LA NONNE SANGLANTE - Opéra Comique

 
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LA NONNE SANGLANTE - Opéra Comique
LA NONNE
SANGLANTE

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LA NONNE SANGLANTE - Opéra Comique
LA NONNE
    SANGLANTE
     CHARLES GOUNOD

     2, 4, 6, 8, 10, 12 ET 14 JUIN 2018

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LA NONNE SANGLANTE - Opéra Comique
LA NONNE SANGLANTE
                                                                                                                                                       Opéra en cinq actes de Charles Gounod. Livret d’Eugène Scribe
                                                                                                                                                             et Germain Delavigne. Créé à l’Opéra le 18 octobre 1854.
                                                                                                                                                                            Direction musicale - Laurence Equilbey
                                                                                                                                                                                       Mise en scène - David Bobée
                                                                                                                                                                  Dramaturgie - David Bobée et Laurence Equilbey
                                                                                                                                                                         Collaboration artistique - Corinne Meyniel
                                                                                                                                                                       Décors - David Bobée et Aurélie Lemaignen
                                                                                                                                                                                        Costumes - Alain Blanchot
                                                                                                                                                                                  Lumières - Stéphane Babi Aubert
                                                                                                                                                                                               Vidéo - José Gherrak
                                                                                                                                                          Recherches dramaturgiques - Anaëlle Leibovits Quenehen
                                                                                                                                                                                                et Catherine Dewitt
                                                                                                                                                         Assistant musical et chef de chœur - Christophe Grapperon
                                                                                                                                                                                  Assistante costumes - Camille Lamy
                                                                                                                                                                                    Chef de chant - Nicolaï Maslenko
                                                                                 Nouvelle production Opéra Comique                                                                           Rodolphe - Michael Spyres
                                                                                 Coproduction Insula orchestra, Bru Zane                                                                       Agnès - Vannina Santoni
                                                                                                                                                                                            La Nonne - Marion Lebègue
                                                                                 Partition éditée et mise à disposition par le Palazzetto Bru Zane -                            Le Comte de Luddorf - André Heyboer
                                                                                 Centre de musique romantique française                                                                              Arthur - Jodie Devos
     AVEC L'AIMABLE                                         PARTENARIATS MÉDIA                                                                                                             Pierre l’Ermite - Jean Teitgen
    PARTICIPATION DE                                                             Dans le cadre du 6e festival Palazzetto Bru Zane Paris                                     Le Baron de Moldaw - Luc Bertin-Hugault
                                                                                                                                                                        Fritz / Le Veilleur de nuit - Enguerrand de Hys
                                                                                 Durée estimée : 3h avec entracte                                                                                     Anna - Olivia Doray
                                                                                 *Membre d’accentus                                                                                Arnold - Pierre-Antoine Chaumien*
                                                                                                                                                                                                Norberg - Julien Neyer*
                                                                                                                                                                                             Théobald - Vincent Eveno*
                                                                                    Introduction au spectacle, 45 min. avant la représentation,
                                                                                    salle Bizet | Chantez La Nonne Sanglante, 45 min                    Danseurs - Stanislas Briche, Arnaud Chéron, Simon Frenay,
                                                                                    avant la représentation, au foyer | Rencontre avec                   Florent Mahoukou, Papythio Matoudidi, Marius Moguiba
                                                                                    les artistes de la production mardi 5 juin à 19h
                                                                                                                                                                                                     Chœur accentus
                  Spectacle capté par France Télévisions.                                                                                                                                  Orchestre Insula orchestra

2                                                                                                                                                                                                                           3
LA NONNE SANGLANTE - Opéra Comique
À LIRE AVANT LE SPECTACLE                                                                                                                                                                                   N’y a-t-il point quelque danger
                                                                                                                                                                                                                         à contrefaire le mort ?
                                                                                                                                                                                                                                        Molière
    Par Agnès Terrier

    Des      douze      opéras      signés   Ni l’un ni l’autre : la Nonne sanglante   réserve, sinon avec la crainte              Le Moine avait été retraduit               le dos au drame du même titre           la morale et de l’Église. La Nonne
    Charles Gounod, seuls deux               était une figure littéraire connue,       de déplaire à Berlioz, de quinze ans        en 1840 par Léon de Wailly, le             qu’Anicet-Bourgeois avait donné au      n’est plus une criminelle lubrique
    sont encore régulièrement joués          susceptible d’inspirer un ouvrage         son aîné, qui y avait renoncé cinq          librettiste de Benvenuto Cellini.          Théâtre de la Porte-Saint-Martin        assassinée par son amant, mais une
    –    Roméo et Juliette et Faust.         de couleur gothique comme on              ans plus tôt : « Je m’étonne, lui écrivit   Car des deux côtés de la Manche,           en 1835, principalement parce qu’à      innocente amoureuse qui, croyant
    C’est la raison pour laquelle,           les aimait à Paris. Il s’agissait         gentiment ce dernier, que vous ayez         la Nonne de Thuringe était                 Venise Donizetti en avait aussitôt      son fiancé mort, est entrée dans
    en cette année du bicentenaire           surtout, pour le jeune compositeur        pu éprouver un instant d’embarras :         devenue une figure populaire               fait un opéra, Maria di Rudenz. Mais    les ordres. Un personnage d’ermite
    de Gounod, l’Opéra Comique, fidèle       de 36 ans, d’une prestigieuse             je n’éprouve ni regrets ni la moindre       inspirant spectacles effrayants,           le souvenir du succès de 1835 ne        fait son apparition, à la grande joie
    à son esprit découvreur, a préféré       commande de l’Opéra alors situé rue       arrière amertume. Nous sommes               éditions    illustrées,  jeux   de         pouvait qu’attirer le public de 1854,   de Gounod qui aimait composer de
    avec le Palazzetto Bru Zane              Le Peletier (à deux pas de l’Opéra        des artistes, que Diable ! »                lanterne magique, mais aussi               même pour une histoire différente.      la musique religieuse – à défaut
    ressusciter La Nonne sanglante : créée   Comique, dans une salle un peu plus                                                   des érudits comme Charles Nodier,          Les apparitions vengeresses de          d’être entré dans les ordres. Gounod
    en 1854, l’œuvre fut vite enterrée par   grande), sur un texte du librettiste      Ébauché pour Berlioz en 1841,               Victor Hugo, E.T.A. Hoffmann...            la Nonne et le serment liant le         lui-même remania le livret pour plus
    le directeur de l’Opéra de l’époque,     le plus en vue d’Europe, Eugène           le livret fut donc achevé pour Gounod.                                                 héros Rodolphe à cette créature         de fluidité, et pour donner à
    puis par le compositeur lui-même         Scribe. Gounod raconta : « Nestor         Il adaptait dans la structure               Avec sa légendaire habileté,               fantastique s’inscrivaient dans une     sa musique un rôle dramaturgique.
    – un comble pour une histoire de         Roqueplan, directeur de l’Opéra,          d’un « grand opéra » – avec ballet          Scribe adapta l’épisode à l’opéra          mode lyrique bien établie, de Robert
    revenant.                                s’était pris d’affection pour Sapho       intégré – une légende médiévale             romantique. Il le plaça dans un            le Diable de Meyerbeer au Don Juan      À l’Opéra, les études puis
                                             [mon premier opéra] et d’amitié           publiée en 1786 par le conteur              contexte de conflit politique, le rendit   de Mozart traduit par Castil-Blaze,     les répétitions durèrent douze
    Faut-il de ce titre, La Nonne            pour moi : il disait qu’il me trouvait    allemand J. K. A. Musaeus. Ou               au Moyen Âge dont la légende est           du Zampa de Hérold au Freischütz        mois. Le jeune Bizet avait réalisé
    sanglante, déduire que Gounod, dont      une tendance à faire grand. C’était       plutôt une version retraitée par            issue et à la Bohême du Freischütz,        de Weber traduit par Berlioz.           pour cette phase préparatoire
    on connaît la ferveur catholique, se     lui qui avait désiré que j’écrivisse      le romancier anglais Matthew                pays des contes inquiétants. Ainsi                                                 la réduction pour piano et chant
    serait précipité sur une histoire de     pour l’Opéra un ouvrage en cinq           Gregory Lewis comme anecdote                étaient assurés, sur la scène de           Scribe moralisa le sujet : autant       de La Nonne sanglante : il allait
    stigmates ? Ou, au contraire, aurait     actes. »                                  centrale de son fameux roman                l’Opéra, de beaux tableaux collectifs      le roman anglais était sulfureux et     s'en   souvenir   en    composant
    plongé dans la dévotion pour expier                                                The Monk. Traduit en français dès           avec force figurants, ainsi que tout       anti-religieux, autant le théâtre se    son premier opéra, Les Pêcheurs
    le choix d’un sujet satanique ?          Gounod accepta le projet sans             1797, aussitôt adapté au théâtre,           le décorum gothique. Scribe tourna         devait d’être correct à l’égard de      de perles… Créé le 18 octobre 1854,

