Irresponsabilité et résipiscence - EDP Sciences

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VA R I A
BATOUL EL MAWLA
IPAG Business School
ASSÂAD EL AKREMI
TSM Research (UMR CNRS)
JACQUES IGALENS
Université de Toulouse Capitole

      Irresponsabilité et
      résipiscence

      L’objectif de cet article est de montrer que les allégations
      d’irresponsabilité sociale des entreprises entraînent deux
      types de réactions : la résipiscence individuelle – des
      entreprises individuelles apportant des améliorations locales
      « ponctuelles » ou mettant en œuvre des améliorations plus
      larges liées au domaine particulier de la controverse – et la
      disciplinarisation du secteur – des mesures compensatoires
      prises par d’autres entreprises du secteur qui ne sont pas
      directement visées par l’allégation. Les auteurs testent leurs
      prédictions théoriques à l’aide d’une modélisation linéaire
      hiérarchique et d’un échantillon de 1 803 entreprises de 2002
      à 2014 provenant du Thomson Reuters Responsibility Ratings.

                                            DOI:10.3166/rfg.303.35-68 © 2022 Lavoisier
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D
         epuis le début du siècle, avec la      optique, l’irresponsabilité des entreprises
         montée en puissance de la res-         est constituée par « les actions de l’entre-
         ponsabilité sociale des entreprises    prise qui entraînent des désavantages et/
(RSE), on assiste également à une aug-          ou des dommages potentiels pour d’autres
mentation des allégations d’irresponsabilité    acteurs » (Lin-Hi et Müller, 2013, p. 1929).
de la part des médias et des organisations      Cette définition peut sembler un peu large
non gouvernementales (ONG). Certains            car elle inclut à la fois des manquements
affirment que la RSE et l’irresponsabilité      ou des conduites individuelles fautives et
sont des phénomènes qui devraient être          des orientations ou des comportements
étudiés conjointement, car « l’un com-          organisationnels pérennes. De même qu’en
pense l’autre » (Godfrey et al., 2009 ;         matière de RSE de nombreuses typologies
Hull et Rothenberg, 2008 ; Mfondoum et          ont introduit des distinctions entre « RSE
al., 2021 ; Zyglidopoulos et al., 2012), de     cosmétique » et « RSE intégrée » (Martinet
sorte que les entreprises s’engagent dans la    et Payaud, 2007), on doit distinguer deux
RSE comme une forme de pénitence pour           niveaux en matière d’irresponsabilité. Le
compenser l’irresponsabilité passée ou à        premier, désigné en anglais sous le terme
venir… La RSE constitue un réservoir de         de « misconduct », est parfois le fait de
bonne volonté pour atténuer les réactions       mauvaises personnes : « They are done by
négatives quand les choses tournent mal ;       bad people » (Greve et al., 2010, p. 54)
en d’autres termes, la RSE fournit un méca-     tandis que le second est ancré dans la viola-
nisme d’assurance contre l’irresponsabilité     tion consistante des normes par l’entreprise
des entreprises (Kang et al., 2016, p. 60).     (Armstrong, 1977 ; Keig et al., 2015 ;
Pour d’autres, l’irresponsabilité des entre-    Riera et Iborra, 2017). C’est cette seconde
prises est une construction théorique dis-      catégorie qui est prise en compte dans notre
tincte (Clark et al., 2021 ; Lange et Wash-     recherche sous le terme d’irresponsabilité
burn, 2012 ; Keig et al., 2015 ; Kölbel et      sociale. Aussi, Clark et al. (2021) ont cla-
al., 2017 ; Shea et Hawn, 2019 ; Strike et      rifié le construit d’irresponsabilité sociale
al., 2006) qui devrait être étudiée à part      en utilisant trois critères : 1) le degré du
entière, car le devoir premier d’une entre-     dommage causé pour les parties prenantes,
prise est d’éviter de causer des dommages       2) le degré d’intentionnalité dans les agis-
par un comportement irresponsable (Camp-        sements de l’entreprise et 3) le degré de
bell, 2007). Selon Campbell (2007), si une      volonté de rectifier les conséquences de
entreprise : 1) fait délibérément quelque       ces agissements. Il y a peu de travaux théo-
chose qui pourrait nuire à ses parties pre-     riques qui se concentrent sur l’irresponsa-
nantes et 2) ne corrige pas le préjudice        bilité des entreprises, ses antécédents et ses
qu’elle a causé dès qu’il est découvert et      conséquences, et de nombreuses questions
porté à son attention, la norme comporte-       de recherche restent encore sans réponse
mentale concernant la relation de l’entre-      (Jain et Zaman, 2020 ; Lin-Hi et Müller,
prise avec ses parties prenantes est rompue     2013 ; Riera et Iborra, 2017).
et le comportement de l’entreprise devient      En particulier, il est surprenant de constater
socialement irresponsable. Dans cette           qu’aucune recherche à ce jour n’a étudié
Irresponsabilité et résipiscence   37

