Irresponsabilité et résipiscence - EDP Sciences
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VA R I A BATOUL EL MAWLA IPAG Business School ASSÂAD EL AKREMI TSM Research (UMR CNRS) JACQUES IGALENS Université de Toulouse Capitole Irresponsabilité et résipiscence L’objectif de cet article est de montrer que les allégations d’irresponsabilité sociale des entreprises entraînent deux types de réactions : la résipiscence individuelle – des entreprises individuelles apportant des améliorations locales « ponctuelles » ou mettant en œuvre des améliorations plus larges liées au domaine particulier de la controverse – et la disciplinarisation du secteur – des mesures compensatoires prises par d’autres entreprises du secteur qui ne sont pas directement visées par l’allégation. Les auteurs testent leurs prédictions théoriques à l’aide d’une modélisation linéaire hiérarchique et d’un échantillon de 1 803 entreprises de 2002 à 2014 provenant du Thomson Reuters Responsibility Ratings. DOI:10.3166/rfg.303.35-68 © 2022 Lavoisier
36 Revue française de gestion – N° 303/2022 D epuis le début du siècle, avec la optique, l’irresponsabilité des entreprises montée en puissance de la res- est constituée par « les actions de l’entre- ponsabilité sociale des entreprises prise qui entraînent des désavantages et/ (RSE), on assiste également à une aug- ou des dommages potentiels pour d’autres mentation des allégations d’irresponsabilité acteurs » (Lin-Hi et Müller, 2013, p. 1929). de la part des médias et des organisations Cette définition peut sembler un peu large non gouvernementales (ONG). Certains car elle inclut à la fois des manquements affirment que la RSE et l’irresponsabilité ou des conduites individuelles fautives et sont des phénomènes qui devraient être des orientations ou des comportements étudiés conjointement, car « l’un com- organisationnels pérennes. De même qu’en pense l’autre » (Godfrey et al., 2009 ; matière de RSE de nombreuses typologies Hull et Rothenberg, 2008 ; Mfondoum et ont introduit des distinctions entre « RSE al., 2021 ; Zyglidopoulos et al., 2012), de cosmétique » et « RSE intégrée » (Martinet sorte que les entreprises s’engagent dans la et Payaud, 2007), on doit distinguer deux RSE comme une forme de pénitence pour niveaux en matière d’irresponsabilité. Le compenser l’irresponsabilité passée ou à premier, désigné en anglais sous le terme venir… La RSE constitue un réservoir de de « misconduct », est parfois le fait de bonne volonté pour atténuer les réactions mauvaises personnes : « They are done by négatives quand les choses tournent mal ; bad people » (Greve et al., 2010, p. 54) en d’autres termes, la RSE fournit un méca- tandis que le second est ancré dans la viola- nisme d’assurance contre l’irresponsabilité tion consistante des normes par l’entreprise des entreprises (Kang et al., 2016, p. 60). (Armstrong, 1977 ; Keig et al., 2015 ; Pour d’autres, l’irresponsabilité des entre- Riera et Iborra, 2017). C’est cette seconde prises est une construction théorique dis- catégorie qui est prise en compte dans notre tincte (Clark et al., 2021 ; Lange et Wash- recherche sous le terme d’irresponsabilité burn, 2012 ; Keig et al., 2015 ; Kölbel et sociale. Aussi, Clark et al. (2021) ont cla- al., 2017 ; Shea et Hawn, 2019 ; Strike et rifié le construit d’irresponsabilité sociale al., 2006) qui devrait être étudiée à part en utilisant trois critères : 1) le degré du entière, car le devoir premier d’une entre- dommage causé pour les parties prenantes, prise est d’éviter de causer des dommages 2) le degré d’intentionnalité dans les agis- par un comportement irresponsable (Camp- sements de l’entreprise et 3) le degré de bell, 2007). Selon Campbell (2007), si une volonté de rectifier les conséquences de entreprise : 1) fait délibérément quelque ces agissements. Il y a peu de travaux théo- chose qui pourrait nuire à ses parties pre- riques qui se concentrent sur l’irresponsa- nantes et 2) ne corrige pas le préjudice bilité des entreprises, ses antécédents et ses qu’elle a causé dès qu’il est découvert et conséquences, et de nombreuses questions porté à son attention, la norme comporte- de recherche restent encore sans réponse mentale concernant la relation de l’entre- (Jain et Zaman, 2020 ; Lin-Hi et Müller, prise avec ses parties prenantes est rompue 2013 ; Riera et Iborra, 2017). et le comportement de l’entreprise devient En particulier, il est surprenant de constater socialement irresponsable. Dans cette qu’aucune recherche à ce jour n’a étudié
Irresponsabilité et résipiscence 37 la manière dont les entreprises réagissent al., 2007). La façon dont elles réagissent lorsqu’elles sont prises en flagrant délit est particulièrement intéressante à étudier d’irresponsabilité. Contrairement aux pra- dans la mesure où il ne suffit pas de rempla- tiques de RSE qui sont souvent mises cer une mauvaise personne par une bonne en avant par les entreprises elles-mêmes, ni de simplement mettre fin à une action les comportements irresponsables ne sont critiquable mais, le plus souvent, l’entre- révélés que par des allégations, lorsque prise doit remettre en cause l’une de ses les médias alertent le public sur de tels idiosyncrasies qu’il s’agisse de sa chaîne comportements ou révèlent leurs effets sur d’approvisionnement, de son processus de les parties prenantes (Mena et al., 2016 ; production ou de sa distribution. Tench et al., 