La porte des étoiles le journal des astronomes amateurs du nord de la France - Numéro 44 - printemps 2019 - GAAC

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La porte des étoiles le journal des astronomes amateurs du nord de la France - Numéro 44 - printemps 2019 - GAAC
la porte des étoiles
        le journal des astronomes amateurs du nord de la France

Numéro 44 - printemps 2019                           44
La porte des étoiles le journal des astronomes amateurs du nord de la France - Numéro 44 - printemps 2019 - GAAC
À la une
                                                      Dessin de Mars et ses canaux
                                                      Auteur : Robert Jonckheere
                                                      Date : 1909
                                                      Lieu : Hem (59)
                                                      Matériel : lunette 320/6000

Adresse postale
GAAC - Simon Lericque
12 lotissement des Flandres
                                                                                                               Édito
62128 WANCOURT                                        Mars est une planète fascinante… Déjà dans l’Antiquité,
                                                      ses changements d’éclat étaient incompris. Son mouvement
Internet
                                                      erratique par rapport aux étoiles – tantôt dans un sens,
Site : http://www.astrogaac.fr                        tantôt dans un autre – était aussi source d’interrogation.
Facebook : https://www.facebook.com/GAAC62            Il faudra attendre le sysème héliocentrique de Copernic
E-mail : contact@astrogaac.fr
                                                      pour comprendre l’origine de cette trajectoire étrange…
                                                      Ensuite, c’est avec l’observation instrumentale que sont
Les auteurs de ce numéro                              nés de multiples mythes : l’eau, les canaux, le visage,
Philippe Nonckelynck - membre du GAAC                 les martiens, et bien d’autres encore… La planète rouge
E-mail : philippe.nonckelynck@orange.fr               reste au centre des interrogations et des élucubrations,
                                                      notamment dans la littérature, au cinéma et dans la culture
Émeline Taubert - membre du GAAC                      populaire d’une manière générale. Encore aujourd’hui, et
E-mail : emeline.taubert@gmail.com                    même si nous connaissons bien notre proche voisine, le
                                                      moindre caillou surpris par un rover dont l’aspect pourrait
Simon Lericque - membre du GAAC
E-mail : simon.lericque@wanadoo.fr                    faire penser à un objet artificiel est source de délires !
Site : http://lericque.simon.free.fr                  Mars a toujours été un astre à part… Et mérite bien son
                                                      numéro spécial de la porte des étoiles.
Yann Picco - membre du GAAC
E-mail : yann.picco@cegetel.net

                                                                                 Sommaire
Michel Pruvost - membre du GAAC
E-mail : jemifredoli@wanadoo.fr
Site : http://cielaucrayon.pagesperso-orange.fr

L’équipe de conception                                5...............L’observation des canaux martiens de 1909 à 2018
Simon Lericque : rédac’ chef tyrannique                                                             par Simon Lericque
Arnaud Agache : relecture et diffusion
Catherine Ulicska : relecture et bonnes idées         15...........................................Deux romans pour un printemps
Fabienne Clauss : relecture et bonnes idées                                                                   par Michel Pruvost
Émeline Taubert : relecture et bonnes idées
Olivier Moreau : conseiller scientifique              25...........................Opportunity, un robot sur la planète rouge
                                                                                                  par Philippe Nonckelynck

                                                      35.....................................................................Mars au cinéma
    Édition numérique sous Licence Creative Commons                                            par Émeline Taubert et Yann Picco

                                                      45����������������������������������������������������������������������������� La galerie
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• • • • LA VIE DU GAAC

C’était cet hiver
                                                               Conférence de Nicolas Chamel à Mons
Animations astronomiques à la médiathèque
        de Givenchy-en-Gohelle                                       Animations astronomiques
                                                                       au collège de Lesquin

                                             Soirée sous la coupole de l’observatoire
          33ème Nuit Noire                          de Thury-sous-Clermont
           du Pas-de-Calais                        Conférence de Sophie Van Eck à Mons

                         Observation de l’éclipse totale
                          de Lune à Mons-en-Pévèle                                   Assemblée Générale
                                                                                     Astroqueyras 2019
            Conférence de François Forget à Mons
                                                                               Animations astronomiques
                   Conférence de Jean Lilensten à Mons                          au collège de Thumeries

                                                                         Conférence de Claude Semay à
     Animations astronomiques à la Maison                                      Villeneuve d’Ascq
         de l’Environnement Aquaterra

Ce sera au printemps
    La Palma, nous revoilà !                   Étoiles tourangelles                             Conférence
Quelques chanceux prendront             La transhumance annuelle                    Pour fêter nos 10 ans, nous aurons
l’avion début avril, direction          vers Tauxigny aura cette                    le plaisir d’accueillir et d’écouter
les Canaries et l’île de La             année lieu du 30 mai au 2                   Alessandro Morbidelli, éminent
Palma. L’un des meilleurs ciels         juin. Le GAAC sera à nouveau                spécialiste de la migration des
du monde et les plus grands             présent en nombre aux Nuits                 planètes du Système solaire.
observatoires les attendent...          Astronomiques de Touraine.                  Rendez-vous le 15 juin à Courrières !

                  Retrouvez l’agenda complet de l’association sur http://astrogaac.fr/index.php?id=9
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• • • • LA VIE DU GAAC

Les instantanés

           Le dessin astro, ce n’est plus ce que c’était
               Vitry-en-Artois (62) - 12/12/2018

                                                                              Un marionnetiste et son pantin ?
                                                                               Valdrôme (26) - 10/08/2018

                                                                     Il n’y a pas que Foucault qui a vu la Terre tourner
                                                                                   Mons (B) - 21/10/2018
              Un astronome bien particulier
                 Lille (59) - 23/01/2019

                                                                              Éclipse pluvieuse
                 Michel présente son oeuvre                            Monchy-le-Preux (62) - 20/07/2018
                 Valdrôme (26) - 13/08/2018

          Retrouvez la vie ‘‘officieuse’’ de l’association sur la page Facebook : https://www.facebook.com/GAAC62

la porte des étoiles n°44                                                                                                  
La porte des étoiles le journal des astronomes amateurs du nord de la France - Numéro 44 - printemps 2019 - GAAC
• • • • OBSERVATION

