Grandes espèces marines : point sur l'année 2010
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1 Grandes espèces marines : point sur l’année 2010 Document de travail préparé par P. Cury & B. Séret Les grands prédateurs marins tels les requins, thons, espèces de poissons de grande taille (morue, merlus, mérous…) ont été exploités pendant des millénaires, mais s’ils sont restés très abondants avant la période industrielle, aujourd’hui ils se raréfient. Depuis les cinq dernières décennies, avec la surpêche, on estime que leur abondance à l’échelle globale a diminué entre 60 à 90% par rapport à leur niveau historique (Worm et al 2010). Dans l’Atlantique Nord-Ouest le poids moyen des poissons est ainsi passé de 800 grammes à environ 175g en moins de trente ans. Ces ressources marines, doivent être protégées et gérées non seulement en tant que ressources vivantes renouvelables mais également pour les services écosystémiques qu’elles procurent. Elles jouent notamment un rôle fondamental dans le fonctionnement, la résilience et la stabilité des écosystèmes marins. Ainsi la surexploitation d’espèce comme la morue ou les grandes espèces démersales aboutit à des pullulations d’espèces de petites tailles, comme par exemple les petits poissons fourrages (sardines, anchois, …) mais aussi parfois des espèces indésirables comme les méduses. Ce phénomène, connu sous le nom de cascade trophique, se produit de plus en plus fréquemment dans de nombreux écosystèmes surexploités, de manière irréversible. Les grands prédateurs hauturiers qui réalisent des migrations de grandes amplitudes sont gérés par les ORP (Organisations Régionales des Pêches) ; ces dernières ont montré une efficacité très réduite pour gérer ces ressources hauturières (Suzuki et Pauly 2010), ce qui résulte en leur dégradation continue. Ainsi deux tiers des ressources qui sont gérées par ces quelques 18 grandes ORP sont soit effondrées ou bien ont été surexploitées. Les processus de négociation de ces organisations ont été largement critiqués notamment sur la question de leur transparence et la manière dont les négociations se font souvent en marge des réunions plénières et en dehors des résultats scientifiques. Synthèse des « actualités 2010 » sur le thon rouge « Atlantique est et mer Méditerranée » Un bref rappel des décisions prises ces dernières années en matière d’exploitation du thon rouge paraît nécessaire pour comprendre la situation présente. La période 1998 et 2007 a été marquée par de très importantes sous déclarations : les captures déclarées étaient de l’ordre de 30000 à 35000 t mais estimées autour 50000 t voire plus. A partir de 2008 s’opère un changement notable suite au plan de reconstitution du thon rouge qui a été mis en place en juillet 2007, puis significativement renforcé en 2008 et 2009. Ce plan qui comporte une centaine de mesures de gestion, de monitorage et de contrôle, s’est accompagné d’un renforcement des contrôles et d’une forte baisse des captures, i.e. 24057 t et 20228 t reportées et estimées par le SCRS pour 2008 et 2009 (soit 10000 à 25000 t de moins que les captures déclarées lors des années 1996-2007 et 25000 à 30000 t de moins que les captures estimées sur 1996-2007). A noter que la pêche illégale n’a probablement pas disparue mais a vraisemblablement régressée.
2 Le groupe de travail (GT) pour l’évaluation du thon rouge atlantique s’est réuni au secrétariat de la CICTA du 6 au 12 septembre 2010 à Madrid. Pour le stock « Atlantique est et mer Méditerranée » il a été décidé : - fixation d’un quota de pêche de 12 900 tonnes ; - non étalement du ‘payback’ de l’Union européenne (donc diminution de son quota d’environ 1500 t en 2011 et 2012, ce qui concerne essentiellement la France); - renforcement des mesures de contrôle ; - pas de fermeture des zones de reproduction ; - Pour le stock « Atlantique ouest », diminution du TAC (passage de 1900 t à 1750 t), Le dernier avis du comité scientifique de la CICTA (le SCRS- composante scientifique) montre une amélioration de l’état du stock du thon rouge de l’Atlantique est et de la Méditerranée par rapport aux évaluations précédentes. La perception sur l’état du stock est, pour la première fois depuis de nombreuses années, plus positive que par le passé, notamment suite à une diminution des mortalités par pêche sur les plus gros poissons (âges 10+). Le comité pense que les baisses de captures sur les petits poissons, comme l’augmentation des concentrations/abondances de ces mêmes tailles en Méditerranée font suite à l’application de la taille minimale à 30 kg pour bon nombre de pêcherie et secondairement la réduction de la saison de pêche. Malgré ces