Irq in - C Federico Fellini Les clowns Valentina Monti Circle - Hypotheses.org

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CinéCirque	
  N°1,	
  Automne	
  2019,	
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               Préambule ou pré en bulles

       Comme Francis Ponge et sa Fabrique du Pré, ce carnet
       est né du désir d’ouvrir mon « atelier » et d’offrir la
       possibilité au lecteur d’assister, après coup mais
       comme au présent, à une réflexion sur le cirque au
       cinéma. Ce premier numéro s’articule autour de la
       manière dont cirque et cinéma se rejoignent. On y voit
       en particulier se dessiner – à notre insu ? – une
       esthétique circassienne à l’écran.

       Parmi les chercheurs-saltimbanques ayant participé à ce
       numéro, Derek Woolfenden, à travers la fiction de
       Damiani, Un génie, une cloche, deux associés, aborde
       les origines spectaculaires du cinéma, suivi d’une
       réflexion sur Le Spectacle le plus comique du monde,
       un film en trois dimensions ayant pour décor le cirque
       et dont l’acteur Totò, dans son interprétation de
       dompteur de lions fait écho à Togni Darix évoqué par
       Brigitta Loconte dans son article consacré au
       documentaire Circle réalisé par Valentina Monti (dont
       a été tiré le visuel choisi pour la couverture de ce
       premier numéro). La présence de Togni, dompteur de
       métier et qui a travaillé avec Totò, le doublant sur le
       tournage du film de Mattoli, nous confirme qu’à travers
       la fiction apparaît aussi une trace, un témoignage au
       même titre qu’une archive sur le cirque. Damien
       Angelloz-Nicoud s’est penché quant à lui sur Les
       Clowns de Fellini et nous montre qu’à travers cet essai-
       documentaire sur le cirque le cinéaste active sa
       mémoire. Un hommage au monde du cirque qui
       provoquait la colère d'Étaix par sa vision misérabiliste.

                                                         Élodie Hachet

	
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                                                                                                              Présentation des auteurs

                                                                                    - Derek Woolfenden est scénariste, cadreur, réalisateur et monteur de ses propres films
                                                                                    auto-produits (plus de 30 courts-métrages, un moyen et un long). Membre du Collectif
                                                                                    Négatif depuis sa création par Yves-Marie Mahé en 2006. Programmateur de films en
                                                                                    tous genres dans des lieux alternatifs, il est membre du collectif Curry Vavart depuis
                                                                                    2010 et travaille à la Cinémathèque française depuis 2006.

                                                                                    - Élodie Hachet est fondatrice, directrice et rédactrice en chef de CinéCirque.
                                                                                    Doctorante en études cinématographiques, sous la direction de Cécile Sorin en cotutelle
                                                                                    avec Augusto Sainati de l’université napolitaine Suor Orsola Benincasa. Son projet de
                                                                                    recherche porte sur la figure d’Antonio de Curtis dit « Totò » dans le cinéma italien
                                                                                    d’après-guerre.

                                                                                    - Damien Angelloz-Nicoud est chargé d’enseignement en études cinématographiques à
                                                                                    l’université Paris 8 ainsi qu’à la Faculté des Arts d’Amiens. Doctorant au sein de
                                                                                    l’ESTCA de l’université Paris 8, il mène une recherche sur les notions de « Monument,
Conception et réalisation de la couverture : Florence Azario - contact@floaza.com

                                                                                    monumental et monumentalité » dans l’oeuvre du cinéaste Federico Fellini, sous la
                                                                                    direction de Suzanne Liandrat-Guigues. Ses recherches portent sur les interactions entre
                                                                                    les espaces, décors, architectures et les corps. Il travaille également sur différentes
                                                                                    esthétiques de l’excès (les représentations des foules, du gigantisme corporel, du
                                                                                    grotesque), notamment dans le cinéma européen d’après guerre.

                                                                                    - Brigitta Loconte est doctorante en études italiennes à la Sorbonne. Ses recherches,
                                                                                    conduites sous la direction de Davide Luglio et Emiliano Morreale, portent sur l’écriture
                                                                                    cinématographique que Giorgio Bassani (1916-2000), écrivain et scénariste, a rédigé
                                                                                    pour le cinéma italien dans les années cinquante. Elle collabore aussi avec la revue de
                                                                                    cinéma italien contemporain Filmidee. En 2018, son travail de thèse a reçu, par
                                                                                    l’AIRSC (Association Italienne Recherches Histoire du Cinéma) le prix
                                                                                    FOTOGRAMMA.
	
  
                                                                                       	
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                                                     Sommaire

- Présentation des auteurs .............................................................................................. 2

- Du pathétique au sublime, les liens oubliés entre cirque et cinéma (Retour sur
quelques films populaires aujourd’hui méconnus ou dénigrés)
Par Derek Woolfenden ..................................................................................................... 4

- « Le spectacle le plus comique du monde », Mattoli (1953)
Par Élodie Hachet ........................................................................................................... 12

- Un gros souffle au cœur (« Les clowns » de Federico Fellini, 1970)
Par Damien Angelloz-Nicoud ........................................................................................ 19

- « Circle » : la redécouverte du merveilleux entre conversation intime et montage
Par Brigitta Loconte........................................................................................................ 24

     	
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                           Du pathétique au sublime, les liens oubliés entre cirque et cinéma
                           (Retour sur quelques films populaires aujourd’hui méconnus ou
                                                      dénigrés)