2007). Aussi, Küberling-Jost L’objectif de cet article est de définir et (2021) souligne le manque de recherche sur d’analyser les réactions des entreprises aux les processus et la dynamique de l’irres- allégations d’irresponsabilité et leur impact ponsabilité sociale de l’entreprise et ses dans le temps sur les engagements des conséquences. entreprises en matière de RSE. Nous nous Des études antérieures ont utilisé la théorie appuyons sur les travaux concernant les des parties prenantes (Muller et Kräussl, processus de cognition stratégique et la 2011 ; Zyglidopoulos et al., 2012) et les littérature néo-institutionnelle pour sou- modèles de gestion des risques (Godfrey tenir que les réactions des entreprises aux et al., 2009) pour se concentrer sur les allégations d’irresponsabilité et leur impact relations potentiellement négatives entre ultérieur sur la performance sociale des l’irresponsabilité et la performance finan- entreprises (PSE) peuvent être déclenchées cière de l’entreprise (Kang et al., 2016 ; par deux types de logique : la résipiscence Sun et Ding, 2021). Dans l’ensemble, la et la disciplinarisation sectorielle. recherche s’est limitée à interroger la façon La logique de résipiscence est essentiel- dont les entreprises et leurs parties pre- lement représentée par les réponses à un nantes réagissent aux événements d’irres- niveau intra-organisationnel qui sont fon- ponsabilité à court terme (Barnett, 2014 ; dées sur la rationalité et la cognition stra- Godfrey et al., 2009 ; Mena et al., 2016) et tégique (Daft et Weick, 1984 ; Narayanan souvent de manière statique ; il y a peu de et al., 2011). Elle s’applique lorsqu’une recherches sur les mécanismes par lesquels allégation particulière d’irresponsabilité, les entreprises réagissent aux allégations dirigée contre une entreprise, amène cette d’irresponsabilité à long terme et comment dernière à améliorer ses pratiques associées leurs réactions affectent leur performance et sa performance sociale dans le domaine (Lange et Washburn, 2012 ; Sun et Ding, spécifique de l’allégation. Autrement dit, 2021). Ce « gap » est d’autant plus surpre- l’allégation présente un effet de résipis- nant que les accusations larges et générales cence « unique ». L’entreprise y répond auxquelles nous portons intérêt affectent la en corrigeant ses erreurs, sans plus. Cet réputation de l’entreprise à partir des per- effet est conforme à la définition de la ceptions de sa légitimité (Carlos et Lewis, RSE comme « la responsabilité d’un orga- 2017 ; Janney et Gove, 2011 ; Sullivan et nisme quant aux impacts de ses décisions
38 Revue française de gestion – N° 303/2022 et activités sur la société et l’environne- concurrente. Nous prédisons donc simple- ment » (ISO 26000). Il reflète le dicton ment que les allégations d’irresponsabilité d’Hippocrate, « D’abord et avant tout, ne susceptibles d’affecter des secteurs ou des pas nuire », qui dans le contexte de la RSE industries conduiront à un effet de discipli- pourrait être ainsi formulé, « D’abord et narisation sectorielle. avant tout, ne pas causer d’impact négatif Nous testons nos prédictions des liens et si un tel impact existe, y mettre fin ». entre les allégations d’irresponsabilité et Dans cette étude, nous prédisons que des les réponses en termes de pratiques de allégations d’irresponsabilité sur une ques- RSE à l’aide d’une modélisation linéaire tion focale conduisent l’entreprise à résipis- hiérarchique (HLM) d’un échantillon de cence concernant cette question. 1 803 entreprises au cours de la période La logique de la disciplinarisation implique de 2002 à 2014 (soit 23 361 observations) une réponse interorganisationnelle, secto- tiré des Thomson Reuters Responsibility rielle plus large, en raison de l’isomor- Ratings (TRCRR) qui recueillent des don- phisme institutionnel (DiMaggio et Powell, nées sur les allégations d’irresponsabi- 1983 ; Oliver, 1991) ; elle s’applique lité des entreprises du monde entier. Pour lorsqu’une allégation d’irresponsabilité chaque entreprise de notre échantillon, nous dirigée contre une entreprise produit des avons collecté des données longitudinales effets qui s’étendent à d’autres entreprises et annuelles sur les allégations d’irres- du même secteur ou de la même industrie ponsabilité, dans différentes catégories du (Naumovska et Zajac, 2021). Ces entre- domaine social, ainsi que les actions de prises, reconnaissant que leur propre répu- RSE mesurées par la performance sociale tation est en danger, décident d’arrêter ou en lien avec ce domaine. Nous utilisons de modifier certaines pratiques avant d’être une modélisation linéaire hiérarchique pour elles aussi accusées ou sanctionnées. Ainsi tenir compte de la dépendance des observa- que le remarquent Naumovska et Lavie tions qui sont nichées dans les entreprises (2021), « les accusations portées contre de notre échantillon (Raudenbush et al., des pairs du secteur génèrent des consé- 2013). quences négatives pour les entreprises non Nous apportons plusieurs contributions accusées (un “effet de stigmatisation par théoriques à la littérature de gestion sur l’ir- association”) » (p. 1130). Toutefois, ces responsabilité sociale de l’entreprise. Pre- auteurs suggèrent également que de telles mièrement, nous identifions l’irresponsa- accusations peuvent profiter aux entreprises bilité comme un concept théorique distinct du même secteur qui ne sont pas accusées de la RSE en proposant un nouveau modèle car l’affaiblissement d’un concurrent est de réaction des entreprises aux allégations toujours une bonne affaire… Cet « effet de d’irresponsabilité. Les entreprises peuvent concurrence », assez banal, ne sera pas testé répondre aux allégations d’irresponsabilité car il est impossible de savoir dans quelle selon un mode auto-réprobateur, réactif et mesure une amélioration de la situation des circonstanciel (c’est-à-dire une résipiscence concurrents est due (ou non) à l’allégation unique et discrète), avec une réponse qui étudiée visant préalablement une entreprise est intra-organisationnelle et centrée sur
