Le MRAC en attente de l'AfricaMuseum - n 48 - Décembre 2018 - Mémoires du Congo
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n°48 - Décembre 2018 Trimestriel - n° d'agrément : P914556 Expéditeur : MdC, rue d'Orléans, 2 - 6000 Charleroi Le MRAC en attente de l’AfricaMuseum des Ancie ise ns o le Spad MdC d’Outre-Me asbl ica m A r
Le président et les administrateurs de Mémoires du Congo Editorial et du Ruanda-Urundi, auxquels se joignent les présidents et administrateurs des cercles partenaires, vous souhaitent de joyeuses fêtes. Que 2019 soit pour chacun d’entre vous une année pleine de bonheur. C a y est ! Le temps de Noël est venu. Des mil- Il est temps de penser à l’avenir de la liers de loupiottes éclairent nos rues. L’odeur République Démocratique du Congo, du chocolat chaud accompagné de cougnous du Rwanda et du Burundi et s’il faut fait le régal de ces journées écourtées. Les se pencher sur le passé, nous le intérieurs de nos maisons sont garnis pour ferons sans sourciller pourvu que égayer les soirées entre membres de notre la vérité soit écrite. Le passé est là pour famille et nos amis. Les cartes de vœux ou les éclairer l’avenir et nous devons y puiser mails chaleureux nous souhaitent d’agréables tout ce qui peut améliorer la vie de nos fêtes et une excellente année nouvelle. C’est ce que nous n’dukus d’Afrique centrale. Joyeux Noël et vous souhaitons à tous, amies et amis de “Mémoires du Bonne Année aux uns et aux autres. Congo”. Nous espérons vous revoir encore et encore tout Un tout grand merci à vous qui nous aidez à remplir nos au long de 2019. Que cette année soit propice à tous vos obligations à l’égard des membres fondateurs de MdC : ces désirs et aux nôtres, ceux de vous satisfaire et vous apporter derniers nous ont imposé de recueillir vos témoignages et au travers de notre magazine et de nos “Mardis de MdC” ceux de nos parents et surtout de les diffuser aux nouvelles une connaissance toujours plus profonde de notre histoire générations. Merci à nos membres ordinaires, de soutien et commune avec les Congolais, les Rwandais et les Burundais. d’honneur, et particulièrement à ceux qui se sont affiliés à Vous lirez dans la carte blanche écrite par André de Maere vie : MM. Robert Bodson, Thierry Claeys Bouuaert, Robert d’Aertrycke que nous désirons rencontrer les membres de Crem, Frank Demaeght, Pierre-Edouard Fischer, Roger la diaspora congolaise de Bruxelles pour tisser des liens qui Gilson, Yvan Goffart, Thierry Jungers, Patrick Maselis et nous permettront de nous apprécier les uns et les autres. moi-même. ■ Paul Vannès Sommaire Nécrologie Mémoires du Congo et du Ruanda-Urundi Périodique n° 48 - Décembre 2018 L’Association a le pénible Editorial - Nécrologie 2 Programme des Mardis 3 devoir de porter à la connais- Carte blanche 4 L'afrique centrale à l'honneur 5 sance de ses membres le Industrialisation du Congo (6) 6 Archéologie africaine : patrimoine swahili (2b) 12 décès, en date du 8 octobre Subversion au Congo belge 18 Les Russes au Congo belge 24 2018, d’Anne Claessens, Les Mirage de Mobutu 28 épouse de Jacques Hanot. Histoire d'une amitié (1) 32 Dr Louise Fleming 35 La défunte était un membre Cacher ce noir que je ne puis voir 36 Le CO2 pour masquer la vraie pollution 39 fidèle du Forum, au sein du- Associations : calendrier 2018 41 UROME-KBUOL 42 quel elle avait à cœur de par- Echos des mardis 44 Echos du Forum 46 tager son expérience. Plaidoyer royal pour les Virunga 48 A l'épicentre du Congo 49 Elle avait eu le talent de valoriser sa carrière d’infirmière, Clap de fin à Spa 50 Afrikagetuigenissen 51 spécialiste en physio-electro thérapie, au Congo. Tam-Tam - ARAAOM 52 Contacts - ASAOM 55 Tous ceux qui ont eu le bonheur de côtoyer Anne gardent Nyota - CRAA Bulletin - RCLAGL 58 56 d’elle un souvenir admiratif. Administration des cercles partenaires 58 Que son mari et sa famille trouvent ici l’expression de Bibliographie 64 Photo de la couverture © F. Hessel (8 novembre 2018) nos condoléances émues. 2 Mémoires du Congo n°48 MdC asbl Décembre 2018