la manière dont les entreprises réagissent      al., 2007). La façon dont elles réagissent
lorsqu’elles sont prises en flagrant délit      est particulièrement intéressante à étudier
d’irresponsabilité. Contrairement aux pra-      dans la mesure où il ne suffit pas de rempla-
tiques de RSE qui sont souvent mises            cer une mauvaise personne par une bonne
en avant par les entreprises elles-mêmes,       ni de simplement mettre fin à une action
les comportements irresponsables ne sont        critiquable mais, le plus souvent, l’entre-
révélés que par des allégations, lorsque        prise doit remettre en cause l’une de ses
les médias alertent le public sur de tels       idiosyncrasies qu’il s’agisse de sa chaîne
comportements ou révèlent leurs effets sur      d’approvisionnement, de son processus de
les parties prenantes (Mena et al., 2016 ;      production ou de sa distribution.
Tench et al., 2007). Aussi, Küberling-Jost      L’objectif de cet article est de définir et
(2021) souligne le manque de recherche sur      d’analyser les réactions des entreprises aux
les processus et la dynamique de l’irres-       allégations d’irresponsabilité et leur impact
ponsabilité sociale de l’entreprise et ses      dans le temps sur les engagements des
conséquences.                                   entreprises en matière de RSE. Nous nous
Des études antérieures ont utilisé la théorie   appuyons sur les travaux concernant les
des parties prenantes (Muller et Kräussl,       processus de cognition stratégique et la
2011 ; Zyglidopoulos et al., 2012) et les       littérature néo-institutionnelle pour sou-
modèles de gestion des risques (Godfrey         tenir que les réactions des entreprises aux
et al., 2009) pour se concentrer sur les        allégations d’irresponsabilité et leur impact
relations potentiellement négatives entre       ultérieur sur la performance sociale des
l’irresponsabilité et la performance finan-     entreprises (PSE) peuvent être déclenchées
cière de l’entreprise (Kang et al., 2016 ;      par deux types de logique : la résipiscence
Sun et Ding, 2021). Dans l’ensemble, la         et la disciplinarisation sectorielle.
recherche s’est limitée à interroger la façon   La logique de résipiscence est essentiel-
dont les entreprises et leurs parties pre-      lement représentée par les réponses à un
nantes réagissent aux événements d’irres-       niveau intra-organisationnel qui sont fon-
ponsabilité à court terme (Barnett, 2014 ;      dées sur la rationalité et la cognition stra-
Godfrey et al., 2009 ; Mena et al., 2016) et    tégique (Daft et Weick, 1984 ; Narayanan
souvent de manière statique ; il y a peu de     et al., 2011). Elle s’applique lorsqu’une
recherches sur les mécanismes par lesquels      allégation particulière d’irresponsabilité,
les entreprises réagissent aux allégations      dirigée contre une entreprise, amène cette
d’irresponsabilité à long terme et comment      dernière à améliorer ses pratiques associées
leurs réactions affectent leur performance      et sa performance sociale dans le domaine
(Lange et Washburn, 2012 ; Sun et Ding,         spécifique de l’allégation. Autrement dit,
2021). Ce « gap » est d’autant plus surpre-     l’allégation présente un effet de résipis-
nant que les accusations larges et générales    cence « unique ». L’entreprise y répond
auxquelles nous portons intérêt affectent la    en corrigeant ses erreurs, sans plus. Cet
réputation de l’entreprise à partir des per-    effet est conforme à la définition de la
ceptions de sa légitimité (Carlos et Lewis,     RSE comme « la responsabilité d’un orga-
2017 ; Janney et Gove, 2011 ; Sullivan et       nisme quant aux impacts de ses décisions
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et activités sur la société et l’environne-      concurrente. Nous prédisons donc simple-
ment » (ISO 26000). Il reflète le dicton         ment que les allégations d’irresponsabilité
d’Hippocrate, « D’abord et avant tout, ne        susceptibles d’affecter des secteurs ou des
pas nuire », qui dans le contexte de la RSE      industries conduiront à un effet de discipli-
pourrait être ainsi formulé, « D’abord et        narisation sectorielle.
avant tout, ne pas causer d’impact négatif       Nous testons nos prédictions des liens
et si un tel impact existe, y mettre fin ».      entre les allégations d’irresponsabilité et
Dans cette étude, nous prédisons que des         les réponses en termes de pratiques de
allégations d’irresponsabilité sur une ques-     RSE à l’aide d’une modélisation linéaire
tion focale conduisent l’entreprise à résipis-   hiérarchique (HLM) d’un échantillon de
cence concernant cette question.                 1 803 entreprises au cours de la période
La logique de la disciplinarisation implique     de 2002 à 2014 (soit 23 361 observations)
une réponse interorganisationnelle, secto-       tiré des Thomson Reuters Responsibility
rielle plus large, en raison de l’isomor-        Ratings (TRCRR) qui recueillent des don-
phisme institutionnel (DiMaggio et Powell,       nées sur les allégations d’irresponsabi-
1983 ; Oliver, 1991) ; elle s’applique           lité des entreprises du monde entier. Pour
lorsqu’une allégation d’irresponsabilité         chaque entreprise de notre échantillon, nous
dirigée contre une entreprise produit des        avons collecté des données longitudinales
effets qui s’étendent à d’autres entreprises     et annuelles sur les allégations d’irres-
du même secteur ou de la même industrie          ponsabilité, dans différentes catégories du
(Naumovska et Zajac, 2021). Ces entre-           domaine social, ainsi que les actions de
prises, reconnaissant que leur propre répu-      RSE mesurées par la performance sociale
tation est en danger, décident d’arrêter ou      en lien avec ce domaine. Nous utilisons
de modifier certaines pratiques avant d’être     une modélisation linéaire hiérarchique pour
elles aussi accusées ou sanctionnées. Ainsi      tenir compte de la dépendance des observa-
que le remarquent Naumovska et Lavie             tions qui sont nichées dans les entreprises
(2021), « les accusations portées contre         de notre échantillon (Raudenbush et al.,
des pairs du secteur génèrent des consé-         2013).
quences négatives pour les entreprises non       Nous apportons plusieurs contributions
accusées (un “effet de stigmatisation par        théoriques à la littérature de gestion sur l’ir-
association”) » (p. 1130). Toutefois, ces        responsabilité sociale de l’entreprise. Pre-
auteurs suggèrent également que de telles        mièrement, nous identifions l’irresponsa-
accusations peuvent profiter aux entreprises     bilité comme un concept théorique distinct
du même secteur qui ne sont pas accusées         de la RSE en proposant un nouveau modèle
car l’affaiblissement d’un concurrent est        de réaction des entreprises aux allégations
toujours une bonne affaire… Cet « effet de       d’irresponsabilité. Les entreprises peuvent
concurrence », assez banal, ne sera pas testé    répondre aux allégations d’irresponsabilité
car il est impossible de savoir dans quelle      selon un mode auto-réprobateur, réactif et
mesure une amélioration de la situation des      circonstanciel (c’est-à-dire une résipiscence
concurrents est due (ou non) à l’allégation      unique et discrète), avec une réponse qui
étudiée visant préalablement une entreprise      est intra-organisationnelle et centrée sur
Irresponsabilité et résipiscence   39

