L'archéologie des Malécites Passé, présent et futur Maliseet Archaeology: Past, Present, and Future - Érudit

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Recherches amérindiennes au Québec

L’archéologie des Malécites
Passé, présent et futur
Maliseet Archaeology: Past, Present, and Future
Adrian L. Burke

Les Malécites à l’aube du XXIe siècle                                          Article abstract
Volume 39, Number 3, 2009                                                      The purpose of this article is to assess the current state of prehistoric, or
                                                                               pre-contact, archaeology in the St. John River Valley, and in ­particular the
URI: https://id.erudit.org/iderudit/045799ar                                   upper and middle St. John. This region is part of the ancestral territory of the
DOI: https://doi.org/10.7202/045799ar                                          Maliseet nation. I start by addressing the challenges faced by the archaeo­logist
                                                                               in defining an archaeology of the Maliseet people. I follow this with a history of
                                                                               archaeological research in those regions of Maine, Québec and New Brunswick
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                                                                               that are part of the St. John River Valley. The current state of archaeology is
                                                                               presented (the actors, the institutions, the research projects and questions),
                                                                               along with a summary of what characterizes the archaeology of this region
Publisher(s)                                                                   today. Some lacunae in past and current research can be ­identified, but there
                                                                               are also many areas where the archaeology of the St. John is healthy and rich
Recherches amérindiennes au Québec
                                                                               in data. I conclude the article with some recommendations for the future
                                                                               development of Maliseet archaeology.
ISSN
0318-4137 (print)
1923-5151 (digital)

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Cite this article
Burke, A. L. (2009). L’archéologie des Malécites : passé, présent et futur.
Recherches amérindiennes au Québec, 39 (3), 7–24.
https://doi.org/10.7202/045799ar

Tous droits réservés © Recherches amérindiennes au Québec, 2009               This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit
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                                                                              This article is disseminated and preserved by Érudit.
                                                                              Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal,
                                                                              Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to
                                                                              promote and disseminate research.
                                                                              https://www.erudit.org/en/
L’archéologie des Malécites
                                        Passé, présent et futur

                                     D
    Adrian L.                            ANS CET ARTICLE,     nous considé-        dans la figure 1 n’ont jamais été figés
       Burke                              rons l’archéologie des Malécites         ou fixes. Les limites des territoires
   Département                            (Wolastoqiyik) et l’archéologie de       évoluent constamment pour les
d’anthropologie,                     la vallée de la rivière Saint-Jean            chasseurs-cueilleurs et la population
   Université de                     comme des équivalents pour les fins           circule aussi entre les différentes
      Montréal,                      de la recherche. La vallée de la rivière      bandes (Leacock 1954 ; Mailhot
       Montréal                      Saint-Jean est, depuis toujours, une          1993). De plus, le territoire tradi-
                                     région associée aux Malécites et elle         tionnel des Malécites a été fréquenté
                                     est considérée comme faisant partie           à la période historique par d’autres
                                     de leur territoire ancestral (Erickson        groupes, comme les Penobscots au
                                     1978 ; Speck et Hadlock 1946 ; Wallis         sud (Speck 1940), les Iroquoiens du
                                     et Wallis 1957). Même si l’image              Saint-Laurent circulant dans l’Estuaire
                                     historique d’un territoire tribal est         (Burke 2001 ; Tremblay 1998), les
                                     un concept statique qui ne reflète            Innus (Montagnais) de la Côte-Nord
                                     pas la dynamique sociale, écono-              (Moreau 1980 ; Thwaites 1897) et
                                     mique ou politique de ces peuples,            les Micmacs de l’Est (Pacifique 1935 ;
                                     le lien très étroit entre les Malécites       Webster 1934).
                                     et Wolastoq ou la belle rivière (la rivière       Pour l’archéologue, il peut être
                                     Saint-Jean) est indéniable (Perley et         hasardeux de présumer qu’il y a un
                                     Blair 2003 ; Perley, Turnbull et Allen        lien direct entre l’entité sociale et
                                     2000). Dans un cadre géographique             politique – reconnue à la période
                                     plus vaste, les groupes amérindiens           historique comme une tribu ou nation
                                     qui font partie de la grande famille          (par ex. Innus, Hurons, Penobscots,
                                     wabanakie depuis la période histo-            Malécites) – et les vestiges archéolo-
                                     rique (Abénaquis de l’Est, Penobscots,        giques trouvés dans la région identi-
                                     Passamaquoddys, Malécites et                  fiée à la période historique comme
                                     Micmacs [Mi’gmaqs]) sont générale-            étant le territoire d’un groupe en
                                     ment considérés comme étant les               particulier. Cette pratique sous-
            Vol. XXXIX, N˚ 3, 2009

                                     occupants ancestraux de la région             estime encore une fois la dynamique
                                     de la Péninsule maritime (fig. 1)             sociopolitique des premières nations
                                     [Snow 1978 ; Tuck 1978]. Pourtant,            avant l’arrivée des Européens. Le
                                     nous ne voulons pas proposer une              registre archéologique du Nord-Est
                                     vision statique des sociétés amérin-          américain recèle plusieurs exemples
                                     diennes, nous sommes conscient au             de conflits, de déplacements, de
                                     contraire que les territoires indiqués
                                                                                                                         7
                                                                      RECHERCHES AMÉRINDIENNES AU QUÉBEC, XXXIX, NO 3, 2009
Maine, la loi sur le rapatriement des
                                                                                                       restes humains (Statute on Indian
                                                                                                       human remains, title 22 ss 2842-B)
                                                                                                       permet d’assigner les restes à une
                                                                                                       tribu ou à un groupe en particulier
                                                                                                       jusqu’à 1000 AA. Sanger et Burke
                                                                                                       ont déjà proposé que les peuples de
                                                                                                       la fin de l’Archaïque (spécifiquement
                                                                                                       ceux de l’Archaïque terminal, qui
                                                                                                       débute vers 3800 AA) pourraient
                                                                                                       être les ancêtres des peuples histo-
                                                                                                       riques comme les Penobscots, les
                                                                                                       Passamaquoddys, les Malécites et les
                                                                                                       Micmacs (Burke 2000 ; Sanger 2008).