                                                                                                                                                                                                                                   Par Derek Woolfenden

Que reste-t-il du cirque ou du forain… dans le cinéma traditionnel, populaire de
manière indirecte, inconsciente ou volontairement disséminé et dissoute dans la trame
classique d’une fiction de genre ?
Les acrobates ne seraient-ils pas devenus les cascadeurs1 dans un film d’action, surtout
avec Richard Rush (The Stunt Man) ? Et les clowns, ces copains résistant
collectivement aux responsabilités qui incombent à leur âge (ou à leur fonction sociale
dans Bande de flics), mais pas à leur cœur (Mes Chers amis, Les copains, Un éléphant
ça trompe énormément…), ces troublions parsèment aussi bien les « Buddy Movie » en
tous genres (surtout le film policier d’action américain : Freebie and the Bean, 48
heures, L’Arme fatale, Rush Hour…) ainsi que le western italien (chez Leone comme
Sollima ou Corbucci). D’ailleurs le binôme policier de L’Arme fatale de Richard
Donner n’aurait-il pas pour origine le duo clownesque de Chocolat et Foottit
correspondant circonstanciellement à la naissance du cinéma2 ? À la lisière du clown et
à l’image de Belmondo dans Hold-Up d’Alexandre Arcady, il y a aussi ces boute-en-
train à l’ironie constante anticipant la réaction cynique du spectateur pour mieux mettre
en boîte ce dernier, que ce soit Han Solo3 dans Star Wars, le protagoniste du manga
Cobra et Star-Lord des Gardiens de la galaxie, Alex dans Orange Mécanique, Paul et
Peter dans Funny Games ou Mick Taylor dans Wolf Creek.
	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
1
  « La cascade, à l’époque muette, signifiait marcher sur la queue des tigres. C’était une profession qui comptait peu
de vétérans. Quelles que soient vos qualifications, que vous soyez acrobate de cirque, pilote de voltige, dresseur
d’animaux ou pilote de course, vous deviez faire face à de nouveaux défis et à des risques inconnus à chaque film. Le
cinéma d’alors n’avait aucune des commodités qui suivirent, comme les transparences, les caches mobiles (bien que
tous deux apparurent avant la fin de la période muette) ou, plus récemment, les trucages numériques. Avec de tels
procédés, un homme peut apparaître se cramponnant par les ongles au rebord d’une fenêtre du douzième étage, alors
qu’il est, en fait, debout sur le sol. » (Kevin Brownlow, La Parade est passée…)
2
  « Né esclave à Cuba, Rafael est vendu à l’âge de dix ans à un marchand espagnol qui l’emploie comme domestique
à Bilbao. C’est dans cette ville qu’il rencontre Tony Grice, un clown célèbre dont il devient le groom puis l’élève. Il
l’accompagne à Paris en 1886 où il fait ses débuts sur la scène du Nouveau Cirque sous le nom de « Chocolat ». En
1888, il tient le rôle principal d’une pantomime burlesque à succès, La Noce de Chocolat. Dix ans plus tard, il forme
l’un des duos comiques les plus célèbres avec Foottit, clown blanc auprès duquel il tient le rôle du souffre-douleur.
Le duo est aussi connu du public grâce à la presse, à la réclame et aux manifestations caritatives auxquelles il
participe. Après leur séparation en 1910, Foottit et Chocolat poursuivent sans grand succès une carrière en solo.
Chocolat meurt dans la misère en 1917 à Bordeaux. » (Panneau de section consacré à « Chocolat » pour l’exposition
« Le Modèle Noir de Géricault à Matisse » au Musée d’Orsay, du 26 mars au 21 juillet 2019)
« - L’auguste de ce soir est le clown qui distrait le public pendant qu’on monte les cages. Qui a inventé ce
personnage ?
- On dit que vers la fin du siècle dernier, il y avait un employé si drôle et si maladroit que tout le monde riait. Il
s’appelait Auguste. Mais le premier vrai grand clown, celui qui a créé le personnage de l’auguste, c’était un Français,
Gilles Guillaume. Son histoire est très belle, un artiste de premier ordre. Il arrivait à se couvrir le nez avec la lèvre
inférieure… mais il buvait sans cesse et a fini alcoolique. Il a fini sur un lit d’hôpital, abandonné, oublié de tous. Un
jour, il a appris que Foottit et Chocolat, deux clowns célèbres, étaient en ville. Il ne les avait jamais vus. Il s’est
échappé de l’hôpital et a couru au cirque. » (Les Clowns de Federico Fellini)
3
  D’ailleurs, le binôme que ce personnage forme avec Chewbacca n’est pas éloigné de celui d’un montreur d’ours
avec son animal comme le présente le film Billy Rose’s Jumbo de Charles Walters.

                           	
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Et n’y aurait-t-il pas quelque chose d’involontairement circassien dans la débauche de
violence critique de L’Enfer des armes de Tsui Hark ou dans celle profondément
ludique du Mad Max Fury Road de George Miller ? Dans ce dernier, chaque abordage
d’une voiture à l’autre semble provenir d’une arène en perpétuel mouvement et un
prétexte jouissif pour des acrobaties en tous genres que la direction artistique ne
démordrait pas à en croire ces sauts à la perche constants et virtuoses ! Mad Max Fury
Road décline la scène de la course des chars de Ben-Hur sur toute sa durée de long
métrage, y substituant les chevaux de l’un pour les voitures rafistolés de l’autre…