Irresponsabilité et résipiscence 39 l’accusation saillante et le problème central I – CADRE THÉORIQUE ET (Bundy et al., 2013 ; Durand et al., 2017). DÉVELOPPEMENT D’HYPOTHÈSES Cependant, nous montrons également que les entreprises peuvent réagir aux alléga- 1. L’émergence de l’irresponsabilité en tant que domaine de recherche tions selon un mode sectoriel, auto-disci- plinaire et contagieux (c’est-à-dire la disci- Historiquement, l’un des premiers cher- plinarisation sectorielle), avec une réponse cheurs à s’être intéressé au concept d’irres- qui est interorganisationnelle et proactive, ponsabilité sociale suggéra qu’une action même si elles ne sont pas les cibles directes est irresponsable si une vaste majorité des allégations (Durand et al., 2017). « d’observateurs sans biais » en jugent ainsi Deuxièmement, nous contribuons à la (Armstrong, 1977), ce qui pose évidem- recherche sur les réactions à l’irresponsa- ment le problème de la possibilité d’être bilité en élargissant la compréhension des totalement sans biais et pour cette raison divers mécanismes et des champs d’ap cette définition n’a pas eu beaucoup de suc- plication des réactions. Les recherches pré- cès. En revanche, l’introduction du concept cédentes se sont principalement concentrées de parties prenantes (Freeman, 1984) non sur la nature et le contenu des réactions des seulement a nourri le cadre théorique de la entreprises aux allégations et aux pressions RSE mais elle a également servi de base à en explorant les réponses symboliques et la définition de l’irresponsabilité (Freeman substantielles (Waldron et al., 2013) ou en et al., 2010). Même si la recherche n’est examinant la conformité et le respect des pas unanime, les chercheurs ont de plus en règles (Philippe et Durand, 2011). Notre plus confondu l’irresponsabilité avec les étude offre de nouvelles perspectives sur perceptions et les sentiments des parties la portée (c’est-à-dire strictement la ques- prenantes à l’égard des comportements tion focale des allégations ou bien plus irresponsables et nuisibles des entreprises largement) et les mécanismes des réactions (Armstrong et Green, 2013 ; Keig et al., (c’est-à-dire les processus intra- ou inter- 2015 ; Lange et Washburn, 2012 ; Ormis- organisationnels). ton et Wong, 2013 ; Strike et al., 2006 ; Troisièmement, nous contribuons à la lit- Surroca et al., 2013 ; Tang et al., 2015). Un térature sur la performance en analysant nombre croissant de publications suggère l’impact de l’irresponsabilité sur la per- que la contribution la plus importante de formance sociale. Considérant que « la la recherche sur la RSE en ce qui concerne discussion sur la responsabilité sociale des l’irresponsabilité est que la plupart des entreprises a eu tendance à négliger l’irres- chercheurs ont adopté le cadre théorique ponsabilité sociale des entreprises sur les des parties prenantes, ainsi que les attentes, marchés mondiaux » (Daoudi et Dunn, les pressions et les réactions qui leur sont 2016, p. 48), nous montrons que l’irres- associées. ponsabilité peut générer ses propres consé- La recherche sur l’irresponsabilité s’est quences et que la RSE n’est peut-être pas considérablement développée depuis 2010 toujours le meilleur moyen d’effacer les (Lin-Hi et Müller, 2013). Cependant, actions sociétales néfastes d’une entreprise. influencée par la recherche sur la RSE,
40 Revue française de gestion – N° 303/2022 elle a parfois changé de nature ; elle n’est sabilité se compensent ; par conséquent, plus un champ d’investigation autonome la position globale d’une entreprise va de comme elle le fut au siècle passé mais appa- l’irresponsabilité « extrême » à la RSE raît souvent comme une composante de la « extrême » (Jones et al., 2009 ; Windsor, recherche sur la RSE (figure 1). 2013). Ce point de vue résonne avec une La majorité des chercheurs considère l’ir- vision selon laquelle le « capital social responsabilité en relation avec la RSE, mais et la bonne volonté » d’une entreprise, certains auteurs s’inquiètent du fait qu’une développés par sa RSE, jouent comme une attention insuffisante a été consacrée à police d’assurance contre les allégations la discussion de la nature de l’irrespon- d’irresponsabilité (Brammer et Pavelin, sabilité : « À la lumière de la variété des 2005). Des auteurs affirment que ce modèle exemples de comportements irresponsables compensatoire peut être appliqué à la fois à dans la pratique, il est surprenant que la des entreprises individuelles (Walker et al., question de l’irresponsabilité soit rarement 2016) et à des groupes d’entreprises, à la abordée de manière explicite dans la dis- lumière de l’échec général et systémique de cussion sur la RSE. » (Lin-Hi et Müller, la RSE après la crise de 2008, car « l’expli- 2013, p. 1926). Néanmoins, la relation cation la plus commode de la crise finan- entre « faire le bien » et « faire le mal » cière consiste à pointer du doigt la cupidité n’est pas claire. Certains auteurs affirment et l’irresponsabilité de quelques dirigeants que, implicitement, la RSE et l’irrespon- individuels » (Visser, 2010, p. 233). Figure 1 – Importance du nombre d’articles consacrés à l’irresponsabilité des entreprises