                                                                                                       Mais la continuité, culturelle ou
                                                                                                       autre, est souvent difficile à démon-
                                                                                                       trer par le biais de l’archéologie. En
                                                                                                       fait, le registre archéologique est
                                                                                                       parsemé de trous, et la résolution
Figure 1                                                                                               temporelle n’est pas souvent à la
Localisation des territoires historiques traditionnels des groupes amérindiens wabanakis du            hauteur de la tâche. Nous estimons,
Maine, du Québec et des provinces maritimes. La Péninsule maritime est indiquée par le trait gris      par contre, que les ruptures ou
et elle suit la rivière Kennebec au Maine et la rivière Chaudière au Québec, à l’ouest
                                                                                                       les discontinuités dans le registre
                                                                                                       archéologique seront faciles à iden-
migrations et de fusions entre groupes amérindiens. Dans                                               tifier en comparaison avec les
l’archéologie anthropologique américaniste, il existe une                       continuités. Nous proposons ainsi que les données
tradition appelée approche historico-analogique (direct                         archéologiques pour la vallée de la rivière Saint-Jean
historical approach), qui permet aux chercheurs d’ana-                          (Maine, Québec et Nouveau-Brunswick) appuient une
lyser, d’interpréter et de tenter de comprendre les don-                        hypothèse de continuité d’occupation depuis au moins
nées ethnographiques et ethnohistoriques à partir de la                         les trois derniers millénaires (Chalifoux, Burke et
période historique, puis de reculer dans le temps dans                          Chapdelaine 1998).
le but d’élaborer une histoire à long terme ou encore de
faire la paléohistoire d’un groupe amérindien en particu-                       LE PASSÉ : HISTOIRE DE LA RECHERCHE
                                                                                ARCHÉOLOGIQUE DANS LE BASSIN
lier. Afin d’appliquer cette méthodologie, il faut démontrer
                                                                                DE LA RIVIÈRE SAINT-JEAN
une continuité d’occupation sur le territoire du groupe
en question ainsi qu’une certaine continuité culturelle, ce                          Cet article portera principalement sur l’archéologie de
                                                                                la haute et moyenne vallée de la rivière Saint-Jean (fig. 2).
qui suppose une continuité génétique implicite. Plusieurs
                                                                                Nous avons choisi cette région pour différentes raisons :
exemples de l’approche historico-analogique existent
                                                                                l’archéologie y est mieux documentée et nous avons une
pour le Nord-Est, par exemple pour les Onondagas
                                                                                expérience personnelle dans la région. De plus, ces deux
(Tuck 1971), les Oneidas (Bradley 1987), les Hurons
                                                                                sous-régions sont moins contestées par d’autres groupes
(Trigger 1987) et les Lenapes (Kraft 2001). Alors que                           amérindiens, soit dans le passé colonial soit dans le pré-
certains auteurs se limiteront à la préhistoire récente                         sent, ce qui facilite notre étude, car le lien entre les
(Bradley 1987), d’autres reculeront davantage dans le                           Malécites et le territoire à l’étude est plus étroit. Dans le
passé (ou la préhistoire) des populations amérindiennes                         but de mettre l’archéologie de la rivière Saint-Jean en
(Kraft 2001).                                                                   perspective, nous présenterons d’abord un historique de
     Jusqu’où l’on peut reculer cette continuité culturelle                     l’archéologie menée dans l’ensemble de la Péninsule
dans le passé est certes une question épineuse. Dans le                         maritime (la Maritime Peninsula de Bourque [1989] ; voir
Nord-Est, les archéologues acceptent souvent de façon                           aussi Burke 2000 ; Deal et Blair 1991 ; Hoffman 1955,
tacite une continuité entre les groupes autochtones de la                       1967 ; Sanger 1996a, 2003, 2006).
période du Sylvicole ou Céramique (3000 AA à 400 AA,
ou environ 1000 av. J.-C. à 1550 ap. J.-C. non étalonné)                        LES DÉBUTS DE L’ARCHÉOLOGIE
et ceux qui ont été décrits par les premiers Européens.                         DANS LA PÉNINSULE MARITIME
Pour la Péninsule maritime, la situation est semblable                               L’archéologie a eu un début plutôt précoce dans la
(Rutherford 1991 ; Sanger 1986, 1987 ; Tuck 1978). Au                           Péninsule maritime à la fin du XIXe siècle. La période
8
RECHERCHES AMÉRINDIENNES AU QUÉBEC, XXXIX, NO 3, 2009
région de la moyenne et haute vallée
                                                                                                       de la Saint-Jean, la présence de car-
                                                                                                       rières ou sources de matières pre-
                                                                                                       mières lithiques occupe une place
                                                                                                       centrale. La carrière de chert de
                                                                                                       Washademoak, au lac Washademoak
                                                                                                       (Matthew 1900), ainsi qu’une source
                                                                                                       de « silex » qui se trouverait dans la
                                                                                                       région du Témiscouata (Bailey et
                                                                                                       McInnes 1889 ; voir aussi Marie-
                                                                                                       Victorin 1918) sont indiquées dès le
                                                                                                       début des recherches archéologiques.
                                                                                                       Quand Moorehead descend la
                                                                                                       rivière Saint-Jean en 1914, il s’arrête
                                                                                                       à Edmundston où il recrute Noël
                                                                                                       Bernard et son frère, deux Malécites,
                                                                                                       pour remonter la rivière Madawaska
                                                                                                       jusqu’au lac Témiscouata (Moorehead
                                                                                                       1922 : 233-234). Moorehead décrit
                                                                                                       leur retour en ces mots :
                                                                                                           En deux jours, Bernard et son frère sont
                                                                                                           revenus avec le canot que nous leur
                                                                                                           avions donné et ils ont mentionné la
                                                                                                           présence d’une grande carrière de
                                                                                                           matière lithique, rapportant avec eux
                                                                                                           deux gallons de matière première. Il
                                                                                                           s’agit d’un silex foncé, presque noir, et
                                                                                                           qui semble avoir été largement utilisé
                                                                                                           par les Indiens de la rivière Saint-Jean.