« Le sang des arènes romaines, lointain miroir du cirque moderne… (…). Chaque série
de Jeux s’ouvre par une parade, précédée d’une fanfare et d’une troupe de comédiens
masqués, chargés de faire rire la foule au moyen de culbutes et d’équilibres ratés, sorte
de préfiguration antique du charivari. Des écuyers défilent, debout sur deux chevaux au
galop, précurseurs d’équilibres plus contemporains mais dont la base technique reste
identique ; douze paires de chevaux tenus aux longues rênes évoluent simultanément en
un carrousel devenu classique ; ou encore des voltigeurs sautent, en plein galop, d’un
cheval à l’autre. » (Pascal Jacob, La grande parade du cirque)

Et ne parlons pas du sadomasochisme propre aux westerns américains (les films
d’Anthony Mann à Budd Boetticher) comme italiens (ceux de Lucio Fulci et de Sergio
Corbucci) qui nous rappelleraient celui de certains clowns et autres saltimbanques qui
impressionnèrent notre mémoire au travers de deux chefs d’œuvre du cinéma muet que
sont Larmes de clown de Victor Sjöström ou L’Inconnu de Tod Browning avec Lon
Chaney.

Du fouet d’Indiana Jones (emprunté aux dompteurs de lions) ou du visage-rictus du
Joker dans Batman au renversement grotesque et baroque d’un seau de sang sur Carrie,
transformant celle-ci en clown malgré elle, le cirque est bel et bien partout et partage les
problématiques critiques de la société du spectacle qu’il fustige comme il corrobore et
renforce… Dans certains films, les séances d’audience au tribunal sont des scènes de
« cirque » : du I’m No Angel avec Mae West4 à Témoin à charge avec Marlène Dietrich,
sans oublier le dernier sketch de Mesdames et messieurs bonsoir où des magistrats
décrépis finissent par danser la tarantelle en pleine Cour d’Appel ! Et puis la relation
d’un public sadique toujours plus avide et monstrueux tant que la vie d’un acrobate tient
sur un fil ou qu’un clown joue à être le souffre-douleur d’un groupe ou un faire-valoir
maso, cela renforce à la fois la vitalité critique du cirque et son malaise polémique pour
les biens pensants… On retrouvera d’ailleurs ces mêmes problématiques dans une
corrida (Arènes sanglantes, La Dame et le toréador), sur un ring (Nous avons gagné ce
	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
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  « Aucune surprise à ce que Mae West soit aujourd'hui un point de ralliement pour les études queer comme
féministes. Non seulement est-elle auteur et farouchement indépendante (« Histoire, scénario et tous dialogues par
Mae West » annonce le générique de I'm No Angel) mais ses moments les plus chaleureux sont réservés à ses
servantes et ses amies. Dans la scène du procès qui clôt I'm No Angel, quand West se lance dans un plaidoyer pour la
défense, les allusions sont claires pour tout le monde. Tout comme la scène de la fête foraine dans la première bobine
servait également de publicité pour Paramount, le témoignage et interrogatoire de la dernière bobine équivalent à la
citation de la véritable Mae West devant les tribunaux de l'opinion publique Américaine. (....) Défiant les bien-
pensants offusqués, elle provoquait sans merci les puritains et autres grenouilles de bénitier. « Oui, » reconnaissait-
elle, « J'ai écrit l'histoire de I'm No Angel moi-même. ça parle d'une fille qui a perdu sa réputation et ne l'a jamais
regrettée. » Quand on lui demandait ce qu'elle pensait des censeurs, Mae West répondait avec espièglerie : « Ils ont
fait de moi ce que je suis aujourd'hui. J'espère qu'ils sont contents. » » (Thomas Doherty, Pre-code Hollywood sex,
Immorality, and Insurrection in American Cinema 1930-1934).

                           	
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soir, Le Champion) ou sur un tatami (Rosa la bourrasque, Deux filles au tapis)…
Certains films n’hésiteront pas à emprunter la mise en scène circassienne ou foraine
pour nous présenter leur héroïne énigmatique, fatale et « monstrueusement » belle (Lola
Montès, Night Tide, Some call it loving).

                                                                Mais concentrons-nous maintenant
                                                                sur l’un de ces films mésestimés sous
                                                                influence (directe ou indirecte)
                                                                « foraine », circassienne ou du théâtre
                                                                de marionnettes (la dimension
                                                                bigarrée         des       personnages
                                                                manipulables dans le western italien
                                                                est exemplaire !) : Un génie, une
                                                                cloche, deux associés et l’ubiquité de
                                                                Pulcinella à travers Terence Hill. Et
                                                                surtout ce qu’offre cette figure
                                                                fantasque, à l’instar du clown, au film
                                                                italien de Damiano Damiani en
                                                                1975…

                                                                   Un génie, une cloche, deux
                                                                   associés, Damiano Damiani
                                                                              (1975)

                                                                      « We are going to screw
                                                                            Amerika »

           « Le scénario est presque aussi impossible à raconter que s’il avait été écrit par feu W.C. Fields »

                                               Jacques Siclier pour sa critique au Monde du 24 janvier 1976.

« 300 000 dollars ont été escroqués aux Indiens par le commandant Cabot (Patrick McGoohan). Joe
Merci (Terence Hill) élabore un plan complexe et minutieux afin de les récupérer avec l’aide d’un ami,
Locomotive Bill (Robert Charlebois), un métis, de Lucy (Miou-Miou), et du douteux Jerry Roll. Le
colonel Pembroke est chargé de l’enquête. Cabot fait assassiner le colonel. Locomotive prend la place de
ce dernier. Cabot n’est pas dupe et démasque l’imposteur. Mais Joe et Locomotive déjoueront les plans et
contre-plans ; puis, ils restitueront le butin aux Peaux-Rouges. »

                                                  Jean-François Giré, Il était une fois… le western européen.

