnant et des balbutiements de la modernité, incarne de multiples ruptures qui constitueront les axes de l’exposition Face à Arcimboldo. Inaugurant la programmation de Chiara Parisi, à la tête de l’institution depuis décembre 2019, ce projet est né de l’exposition L’Effet Arcimboldo. Les transformations du visage au XVIe siècle et au XXe siècle, conçue par Pontus Hultén et Yasha David au Palazzo Grassi à Venise en 1987, qui constituait la première monographie consacrée à l’artiste. Cet événement faisait suite à l’exposition d’Alfred Barr présentée au Museum of Modern Art en 1936, Fantastic Art, Dada, Surrealism, qui ouvrait la voie en montrant Arcimboldo comme un précurseur essentiel dans l’émergence de la modernité. L’exposition du Centre Pompidou-Metz poursuit ainsi cette investigation de la contemporanéité du vocabulaire arcimboldien, qui traverse les siècles, avec la question de la représentation du corps décomposé, mécanisé, défiguré, transfiguré et éclaté. Le parcours se nourrit de l’esprit visionnaire de Pontus Hultén qui considérait L’Effet Arcimboldo comme l’une de ses expositions les plus importantes, et semble faire la synthèse des multiples enjeux de sa vision du musée comme médium, mise en œuvre au Centre Pompidou dès 1977. Entre conscience du passé et passion pour l’avenir, dépassant toute notion de hiérarchie entre les périodes ou les générations, l’exposition Face à Arcimboldo est une ébauche de Musée de nos désirs2, celui d’Arcimboldo et celui des artistes qui, par leur regard, enrichissent la perception que nous avons de son œuvre. Giuseppe ARCIMBOLDO, Le Bibliothécaire, vers 1566? Huile sur toile, 97 x 71 cm Château de Skokloster Photo: Skokloster Castle/SHM 1 Patricia FALGUIÈRES, Le Maniérisme, une avant-garde au XVIe siècle, Paris, Gallimard, 2004 2 Pontus HULTÉN (dir.), The Museum of our wishes, cat. exp., Stockholm, Moderna Museet, 26 décembre 1963 – 16 février 1964 4 FACE À ARCIMBOLDO / DOSSIER DÉCOUVERTE
2. GIUSEPPE ARCIMBOLDO Icône populaire grâce à ses profils composés, qui ne constituent d’ailleurs qu’une faible partie de ses multiples activités, Giuseppe Arcimboldo a longtemps été considéré comme une curiosité par les historiens de l’art. Malgré le succès rencontré de son vivant puis la popularité des portraits composites dont témoignent ses nombreux suiveurs, son œuvre est tombé dans l’oubli pour n’être redécouvert et reconsidéré qu’à l’aube de la modernité. Arcimboldo a probablement pâti de n’avoir laissé aucune autobiographie et d’être né trop tard pour faire partie des Vies de Giorgio Vasari qui consacra, de manière subjective, les meilleurs peintres, sculpteurs et architectes de l’époque pour les siècles à venir. La vie de l’artiste (1526-1593) se fait pourtant le miroir du XVIe siècle Maniériste qu’elle traverse de part en part. Après sa formation auprès de son père, peintre à la Fabrique du Dôme de Milan, Arcimboldo est appelé à la cour des Habsbourg en 1562 où il plonge au cœur des sphères artistiques, scientifiques et politiques des empereurs Ferdinand Ier, Maximilien II puis Rodolphe II. Symbole d’une Europe des cultures, ouverte et cosmopolite, Arcimboldo connaît une destinée internationale qui le mène de sa Lombardie natale à Vienne puis Prague, avant de revenir à Milan où il est auréolé du prestigieux titre de comte palatin avant sa mort. Peintre officiel à la cour, il réalise pour les princes les célèbres têtes composées et assure le rôle de chef d’orchestre des grandes fêtes et parades, et de conseiller des collections impériales. L’une de ses missions les plus importantes est ainsi de documenter les naturalia du cabinet de curiosités impérial, en dessinant d’après nature les espèces les plus exotiques rassemblées lors de lointaines expéditions. Il a par ailleurs considérablement enrichi la collection de mirabilia des empereurs, collectionneurs passionnés, animés par le désir de posséder les pièces plus rares et les plus extraordinaires. Le théâtre du cabinet de Rodolphe II, proto-musée à sa gloire où dialoguent des toiles de maître avec les manifestations des anomalies de la nature, offre à Arcimboldo un répertoire formel et conceptuel qui irriguera son propre corpus d’œuvres. Les cycles des Saisons et des Éléments, en traduisant l’extraordinaire richesse de la faune et de la flore découverte dans les chambres des merveilles, sont de véritables allégories de l’abondance et de la plénitude du pouvoir éternel des Habsbourg qui règnent sur le monde d’alors. Arcimboldo n’invente pas le procédé de composition par assemblage–dès le Ier siècle avant notre ère, le corps de Bacchus est déjà représenté par une accumulation de grappes de raisin à Pompéi–il déploie néanmoins une ingéniosité sans précédent dans les entrelacements de la composition et dans la portée symbolique, le Bibliothécaire devenant littéralement un homme-livre. Si ses toiles sont de nos jours universellement reconnues, nombre de messages cachés continuent d’échapper à notre œil. Dans un fructueux dialogue entre poésie et peinture, ses présents aux princes étaient éclairés par les vers de Giovanni Battista Fonteo. En dissipant tout malentendu sur la prétendue ironie des compositions, ceux-ci formulent les secrets des symboles impériaux et nous livrent aujourd’hui de précieuses clés de lecture de son œuvre. 5 FACE À ARCIMBOLDO / DOSSIER DÉCOUVERTE