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LA NONNE SANGLANTE - Opéra Comique
ARGUMENT

    La Nonne sanglante bénéficia               directeur ayant déclaré qu’il ne           un pilier de son répertoire. Or pour      ACTE I                                    voilée qui paraît, il jure une fidélité      ACTE IV
    d’une production coûteuse : décors         laisserait pas jouer plus longtemps        programmer, l’Opéra Comique a             Au XIe siècle en Bohême, un conflit       éternelle avant de l’emmener dans            En pleine fête nuptiale, sur le point
    réalisés par six peintres, commande        pareille ordure, la pièce disparut de      à cœur de faire coïncider, surtout        héréditaire oppose les Moldaw             le château abandonné de ses                  d’épouser Agnès, Rodolphe voit
    de 387 costumes, magnifique                l’affiche et n’y a plus reparu depuis. »   depuis sa réouverture en 2017 sous        et les Luddorf. Dans la perspective       ancêtres. Or à leur arrivée, les ruines      paraître la Nonne sanglante qui lui
    distribution. Les scènes fantastiques                                                 la direction d'Olivier Mantei, ses        de la croisade, l’ermite Pierre           se raniment, un riche banquet apparaît,      désigne le meurtrier : son propre père,
    étaient montées avec efficacité            Gounod s’attacha à éditer                  convictions avec le désir des artistes,   obtient des deux seigneurs qu’ils         les fantômes des aïeux surgissent :          Luddorf. Épouvanté, Rodolphe quitte
    grâce aux ressources de l’éclairage        sa partition, dédiée à Halévy, puis        qu’il écoute et accompagne.               s’allient en mariant leurs enfants :      la femme voilée n’est autre que              la cérémonie, ce qui ranime l’animosité
    au gaz et à l’implication de Palmyre       tourna la page. L’année suivante,                                                    Théobald de Luddorf épousera              la Nonne sanglante qui entend                entre les deux clans.
    Wertheimber, qui ne craignit pas de        sa rencontre avec un tandem                C’est ainsi qu’avec Laurence Equilbey     Agnès de Moldaw. Tous s’apprêtent         à présent épouser Rodolphe.
    s’enlaidir dans le rôle de la Nonne,       d’auteurs de sa génération, Barbier        et David Bobée, nous avons                à célébrer le projet dans le château                                                   ACTE V
    tandis que le ténor Louis Gueymard         et Carré, porta son inspiration            identifié La Nonne sanglante comme        de Moldaw. Or Agnès et Rodolphe,          ACTE III                                     Près de l'ermit age de Pierre,
    excellait dans l’écrasant rôle             encore toute frémissante vers              musicalement remarquable et               le cadet des Luddorf, s’aiment.           Rodolphe s’est réfugié chez des              le comte de Luddorf est prêt à payer
    principal..                                un nouveau projet fantastique,             capable de parler à nos sensibilités :    Rodolphe tenant tête à son père,          paysans mais reste hanté, chaque nuit,       de ses crimes pour sauver son fils.
                                               Faust, pour le Théâtre Lyrique,            dans l’accueillante salle Favart,         il est banni. Les amants prévoient        par la Nonne sanglante qui réclame           Il surprend un projet de guet-apens
    Les recettes étaient bonnes,               institution plus audacieuse que            puisse cette revenante ressusciter        de s’enfuir à la faveur de l’apparition   son dû. Arthur vient lui annoncer            des Moldaw à l’égard de Rodolphe,
    les critiques favorables et Gounod         l’Opéra et aussi plus intime,              de sa malédiction !                       rituelle d’un fantôme, celui d’une        la mort de son frère au combat.              puis entend la confession de Rodolphe
    disposé à retoucher son œuvre              où il allait connaître ses grands                                                    Nonne sanglante.                          Rodolphe pourrait épouser Agnès              à Agnès : maudit par la Nonne, incapable
    pour plaire davantage, satisfait           succès.                                                                                                                        mais son serment le lie au fantôme.          de tuer son père, il veut s’exiler à jamais.
    qu’il était de son orchestration.                                                                                               ACTE II                                   Or la malédiction de la Nonne ne sera        Le père se jette dans le piège tendu
    Mais, raconta-t-il ensuite, « elle n’eut   De la vaste production scénique                                                      Au cœur de la nuit, tandis que            levée qu’à la mort du meurtrier dont         à son fils et meurt. La Nonne, vengée,
    que onze représentations, après            de      Gounod,    seul    Cinq-Mars                                                 son page Arthur prépare sa fuite,         elle fut la victime. Il s’engage à le tuer   implore la clémence de Dieu et délivre
    lesquelles Roqueplan fut remplacé          (l’histoire d’un favori de Richelieu)                                                Rodolphe guette Agnès. À la femme         lorsqu’elle le lui désignera.                enfin Rodolphe de ses vœux.
    à la direction de l’Opéra par              fut créé à l’Opéra Comique, même
    Monsieur Crosnier. Le nouveau              si c’est Roméo et Juliette qui devint