Irresponsabilité et résipiscence 41 D’autres auteurs affirment que, comme général pour responsable de l’apparition de dans la médecine grecque, le plus impor- l’irresponsabilité (Nunn, 2012). Cette der- tant pour les entreprises est de ne pas faire nière position est proche, en France, d’une de mal. En d’autres termes, les entreprises critique de type anticapitaliste telle que la doivent éviter de se comporter de manière représente une organisation comme « Attac irresponsable et « assumer leur respon- France ». sabilité sociale en s’efforçant de mini- La distinction entre RSE et irresponsabi- miser leur irresponsabilité » (Kleinau et lité existe également dans la recherche sur al., 2016, p. 71). Selon ce raisonnement, les jugements de responsabilité et d’irres- une entreprise confrontée à une allégation ponsabilité des parties prenantes (Godfrey, d’irresponsabilité devrait réagir en mettant 2005 ; Mishina et al., 2012 ; Oikonomou fin à la situation plutôt que de chercher à la et al., 2014). Selon la théorie du juge- compenser par la RSE. Bien que cette pos- ment social, les parties prenantes ont ten- ture n’exclut pas la concomitance de la RSE dance à considérer les indices négatifs (par et de l’irresponsabilité, elle considère qu’il exemple, les allégations d’actes répréhen- est important pour une entreprise de réagir sibles et d’irresponsabilité) comme plus et d’être évaluée sur sa capacité à mettre fin saillants et plus révélateurs du véritable à des comportements irresponsables et que caractère d’une entreprise (Jago et Pfeffer, « supposer qu’une mauvaise action annule 2019 ; Mishina et al., 2012). Les entre- effectivement une bonne action (c’est-à- prises qui affichent des indicateurs néga- dire la RSE), et vice versa est très discu- tifs de pratiques sociales peuvent susciter table » (Kang et al., 2016, p. 72). chez les parties prenantes des déductions Cette posture est proche de celle des cher- d’irresponsabilité qui conduisent ces der- cheurs qui étudient exclusivement l’irres- nières à voir d’un mauvais œil les indica- ponsabilité sociale de l’entreprise (c’est-à- teurs positifs des entreprises ; elles peuvent dire sans inclure la RSE). Des recherches considérer les actions positives comme de sur l’irresponsabilité, en tant que telle, simples tentatives de faire des impressions ont principalement été menées d’un point trompeuses plutôt que de faire preuve d’un de vue juridique (Giuliani et al., 2014), intérêt sincère et véritable pour le bien-être socio-psychologique (Lange et Washburn, social (Oikonomou et al., 2014). 2012 ; Clark et al., 2021) ou du point de Malgré ce nombre croissant de recherches, vue des parties prenantes lésées. Dans les chercheurs doivent encore explorer la cette veine, les chercheurs explorent le logique et les mécanismes sous-jacents côté obscur de la consommation et des associés aux réactions des entreprises aux consommateurs (Wagner et al., 2008) ainsi allégations d’irresponsabilité et la manière que l’irresponsabilité des employés (Long, dont ces réactions influencent les résul- 2012) et des actionnaires (Dagnino et al., tats organisationnels tels que la perfor- 2013). Ils se sont penchés sur les pratiques mance sociale de l’entreprise. Il est toute- irresponsables de certains secteurs, comme fois essentiel de savoir si les réactions des l’industrie pétrolière (Kotchen et Moon, entreprises aux allégations d’irresponsabi- 2012), et ont tenu le système capitaliste en lité consistent à apporter des améliorations
42 Revue française de gestion – N° 303/2022 « ponctuelles » liées aux allégations ou à ont à la fois décrit l’événement et les actions prendre des mesures plus larges impliquant futures qu’elles allaient mettre en place pour d’autres entreprises de secteurs ou d’indus- gérer au mieux leurs risques RSE futurs » tries similaires. (Vigeo, 2015, p. 24). Il est plus difficile de trouver des recherches portant sur les réac- 2. Réactions des entreprises aux tions à des évaluations RSE négatives. Eco- allégations d’irresponsabilité : vadis qui se présente comme « le standard portée et logique mondial » de la notation RSE fait état de 64 % des entreprises qui améliorent « leurs Au cours des deux dernières décennies, performances RSE » après une mauvaise les entreprises ont été confrontées à une évaluation (source : site d’Ecovadis consulté pression croissante de la part des parties le 1er mars 2022, ecovadis.com) mais il ne prenantes pour pratiquer une plus grande s’agit pas d’une recherche scientifique. Il est responsabilité sociale et une plus grande intéressant de constater qu’il existe parfois reddition de comptes (Mitchell et al., 1997 ; une dynamique déclenchée par la divul- Waddock, 2008). Ces pressions peuvent gation d’une irresponsabilité, qu’elle soit entrer en conflit (Greenwood et al., 2011) ; elles peuvent également être liées aux per- financièrement sanctionnée ou simplement ceptions et aux attributions d’irresponsa- relevée par une agence de notation. bilité