3. PARCOURS DE L’EXPOSITION Scénographie Réalisée par Berger&Berger – Laurent P. Berger et Cyrille Berger – la scénographie de l’exposition invite à redécouvrir la Grande Nef de Shigeru Ban et Jean de Gastines grâce à une déambulation se déployant au rythme de l’architecture. La construction des murs en béton cellulaire offre la sensation de parcourir une citadelle, alternant entre l’expérience d’un espace tantôt monumental, tantôt intime ou en devenir. Parcours Le parcours met en lumière une sélection de compositions choisies d’Arcimboldo. Ses portraits composés, quadri ghiribizzosi (littéralement des « images ondulées ») selon les commentateurs de son époque, sont la quintessence d’un imaginaire débridé jouissant d’une immense liberté qui « n’est [plus] l’esclave du « vrai », pas plus que du « vraisemblable », et [qui] a comme seule limite l’ « inimaginable» »3. Ils expriment aussi la fascination de l’époque pour les manifestations extraordinaires et surnaturelles, figurées par les difformités botaniques ou les monstruosités humaines que les princes exhibaient à la cour. La récurrence du motif de la gueule ouverte, des ornements de cheminée aux sculptures dans le jardin des monstres de Bomarzo, ou encore les multiples effigies de la famille Gonzalez excessivement velue, en sont quelques signes. La voie est ainsi ouverte aux jeux visuels à l’onirisme inquiétant des Surréalistes, toujours sur le fil de la fiction ou de la réalité, suscitant des sentiments ambivalents entre le malaise et l’enchantement. 3 Antonio PINELLI, La Belle manière. Anticlassicisme et maniérisme dans l’art du XVIe siècle, Paris, Livre de poche, 1996, p.216 6 FACE À ARCIMBOLDO / DOSSIER DÉCOUVERTE
Pour ce faire, Arcimboldo suit la recette livrée par Léonard de Vinci qui, pour feindre de représenter un animal « naturel », indique : « prenez pour la tête celle d’un mâtin, ou de quelque autre chien, et donnez-lui les yeux d’un chat, les oreilles d’un porc-épic, le museau lévrier, les sourcils d’un lion, les côtés des tempes de quelque vieux coq, et le col d’une tortue d’eau 4 ». Il semble même avoir poussé à son paroxysme la fragmentation qu’il érige en matrice de ses toiles, suivi par nombre d’artistes au XXe siècle, dont les plus emblématiques illustrations sont les collages d’Hannah Höch ou les cadavres exquis, et plus proches de nous, les trophées réduits à des corps en morceaux par Daniel Spoerri pour la salle d’armes du Château d’Oiron ou encore la radicale destruction du visage opérée par Gilbert & George ou Penny Slinger. Dans cette recherche d’hybridation, la diversité des connotations frappe le regardeur, des allusions érotiques de L’Écureuil de Meret Oppenheim au processus de substitution des images du Modèle rouge, toile dans laquelle René Magritte voit l’expression d’une « coutume monstrueuse5 ». HannahHÖCH,Filleallemande,1930 Collage sur carton, 21,6 × 11,6 cm Berlinische Galerie – Landesmuseum für Moderne Kunst, Fotografie und Architektur © Adagp, Paris, 2021 Ce qui rend Arcimboldo profondément actuel n’est pas tant le procédé que ce qu’il implique pour le regardeur. Si l’on considère comme Pontus Hultén que le désir de mouvement, inhérent à l’œuvre mais aussi propre au déplacement du spectateur, est la clé de lecture universelle de la modernité 6 , les compositions d’Arcimboldo contiennent déjà une troisième et une quatrième dimension pour reprendre les mots d’André Pieyre de Mandiargues : «Par la troisième, j’entends la distance à laquelle il faut s’écarter du tableau pour cesser de voir des éléments de nature morte, fruits, fleurs, animaux terrestres ou aquatiques, ustensiles, matériaux divers, et apercevoir l’ensemble gracieux, majestueux, impérieux ou ridicule d’une face humaine ; par la quatrième, je prends en compte les minutes ou les secondes qu’il faut à l’observateur pour franchir la distance qui le sépare du point (ou de l’instant) où la transformation aura lieu sous son regard.7» 4 Léonard de VINCI, Traité de la peinture, [1478-1519], Paris, Langlois, 1651, p.94 5 René MAGRITTE, La Ligne de vie I, in Écrits complets, Paris, Flammarion, 2016 6 Pontus HULTÉN (dir.), Movement in art, cat. exp., Stockholm, Moderna Museet, 7 mai-3 septembre 1961 7 André Pieyre de MANDIARGUES, Arcimboldo le Merveilleux, Paris, Robert Laffont, 1977, p.112 7 FACE À ARCIMBOLDO / DOSSIER DÉCOUVERTE
Le génie d’Arcimboldo se loge ainsi dans sa capacité à insuffler à la planéité de la toile une constante métamorphose, oscillant entre le microcosme et le macrocosme, mettant en scène, à l’image de la fluidité des compositions serpentines maniéristes, « le trouble, l’incertitude, pour en jouer, et peut-être aussi pour en exorciser le caractère inquiétant 8.» Force est de constater que le maître lombard excelle en la matière en puisant dans un luxuriant dictionnaire visuel. De même que les poètes orientent le choix des mots par leur sonorité et leurs associations littéraires plutôt que pour leur sens, Arcimboldo aurait probablement pu prononcer les mots d’Hans Bellmer à propos de sa célèbre Poupée: «le corps est comparable à une phrase qui vous inviterait à la désarticuler, pour que se recomposent, à travers une série d’anagrammes sans fin, ses contenus véritables.9» Comme le suggère Roland Barthes