l’accusation saillante et le problème central    I – CADRE THÉORIQUE ET
(Bundy et al., 2013 ; Durand et al., 2017).      DÉVELOPPEMENT D’HYPOTHÈSES
Cependant, nous montrons également que
les entreprises peuvent réagir aux alléga-       1. L’émergence de l’irresponsabilité
                                                 en tant que domaine de recherche
tions selon un mode sectoriel, auto-disci-
plinaire et contagieux (c’est-à-dire la disci-   Historiquement, l’un des premiers cher-
plinarisation sectorielle), avec une réponse     cheurs à s’être intéressé au concept d’irres-
qui est interorganisationnelle et proactive,     ponsabilité sociale suggéra qu’une action
même si elles ne sont pas les cibles directes    est irresponsable si une vaste majorité
des allégations (Durand et al., 2017).           « d’observateurs sans biais » en jugent ainsi
Deuxièmement, nous contribuons à la              (Armstrong, 1977), ce qui pose évidem-
recherche sur les réactions à l’irresponsa-      ment le problème de la possibilité d’être
bilité en élargissant la compréhension des       totalement sans biais et pour cette raison
divers mécanismes et des champs d’ap­            cette définition n’a pas eu beaucoup de suc-
plication des réactions. Les recherches pré-     cès. En revanche, l’introduction du concept
cédentes se sont principalement concentrées      de parties prenantes (Freeman, 1984) non
sur la nature et le contenu des réactions des    seulement a nourri le cadre théorique de la
entreprises aux allégations et aux pressions     RSE mais elle a également servi de base à
en explorant les réponses symboliques et         la définition de l’irresponsabilité (Freeman
substantielles (Waldron et al., 2013) ou en      et al., 2010). Même si la recherche n’est
examinant la conformité et le respect des        pas unanime, les chercheurs ont de plus en
règles (Philippe et Durand, 2011). Notre         plus confondu l’irresponsabilité avec les
étude offre de nouvelles perspectives sur        perceptions et les sentiments des parties
la portée (c’est-à-dire strictement la ques-     prenantes à l’égard des comportements
tion focale des allégations ou bien plus         irresponsables et nuisibles des entreprises
largement) et les mécanismes des réactions       (Armstrong et Green, 2013 ; Keig et al.,
(c’est-à-dire les processus intra- ou inter-     2015 ; Lange et Washburn, 2012 ; Ormis-
organisationnels).                               ton et Wong, 2013 ; Strike et al., 2006 ;
Troisièmement, nous contribuons à la lit-        Surroca et al., 2013 ; Tang et al., 2015). Un
térature sur la performance en analysant         nombre croissant de publications suggère
l’impact de l’irresponsabilité sur la per-       que la contribution la plus importante de
formance sociale. Considérant que « la           la recherche sur la RSE en ce qui concerne
discussion sur la responsabilité sociale des     l’irresponsabilité est que la plupart des
entreprises a eu tendance à négliger l’irres-    chercheurs ont adopté le cadre théorique
ponsabilité sociale des entreprises sur les      des parties prenantes, ainsi que les attentes,
marchés mondiaux » (Daoudi et Dunn,              les pressions et les réactions qui leur sont
2016, p. 48), nous montrons que l’irres-         associées.
ponsabilité peut générer ses propres consé-      La recherche sur l’irresponsabilité s’est
quences et que la RSE n’est peut-être pas        considérablement développée depuis 2010
toujours le meilleur moyen d’effacer les         (Lin-Hi et Müller, 2013). Cependant,
actions sociétales néfastes d’une entreprise.    influencée par la recherche sur la RSE,
40   Revue française de gestion – N° 303/2022

elle a parfois changé de nature ; elle n’est    sabilité se compensent ; par conséquent,
plus un champ d’investigation autonome          la position globale d’une entreprise va de
comme elle le fut au siècle passé mais appa-    l’irresponsabilité « extrême » à la RSE
raît souvent comme une composante de la         « extrême » (Jones et al., 2009 ; Windsor,
recherche sur la RSE (figure 1).                2013). Ce point de vue résonne avec une
La majorité des chercheurs considère l’ir-      vision selon laquelle le « capital social
responsabilité en relation avec la RSE, mais    et la bonne volonté » d’une entreprise,
certains auteurs s’inquiètent du fait qu’une    développés par sa RSE, jouent comme une
attention insuffisante a été consacrée à        police d’assurance contre les allégations
la discussion de la nature de l’irrespon-       d’irresponsabilité (Brammer et Pavelin,
sabilité : « À la lumière de la variété des     2005). Des auteurs affirment que ce modèle
exemples de comportements irresponsables        compensatoire peut être appliqué à la fois à
dans la pratique, il est surprenant que la      des entreprises individuelles (Walker et al.,
question de l’irresponsabilité soit rarement    2016) et à des groupes d’entreprises, à la
abordée de manière explicite dans la dis-       lumière de l’échec général et systémique de
cussion sur la RSE. » (Lin-Hi et Müller,        la RSE après la crise de 2008, car « l’expli-
2013, p. 1926). Néanmoins, la relation          cation la plus commode de la crise finan-
entre « faire le bien » et « faire le mal »     cière consiste à pointer du doigt la cupidité
n’est pas claire. Certains auteurs affirment    et l’irresponsabilité de quelques dirigeants
que, implicitement, la RSE et l’irrespon-       individuels » (Visser, 2010, p. 233).