par les parties prenantes (Lange et Les recherches scientifiques se sont Washburn, 2012) ou être assimilées à la appuyées sur la perspective des processus gestion de crise suite à des controverses et sociocognitifs pour comprendre comment des comportements négatifs d’irresponsa- les entreprises et les managers donnent du bilité (Bundy et Pfarrer, 2015 ; Williams sens aux multiples pressions normatives et et al., 2017). L’irresponsabilité peut entraî- y font face (Bundy et al., 2013 ; Bundy et ner plusieurs conséquences négatives pour Pfarrer, 2015 ; Bundy et al., 2013) ; elles l’entreprise, notamment des sanctions finan- ont ouvert une nouvelle voie théorique en cières ou de mauvaises évaluations de la part adoptant une perspective principalement des agences de notation de la RSE. Com- cognitive (Narayanan et al., 2011) et en se ment réagissent les entreprises ? L’agence concentrant sur le degré de saillance de la d’évaluation extra-financière Vigeo (depuis pression. Cette perspective met en évidence rachetée par Moody’s) a étudié les réactions la nature de la réaction d’une entreprise, des entreprises lorsqu’elles subissent des qui peut être symbolique ou substantielle, sanctions financières suite à des actes irres- en fonction de la pression exercée sur elle. ponsables et pénalement répréhensibles. Sur Bundy et al. (2013) affirment que si la plus de 1 000 cas de sanctions elle observe pression exercée sur une entreprise remet que : « près de la moitié des entreprises en cause son identité, sa légitimité ou s’est montrée réactive en s’exprimant sur sa réputation, l’entreprise doit réagir par l’existence de la sanction mais sans fournir des actions symboliques ou substantielles. d’informations sur les initiatives futures, Durand et al. (2017) complètent cette ana- environ 40 % d’entre elles sont restées silen- lyse en différenciant plusieurs types de cieuses et seulement 11 % des entreprises réponses, dont la conformité symbolique,
Irresponsabilité et résipiscence 43 la conformité substantielle ou l’inaction. piscence, conformément aux recherches Les auteurs affirment qu’en plus de la qui tentent d’expliquer les réactions des nature saillante de la pression normative, entreprises aux pressions normatives. Les les entreprises organisent leurs réponses allégations d’irresponsabilité représentent aux allégations d’irresponsabilité en fonc- une forme de pression et peuvent égale- tion d’analyses coûts/bénéfices. ment rendre un problème spécifique (par Dans la lignée de ce courant théorique exemple, l’inégalité des revenus, les condi- de recherche, et en s’appuyant sur les tions de travail précaires) plus saillant. arguments de la prise de décision ration- La saillance d’un enjeu est généralement nelle et de la prise de risque (Daft et définie comme « le degré auquel l’enjeu Weick, 1984 ; March et Shapira, 1987), des parties prenantes résonne avec et est nous soutenons que les entreprises peuvent priorisé par la direction » (Bundy et al., répondre localement et spécifiquement à 2013, p. 352-353). En conséquence, nous la question centrale d’une allégation. Bien émettons l’hypothèse H1 suivante : qu’une entreprise directement concernée Hypothèse H1. (Effet de résipiscence). par une allégation puisse élargir sa réaction Pour une seule entreprise ciblée, les allé- à d’autres questions, elle limitera sa réac- gations d’irresponsabilité liées à une ques- tion au domaine de la question, dans un tion focale entraînent une amélioration des cadre intra-organisationnel. Les recherches pratiques et donc de la performance sociale antérieures se sont limitées à l’adéquation globale de l’entreprise liée à cette question entre les caractéristiques d’une allégation focale spécifique. et le type de réaction (Coombs et Holla- Alors que l’effet de résipiscence trouve son day, 2004) en nommant par exemple les fondement théorique dans les processus réactions de « défensive » ou « d’accom- sociocognitifs, l’effet de disciplinarisation modante ». Mais aucune investigation n’a repose sur la théorie néo-institutionnelle porté, à ce jour, sur la logique ou le méca- et le concept d’isomorphisme (DiMaggio nisme de réaction lui-même. et Powell, 1983). Trois mécanismes princi- Les évaluations sociales concernent « ce que paux portent le changement institutionnel les observateurs attendent et remarquent, isomorphe : l’isomorphisme coercitif, l’iso- ainsi que la manière dont les actions et les morphisme normatif et l’isomorphisme déclarations seront interprétées » (Mishina mimétique. L’isomorphisme coercitif est et al., 2012, p. 462). Par conséquent, nous le résultat de pressions formelles et infor- nous attendons à ce que les dirigeants des melles exercées par des organisations entreprises qui reçoivent des allégations appartenant au même secteur ou à la même directes d’irresponsabilité ciblent leurs industrie. L’isomorphisme normatif est ana- réponses sur la question focale et pratiquent lytiquement distinct dans la mesure où il une prise de décision et une évaluation des attribue plus d’importance à la profession- risques rationnelles (Lenz et al., 2017). nalisation. Enfin, l’isomorphisme mimé- Nous décrivons ce processus sociocognitif tique est basé sur l’imitation pure et simple de réaction focale et locale aux allégations sans autre raisonnement que de refaire chez d’irresponsabilité comme l’effet de rési- soi ce qui semble avoir réussi au voisin.