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LA NONNE SANGLANTE - Opéra Comique
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LA NONNE SANGLANTE - Opéra Comique
INTENTIONS
     Les maîtres d’œuvre du spectacle se livrent à un entretien croisé

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     David Bobée                                                                                                                                      Direction musicale
     Mise en scène                                     Comment avez-vous abordé
                                                       cet opéra méconnu de Gounod ?
                                                                                                                      Laurence Equilbey
                                                                  David Bobée                       Menée à la fois par le chef et par
                                                                  Inspiré du Moine de Lewis,                         le metteur en scène,
                                                                  le livret de La Nonne                            la préparation dramaturgique
                                                         sanglante qu’Olivier Mantei                     d’un spectacle renforce l’osmose entre
                                                         m’a proposé parmi les opéras                            l’incarnation et le chant, donne
                                                         de Gounod résonnait avec mon goût                de la densité à l’interprétation et sert
                                                         pour le romantisme et le fantastique.      l’impact de l’œuvre. N’étant pas familière
                                                         Et à travers eux avec ma prédilection        de l’univers gothique, j’avais aussi besoin
                                                         pour un certain cinéma de genre                     de donner du sens à cette histoire
                                                         qui récupère les figures du gothique,     de spectres. J’ai sollicité la psychanalyste
                                                         un cinéma d’horreur qui a compté            lacanienne Anaëlle Leibovits-Quenehen,
                                                         dans l’éveil de ma vocation pour                  François Angelier qui anime Mauvais
                                                         le théâtre. J’ai donc immédiatement             Genres sur France Culture, et Martine
                                                         accepté le projet. Laurence                       Lavaud, historienne de la littérature.
                                                         et moi avons travaillé ensemble                 Grâce à leurs formidables recherches
                                                         à la dramaturgie, en rassemblant                       et analyses, j’ai pu appréhender
                                                         nos pistes de recherche respectives.          le parcours du personnage de la Nonne
                                                         J’ai réfléchi avec Corinne Meyniel              sanglante à travers l’histoire littéraire,
                                                         à une lecture politique et aux échos         et prendre connaissance de ses avatars
                                                         de l’œuvre avec le théâtre et le cinéma   cinématographiques. Tout cela m’a permis
                                                         que je produis, avec mes expériences      de comprendre que l’œuvre peut résonner
                                                         de Shakespeare et d’Hugo.                    aujourd’hui tout en restant ce qu’elle est.

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LA NONNE SANGLANTE - Opéra Comique
Laurence Equilbey
                                                       En accommodant
                                                  la légende à la forme
              David Bobée                         du livret, Scribe et Delavigne
              Monter une pièce inconnue       ont cependant veillé à composer
              offre une certaine liberté             un drame compatible avec
     mais impose qu’on transmette          la morale et les instances catholiques,
     l’histoire sans se permettre trop        bien loin de l’esprit anti-religieux
     de décalage. Le livret                   de Lewis. Ils ont aussi circonscrit
     de La Nonne sanglante recèle                    passions et émotions pour
     peu de mystères. L’architecture          privilégier une sobriété glaçante,
     et les motifs, ultra-référencés,         celle des sueurs froides. Le livret
     sont ceux du romantisme noir.           dispose un univers mental où tout
     Née sous l’influence du fantastique         est distancié, où les instances
     anglais, cette tendance se diffuse    se devinent derrière les personnages.
     au milieu du XIXe siècle via
     les genres mineurs, théâtraux
     et littéraires, en investissant
     les scènes de boulevard               Que raconte donc
     et les feuilletons de la presse.      La Nonne sanglante ?
     Ce qui peut expliquer l’échec
     de La Nonne sanglante en 1854
     à l’Opéra, c’est probablement          David Bobée
     que cet opéra apparaissait trop        L’histoire, féconde au théâtre,
     tard, ou au mauvais endroit. Alors     est celle du conflit des générations.
     dévalués depuis quelques décennies     Maîtres d’un ordre obsolète dans un
     par leurs déclinaisons populaires,     monde pourrissant, les pères sont
     les éléments gothiques de La Nonne     défaillants. Et le monstre, le spectre
     – lieux, personnages, situations –     de la Nonne, apparaît à un moment
     ont paru déplacés dans l’art majeur    de crise aiguë. Pour faire surgir
     et académique qu’était l’opéra.        la vérité, les jeunes s’opposent.
                                                                                      Vannina Santoni
                                                                                     et Michael Spyres

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LA NONNE SANGLANTE - Opéra Comique
David Bobée                                                  Laurence Equilbey
                                           Pour faire advenir un monde                   Le moteur du livret, c’est aussi,
                                           nouveau, le leur, ils doivent faire       dans une lecture psychanalytique,
                                           disparaître l’ancien. Rodolphe est              la peur de Rodolphe à l’égard
                                           dans cet entre-deux et effectue,            de la vie, son complexe à l’égard
                                           du premier au dernier acte, un                 de son aîné, son affrontement
                                           grand trajet : depuis le jeune             avec son père – et avec l’ermite –,
                                           idéaliste romantique et rebelle qu’il        l’impossibilité de tuer son père,
                                           était jusqu’à l’homme qui, éprouvé           et le poids que fait peser sur lui
                                           et mûri, pourra non seulement se                 le non-dit familial du meurtre
                                           marier mais aussi accéder au trône                 commis avant sa naissance.
                                           paternel, en ayant refusé
                                           la vengeance pour laisser advenir
                                           la justice. La trame de La Nonne
                                           résonne avec celle de Roméo
                                           et Juliette : deux clans s’affrontent,
                                           deux pères font peser les enjeux
                                           de la querelle sur leurs enfants, quand
                                           l’homme d’église, figure de l’autorité
                                           religieuse, leur fait payer le prix
                                           de la réconciliation. L'absence
                                           de dessein divin est patente.
                                           Dans Roméo et Juliette, la mort
                                           des enfants fait naître la paix quand
                                           dans La Nonne, le père meurt
                                           et la nonne disparaît, ce qui permet
                                           aux enfants de s’aimer et de vivre.
                                           Leur bonheur marchera sur
                                           des cadavres, mais dans la clarté
                                           de la vérité et de la justice. Dans
     Vannina Santoni, Papythio Matoudidi   les deux cas la paix naît des cendres.      Vannina Santoni, Laurence Equilbey et Michael Spyres
     et Luc Bertin-Hugault