L’observation des
canaux martiens
de 1909 à 2018
Par Simon Lericque

                                                       C’est une histoire qui débute au printemps de l’année 2017,
                                                       bien avant l’opposition martienne de 2018 donc… Avec
                                                       quelques amis, nous sommes de passage à l’observatoire
                                                       de Lille. Là, dans la salle du patrimoine, où est présenté un
                                                       certain nombre d’instruments de mesure ou de livres anciens,
                                                       un document où figure un vieux dessin de Mars attire l’œil
                                                       des curieux… Celui-ci est l’œuvre de Robert Jonckheere, le
                                                       premier propriétaire de la lunette de l’observatoire de Lille
                                                       (dont nous avons déjà causé à plusieurs reprises dans les pages
                                                       de la porte des étoiles). Ce dessin du début du XXème siècle,
                                                       publié dans le Journal Astronomique de l’observatoire de
                                                       Hem, montre des tonnes de tracés rectilignes et est richement
                                                       commenté… Robert Jonckheere écrit qu’il ‘‘remarque les 48
                                                       canaux suivants : Ambrosia, Bathys, Glaucus (très large),
                                                       Eospharus, Tithonlus…’’. 48 canaux ! Rien que ça !
                                                      Comment Robert Jonckheere a-t-il pu observer ces canaux
                                                      sur Mars ? Qui plus est, comment a-t-il pu en détecter 48
                                                      différents, dont certains montrent des détails caractéristiques
                                                      (selon lui) ? C’est ici notre point de départ. Alors que nous
                                                      sommes quelques chanceux (Michel, André, François,
                                                      Jérôme…) à pouvoir observer régulièrement avec la lunette
 Extrait du Journal Astronomique de l’observatoire de historique des lieux et que nous avons, à l’occasion, dirigé
        Hem exposé dans la salle du Patrimoine
                                                      l’instrument centenaire
vers la planète rouge, jamais nous n’avons pu imaginer une quelconque
formation géologique pouvant s’apparenter à des canaux !
Certes, depuis l’époque de Jonckheere, les oculaires se sont un peu
modernisés mais l’optique de la lunette est restée la même et les conditions
locales d’observations se sont certainement dégradées en un siècle…
Comment un observateur si acharné et sérieux – Robert Jonckheere était
un dupliciste renommé ayant découvert plus de 3350 étoiles doubles
– a-t-il pu voir des canaux ? S’agissait-il d’un effet de mode ? D’une
‘‘auto-persuasion’’ ? Ou y avait-il de véritables biais observationnels
l’amenant à cette conclusion ? C’est décidé, pour l’opposition 2018 de
Mars, nous consacrerons nos observations à la recherche des canaux !

Robert Jonckheere, un partisan des canaux martiens ? Collection Jean-Claude Thorel

la porte des étoiles n°44                                                                                           
La porte des étoiles le journal des astronomes amateurs du nord de la France - Numéro 44 - printemps 2019 - GAAC
• • • • OBSERVATION

                                       Le mythe des canaux martiens
Le mythe des canaux martiens a divisé la communauté scientifique et astronomique à la fin du XIXème siècle et
au début du XXème. Au milieu du XIXème siècle en effet, les observateurs notent sur Mars de grandes structures
sombres. Certains pensent alors que, comme sur Terre, il existe sur la planète voisine de gigantesques étendues
d’eau liquide. C’est le prêtre jésuite
italien Angelo Secchi (1818-1878) –
éminent astronome s’il en est – qui,
le premier, utilise le terme canale.
En italien, ce terme peut à la fois
désigner un canal artificiel ou un
chenal naturel… D’où une première
source d’interprétation.
Lors de l’opposition de 1877, un
autre astronome italien, Giovanni
Schiapparelli (1835-1910) observe
cette fois-ci des formations
rectilignes en les qualifiant à
                                                   La planète Mars dessinée par Schiaparelli en 1877 et 1878
nouveau de canali (avec la même
ambiguïté de sens que son prédécesseur). Deux ans plus tard, lors de l’opposition suivante, Schiapparelli note
même des dédoublements de certains tracés… On parlera alors désormais dans la littérature de ‘‘gémination’’.
Cela étant, Schiapparelli ne se risque pas à interpréter ses canali comme des édifices artificiels. D’autres s’en
                                 chargeront pour lui…
                                       Pendant les oppositions favorables suivantes, d’illustres astronomes de par le
                                       monde, comme par exemple William Pickering (1858-1938) aux États-Unis
                                       ou Camille Flammarion (1842-1925) en France, se penchent sur l’observation
                                       de Mars et tentent de comprendre la nature des formations rectilignes. Le
                                       plus farouche partisan des canaux artificiels martiens est Percival Lowell
                                       (1855-1916), le fondateur de l’observatoire de Flagstaff. Le mécène allait
                                       même jusqu’à penser que sur la planète rouge, les habitants luttaient contre
                                       une sécheresse terrible et avaient construit les canaux afin d’irriguer les
                                       terres équatoriales arides avec les eaux issues des régions polaires… À la fin
                                       de son ‘‘exploration’’ martienne, Lowell avait découvert 400 canaux sur la
                                       planète rouge. Malgré les preuves irréfutables, notamment photographiques,
                                       de l’inexistence de canaux artificiels, Lowell ne changera pas de conviction
                                       jusqu’à sa mort. Il pensa même avoir découvert des canaux sur Vénus et
                                       Mercure : une véritable obsession !
                                 Pendant que Lowell
Un globe de Mars réalisé par Lowell.
                                et consorts s’entêtent,
 Superbe objet aux tracés farfelus
                                d’autres – sceptiques
depuis l’origine même de la polémique – mènent
des observations de plus en plus précises. Depuis
l’observatoire de Meudon, Eugène Antoniadi (1870-
1944) observe Mars en 1909 avec la puissante lunette
de 83 centimètres de diamètre. L’astronome qui à
l’origine était un partisan des structures artificielles
est contraint de se rendre à l’évidence : les canaux
martiens ne sont que des illusions d’optique ! Il s’agit
d’une interprétation probablement due à la succession
de formations géologiques plus ou moins allongées.
Cette illusion trouve aussi son origine dans la qualité
médiocre des instruments d’optique de l’époque.                   Eugène Antoniadi derrière la grande lunette de Meudon

la porte des étoiles n°44                                                                                                 
La porte des étoiles le journal des astronomes amateurs du nord de la France - Numéro 44 - printemps 2019 - GAAC
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                            Cartographie martienne (sans canaux) dessinée par Eugène Antoniadi