Figure 2
                                                                                                           (Moorehead 1922 : 233-234)
Localisation des régions de la vallée de la rivière Saint-Jean qui sont abordées dans le texte

                                                                                                          Par la suite, il y aura peu de
entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle est                                             recherche archéologique dans la
considérée comme un âge d’or pour l’archéologie de la                          Péninsule maritime entre 1925 et 1965 (Snow 1968 ;
région (Connolly 1977 ; Snow 1968 ; Spiess 1985). Deux                         Spiess 1985). Comme dans le passé, les projets se con-
des plus grands archéologues américains de l’époque,                           centrent surtout sur la côte (Hadlock 1941 ; Kingsbury et
Charles C. Willoughby et William K. Moorehead, ont                             Hadlock 1951), mais un projet de recherche qui a eu lieu
réalisé beaucoup de recherches au Maine durant cette                           à l’intérieur des terres est à signaler. Entre 1950 et 1962,
période (Moorehead 1922 ; Willoughby 1935, 1980). La                           E. Butler et W. Hadlock (1962) vont effectuer des recon-
plupart des efforts des archéologues de cette période                          naissances dans la région de la rivière Allagash, un des
furent consacrés aux amas coquilliers de la côte Est                           plus importants affluents de la rivière Saint-Jean situé
(Matthew 1884 ; Smith et Wintemberg 1929 ; Trigger 1986).                      dans le nord du Maine. Ils identifient quarante sites pré-
Pour ce qui est de la moyenne vallée de la Saint-Jean,                         historiques sur les rives de cinq lacs, ce qui démontrera,
quelques descriptions de catégories d’objets archéo-                           de façon concluante, non seulement le potentiel archéo-
logiques apparaissent pour la première fois vers la fin du                     logique de l’intérieur des terres, en particulier la haute
XIXe siècle (Bailey 1887 ; Matthew et Kain 1905 ; McIntosh                     vallée de la Saint-Jean, mais aussi l’ancienneté de la pré-
1909, 1914). L. W. Bailey sera le premier à faire mention                      sence amérindienne dans cette région. Plus à l’est sur la
d’objets fabriqués en « silex » dans la région du                              moyenne vallée de la Saint-Jean et sur la rivière Tobique
Témiscouata dans la haute vallée de la Saint-Jean (Bailey                      – un affluent principal de la rivière Saint-Jean situé dans
et McInnes 1889), et Warren K. Moorehead sera le pre-                          le nord du Nouveau-Brunswick –, l’archéologue amateur
mier archéologue professionnel à explorer la haute vallée                      George F. Clarke fouillera plusieurs sites pendant quatre
de la Saint-Jean, où il trouvera au moins douze sites en                       décennies entre 1930 et 1960 (Clarke 1968). Ce dernier
1912 et 1914 (Moorehead 1922).                                                 était souvent accompagné d’un Malécite, Noël Moulton,
    Il est intéressant de remarquer que, dans les pre-                         qui l’assistait lors des fouilles. Clarke a publié une partie
mières références aux vestiges archéologiques pour la                          des collections mises au jour dans son livre Someone

                                                                                                                                                  9
                                                                                          RECHERCHES AMÉRINDIENNES AU QUÉBEC, XXXIX, NO 3, 2009
Before Us (1968), et les objets sont présentement entre-        (voir fig. 2). David Sanger, récemment embauché à la
posés à la bibliothèque publique de Woodstock au                University of Maine à Orono, fut engagé pour effectuer
Nouveau-Brunswick. Enfin, soulignons le cas du site             une reconnaissance de la haute vallée de la Saint-Jean dans
côtier de Eastport fouillé par Kingsbury et Hadlock             le secteur appelé Dickey-Lincoln School (Sanger 1978). Il
(1951) qui mentionnent la présence de matière première          a combiné la reconnaissance avec des sondages et des
lithique provenant d’affleurements sur la rivière Tobique.      fouilles car l’échéancier était très serré. Son équipe et lui
                                                                ont trouvé trente-sept nouveaux sites archéologiques,
LE RENOUVEAU DE LA RECHERCHE ARCHÉOLOGIQUE                      confirmant une présence amérindienne importante. Bien
PENDANT LES ANNÉES 1960                                         que Sanger ait semblé surpris par la richesse archéo-
     L’archéologie dans la Péninsule maritime, comme            logique de cette région intérieure et reculée, il conclura
ailleurs en Amérique du Nord, subira un effet stimulant         que les sites étaient en grande partie occupés pendant de
et mobilisateur durant les années 1960 et 1970. L’arrivée       courtes périodes de temps par des Amérindiens qui
de nouveaux archéologues professionnels, munis de               étaient de passage et non pas lors d’occupations perma-
doctorats – certains avec des postes permanents dans les        nentes du territoire (Sanger 1978: 18-19). Finalement, le
institutions provinciales et celles de l’État du Maine –,       barrage ne fut jamais construit et George P. Nicholas a
servira à consolider l’archéologie régionale (Shimabuku         poursuivi la recherche interdisciplinaire de Sanger pen-
1980 ; Snow 1968 ; Spiess 1985). Les effets sur la pra-         dant les années 1970 et 1980 en développant les modèles
tique se font sentir à l’échelle du Nord-Est et aussi dans      géomorphologiques basés sur les données géologiques
la Péninsule maritime (Burke 2000 : 107-120). Pour l’ar-        postglaciaires. Les travaux de Nicholas ont permis de
chéologie de la vallée de la rivière Saint-Jean, quelques       repousser encore plus loin dans le passé notre compré-
projets deviendront des éléments clés pour le développe-        hension des occupations amérindiennes de la région
ment d’une archéologie régionale.                               (Nicholas 1988 ; Nicholas, Kite et Bonnichsen 1981).
     Dans la haute vallée de la Saint-Jean, les interventions       Toujours au Maine, Butler et Hadlock (1962) avaient
de Charles A. Martijn pendant les années 1960 vont
                                                                également identifié une série de sites archéologiques
changer radicalement la vision de la préhistoire du Bas-
                                                                autour du lac Munsungun situé dans la vallée de la
Saint-Laurent. Pendant l’été de 1964, après une interven-
                                                                rivière Aroostook (voir fig. 2), un autre affluent majeur
tion sur l’île Verte et dans la région de Rivière-du-Loup,
                                                                de la Saint-Jean. Le lac était connu pour ses affleurements
Martijn commence une prospection à l’intérieur des
terres dans la région du Témiscouata. Il y découvre             de chert et ses berges regorgeaient d’objets archéo-
trente-sept nouveaux sites archéologiques (Martijn 1964).       logiques en surface. Butler et Hadlock (1962 : 25-26)
Entre 1964 et 1966, il mènera trois campagnes de pros-          décrivaient les sites comme étant le résultat de courtes
pection et de fouilles et étudiera plus de quarante sites       occupations surtout caractérisées par des ateliers de taille.
dans la grande région du Témiscouata, source principale         En aval du lac, sur la rivière Aroostook, Alice Wellman a
de la rivière Madawaska, affluent majeur de la rivière Saint-   fouillé un site datant de la période céramique (CP4 à CP7,
Jean (Martijn 1964, 1965, 1966a, 1966b, 1966c, 1969).           1350 AA - 300 AA) qui avait été réoccupé à quelques
Dès le début de son projet, Martijn a ciblé la région du        reprises et qui représentait sans doute plus qu’un simple
Témiscouata comme ayant un fort potentiel archéo-               atelier de taille (Wellman 1973). L’archéologue Robson
logique en grande partie à cause de son rôle historique,        Bonnichsen de la University of Maine a dirigé un pro-
notamment par la présence du portage des Malécites              gramme archéologique interdisciplinaire dans la région
entre le fleuve et l’estuaire du Saint-Laurent d’une part, et   des lacs Chase et Munsungun entre 1977 et 1981, mais
la rivière Saint-Jean, la baie de Fundy, le golfe du Maine      le projet était surtout concentré sur les occupations très
et le versant Atlantique d’autre part. Comme les travaux        anciennes (Bonnichsen 1981, 1984 ; Bonnichsen et al.