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LA NONNE SANGLANTE - Opéra Comique
David Bobée                     Quel espace-temps
                 Le titre de l’opéra place       privilégiez-vous pour représenter
                 au centre du drame une          cette légende musicale ?
     présence fantomatique puissante.
     Le fantastique n’est pas intéressant
     s’il fait juste peur. Il le devient dès      David Bobée
     lors qu’il dévoile à la société le miroir    Le roman de Lewis situe l’action
     de sa psyché, en une image déformée          au XVIIe siècle, le livret au Moyen Âge,
     mais révélatrice. Rodolphe est un            la musique au XIXe siècle. Nous avons
     archétype dont les caractéristiques          décidé de jouer avec les époques
     nous mènent irrésistiblement du côté         dans une achronie qui permet
     de la psychanalyse. En butte aux             d’ouvrir le point de vue : il ne faut
     figures d’autorité que sont l’ermite         ni actualisation ni transposition du récit,
     et son père, il projette ce qu’il ressent    mais un espace-temps spécifique
     pour sa future épouse, un mélange            où toutes les époques sont convoquées.
     de désir refoulé et de crainte,              Le fantastique nous autorise
     sur la figure dévorante de la Nonne.         ce mélange, davantage encore notre
     Elle donne son titre à l’œuvre,              culture cinématographique pour
     mais c’est le point de vue de Rodolphe       peu qu’on soit amateur d’heroic
     qu’on adopte. Ce jeune homme                 fantasy. L’espace scénique
     a peur du féminin. Le saignement             que j’ai conçu avec Aurélie Lemaignen
     de la Nonne fait référence à la fois         est monochrome, noir :
     au sang menstruel, à celui                   c’est un espace mental où jouer
     de la défloraison, à celui du meurtre        et projeter les fantasmes et les hantises.
     et de ses stigmates. Michael Spyres,         Le décor est tout de carrelage,
     qui est dans la force de l’âge,              bois brûlé et pluie de cendre,
     va apporter à Rodolphe une épaisseur         pour donner de la matérialité
     et une profondeur, celles d’un homme         à une nuit qui recèle et libère les désirs
     qui se confronte à ses démons.               et les fantasmes les plus débridés.
                                                                                                  Marion Lebègue
                                                                                                et André Heyboer

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David Bobée                               lequel a été puissamment inspiré
                                     La vidéo de José Gherrak,                 par le romantisme gothique.
                                     figurative ou abstraite,                  Outre cette filiation que je me
                                     fait apparaître des ruines,               plais à souligner, je trouve aussi
                                     une église, une forêt, une salle          cohérent d’épouser la logique
                                     de bal, un labyrinthe, un paysage         de Scribe et Gounod, consistant
                                     accidenté, mais aussi des visions         à utiliser les codes et l’efficacité
                                     intérieures. Elle épouse la mobilité      de genres mineurs et populaires
                                     des émotions, le passage                  pour vivifier l’opéra.
                                     d’un monde à un autre, en accord
                                     avec la construction dramatique
                                     de l’œuvre, qui présente des ellipses
                                     et des transitions parfois
                                                                             Avec quels moyens musicaux
                                     abruptes. Dans cet univers vivent       Gounod aborde-t-il
                                     et s’affrontent des groupes :           ce sujet fantastique ?
                                     les militaires, les habitants
                                     (les « bourgeois »), les bohémiens,
                                     les convives... Les fantômes méritent              Laurence Equilbey
                                     un traitement vestimentaire                  Dès ce deuxième opéra,
                                     particulier, les autres appartiennent          Gounod démontre une
                                     au même monde et se caractérisent           parfaite maîtrise de l’adéquation
                                     par leurs accessoires. Seule                 des moyens musicaux au service
                                     la Nonne est habillée en blanc,         du drame. On est tout de suite plongé
                                     et nous avons exploré avec Alain        au cœur de l’action, dans le moment
                                     Blanchot et le Central Costumes         scénique. Et cependant il ne sacrifie
                                     de l’Opéra Comique les procédés           jamais le développement poétique
                                     qui permettent d’ensanglanter               de l’idée musicale. Ce qui frappe,
                                     son costume à vue. Le traitement        c’est la veine mélodique de Gounod,
                                     esthétique de l’ensemble,                  intarissable et inspirée. Rodolphe,
                                     les lumières de Stéphane Babi           qui bénéficie des airs les plus beaux,
     Marius Moguiba, Simon Frenay,   Aubert et la vidéo tirent leur             est un rôle splendide dont tous les
     Jean Teitgen et Arnaud Chéron   inspiration du cinéma d’horreur,         ténors devraient tomber amoureux.

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Enguerrand de Hys, André Heyboer
                                                                                                                        et Florent Mahoukou
                                                Laurence Equilbey                         la versatilité harmonique,
                                       Gounod sait faire un usage                    qui s’exprime généreusement
                            dramatique de son inspiration, allant                    par l’enchaînement d’accords
                                                     jusqu’à utiliser                 diminués et des modulations
                                   des leitmotive, pour la Nonne              inattendues. Le chromatisme joue
                                   ou pour solenniser le serment          à plein dans les scènes fantastiques.
                             de Rodolphe. Autre caractéristique         L’ascendant de Weber est indéniable :
                                de son style, héritage de Lesueur              depuis l’adaptation du Freischütz
                               dont il fut l’un des derniers élèves,         par Castil-Blaze en Robin des Bois,
                                                                                     découverte à l’âge de six ans
                                                                         à l’Odéon, jusqu’à l’étude passionnée
                                                                                   qu’il fit plus tard des partitions
                                                                           de Weber, au point de les connaître
                                                                        par cœur, Gounod ne cachait pas son
                                                                                        admiration pour la beauté
                                                                         et l’efficacité de l’orchestre de ce maître,
                                                                                   en particulier pour l’effroyable
                                                                               Gorge-aux-Loups, un modèle pour
                                                                                    tous les romantiques français.
                                                                            L’orchestration, très ductile, repose
                                                                               sur des effectifs pré-romantiques
                                                                                       de type Mendelssohn, avec
                                                                          des vents très sollicités. Nous jouons
                                                                            sur des instruments d’époque, dont
                                                                          quatre cors naturels avec leur vaste
                                                                               jeu de tons, au service de parties
                                                                               virtuoses et denses. La clarinette
                                                                                   basse est associée à la Nonne.
                                                                        Les percussions sont bien employées :
                                                                               timbales, grosse caisse, cymbales
     Jodie Devos et Christophe Grapperon                                          ainsi que tambourin et cloches.