dans l’essai qu’il consacre au peintre, l’art d’Arcimboldo, rhétoriqueur et magicien, est résolument littéraire car il fonctionne sur une double articulation, tout comme le discours s’appuie sur une combinaison de mots eux-mêmes composés de sons. « Tout signifie et cependant tout est surprenant. Arcimboldo fait du fantastique avec du très connu : la somme est d’un autre effet que l’addition des parties : on dirait qu’elle en est le reste10 ». Tout est métaphore chez Arcimboldo qui use de la palette des figures de style, et particulièrement du palindrome, de l’allégorie et de l’oxymore qui infusent tous les arts touchés par la maniera. Le peintre multiplie les rapprochements de signes opposés qu’il fait se refléter comme dans un miroir pour en inverser la lecture. André Breton a naturellement inscrit Arcimboldo au panthéon des artistes « pré- surréalistes » lors de l’Exposition internationale du Surréalisme à Paris en 1947, l’imbrication des significations de ses images doubles participant de leurs jeux favoris. Salvador Dalí ne se lassera pas d’explorer les mécanismes à la fois du double sens et du trompe-l’œil, l’illusion étant le produit d’images reportées sur papier calque qui, une fois superposées, révèlent une toute autre composition. Max Ernst ou Victor Brauner, quant à eux, usent de l’allégorie pour tourner en ridicule l’absurdité du pouvoir totalitaire. Quoique s’exprimant par des biais divergents, les recherches surréalistes font écho à la curiosité d’Arcimboldo pour l’anamorphose, qualifiée de rébus, monstre et prodige par Jurgis Baltrusaitis, qui définit ainsi ce savant divertissement : « au lieu d’une réduction à leurs limites visibles, c’est une projection des formes hors d’elles-mêmes et leur dislocation de manière qu’elles se redressent lorsqu’elles sont vues d'un point déterminé11.» Parmi les oxymores hantant l’œuvre d’Arcimboldo, son rapport ambivalent à la nature, entre artifice naturel et nature artificielle, continue d’intriguer le regardeur aujourd’hui. Comme l’explique Pontus Hultén, « l’homme ferait partie de la nature et la nature elle-même ferait partie de l’homme. Arcimboldo illustrerait l’idée que l’homme est constitué des mêmes éléments que le monde, ce sur quoi repose la 12 correspondance microcosme-macrocosme ». Mais il amorce également une réflexion sur le caractère effrayant de la nature que l’on retrouve autant dans la figure de l’Apennin de Giambologna émergeant de la pierre, que dans la fontaine phosphorescente de Lynda Benglis. La révolution d’Arcimboldo repose sur l’humanisation de la nature morte qui, douée de vie, irrigue la vogue des paysages anthropomorphes au siècle suivant. Au cours du 8 Daniel ARASSE, « Pour une brève histoire du maniérisme », in Histoires de peintures, Paris, Gallimard, 2006, p.199 9 Hans BELLMER, Petite Anatomie de l’inconscient physique ou l’Anatomie de l’image, Paris, Eric Losfeld, 1977 [1957], p.43-44 10 Roland BARTHES, Arcimboldo, Milan, Franco Maria Ricci, 1978, p.50 11 Jurgis BALTRUSAITIS, Anamorphoses ou magie artificielle des effets lumineux, Paris, Olivier Perrin, 1957, p.5 12 Pontus HULTÉN (dir.), L’Effet Arcimboldo, les transformations du visage au XVIe et au XXe siècle, cat. exp., Venise, Palazzo Grassi, 1987, p.128 8 FACE À ARCIMBOLDO / DOSSIER DÉCOUVERTE
XXe siècle, cette fusion entre l’homme, le végétal et l’animal sera l’un des outils d’appréhension de notre rapport au vivant, à l’instar de Toyen qui dépeint, dans Le Devenir de la liberté, la nature florissante comme l’incarnation optimiste d’un renouveau salutaire au sortir de la guerre. Se pourrait-il que tout cela ne soit finalement qu’un jeu ? Arcimboldo exalte l’ambiguïté en détournant l’immense répertoire des formes puisées dans la nature pour créer un univers précisément surnaturel. C’est par le truchement des combinaisons les plus insolites des fragments de notre environnement qu’elle devient pur artifice. Enveloppé dans une atmosphère fantastique, son art n’est que fabulation et émerveillement. Il charme par ses infinis effets de surprise, épousant l’ambition Maniériste de son époque – « Qu’on peigne un tableau ou qu’on brode un poème, les métaphores précieuses, les associations imprévisibles, les périphrases alambiquées, les assonances surabondantes, l’agencement imprévisible des séquences narratives doivent surprendre, étonner, éblouir.13 » L’ultime paradoxe réside peut-être dans le complexe enchevêtrement de deux sentiments a priori contradictoires. Arcimboldo nourrit l’idée que l’art relève d’un processus profondément intellectuel, tout nous laissant croire que tout cela repose sur la légèreté du divertissement, cultivant avec brio la sprezzatura, forme de nonchalance désinvolte mais pleine d’esprit sublimement endossée par Marcel Duchamp quelques siècles plus tard. En chiffres Dans l’exposition, environ : 250 œuvres 130 artistes Marcel DUCHAMP, Allégorie de genre, 1943 Gaze teintée, ouate, papier gouaché découpé, papier doré, clous, dans boîte en bois etverre,54,8x42x8,4cm Paris, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne © Association Marcel Duchamp / Adagp, Paris 2021 © Centre Pompidou, MNAM-CCI / Philippe Migeat / Dist. RMN-GP 13 Patricia FALGUIÈRES, Le Maniérisme, une avant-garde au XVIe siècle, Paris, Gallimard, 2004, p.29 9 FACE À ARCIMBOLDO / DOSSIER DÉCOUVERTE