précédents de Butler et Hadlock (1962), ceux de Martijn         1985 ; Bonnichsen et al. 1980). Cependant, deux sites du
servaient à confirmer le fort potentiel archéologique de        lac Munsungun datant de la période céramique ont été
la vallée de la rivière Saint-Jean et la position straté-       étudiés par Pauleena MacDougall Seeber (Seeber 1987).
gique qu’occupait ce bassin hydrographique avant la             Au total, quatre-vingt-douze sites archéologiques sont
période coloniale.                                              inscrits sur l’inventaire des sites archéologiques du Maine
     La partie supérieure de la rivière Saint-Jean qui          pour la région du lac Munsungun. Parmi ces sites, au
sillonne à travers le nord du Maine depuis sa source n’a        moins quatre ont livré de la poterie et des occupations de
pas suscité l’intérêt des archéologues depuis que               la période céramique et ils ont été étudiés par l’auteur
Moorehead en a fait une reconnaissance en canot, en 1914        (Burke 2000 : 189). Plus en aval, sur la rivière Aroostook
(Moorehead 1922), jusqu’au moment où un projet de               entre Masardis et son embouchure dans la rivière Saint-
barrage fut proposé par le gouvernement fédéral améri-          Jean, on dénombre pas moins de seize autres sites
cain sur la rivière Saint-Jean en amont de l’Allagash           archéologiques, surtout trouvés par les collectionneurs et
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RECHERCHES AMÉRINDIENNES AU QUÉBEC, XXXIX, NO 3, 2009
enregistrés par l’archéologue David                                                              une analyse de la collection de ce
Putnam (Putnam, comm. pers. 2001 ;                                                               site, il est possible que celui-ci révèle
voir aussi Burke 2000, Sanger 1981).                                                             des éléments reliés à la préhistoire et
    Quelques courtes visites sur les                                                             à la période du contact (Burke 2000).
rives de la rivière Tobique par des                                                              Mentionnons finalement le site de
historiens et des archéologues ont eu                                                            Meductic qui, au cours des années,
lieu au début du siècle : Ganong en                                                              a produit de nombreux vestiges
1899, Moorehead en 1914, Tappan                                                                  archéologiques mais n’a jamais fait
Adney dans les années 1930 et                                                                    l’objet d’une fouille archéologique
Stoddard en 1949 (Turnbull 1990 :                                                                systématique et professionnelle. Ce
6-8). Mais les principales décou-                                                                site est l’emplacement historique
vertes demeurent celles de George F.                                                             du village malécite de Meductic
Clarke qui, entre 1930 et 1960, a                                                                (Medoctec) situé au début du por-
collectionné des artefacts provenant                                                             tage menant de la rivière Saint-Jean
de sites le long de cet affluent majeur                                                          à la baie de Passamaquoddy par la
de la rivière Saint-Jean (Clarke 1968).                                                          rivière Eel (Cook 1985 ; Ganong 1983
Pendant les années 1960, Richard                                                                 [1899], 1906). Cet emplacement est
Pearson et David Sanger, du Musée                                                                bien décrit dans les documents colo-
de l’Homme à Ottawa (ancien musée             Figure 3
                                                                                                 niaux (Ganong 1930 ; Prins 1992 ;
national), ont effectué les premières         Pierre dédicatoire datée de 1707 attestant la      Raymond et Pote 1896 ; Smith 1982)
fouilles professionnelles et modernes         construction d’une église malécite à Meductic      [figure 3]. Meductic représente un
                                              (N.-B.) par le père Jean-Baptiste Loyard
sur les sites identifiés par Clarke           (Photographie de R.R. Watson, vers 1900,
                                                                                                 endroit clé pour la compréhension
(Pearson 1962 ; Sanger 1968). Le              n˚ 1987.17.1393, Musée du Nouveau-                 de l’histoire (et de la paléohistoire)
site Deadman’s Pool (CgDt-3), étudié          Brunswick, Saint John, N.-B.)                      des Malécites, et cet emplacement a
par Sanger, a livré une technologie                                                              été le lieu d’occupations répétées
lithique lamellaire atypique pour la                                                             avant l’arrivée des Européens.
région et ses occupations datent de la fin de la période                      La région de la basse vallée de la rivière Saint-Jean, en
archaïque ou du début de la période céramique, une                       aval de Fredericton, ne sera pas étudiée dans cet article
période encore mal connue dans la région (Sanger 1971,                   mais elle fait partie intégrale de l’histoire de l’archéologie
2008 ; Turnbull 1990). Au total, on dénombre vingt-huit                  des Malécites. La région des grands lacs (French, Indian,
sites préhistoriques sur la rivière Tobique et dix autres                Maquapit, Grand, Washademoak) et certains bras de
sur la rivière Saint-Jean près de la confluence avec la                  rivière formés par l’inondation de la basse vallée durant
Tobique (Burke 2000).                                                    l’Holocène ont révélé dès le début du XIXe siècle une
    L’archéologie semble avoir pris plus de temps à s’éta-               quantité importante d’objets et de sites archéologiques
blir le long de la rivière Saint-Jean en aval de la rivière              (Bailey 1887 ; Matthew 1900 ; Matthew et Kain 1905 ;
Tobique jusqu'à Meductic. Comme nous l’avons men-                        McIntosh 1909, 1914). Pourtant ces sites seront presque
tionné précédemment, la moyenne vallée de la Saint-Jean                  ignorés jusqu’au début des années 1970. Lors d’une
a été longtemps le « terrain de prédilection » de l’archéo-              reconnaissance en 1971, Chris Turnbull (1975) identi-
logue amateur George F. Clarke et les premiers archéo-                   fiait déjà vingt-neuf sites préhistoriques dans cette
logues professionnels à visiter la région ont été                        région, dont quatre avec de la poterie. Un de ces sites,
accompagnés par Clarke lui-même (Clarke 1968 : 124).                     Fulton Island, a livré une collection de poterie parmi les
Au moins trente-quatre sites préhistoriques sont connus                  plus importantes de la vallée de la rivière Saint-Jean, qui
sur ce tronçon de la rivière Saint-Jean (seize ont été                   a servi à établir une séquence chronologique régionale
inondés à la suite de la construction de barrages), et                   (Foulkes 1981). À la même époque et non loin de Fulton
treize autres pour le secteur allant de Meductic jusqu’à                 Island, David Sanger fouillait le site Cow Point, un
Fredericton (Clarke 1968 : 67). Pendant les années 1960,                 important cimetière datant de l’Archaïque supérieur
Pearson et Sanger ont effectué pour le Musée de l’Homme                  (Sanger 1973). Mentionnons le peu de recherche archéo-
des interventions limitées dans la région, qui étaient sur-              logique faite dans les environs de la ville de Saint John,
tout reliées à la construction du barrage de Mactaquac                   alors que des sites archéologiques amérindiens préhisto-
(Pearson 1962 ; Sanger 1968). En 1974, l’archéologue                     riques et historiques y sont connus (Burley 1976 ;
Patricia Allen fouillera à Florenceville un petit site (CcDv-1)          Ganong 1983 [1899] ; Harper 1956).