Programme des MÉMOIRES DU CONGO et du Ruanda-Urundi asbl “Mardis de Mémoires du Congo” Périodique trimestriel - Agrément postal : BC 18012 N° 48 - Décembre 2018 Leuvensesteenweg, 17 à Tervuren. Editeur responsable : Paul Vannès. Auditorium 3e étage. Rédacteur en chef & coordonnateur des revues partenaires : Fernand Hessel Correctrice : Françoise Devaux Prix à payer : 30€ (23€ Moambe + 7€ participation aux frais) Maquette et mise en page : New Look Communication A verser au compte de MdC, au plus tard une semaine avant la date de la manifestation Comité des responsables thématiques IBAN – BE45 3630 0269 1889 BIC BBRUBEBB Thierry Claeys Bouuaert (histoire post-coloniale), Guido Bosteels Seul le payement enregistré une semaine avant (textes en néerlandais), André de Maere d’Aertrycke (histoire le mardi concerné vaut réservation ferme. coloniale), Marc Georges (santé), Fernand Hessel (éducation), Françoise Moehler-De Greef (culture), Paul Roquet (société), André Schorochoff (justice), Jean-Pierre Sonck (défense), Pierre Mardi 12 février 2019 Van Bost (économie). 10h15 : Témoignage d’Anne Claessens, épouse de Dépôt des articles Les articles sont reçus : Jacques Hanot. Infirmière spécialisée en physiothérapie, - par mail à l'adresse : redaction@memoiresducongo.be active au Centre de Rééducation pour Handicapés - par téléphone : 0495 51 51 71 Physiques de Kinshasa. - par courier postal : rue d'Orléans, 2 – 6000 Charleroi Conseil d’administration 11h30 : “Léopold II, un souverain absolu pas si absolu Président : Paul Vannès, Vice-Président : vacant que ça !” par André Schorochoff. Son œuvre dans les Comité de gestion : à constituer domaines législatifs, exécutifs et judiciaires. Trésorier : Guy Dierckens, Solange Brichaut, Secrétaire : Nadine Evrard. 12h30 : Moambe du Chef Hofman Administrateurs : Thierry Claeys Bouuaert représentant aussi CBL- 14h30 : Bienvenue à Marly-Gomont. ACP, Marc Georges, Fernand Hessel, Guy Lambrette, représentant aussi le CRAOM, Etienne Loeckx, José Rhodius, Film de Julien Rambaldi. En 1975, Seyolo Zantako, Patricia Van Schuylenbergh. médecin fraîchement diplômé originaire de Kinshasa, Siège social saisit l’opportunité d’un poste de médecin de campagne avenue de l’Hippodrome, 50 - B-1050 Bruxelles dans un petit village français. info@memoiresducongo.be Siège administratif rue d'Orléans, 2 – B 6000 Charleroi. Tél. 00 32 (0)71 33 43 73 Mardi 12 mars 2019 Numéro d’entreprise : 478.435.078 10h15 : Témoignage de l’Ir Deweer, qui nous relate Site public : www.memoiresducongo.org BIC : BBRUBEBB l’histoire et les activités de Vicicongo. IBAN : BE95 3101 7735 2058 11h30 : “Le Guide du Voyageur”, guide incontournable Secrétariat des voyageurs au Congo belge par le Sénateur Alain Secrétaire : Andrée Willems Destexhe Cotisations 2019 Cotisation ordinaire : 25 €. Cotisation de soutien : 50 € 12h30 : Moambe du Chef Hofman Cotisation d’Honneur : 100 €. Cotisation à vie : 1.000 € 14h30 : Courts métrages sur la vie coloniale : Tous les membres reçoivent la revue. Léopoldville en 1958, le Jardin du Frère Gillet, L’action Compte bancaire de Mémoires du Congo (Pour les revues partenaires Tam-Tam, Contacts, Nyota et sociale de la Forminière et l’Université Lovanium. Bulletin, voir le compte bancaire de chaque association, en page 63). BIC : BBRUBEBB - IBAN : BE95 3101 7735 2058 Ne pas oublier la mention “Cotisation 2019” ou “abonnement 2019”. Les dames, sont priées, lors des versements, de bien vouloir utiliser le nom sous lequel elles se sont inscrites comme membres. Fichier d’adresses Si vous changez d’adresse, merci de nous communiquer vos nouvelles coordonnées et votre adresse mail. Merci également de communiquer l’adresse de toute personne intéressée à devenir membre de Mémoires du Congo et du Ruanda-Urundi ou à s’abonner à la revue. Simple abonnement à la revue Pour recevoir la revue, il suffit de virer 25 € au compte de l’association avec mention de l’adresse et de l’année. Publicité Tarifs sur demande, auprès du siège administratif Copyright Les articles sont libres de reproduction dans des publications poursuivant les mêmes buts que la revue source, moyennant mention du numéro de la revue et de l’auteur de la revue source, Cordiale invitation à tous de la part et envoi d’une copie de la publication à la rédaction. des amis portugais © 2019 Mémoires du Congo et du Ruanda-Urundi. Mémoires du Congo n°48 MdC asbl Décembre 2018 3