20                                                                                                                                                         21
Laurence Equilbey        Avez-vous procédé
                           L’exploration d’alliages de timbres        à des coupures ou à des modifications
                          instrumentaux – clarinette/basson,
                         flûte/clarinette, etc. – et la pratique
                                                                      dans l’œuvre ?
                       des doublures évoquent aussi l’art de
                        Weber. Le plus passionnant dans cet                      Laurence Equilbey
                          opéra est qu’il tend vers une forme                    Si l’œuvre avait survécu
                         durchkomponiert en enchaînant les                       à ses onze uniques représentations,
                      épisodes. L’opéra français de l’époque           Gounod aurait certainement travaillé
                      déroule les numéros musicaux comme               à la rendre plus efficace, à l’épreuve
                           on enfile des perles, au détriment          de la scène. Nous avons procédé avec
                          d’une construction générale prisée           parcimonie et dans le but de la servir
                         des Allemands. Or on sent Gounod              au mieux. Cela nous a amenés
                                    inspiré par la grande forme        à pratiquer quelques coupes mineures :
                         et désireux de se défaire du carcan           celle d’un chœur à boire dans l’acte
                          des numéros – même si la partition           I, un poncif qui pouvait inspirer
                        de la Nonne en comporte encore, et             des pages faibles aux meilleurs
                      en affiche pour des raisons pratiques.           compositeurs ; ou encore celle d’un
                      Cette tendance de fond nous a guidés             couplet du page Arthur dans un air
                       dans l’élagage de quelques répliques            où la musique se répétait sans que
                                 qui fermaient trop les scènes.        le texte apporte quelque information
                               Dans cette façon plus continue          que ce soit. Le ballet, passage obligé
                                 de concevoir l’opéra, Gounod          dans tout opéra français du XIXe siècle,
                           construit de grands ensembles où            dure vingt minutes si on
                         se confrontent les points de vue de           le joue intégralement et affecte alors
                         plusieurs protagonistes et groupes :          la tension dramatique. Déplacé et
                       ces scènes admirables sont délicates            réduit à deux danses sur quatre,
                      à équilibrer d’un point de vue musical,          les plus intéressantes, il présente un
                              entre fosse et scène, mais aussi         intérêt scénique. En de rares cas, nous
                            difficiles à sur-titrer, puisqu’il faut    avons changé un mot pour redonner
                       arbitrer sur la pertinence des paroles          de la pertinence au dialogue ou
     Marius Moguiba               à privilégier dans l’affichage.      de la force aux situations.

22                                                                                                                     23
Pour renforcer l’impact                       à travers les épreuves, développer              alternative à l’ouverture : inemployée
                                                   sa liberté intérieure face aux                 au début du spectacle, nous l’utilisons
     de l’œuvre, vous avez aussi                   règles et aux lois du clan, mûrir                  à l’acte V afin de densifier la scène
     reconsidéré l’ouverture                       jusqu’à s’émanciper de Rodolphe                        du guet-apens, donner du temps
     et le dénouement                              même. Le spectre apparaît d’abord                        scénique au combat et laisser
     du spectacle.                                 comme un monstre mais s’humanise                     à Rodolphe l’opportunité de faire
                                                   à mesure qu’il révèle la monstruosité          face aux événements. Les scènes sont
                                                   des vivants, en particulier celle                   ainsi moins juxtaposées. Quant au
                                                   de son assassin. Ce dernier, de viril          dénouement de l’œuvre, il renvoie dos
               David Bobée                         et fort, homme de guerre aux valeurs             à dos Luddorf et la Nonne et braque
               Le drame de Rodolphe                traditionnelles et autoritaires, s’affaiblit       l’attention sur eux afin de conclure                  Enguerrand de Hys
               a été précédé par                   jusqu’à rejoindre la Nonne dans                       sur le repentir, notion chrétienne,
      une autre histoire d’amour                   la mort et recomposer ainsi le couple                      ce qui secondarise Rodolphe
      et par un crime originel qui attend          amoureux initial. Par son sacrifice               et Agnès. C’est par la mise en scène
      réparation. Nous avons donc choisi           il devient un père aimant et protecteur.            et à travers l’équilibre musical que
      de montrer pendant l’ouverture                                                               nous rééquilibrons ce finale en faveur
      de l’opéra comment la relation entre                                                                        du bonheur de Rodolphe
      celle qui avait pris le voile et le père              Laurence Equilbey                            et Agnès, enjeu de tout le drame.
      de Rodolphe s’est soldée par                  Ce qui nous conduits à la
      un meurtre sanglant. Luddorf                 fin de l’œuvre. Le sacrifice
      a sans doute sacrifié l’amour              du père, qui termine l’acte V, intervient         David Bobée
      (la femme devenue nonne)                   de façon abrupte dans le déroulement              Recentrer le dénouement
      à la politique (la mère de Rodolphe),               dramatique, comme une leçon              de l’opéra sur leur union,
      ce que son fils va refuser de faire.            de morale mal préparée : Luddorf             c’est aussi l’infléchir vers une
      La femme trahie, puis assassinée,                       se sacrifie pour le bonheur          lecture plus politique que celle
      était une Agnès. Rodolphe veut                      de son fils sans que rien n’y ait        de Scribe et Gounod. Inspirés
      en épouser une autre. Il résoudra           préparé le public. Nous avons profité            par Lewis, nous proposons aussi
      ainsi le conflit entre les deux clans.     du fait que la partition comportait une           une lecture plus contemporaine
      La jeune amoureuse va se construire                brève introduction orchestrale,           de La Nonne sanglante.
                                                                                                                                               Stanislas Briche et Olivia Doray

24                                                                                                                                                                                25
Seuls immortels, les désirs
     vont leur chemin, malgré
     d’extraordinaires obstacles,
     malgré les rideaux du sang et
     les miroirs vides, la nature exclue,
     l’existence approximative, la vue
     inutile, les ancêtres vomis par l’Enfer,
     malgré la peur, l’héroïsme, la férocité,
     malgré le marbre des tombeaux
     et les squelettes, les désirs sans
     cesse au fil de la mort, cherchent
     à briser avec l’imaginaire.

     Paul Éluard
     (préface du
     Château d’Otrante)

26                                              27
CHARLES GOUNOD
                                                                                                (1818-1893)

                                                                                                 Par Gérard Condé

                                 Né à Paris le 17 juin 1818, Charles        la dignité de l’art ») lui apprirent davantage
                                 Gounod était le fils du peintre François   que ses études de composition ;
                                 Gounod et le petit-fils du dernier         et par la découverte, à l’écoute des
                                 « fourbisseur » du Roi (armurier).         conférences de carême de Lacordaire
                                 Les artisans étant logés dans la galerie   et des chantres de la chapelle Sixtine,
                                 du Louvre au même titre que les            des vertus de l’éloquence, autre clef
                                 artistes attachés à la couronne, leurs     de son esthétique.
                                 enfants jouaient ensemble et c’est ainsi
                                 que la famille Gounod s’est intégrée       À son retour à Paris en 1843, il fut
                                 au milieu artistique le plus en vue.       nommé Maître de chapelle à l’Église des
                                                                            Missions étrangères. Ses tentatives pour
                                 Otello de Rossini au Théâtre-              forcer les portes des théâtres restèrent
                                 Italien avec la Malibran en 1831 puis      si vaines qu’il songea à se consacrer
                                 Don Giovanni en 1833 susciteront           à la musique d’église, voire à entrer dans
                                 sa vocation de compositeur. Élève de       les ordres. Pauline Viardot lui donna
                                 Reicha en privé puis, au Conservatoire,    sa chance en mettant comme condition
                                 de Lesueur et d’Halévy, Gounod             à son réengagement à l’Opéra
                                 remporta le premier Grand Prix de Rome     la création d’un ouvrage de Gounod
                                 en 1839 avec la cantate Fernand. Les       dont elle serait l’héroïne… Las, les succès
     Charles Gounod en 1860,     deux années passées à la Villa Medicis     médiocres de Sapho (1851), malgré sa fin
     six ans après la création   furent marquées par son intimité avec      sublime, puis de La Nonne sanglante
     de La Nonne sanglante.      Ingres, dont les propos (« le dessin est   (1854) à l’Opéra firent douter de ses