Dans Un génie, une cloche et deux associés, Damiano Damiani retourne au western
(neuf ans après El Chuncho) et en propose une version parodique et burlesque dont le
dispositif narratif repose sur une alliance bouffonne, pour ne pas dire circassienne ! Il
est autant parodique à l’égard du cinéma américain que de son double critique qu’est le
western italien. En effet, Damiani pastiche le dispositif mis en place par Salvatore
Laurani et développé ensuite par Franco Solinas… À savoir un gringo qui manipule un

    	
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Mexicain (El Chuncho5), un Noir (Queimada) et enfin, dans sa version humoristique, un
Indien (Un génie, une cloche, deux associés). Terence Hill devenant une sorte de
Polichinelle 6 omniscient ayant le don d’ubiquité d’un Droopy ou les propriétés
formelles et narratives d'un Fantomas !

« Pulcinella [Polichinelle], celui des plus anciens canevas en tout cas, déteste et fuit le pathétique et la
rhétorique. Il est vrai que, putassier comme il est, il s’en amuse, il joue la passion et le désespoir, il
montre sur sa main son cœur palpitant… il jure que la bouffe et la bourse sont les derniers de ses soucis…
et ne cherche naturellement qu’à tirer profit de la situation. Mais, à la fin, en vrai cynique, par une sorte
de cohérence esthétique, il renonce à tout : les privilèges et le pouvoir l’assomment, l’humilient… Mieux
vaut recommencer à zéro : la liberté d’esprit est préférable à un trône ! Pulcinella sait être impitoyable
comme seul sait l’être un autre masque, Mister Punch, le fils anglais de Pulcinella. »

                                                                                                                                                                                                                                                                  Dario Fo, Le Gai Savoir de l’acteur.

Les personnalités attachantes du film s'affranchissent de tout obstacle et défient une
nouvelle fois toute crédibilité. Leur caractère positif de « gentils » leur confère une
immunité « cartoonesque », prolongeant ainsi l'œuvre de Sergio Leone sans ambages ni
rougeur ; aussi bien le producteur/scénariste (Mon Nom est Personne), le réalisateur (ses
westerns) que l'utilisation de son compositeur attitré (Ennio Morricone).

« Chaque personnage, typé à mort, du génie (Terence Hill, de son vrai nom Mario Girotti) à la cloche
(Robert Charlebois), en passant par la petite égérie crado (Miou-Miou) et le méchant de service (Patrick
McGoohan), fait son petit numéro en vraie marionnette qu’il est et au mépris de toute vraisemblance. »

                                                                                                                                                                                                                                                      Henry Rabine pour La Croix du 2I janvier 1976.

On a souvent opposé le théâtre et le cirque, voire accablé l’un pour défendre ou défier
l’autre sans admettre leur complémentarité évidente et géniale si elle pouvait avoir lieu.
Une dimension « réaliste » ou/et théâtrale et une dimension circassienne et magique
furent ainsi opposées dès les premiers âges du cinéma. Les films des frères Lumière
contre Georges Méliès. Mais derrière les aberrances « circassiennes » du film
artificiellement ostentatoire (cabrioles, tours de magie du héros de mèche avec une mise
en scène fantasque et un montage 7 « pop expérimental »), se cache une profonde

	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
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  Gian Maria Volonté dans El Chuncho ne serait-il pas l’arlequin–faune si bien décrit par Dario Fo ? « Prenons le
masque primitif de Zanne, le père d’Arlequin. C’est un masque de la fin du XVI siècle. Il ménage un volume qui
privilégie les graves, proches des grognements d’animal, parce que le personnage même était lourdaud : c’était un
sauvage impulsif qui faisait des bonds, souvent acrobatiques, mais n’exécutait jamais de ballet, comme fera
l’Arlequin-chat du XVIII siècle. » (Dario Fo, Le Gai Savoir de l’acteur).
6
  « (l’acteur) Totò avait repris de Polichinelle la fourberie et la misère. Il n'est pas difficile de repérer un même lien à
la tradition chez les illustres masques cinématographiques italiens qui suivront ses pas. Gassman n'offre-t-il pas de
nouvelles variations de Scaramouche, lui-même avatar du miles gloriosus latin? (…). Ne pourrait-on reconnaître en
Manfredi un Arlequin moderne? Sordi, Mastroianni ou Tognazzi n'évoquent-ils pas tantôt Brighella, tantôt Pantalone,
tantôt Il Dottore ? Et comme il n'y a qu'une Colombine, il n'y aura qu'une Monica Vitti. » (Christian Viviani, Le
magique et le vrai, L'acteur de cinéma, sujet et objet).
7
  « Le tournage eut lieu en partie aux États-Unis dans Monument Valley. Certains des meilleurs négatifs furent
malheureusement volés. La production refusa de payer la rançon exigée pour les récupérer, et il fallut donc refaire
quelques scènes avant le montage et utiliser des négatifs de seconde qualité. Cela finit par poser de nombreux
problèmes de cohérence au montage, ce qui explique le scénario parfois décousu et le fait que le film sortit en
plusieurs versions suivant les pays. » (Fiche wikipedia du film).
« Le négatif du premier montage a été volé. Il n’y avait plus de négatifs. Ils ont donc refait un autre montage, mais
avec des prises qui étaient différentes du premier montage. C’est un cas assez rare dans l’histoire du cinéma où ils
n’ont jamais retrouvé le négatif d’origine du film ! C’est donc une espèce de rafistolage qu’on a vu à partir d’autres