Carte blanche MAIN TENDUE À LA DIASPORA AFRICAINE DE BELGIQUE L'Administrateur de Territoire honoraire du Congo belge, André de Maere d’Aertrycke, en poste successivement à Rutshuru, Butembo et Beni, s’adresse directement à ses compatriotes d’origine congolaise, burundaise et rwandaise, en termes lucides, courageux et bienveillants, aux fins d’instaurer le dialogue que tout citoyen de bonne volonté souhaite. C PAR ANDRE DE MAERE D’AERTRYCKE (admda33@gmail.com) e n’est pas par hasard Nous comprenons la profonde que vos parents, frustration que ce triste constat vos grands-parents provoque en vous et vous amène ou vous-mêmes, à vouloir en attribuer la faute à nous, avez choisi notre Belges, allant jusqu’à adopter une pays, la Belgique, attitude haineuse à notre égard. comme terre d’ac- cueil. Notre passé Nous avons pourtant aussi beau- commun, avec ses abus incontes- coup souffert des mutineries et tables, ses inévitables maladresses des émeutes, survenues après leur et comportements regrettables, mais accession à l’indépendance, dans aussi et surtout, ses réalisations vos pays d’origine ; meurtres, viols, remarquables, qu’avec vous – com- humiliations, pillages et spoliations ment aurions-nous pu y arriver sans ne nous ont pas été épargnés. Nous vous ? – nous avons pu mener à aurions de ce fait toutes les raisons bien en l’espace de deux générations de vous en vouloir. André de Maere d'Aertrycke à peine, a créé entre nos peuples, pourtant si différents au départ, la mise en place des infrastructures Nous comprenons aussi votre dé- des liens inaltérables. indispensables à son développe- ception face à la discrimination ment durable, que ce soit en ma- dont vous êtes hélas encore sou- Car ce n’est pas rien, ce que nous tière d’enseignement et de soins vent victimes, que ce soit lors de avons pu réaliser ensemble ! Après médicaux, dispensés gratuitement la recherche d’un emploi ou d’un avoir mis fin aux razzias des escla- aux quatre coins du territoire, ces logement et que cela puisse aussi vagistes venus de l’Est africain et aux résultats extraordinaires suscitèrent attiser des sentiments haineux à cruelles guerres tribales qui sévis- à l’époque, l’admiration de tous. notre égard. saient avant notre arrivée, nous nous sommes attelés, avec vous et avec Hélas, les lendemains qui devaient Pourtant, ce n’est pas en ressassant la collaboration active de vos chefs chanter et que vous avaient promis nos griefs réciproques, que nous coutumiers, à la tâche exaltante de vos leaders, lors de l’accession de améliorerons notre sort. Faisons mener ce vaste espace que nous vos pays à l’indépendance, n’ont loyalement l’effort d’oublier nos ran- gérions au centre de l’Afrique, sur pas vu le jour et ne sont pas près cunes, de tourner la page du passé, la voie du progrès. Les résultats de d’advenir, loin s’en faut. Et c’est d’unir nos efforts et d’utiliser nos ces efforts, consentis en commun, pour échapper au triste sort qui compétences, dans le respect de nos furent spectaculaires. vous est réservé dans votre pays diversités, pour aller de l’avant, réso- d’origine, que vous avez décidé de lument, vers un monde meilleur ! ■ Que ce soit dans la mise en valeur le quitter et de venir chez nous, en des immenses richesses minières Belgique, dans l’espoir d’y mener dont regorgent vos pays d’origine, une vie meilleure. 4 Mémoires du Congo n°48 MdC asbl Décembre 2018