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dons pour la musique dramatique,                le jour où je tenterais d’aborder ce sujet   Les trois derniers opéras de Gounod          Gounod a publié près de cent                C’est, dirait-on, une messe sinon          Le domaine
     jusqu’à ce que la création du Médecin           comme opéra ».                               ne connurent pas la consécration             cinquante mélodies, dont près d’un          d’apparat du moins de concert, où les      de prédilection
     malgré lui (1858), sur la scène plus intime                                                  immédiate de Roméo : de Cinq-Mars            tiers en anglais et une quinzaine en        quelques allusions au plain chant dans
     du Théâtre-Lyrique, révèle ce qu’il             Gounod fut moins heureux avec                (1877) la postérité n’a retenu qu’un         italien écrites lors de ses années          le Kyrie et le Benedictus ne semblent
                                                                                                                                                                                                                                      de Gounod était
     pouvait apporter dans un genre moins            La Reine de Saba (1862), malgré              air (« Nuit resplendissante ») jusqu’à       londoniennes, de l’automne 1870             là que pour rehausser les effusions        l’intimité, et ses mélodies
     monumental que le « Grand Opéra ».              la qualité des airs, mais se dédommagea      la redécouverte de l’ouvrage ; Polyeucte     au printemps 1874. Toutes sont              d’un lyrisme chaleureux et ensoleillé.     ont autant de mérite
                                                     avec Mireille d’après le chef-d’œuvre        (1878) attend son heure qui replacera        intéressantes car non seulement                                                        à assurer sa gloire que
     Ses librettistes étaient Jules Barbier          de Mistral. Au printemps 1863, le poète      « Source délicieuse » dans son contexte ;    il a souvent choisi de bons poètes —        Trois messes de requiem (1842, 1873,
     et Michel Carré, poètes et hommes               le pressa de séjourner près des lieux        enfin, Le Tribut de Zamora (1881) ne subit   Hugo, Musset, Gautier, Lamartine,           1891) jalonnent sa carrière marquée
                                                                                                                                                                                                                                      sa musique dramatique.
     de théâtre à la plume alerte. Grâce             mêmes — les Baux, la Crau — pour saisir      pas, de loin, l’échec qui le fit plonger     jusqu’à Racine, La Fontaine, Baïf           par la faveur constante dont jouirent
     à eux, Gounod sut donner à ses œuvres,          le contexte des amours contrariées de        dans un injuste oubli.                       ou Ronsard — mais encore il leur a rendu    ses deux symphonies (à l’inverse
     et spécialement à l’effusion amoureuse,         la fille du riche Ramon et de Vincent,                                                    justice grâce à une légèreté de touche      de ses cinq quatuors), une centaine
     une note de fraîcheur inattendue et une         l’humble vannier. Pour composer              Cette carrière théâtrale chaotique           qui exalte les vers sans s’appesantir       de motets, des chœurs et trois
     incomparable justesse d’accent. Faust           Roméo et Juliette, au printemps 1865,        tient au fait que le domaine de              et conserve la souplesse de la langue.      oratorios : Tobie, Rédemption et Mors
     (1859) n’est pas le fruit des circonstances :   Gounod se fixa à Saint-Raphaël :             prédilection de Gounod était l’intimité,                                                 et Vita créé à Birmingham le 30 août
     Gounod l’a porté en lui pendant vingt           « Je travaille soit chez moi, soit dehors,   et ses mélodies ont autant de mérite         La musique sacrée occupe une                1885 et dont il expliqua le titre :
     ans. Il avait découvert la pièce en 1839.       sur le bord de la mer qui est pour           à assurer sa gloire que sa musique           place majeure dans sa production,           « La mort n'est que la fin d'une
     « Cet ouvrage ne me quittait pas, notera-       moi un vrai collaborateur. J’entends         dramatique. Ravel affirmait qu’il fut        au début et à la fin de sa carrière.        existence qui meurt un peu chaque
     t-il dans ses Mémoires, je l’emportais          chanter mes personnages avec autant          « le véritable instaurateur de la            Seule connue ou peu s’en faut parmi         jour. Mais c'est le moment premier et,
     partout avec moi, et je consignais dans         de netteté que je vois les objets qui        mélodie en France [...] qui a retrouvé       une vingtaine de messes, celle qu’il        en fait, la naissance de ce qui ne meurt
     des notes éparses les différentes idées         m’environnent, et cette netteté me met       le secret d’une sensualité harmonique        destina à la fête de Sainte Cécile (1855)   jamais. » Gounod franchit le seuil
     que je supposais pouvoir me servir              dans une sorte de béatitude ».               perdue depuis les clavecinistes ».           n’est cependant pas représentative.         le 18 octobre 1893.

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À TRAVERS LA PRESSE                                                                                                              ADOLPHE ADAM
                                                                                                                                                                                                      Inventons une langue s’il le faut : voix
                                                                                                                                                                                                parlée, récitatif mesuré, froid, implacable,
                                                                                                                                                                                              tandis que l’orchestre se réservera la partie
                                                                                                                                                                                                    passionnée et violente du rôle. Faisons une belle
                                                                                                                                                                                              et complète horreur qui forcera bien les belles dames

     Théophile Gautier                                                        HECTOR BERLIOZ                                       Le théâtre est vide, noir et silencieux,
                                                                                                                                                                                                     des premières représentations à frémir en dépit
                                                                                                                                                                                                   d’elles-mêmes sous leurs corsets de satin… Au lieu
                                                                                                                                    et l'orchestre seul joue un rôle actif ;                 de cela, M. Gounod s’est contenté d’écrire une musique