points positifs, les mortalités par pêche restent trop élevées au regard des points de référence. Bien évidemment, les efforts de gestion doivent impérativement se poursuivre (probablement pendant une dizaine d’années car le thon rouge est une espèce à vie longue qui a longtemps été surexploitée) et c’est pourquoi le SCRS recommande de reconduire le plan de gestion du thon rouge en son état pour les 3 années à venir (2011-2013) avec une capture annuelle constante égale au TAC actuel de 13500 tonnes ou tout TAC inférieure à cette valeur. Il faudra également attendre encore au moins 3 années pour avoir une estimation plus fiable et plus précise de ce plan étant donné les données qui restent malgré tout d’assez médiocre qualité. Les ONGs ne sont pas du même avis et militent pour un TAC fortement réduit (6000 tonnes) ou nul du fait des fortes incertitudes sur les évaluations et de l’approche de précaution qui devrait conduire, selon elles, à considérer une probabilité de réalisation plus élevée (80 % ou plus). Pour bien comprendre l’enjeu sur la protection des zones de reproduction du thon rouge, il n’est pas inutile de revenir sur l'historique de l’avis scientifique. Le SCRS avait proposé cette recommandation de gestion en 2006, via la fermeture de la Méditerranée en mai et juin. Il s’agissait d’une solution qui permettait de diminuer les captures significativement (impossible de trouver d'aussi importantes concentrations de thon rouge hors période/zone de frai) à une époque où les quotas étaient malheureusement loin d'être respectés. La commission ICCAT a alors choisi une autre option basée sur un ensemble varié de mesures (taille minimale, fermeture spatio-temporelle par engin, quota, mesures de contrôles et monitorage). Toutefois la polémique actuelle entre CICTA et ONG porte principalement sur la protection des zones de reproduction et sur la date d’échéance du plan. Certaines ONGs et la Commission européenne (partie contractante de la CICTA et signataire du plan de reconstitution) s’appuient sur les objectifs de la DC-SMM pour justifier une échéance en 2020 à la place de 2022. Le principal avantage de ces deux aménagements serait donc d’atteindre la reconstitution du thon rouge 2 années plus tôt que le plan de gestion actuel. Au regard du plan de reconstitution de la CICTA qui se situait dans une logique à long terme (15 ans) et aux performances du plan de gestion actuel en terme de mortalité par pêche.
3 Synthèse des « actualités 2010 » sur les requins CMS (Convention on Migratory Species) La 3ème réunion de la CMS consacrée aux requins (Shark III, Manille, 8-12 février 2010) a enfin permis l’élaboration d’un Mémorandum d’entente sur la conservation des requins migrateurs (Memorandum of understanding on the conservation of migratory sharks). Cependant ce mémorandum n’a aucun caractère légalement contraignant. Il concerne seulement les espèces qui sont déjà inscrite en Annexe 1 de la CMS : le requin-baleine Rhincodon typus, le requin-pèlerin Cetorhinus maximus, le grand requin blanc Carcharodon carcharias, le requin-taupe bleu Iusrus oxyrinchus, la requin petit taupe Isurus paucus, le requin-taupe commun Lamna nasus et l’aiguillat Squalus acanthias (populations de l’hémisphère nord). Ce mémorandum est accompagné d’un plan d’action qui n’est pas encore adopté et dont la mise en œuvre par les parties contractantes se fera sur la base du volontariat. CITES (Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction): Les espèces suivantes ont été proposées pour inscription en Annexe II de la CITES : Proposition 15 (USA & Palaos) : Le requin-marteau halicorne Sphyrna lewini, et 4 autres espèces en raison de la ressemblances de leurs ailerons : le grand requin-marteau Sphyrna mokarran, le requin- marteau commun Sphyrna zygaena, le requin sombre Carcharhinus obscurus et le requin gris Carcharhinus plumbeus. Proposition 16 (USA & Palaos) : Le requin océanique Carcharhinus longimanus Proposition 17 (UE) : Le requin-taupe commun Lamna nasus Proposition 18 (UE) : L’aiguillat commun Squalus acanthias Toutes les propositions ont été rejetées. A noter que la proposition relative au requin-taupe avait été acceptée en commission, puis rejetée en plénière à une voix près, or le vote positif de l’Allemagne na pas été pris en compte du fait dune problème technique! UN Fish Stocks Agreement Les recommandations prises ont été : - Assurer la collecte de données par espèce pour les espèces de requin capturées par des pêches ciblées ou bien en tant que captures accessoires d’autres pêches; - Effectuer des évaluations biologiques débouchant sur des mesures de gestion et de conservation appropriées pour ce type de requin; et - Renforcer, au vu des meilleures données scientifiques disponibles, le respect des interdictions existantes concernant la récolte des ailerons de requin, notamment en exigeant que les requins soient débarqués avec leurs ailerons naturellement attachés ou en utilisant d’autres moyens aussi efficaces et applicables. European Commission Roadmap En août 2010, la CE a établi une feuille de route pour la révision de la réglementation de 2003 sur le finning. Les objectifs sont :