Société L’AFRIQUE CENTRALE A L’HONNEUR Par un heureux concours de circonstances, l’Afrique centrale a été mise à l’honneur à trois reprises en 2018. La République démocratique du Congo d’abord avec le prestigieux prix Nobel accordé à un de ses fils et l’élévation à la dignité de Bourgmestre de Ganshoren (Bruxelles) d’un Congolais devenu Belge, le Rwanda ensuite avec la nomination d’une de ses filles comme Secrétaire générale de la Francophonie. Cet honneur exceptionnel rejaillit quelque peu sur notre pays qui a eu l’avantage d’administrer les deux. La revue se joint au concert de félicitations. PAR FERNAND HESSEL F N D ils d’un pasteur ée en 1961 à e père kasaien protestant, De- Kigali dans et de mère nis Mukwege une famille kivutienne, est né Bukavu en Tu t s i , L o u i s e Pierre Kompany 1955. Il y fit ses Mushikiwabo ob- voit le jour à Coster- études primaires tient en 1984 un mansville (ancien et secondaires (di- diplôme d’anglais nom de Bukavu) plôme d’Etat en à l’université natio- en 1947. Il possède Denis MUKWEGE 1974), avant de se Louise MUSHIKIWABO nale du Rwanda à Pierre KOMPANY deux gènes domi- diriger vers des études de médecine, Butare. Elle quitte le Rwanda pour les nants : le football et la politique. Pour à l’Unikin d’abord, puis à la Faculté de Etats-Unis où elle fait des études d’in- le football, il le donnera en héritage à médecine du Burundi. terprétariat, ce qui lui sauvera la vie son fils Vincent. lors du génocide de 1994 où elle perdit Le diplôme en poche, il se met au ser- la plupart des membres de sa famille. Pour la politique, il en fait son affaire. vice de l’hôpital de Lemera, au sud de Au campus de Kinshasa où il fait des Bukavu. Dès 1984 il obtient une bourse Parfaite trilingue (kynyarwanda, fran- études d’ingénieur, il est actif dans la d’études pour suivre une spécialisation çais, et anglais), elle regagne le pays en contestation du régime mobutien ; et en gynécologie à Angers en France. 2008, après avoir épousé un Américain. échappe de justesse en 1969 au mas- Il parachève sa carrière universitaire Le président Kagame la nomme Mi- sacre d’une quarantaine d’étudiants en obtenant un doctorat en sciences nistre des Affaires étrangères et de la ayant fait mouvement du campus vers médicales à l’ULB. Coopération en 2009, poste qu’elle ne le rond-point de Ngaba. quittera qu’en 2018, quand sa candida- En 1975 il croit utile pour sa sécurité de Par son engagement, contre vents et ture au poste de Secrétaire générale de gagner la Belgique, où il finira, après marées politiques internes, il acquiert l’Organisation internationale de la Fran- des années de vaches maigres, par ob- une renommée mondiale, que l’attri- cophonie (OIF) est acceptée (Sommet tenir le statut d’exilé politique, et où il bution du Nobel de la Paix est venue XVII à Erevan en Arménie). parachèvera ses études d’ingénieur. couronner en 2018. A titre entièrement Son entrée en politique lui ouvrira les mérité. C. Braeckman lui a consacré un Sa nomination crée quelque remous du voies qu’il souhaite pour devenir Belge. ouvrage sous le titre qui deviendra sa fait que le Rwanda a adopté l’anglais Militant PS au départ, il passe à droite. carte de visite : L’homme qui répare les comme langue nationale en 2003. La femmes. Et T. Michel lui a consacré un France se fit nonobstant son meilleur Il déménage d’Etterbeek à Gansho- film éponyme. allié, non sans visée politique. Et les ren, où il finit par se hisser au poste Le bon docteur, modeste pour lui-même autres électeurs ont misé sur sa com- de bourgmestre, dès 2019. Homme de mais ambitieux pour ses malades, conti- pétence. consensus et d’humanisme, il ne tardera nue son action salutaire pas à imprimer sa marque. Photos tirées de Facebook Mémoires du Congo n°48 MdC asbl Décembre 2018 5