                                                                              C’
     La partition de La Nonne sanglante est une des œuvres les plus                      était une rude tâche que celle              ce sont d'abord les frémissements                           très pure, très belle, très suffisamment dramatique,
                                                                                         de mettre en musique un pareil          du vent et le bruit mystérieux de la nuit ;                            imprégnée de la tradition des grandes écoles.
     belles, les plus grandioses de ce temps-ci. Le compositeur qui a écrit
                                                                                         livret, à cause de sa couleur trop       puis l'heure fatale, l'heure des spectres
     ces admirables pages où l’élévation du style, la beauté du coloris                                                             et des démons vient à sonner ; alors,                                             Léon Kreutzer, L'Union, 31 octobre 1854
     et la perfection du travail harmonique sont poussés si loin peut         constamment sombre et bien plus encore
                                                                                                                                     les hurlements des chiens errants,
     prendre rang parmi les plus grands maîtres. Voilà le vrai musicien,      à cause du peu de variété des malédictions.
                                                                                                                                 les sifflements des reptiles immondes, la
     voilà le compositeur chez lequel l’amour de son art étouffe toute        M. Gounod s’en est tiré presque toujours                                                                    Le duo entre la Nonne et Rodolphe
                                                                                                                                         note mélancolique et obstinée
     velléité pour le succès éphémère, pour les triomphes faciles.            en habile homme, en musicien savant                                                                         a, selon moi, le défaut d’être un duo.
                                                                                                                                        du crapaud, le bruit des tombes
                                                                              et ingénieux. Le morceau instrumental dans                                                                  Il m’est impossible en effet d’admettre
                                                                                                                                         qui s'entrouvrent, des suaires
     La Presse, 24 octobre 1854                                               lequel l’orchestre et des voix invisibles font            qui se déploient, des ossements        que cette nonne morte, ce revenant, ce spectre
                                                                              entendre les rumeurs infernales, les bruits               qui s'entrechoquent, produisent        chante comme une personne naturelle. Il n’y avait,
                                                                              étranges qui accompagnent le voyage                   un ensemble indéfinissable, qui fait       ce me semble, que très peu de paroles à lui faire
                                                                              fantastique de Rodolphe et de la Nonne,             frémir, qui fait trembler, qui donne une     dire, le moins possible, et une sorte de musique
                                                                              est de la plus grande beauté.                            sueur froide et dont la sensation       étrange et tout à fait extra-humaine restait à trouver
                                                                              C’est magistralement fait,                                est à la fois pénible, effrayante,     pour ce peu de mots. C’était une question capitale.
                                                                              c’est poétique et terrible.                          et remplie de charme par l'admiration
                                                                                                                                qu'elle excite. Après Weber et Meyerbeer,      Hector Berlioz, Journal des débats, 24 octobre 1854
                                                                              L’air de Rodolphe « Un ciel plus pur » m’a paru   on pouvait taxer d'une témérité insensée
                                                                              le chef-d’œuvre de la partition. Les contours         celui qui avait la prétention de faire
                                                                              de la mélodie en sont exquis, les désinences              un troisième pendant à la fonte
                                                                              heureuses, l’orchestration y est constamment         des balles du Freischütz et à la scène
                                                                              d’une fraîcheur et d’un coloris ravissants.            des tombeaux de Robert : il fallait
                                                                              C’est une page poétique, dont le calme                   faire mieux pour faire aussi bien,
                                                                              délicieux enchante d’autant plus l’auditeur            et, cette tâche presque impossible,
                                                                              que le contraste qu’elle produit avec le ton            le musicien français l'a accomplie
                                                                              général de l’œuvre est plus frappant.                          avec un bonheur inouï.

                                                                              Journal des débats, 24 octobre 1854                   L’Assemblée nationale, 23 octobre 1854

32                                                                                                                                                                                                                                                              33
LE ROMANTISME NOIR                                                                                                                                           La Nonne sanglante

     DANS TOUS SES ÉTATS                                                                                                                                d'Anicet-Bourgeois et Mallian
                                                                                                                                                        au Théâtre de la Porte-Saint-
                                                                                                                                                        Martin en avril 1835. Gravure
                                                                                                                                                                 de François Grenier.

     Par Martine Lavaud

     LE « ROMANTISME NOIR »                       au confluent du libertinage français,         LE MAL ET LA LAIDEUR                          un air lugubre, un œil nourri des visions
                                                  du romantisme anglais et de la culture                                                      de l’au-delà. En 1832, l’actualité avait de
     Quand on remonte aux sources                 allemande. Un phénomène, aussi,               L’opéra dispose alors d’un gisement           quoi inspirer ce genre morbide : durant
     du romantisme noir – par exemple grâce       marqué par l’impact de la Révolution          de clichés déjà un peu usés : depuis          l’épidémie de choléra qui toucha alors
     à l’étude de Mario Praz, La Chair, la mort   française dont la classe aristocratique       le XVIIIe, ce courant a produit son lot       la France, et dans la hâte des inhumations
     et le diable dans la littérature française   est sortie fragilisée, et ses châteaux        de spectres, de femmes bafouées,              prophylactiques, il arriva paraît-il
     du XIXe siècle (1930) –, on songe aux        ruinés. Le fil littéraire peut même être      de bourreaux, scenari vindicatifs             qu’on enterrât des gens vivants, fait
     œuvres littéraires, également appelées       tiré jusqu’à Hoffmann, aux romantiques        et libidinaux, manifestations du désordre     qui marqua l’imaginaire collectif… D’une
     « gothiques », de la culture britannique,    français des années 1830, jusqu’à Poe,        et de la tentation. Le mal s’infiltre         façon générale le romantisme introduit
     et notamment à deux d’entre elles,           Baudelaire, voire jusqu’aux symbolistes       dans les mondes anciens et normés             le ver de la laideur dans le fruit de l’art,
     qui sont devenues des repères-clefs          et décadents du XIXe siècle finissant         du clergé dévoyé et de l’aristocratie dont    ce qui représente un défi politique : s’il n’y
     de l’histoire littéraire académique :        (Huysmans, Bourges…), sans compter            le prestige et la morale se décomposent,      a plus d’exacte superposition entre l’art
     Le Château d’Otrante de Horace               les surréalistes : André Breton dans          au point que couvents et châteaux             et le beau, si l’immoral est esthétique,
     Walpole (1764) et Frankenstein de Mary       son Manifeste de 1924 célébrera               abritent des intrigues décadentes.            l’ordre social est mis en danger. Plus
     Shelley (1818). Cependant le romantisme      Le Moine (1796) de Lewis, transfiguré         Le romantisme, fortement enclin à la          généralement, la disjonction entre
     noir est bien davantage. Les délires         sept ans après par la traduction              mélancolie, s’empare de tant de noirceur,     valeur esthétique et exemplarité morale
     furieux de l’univers shakespearien sont      d’Antonin Artaud. Vivant sa vie propre,       cultivant l’esthétique de la transgression    est au cœur de la révolution artistique
     ainsi précurseurs d’une esthétique           et toujours vivace, le romantisme noir        et de l’ignoble qui constitue une vraie       du XIXe siècle, que marque le double
     du désordre et de l’errance psychiques       a connu deux siècles et demi de variations,   révolution artistique et s’inscrit dans       procès de Madame Bovary et des Fleurs
     auxquels le gothique anglais donnera         de réappropriations, de réinventions.         la mode : parmi la génération des « Jeunes    du mal en 1857. C’était trois ans après
     des châteaux pour décors. Plus               En 1854, La Nonne sanglante                   France », il était bon, suivant les poseurs   La Nonne sanglante de Gounod. Au fond,
     largement encore, le romantisme noir         de Gounod est chronologiquement               d’alors, d’habiller sa maigreur de noir,      le poète allemand Jean Paul a cerné une
     est un phénomène européen situé              au milieu du chemin.                          d’arborer une « tête de déterré »,            dimension fondamentale du romantisme