                           	
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insolence défiant l’impressionnante stature de l’autorité psychologique et de ses
obsessions d’une vraisemblance ronflante… Le film de Damiani renvoie ainsi
l’Amérique à toutes ses traditions avérées artificielles et endosse (assume)
volontairement (et avec panache !) touts les remarques péjoratives et contemporaines à
l’encontre du genre qui le contient (western spaghetti) pour vomir à la face du monde
son amertume contemporaine ! Par exemple, le maquillage grossier de métis et bien
« affiché » sur le chanteur québécois Robert Charlebois est emblématique pour
ridiculiser la tradition américaine de ces grands acteurs pâles peinturlurés basanés ou
noirs pour jouer les Indiens plutôt que de caster de véritables Indiens… Et ne parlons
pas de Miou-Miou…: « Le film permet à Miou-Miou de chanter un Gloria mémorable
dans un lieu mal famé et de faire le plus drôle des strip-tease dans un désert pas bien
fréquenté. » (Robert Chazal pour France-Soir du 21 janvier 1976). Ou encore : « C’est à
Leone qu’on doit l’apparition de Miou-Miou dans cette suite d’aventures
rocambolesques : son côté gouailleur parisien, son personnage d’orpheline de feuilleton
au grand cœur, est à ce point extravagant qu’il pousse encore plus en avant les limites
de ce western de caricature. Ses airs de Bardot en détresse, son côté « rescapée » sans le
savoir, correspondent tout à fait à la volonté d’extravagance du réalisateur… » (Henry
Chapier, Le Quotidien, 22 janvier 1976). Le foutage de gueule est à son comble et bien
de circonstance ; il participe à rendre le film certes absurde, mais bel et bien insolent !
Jamais un film n’aura eu autant l’ambition de pousser ses limites aussi loin de sorte à se
confondre avec un cartoon de Tex Avery ! On ne s’étonnera pas que Terence Hill
adapte Lucky Luke au cinéma quinze années plus tard ! En effet, le film lui permet
« d’exécuter un numéro qui s’étire en longueur et tourne au spectacle de cirque (son
évasion du fort au son de Cavalerie légère de Suppé). » (Gilles Dagneau pour Image et
Son – La Revue du Cinéma, Saison 1976)

« Damiani et Leone s’amusent comme des petits fous avec tous les thèmes et clichés du bon vieux
western : les parties de cartes au saloon, les duels dans la grand’rue, les hors-la-loi et autres desperados,
les Indiens, l’armée, la construction de la voie ferrée… Tout y est, cul par dessus tête, dans un méli-mélo
sacrilège et complètement dingue. On ne sait jamais dans quel sens le film va partir : il pourrait ne jamais
finir, le principe en étant le rebondissement par l’absurde. Jeu de massacre qui n’est pourtant pas aussi
gratuit qu’il en a l’air : les traditions militaires en prennent un sacré coup, et la façon dont les Indiens
récupèrent leur terre est un pied de nez à toute la sinistre histoire de la conquête de l’Ouest. (…). Menant
cette danse d’Apaches, un superbe trio : Terence Hill, ex-Trinita et Sabata, toujours aussi nonchalant et
sympathique et le couple Robert Charlebois/Miou-Miou. Charlebois, surtout, est extraordinaire, avec son
nez cabossé, son air de chien battu, toujours prêt à se lancer dans les coups les plus impossibles. »

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« Mais ici la satire d’un genre codifié par Hollywood a été poussée à son paroxysme par les scénaristes –
Ernesto Gastaldi et Fulvio Morsella – et le réalisateur Damiano Damiani. Le héros raconte ce qui se
passerait dans un western pris au sérieux tandis qu’il obtient le même résultat en jouant une parodie. Nous
n’avons pas encore vu dans ce genre de productions des situations aussi rocambolesques. Le héros d’Un
génie, deux associés, une cloche n’est pas un tireur d’élite, c’est un magicien de foire. »

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                       Claude Garson pour L’Aurore du 26 janvier 1976

	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
plans qui n’étaient pas issus du négatif d’origine. » (Jean-François Rauger, invité à l’issue de la projection du film
durant le Festival Fantasia à Montréal le 27 juillet 2011, dans la salle J.A. De Sève de l’Université Concordia).

                           	
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Les apparences sont donc bien trompeuses... Le personnage Terrence Hill dynamite
comme jamais le genre, celui du western américain (tout en rendant hommage à son pan
critique). D’une part, au travers des complots historiques à l'encontre des Indiens pour
leur faire porter le chapeau des crimes commis par les Blancs, et avant de les accuser
puis de les massacrer en toute impunité. D’autre part, au travers de l’inauguration de la
société du spectacle inaugurée par Buffalo Bill transformant et réduisant sur son
passage tout l'Ouest à une mascarade éhontée, opportuniste et spéculative. Ce qui
contribue une nouvelle fois à transformer (vulgariser) l'Histoire en cartes postales
comparables à nos images d'Épinal…

« C’est l’éternel triangle, il y a un peu de Jules et Jim, un peu de Valseuses et beaucoup de morale ! Et la
morale, je l’ai enfin comprise aujourd’hui. Elle est magnifique la morale… C’est toujours… La buse, là,
qui est en haut… et quand le petit se fait chier dessus par une vache, le petit fait cui-cui, cui-cui… l’aigle
vient le manger, ça veut dire… quand t’es dans la merde, ferme ta gueule ! »

Robert Charlebois, invité à l’issue de la projection du film durant le Festival Fantasia à Montréal le 27
juillet 2011, dans la salle J.A. De Sève de l’Université Concordia.