Toujours est-il que le mythe des canaux martiens continue d’être très populaire auprès du grand public. Ainsi,
les cartes réalisées par Percival Lowell restent utilisées aux États-Unis jusqu’en 1965 alors que la sonde spatiale
Mariner 5 réalise les premières photographies rapprochées de la surface de Mars. Encore aujourd’hui, les canaux
artificiels martiens sont le point de départ, sinon le décor, de nombreuses œuvres de science-fiction…
Le mythe tombe donc durant l’opposition de 1909. À la même période pourtant, à Hem, Robert Jonckheere
réalise ses premiers croquis martiens qui montrent une multitude de canaux. S’agissait-il d’observations
‘‘honnêtes’’, d’une retranscription d’une illusion d’optique ou d’une influence un peu trop forte des résultats
de la communauté astronomique, notamment outre-Atlantique avec les travaux de Lowell ? Nul ne le sait
vraiment… Il y a là aussi matière à interprétation ; car les travaux martiens de Jonckheere restent limités. Il
semblerait, fort heureusement, que Jonckheere ne
soit pas tombé dans les extrapolations ‘‘extrêmes’’
de Lowell qui imaginait une civilisation martienne
à l’agonie...

        Les canaux de Robert
             Jonckheere
Revenons aux temps modernes. Une chasse aux
canaux martiens, c’est quelque chose qui se
prépare… Partant du dessin de la salle du patrimoine
de l’observatoire de Lille, nous cherchons d’autres
compte-rendus d’observations de la même époque.
Dans les premiers numéros de la porte des étoiles,
afin de rédiger un autre article sur la planète Mars
                                                       Robert prend la pose derrière l’oculaire... Collection JC Thorel
(‘‘Robert Jonckheere et la planète Mars’’, la porte
des étoiles numéro 8), nous avions déjà entrepris une telle démarche. Il n’avait pas fallu chercher loin... Les
informations énoncées alors provenaient essentiellement de l’ouvrage ‘‘Robert Jonckheere : le ciel d’une vie’’
écrit par Jean-Claude Thorel.
Jean-Claude Thorel est en quelque sorte le biographe de Robert Jonckheere ; c’est aussi un dupliciste passionné
qui a notamment travaillé avec l’astronome Paul Couteau (1923-2014), un autre éminent spécialiste des étoiles
doubles. Jean-Claude est par ailleurs membre de l’association Jonckheere, les amis de l’observatoire de Lille,

la porte des étoiles n°44                                                                                            
La porte des étoiles le journal des astronomes amateurs du nord de la France - Numéro 44 - printemps 2019 - GAAC
• • • • OBSERVATION

ce qui facilite grandement les échanges. À l’été 2018, il nous invite Michel et moi, chez lui et son épouse
Yvonne, à Nice. Ainsi, nous aurons tout le temps de farfouiller dans les archives du Journal Astronomique
de Jonckheere dont Jean-Claude possède la totalité. Nous profiterons aussi de cette escapade pour visiter les
observatoires de Nice et du plateau de Calern (cela sera conté dans un futur numéro de la porte des étoiles).
Dans les documents que déniche Jean-Claude, nous apprenons que Robert Jonckheere s’est surtout intéressé à
la planète Mars lors de l’opposition de 1909, à la fin de la discorde donc. Cette année là, alors que Jonckheere
vient de s’installer dans son observatoire de Hem et d’inaugurer sa lunette de 320 millimètres, il s’intéresse
à l’évolution de la calotte polaire de Mars. Il en mesure avec précision l’évolution durant toute la période
favorable d’observation. À partir du 16 juillet 1909 et jusqu’au printemps 1910, il s’intéresse aussi... aux
                                                                   canaux ! Durant cette période, et à chaque
                                                                   publication du Journal Astronomique,
                                                                   Robert Jonckheere décrit précisément ce
                                                                   qu’il a observé et retranscrit de nombreuses
                                                                   mesures. Dans ces comptes-rendus, il décrit
                                                                   régulièrement les mers, terres et canaux qu’il
                                                                   a pu observer. Le grossissement qui donne les
                                                                   meilleurs résultats, selon Jonckheere, est de
                                                                   400 fois ; une donnée importante pour nous
                                                                   car elle est similaire aux grossissements que
                                                                   nous allons utiliser 110 ans plus tard...
                                                                          Qui plus est, l’on remarque également
                                                                          que Jonckheere fait souvent référence aux
                                                                          observations et découvertes de l’astronome
                                                                          américain Percival Lowell. Nous n’avons
                                                                          aucune peine à comprendre dans quel
                                                                          ‘‘camp’’ il se situe alors. D’ailleurs,
                                                                          Jonckheere ne manque pas d’alimenter
                                                                          la controverse et d’assumer ses positions.
                                                                          Le débat est même relayé dans les pages
                                                                          du Journal Astronomique en avril 1910 où
                                                                          le Nordiste relate un échange épistolaire
                                                                          avec Charles André (1842-1912), directeur
                                                                          de l’observatoire de Lyon, qui est déjà
                                                                          convaincu depuis longtemps que les canaux
Extrait du Journal Astronomique où Jonckheere expose ses travaux martiens martiens n’existent pas. Selon Jonckheere :
                                                                          ‘‘Il n’est en effet pas nécessaire de pouvoir
reconnaître de la vapeur d’eau ou des habitants sur Mars pour accepter l’existence de ces lignes
géométriques. On les aperçoit sur Mars comme on aperçoit les cratères sur la Lune et pour ma part j’ai
vu et découvert des canaux comme je vois et découvre des étoiles doubles et je ne vois pas de raisons
particulières pour que ces deux études ne soient pas également considérées.’’
Bien... Si Robert Jonckheere assure avoir vu des canaux depuis le Nord de la France avec sa lunette, il
n’y a aucune raison que nous ne puissions pas en faire autant.