Economie L'INDUSTRIALISATION DU CONGO (7) Les agro-industries et les industries du bois De laborieux et constants efforts dans le domaine agricole ont permis de développer au Congo une agriculture performante qui permit d’une part, non seulement d’éviter les disettes et de nourrir les Congolais à leur faim, mais aussi d’exporter des surplus de denrées alimentaires et, d’autre part, d’assurer au pays des revenus conséquents grâce à une agriculture industrielle de produits mis sur le marché mondial. On vit ainsi se développer deux formes d’agricultures : une agriculture indigène centrée principalement sur les productions alimentaires et une agriculture européenne basée sur de grandes exploitations de produits destinés au traitement industriel ou à l’exportation. PAR PIERRE VAN BOST Au temps de l’Etat Indépendant d’agriculture tropicale furent organisés agricole de Gembloux, qui effectua du Congo (1885-1908) à l’école d’Horticulture et d’Agriculture une mission au Congo en 1896. Laurent de Vilvorde et quelques agents agri- émit de sérieuses critiques au sujet du A l'arrivée des Européens, tout était à coles et éleveurs de bétail partirent manque de formation des quelques faire dans le domaine de l'agriculture et au Congo, au service de l’Etat. Près agronomes envoyés au Congo ainsi Léopold II veilla à la mise en place de des stations de l’Etat on créa dix-huit que du peu de pouvoir de décision des tout un programme de développement stations expérimentales avec des plan- fonctionnaires quant aux plantations agricole. Avant de pouvoir mettre en tations de caféiers, de cacaoyers, de de l'Etat, entreprises parfois dans des valeur et développer les ressources lianes et d’arbres à caoutchouc, mais, terrains peu fertiles, si pas stériles. Il agricoles du pays, il fallut d’abord faute de personnel expérimenté, ces préconisa de fonder de nouveaux et établir un inventaire des possibilités, expériences se soldèrent par un échec. étudier les sols, la flore, la faune et La recherche agronomique prit une 1. Vue du Jardin botanique d’Eala. A droite la le climat. En 1889, sur insistance du nouvelle orientation avec Emile maison du directeur. Photo Jean Malvaux, Cdt Roi, des cours théoriques et pratiques Laurent, chargé de cours à l'Institut Dubreucq, “A travers le Congo Belge”, 1909 1 6 Mémoires du Congo n°48 MdC asbl Décembre 2018
importants postes agricoles dans de la constitution du sol, la flore, la faune En 1933 la tonne de coton chutait au meilleurs sols et de créer un important et les climats dans diverses régions. dixième de sa valeur, le cours du café jardin d'essai sous l'équateur, à Coquil- Durant la Première Guerre mondiale, Robusta tombait à 50% et la tonne hatville, le Jardin botanique d'Eala. Leplae introduisit la culture du coton d'huile de palme perdait plus de 70% ! Ce Jardin rendit de grands services à pratiquée par les indigènes. (2) La ruine des planteurs et des récol- l’agriculture au Congo. Il contribua à Pendant la Première Guerre mondiale, tants indigènes fut évitée par des la formation pratique et scientifique le Congo Belge s'acharna à travailler, mesures aussi audacieuses qu'éner- du personnel des plantations, il réa- produire et exporter. Cela se fit avec giques : réduction massive des coûts lisa l’acclimatation, la sélection et la succès, les exportations des produits de transports, suppression des droits diffusion de nombreuses essences végétaux grimpant de 19.000 tonnes de sortie et des taxes, création d'un et initia de nombreux Congolais aux en 1913 à plus de 53.000 tonnes quatre “Fonds d'assistance temporaire à l'Agri- méthodes modernes de culture. (1) années plus tard. culture”, instaurant un crédit agricole, Mais malgré tous ces efforts, les statis- En 1917, pour vaincre les carences permettant aux sociétés cotonnières tiques de l’Etat Indépendant du Congo de l’agriculture indigène, une ordon- d'acheter les récoltes indigènes au montrent que peu de progrès avaient nance-loi imposa aux chefferies in- prix d’avant la crise. été réalisés par l’agriculture entre les digènes de pratiquer, chaque année, En 1932, l’Université de Louvain créa années 1893 et 1908. à leur bénéfice exclusif, des cultures les Centres Agronomiques de Louvain vivrières ou de rapport. Cette pratique dans la Colonie, la Cadulac, dont