4 - améliorer la mise en œuvre de l’interdiction du finning - faciliter les contrôles - accroître la récolte de données : identification des espèces, composition des captures, composition en taille, etc.. - assure la cohérence entre les réglementations européennes et internationales. Cette feuille de route liste 5 options : - Option 1: maintenir l’utilisation du ratio de 5% par rapport au poids frais - Option 2: augmenter ce ratio pour certaines espèces (peau bleu et taupe bleu) - Option 3: passer du ratio de 5% en poids frais à 5% en poids préparé (éviscéré et étêté) - Option 4: les nageoires sont coupées et attachées à la carcasse - Option 5: les nageoires ne sont pas coupées En Novembre 2010, l’UE a ouvert une consultation publique sur ces options jusqu’au 21 février 2011. GFCM (Commission générale des pêches pour la Méditerranée) Recommandations prises : - Rédiger une proposition pour réduire les prises accessoires des senneurs, palangriers et chalutiers en Méditerranée et Mer Noire - Identifier et cartographier les zones critiques (nurseries) - Réaliser des études pilotes sur les engins et stratégies de pêche pour réduire les prises accessoires - Définir une stratégie pour la gestion des espèces exploitées inscrites dans la Convention de Barcelone - Elaborer des plans d’actions nationaux pour la conservation des élasmobranches - Inclure les prises accessoires dans la Tache 1 du protocole GFCM - Encourager la participation des pays membres du GFCM dans ses actions - Créer un réseau d’experts au niveau régional pour l’échange d’informations scientifiques - Développer les recherches sur la systématique, la biologie, l’écologie et la dynamique des populations des espèces concernées - Finaliser le catalogue FAO sur les requins et réaliser celui sur les raies. ICCAT / CICTA (International commission for the Conservation of the Altantic Tunas) Lors de la réunion CICAT de Paris en novembre 2010 (cf. Compte rendu de la réunion ICCAT de Paris, 22-27 novembre 2010), 6 propositions ont été soumises pour la conservation des requins dans le cadre de cette organisation régionale des pêches (thonidés de l’Atlantique et de la Méditerranée). Un consensus a été trouvé pour interdire la pêche des espèces suivantes dans la zone ICCAT : le requin océanique (Carcharhinus longimanus, les requins marteaux Sphyrna spp., et le requin-taupe bleu Isurus oxyrinchus. Pour les requins-marteaux, une dérogation est accordée aux pays en voie de développement qui commercialisent la chair. Les propositions relatives au requin-taupe commun Lamna nasus et au requin-renard commun Alopias vulpinus ont été rejetées. De même, la proposition sur l’interdiction du finning, qui obligerait de débarquer les requins avec leurs nageoires naturellement attachées, a été rejetée. Tacs & Quotas de l’EU pour 2011 Cette proposition désigne les espèces interdites dans les eaux UE et à bord navires UE :
5 - Le requin pèlerin Cetorinhus maximus - Le grand requin blanc Carcharodon carcharias - L’ange de mer commun Squatina squatina - Le pocheteau gris Dipturus batis - La raie ondulée Raja undulata - La raie blanche Rostroraja alba - Le requin-taupe commun Lamna nasus (dans les eaux internationales) - Les raies-guitares Rhinobatidae Elles définit des TACs zéro pour les espèces suivantes : - Aiguillat Squalus acanthias - Requin-taupe commun Lamna nasus (TAC 0 en 2001 et en 2012) - Les requins de profondeur Centoscymnus coelolepis et Centrophorus squamosus (sikis) et le squale liche Dalatias licha. Par ailleurs, le maintien de l’interdiction des filets maillants en dessous de 600 m de profondeur (EC 51/2006AN. III) est recommandé pour la protection de ces requins. Les décisions finales concernant ces propositions seront prises lors du Conseil européen des ministres des pêches les 13 et 14 décembre 2010. Commentaires généraux Thon rouge • Les ONGs et les Fondations ont joué un rôle capital dans le débat ces dernières années et ont contribué à infléchir le mode de fonctionnement de la CICTA en dénonçant les décisions prises au mépris des avis scientifiques et en changeant l’avis de certains Etats qui ne pouvaient plus se permettre d’expliquer publiquement