Un génie, deux associés, une cloche finit par désamorcer sa propre mise en scène afin
de ridiculiser les stéréotypes du western américain et ridiculiser ses archétypes
implacables. La mise en abîme est permanente. Chaque séquence devient un spectacle
de cabaret, un show, un sketch (à l'italienne), une farce grotesque, un striptease, un
slapstick, une pièce de cirque où les exclus tirent leur revanche sur une Histoire
despotique, criminelle et toujours actuelle ! Ils s'arrogent le droit de détourner par la

    	
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même les grandes figures autoritaires propres au western : le tueur sans scrupules (joué
par Klaus Kinski), l'austérité fourbe et religieuse d’un prêtre, un colonel hagard de sa
propre stupidité, et tout ça sous couvert d’un marivaudage, via ce trio improbable entre
Jules et Jim, Butch Cassidy and The Kid et Les Valseuses, dissimulant mal sa charge
critique !

« Les héros de la commedia dell'arte sont toujours des désespérés, des pauvres diables qui se battent
contre la vie, contre le monde, contre la faim, la misère, la maladie, la violence. Cependant, tout cela est
transformé en rire, est transmué en raillerie, en élément de moquerie plus que de rire à gorge déployée.
Cette démarche appartient à une tradition très italienne que j'ai toujours défendue : la comédie à l'italienne
vient de là et il n'est pas vrai qu'elle soit vulgaire. Il est certain que la commedia dell'arte était vulgaire, on
y parlait toujours de pots de chambre, d'excréments, de clystères, de pets. Il y a, reconnaissons-le, un
élément de grossièreté, mais cela n'a pas d'importance parce que la véritable donnée profonde, c'est
l'élément de désespoir. »
                                               Jean A. Gili, Le cinéma italien, entretien avec Mario Monicelli.

                                       La faim, la soif, le chaud, le froid,
                                           La fatigue et la pauvreté,
                                           La violence et la cruauté,
                                          Sont l’ordinaire du grivois.

                                               Grimmelshausen, Les aventures de Simplicius Simplicissimus.

Les trois protagonistes du film revisitent donc l'Histoire de l'Ouest avec leur imaginaire
débonnaire, leur malice et nous invitent dans une farandole où les innocents au cœur
pur, pourtant anachroniques dans la violence passée ou contemporaine, s'amusent à la
blasphémer et sont libres le temps d’un film à faire ce qui leur plaît autant que Django
dans le film éponyme de Quentin Tarantino ou de ses mercenaires dans Inglourious
Basterds à l’égard de la véracité historique. Enfin, le carnage de Damiani est
comparable au jeu de massacre d’Antonin Artaud avec Le Jet de sang (courte pièce tirée
de L’ombilic des limbes)...

« Si je commençais à faire des films uniquement pour plaire aux critiques, je crois que je foutrais ma
carrière en l’air. Molière disait déjà d’eux : « Quelle bizarre engeance, qui ne cesse d’encenser les pièces
que personne ne va voir, et déteste celles que le public adule ! »

                           Pierre Richard dans un entretien paru dans la revue Cinéma français n°18, 1977.

« Le fantasme récurrent du critique consiste à réécrire la pièce à laquelle il assiste, d’une manière si
magistrale qu’elle réussisse à faire crever cette saloperie de théâtre qu’il hait de toutes ses tripes. Ainsi le
public n’ira plus qu’au cinéma et lui deviendra critique de cinéma, avec l’espoir d’assassiner le cinéma
comme il a assassiné le théâtre. Comme l’on peut voir, le fantasme de chacun est d’échapper à sa
fonction, de changer de rôle, de condition, de vie, de lieu ou d’époque. Toutes choses qui, au théâtre, sont
parfaitement possibles. »

                                                                          Roland Topor, Théâtre et Fantasmes.

    	
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Film plutôt méprisé parce que totalement incompris8, Un génie, une cloche et deux
associés est pourtant l'une des réponses, peut-être, les plus radicales et cinglantes du
cinéma italien à l'égard des Etats-Unis : de l'idéologie politique véhiculée au travers de
son cinéma à l'époque de son Âge d'or comme de sa politique contemporaine (l'embargo
américain à Cuba, la Guerre du Vietnam) et à l'instar des Français (avec la guerre
d'Indochine et d'Algérie).

« Adeptes de la contre-persuasion clandestine, ces cinéastes engagés cherchèrent à introduire, dans un
cinéma-spectacle qui avait l’adhésion et la sympathie « des plus larges masses populaires », des thèmes
radicaux inspirés des théoriciens du tiers-monde et notamment des idées du philosophe anti-colonialiste
Frantz Fanon (1925-1961), auteur, en particulier, des Damnés de la terre (1961). (…). Ils cherchaient
aussi à rappeler les luttes anticoloniales des peuples d’Amérique latine, du Vietnam, d’Afrique, ainsi que
celles de minorités ethniques (Noirs, Indiens, Chicanos, Portoricains…) au sein même des Etats-Unis. »

                                                                                                                                                                                                                                                        Ignacio Ramonet, Propagandes silencieuses.