qu’elle associe à la période historique (Allen 1976). Après                   Il est clair qu’après un siècle de recherches intermit-
                                                                         tentes et la découverte de centaines de sites archéologiques
                                                                                                                                       11
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amérindiens, la grande région de l’intérieur drainée par la     l’Université de Montréal, ce projet utilisait un modèle
rivière Saint-Jean témoigne d’une immense richesse              géographique et géomorphologique qui ciblait surtout
archéologique. Cependant, il reste encore aujourd’hui de        l’occupation humaine sur les anciennes terrasses (Dumais
vastes régions largement inconnues sur le plan archéo-          et Poirier 1998 ; Dumais, Poirier et Rousseau 1998). Ce
logique, tels le bassin versant de la rivière Fish et la por-   projet a mené à la découverte du plus ancien site de la
tion de la vallée de la Saint-Jean entre Edmundston et les      région à Squatec (Dumais, Poirier et Rousseau 1993 ;
embouchures des rivières Aroostook et Tobique.                  Dumais et Rousseau 2002), mais il a aussi permis la
                                                                découverte de sept nouveaux sites sur la rivière
L’ARCHÉOLOGIE «    MODERNE    »   DES   MALÉCITES               Madawaska, incluant des sites de l’Archaïque supérieur
     Depuis les années 1980, la recherche archéologique         ou terminal (Dumais, Poirier et Rousseau 1994, 1998).
dans le bassin de la rivière Saint-Jean a pris deux nou-        Un nouveau projet triennal (2004-2006) de l’Université
velles directions : 1) des projets de recherche, étalés sur     de Montréal dirigé par l’auteur a été mené dans la vallée
plusieurs années et ciblés sur une région en particulier, et    de la rivière Madawaska et autour des lacs Pohénégamook,
2) des projets ponctuels d’archéologie préventive surtout       Baker, Long et Meruimticook (Burke 2005, 2006b, 2008).
reliés à la construction de barrages hydroélectriques et à      Ce projet visait la reconstitution de l’environnement de la
la réfection des routes. Les projets de recherche ont servi     région durant l’Holocène et l’étude de l’adaptation à long
à consolider nos connaissances dans les régions déjà étu-       terme de groupes amérindiens à cet environnement
diées auparavant et aussi à stimuler de nouvelles               depuis la fin de l’Archaïque. Très peu de nouveaux sites
approches interdisciplinaires en archéologie. L’archéologie     ont été trouvés, mais un deuxième site amérindien de la
préventive a surtout servi à combler certains vides géo-        période du contact fut identifié. Un site fascinant,
graphiques et temporels dans l’état de nos connaissances.       CjEd-5, datant autour de 1000 AA a été fouillé et a révélé
Une première bibliographie régionale a été produite en          les vestiges d’un rituel associé au sacrifice de bifaces en
1986, signe d’une certaine maturité de la discipline            chert de Ramah (Burke 2006c). Une carotte prélevée
(Turnbull et Davis 1986).                                       dans le lac Beazley, situé environ à 10 km à l’est de la ville
     Les projets de Charles A. Martijn au Témiscouata ont       de Dégelis et à 7 km au nord-est du site CjEd-5, a fourni de
jeté les bases pour une archéologie qui persiste jusqu’à        nouvelles données sur le climat et la végétation dans la
nos jours avec la création au Témiscouata d’un nouveau          haute vallée de la Saint-Jean et sur son rôle dans
parc national qui placera l’archéologie au centre de            l’occupation du territoire durant l’Archaïque et la période
l’interprétation du paysage. Vingt ans après les réalisa-       céramique (Burke et Richard 2010). Les projets d’archéo-
tions de C. A. Martijn, Pierre Desrosiers a fait un recen-      logie préventive au Témiscouata n’ont pas permis la
sement des sites connus dans la région du Témiscouata           découverte de nouveaux sites (Ethnoscop 1983), mais la
qui a rappelé son riche potentiel archéologique (Desrosiers     réfection du barrage du lac Témiscouata a permis la fouille
1986). Un projet triennal (1991-1993) de recherche de           d’un site important de l’Archaïque terminal (Brunet 2009 ;
l’Université de Montréal entrepris par Claude Chapdelaine       Dumais, Poirier et Laliberté 1996 ; Ethnoscop 1994).
en 1989 a permis la réalisation de la première synthèse             Les efforts pionniers de recherche interdisciplinaire
archéologique de la région (Chalifoux, Burke et                 qui ont eu lieu au Maine dans la haute vallée de la Saint-
Chapdelaine 1998) ainsi que plusieurs mémoires de               Jean et dans la région du lac Munsungun pendant les
maîtrise (Bisson 1990 ; Burke 1993 ; Chalifoux 1993 ;           années 1970 et au début des années 1980 n’ont malheu-
Jost 1995). Ce projet a permis de mettre en valeur le rôle      reusement pas été poursuivis. Les données se retrouvent
central de la région comme un carrefour qui reliait les         surtout dans des rapports inédits (Bonnichsen 1981 ;
groupes de l’Estuaire avec ceux du Maine et des pro-            Bonnichsen et al. 1980 ; Nicholas 1988 ; Nicholas, Kite et
vinces maritimes, de même que les liens privilégiés entre       Bonnichsen 1981 ; Sanger 1978), et les recherches
le Témiscouata et la vallée de la Saint-Jean et l’impor-        archéologiques effectuées depuis ont livré peu de nou-
tance des carrières de chert du lac Touladi dans l’occupa-      veaux résultats. Cependant, les modèles proposés par ces
tion de la région pendant la préhistoire (Burke 2000,           chercheurs sont toujours applicables pour les occupa-
2001, 2007 ; Burke et Chalifoux 1998 ; Chalifoux et             tions plus anciennes (le Paléoindien et l’Archaïque ancien
Burke 1995 ; Chalifoux, Burke et Chapdelaine 1998 ;             et moyen). Les travaux de Dumais, Rousseau et Poirier
Chapdelaine et Kennedy 1990).                                   (Dumais et Poirier 1998 ; Dumais, Poirier et Rousseau
     La firme Ethnoscop inc., composée alors de Pierre          1993, 1998 ; Dumais et Rousseau 2002), ainsi que ceux
Dumais, Gilles Rousseau et Jean Poirier, a également établi     de Dickinson et Jeandron (1998) sur des sites anciens
un projet de recherche archéologique dans la région du          associés aux paléo-rivages du lac postglaciaire Madawaska,
Témiscouata au début des années 1990 (Dumais, Poirier           représentent une continuité de l’application de ce type de
et Rousseau 1994, 1998). Complémentaire à celui de              recherche pour la région.