                   Figure 1 – Importance du nombre d’articles consacrés
                             à l’irresponsabilité des entreprises
Irresponsabilité et résipiscence   41

D’autres auteurs affirment que, comme            général pour responsable de l’apparition de
dans la médecine grecque, le plus impor-         l’irresponsabilité (Nunn, 2012). Cette der-
tant pour les entreprises est de ne pas faire    nière position est proche, en France, d’une
de mal. En d’autres termes, les entreprises      critique de type anticapitaliste telle que la
doivent éviter de se comporter de manière        représente une organisation comme « Attac
irresponsable et « assumer leur respon-          France ».
sabilité sociale en s’efforçant de mini-         La distinction entre RSE et irresponsabi-
miser leur irresponsabilité » (Kleinau et        lité existe également dans la recherche sur
al., 2016, p. 71). Selon ce raisonnement,        les jugements de responsabilité et d’irres-
une entreprise confrontée à une allégation       ponsabilité des parties prenantes (Godfrey,
d’irresponsabilité devrait réagir en mettant     2005 ; Mishina et al., 2012 ; Oikonomou
fin à la situation plutôt que de chercher à la   et al., 2014). Selon la théorie du juge-
compenser par la RSE. Bien que cette pos-        ment social, les parties prenantes ont ten-
ture n’exclut pas la concomitance de la RSE      dance à considérer les indices négatifs (par
et de l’irresponsabilité, elle considère qu’il   exemple, les allégations d’actes répréhen-
est important pour une entreprise de réagir      sibles et d’irresponsabilité) comme plus
et d’être évaluée sur sa capacité à mettre fin   saillants et plus révélateurs du véritable
à des comportements irresponsables et que        caractère d’une entreprise (Jago et Pfeffer,
« supposer qu’une mauvaise action annule         2019 ; Mishina et al., 2012). Les entre-
effectivement une bonne action (c’est-à-         prises qui affichent des indicateurs néga-
dire la RSE), et vice versa est très discu-      tifs de pratiques sociales peuvent susciter
table » (Kang et al., 2016, p. 72).              chez les parties prenantes des déductions
Cette posture est proche de celle des cher-      d’irresponsabilité qui conduisent ces der-
cheurs qui étudient exclusivement l’irres-       nières à voir d’un mauvais œil les indica-
ponsabilité sociale de l’entreprise (c’est-à-    teurs positifs des entreprises ; elles peuvent
dire sans inclure la RSE). Des recherches        considérer les actions positives comme de
sur l’irresponsabilité, en tant que telle,       simples tentatives de faire des impressions
ont principalement été menées d’un point         trompeuses plutôt que de faire preuve d’un
de vue juridique (Giuliani et al., 2014),        intérêt sincère et véritable pour le bien-être
socio-psychologique (Lange et Washburn,          social (Oikonomou et al., 2014).
2012 ; Clark et al., 2021) ou du point de        Malgré ce nombre croissant de recherches,
vue des parties prenantes lésées. Dans           les chercheurs doivent encore explorer la
cette veine, les chercheurs explorent le         logique et les mécanismes sous-jacents
côté obscur de la consommation et des            associés aux réactions des entreprises aux
consommateurs (Wagner et al., 2008) ainsi        allégations d’irresponsabilité et la manière
que l’irresponsabilité des employés (Long,       dont ces réactions influencent les résul-
2012) et des actionnaires (Dagnino et al.,       tats organisationnels tels que la perfor-
2013). Ils se sont penchés sur les pratiques     mance sociale de l’entreprise. Il est toute-
irresponsables de certains secteurs, comme       fois essentiel de savoir si les réactions des
l’industrie pétrolière (Kotchen et Moon,         entreprises aux allégations d’irresponsabi-
2012), et ont tenu le système capitaliste en     lité consistent à apporter des améliorations
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« ponctuelles » liées aux allégations ou à       ont à la fois décrit l’événement et les actions
prendre des mesures plus larges impliquant       futures qu’elles allaient mettre en place pour
d’autres entreprises de secteurs ou d’indus-     gérer au mieux leurs risques RSE futurs »
tries similaires.                                (Vigeo, 2015, p. 24). Il est plus difficile de
                                                 trouver des recherches portant sur les réac-
2. Réactions des entreprises aux                 tions à des évaluations RSE négatives. Eco-
allégations d’irresponsabilité :                 vadis qui se présente comme « le standard
portée et logique                                mondial » de la notation RSE fait état de
                                                 64 % des entreprises qui améliorent « leurs
Au cours des deux dernières décennies,
                                                 performances RSE » après une mauvaise
les entreprises ont été confrontées à une
                                                 évaluation (source : site d’Ecovadis consulté
pression croissante de la part des parties
                                                 le 1er mars 2022, ecovadis.com) mais il ne
prenantes pour pratiquer une plus grande
                                                 s’agit pas d’une recherche scientifique. Il est
responsabilité sociale et une plus grande
                                                 intéressant de constater qu’il existe parfois
reddition de comptes (Mitchell et al., 1997 ;
                                                 une dynamique déclenchée par la divul-
Waddock, 2008). Ces pressions peuvent
                                                 gation d’une irresponsabilité, qu’elle soit
entrer en conflit (Greenwood et al., 2011) ;
elles peuvent également être liées aux per-      financièrement sanctionnée ou simplement
ceptions et aux attributions d’irresponsa-       relevée par une agence de notation.
bilité par les parties prenantes (Lange et       Les recherches scientifiques se sont
Washburn, 2012) ou être assimilées à la          appuyées sur la perspective des processus
gestion de crise suite à des controverses et     sociocognitifs pour comprendre comment
des comportements négatifs d’irresponsa-         les entreprises et les managers donnent du
bilité (Bundy et Pfarrer, 2015 ; Williams        sens aux multiples pressions normatives et
et al., 2017). L’irresponsabilité peut entraî-   y font face (Bundy et al., 2013 ; Bundy et
ner plusieurs conséquences négatives pour        Pfarrer, 2015 ; Bundy et al., 2013) ; elles
l’entreprise, notamment des sanctions finan-     ont ouvert une nouvelle voie théorique en
cières ou de mauvaises évaluations de la part    adoptant une perspective principalement
des agences de notation de la RSE. Com-          cognitive (Narayanan et al., 2011) et en se
ment réagissent les entreprises ? L’agence       concentrant sur le degré de saillance de la
d’évaluation extra-financière Vigeo (depuis      pression. Cette perspective met en évidence
rachetée par Moody’s) a étudié les réactions     la nature de la réaction d’une entreprise,
des entreprises lorsqu’elles subissent des       qui peut être symbolique ou substantielle,
sanctions financières suite à des actes irres-   en fonction de la pression exercée sur elle.
ponsables et pénalement répréhensibles. Sur      Bundy et al. (2013) affirment que si la
plus de 1 000 cas de sanctions elle observe      pression exercée sur une entreprise remet
que : « près de la moitié des entreprises        en cause son identité, sa légitimité ou
s’est montrée réactive en s’exprimant sur        sa réputation, l’entreprise doit réagir par
l’existence de la sanction mais sans fournir     des actions symboliques ou substantielles.
d’informations sur les initiatives futures,      Durand et al. (2017) complètent cette ana-
environ 40 % d’entre elles sont restées silen-   lyse en différenciant plusieurs types de
cieuses et seulement 11 % des entreprises        réponses, dont la conformité symbolique,
Irresponsabilité et résipiscence   43