4. FOCUS ŒUVRES Le travail de chaque artiste sera accompagné, en regard des œuvres, par un texte composé spécialement pour l’exposition par des historiens de l’art, des critiques ou les artistes eux-mêmes. Les notices sont intégralement publiées dans le catalogue de l'exposition. Giuseppe Arcimboldo Le Bibliothécaire Vers 1566 ? Huile sur toile, 97 × 71cm Skokloster (Suède), château, 11616 © Skokloster Castle/SHM (domaine public) / Jens Mohr Copie d’un original disparu, ce portrait de fantaisie assemble 23 livres reliés, complétés d’accessoires qui évoquent le travail intellectuel et l’univers de la bibliothèque. La forme triangulaire du corps suggère celle du pupitre, mais également l’anatomie de la lettre capitale « A », possible signature du peintre. Faut-il voir derrière cet homme de papier un portrait de l’humaniste Wolfgang Lazius, historiographe de l’empereur, ou bien une allégorie plus universelle du bibliothécaire, de l’homme de science, du libraire ou du simple lecteur ? Nous y lisons, c’est certain, une éloquente vanité. Hésitation maintenue entre nature morte et portrait, à travers l’empilement désinvolte des volumes, le tableau évoque la fragilité du savoir : si cet homme est le fruit de l’accumulation de ses lectures, il suffit qu’un livre soit soustrait à la construction pour que la figure se disloque. Fragilité comparable à celle qui menace d’autres portraits d’Arcimboldo : les fruits qui composent le visage de L’Été ou les chairs de poisson et de volaille qui forment celui du Juriste sont, quant à eux, promis à la putréfaction. Yann Sordet Maître du Plafond au bestiaire Plafond au bestiaire Vers 1240 Panneau : Tête à jambes Peinture à la détrempe sur bois de chêne, 100,5 × 80,5 × 3 cm environ Metz, musée de La Cour d’Or – Metz métropole, 8352-3 © Musée de La Cour d’Or - Metz Métropole / Laurianne Kieffer 10 FACE À ARCIMBOLDO / DOSSIER DÉCOUVERTE
Au milieu du XIIIe siècle, à Metz, un plafond de poutres et planches de chêne peintes ornait deux pièces d’une maison qui était la propriété du chapitre de la collégiale Notre-Dame-la-Ronde, intégrée plus tard à la cathédrale Saint- Étienne. Quatre-vingt-neuf médaillons ou cadres peints fort surprenants furent mis au jour en 1896, au très grand étonnement d’ouvriers chargés d’arracher le lattis qui les masquait et les protégeait. Dessinées, puis démontées et transférées au musée de La Cour d’Or, ces peintures forment depuis l’un des joyaux de sa collection médiévale. Ces oiseaux et mammifères, ces créatures hybrides bipèdes ou quadrupèdes, monstres et animaux aquatiques, et ces figures humaines nous sont étranges. Leur cortège, sorte de rébus, est enveloppé de mystère. Ce bestiaire composite illustre l’imaginaire prolifique des hommes du Moyen Âge et résiste à une interprétation symbolique précise. Le sens originel merveilleusement peint par l’artiste, rigoureux et raffiné, mais inconnu, ne peut être approché qu’en convoquant notre propre imaginaire. Philippe Brunella Lavinia Fontana Antonietta Gonzalez ou Gonsalvus Vers 1594-1595 Huile sur toile, 57 × 46 cm Blois, musée du Château royal, 997.1.1 © RMN-Grand Palais / Michèle Bellot Le portrait de cette fillette fascine et intrigue par sa double identité, celle d’une monstruosité de la nature et celle d’une riche enfant de la Renaissance. Antonietta Gonzalez était affligée d’une anomalie génétique connue aujourd’hui sous le nom d’hypertrichose universelle, ce qui signifie que son corps était presque entièrement recouvert de poils. Le tableau est peint à l’occasion d’un séjour que la marquise de Soragna effectue à Bologne afin de montrer sa merveille au naturaliste Ulisse Aldrovandi. Elle réside alors chez Mario Casali, proche du peintre Lavinia Fontana. Cette œuvre était destinée à servir de cadeau mondain. Antonietta tient un papier donnant quelques détails sur sa vie : « Don Pietro, homme sauvage découvert aux îles Canaries, fut offert en cadeau à Son Altesse Sérénissime Henri roi de France, puis de là fut offert à Son Excellence le duc de Parme. Moi, Antonietta, je viens de là et je vis aujourd’hui tout près, à la cour de madame Isabella Pallavicina, honorable marquise de Soragna. » Les membres de la famille Gonzalez étaient ainsi admirés à travers l’Europe entière comme des êtres exotiques, mi-animaux, mi-êtres humains, rarissimes curiosités que l’on s’offrait entre princes éclairés. Élisabeth Latrémolière James Ensor Masques regardant une tortue 1894 Huile sur toile, 22 × 37 cm Ostende, collection Fondation Ensor asbl © Collection Fondation Ensor asb / Unitas Fotos 11 FACE À ARCIMBOLDO / DOSSIER DÉCOUVERTE