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RECHERCHES AMÉRINDIENNES AU QUÉBEC, XXXIX, NO 3, 2009
L’énorme région du nord du Maine qui comprend le            la confluence des rivières Aroostook et Saint-Jean
bassin versant de la rivière Fish – soit huit grands lacs et     (Keenlyside, comm. pers. 1996). Malheureusement, ce
de nombreux petits lacs qui se jettent dans la rivière           projet prometteur restera sans suite, mais les collections
Saint-Jean à Fort Kent – demeure presque inconnue du             mises au jour lors des fouilles demeurent au Musée cana-
point de vue archéologique. L’archéologue David Putnam           dien des civilisations à Gatineau. Lucy Wilson, archéo-
a travaillé à quelques reprises dans la région mais très         logue à l’Université du Nouveau-Brunswick (Saint John),
peu de sites sont enregistrés dans l’inventaire de l’État du     et l’auteur ont effectué une prospection de deux jours sur
Maine (Putnam, comm. pers. 2001). L’auteur a mené                la rivière Tobique en 2006 afin d’étudier la géologie locale
deux courtes campagnes de reconnaissance dans cette              et de tenter d’identifier la source du chert de Tobique,
région en 2002 et en 2003, ce qui lui a permis d’identifier      mais sans succès. Le projet se poursuit avec des analyses
au moins une quinzaine de sites, tous datant de la fin de        pétrographiques et géochimiques (Gauthier 2008). Un
l’Archaïque et de la période céramique (Burke 2002).             collectionneur local, Darren Giberson, de Wapske, pos-
Quelques sites préhistoriques ont aussi été trouvés dans         sède une imposante collection d’artefacts provenant des
le nord-est du Maine grâce à des projets d’archéologie           sites de la vallée de la rivière Tobique qui devrait être
préventive (Buchanan, Subin et Petersen 1991 ; Petersen          cataloguée et photographiée bientôt.
et al. 1995 ; Will, Moore et Clarke 1997). La majorité de ces         La situation de l’archéologie dans la moyenne vallée
sites n’a pas livré de matériel diagnostique et les rapports     de la rivière Saint-Jean est comparable à celle de la
de terrain ne contiennent pas d’analyses très détaillées.        Tobique. Malgré une quantité impressionnante de sites
Cependant, l’auteur a examiné toutes ces collections dans        amérindiens (préhistoriques et historiques) qui sont
le cadre de son doctorat et il considère que la majorité         connus depuis au moins un demi-siècle (Clarke 1968),
de ces sites date de la période céramique (Burke 2000 :          l’état des connaissances archéologiques dans ce secteur
132-133). Dans la vallée de la rivière Saint-Jean, entre         de la vallée ne semble pas avoir progressé depuis la fouille
Edmundston et les embouchures des rivières Aroostook             du site Whitemarsh Creek par Patricia Allen (1976).
et Tobique, la situation est aussi peu reluisante. À l’inté-     Quelques interventions préventives ont permis de sur-
rieur de ce secteur qui fait presque 100 km de long,             veiller l’état de conservation de certains sites déjà connus,
seulement cinq sites préhistoriques archéologiques sont          mais peu de nouveaux sites ont été découverts (Jason
répertoriés. Trois sites représentent des découvertes for-       Jeandron, comm. pers. 2005, voir aussi les rapports
tuites d’un seul artefact en surface (CiEb-1, ChEa-1,            d’interventions au bureau des Services d’archéologie,
CkEa-1), un site à Grand-Sault est identifié dans la publi-      Fredericton, N.-B.). Cette situation est particulièrement
cation de Bailey (1887 : Pl. III, 2 et 3) par la découverte      surprenante car la région, densément peuplée, est facile
de deux pilons en pierre bouchardée, et un site au nord          d’accès et elle est près de la capitale administrative et du
de la ville d’Edmundston, sur les rives du lac First, est        campus universitaire. De plus, la communauté malécite
possiblement très ancien (Dickinson et Jeandron 1998).           de Woodstock habite la région. Une autre communauté
     Malgré une richesse archéologique incontestable             malécite se trouve du côté américain, à Houlton, Maine,
(Clarke 1968 ; Sanger 1968, 1971) et la présence d’une           à seulement 18 km de Woodstock, sur la rivière
communauté malécite importante, la vallée de la rivière          Meduxnekeag, un affluent de la rivière Saint-Jean. Un site
Tobique et la région autour de son embouchure demeu-             archéologique trouvé non loin de cette communauté a été
rent peu connues et encore moins étudiées. Une étude de          analysé par l’auteur et il est étroitement associé aux sites
Turnbull (1990) a permis une réévaluation des collec-            de la vallée de la Saint-Jean (Burke 2000 : 313 ; Cranmer
tions de la région de l’embouchure de la rivière Tobique         et Spiess 1993). Une note plus positive pour l’archéologie
contribuant ainsi à renouveler l’intérêt pour l’archéologie      de cette région est la création du Maliseet Advisory
des Malécites. Au début des années 1990 David                    Committee on Archaeology pendant les années 1990. Cet
Keenlyside, du Musée canadien des civilisations, mènera,         organisme permet aux archéologues de consulter les
en collaboration avec la communauté malécite de                  communautés malécites de la rivière Saint-Jean avant
Tobique, une campagne de prospection et de fouilles              d’entreprendre des projets archéologiques, créant ainsi
archéologiques sur la rivière Tobique et autour des              plus d’occasions de collaborations entre les premières
embouchures de l’Aroostook et de la Tobique (Keenlyside          nations et les archéologues.