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Si, en 1854, le romantisme noir
                                                                                                                                                                                    est un peu fatigué, la vogue du spiritisme se confirme.
                                                                                                                                                   D’une façon générale le romantisme introduit
                                                                                                                                                   le ver de la laideur dans le fruit de l’art

     noir : le caractère universel, intemporel      terrifiant de la noirceur gothique            fut évoquée par Lewis, dans The Monk,            spiritisme se confirme. Comme Balzac,          l’apparition ouvre et clôt l’intrigue.          du théâtre britannique. C’est donc une
     de son esthétique, son obsession               et celui, extatique, d’un romantisme          avant d’être reprise dans les Infernalia         Dumas, Hugo, Nodier et Sand, Gautier           Tous les personnages sont touchés par           figure de la vengeance, et certainement
     de la transgression et sa pratique             « blanc » qui développe une mystique          de Charles Nodier ? Gautier, qui fut             assiste à des séances et matérialise           l’esprit divin : l’Agnès vivante est la vertu   pas du pardon, vertu chrétienne. Privant
     du décloisonnement qui font jaillir            de l’amour : c’est le cas de la Séraphîta     aussi critique dramatique, l’évoqua en           cet intérêt dans son ballet Gemma,             même, son homonyme spectral a des               Rodolphe de sa liberté, menant son
     les pulsions primaires dans l’ordre qu’elles   (1835) de Balzac, récit influencé par         1835 à l’occasion d’un compte-rendu :            en 1854 précisément. Et puis il y aussi les    circonstances atténuantes et une libido         ancien amant à sa perte, elle est quelque
     dérangent. En 2013, l’exposition « L'Ange      l’illuminisme de Swedenborg. Le récit         celui du drame La Nonne sanglante                apparitions miraculeuses et « officielles »    très correcte, le père repenti se sacrifie      peu castratrice et représente la revanche
     du bizarre » du Musée d’Orsay a permis         de Nodier, Lydie et la Résurrection (1839),   d’Anicet-Bourgeois et Mallian, création          de la Vierge, depuis la Salette en 1846        pour son fils. Au fond, le personnage           des femmes opprimées et trahies.
     d’explorer les prolongements plastiques,       fait converser, la nuit, son héroïne avec     riche en effets terrifiants, qui ne met          jusqu’à Lourdes en 1858. C’est dans            le plus noir est Rodolphe, et encore cette      Plus encore, sur le plan psychologique,
     cinématographiques et musicaux de              son défunt mari. Les exemples sont            cette fois en scène ni vampire, ni morte,        cet intervalle qui popularise le thème         noirceur est-elle toute relative…               elle a une fonction libératrice et
     ce champ infiniment riche au point             innombrables, et permettent de décliner       mais une femme qu’on croit morte.                de l’apparition céleste, spirite ou/et                                                         cathartique, et rappelle qu’en définitive,
     de franchir les barrières sociales. C’est      une palette nuancée de spectres plus          Il s’agit d’une version rationalisée, relevant   religieuse, que se situe Gounod.               Si le livret édulcore sa source gothique,       le spectre du romantisme noir, c’est
     ainsi que le romantisme noir s’est vu          ou moins sombres. Le genre macabre            presque d’un fait-divers de vengeance,                                                          c’est notamment parce que les pulsions,         le retour de la vérité qu’on refoulait
     récupéré par la culture populaire              et le harcèlement nocturne, déjà              où la peur naît de la représentation             D’UN ROMAN ANTI-CATHOLIQUE                     à leur aise dans l’espace de la nouvelle        dans l’espace du mensonge.
     et mainstream, passant de Walpole aux          illustré par La Fiancée de Corinthe           d’un incendie, d’un orage... Donizetti s’en      À UN OPÉRA (PRESQUE) CHRÉTIEN                  et dans le cabinet secret de l’imagination
     Cure, à Marilyn Manson et aux vampires         (1797) de Goethe, inspirent Théophile         inspire en 1838 pour son opéra Marie                                                            individuelle, sont, selon les codes d’une
     des « séries B », et que s’est opérée          Gautier, auteur de deux longs poèmes          de Rudenz, créé à Venise. Quid également         Avec ces apparitions, la religion investit     bienséance minimale, difficilement
     la migration dans la culture de masse d’un     fantastiques et d’outre-tombe, Albertus       de Scribe, qui fit le livret de La Nonne         l’univers spectaculaire du romantisme          représentables sur la scène. Cela dit,              MARTINE LAVAUD
     imaginaire originellement aristocratique.      (1833) et La Comédie de la mort (1838),       de Gounod ? Auteur du Vampire amoureux           noir. Lewis et Radcliffe s’inscrivaient dans   La Nonne sanglante de 1854 invente
                                                    ainsi que de La Morte amoureuse               (1820), de La Dame blanche (1825),               l’hostilité protestante au catholicisme,       pour Rodolphe un défi de taille : tuer              Spécialiste de littérature
     FEMMES REVENANTES                              (1836), conte dans lequel une femme           de Robert le Diable (1831), des Mystères         propre à la culture anglo-allemande. En        non le père de sa fiancée, comme                    romantique, en particulier
     ET APPARITIONS SPIRITES                        vampire vient visiter la nuit un jeune        d’Udolphe (1852) d’après Ann Radcliffe,          France, dès les années 1830, certains          dans Le Cid, mais son propre père,                  de Théophile Gautier, Martine
                                                    homme promis à la vie monacale. Mais          de La Fiancée du diable (1854), pour ne          romantiques comme Gautier associaient          schéma directement œdipien. D’où                    Lavaud enseigne à l’Université
     Le romantisme noir est donc un éternel         en 1862, il publiera aussi Spirite, que       citer que les titres les plus évocateurs         catholicisme et haine culpabilisante           une interrogation, qui donnerait du                 Paris-Sorbonne (Paris IV). Ce texte
     revenant de l’histoire culturelle, comme       l’esprit pur et bienfaisant de la morte       de ses nombreux livrets et pièces, il n’en       de la chair. Mais dans l’opéra                 grain à moudre à un psychanalyste, sur              est issu d’une étude, « Romantisme
     les spectres qui l’ont hanté depuis            situe davantage du côté du romantisme         est pas en 1854 à son premier spectre.           de 1854 la tendance semble renversée :         la promptitude de Rodolphe à rendre                 noir et Nonnes sanglantes »
     ses débuts. Même si le romantisme              « blanc ». Qu’en est-il d’ailleurs            Si d’ailleurs, cette année-là, le romantisme     Pierre L’Ermite représente la force            justice... Concernant la Nonne « de 1854 »,         réalisée à la demande de Laurence
     des années 1830 hésite entre le spectre        du spectre de la Nonne dont la légende        noir est un peu fatigué, la vogue du             du surmoi chrétien vertueux dont               elle s’inscrit dans la lignée des fantômes          Equilbey, et destinée à être publiée.

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