le but Le Congo devenu belge que le Gouvernement appela “cultures premier était de former des assistants (1908-1960) éducatives” souleva de vives critiques, agricoles indigènes. Le principal centre certains y voyant un retour au temps fut installé à Kisantu. En 1908, la Belgique reprit le Congo si décrié de l’E.I.C. avec la récolte obli- En 1933, le roi Albert Ier chargea son et poursuivit en l’intensifiant la poli- gatoire du caoutchouc, mais elle allait fils, le prince héritier Léopold, d’une tique agricole entamée par Léopold toutefois déterminer l’orientation future mission au Congo Belge en vue d’y II. En 1910, on créa une “Direction de l’agriculture congolaise. étudier le développement de l’agri- générale de l'Agriculture » au sein du La hausse des cours des produits culture. ➟ ministère des Colonies dont la direction agricoles après la Première Guerre fut assurée par Edmond Leplae qui mondiale et les résultats encourageants s'attacha vingt-trois années durant au obtenus dans les stations expérimen- développement et au perfectionnement tales de l’Etat, attirèrent les capitaux 2. Edmond Leplae (1868-1941), directeur du service de l’Agriculture au sein du ministère des cultures et des élevages indigènes belges au Congo et de nombreuses des Colonies, vu ici avec des travailleurs et cela avec l'aide de stations de re- entreprises agricoles virent le jour. à Elisabethville en 1911, s’attacha 23 cherches totalement réorganisées. Il Hélas peu après, la crise économique années durant au développement et au fit installer des laboratoires, des sta- mondiale qui éclata à la fin de l’année perfectionnement des cultures et de l'élevage tions météorologiques et des centres 1929, toucha le Congo et l’agriculture indigènes. René J. Cornet, d’expérimentation chargés d’étudier congolaise fut cruellement atteinte. “Les Phares verts”, Ed. Cuypers, 1965 2 Mémoires du Congo n°48 MdC asbl Décembre 2018 7
Economie L'industrialisation du Congo (7) : les agro-industries et les industries du bois 4. Séchoir rotatif à café datant de 1929, à l’usine centrale de la Société Biaro. Rapport Biaro 1925- 1950. 4 A son retour, le Prince proposa l’éta- blissement d’un programme dont l’exécution fut confiée à un organisme scientifique, l’Institut National pour l’Etude Agronomique du Congo Belge, l’Inéac. (3) Pendant la Deuxième Guerre mondiale, les productions de coton et de noix de palme et de palmistes, s'intensifièrent. Après 1945, on passa de l'économie de guerre à un véritable boom, dont le moteur fut le Plan Décennal 1949- 1959. Cinq produits agricoles, le café, les fruits du palmier Elaeis, le coton, la mise en place de jeunes plants, les café apporta l’essor économique, ma- le caoutchouc et les bois, totalisaient colons se lançant dans cette culture tériel et social aux populations dans un tiers des exportations globales du devaient disposer de fonds suffisants les zones rurales où elle fut implantée. Congo. pour subsister pendant ces années. Heureusement, ils purent compter Les produits du palmier élaeis Le café sur l’aide financière de la Société du Les fruits du palmier se présentent en Le fruit du caféier est une baie qui Crédit au Colonat qui leur accorda des régime comportant des noix palmistes contient deux fèves : le café. Après prêts hypothécaires. Les coopératives formées d’une enveloppe pulpeuse récolte les baies sont traitées dans de planteurs et l’Inéac leur apportèrent oléifère, dont on extrait l’huile de une usine de conditionnement où un soutien technique et leur livrèrent palme, entourant un noyau dur qui elles sont séchées dans des séchoirs des plants sélectionnés. contient une ou plusieurs amandes mécaniques avant d'être décortiquées En 1958, les productions de café Ro- oléagineuses appelées amandes pal- pour séparer les fèves des coques. busta furent de 38.882 tonnes pour mistes, dont on extrait l’huile palmiste. Vers 1922, des entreprises privées ma- les plantations européennes et de En 1911, Lord Leverhulme