On est en droit de s’interroger sur ce qui se tient derrière l’amoncellement de poissons, gibiers, fruits, légumes, branches et feuilles qui compose une accumulation peinte par Arcimboldo. Avec l’emphase qui met au premier plan l’imaginaire, le jeu maniériste renvoie à une forme de connaissance. Rien de pareil chez Ensor. Et pourtant… pour le reclus ostendais persuadé d’être un génie méconnu coincé entre des mégères plus acariâtres l’une que l’autre, le masque est à l’image de la carapace de la tortue : une protection. Façade qui se dresse devant un vide intérieur dont le pendant sera le squelette : la mort restant la seule forme d’égalité garantie à l’Homme. Ce creux néant qui vibre sous la surface de papier mâché du masque ensorien s’agite sous la masse de fragments qu’Arcimboldo assemble en portrait. Au-delà des différences fondamentales qui opposent les deux représentations, une même conscience du vide intérieur anime les deux artistes. Constat de sa relégation sociale pour Ensor, conscience de la position centrale de l’Homme dans le grand inventaire de l’Univers pour Arcimboldo. Ainsi ce dernier constitue-t-il la phase positive d’une quête qui s’épuise chez Ensor en solitude et en neurasthénie. Michel Draguet Victor Brauner Hitler [1934] Huile sur carton, 22 × 16 cm Paris, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, AM 2003-259 © Adagp, Paris, 2021 © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / image Centre Pompidou, MNAM-CCI Avec ce portrait-charge, Victor Brauner stigmatise dès 1934 la figure du dictateur, témoignant du climat politique délétère qui règne en Europe. Adolf Hitler, identifiable par sa moustache, devient ici l’effigie de la tyrannie et de la bêtise universelles. L’agression des différents objets issus de l’imagerie populaire participe à la dislocation de la tête de l’oppresseur, composé de manière fragmentaire. Les blessures infligées aux yeux ou encore à la bouche, réservoir des discours répétitifs et éructés d’Hitler, précipitent la métamorphose des traits. Le fasciste, au visage lacéré, aux sens dévastés, à la tête tranchée, est empalé par une lance ainsi qu’un parapluie, telle une grotesque couronne. André Breton, à qui appartenait ce tableau, retient d’emblée la portée symbolique et magique de l’œuvre de Victor Brauner. Ce portrait devient un jeu d’accumulation et de visions hallucinatoires, transcrivant à la fois la sauvagerie et le ridicule. Au-delà de cette image caricaturale et inquiétante, Brauner questionne la vulgarité de la barbarie et les puissances de l’imagination. Camille Morando 12 FACE À ARCIMBOLDO / DOSSIER DÉCOUVERTE
Meret Oppenheim L'Écureuil 1969 Chope à bière, mousse en plastique, fourrure, 20 × 17,5 × 8 cm Paris, collection Antoine de Galbert, 595 © Adagp, Paris, 2021 © Collection Antoine de Galbert, Paris / Célia Pernot Meret Oppenheim a le don – et l’œil – pour découvrir dans des choses de tous les jours, en les modifiant un peu, des œuvres d’art cachées. L'Écureuil est fait d’une simple chope à bière en verre. Meret Oppenheim la dote d’une somptueuse queue en fourrure, et l’écureuil est né, tout le monde le reconnaît et personne ne voit plus la chope. Le Vieux Serpent nature (1970) du Musée national d’art moderne et Le Déjeuner en fourrure (1936) dans la collection du Museum of Modern Art de New York reposent sur le même principe. Meret Oppenheim passe sa jeunesse entre le sud de l’Allemagne et Bâle. À dix-huit ans, elle part pour Paris et se lance dans une carrière artistique. Les surréalistes l’invitent à exposer avec eux, elle accepte, tout en refusant de rejoindre le mouvement. Elle veut suivre son propre chemin, mener son individuation, développer de nouveaux moyens d’expression artistique, écrire beaucoup. Christophe Bürgi Pierre Huyghe Untitled (Human Mask) [Sans titre (Masque humain)] 2014 Film, couleur, son, 19’ Courtesy de l’artiste, Marian Goodman Gallery, New York, Hauser & Wirth, Londres, Esther Schipper, Berlin, et Anna Lena Films, Paris Courtesy de l’artiste, Marian Goodman Gallery, New York, Hauser & Wirth, Londres, Esther Schipper, Berlin et Anna Lena Films, Paris La situation se déroule après la catastrophe de Fukushima. Dans un restaurant vide entouré par le paysage dévasté de la zone d’exclusion, une femelle singe portant un masque humain, laissée à elle-même, exécute de façon répétitive et sans but les tâches qu’elle a apprises. Le masque évoque celui de jeunes femmes dans le théâtre nō ou un visage d’androïde. L’animal qui le porte peut être vu comme personnage, mais il n’imite aucun comportement humain ni n’interprète un rôle. Parfois il apparaît comme un automate suivant un programme, comme l’acteur inconscient d’un travail humain, ou le serviteur captif d’une routine défunte. À d’autres moments, il est inopérant, attendant que quelque chose se produise, sujet à l’ennui ou à l’anxiété. Confus, l’état de l’animal oscille entre conditionnement et dérive instinctive, entre nécessité et contingence. L’animal, piégé dans l’image de l’humain, est devenu son seul médiateur. « L’humain » dont l’idée même apparaît comme une construction incertaine, fallacieuse, un masque lui-même. Pierre Huyghe 13 FACE À ARCIMBOLDO / DOSSIER DÉCOUVERTE