                     Les conditions des oppositions 1909 et 2018
On emploie souvent le mot ‘‘opposition’’ pour décrire la meilleure période pour l’observation d’une
planète (en tout cas une planète plus éloignée du Soleil que la Terre). En réalité, l’opposition n’est que
le moment précis où le Soleil, la Terre et une planète sont alignés. La planète concernée est alors située
à l’opposé de la Terre par rapport au Soleil, d’où le terme... ‘‘opposition’’. La Terre et la planète sont
alors au plus près (ou quasiment) et la planète observée aura alors la plus grande taille apparente. Aux
alentours de l’opposition, la planète est également visible toute la nuit, du coucher au lever du Soleil.
C’est donc le meilleur moment pour l’étudier.

la porte des étoiles n°44                                                                                            
La porte des étoiles le journal des astronomes amateurs du nord de la France - Numéro 44 - printemps 2019 - GAAC
• • • • OBSERVATION

Pour Mars, il y a une subtilité supplémentaire
car il existe dans le cas de la planète rouge
des oppositions favorables, et d’autres qui
ne le sont pas. L’opposition de 1909 est
par exemple considérée comme presque                                                                        2018
périhélique, c’est-à-dire particulièrement
favorable. En effet, les orbites de Mars et de
la Terre sont elliptiques et leur période de               2012
révolution respective complètement décalée.
Plus une planète est éloignée du Soleil, plus
elle met de temps à parcourir son orbite ;
686 jours en l’occurrence pour Mars (un peu
moins de deux ans), contre 365 pour la Terre.
Ainsi Mars et la Terre ne sont retrouvent pas                                                             1909
toujours ‘‘au même endroit’’ de leurs orbites
lorsqu’elles sont alignées avec le Soleil.
Il ne faut pas remonter à très loin pour retrouver
une véritable opposition périhélique. Celle             Schéma représentant les oppositions favorables (2018 et 1909)
du 27 août 2003 était véritablement exceptionnelle. Mars était alors à 55,7 millions de kilomètres de la Terre
et affichait une taille apparente de 25,1’’ ! L’éclat rouge étincelant a dominé le ciel cet été là... Ce qui n’a pas
manqué de susciter de nouveaux mythes (voir encadré ci-dessous). À l’inverse, l’opposition du 3 mars 2012
peut être considérée d’aphélique (l’aphélie est le point le plus éloigné d’une orbite elliptique). Alors dans la
constellation du Lion, la planète rouge n’était pas très brillante et son diamètre apparent frôlait à peine les 14’’.
La Terre et Mars étaient alors distantes de 100,8 millions de kilomètres, presque le double d’une opposition
favorable.
Pas de chance pour nous autres ‘‘Nordistes’’. En ce moment (et pour quelques dizaines de milliers d’années
encore) les oppositions favorables ont lieu en été, alors que les planètes croisent dans les constellations les plus
australes de l’écliptique : Sagittaire, Scorpion, Capricorne... Cette zone du ciel peine à s’extirper de l’horizon

                                               Mars en 2003
   Un autre mythe trouve son origine dans l’opposition ‘‘historique’’ de 2003. Chaque été depuis lors,
   on voit fleurir dans les boites aux lettres électroniques, puis sur les réseaux dits sociaux, l’annonce
                                                                               d’une            spectaculaire
                                                                               observation : ‘‘en août, Mars
                                                                               dans le ciel sera aussi grosse
                                                                               que la pleine Lune !’’ Rien
                                                                               que ça ! En fait, en 2003,
                                                                               dans certaines publications
                                                                               généralistes, il avait été
                                                                               fait écho d’une opposition
                                                                               exceptionnelle, en annonçant
                                                                               que Mars pourrait être
                                                                               observée aussi grosse que la
                                                                               Lune à travers un instrument
                                                                               optique. Une formulation
                                                                               fort maladroite et imprécise
             Mars aussi grosse que la pleine Lune... Ceci est un montage !     qui a donné naissance à un
   nouveau mythe ! Françoise, si tu lis ces lignes... Par ailleurs, l’été 2003 est aussi celui d’une canicule
   exceptionnelle en France. Il n’en fallait pas plus pour que certains y voient un lien funeste entre la
   planète rouge et ces températures étonnamment hautes...

la porte des étoiles n°44                                                                                          
La porte des étoiles le journal des astronomes amateurs du nord de la France - Numéro 44 - printemps 2019 - GAAC
• • • • OBSERVATION

sud alors que l’atmosphère estivale
n’est pas toujours d’une grande
transparence. Les observateurs de
l’hémisphère sud sont plus gâtés car
ces constellations apparaissent très
hautes dans le ciel et en plein hiver.
Le 24 septembre 1909, au moment
de l’opposition, la Terre et Mars
n’étaient séparées que de 58,6
millions de kilomètres. La taille
apparente de Mars, alors dans la
constellation des Poissons, était
de 23,9’’. Le 27 juillet 2018, la
planète rouge était à 57,6 millions
de kilomètres de la Terre et le
disque martien, tapi à la frontière
des constellations du Capricorne
et du Sagittaire, affichait une taille
apparente de 24,3’’. Les deux
oppositions, même si elles ne sont
                                                Mars photographiée par Sylvain Wallart depuis Saint-Véran en octobre 2018, lors
pas du même côté du périhélie                  de la dernière mission du GAAC à l’observatoire Astroqueyras. La planète rouge est
avaient donc des caractéristiques               basse sur l’horizon, à gauche de la Voie lactée dans la constellation du Capricorne.
très proches.
En 1909 et 2018, Mars montrait un diamètre apparent proche du maximum possible. Mais ce disque rougeâtre
était aussi bas sur l’horizon, n’excédant pas les 20° au-dessus du sud au moment de son passage au méridien.
On peut donc considérer que les conditions d’observations étaient similaires lors de ces deux oppositions.
La comparaison des observations de Robert Jonckheere et les nôtres 110 ans plus tard – toutes proportions
gardées évidemment – peuvent être considérées comme pertinentes.