la conformité substantielle ou l’inaction.      piscence, conformément aux recherches
Les auteurs affirment qu’en plus de la          qui tentent d’expliquer les réactions des
nature saillante de la pression normative,      entreprises aux pressions normatives. Les
les entreprises organisent leurs réponses       allégations d’irresponsabilité représentent
aux allégations d’irresponsabilité en fonc-     une forme de pression et peuvent égale-
tion d’analyses coûts/bénéfices.                ment rendre un problème spécifique (par
Dans la lignée de ce courant théorique          exemple, l’inégalité des revenus, les condi-
de recherche, et en s’appuyant sur les          tions de travail précaires) plus saillant.
arguments de la prise de décision ration-       La saillance d’un enjeu est généralement
nelle et de la prise de risque (Daft et         définie comme « le degré auquel l’enjeu
Weick, 1984 ; March et Shapira, 1987),          des parties prenantes résonne avec et est
nous soutenons que les entreprises peuvent      priorisé par la direction » (Bundy et al.,
répondre localement et spécifiquement à         2013, p. 352-353). En conséquence, nous
la question centrale d’une allégation. Bien     émettons l’hypothèse H1 suivante :
qu’une entreprise directement concernée         Hypothèse H1. (Effet de résipiscence).
par une allégation puisse élargir sa réaction   Pour une seule entreprise ciblée, les allé-
à d’autres questions, elle limitera sa réac-    gations d’irresponsabilité liées à une ques-
tion au domaine de la question, dans un         tion focale entraînent une amélioration des
cadre intra-organisationnel. Les recherches     pratiques et donc de la performance sociale
antérieures se sont limitées à l’adéquation     globale de l’entreprise liée à cette question
entre les caractéristiques d’une allégation     focale spécifique.
et le type de réaction (Coombs et Holla-        Alors que l’effet de résipiscence trouve son
day, 2004) en nommant par exemple les           fondement théorique dans les processus
réactions de « défensive » ou « d’accom-        sociocognitifs, l’effet de disciplinarisation
modante ». Mais aucune investigation n’a        repose sur la théorie néo-institutionnelle
porté, à ce jour, sur la logique ou le méca-    et le concept d’isomorphisme (DiMaggio
nisme de réaction lui-même.                     et Powell, 1983). Trois mécanismes princi-
Les évaluations sociales concernent « ce que    paux portent le changement institutionnel
les observateurs attendent et remarquent,       isomorphe : l’isomorphisme coercitif, l’iso-
ainsi que la manière dont les actions et les    morphisme normatif et l’isomorphisme
déclarations seront interprétées » (Mishina     mimétique. L’isomorphisme coercitif est
et al., 2012, p. 462). Par conséquent, nous     le résultat de pressions formelles et infor-
nous attendons à ce que les dirigeants des      melles exercées par des organisations
entreprises qui reçoivent des allégations       appartenant au même secteur ou à la même
directes d’irresponsabilité ciblent leurs       industrie. L’isomorphisme normatif est ana-
réponses sur la question focale et pratiquent   lytiquement distinct dans la mesure où il
une prise de décision et une évaluation des     attribue plus d’importance à la profession-
risques rationnelles (Lenz et al., 2017).       nalisation. Enfin, l’isomorphisme mimé-
Nous décrivons ce processus sociocognitif       tique est basé sur l’imitation pure et simple
de réaction focale et locale aux allégations    sans autre raisonnement que de refaire chez
d’irresponsabilité comme l’effet de rési-       soi ce qui semble avoir réussi au voisin.
44   Revue française de gestion – N° 303/2022

Scott et Meyer (1994) postulent que ces          visent une entreprise à d’autres entreprises
mécanismes sont liés à la proximité des          du même secteur ou de la même industrie,
organisations et à la diffusion de l’infor-      de sorte que « les actes répréhensibles de
mation entre elles. Conformément à ce            certaines entreprises peuvent se répercuter
point de vue, les allégations d’irresponsabi-    et ternir l’image de toutes les entreprises
lité véhiculées par les médias rassemblent       d’une industrie » (Zavyalova et al., 2012,
les organisations des mêmes secteurs et          p. 1083). De nombreux exemples récents
industries ; la couverture médiatique des        ou plus anciens peuvent illustrer ce point
irresponsabilités a des impacts importants       de vue, le Dieselgate qui concernait au
sur toutes les organisations d’une industrie     départ l’entreprise Volkswagen s’est rapi-
(Kölbel et al., 2017).                           dement élargi à toute l’industrie automobile
Lorsqu’elles font l’objet d’un examen            (Aggeri et Saussois, 2017). La suspicion de
approfondi (par exemple, lié à des allé-         collusion entre certains experts et les socié-
gations d’irresponsabilité), les entreprises     tés pharmaceutiques apparue avec l’affaire
fautives et leurs concurrents du même sec-       du Médiator à l’égard des laboratoires Ser-
teur d’activité sont plus susceptibles de        vier s’est rapidement propagée à tout le sec-
modifier leurs pratiques et leurs actions        teur. Le naufrage de l’Exxon Valdez avait
(Bensebaa et Beji-Becheur, 2008 ; Desai,         également remis en cause la sécurité du
2016 ; Marquis et al., 2016 ; Short et Toffel,   transport du brut de toutes les compagnies
2010). Les entreprises qui appartiennent         pétrolières et plus récemment le scandale
à des industries dont les membres ont            mis à jour par un journaliste concernant un
commis des comportements irresponsables          établissement de la société Orpea à Neuilly
peuvent souffrir de retombées négatives          a touché tout le secteur des Ehpad privés.
(Barnett et King, 2008 ; Yu et al., 2008 ;       En nous appuyant sur la perspective néo-
Zavyalova et al., 2012). Compte tenu de          institutionnelle et en accord avec les
leur interdépendance (Barnett et Hoffman,        recherches précédentes sur les effets de
2008) et de la tendance des parties pre-         contagion négatifs, nous soutenons que par
nantes à catégoriser les entreprises (Reger      effet de disciplinarisation, les entreprises
et Palmer 1996 ; Naumovska et Zajac,             qui appartiennent au secteur d’activité
2021), les entreprises des mêmes secteurs        d’une entreprise ciblée par des allégations
que l’entreprise ciblée peuvent être perçues     d’irresponsabilité ont tendance à analyser
comme « coupables par association lorsque        le risque pour leurs propres entreprises et à
des événements négatifs ont un impact sur        décider d’arrêter ou de changer de pratiques
leurs affiliés ou leurs semblables » (Lange      avant d’être pareillement accusées, sanc-
et al., 2011, p. 181). Elles risquent de subir   tionnées et entraînées vers le bas par l’irres-
des retombées négatives (Barnett et King,        ponsabilité présumée (Greve et al., 2010).
2008 ; Naumovska et Zajac, 2021) et une          Hypothèse H2. (Effet de disciplinarisation).
« délégitimation catégorielle » (Greve et al.,   Les allégations d’irresponsabilité liées à un
2010, p. 89 ; Naumovska et Zajac, 2021) ;        sujet défini entraînent des améliorations des
les parties prenantes peuvent généraliser les    pratiques et donc de la performance sociale
effets des allégations d’irresponsabilité qui    globale des entreprises qui vont au-delà de
Irresponsabilité et résipiscence   45