Max Ernst Ubu Imperator [1923] Huile sur toile, 81 × 65 cm Paris, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, AM 1984-281 © Adagp, Paris, 2021 © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / Audrey Laurans Le peintre Max Ernst, qui affectionnait les artistes du XVIe siècle, comptait dans sa collection de peintures une copie libre d’après L’Hiver d’Arcimboldo réalisée par Man Ray en 1944 et qu’il conserva jusqu’à la fin de sa vie. Il n’est donc pas surprenant que le langage pictural surréel et fantastique de Max Ernst ait été plusieurs fois associé à un maniérisme moderne. Son affinité particulière avec Arcimboldo s’exprime notamment dans Ubu Imperator. Le motif s’inspire du tyran grotesque de la pièce de théâtre Ubu roi, d’Alfred Jarry, représentée pour la première fois en 1896. L’Ubu Imperator de Max Ernst se dresse dans un paysage désertique, telle une gigantesque toupie en forme de tour anthropomorphe cuirassée, dont seules émergent deux mains humaines. Même si le personnage de Max Ernst n’est pas constitué d’un assemblage de divers éléments, son aspect pluriel mi-homme mi-objet n’en renvoie pas moins aux têtes composites caractéristiques d’Arcimboldo, à l’instar du Sommelier de 1574 (Osaka, Nakanoshima Museum of Art). Comparable par sa dimension allégorique aux portraits-objets d’Arcimboldo, ce colossal Ubu Imperator apparaît comme la personnification objectivée d’une mégalomanie absurde. Raphaël Bouvier Felix Gonzalez-Torres “Untitled” (Portrait of Dad) [« Sans titre » (Portrait du père)] 1991 Bonbons à la menthe blancs dans des papiers d’emballage transparents, approvisionnement inépuisable, poids idéal : 175lb/80kg Key Biscayne, collection Rosa et Carlos de la Cruz Courtesy of the Felix Gonzalez-Torres Foundation / Laura Findlay “Untitled” (Portrait of Dad) [Sans titre (Portrait du père)], de Felix Gonzalez-Torres, doit s’appréhender non pas à travers une perspective formaliste maniériste ainsi que Giuseppe Arcimboldo a su si bien le faire au XVIe siècle, en recherchant une ressemblance visuelle avec le modèle, mais plutôt en regardant cette œuvre comme un portrait dont l’apparence est métaphorique, ce qui le rapproche de l’art du peintre lombard chez qui « tout est métaphore », comme le souligne Roland Barthes. Un portrait révisé par l’influence du minimalisme et de l’art conceptuel avec une grande économie de moyens. Un papa de belle stature, 80 kilos de pureté immaculée à consommer sans modération, puisque qu’il est doté de 14 FACE À ARCIMBOLDO / DOSSIER DÉCOUVERTE
réserves inépuisables. Tantôt représenté par un monticule tout en élévation, tantôt dans la rigueur dictée par la rectitude que la cimaise impose ou encore occupant pleinement la place par son expansion, son déploiement s’étend parfois d’un bout à l’autre de l’espace disponible. Perception d’un père dont l’aura lumineuse sans défaut apporte les sensations tout à la fois douces, fortes et fraîches que le bonbon à la menthe procure lorsqu’il effleure le palais du fils. Une douceur dans un emballage qui fait la part belle à la transparence. En somme, un beau portrait du père que le jeune Felix a admiré tout au long de sa trop courte existence. Marc et Josée Gensollen Rosemarie Trockel Sans titre (Le Petit Roi) 1985 Huile sur bois, 50,5 × 39,5 cm Nantes, musée d’Arts, 993.3.1.P © Adagp, Paris, 2021 © Musée d'arts de Nantes / A. Guillard Quelle sorte de souverain sommes-nous supposés voir ici (si tel est bien le cas) ? Un Petit Roi, comme le dit la parenthèse ajoutée à ce tableau de 1985 montrant un personnage couronné, mais sans titre véritable ? Lors de sa présentation, l’année même de sa réalisation, pour la première exposition personnelle de Rosemarie Trockel dans un musée, cette huile sur bois ne portait ni titre ni sous-titre. Ce personnage ressemble à un chimpanzé albinos sans poils, doté d’une physionomie schématique qui exprime… la peur, la stupeur, la détresse ? Tout cela à la fois ? Nous le voyons de face, avec ses orbites asymétriques qui, vidées de leurs globes oculaires, apparaissent comme des orifices parmi d’autres. Chaque trait du visage, insensible, semble simplement s’ouvrir, tête vide, sur le fond du tableau, d’un bleu lumineux. La forme du sujet évoque une matière plus proche de l’argile que de la chair – comme si, artistement, un singe avait quitté son pelage, emprunté une couronne et déplacé ses yeux pour agrémenter ce couvre-chef métallique. Désormais, dénaturé et pareil à un homme-enfant, la couronne de travers, le petit roi, appelons-le Œdipe, porte avec légèreté, comme dans une tragicomédie, le signe de son investiture. Brigid Doherty Maurizio Cattelan Ego 2019 Crocodile naturalisé, 346 × 60 × 36 cm Milan, collection particulière, courtesy Maurizio Cattelan’s Archive © Maurizio Cattelan / Maurizio Cattelan’s Archive Existe-t-il un rapport quelconque entre Ego et ton psychisme ? Je n’ai jamais suivi d’analyse, mais je me suis toujours représenté le cabinet d’un psy comme quelque chose de sombre et effrayant, rempli d’ombres et de sons terrifiants. Non pas tant à cause du malheureux médecin, qui n’y est vraiment 15 FACE À ARCIMBOLDO / DOSSIER DÉCOUVERTE
pour rien, mais plutôt en raison des créatures susceptibles d’apparaître au moment où quelqu’un affronte son propre inconscient en vis-à-vis. J’imagine que ce serait un peu comme ouvrir le vase de Pandore : il en sortirait des animaux à la fois féroces et fragiles, impuissants, à la manière d’ombres qui s’évanouissent à la lumière du soleil. Voilà pourquoi je suis sûr qu’Ego serait tout à fait à sa place accroché au mur d’un cabinet de psychanalyste, juste au-dessus du divan. Maurizio Cattelan Maurizio Cattelan Sans titre 2019 Polystyrène, résine époxy, fibre de verre et peinture, 150 × 135 × 110 cm Milan, collection particulière, courtesy Maurizio Cattelan’s Archive © Maurizio Cattelan / Maurizio Cattelan’s Y a-t-il des œuvres que tu regrettes de ne pas avoir créées ? Tout ce qui m’est passé par la tête, je l’ai fait. J’estime que la vie ne vaut pas la peine d’être vécue si nous avons tout le temps peur de ce qui pourrait se passer au cas où nous n’agirions pas. Bien entendu, cela m’a valu de commettre un tas d’erreurs et de retrouver beaucoup de squelettes dans mes placards. La tête en question est un des exemples de ce type de difficulté : ce que j’ai pensé n’a pas encore trouvé sa forme définitive (au moment où j’écris) ; on aura peut-être confirmation que c’était une erreur, à moins que tout cela ne se transforme en un magnifique cygne. Maurizio Cattelan 16 FACE À ARCIMBOLDO / DOSSIER DÉCOUVERTE