                                                                             Nos yeux aux oculaires
                                                                  Notre campagne d’observation 2018 démarre
                                                                  tardivement... Ce n’est que le 2 juin que, pour la
                                                                  première fois, nous avons l’occasion de diriger la lunette
                                                                  de l’observatoire de Lille vers Mars. Robert Jonckheere
                                                                  avait entamé sa campagne trois mois avant la date de
                                                                  ‘‘son’’ opposition. Nous sommes un peu en retard... Mais
                                                                  avant le moment précis de l’opposition, Mars est surtout
                                                                  une planète du matin, se levant tardivement. Ainsi, le 2
                                                                  juin 2018, elle ne passe au méridien que vers 6 heures
                                                                  du matin. Difficile de concilier ces horaires indécents
                                                                  avec la vie... normale ! Ces contraintes, notre illustre
                                                                  prédécesseur ne les avaient sans doute pas.
 110 ans plus tard, Simon prend la pose derrière l’oculaire...
                                                          Ce premier coup d’œil à Mars demande un peu
d’adaptation : apprivoiser la lunette, trouver le grossissement idéal, choisir les accessoires adaptés. Souvent, il
nous faudra faire preuve de beaucoup de patience pour ‘‘figer’’ la turbulence atmosphérique et pour retranscrire
les formations décelées à l’oculaire sur notre bout de papier. À mesure que nos observations vont s’enchaîner
– en juin, en juillet, en août et en septembre – notre ‘‘chemin’’ optique va se stabiliser : une tête binoculaire
couplée à des oculaires de 15 millimètres. Avec les 6000 millimètres de focale de la lunette centenaire, cela
donne un grossissement de... 400 fois ! Comme dans les descriptions de Robert Jonckheere.
Dès notre première soirée d’observation pourtant, c’est la déception ! Pas le moindre canal ! Pourtant, selon les
dires de Jonckheere, ils sont si évidents à voir à la surface de Mars. Trêve de plaisanteries... Nous savions bien

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• • • • OBSERVATION

                                              sûr que nous n’allions pas voir une planète rouge complètement striée
                                              (parce que nous avons tous déjà observé Mars) mais nous espérions
                                              tout de même pouvoir imaginer certaines choses... Toute chose qui
                                              pourrait être sujette à interprétation. Mais, rien de tout cela non plus !
                                              Mars montre globalement une vaste étendue claire au Nord et tout un
                                              tas de formations géologiques complexes au Sud (attention, l’image
                                              est inversée par rapport à la réalité dans une lunette astronomique).
                                            Notre sentiment se confirme au fur et à mesure de nos observations....
                                            Pas de canal ! En revanche, nous pouvons noter que la calotte polaire
                                            nord semble fondre. En effet, lors de nos rares observations pré-
                                            opposition, la calotte est vue et dessinée large mais dès l’opposition
                                            franchie, la région polaire est considérablement réduite. Cela se
Premier dessin (d’une longue série) de Mars vérifie jusqu’à notre dernier coup d’œil martien courant octobre.
          pour l’opposition 2018            Lors des oppositions périhéliques, l’été austral martien (la calotte
polaire que nous observons se trouve justement dans l’hémisphère sud) coïncide presque avec l’opposition.
La glace polaire aurait donc fondu à mesure que l’été approchait
dans cette région. Cela concorde avec nos observations...
Autre observation cohérente, bien que très gênante : c’est
l’apparition d’une tempête de poussières. Ces dernières
adviennent parfois à la fin du printemps martien ou à l’approche
de l’été austral. Il n’est pas rare que ces tempêtes de poussières,
d’abord locales se déploient finalement à l’ensemble de la
planète. La fine atmosphère martienne se charge alors de
poussières rougeâtres et devient plus ou moins opaque, cachant
à notre vue les détails d’ordinaires visibles en surface. Pas de
chance pour nous, le phénomène s’est produit quelques jours
après notre première observation martienne, début juin. Les
astronomes amateurs terrestres ont alors eu toutes les peines
du monde à observer ou à révéler les formations géologiques
martiennes... Seule l’utilisation de filtres spécifiques pouvait
permettre de réaliser de belles images. La tempête finira par se
calmer alors que l’opposition sera déjà lointaine et que la taille         Au plus près de l’opposition, le 21 juillet, mais
                                                                             sous la tempête, peu de détails percent...
apparente de Mars aura déjà considérablement baissé.
En 2018, nous avons finalement surtout observé après la date de
l’opposition. Après la ‘‘bascule’’, la planète devient plutôt du soir,
se levant avant le coucher du Soleil. Il est alors plus aisé de mener
de front une vie astronomique et une vie... sociale. L’évolution
est rapide. En l’espace d’un mois, en août, le diamètre apparent
baisse de 5 secondes d’arc. Son éclat dans le ciel décroit également
très vite. Dominant le ciel et spectaculaire durant toute la période
estivale par chez nous, Mars ne devient qu’un astre brillant parmi
d’autres à l’approche de l’automne. Le 27 septembre, le diamètre
apparent de la rouquine n’est plus que de 16,9’’. C’est à peu près
à cette période que la tempête globale de poussières semble se
calmer et que les détails de surface réapparaissent. Cruelle ironie !
L’astronomie est décidément une école de patience (souvent
insatisfaite) et d’humilité. Cette nuit là, c’est aussi la dernière fois
que nous pouvons observer Mars à travers la lunette Jonckheere
de l’observatoire de Lille. Hélas, Mars, toujours très basse sur
l’horizon, se lève maintenant bien avant l’arrivée de la nuit... Et         Mars photographiée à travers une lunette TEC
lorsque le ciel est suffisamment sombre pour diriger la lunette            140 et avec un filtre infrarouge, le 4 août depuis
vers elle, un arbre nous cache la vue. C’en est fini !                      Villeneuve d’Ascq et par Stéphane Razemon

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• • • • OBSERVATION

                          Mars 2018 : fin de mission à Saint-Véran
Heureusement, l’histoire ne s’arrête pas là... Et la fin de l’histoire est plutôt belle. En octobre 2018, et
comme chaque automne désormais depuis presque dix ans, le GAAC a la chance de bénéficier d’une
semaine à 3000 mètres d’altitude à l’observatoire Astroqueyras de Saint-Véran dans les Hautes-Alpes
(voir le numéro 43 de la porte des étoiles, dédié à notre mission). Tout là haut, l’observatoire est équipé
d’un instrument d’exception : un télescope Cassegrain de 62 centimètres de diamètre et de 9 mètres
de focale, offrant rapidement des grossissements sympathiques... Même si l’occasion ne s’est jamais
vraiment présentée d’observer les planètes dans cet engin, ses caractéristiques optiques lui donnent de
précieux atouts. Nous avions donc sollicité l’instrument auprès du Comité des Programmes d’Astroqueyras
(l’instance qui alloue les semaines de missions) pour
l’observation et le dessin des canaux martiens... Ce qui
n’a eu l’air de perturber personne !
Au cours de deux belles soirées, le fameux T62 a pu être
dirigé vers Mars. L’engin encaisse des grossissements de
plus de 650 fois et le spectacle est fabuleux ! Beaucoup
d’entre nous n’avaient jamais vu la planète rouge à
pareille fête. La phase gibbeuse est marquée, la taille
apparente est modeste, mais tout cela est compensé par
la focale du télescope et le ciel du stabilité extrême. La
tempête de poussières n’est plus qu’un souvenir et les
détails, les formations géologiques sombres, d’autres
plus claires, foisonnent. Il faut beaucoup de temps
pour retranscrire sur papier tout ce que l’on est capable
d’observer... Tous les membres de l’équipe se succèdent
derrière la tête binoculaire (toujours elle) pour profiter
du spectacle. Il aura fallu attendre les derniers moments,
alors que la bonne saison martienne est passée depuis
longtemps, pour observer enfin une planète rouge                              Au T62 Astroqueyras, une Mars... petite par la taille
véritablement digne d’intérêt.                                                             mais riche de détails !