l’entreprise directement visée pour inclure les          la fiabilité des informations. La qualité de
entreprises du même secteur.                             l’ensemble des données est contrôlée et cer-
                                                         tifiée dans le cadre d’un processus rigoureux
                                                         par des analystes expérimentés de Thomson
II – MÉTHODES                                            Reuters et des spécialistes de la RSE.
                                                         La validité de construction des notations
1. Données et échantillon                                ESG de Thomson Reuters a été prouvée par
Pour vérifier nos hypothèses, nous avons                 des recherches antérieures (Aouadi et Mar-
examiné les allégations d’irresponsabilité de            sat, 2018 ; Hart et Sharfman, 2015 ; Havli-
2002 à 20141. Cette conception longitudi-                nova et Kukacka, 2021 ; Semenova et Has-
nale a fourni une bonne base pour examiner               sel, 2015). Parmi ses autres mérites, citons
l’impact de l’irresponsabilité sur la perfor-            l’application cohérente de critères objectifs
mance sociale ultérieure et pour explorer les            pour évaluer la performance et la couverture
effets d’entraînement sur l’industrie. Pour              étendue d’entreprises de taille significative et
construire l’échantillon, nous avons utilisé le          d’hétérogénéité sectorielle (Aouadi et Mar-
Thomson Reuters Corporate Responsibility                 sat, 2018 ; Oikonomou et al., 2014).
Ratings (TRCRR) qui collecte des don-                    Pour accroître la validité de nos tests d’hy-
nées d’irresponsabilité sur les entreprises du           pothèses, nous nous concentrons sur la
monde entier. Cet ensemble de données com-               dimension sociale des évaluations ESG. À
prend des évaluations environnementales,                 la suite de recherches antérieures (Hillman
sociales et de gouvernance (ESG), en plus du             et Keim, 2001 ; Oikonomou et al., 2014),
contenu des scandales d’entreprise. L’agence             nous nous concentrons sur les allégations
Thomson Reuters collecte des informations                et les notes de performance sociale qui
sur les allégations d’irresponsabilité sociale           sont omniprésentes sur la période d’inté-
des entreprises par l’exploitation des rap-              rêt. Pour les évaluations de la dimension
ports, de la presse, des sites internet des              sociale, nous utilisons cinq catégories,
entreprises et des sites internet des ONG.               comme nous le détaillons par la suite. Nous
La base des données intègre également des                étudions l’impact des allégations d’irres-
scores de performance sociale basés sur                  ponsabilité (c’est-à-dire les scandales, les
les données d’Asset4. Asset4 fournit plus                controverses) liées à diverses catégories
de 750 évaluations de points de données                  de la dimension sociale et leurs liens avec
uniques (data point) pour les aspects ESG,               les scores de performance sociale (PSE)
pour plus de 5 000 entreprises. L’agence                 respectifs. Ainsi, en utilisant une base de
Thomson Reuters effectue des évaluations                 données longitudinale et des analyses hié-
sur la base d’informations accessibles au                rarchiques en multiniveaux, nous testons
public, telles que les rapports RSE des entre-           les effets des allégations d’irresponsabilité
prises, les annonces sur les sites internet des          mesurées au temps (T) sur les scores de
ONG et les canaux médiatiques fiables, afin              performance sociale au temps (T+1), en
de garantir la cohérence, la comparabilité et            effectuant un contrôle à chaque fois pour