comprit le nifestèrent de l’intérêt pour la culture 6.626 tonnes pour les plantations in- parti que son industrie du savon, le du café Robusta et la création de la digènes ; pour le café Arabica, elles groupe anglais Lever Brothers, pouvait Société des Exploitations Agricoles et furent respectivement de 7.276 et de tirer du Congo. Par convention passée Industrielles de la Biaro, en 1925, mar- 1.006 tonnes. A l'époque, le Congo avec le Gouvernement de la Colonie, qua le point de départ de l’extension Belge était le 10e producteur mondial il s’engagea à mettre en valeur des de cette culture. Quant aux plantations de café. L’extension de la culture du palmeraies naturelles et fonda à cet d’Arabica, elles débutèrent vers 1925- 1926 dans les régions élevées du Kivu et de l’Ituri. (4) La création et l’entretien d’une plan- tation de café demande une main- d’œuvre abondante qui n’était pas toujours disponible, ce qui mit un frein à l’extension de plantations. De plus, comme il faut plusieurs an- nées pour qu’une plantation devienne rentable, les premières récoltes de café ne pouvant se faire que trois ans après 3. Abri mycologique de l’Inéac à Yangambi. La photo montre des plantules de caféiers sur lesquelles on étudie expérimentalement la trachéomycose. F. Pierot, “Lumière sur l'Afrique belge”, 1958 3 8 Mémoires du Congo n°48 MdC asbl Décembre 2018
effet la Société des Huileries du Congo Léopoldville, Elisabethville et Lusambo. dans la fabrication de produits médi- Belge, les H.C.B., chargée d’aménager Dans les années 1930, le Gouverne- caux et de beauté. Il convient aussi ces palmeraies, de créer des usines et ment décida d’orienter l’agriculture de mentionner que l’Inéac joua un d’organiser le transport des produits indigène vers le paysannat et imposa rôle important dans l’amélioration du usinés. La convention imposait des aux planteurs congolais de créer des rendement des palmeraies. conditions assurant aux industries plantations de palmiers ; des accords et au commerce belges, ainsi qu’aux furent passés avec les entreprises euro- Le coton indigènes du Congo, de grands avan- péennes pour le traitement industriel Le fruit du cotonnier se présente sous tages. Les H.C.B. mirent en œuvre des de la production indigène. la forme d’une capsule déhiscente moyens considérables et, en 1919, outre En 1958, les entreprises européennes contenant des graines oléagineuses leur usine principale de Leverville, exploitaient 3.146 hectares de pal- couvertes de poils tégumentaires blancs elles possédaient au Congo 7 grandes meraies naturelles aménagées, les de longueur variable : le coton. usines à vapeur capables de traiter par indigènes en exploitaient 12.763 ; les Le coton récolté est séché au soleil sur an quelque 120.000 tonnes de noix plantations artificielles couvraient une des nattes ou des claies. Ce coton brut, de palme. En 1957, elles en avaient superficie de 235.757 hectares, dont appelé coton-graine, est livré pour vingt équipées de façon moderne, 88.700 appartenaient à des indigènes. traitement à une usine d’égrenage dont plusieurs électrifiées. Au début, la Les produits du palmier élaeis occu- qui retire les graines des fibres. Le société n’exploitait que des palmeraies paient en tonnage le premier rang coton-fibre ainsi obtenu est ensuite naturelles mais, à partir de 1935, elle parmi les exportations de produits pressé en balles de 100 kg. Le coton entreprit un programme d’établisse- végétaux de la Colonie et ils prenaient est la fibre naturelle la plus utilisée au ment de grandes plantations et, en une place de première envergure sur monde pour la fabrication de textiles. 