44 Revue française de gestion – N° 303/2022 Scott et Meyer (1994) postulent que ces visent une entreprise à d’autres entreprises mécanismes sont liés à la proximité des du même secteur ou de la même industrie, organisations et à la diffusion de l’infor- de sorte que « les actes répréhensibles de mation entre elles. Conformément à ce certaines entreprises peuvent se répercuter point de vue, les allégations d’irresponsabi- et ternir l’image de toutes les entreprises lité véhiculées par les médias rassemblent d’une industrie » (Zavyalova et al., 2012, les organisations des mêmes secteurs et p. 1083). De nombreux exemples récents industries ; la couverture médiatique des ou plus anciens peuvent illustrer ce point irresponsabilités a des impacts importants de vue, le Dieselgate qui concernait au sur toutes les organisations d’une industrie départ l’entreprise Volkswagen s’est rapi- (Kölbel et al., 2017). dement élargi à toute l’industrie automobile Lorsqu’elles font l’objet d’un examen (Aggeri et Saussois, 2017). La suspicion de approfondi (par exemple, lié à des allé- collusion entre certains experts et les socié- gations d’irresponsabilité), les entreprises tés pharmaceutiques apparue avec l’affaire fautives et leurs concurrents du même sec- du Médiator à l’égard des laboratoires Ser- teur d’activité sont plus susceptibles de vier s’est rapidement propagée à tout le sec- modifier leurs pratiques et leurs actions teur. Le naufrage de l’Exxon Valdez avait (Bensebaa et Beji-Becheur, 2008 ; Desai, également remis en cause la sécurité du 2016 ; Marquis et al., 2016 ; Short et Toffel, transport du brut de toutes les compagnies 2010). Les entreprises qui appartiennent pétrolières et plus récemment le scandale à des industries dont les membres ont mis à jour par un journaliste concernant un commis des comportements irresponsables établissement de la société Orpea à Neuilly peuvent souffrir de retombées négatives a touché tout le secteur des Ehpad privés. (Barnett et King, 2008 ; Yu et al., 2008 ; En nous appuyant sur la perspective néo- Zavyalova et al., 2012). Compte tenu de institutionnelle et en accord avec les leur interdépendance (Barnett et Hoffman, recherches précédentes sur les effets de 2008) et de la tendance des parties pre- contagion négatifs, nous soutenons que par nantes à catégoriser les entreprises (Reger effet de disciplinarisation, les entreprises et Palmer 1996 ; Naumovska et Zajac, qui appartiennent au secteur d’activité 2021), les entreprises des mêmes secteurs d’une entreprise ciblée par des allégations que l’entreprise ciblée peuvent être perçues d’irresponsabilité ont tendance à analyser comme « coupables par association lorsque le risque pour leurs propres entreprises et à des événements négatifs ont un impact sur décider d’arrêter ou de changer de pratiques leurs affiliés ou leurs semblables » (Lange avant d’être pareillement accusées, sanc- et al., 2011, p. 181). Elles risquent de subir tionnées et entraînées vers le bas par l’irres- des retombées négatives (Barnett et King, ponsabilité présumée (Greve et al., 2010). 2008 ; Naumovska et Zajac, 2021) et une Hypothèse H2. (Effet de disciplinarisation). « délégitimation catégorielle » (Greve et al., Les allégations d’irresponsabilité liées à un 2010, p. 89 ; Naumovska et Zajac, 2021) ; sujet défini entraînent des améliorations des les parties prenantes peuvent généraliser les pratiques et donc de la performance sociale effets des allégations d’irresponsabilité qui globale des entreprises qui vont au-delà de
Irresponsabilité et résipiscence 45 l’entreprise directement visée pour inclure les la fiabilité des informations. La qualité de entreprises du même secteur. l’ensemble des données est contrôlée et cer- tifiée dans le cadre d’un processus rigoureux par des analystes expérimentés de Thomson II – MÉTHODES Reuters et des spécialistes de la RSE. La validité de construction des notations 1. Données et échantillon ESG de Thomson Reuters a été prouvée par Pour vérifier nos hypothèses, nous avons des recherches antérieures (Aouadi et Mar- examiné les allégations d’irresponsabilité de sat, 2018 ; Hart et Sharfman, 2015 ; Havli- 2002 à 20141. Cette conception longitudi- nova et Kukacka, 2021 ; Semenova et Has- nale a fourni une bonne base pour examiner sel, 2015). Parmi ses autres mérites, citons l’impact de l’irresponsabilité sur la perfor- l’application cohérente de critères objectifs mance sociale ultérieure et pour explorer les pour évaluer la performance et la couverture effets d’entraînement sur l’industrie. Pour étendue d’entreprises de taille significative et construire l’échantillon, nous avons utilisé le d’hétérogénéité sectorielle (Aouadi et Mar- Thomson Reuters Corporate Responsibility sat, 2018 ; Oikonomou et al., 2014). Ratings (TRCRR) qui collecte des don- Pour accroître la validité de nos tests d’hy- nées d’irresponsabilité sur les entreprises du pothèses, nous nous concentrons sur la monde entier. Cet ensemble de données com- dimension sociale des évaluations ESG. À prend des évaluations environnementales, la suite de recherches antérieures (Hillman sociales et de gouvernance (ESG), en plus du et Keim, 2001 ; Oikonomou et al., 2014), contenu des scandales d’entreprise. L’agence nous nous concentrons sur les allégations Thomson Reuters collecte des informations et les notes de performance sociale qui sur les allégations d’irresponsabilité sociale sont omniprésentes sur la période d’inté- des entreprises par l’exploitation des rap- rêt. Pour les évaluations de la dimension ports, de la presse, des sites internet des sociale, nous utilisons cinq catégories, entreprises et des sites internet des ONG. comme nous le détaillons par la suite. Nous La base des données intègre également des étudions l’impact des allégations d’irres- scores de performance sociale basés sur ponsabilité (c’est-à-dire les scandales, les les données d’Asset4. Asset4 fournit plus controverses) liées à diverses catégories de 750 évaluations de points de données de la dimension sociale et leurs liens avec uniques (data point) pour les aspects ESG, les scores de performance sociale (PSE) pour plus de 5 000 entreprises. L’agence respectifs. Ainsi, en utilisant une base de Thomson Reuters effectue des évaluations données longitudinale et des analyses hié- sur la base d’informations accessibles au rarchiques en multiniveaux, nous testons public, telles que les rapports RSE des entre- les effets des allégations d’irresponsabilité prises, les annonces sur les sites internet des mesurées au temps (T) sur les scores de ONG et les canaux médiatiques fiables, afin performance sociale au temps (T+1), en de garantir la cohérence, la comparabilité et effectuant un contrôle à chaque fois pour 1. Après cette date, la base TRCRR a changé de format.