                         Noachis Terra           Calotte polaire Sud

                                                                Argyre Planitia

       Hellas Planitia

                                                            Sinus Meridiani
       Mare Serpentis

      Syrtis Major                                       Sinus Sabaeus

                     Arabia Terra
                                                Deuteronilus                              Simulation Atlas Virtuel des Planètes

  Même si les proportions et les perspectives ne sont pas tout à fait respectées, on peut retrouver sur les dessins les principales
                                              formations géologiques martiennes.

la porte des étoiles n°44                                                                                                             12
• • • • OBSERVATION

L’observation depuis Saint-Véran est
extraordinaire certes... Mais toujours pas le
moindre canal ! Je n’aime pas rester sur un
échec (pourtant fort prévisible). En fin de
séjour, au cours d’une après-midi pluvieuse,
et après un déjeuner bien arrosé, je me lance
dans la réalisation d’un dessin de Mars, basé
à la fois sur mes souvenirs d’observations
de cette opposition 2018, l’œil à l’oculaire,
mais aussi des dessins de la planète réalisés
par Robert Jonckheere et publiés dans son
Journal Astronomique... Le résultat, hybride,
est publié ci-contre.

               Conclusion
Il faut le reconnaître, le postulat de départ
était un peu... étrange ! Si Robert Jonckheere
(et d’autres) avaient pu voir des canaux sur
Mars avec la lunette de l’observatoire de
Lille, pourquoi pas nous ? Au-delà du mythe                        Enfin des canaux... Après l’apéro !
un peu amusant si on le prend avec le recul
nécessaire, nous n’avions bien sûr aucune ‘‘chance’’ de voir des canaux artificiels à la surface de la planète
rouge. Néanmoins, nous espérions secrètement pouvoir comprendre ce qui avait pu pousser des astronomes
respectables et des observateurs expérimentés à assumer de tels ‘‘délires’’. Hélas, nous n’avons même pas
pu trouver un semblant d’explication... Pas même n’avons nous pu retrouver les arguments des détracteurs :
des formations géologiques longilignes, des illusions d’optiques, des traces ‘‘interprétables’’. Heureusement,
il nous est resté le plaisir de l’observation : pousser une lunette centenaire dans ses ultimes retranchements,
fatiguer aussi nos yeux à leur limite pour déceler dans les trous de turbulences le moindre détail... S’acharner
et prendre le temps ! Mars nous avait toujours semblé une planète décevante à l’oculaire : petite, sans détails
fins, toujours basse sur l’horizon... Finalement, grâce à cette expérience et à cette chasse aux canaux, nous
connaissons la planète rouge un peu mieux. Vivement la prochaine opposition, toujours favorable, en 2020.

                                    Les dessins des copains
   À Lille, mais aussi à Grévillers, Valdrôme ou Saint-Véran, les copains aussi ont réalisé de beaux
   dessins de la planète Mars, avec diverses techniques qui leur sont propres... Là non plus, le moindre
   canal à l’horizon cependant.

        27 septembre 2018 - Lille          8 octobre 2018 - Saint-Véran        9 octobre 2018 - Saint-Véran
            Lunette 320/6000                   Cassegrain 620/9000                 Cassegrain 620/9000
            Patrick Rousseau                      Michel Pruvost                  Philippe Nonckelynck

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• • • • OBSERVATION

     Mars : bilan 2018

                                                                            2 juin

                                                       21 juillet

        3 août

                                        6 octobre

   6 août
                            7 octobre
                                                                    27 septembre

       11 août                  12 octobre
                                                                          16 septembre

                                                                     9 septembre
                 17 août

                                             31 août

la porte des étoiles n°44                                                            14
• • • • CULTURE

Deux romans pour un
printemps
Par Michel Pruvost

À l’occasion de l’opposition martienne de 2018, nous avions lancé le projet un peu décalé d’observer les
canaux de Mars. Reprendre un peu de l’état d’esprit de certains astronomes de la fin du XIXème siècle
et user nos yeux à rechercher ce qu’ils ont vu à cette époque. Las ! Aucun canal n’a été détecté, malgré
l’utilisation d’instruments comme la lunette de l’observatoire de Lille ou le télescope 600 d’Astroqueyras.
                                                            Rien que quelques traces sombres quelquefois
                                                            bien définies, quelquefois très floues, mais
                                                            absolument aucune de ces traces rectilignes si
                                                            bien dessinées par Percival Lowell, Camille
                                                            Flammarion ou encore Robert Jonckheere.
                                                                  Mars ne nous a montré que sa calotte polaire, ses
                                                                  zones sombres comme Sinus Meridiani, Syrtis
                                                                  Major et ses taches claires comme Hellas, nous
                                                                  ancrant ainsi dans la vision moderne de cette
 À gauche, Mars dessinée en 1909 par Robert Jonckheere ; à droite planète, un monde de déserts ocres, sans vie,
              dessinée en 2018 par Michel Pruvost                 sans eau liquide et presque sans atmosphère.
Mars, maintenant s’éloigne de la Terre et bientôt, nous ne pourrons plus voir grand chose à sa surface. Il
est temps de dire définitivement adieu aux canaux martiens. Mais avant cela, je voudrais vous inviter à
vous replonger dans la vision ancienne de la planète au travers de deux livres que j’ai particulièrement
apprécié et que je vous incite vivement à lire.