1. Après cette date, la base TRCRR a changé de format.
46   Revue française de gestion – N° 303/2022

les scores antérieurs. En appliquant cette       1) communauté et éthique (exemple d’item :
approche à l’appariement allégation-score        « L’entreprise fait-elle des dons en espèces ?
PSE, nous capturons les effets d’allégations     Et l’entreprise fait-elle des dons en nature,
spécifiques sur les scores au fil du temps       encourage-t-elle l’engagement des employés
pour l’entreprise visée par l’allégation et le   dans le bénévolat ou finance-t-elle des pro-
secteur associé à la catégorie d’allégation.     jets communautaires par le biais d’une fon-
En suivant des travaux récents (Al-Shaer         dation d’entreprise ? ») ;
et Zaman, 2019 ; Aouadi et Marsat, 2018 ;        2) droits de l’homme (exemple d’item :
Havlinova et Kukacka, 2021), nous adop-          « L’entreprise surveille-t-elle les droits de
tons un lag de un an entre l’allégation de       l’homme dans ses installations ou celles de
                                                 ses fournisseurs ? ») ;
l’irresponsabilité et l’évaluation de la per-
                                                 3) diversité et opportunités d’inclusion
formance sociale. En effet, les données des
                                                 (exemple d’item : « L’entreprise fixe-t-
scores ESG sont mises à jour une fois par
                                                 elle des objectifs spécifiques à atteindre
an à la fin de l’année fiscale sur la base des
                                                 en matière de diversité et d’égalité des
normes de divulgation ESG et des modèles
                                                 chances ? ») ;
de rapport des entreprises (Havlinova et         4) qualité de l’emploi (exemple d’item :
Kukacka, 2021).                                  « L’entreprise prétend-elle offrir un plan
La procédure d’appariement des alléga-           de bonus au moins au niveau des cadres
tions et des notes a permis d’obtenir un         moyens ? Et la rémunération des employés
échantillon final de 1 803 entreprises ayant     est-elle basée sur des objectifs personnels
fait l’objet d’une évaluation annuelle entre     ou à l’échelle de l’entreprise ? ») ; et
2002 et 2014 (soit 23 361 observations           5) santé et sécurité (exemple d’item : « L’en-
entreprise/année). Les entreprises étaient       treprise fixe-t-elle des objectifs spécifiques à
réparties dans 152 secteurs d’activité. Le       atteindre en matière de santé et de sécurité
nombre moyen d’entreprises dans chaque           des employés ? Et l’entreprise commente-t-
secteur était de 151 (écart type = 219,53).      elle les résultats des objectifs précédemment
Ces grandes entreprises bien établies            fixés ? »).
employaient en moyenne 40 406 personnes          Les scores vont de 0 à 100, un score plus
(écart type = 82 201).                           élevé indiquant un niveau plus élevé de per-
                                                 formance sociale dans la catégorie d’intérêt.
2. Mesures
                                                 Variable indépendante
Variable dépendante
                                                 Pour évaluer les allégations d’irresponsa-
Pour évaluer les réponses des entreprises en     bilité, nous avons utilisé les données de
termes de pratiques de RSE, notre variable       l’agence Thomson Reuters qui recense les
dépendante est la performance sociale des        informations sur les scandales et les contro-
entreprises (PSE) que nous mesurons par les      verses par l’exploitation des rapports, de
scores de la dimension sociale des TRCRR         la presse, des sites internet des entreprises
(ESG) entre 2002 et 2014, pour chacune des       et des ONG. Nous utilisons une variable
cinq catégories d’intérêt suivantes :            binaire égale à 1 s’il y avait au moins une
Irresponsabilité et résipiscence   47

allégation d’irresponsabilité (c’est-à-dire un   nous contrôlons le nombre d’entreprises
scandale ou une controverse) pour l’entre-       dans chaque secteur.
prise dans chaque catégorie d’intérêt (c’est-
à-dire, communauté et éthique, droits de         Analyses
l’homme, diversité et opportunités d’inclu-
sion, qualité de l’emploi, santé et sécurité)    Étant donné que les données de notre étude
                                                 présentent une conception emboîtée/nichée
au cours de l’année et 0 sinon. Nous avons
                                                 (c’est-à-dire, plusieurs années d’observa-
opté pour un modèle additif afin de tenir
                                                 tions emboîtées dans les entreprises et
compte de caractère général et consistant
                                                 plusieurs entreprises emboîtées dans les
des comportements d’irresponsabilité et de
                                                 secteurs), nous avons effectué les analyses
le distinguer de la simple occurrence isolée
                                                 en utilisant la modélisation à coefficients
temporellement et spatialement.
                                                 aléatoires avec HLM 7.01 (Raudenbush et
                                                 al., 2013) et le maximum de vraisemblance
Variables de contrôle                            avec des erreurs standard robustes pour
Afin de réduire la possibilité d’explications    tester nos hypothèses.
                                                 Les variables de niveau 1 comprennent
alternatives et d’estimations biaisées, ainsi
                                                 les notations annuelles répétées de perfor-
que les risques d’endogénéité (Hill et al.,
                                                 mance sociale dans les différentes caté-
2021), nous incluons diverses variables
                                                 gories du domaine social (en tant que
de contrôle au niveau de l’entreprise
                                                 variables dépendantes), et les allégations
(i.e., hypothèse de résipiscence unique) et
                                                 d’irresponsabilité connexes (en tant que
de l’industrie (i.e., hypothèse de discipli-
                                                 variables indépendantes).
narisation de l’industrie). Nous utilisons la
                                                 Les variables de niveau 2 tiennent compte de
taille de l’entreprise (c’est-à-dire le nombre
                                                 l’imbrication au sein des entreprises (hypo-
d’employés, année T-1) et le chiffre d’af-
                                                 thèse H1) et de l’imbrication au sein des
faires (en dollars, année T-1) sur la période    industries (hypothèse H2). La modélisation
désignée pour contrôler l’impact sur la          en multiniveaux est un moyen approprié
performance sociale, en tenant compte des        d’étudier des données longitudinales imbri-
recherches antérieures qui ont montré que        quées à deux ou plus de deux niveaux
les grandes entreprises peuvent prendre          (Schonfeld et Rindskopf, 2007), car elle
plus de mesures et avoir plus de ressources      intègre l’interdépendance des observations
pour répondre aux allégations d’irrespon-        à travers le temps et les niveaux. Pour tenir
sabilité (Durand et al., 2017 ; Zavyalova        compte des changements temporels dans
et al., 2012). Nous contrôlons aussi à           l’échantillon, nous avons inclus des effets
chaque fois par le score de performance          fixes d’année (Greene, 2003 ; Halaby, 2004).
sociale à l’année T-1. Nous transformons         Nous avons décalé les prédicteurs dans nos
les valeurs en logarithme pour tenir compte      tests par année (2002-2014) afin de limiter
des distributions asymétriques (Tabachnick       le risque de biais de causalité inverse et donc
et Fidell, 2007). Au niveau de l’industrie,      d’endogénéité (Hill et al., 2021).
48