qu’ils préconisaient des décisions contraires aux avis scientifiques. Ces résultats sont encourageants et méritent d’être poursuivis dans le long terme. • Ajouter la protection des zones de frai du thon rouge (zones très localisées dans l’espace et le temps) au plan de gestion actuel aurait pour principal effet une baisse supplémentaire des captures totales, via l’interdiction de pêche aux thoniers senneurs (uniquement autorisés par le plan de gestion actuel à pêcher un mois lors de la période de frai). Elle permettrait une gestion sur le long terme en permettant une exploitation plus étalée dans le temps qui privilégiera les pêches artisanales au détriment des pêcheries industrielles (senneurs). Ce dernier point est une revendication forte des ONGs et va dans le sens des propositions de développer les ‘pêches’ artisanales pourvoyeuses d’emplois et qui utilisent des engins passifs moins gourmand en énergie fossile. Requins L’année a été riche en actualités relatives à la conservation et à la gestion des requins . Cela traduit une véritable prise de conscience internationale du problème de la surexploitation de nombreuses populations de requins, et le souci des états d’intégrer les requins dans leurs plans de gestion des pêches. En 2010, des avancées ont été faites, mais elles restent largement insuffisantes. Les espèces dont les populations ont très fortement diminué, ont bénéficié de certaines mesures de protection ; ces mesures ne gênent pas ou peu la pêche puisque ces espèces ne sont plus suffisamment abondantes! Pour les espèces exploitées dont les populations diminuent, mais qui ne
6 sont pas encore considérées menacées, les mesures de gestion nécessaires ne sont pas prises, ou quand elles existent, se pose le problème du contrôle de l’application des réglementations, et du respect des recommandations faites par les ORP. Dans ce domaine, on constate que l’UE essaie d’être cohérente dans ses politiques de pêche et environnementale, et en 2010, elle a pris des initiatives au niveau international. La situation reste très préoccupante et critique pour bon nombre d’espèces. Références CITES Comptes-rendus des séances de la 15ème session de la Conférence des Parties (Cop15), Doha (Qatar), 13 – 25 mars 2010 ; notamment les documents : CoP15 Com. I Rec. 13 (Rev. 2) et CoP15 Com. I Rec. 14 (Rev. 2). Cullis-Suzuki, S. and D. Pauly. 2010. Failing the high seas: A global evaluation of regional fisheries management organizationsMarine Policy. Volume 34, Issue 5, September 2010, Pages 1036-1042 Documents of the 3rd meeting on international coopération on migratory sharks under the Convention on migratory species. Manila, 8-12 February 2010. Fromentin J.M. 2010. Personal communication GFCM (Commission générale des pêches pour la Méditerranée) Report of the 1st tranversal expert meeting on the status of Elasmobranches in the Mediterranean and Black Sea. Sfax, Tunisia, 20-22 September 2010. Heithaus Michael R., Alejandro Frid, Aaron J. Wirsing and Boris Worm. 2008. Predicting ecological conséquences of marine top predator declines. Trends in Ecology and Evolution Vol.23 No.4 2008 Lotze HK, Worm B (2009) Historical baselines for large marine animals. Trends in Ecology & Evolution 24: 254- 262. Proposition de règlement du conseil établissant, pour 2011, les possibilités de pêche pour certains stocks halieutiques et groupes de stocks halieutiques, applicables dans les eaux de l'UE et, pour les navires de l'UE, dans certaines eaux n'appartenant pas à l'UE. COM(2010) 658 final STECF : Scientific, Technical and Economic Committee for Fisheries. Review of scientific advices for 2011. Part 3. Advice on Stocks of Interest to the European Community in areas under the jurisdiction of CCAMLR, CECAF, WECAF, ICCAT, IOTC, IAATC, GFCM, NAFO, and stocks in the North East Atlantic assessed by ICES. Prepared in draft by the STECF-SG- RST-10-03, Cádiz, Spain 11 – 15 October 2010. UN Fish Stocks Agreement. Rapport de la reprise de la Conférence d’examen de l’Accord aux fins de l’application des dispositions de la Convention sur le droit de la mer du 10 décembre 1982 relatives à la conservation et à la gestion des stocks de poissons dont les déplacements s’effectuent tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de zones économiques exclusives (stocks chevauchants) et des stocks de poissons grands migrateurs. New York, 24-28 mai 2010. UNEP/CMS/TMMS/Doc.3. Technical meeting for the élaboration of a conservation and management plan for migratory sharks. UNEP/CMS/MS3/Doc.4. Revised draft of a propsoed non-legally binding instrument on migratory sharks. ***
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