               Chroniques martiennes
Le premier de ces ouvrages est un roman écrit au début des années
1950 par l’écrivain américain Ray Bradbury, les Chroniques
Martiennes. C’est une suite de nouvelles quelquefois très courtes
qui racontent la fin de la civilisation martienne, la colonisation de
Mars par les hommes puis la fin de la civilisation terrienne. Autant
dire que ce n’est pas un roman très optimiste mais la plupart des
nouvelles sont empreintes de beaucoup de poésie.
Écrit en pleine guerre froide, alors que le monde se sépare en
deux blocs antagonistes, plusieurs nouvelles du recueil montrent
l’état d’esprit de l’époque, prêt à déclencher la guerre nucléaire :
une Amérique profondément raciste et xénophobe, marquée
par son esprit de conquête et piétinant allégrement les droits de
populations plus faibles et, dans le sillage du Maccarthysme, une
dérive importante vers la répression de ceux soupçonnés de ne
pas être dans la ligne politique.

la porte des étoiles n°44                                                                                       15
• • • • CULTURE

Les Chroniques Martiennes sont donc un livre d’époque. Une époque où les Martiens existaient encore, où les
canaux irriguaient la surface de la planète et où les hommes se déplaçaient dans l’espace en fusée. Le roman
débute par l’arrivée sur Mars de la première fusée terrienne.
Nous sommes en février 1999 sur Mars. Ray Bradbury nous livre là une superbe image de la vie d’un
couple de martiens : ‘‘Ils habitaient une maison en piliers de cristal sur la planète Mars, au bord d’une
mer vide et, tous les matins, on pouvait voir Mrs K. manger les fruits d’or qui poussaient aux murs de
cristal, ou nettoyer la maison avec des poignées de poudre magnétique qui, après avoir attiré toute la
poussière, s’envolait dans le vent chaud. L’après-midi, quand la mer fossile était chaude et inerte, les arbres
à vin immobiles dans la cour, la lointaine petite ville martienne refermée sur elle-même et nul habitant ne
mettant le nez dehors, on voyait Mr K. lui-même, dans sa chambre, lire un livre de
métal aux hiéroglyphes saillants qu’il effleurait de la main, comme on joue d’une
harpe. Et, du livre, au toucher de ses doigts s’élevait une voix chantante, une
douce voix ancienne qui racontait des histoires évoquant le temps où la mer roulait
des vapeurs rouges sur ses rives, où les ancêtres avaient jeté dans la bataille des
nuées d’insectes métalliques et d’araignées électriques. Mr et Mrs K. n’étaient
pas vieux. Ils avaient la belle peau bronzée, les yeux comme des pièces d’or et la
voix douce et musicale des vrais martiens. Naguère, ils avaient aimé peindre des
tableaux au feu chimique, nager dans les canaux aux saisons où les arbres à vin
les remplissaient de liqueurs vertes, et bavarder jusqu’à l’aube près des portraits
aux phosphorescences bleues dans le conversoir.’’                                            Une martienne

Mrs K., de son prénom Ylla, est télépathe, comme tous les Martiens et, depuis quelques jours, elle se met à
chanter une chanson inconnue ‘‘Plaisir d’amour ne dure qu’un moment...’’ Elle a la vision d’un géant aux
cheveux noirs et aux yeux bleus. Tout cela est bien loin de l’aspect d’un martien aux cheveux rouges et aux yeux
dorés. Mrs K. a l’esprit accaparé par ces visions et cela rend très jaloux Mr.K. Quand la première fusée terrienne
                                                                                     se pose sur Mars avec deux
                                                                                     hommes à bord dont un
          Ray Bradbury                                                               géant aux cheveux noirs,
   Ray Bradbury (1920-2012) est un                                                   Mr K. excédé par les
   écrivain américain qui est connu                                                  pensées de son épouse,
   pour ses romans de science-fiction.                                               accueille l’équipage une
   Il écrit les Chroniques martiennes                                                arme à la main et met ainsi
   en 1950, son roman le plus connu                                                  fin à la première expédition
   avec Fahrenheit 451 qui décrit un                                                 terrienne sur Mars.
   monde où les livres sont interdits et                                             C’est quelques mois plus
   brulés, où l’intelligence et le libre-                                            tard, en août 1999, que la
   arbitre sont combattus. Son œuvre                                                 seconde mission terrienne
   a été souvent récompensée et le site                                              débarque sur Mars. Ray
   d’atterrissage de Curiosity sur Mars                                              Bradbury nous livre à
   porte son nom (Bradbury landing).                                                 nouveau une description

la porte des étoiles n°44                                                                                      16
• • • • CULTURE

féerique de la planète Mars, comme plus jamais on ne pourra en faire : ‘‘Dans les galeries de pierre, les gens
étaient rassemblés par groupe et se déplaçaient comme des ombres parmi les collines bleues. Une pâle clarté
tombait des étoiles et des lumineuses lunes de Mars… C’était un soir d’été sur la plaisante et clémente planète
Mars. Sur les canaux de vin vert, se croisaient des embarcations délicates comme des fleurs de bronze…
Quelques enfants couraient encore dans les ruelles aux lueurs des torches, tenant à la main des araignées d’or
qui filaient des entrelacs de toiles impalpables. Çà et là se préparaient des soupers tardifs sur les tables où la
lave argentée bouillonnait en sifflant. Dans les amphithéâtres d’une centaine de villes, sur l’hémisphère plongé
dans la nuit de la planète, les Martiens bronzés aux yeux
d’or se rassemblaient indolemment devant les estrades où
les musiciens distillaient une musique sereine qui flottait
dans l’air tranquille comme un parfum de fleur.’’
Et là, c’est toute la population martienne qui fredonne
désormais des airs inconnus dans une langue inconnue.
C’est à ce moment que les terriens de la deuxième
expédition prennent contact. ‘‘Nous venons de la Terre.
Je suis le capitaine Williams. Nous atterrissons sur Mars
à l’instant. Il y a eu une première expédition mais nous ne
savons pas ce qui lui est arrivé. Et vous êtes la première
Martienne que nous rencontrons ! Je n’ai pas le temps,                Une deuxième équipe se pose sur Mars
dit-elle. J’ai beaucoup de cuisine à faire aujourd’hui, sans parler du lavage et de la couture. Bien entendu,
vous désirez voir Mr Ttt ; il est en haut, dans son bureau. Elle leur reclaqua la porte au nez.’’
Après cet atterrissage dans l’indifférence générale, les quatre hommes d’équipage sont gentiment envoyés dans
un asile de fous où ils sont pris pour des hallucinations. Après une tentative de soin infructueuse (ils auraient dû
disparaître), les quatre hommes sont éliminés. Les Martiens sont alors très étonnés de ne pas voir disparaître la
fusée mais, pragmatiques, ils l’envoient à la ferraille. Ainsi finit la deuxième expédition martienne.
                                                     Avril 2000. La troisième expédition vers Mars est en route.
                                                     Ray Bradbury décrit l’espace et la traversée. ‘‘La fusée
                                                     descendait à travers l’espace. Elle venait des étoiles et des
                                                     vertiges noirs, des scintillantes orbites et des silencieux
                                                     golfes interstellaires. C’était une nouvelle machine ; elle
                                                     recelait du feu dans ses entrailles, et des hommes dans ses
                                                     cellules métalliques. Elle laissait derrière elle un sillage
                                                     ardent, net et silencieux… Maintenant, elle perdait de la
                                                     vitesse au contact des atmosphères supérieures de Mars…
                                                     Elle avait traversé les océans noirs de l’espace comme un
                                                     pâle Léviathan ; elle avait dépassé la vieille Lune et s’était
                                                     lancée dans une succession infinie de néants.’’
                                                     La fusée se pose juste à côté d’une cité en tout point identique à
                                                     une ville terrienne du début du XXème siècle. Trop semblable,
                                                     car chaque membre d’équipage (ils sont seize à débarquer
                                                     cette fois) retrouve un coin ou un endroit connu de sa famille,
                                                     de ses parents ou de ses proches. L’équipage est méfiant et
                                                     sort de la fusée armé, mais très vite, chacun est accueilli par
                                                     une population semblable à celle des premières années du
                                                     XXème siècle. Progressivement, alors que la journée passe,
                                                     un à un, les membres d’équipage retrouvent des êtres qui
                                                     leur sont chers et sont invités à passer la soirée parmi eux.
                                                     Au soir, ils s’abandonnent à ces chaleureuses retrouvailles, ne
                                                     se méfiant plus. Le lendemain, les 16 hommes d’équipages
                                                     sont enterrés dans le petit cimetière. Ainsi finit la troisième
                                                     expédition vers Mars.