1992, 1993 ; voir aussi McEachen 1996). Keenlyside se                 La basse vallée de la Saint-Jean souffre aussi d’une
concentrera sur les sources de matières premières (chert         certaine carence sur le plan de l’activité archéologique.
et rhyolite) de la vallée de la rivière Tobique et il visitera   Dans le cadre de son doctorat, Susan Blair (2004b : 23)
certains des sites déjà connus par les collectionneurs. Son      expliquait que pour cette région il n’y avait toujours
équipe et lui effectueront des fouilles sur un nouveau           en 2004 qu’un seul rapport archéologique publié, celui
site, probablement ancien, situé sur une haute terrasse à        de Sanger (1973) pour le site Cow Point, et un seul
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article scientifique sur la source de chert de Washademoak      (Bonnichsen 1984 ; Nicholas 1988 ; Sanger 1978). La
(Black et Wilson 1999). À ces deux publications, pourrait       moyenne vallée de la Saint-Jean et la vallée de la rivière
s’ajouter le mémoire de maîtrise d’Helen Foulkes (1981)         Tobique au Nouveau-Brunswick sont des régions très
et quelques travaux de reconnaissance (par ex. Turnbull         riches en sites archéologiques préhistoriques. Malgré
1975). Une situation, certes, étonnante, car il existait une    cette richesse archéologique et même s’il existe mainte-
connaissance, bien que sommaire, du potentiel archéo-           nant une première séquence chronoculturelle basée sur
logique et de l’importance historique de la région depuis       la poterie de la région, aucune synthèse régionale n’a
la fin du XIXe siècle. Le projet archéologique de Jemseg,       encore été publiée (Bourgeois 1999 ; voir aussi Rutherford
relié à la construction de l’autoroute transcanadienne, a       1991 ; Turnbull 1990).
permis de revitaliser l’archéologie dans la basse vallée en          Dans la région de la basse vallée de la rivière Saint-
créant des occasions favorables à la recherche interdisci-      Jean, même si le secteur des lacs Jemseg-Indian-French-
plinaire et professionnelle, créant du même souffle de          Maquapit-Grand semble bien étudié, cette région est
nouveaux partenariats entre archéologues et Malécites           vaste et n’a donné lieu à aucune synthèse (voir Blair 2004a,
(Blair 2004a, 2004b ; Perley et Blair 2003). Finalement,        2004b ; Rutherford 1991). Cette situation est d’autant
le mémoire de maîtrise de Vincent Bourgeois mérite              plus surprenante que la présence malécite à la période
d’être souligné pour l’archéologie de la vallée de la rivière   historique est bien documentée pour cette région
Saint-Jean, car il s’agit d’une première tentative en vue de    (Erickson 1978 ; Ganong 1904 ; Leavitt 1995 ; Mechling
créer une séquence céramique propre à cette région              1958-1959 ; Trueman 1966 ; Wallis et Wallis 1957 ;
(Bourgeois 1999 ; voir aussi Petersen et Sanger 1991).          Webster 1934). Il existe présentement trois commu-
                                                                nautés malécites sur ce territoire (Kingsclear, St. Mary’s et
LEPRÉSENT : QUE SAVONS-NOUS DE L’HISTOIRE
                                                                Oromocto). Encore aujourd’hui, de grands secteurs de la
ANCIENNE DES MALÉCITES À TRAVERS L’ARCHÉOLOGIE ?
                                                                rivière Saint-Jean demeurent presque inconnus ou
    Que savons-nous aujourd’hui de l’archéologie de la          inexplorés par les archéologues. C’est également le cas
rivière Saint-Jean à la période pré-contact et des ancêtres     pour les secteurs suivants : le chenal principal entre
des Malécites ? Pour résumer les premiers cent vingt-cinq       Edmundston et la confluence des rivières Aroostook et
ans de cette archéologie, nous avons vu qu’il y a des           Tobique dans la haute vallée ; le secteur partiellement
régions assez bien étudiées sur le plan archéologique,          inondé par un barrage hydroélectrique entre Meductic et
certaines moins, et d’autres pour lesquelles nous ne            Fredericton dans la moyenne vallée ; et le secteur entre le
connaissons encore rien ou très peu. Les régions qui            lac Washademoak et la ville de Saint John.
recèlent le plus grand nombre de sites archéologiques
préhistoriques sont le Témiscouata (Québec), Munsungun               Même si d’autres régions du bassin de la Saint-Jean
et la haute vallée de la rivière Saint-Jean en amont de         ont démontré un certain potentiel archéologique, elles
l’Allagash (Maine), ainsi que la moyenne vallée de la           demeurent moins connues, et la densité des sites enregis-
Saint-Jean incluant la Tobique (Nouveau-Brunswick)              trés y est minimale. On parle ici du bassin versant de la
[voir fig. 2]. La qualité des connaissances archéologiques      rivière Fish, de la rivière Allagash et de la rivière
pour ces régions varie beaucoup. Pour le Témiscouata, il        Aroostook au Maine, ainsi que la vallée de la rivière
existe une synthèse régionale, plusieurs articles et            Madawaska au Québec et au Nouveau-Brunswick.
chapitres d’ouvrages publiés, des études spécialisées           Presque toutes nos connaissances pour ces régions se
(en palynologie, tracéologie, pétroarchéologie, géo-            trouvent dans les rapports archéologiques inédits.
morphologie et géophysique), plusieurs maîtrises et un          Rappelons que la communauté malécite de Madawaska,
doctorat, ainsi que de nombreux rapports de fouille             située à Edmundston, occupe un endroit considéré comme
disponibles au ministère de la Culture, des                     un ancien lieu de rassemblement pour les Malécites de la
Communications et de la Condition féminine du Québec.           vallée de la rivière Saint-Jean (Albert 1982 ; Erickson
Pour les régions du Munsungun et de la haute vallée de          1978 ; Johnson et Martijn 1994 ; Pawling 2010 ; Saint-
la rivière Saint-Jean en amont de l’Allagash, alors qu’il y     Vallier 1856). Pourtant, nous ne connaissons rien à
a eu plusieurs interventions de la part d’archéologues          propos des occupations préhistoriques de l’embouchure
professionnels et des équipes interdisciplinaires universi-     de la rivière Madawaska.