	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
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  « C’est le western-spaghetti le plus exécrable jamais tourné en Italie. » (Michel Mohrt pour Le Figaro du 22 janvier
1976) Et le rire coincé de Jacques Siclier assumant mal son plaisir au film : « Ici, la contrefaçon astucieuse (du
western américain), portée par l’habileté de la mise en scène, reflète plus les lois d’un système de production
mystificateur et très rentable qu’une tentative de création rattachée jusque dans le « sacrilège » à une tradition
culturelle. On peut rire, certes. Le tout est de ne pas être dupe. » (Critique au Monde du 24 janvier 1976).

                           	
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                                                                                                                                                                                                                                   Par Élodie Hachet

                                               Suite au succès en 1952 du film Cecil B.
                                               DeMille Sous le plus grand chapiteau du
                                               monde,             d’autres           œuvres
                                               cinématographiques ayant la piste pour
                                               sujet virent le jour comme Histoire de
                                               trois amours, Trapèze… Moins connue
                                               est la parodie comique tournée en 1953
                                               par le cinéaste italien Mario Mattoli, avec
                                               le comique Totò en vedette dont le titre
                                               réutilise le superlatif hyperbolique, sorte
                                               de modestie ironique, en écho au film de
                                               DeMille. Le spectacle le plus comique du
                                               monde est tourné en 3D, connu également
                                               sous le titre de Totò en 3 dimensions tant
                                               ce comique transalpin était populaire en
                                               Italie. L’intrigue relate les tribulations du
                                               clown Tottons du cirque Togni, qui
                                               n'abandonne jamais son maquillage
                                               d’auguste, car un terrible secret le force à
                                               se cacher. Le propriétaire du cirque
                                               profite de la situation pour exploiter le
                                               clown, dont l'existence est également
                                               troublée       par      des       événements
sentimentaux, où interviennent une dresseuse d’éléphants, une trapéziste et même un
policier. Mais comment cirque et cinéma se rejoignent-ils ? En ligne sur Youtube dans
une qualité très médiocre, il est désigné par les commentateurs par le mot « relique ».
Relique car la trame est un prétexte pour enregistrer une série de numéros tirés des
revues de Totò (comme celui du coiffeur homosexuel et de la masseuse), mais aussi
parce qu’il devient témoignage, trace pour le cirque national Togni toujours en activité à
ce jour9.

Le corps de Totò et le corps du cirque : objets d’expérimentation du cinéma
tridimensionnel

        Tòto avait déjà fait l’objet d’une expérimentation dans le premier film italien en
couleurs, Totò a colori de Steno l’année précédente, et c’est à nouveau l’acteur vedette
qui est choisi pour le premier film en 3D réalisé en Italie. Il s’agit du premier film
italien qui utilise les effets stéréoscopiques pour valoriser une trame comique et les

	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
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        À la date de la publication de cet article, juin 2019

                           	
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immenses capacités gestuelles de Totò. C’est Totò également qui en se substituant à la
voix off du générique du début, explique de manière comique et s’aidant d’exemples
pratiques, ce qu’est un film tridimentionnel.
        L’ambiance d’un cirque se prête idéalement aux effets stéréostocopiques, livrant
les spectateurs aux mêmes sensations que les acteurs. Lorsque Tottons (Totò) est engagé
pour remplacer la « tête de turc » sur le stand de tirs à la cible (rappelant par là le film
un Turc napolitain, une autre comédie réalisée par Mattoli la même année) et qu’un
groupe de «brutes» intimidateurs – que nous avons déjà vu dans d’autres jeux à effets
stéréoscopiques – l’assailleront de balles, il est inutile de préciser que les mimiques
suggestives de Totò objetisé, quand il reçoit les balles en pleine face criant Allah !
seront perçues par les spectateurs comme si eux-mêmes les recevaient, les faisant
sursauter sur leur fauteuil, avec l’impression réaliste de recevoir eux aussi les balles en
plein visage.
        Épuisé par cet épisode et après une brève parenthèse dans un bureau d’emploi,
Totò se livrera à ses lazzi habituels dans un institut de beauté dont les décors, nous le
découvrirons à la fin, se trouvent sur la piste même du cirque Togni et sont donc intégré
aux numéros. Là, se déroule un des sketchs les plus fameux de Totò qui, costumé pour
le rôle d’un coiffeur pour dames et masseur, crée une série de situations irrésistibles de
par sa vis comica et aussi par l’efficacité des effets stéréoscopiques spécialement
conçus. Après avoir provoqué une série de catastrophes comiques, le spectacle se
conclut et les artistes se réunissent comme pour un rite pour la célèbre scène de la prière
du clown qui vient clôturer le film. Construire un film expérimental autour de Totò est
comode car il garantit à la fois une exécusion rapide des prises de vue et des retombées
économiques sûres. Champion au box-office pour l’époque, environ onze millions
d’euros actuels, sortant dans dix salles et pour peu de jours, à cause des difficultés
techniques de projections, alors que la version traditionelle faisait fureur chez les
amateurs.
        Le trio de scénaristes composé de Mario Monicelli, Sandro Continenza et Italo
Di Tuddo montre le travail de renforcement du système narratif d’origine, de manière
cohérente par rapport à l’investissement financier. Renforcement là où le sujet se limite
à coudre des épisodes fortement hétérogènes (parc d’attraction, institut de beauté,
magasin de vêtements) avec le fil conducteur « social » de la recherche de travail du
protagoniste tout en construisant la parodie du colossal Sous le plus grand chapiteau du
monde. Tous les personnages ont leur correspondance dans le film de Mattoli : Tottons
(Totò) prend le rôle du clown Buttons (James Stewart), qui comme lui cherche à fuir en
vain la police ; Bastian (Alberto Sorrentino) et Karl (Mario Castellani), respectivement,
l’acrobate Sebastian (Cornel Wilde) et le dompteur de lions Klaus (Lyle Bettger); May
(May Britt) remplace la dresseuse Angel (Gloria Grahme), Dorothy (Franca Faldini) la
fantaisiste Phyllis (Dorothy Lamour) et Tania (Tania Weber) la trapéziste Holly (Betty
Hutton). Le changement de genre de «Totò néoréaliste» du sujet au «Totò
métacinematographique» du scénario se cache aussi un degré différent de la
métabolisation de la technologie stéréoscopique. Le corps du cirque et la stéreoscopie
sont tout entier dévolus à la démonstration.
        Entouré de belles femmes mais contraint de garder son maquillage de clown,
Totò ne peut séduire mais est rendu sympathique à leurs yeux. Dans une caravane
lorsqu’il doit déterminer quelle est la plus belle d’Angel ou de Tania, Totò cache les
yeux de son chien pour marquer sa propre pudeur, créant ainsi un effet comique exultant
pour le spectateur. Les poitrines de ses femmes, par l’effet trimentionnel, deviennent