DANS LE FORUM : UNE INSTALLATION D’ANNETTE MESSAGER Le désir attrapé par le masque, 2021 « C’est un meeting dans le forum du musée. Les animaux sont cagoulés, ainsi masqués ils modifient leur identité de poule, lapin, oiseau, canard… Peut-être alors sont-ils plus libres, autres, différents ? Plus secrets ? Plus joueurs ? Plus dangereux ? Parfois ils sont suspendus au-dessus de nos têtes, reposant chacun sur un miroir, ainsi, en les observant, nous nous voyons nous-mêmes et devenons aussi lapin, chat, canard… Un chien s’est joint aux groupes, paré d’un masque anti-Covid, notre nouvelle « mascarade », que nous allons tous garder sûrement pour toujours en mémoire. Parfois des gants noirs sont aussi suspendus, d’un doigt sort une croix faite avec deux crayons de couleur qui, retournée à l’envers, symbolise le diable. De temps en temps les animaux descendent, guettant les chasseurs, qui, eux, sont entièrement masqués, camouflés en costume feuillage, et ont tendu des filets noirs pour mieux les attraper et les terrasser. C’est alors la revanche des bêtes, qui, elles, posées au sol, surveillent ces humains chasseurs, les immobilisent, peuvent les attaquer, les anéantir…» Annette Messager, 2020 Vue de l'installation Eux et nous, nous et eux d'Annette Messager lors de l'exposition "La Messaggera di Villa Medici" à la Villa Médicis, 2017 © Adagp, Paris, 2021 17 FACE À ARCIMBOLDO / DOSSIER DÉCOUVERTE
5. LISTES DES ARTISTES Giuseppe Arcimboldo Ulisse Aldrovandi Francis Bacon Enrico Baj Hans Bellmer Lynda Benglis Cezary Bodzianowski Alighiero Boetti Denis Boutemie René Boyvin Giovanni Battista Bracelli Kerstin Brätsch Victor Brauner Glenn Brown Cadavres exquis : [Yves Tanguy, André Masson] [Yves Tanguy, Marcel Duhamel, Max Morise, André Breton] [Koo Jeong A, Ian Cheng, Philippe Parreno] [Marlene Dumas, Virgil Abloh, Rem Koolhaas] [Alex Israel, Norman M. Klein, Henry Taylor] [Paul McCarthy, Luchita Hurtado, Patrick Staff] [Tobias Rehberger, Rirkrit Tiravanija, Mathias Augustyniak] [Peter Saville, Liam Gillick, Philippe Parreno] [Yu Hong, Liu Xiaodong, Liu Wa] Miriam Cahn Fernando et Humberto Campana Maurizio Cattelan Jake & Dinos Chapman Gregorio Comanini Gustave Courbet Roberto Cuoghi David Czupryn Daft Punk Salvador Dalí Giorgio de Chirico Otto Dix Enrico Donati Marcel Duchamp Albrecht Dürer Carl August Ehrensvärd James Ensor Max Ernst Hans-Peter Feldmann Lavinia Fontana Llyn Foulkes Daniel Fröschl Giambologna Gilbert & George Felix Gonzalez-Torres Francesco Guardi 18 FACE À ARCIMBOLDO / DOSSIER DÉCOUVERTE
Cornelis Norbertus Gysbrechts Heide Hatry Robert Heinecken Hannah Höch Pierre Huyghe Rashid Johnson Christoph Jamnitzer Ewa Juszkiewicz Tetsumi Kudo Claude Lalanne Nicolas II de Larmessin Zoe Leonard Roy Lichtenstein Giovan Paolo Lomazzo Ghérasim Luca René Magritte Maître du Bacchus Maître lombard du Custode dell’orto Maître strasbourgeois des Quatre Saisons Maître de la Tête de satyre Man Ray Alberto Martini Matthäus Merian Mario Merz Marisa Merz Annette Messager Tomio Miki M/M (Paris) Patrick Neu Tim Noble & Sue Webster Luigi Ontani Meret Oppenheim Bernard Palissy Peintres d’Herculanum et de Pompéi Peintre du Plafond au bestiaire Francis Picabia Pablo Picasso Louis Poyet Markus Raetz André Raffray Antonio Rasio Auguste Rodin Medardo Rosso Ed Ruscha Chéri Samba Alberto Savinio Iris Schieferstein Arnold Schönberg Cindy Sherman Penny Slinger Sodoma Daniel Spoerri Cally Spooner Jacopo Strada Jindřich Štyrský Jan Švankmajer Alina Szapocznikow Wolfgang Tillmans Toyen Rosemarie Trockel Francesco Zucchi 19 FACE À ARCIMBOLDO / DOSSIER DÉCOUVERTE
6. MOTS EN LIBERTÉ Pour aider les enseignants dans leurs recherches. MANIÉRISME Mots-clé : modernité, art pour l'art, conceptuel, citation, allégorie, style, liberté, fantaisie, virtuosité, érudition. L’adjectif « maniériste » est employé pour la première fois par le Français Roland Fréart de Chambray en 1662 dans son ouvrage Idée de la perfection de la peinture. À connotation péjorative, il est utilisé pour dénoncer une nouvelle représentation du canon hérité de l’Antiquité, une « manière » de peindre au goût prononcé pour le mouvement, la fantaisie, le décoratif et les outrances musculaires, un style basé sur l’artifice qui s’éloigne de l’équilibre, de l’harmonie, de la mesure et de l’imitation de la Nature qui caractérisent la Renaissance. Le terme « maniérisme » apparait seulement au XVIIIe siècle avec la même connotation dépréciative, qu’il conserve jusqu’au XXe siècle, lorsque les tenants de l’art moderne entreprennent de réhabiliter cet art longtemps méprisé, considéré comme un symbole de décadence artistique. Le maniérisme désigne donc un courant artistique et intellectuel du XVIe siècle, entre l'apogée de la Renaissance et les débuts du Baroque, un art aux