46 Revue française de gestion – N° 303/2022 les scores antérieurs. En appliquant cette 1) communauté et éthique (exemple d’item : approche à l’appariement allégation-score « L’entreprise fait-elle des dons en espèces ? PSE, nous capturons les effets d’allégations Et l’entreprise fait-elle des dons en nature, spécifiques sur les scores au fil du temps encourage-t-elle l’engagement des employés pour l’entreprise visée par l’allégation et le dans le bénévolat ou finance-t-elle des pro- secteur associé à la catégorie d’allégation. jets communautaires par le biais d’une fon- En suivant des travaux récents (Al-Shaer dation d’entreprise ? ») ; et Zaman, 2019 ; Aouadi et Marsat, 2018 ; 2) droits de l’homme (exemple d’item : Havlinova et Kukacka, 2021), nous adop- « L’entreprise surveille-t-elle les droits de tons un lag de un an entre l’allégation de l’homme dans ses installations ou celles de ses fournisseurs ? ») ; l’irresponsabilité et l’évaluation de la per- 3) diversité et opportunités d’inclusion formance sociale. En effet, les données des (exemple d’item : « L’entreprise fixe-t- scores ESG sont mises à jour une fois par elle des objectifs spécifiques à atteindre an à la fin de l’année fiscale sur la base des en matière de diversité et d’égalité des normes de divulgation ESG et des modèles chances ? ») ; de rapport des entreprises (Havlinova et 4) qualité de l’emploi (exemple d’item : Kukacka, 2021). « L’entreprise prétend-elle offrir un plan La procédure d’appariement des alléga- de bonus au moins au niveau des cadres tions et des notes a permis d’obtenir un moyens ? Et la rémunération des employés échantillon final de 1 803 entreprises ayant est-elle basée sur des objectifs personnels fait l’objet d’une évaluation annuelle entre ou à l’échelle de l’entreprise ? ») ; et 2002 et 2014 (soit 23 361 observations 5) santé et sécurité (exemple d’item : « L’en- entreprise/année). Les entreprises étaient treprise fixe-t-elle des objectifs spécifiques à réparties dans 152 secteurs d’activité. Le atteindre en matière de santé et de sécurité nombre moyen d’entreprises dans chaque des employés ? Et l’entreprise commente-t- secteur était de 151 (écart type = 219,53). elle les résultats des objectifs précédemment Ces grandes entreprises bien établies fixés ? »). employaient en moyenne 40 406 personnes Les scores vont de 0 à 100, un score plus (écart type = 82 201). élevé indiquant un niveau plus élevé de per- formance sociale dans la catégorie d’intérêt. 2. Mesures Variable indépendante Variable dépendante Pour évaluer les allégations d’irresponsa- Pour évaluer les réponses des entreprises en bilité, nous avons utilisé les données de termes de pratiques de RSE, notre variable l’agence Thomson Reuters qui recense les dépendante est la performance sociale des informations sur les scandales et les contro- entreprises (PSE) que nous mesurons par les verses par l’exploitation des rapports, de scores de la dimension sociale des TRCRR la presse, des sites internet des entreprises (ESG) entre 2002 et 2014, pour chacune des et des ONG. Nous utilisons une variable cinq catégories d’intérêt suivantes : binaire égale à 1 s’il y avait au moins une
Irresponsabilité et résipiscence 47 allégation d’irresponsabilité (c’est-à-dire un nous contrôlons le nombre d’entreprises scandale ou une controverse) pour l’entre- dans chaque secteur. prise dans chaque catégorie d’intérêt (c’est- à-dire, communauté et éthique, droits de Analyses l’homme, diversité et opportunités d’inclu- sion, qualité de l’emploi, santé et sécurité) Étant donné que les données de notre étude présentent une conception emboîtée/nichée au cours de l’année et 0 sinon. Nous avons (c’est-à-dire, plusieurs années d’observa- opté pour un modèle additif afin de tenir tions emboîtées dans les entreprises et compte de caractère général et consistant plusieurs entreprises emboîtées dans les des comportements d’irresponsabilité et de secteurs), nous avons effectué les analyses le distinguer de la simple occurrence isolée en utilisant la modélisation à coefficients temporellement et spatialement. aléatoires avec HLM 7.01 (Raudenbush et al., 2013) et le maximum de vraisemblance Variables de contrôle avec des erreurs standard robustes pour Afin de réduire la possibilité d’explications tester nos hypothèses. Les variables de niveau 1 comprennent alternatives et d’estimations biaisées, ainsi les notations annuelles répétées de perfor- que les risques d’endogénéité (Hill et al., mance sociale dans les différentes caté- 2021), nous incluons diverses variables gories du domaine social (en tant que de contrôle au niveau de l’entreprise variables dépendantes), et les allégations (i.e., hypothèse de résipiscence unique) et d’irresponsabilité connexes (en tant que de l’industrie (i.e., hypothèse de discipli- variables indépendantes). narisation de l’industrie). Nous utilisons la Les variables de niveau 2 tiennent compte de taille de l’entreprise (c’est-à-dire le nombre l’imbrication au sein des entreprises (hypo- d’employés, année T-1) et le chiffre d’af- thèse H1) et de l’imbrication au sein des faires (en dollars, année T-1) sur la période industries (hypothèse H2). La modélisation désignée pour contrôler l’impact sur la en multiniveaux est un moyen approprié performance sociale, en tenant compte des d’étudier des données longitudinales imbri- recherches antérieures qui ont montré que quées à deux ou plus de deux niveaux les grandes entreprises peuvent prendre (Schonfeld et Rindskopf, 2007), car elle plus de mesures et avoir plus de ressources intègre l’interdépendance des observations pour répondre aux allégations d’irrespon- à travers le temps et les niveaux. Pour tenir sabilité (Durand et al., 2017 ; Zavyalova compte des changements temporels dans et al., 2012). Nous contrôlons aussi à l’échantillon, nous avons inclus des effets chaque fois par le score de performance fixes d’année (Greene, 2003 ; Halaby, 2004). sociale à l’année T-1. Nous transformons Nous avons décalé les prédicteurs dans nos les valeurs en logarithme pour tenir compte tests par année (2002-2014) afin de limiter des distributions asymétriques (Tabachnick le risque de biais de causalité inverse et donc et Fidell, 2007). Au niveau de l’industrie, d’endogénéité (Hill et al., 2021).