la porte des étoiles n°44                                                                                           17
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                                              C’est en juin 2001, que se pose la quatrième expédition. L’équipage
                                              découvre alors des villes mortes et silencieuses. Des cadavres
                                              noircis jonchent les rues et les maisons par milliers. ‘‘Ils sont morts,
                                              dit Hathaway. Je suis entré dans une maison… J’y ai trouvé des
                                              cadavres. J’avais l’impression de marcher sur un tas de feuilles
                                              d’automne. Comme du bois sec ou des bouts de papier brûlé… Au
                                              premier examen, ils étaient morts depuis dix jours au plus… Et de
                                              quoi sont-ils morts ? La varicelle, dit Hathaway, simplement.’’
                                             Ainsi, la population martienne est-elle décimée par une maladie
                                             infantile apportée par un membre d’équipage. Partout, ce ne
                                             sont que cadavres secs et noirs. Cette terrible ambiance finit par
affecter terriblement les hommes. L’un d’entre eux, Spender, disparaît, puis revient une semaine plus tard et
tue six hommes. Il a découvert les merveilles martiennes, la philosophie martienne et il a compris ce qui va
maintenant se passer. La chasse à l’homme commence alors et quelques jours plus tard, le déserteur est tué à son
tour, après avoir expliqué son geste au capitaine Wilder. Une fois Spender enterré, les hommes se dispersent.
L’un d’entre eux commence à détruire ce qui reste de la civilisation martienne. ‘‘L’après-midi suivant, Parkhill
se mit à faire du tir à la cible dans l’une des cités mortes, tirant dans les fenêtres de cristal et abattant les
pignons des tours fragiles. Le capitaine surprit Parkhill et lui colla un solide direct à la mâchoire.’’
La colonisation de Mars commence alors, lentement d’abord avec les premiers pionniers, mais bientôt beaucoup
plus rapidement. Début 2003, c’est le grand nettoyage. Les ossements des Martiens encore présents dans les
villes sont retirés, éliminés alors que des enfants jouent parmi ces restes sans savoir ce qu’ils sont. Mars attire
alors tous les exclus, les laissés pour compte. En juin 2003, c’est le grand départ des noirs américains. C’est
sous le regard plein de haine des blancs qui voient partir ceux qu’ils considèrent encore comme des esclaves que
toute la population noire des États-Unis quitte le pays. Et les blancs qui enragent. Qui cueillera le coton ? Qui
récoltera les melons ? Que faire de ces cordes neuves dans la remise ? Qui insulter maintenant qu’ils partent ?
Ray Bradbury, dans le chapitre À travers les airs décrit sans fioriture l’Amérique raciste des années 50.
Les années 2004 et 2005 voient la colonisation se poursuivre. Une nouvelle administration se met en place sur
Mars avec son organisation, ses règles, sa bureaucratie. Les anciens noms martiens sont effacés et remplacés
par des noms terriens. De nouvelles villes se construisent. C’est aussi l’exportation vers Mars de la censure,
des autodafés, de la chasse systématique de toute idée ou culture déviante. ‘‘Ils ont voté une loi. Oh, ce n’était
presque rien au début. Un grain de sable de 1950 à 1960. Ils ont commencé par censurer les albums satyriques,
puis les romans policiers et bien entendu les films ; d’une façon ou de l’autre, tel ou tel groupe s’en mêlait,
sous des prétextes politiques, ou la pression d’associations variées, pour des préjugés religieux… Ensuite les
caméras se sont arrêtées, les salles de spectacle se sont éteintes et les presses à imprimer qui inondaient le
monde de lecture n’ont plus distillé qu’au compte-goutte une copie insipide et absolument inoffensive.’’
Fin 2005, on parle de quelques Martiens
qui seraient encore vivants sur la planète
et qui pourraient prendre l’apparence de
terriens, mais ce sont surtout les rumeurs
de guerre sur Terre qui préoccupent
la nouvelle population martienne. La
Terre, si lointaine, mais sur laquelle
chacun a laissé un proche, une mère,
un oncle, un grand-père. Et soudain
le message tombe : ‘‘CONTINENT
AUSTRALIEN ATOMISÉ, SUITE
EXPLOSION                PRÉMATURÉE
STOCK BOMBES, LOS ANGELES,
LONDRES BOMBARDÉES, GUERRE
DÉCLARÉE, REVENEZ, REVENEZ,
REVENEZ !’’

la porte des étoiles n°44                                                                                          18
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