                                       Tableau 1 – Corrélations et statistiques descriptives

Variables          Moy.   E.T.     1         2        3       4       5       6        7       8   9   10   11   12

1. Taille
                   9.61   1.55     -
de l’entreprisea

2. Chiffre
                   2.59   .84    -.23**      -
d’affairesb

3. Communauté
et éthique         .00    .07    .19**.    .03**      -
                                                                                                                      Revue française de gestion – N° 303/2022

(allégations)

4. Droits
de l’homme         .13    .65    07**       -.01    .04**     -
(allégations)

5. Diversité
et opportunités    .03    .21    .16**     -.02**   .08**   .20**     -
(allégations)

6. Qualité
de l’emploi        .05    .29    .18**     -.03**   .12**   .23**   .21**      -
(allégations)
7. Santé et sécurité
                           .05      .32     .12**    -.02**   .08**     .11**    .12**    .16**       -
 (allégations)

 8. Scores en droits
 de l’homme              52.14     19.05    .36**    -.09**   .07**     .10**    .07**    .15**     .10**      -
 (PSE)c

 9. Scores
 en communauté
                         54.25     15.35    .31**      .01    .05**     .15**    .09**    .13**     .10**    .50**       -
 et éthique
 (PSE)

 10. Scores
 en diversité            50.05     28.73    .29**    -.04**    .02*     .13**    .09**    .10**     .05**    .34**    .35**       -
 (PSE)

 11. Score en qualité
 de l’emploi             52.81     8.16      -.02    .11**     -.01      -.01     .01     -.06**    -.02*    .10**    .18**    .12**       -
 (PSE)

 12. Scores en santé
 et sécurité             52.86     17.94    .25**    -.06**   .03**     .06**    .03**    .11**     .14**    .55**    .52**    .32**     .14**      -
 (PSE)

Note : N = 1 803 entreprises ; 23 361 observations entreprise/année. ET : écart type. Les corrélations ont été calculées au niveau de l’entreprise.
a et b : les valeurs ont été transformées en logarithmes. c : évaluations de la performance sociale des entreprises (PSE) dans les différentes catégories
(communauté et éthique, droits de l’homme, diversité et opportunités d’inclusion, qualité de l’emploi, santé et sécurité). *p < 0,05, **p < 0,01.
                                                                                                                                                            Irresponsabilité et résipiscence
                                                                                                                                                            49
50   Revue française de gestion – N° 303/2022

III – RÉSULTATS                                 ont un impact positif sur la performance
                                                sociale dans le temps, indiquant une amé-
Le tableau 1 présente les statistiques          lioration des pratiques pour les domaines :
descriptives et les corrélations entre les      communauté et éthique (coefficient [coef.]
variables. Des corrélations élevées entre       γ = 1,01, p < 0,01), diversité et opportunités
certaines variables auraient pu créer des       d’inclusion (coef. γ = 2,15, p < 0,05), et
problèmes de multi colinéarité. Nous            santé et sécurité (coef. γ = 0,88, p < 0,01).
avons calculé les facteurs d’inflation de la    Cependant, la relation entre les allégations
variance (VIF). La moyenne des VIF était        d’irresponsabilité et l’amélioration des pra-
de 1,26, et aucun VIF individuel n’était        tiques, et donc de performance sociale, dans
supérieur à 1,67 ; ces deux valeurs étaient     le domaine des droits de l’homme n’est pas
inférieures au seuil de 10 (Greene, 2003).      significative (coef. γ = 1,34, n.s.), et la rela-
Ainsi, la multi colinéarité n’est pas un pro-   tion avec l’amélioration des pratiques dans
blème dans nos données.                         le domaine de la qualité de l’emploi est
L’hypothèse H1 prédit que les allégations       significative mais négative (coef. γ = -1,01,
d’irresponsabilité à l’égard d’une question     p < 0,01). Ainsi, l’hypothèse H1 est soute-
précise entraîneraient des améliorations        nue pour trois des cinq catégories d’enjeux
de la pratique et, par la suite, de la per-     sociaux (communauté et éthique, diversité et
formance sociale (PSE) dans l’entreprise        opportunités d’inclusion, et santé et sécurité).
ciblée unique (c’est-à-dire l’hypothèse de      L’hypothèse H2 postule que les alléga-
la résipiscence unique). Pour vérifier cette    tions d’irresponsabilité à l’égard d’un enjeu
hypothèse, nous avons utilisé un premier        entraîneraient des améliorations de la pra-
modèle emboîté (plusieurs années emboî-         tique et donc de la PSE dans le secteur ou
tées dans les entreprises) et nous avons        l’industrie associé à l’entreprise (ou aux
effectué des analyses en utilisant une modé-    entreprises) directement visée(s) (c’est-à-
lisation à coefficients aléatoires avec HLM     dire l’hypothèse de la disciplinarisation de
(Raudenbush et al., 2013). Les variables        l’industrie). Pour vérifier cette hypothèse,
intra-entreprises (scores de performance        nous avons utilisé un deuxième modèle
sociale et allégations d’irresponsabilité       emboîté (plusieurs années emboîtées dans
pour les cinq catégories d’enjeux sociaux :     les industries dans lesquelles les entre-
communauté et éthique, droits de l’homme,       prises étaient emboîtées), et nous avons
diversité et opportunités d’inclusion, qua-     également effectué des analyses en utilisant
lité de l’emploi, santé et sécurité au fil du   la modélisation à coefficients aléatoires
temps, de 2002 à 2014) ont été modélisées       avec HLM (Raudenbush et al., 2013). Les
au niveau 1, et les variables de contrôle       variables intra-industries (scores de perfor-
interentreprises (taille de l’entreprise et     mance sociale de l’industrie et allégations
chiffre d’affaires) au niveau 2. Comme le       d’irresponsabilité pour les cinq catégories
recommandent Hofmann et al. (2000), les         d’enjeux sociaux au fil du temps, de 2002
variables de niveau 2 ont été centrées sur      à 2014) ont été modélisées au niveau 1,
la moyenne générale. Comme le montre le         et les variables de contrôle interindustrie
tableau 2, les allégations d’irresponsabilité   (nombre d’entreprises dans chaque secteur)
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