48 Tableau 1 – Corrélations et statistiques descriptives Variables Moy. E.T. 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 1. Taille 9.61 1.55 - de l’entreprisea 2. Chiffre 2.59 .84 -.23** - d’affairesb 3. Communauté et éthique .00 .07 .19**. .03** - Revue française de gestion – N° 303/2022 (allégations) 4. Droits de l’homme .13 .65 07** -.01 .04** - (allégations) 5. Diversité et opportunités .03 .21 .16** -.02** .08** .20** - (allégations) 6. Qualité de l’emploi .05 .29 .18** -.03** .12** .23** .21** - (allégations)
7. Santé et sécurité .05 .32 .12** -.02** .08** .11** .12** .16** - (allégations) 8. Scores en droits de l’homme 52.14 19.05 .36** -.09** .07** .10** .07** .15** .10** - (PSE)c 9. Scores en communauté 54.25 15.35 .31** .01 .05** .15** .09** .13** .10** .50** - et éthique (PSE) 10. Scores en diversité 50.05 28.73 .29** -.04** .02* .13** .09** .10** .05** .34** .35** - (PSE) 11. Score en qualité de l’emploi 52.81 8.16 -.02 .11** -.01 -.01 .01 -.06** -.02* .10** .18** .12** - (PSE) 12. Scores en santé et sécurité 52.86 17.94 .25** -.06** .03** .06** .03** .11** .14** .55** .52** .32** .14** - (PSE) Note : N = 1 803 entreprises ; 23 361 observations entreprise/année. ET : écart type. Les corrélations ont été calculées au niveau de l’entreprise. a et b : les valeurs ont été transformées en logarithmes. c : évaluations de la performance sociale des entreprises (PSE) dans les différentes catégories (communauté et éthique, droits de l’homme, diversité et opportunités d’inclusion, qualité de l’emploi, santé et sécurité). *p < 0,05, **p < 0,01. Irresponsabilité et résipiscence 49
50 Revue française de gestion – N° 303/2022 III – RÉSULTATS ont un impact positif sur la performance sociale dans le temps, indiquant une amé- Le tableau 1 présente les statistiques lioration des pratiques pour les domaines : descriptives et les corrélations entre les communauté et éthique (coefficient [coef.] variables. Des corrélations élevées entre γ = 1,01, p < 0,01), diversité et opportunités certaines variables auraient pu créer des d’inclusion (coef. γ = 2,15, p < 0,05), et problèmes de multi colinéarité. Nous santé et sécurité (coef. γ = 0,88, p < 0,01). avons calculé les facteurs d’inflation de la Cependant, la relation entre les allégations variance (VIF). La moyenne des VIF était d’irresponsabilité et l’amélioration des pra- de 1,26, et aucun VIF individuel n’était tiques, et donc de performance sociale, dans supérieur à 1,67 ; ces deux valeurs étaient le domaine des droits de l’homme n’est pas inférieures au seuil de 10 (Greene, 2003). significative (coef. γ = 1,34, n.s.), et la rela- Ainsi, la multi colinéarité n’est pas un pro- tion avec l’amélioration des pratiques dans blème dans nos données. le domaine de la qualité de l’emploi est L’hypothèse H1 prédit que les allégations significative mais négative (coef. γ = -1,01, d’irresponsabilité à l’égard d’une question p < 0,01). Ainsi, l’hypothèse H1 est soute- précise entraîneraient des améliorations nue pour trois des cinq catégories d’enjeux de la pratique et, par la suite, de la per- sociaux (communauté et éthique, diversité et formance sociale (PSE) dans l’entreprise opportunités d’inclusion, et santé et sécurité). ciblée unique (c’est-à-dire l’hypothèse de L’hypothèse H2 postule que les alléga- la résipiscence unique). Pour vérifier cette tions d’irresponsabilité à l’égard d’un enjeu hypothèse, nous avons utilisé un premier entraîneraient des améliorations de la pra- modèle emboîté (plusieurs années emboî- tique et donc de la PSE dans le secteur ou tées dans les entreprises) et nous avons l’industrie associé à l’entreprise (ou aux effectué des analyses en utilisant une modé- entreprises) directement visée(s) (c’est-à- lisation à coefficients aléatoires avec HLM dire l’hypothèse de la disciplinarisation de (Raudenbush et al., 2013). Les variables l’industrie). Pour vérifier cette hypothèse, intra-entreprises (scores de performance nous avons utilisé un deuxième modèle sociale et allégations d’irresponsabilité emboîté (plusieurs années emboîtées dans pour les cinq catégories d’enjeux sociaux : les industries dans lesquelles les entre- communauté et éthique, droits de l’homme, prises étaient emboîtées), et nous avons diversité et opportunités d’inclusion, qua- également effectué des analyses en utilisant lité de l’emploi, santé et sécurité au fil du la modélisation à coefficients aléatoires temps, de 2002 à 2014) ont été modélisées avec HLM (Raudenbush et al., 2013). Les au niveau 1, et les variables de contrôle variables intra-industries (scores de perfor- interentreprises (taille de l’entreprise et mance sociale de l’industrie et allégations chiffre d’affaires) au niveau 2. Comme le d’irresponsabilité pour les cinq catégories recommandent Hofmann et al. (2000), les d’enjeux sociaux au fil du temps, de 2002 variables de niveau 2 ont été centrées sur à 2014) ont été modélisées au niveau 1, la moyenne générale. Comme le montre le et les variables de contrôle interindustrie tableau 2, les allégations d’irresponsabilité (nombre d’entreprises dans chaque secteur)
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