dimensions de l’Europe comme en témoigne le partage d’une même culture artistique à partir de 1530 en Italie, en Espagne, en Angleterre, en Bohême, en Suède, au Danemark, en France ou encore en Flandres. Son esthétique gagne tous les domaines, y compris les arts dits mineurs, mobilier, décor intérieur, art des jardins, vêtement, arts du spectacle et jusqu’au raffinement des relations sociales. Au service du pouvoir, le maniérisme est indissociable des crises (politiques, religieuses, économiques) qui traversent le XVIe siècle. Si le maniérisme reste une altération de la bella maniera pour ses détracteurs, c’est-à- dire du style des grands maîtres de la Renaissance, Raphaël, Léonard de Vinci et Michel-Ange, on reconnaît aujourd’hui l’originalité et l’autonomie de ce style virtuose marqué par la diversité des personnalités artistiques et la variété de leurs recherches. Énigme Le maniérisme est un art de cour, un art savant dont les œuvres sont destinées à un public d’aristocrates cultivés et raffinés dont elles reflètent les goûts luxueux et les idéaux esthétiques. Si le double sens, qui est le code secret du maniérisme et son ressort intellectuel, n’est pas toujours compréhensible, la clé d’analyse des œuvres qui regorgent de métaphores, d’allégories et de citations à destination du commanditaire, est explicitée par des poèmes. Les premières versions des Saisons et des Éléments remises à Maximilien II par Arcimboldo, puis Vertumne et Flore offerts à Rodolphe II, s’accompagnent des vers de Giovanni Battista Fonteo, Giovanni Gherardini ou Gregorio Comanini qui en décryptent les messages cachés et évitent ainsi toute ambiguïté d’interprétation (les agrumes présents dans L’Hiver sont reconnus comme les fruits du jardin des Hespérides, signes d’un âge d’or revenu avec les Habsbourg : un message que l’on trouve également dans Vertumne). 20 FACE À ARCIMBOLDO / DOSSIER DÉCOUVERTE
Maniera L’usage courant du mot maniera est attribué à Georgio Vasari (1511-1574) peintre, architecte et écrivain toscan dont le recueil biographique Les Vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes, est considéré comme une des publications fondatrices de l'histoire de l'art. Chez cet humaniste, le terme maniera est employé de deux façons différentes. La première acception a le sens de style : l'art « ancien » (maniera vecchia) est ainsi opposé à l'art « moderne » (maniera moderna). D'autre part, Vasari qualifie cette maniera moderna de bella maniera lorsqu'elle implique certaines qualités exceptionnelles, comme l'harmonie, la mesure, l'imagination et la fantaisie.14 En ce sens, le terme de maniera n'est évidemment jamais employé de façon négative, elle représente le trait caractéristique de l’expression de l’artiste associé à l'idéal courtois et raffiné du XVIe siècle. Pour Vasari, les artistes de sa génération, dont la biographie est mentionnée dans les Vies, sont précisément ceux qui ont une « manière » originale de peindre : ils ont du style, ce sont des modernes, ceux qui ont dépassé les maîtres antiques. Peu à peu, l'idée d'une décadence de l’art par rapport à la perfection idéale d’un Michel-Ange voit le jour. Elle est dirigée en particulier contre ceux qui abandonnent les modèles de la nature préférant s'appuyer sur la pratique (l'art pour l'art) et non plus sur l'imitation. Modernité La génération d’artistes qui suit la perfection expressive et formelle incarnée par Michel-Ange et Raphaël, les maniéristes, se trouve dans une impasse. Ne pouvant dépasser les grands maîtres, ils cherchent une nouvelle voie et rompent avec les règles établies. À la suite de Léonard de Vinci qui définit la peinture comme causa mentale (l’art est une expérience de la pensée), ils donnent le primat à l’expression de l’artiste sur l’imitation de la nature. Pour s’affranchir des normes esthétiques de leurs illustres prédécesseurs – proportions, perspective, équilibre et beauté idéale – ils donnent libre cours à une forme de fantaisie faisant naître des formes aux aspects plutôt étranges et inattendus pour l’époque (l’art est une émanation de la main humaine, il doit afficher son artificialité). Dotés d’une immense liberté créative, chaque artiste développe son style propre. On remarque cependant des caractéristiques générales communes comme des compositions complexes, asymétriques, fragmentées, avec des ruptures d’échelle et des espaces instables aux rythmes rompus. Les proportions sont souvent déséquilibrées, les corps déformés, étirés, adoptent des postures dynamisées par des équilibres improbables. La « ligne serpentine », qui se caractérise par des courbes et des contre-courbes ascendantes, assouplit l’anatomie des personnages tout en s’affranchissant de la pesanteur et des contraintes du réel. Les lumières sont artificielles et les couleurs, acidulées et vives, sont libérées de tout souci de vraisemblance. L’accumulation des éléments dans le tableau, donne une sensation de « trop plein ». L’horror vacui maniériste traduit la magnificence du commanditaire et la narration passe au second plan par rapport au décor. 14 Sylvie BÉGUIN, Marie-Alice DEBOUT, Maniérisme, Encyclopédie Universalis [en ligne] https://www.universalis.fr/encyclopedie/manierisme/ 21 FACE À ARCIMBOLDO / DOSSIER DÉCOUVERTE
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