   	
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« le plus beau spectacle du monde » et Totò ira jusqu’à satisfaire le désir du spectateur
par une adresse à l’objectif qui feront se retourner ainsi les femmes dénudées face
caméra. Les clowns ont cette fonction qu’ils sauvent le spectacle et Totò remplit bien
cette fonction relevant tous les risques du métier : Il va jusqu’à se dédoubler et jouer sa
propre mère, travesti en femme bourgeoise dans le public, se cacher sous la peau d’un
tigre ou encore se travestir en dompteur de lions pour échapper à la police, traqué à
cause de son secret. On a pitié du pauvre Totò devant affronter ces lions enfermés dans
sa cage, le corps moulé dans son costume et dans son maquillage, et qui utilise ses pieds
et bras plus que le fouet pour les éloigner avant de prendre confiance en lui.

Totò et le cirque

          « Le cirque était une des grandes passions de Totò, affirme Liliana De Curtis, sa fille unique. Je
dirais que le cirque était une de ses plus grandes passions, avant tout parce qu’il disait que cela le mettait
au contact des animaux, et lui était un animaliste par antonomase, et ensuite il aimait cet air qu’on
respirait sous les chapiteaux. Il voyait dans le cirque une grande famille et c’était comme s’il respirait
l’air de chez lui, chose qui lui plaisait énormément. Je pense qu’il a fait ce film, Il più bello spettacolo del
mondo, qui contient aussi cette très belle poésie que mon père clama à la fin (la preghiera del clown, ndr),
parce que justement il se déroulait dans un cirque. Il me semble que cette poésie enveloppe complètement
tout ce que le cirque signifiait pour mon père. »10

        Le film mise sur l’effet « waow » du tridimentionalisme (passant pour une
nouveauté sensationnelle quand cela existait déjà dans les années 20), et pousse les
acteurs à interagir constament avec la caméra pour accentuer l’implication des
spectateurs au cinéma. Ainsi Totò donne le maximum de lui-même parce que dans le
cadre du cirque, la présence du public le galvanisait rappelant que l’acteur, homme de
scène avant tout, jouait avant tout pour le public qu’il maîtrisait parfaitement lors de ses
avant-spectacles. Le cirque est un art qui comme Totò ne se donne qu’en direct et
apparaît comme la représentation sociale, sinon, la caverne originelle, de toutes les
fantasmagories enfantines. Le clown doit tout, et immédiatement à son public. Totò
s’astreint à la pureté de son geste, sorte de réduction eidétique. Mais le cinéma permet
aussi de dire des choses que l’on ne dirait pas sur une piste et Totò le fait très bien avec
sa prière au clown qu’il a lui-même écrit tant il était impliqué dans le film.
        Signalons que Totò était doublé dans certaines scènes par le dompteur Darix
Togni, car le chapiteau qui sert de cadre à cette fantaisie filmée est celui du cirque géant
italien Togni qui a travaillé avec Totò tout au long du film. À croire que Totò y a pris
goût puisqu’il renouvera l’expérience de la cage aux fauves dans Totò dans la fosse aux
lions11 et Fifa e arena12. Togni a été aussi un grand ami de Federico Fellini, qui a trouvé
en lui une de ses sources d’aspiration pour de nombreux grands personnages de ses
films. En plaçant Totò au milieu d’un décor circassien, mais aussi dans un rôle de
clown, Mattoli crée une sorte de mise en abîme, nous renvoyant à l’innocence première
de Totò. Totò-clown dans le rôle d’un clown tel un Pierre Etaix grimé en Yoyo. Du
détour par le cirque, le cinéaste fait un détour par l’enfance du personnage, lui permet
de naître au monde véritablement, en somme de trouver là sa vocation, mais rappelle
aussi l’origine foraine du cinema.

	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
10
   Chiara Amato rapporte son entretien avec Liliana De Curtis sur le rapport de Totò au cirque dans une thèse de la
faculté de Lettres et Philosophie à Milan qui s’intitule « Totò, le cirque et le théâtre de variété »
11
   Titre original Due cuori fra le belve, réalisé par Giorgio Simonelli et sorti en 1943.
12
   Réalisé par Mario Mattoli, sorti en 1948.

                           	
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