taires, la publication d’articles demeure limitée – la majo-         Finalement, n’oublions pas la région de la côte sud de
rité des données se trouvant dans des rapports inédits          l’estuaire du Saint-Laurent qui a aussi démontré un
disponibles au bureau du State Historic Preservation            potentiel archéologique mais où les interventions archéo-
Officer, Augusta, Maine. De brèves synthèses sont dispo-        logiques ont été peu nombreuses jusqu’à ce jour. La
nibles et elles se concentrent surtout sur les périodes plus    communauté malécite de Viger (Cacouna) occupe cette
anciennes du Paléoindien et de l’Archaïque ancien               région qui fait partie du territoire ancestral des Malécites

14
RECHERCHES AMÉRINDIENNES AU QUÉBEC, XXXIX, NO 3, 2009
(Johnson 1994, 1995 ; Johnson et Martijn 1994 ; Prins               pas de foyers ou d’habitations, peu ou pas de restes
1986). Quelques sites sont connus sur la côte sud, sur-             fauniques ou végétaux, alors que la stratigraphie
tout dans les régions du Bic et de Kamouraska grâce aux             culturelle (superpositions d’occupations répétées) est
efforts de l’archéologue Pierre Dumais pendant les années           généralement absente. Cela veut dire que les ancêtres
1970 et 1980 (Dumais 1978, 1988). Un site unique d’art              des Malécites semblent avoir maintenu un mode de
rupestre est aussi connu dans la région de Cacouna                  vie mobile, se déplaçant sur de vastes territoires
(Arsenault 2006). Cependant, ce sont les îles de la rive            en fonction d’un cycle annuel visant l’exploitation de
sud, en face de la côte du Bas-Saint-Laurent, l’île aux             ressources variées dans des environnements diversi-
Corneilles, l’île Verte et l’île aux Basques qui ont été le         fiés à différentes périodes de l’année. Quelques sites
mieux étudiées d’un point de vue archéologique. La                  plus grands qui semblent avoir été occupés à plu-
majorité des occupations préhistoriques et historiques              sieurs reprises ou qui représentent des lieux de
amérindiennes trouvées sur les îles est associée aux                rencontre sont néanmoins connus. Par exemple,
Iroquoiens du Saint-Laurent et à leurs ancêtres (Martijn            mentionnons les sites suivants : Big Black dans la
1969 ; Tremblay 1993a, 1993b, 1995, 1998, 1999).                    haute vallée de la Saint-Jean, Davidson (CkEe-2) au
    Si nous examinons toutes les données archéologiques             Témiscouata, La Pomkeag sur l’Aroostook, CeDw-3,
disponibles touchant la vallée de la rivière Saint-Jean,            4 et 8 à l’embouchure de la rivière Tobique, les grands
incluant les découvertes fortuites, les collections d’ama-          sites de Woodstock et Meductic dans la moyenne
teurs, les reconnaissances par des équipes de professionnels,       vallée, ainsi que Fulton Island et Jemseg dans la basse
les interventions d’archéologie préventive et les fouilles          vallée de la rivière Saint-Jean. Dans les régions où il y
dans le cadre de projets de recherche, nous pouvons éva-            a de grands lacs, les sites se trouvent surtout autour
luer les données, les synthétiser et essayer de dresser un          de ces plans d’eau (par ex. au Témiscouata, à
portrait de l’archéologie de cette région en 2010.                  Munsungun, autour des lacs du bassin de la rivière
                                                                    Fish, et près des lacs French-Indian-Maquapit-Grand
• Les premières occupations de la région datent de la
                                                                    de la basse vallée de la Saint-Jean). Dans les régions
    période paléoindienne (par ex. Munsungun, Maine et
                                                                    dépourvues de lacs, les sites se trouvent le long de la
    Squatec, Québec). Les périodes de l’Archaïque ancien
                                                                    rivière principale (par ex. Madawaska, Aroostook,
    et moyen (environ 9000 à 5500 AA) demeurent très
                                                                    Tobique, et la haute et moyenne vallée de la
    mal connues et nous ne savons pas si la région a été
                                                                    Saint-Jean).
    abandonnée et réoccupée par d’autres groupes.
    Cependant, les données environnementales indi-                  Grâce à l’archéologie du pré-contact de la haute et
    quent que la région n’était pas moins accueillante que      moyenne vallée de la rivière Saint-Jean, les archéologues
    les régions avoisinantes de la Péninsule maritime déjà      ont identifié certains éléments qui caractérisent cette
    occupées à cette période (Burke et Richard 2010). Le        vallée et la rendent unique sur le plan de l’archéologie de
    bassin versant de la Saint-Jean semble être connu et        la Péninsule maritime, et même du Nord-Est.
    fréquenté dans sa totalité à partir de l’Archaïque supé-    • La position stratégique de la haute et moyenne vallée
    rieur, vers 5500 AA, et nous suggérons que le terri-            qui permettait le lien par portages et rivières entre le
    toire sera occupé de façon plus ou moins permanente             fleuve et l’estuaire du Saint-Laurent d’une part, et la
    à partir de l’Archaïque terminal (environ 3800 AA)              vallée de la Saint-Jean, la baie de Fundy, le golfe du
    [Burke et Richard 2010 ; Chalifoux, Burke et                    Maine et le versant Atlantique d’autre part, est décrite
    Chapdelaine 1998 ; voir aussi Sanger 2008 ; Tuck 1991].         depuis longtemps par les historiens (Caron 1980 ;
    La présence amérindienne à la fin de l’Archaïque et au          Ganong 1906 ; Marie-Victorin 1918). Le système des
    début de la période céramique, jusqu’à 2150 AA,                 portages de la haute vallée a été étroitement associé
    n’est pas très visible, faute d’objets diagnostiques et         aux Malécites, et le portage des Sept-Lacs au
    de datations radiométriques (Blair 2004b ; Turnbull             Témiscouata est appelé, encore aujourd’hui, portage
    1990). Les occupations de la préhistoire récente (de            des Malécites. De plus, la découverte et l’utilisation
    2150 AA au Contact) sont les plus nombreuses et                 des portages par les Français et les Anglais durant la
    couvrent tout le territoire. Par contre, ces occupations        période coloniale étaient possibles grâce aux connais-
    n’ont livré que rarement de la poterie et elles sont            sances des Malécites (par ex. Campbell 1937).
    souvent difficiles à dater de façon plus précise.               L’archéologie a permis d’établir que les occupants de
• Dans l’ensemble, la majorité des sites trouvés est le             la haute et moyenne vallée de la Saint-Jean ont eu des
    résultat d’occupations de courtes durées par des                interactions avec les groupes de l’Estuaire du Saint-
    petits groupes de chasseurs-cueilleurs ayant une                Laurent, de la basse vallée de la Saint-Jean et de la
    grande mobilité. Les sites ne présentent généralement           baie de Fundy tout au long de la préhistoire récente
                                                                    (Burke 2001 ; Chalifoux et Burke 1995 ; Chalifoux,
                                                                                                                          15
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