1957, elle possédait plus de 40.000 le marché mondial, qu’ils approvision- Quant à la graine de coton, elle four- hectares de plantations de palmiers naient à concurrence d’un quart envi- nit par pression, de 12 à 15% d’huile sélectionnés. Dès leur implantation ron. Au cours du temps, les producteurs brute, 45% de tourteaux ou de farine dans le bassin congolais les H.C.B. se d’huile de palme au Congo n’ont pas de coton, 27% de coques et de 5 à 7% dotèrent d'une flotte fluviale et elles limité leurs efforts pour perfectionner d’un duvet de fibre très court, le linter, disposaient de leurs propres instal- les techniques d’extraction de l’huile, utilisé dans la fabrication d’explosifs. lations portuaires et de stockage à mais ils ont également porté leur action Après raffinage, l’huile est utilisée Léopoldville. (5) sur l’amélioration de la qualité de l’huile comme huile alimentaire ou de friture. De nombreuses entreprises suivirent produite. C’est ainsi que d’une matière Les résidus, acides gras éliminés lors les traces des H.C.B. et s’intéressèrent grasse à usage industriel, l’huile de du raffinage, trouvent, purifiés, un à l’exploitation industrielle du pal- palme était devenue un oléagineux débouché en savonnerie et le reste mier élaeis. A la veille de la Deuxième alimentaire des plus fins. est transformé en tourteaux pour Guerre mondiale, on dénombrait au L’huile de palmiste est utilisée dans l'alimentation du bétail. ➟ Congo 110 huileries mécaniques et la préparation des beurres végétaux 5. Usine et installations des Huileries du 218 huileries à bras. Il existait aussi et dans la confiserie. Soumise à un Congo Belge à Leverville, au Kwilu. Illustration trois huileries de palmistes, installées à raffinage spécial, elle intervient aussi Congolaise, 19334 5 Mémoires du Congo n°48 MdC asbl Décembre 2018 9
Economie L'industrialisation du Congo (7) : les agro-industries et les industries du bois réalisation. Leur rôle fut limité à de la Les exploitations forestières et Au Congo, la culture du coton était sous-traitance, travaillant à façon pour l’industrie du bois exclusivement pratiquée par des pay- le compte des planteurs qui restaient La forêt congolaise couvre approxi- sans indigènes dans le cadre de leurs propriétaires de leur coton jusqu’à sa mativement 120 millions d’hectares, activités familiales et faisait partie du vente sur les marchés mondiaux. [6] soit près de la moitié de l’ancienne système de rotation des cultures pro- Le traitement de la récolte de coton colonie. On y trouve des essences les posé par l’Inéac pour assurer la conser- était assuré, en 1957, par 12 sociétés plus variées pouvant fournir des bois vation des terrains. Les cultivateurs de européennes qui possédaient 102 aux usages les plus divers : menuiserie, coton bénéficiaient de l’assistance des usines d’égrenage et 11 huileries. ébénisterie, charpenterie, parquetage, sociétés cotonnières et de l’Etat qui se La Compagnie Cotonnière Congo- travaux hydrauliques, constructions chargea de la propagande cotonnière, laise, la Cotonco, la première socié- navales, bois de mines, traverses de de la distribution de graines provenant té cotonnière créée en 1920, avec la chemins de fer, marqueterie, tournage, de l’Inéac, de l’assistance d’agronomes participation de différents groupes tonnellerie, caisserie, déroulage et qui guidaient les indigènes dans le financiers belges, était la plus impor- tranchage. Cette forêt est une richesse choix des terres et enseignaient les tante de ces sociétés traitant à elle naturelle dont la mise en valeur n’était méthodes culturales. seule environ 60% de la production possible que dans les régions proches Le coton, produit d’exportation, n’avait totale de la Colonie. des cours d’eau et des axes de trans- de valeur que sur les marchés mon- ports. De plus, pour être rentable, une diaux qui en déterminaient les prix en En 1958, près de 830.000 Congolais exploitation forestière doit disposer fonction des cours influencés par le cultivaient du coton, les superficies sous d’une main-d’œuvre importante ou mécanisme de l’offre et de la demande. culture avoisinaient les 340.000 hec- d’un matériel suffisamment abondant Pour amener le coton sur le marché tares et la production de coton-graine et perfectionné pour assurer un travail mondial, il doit être conditionné, em- fut de 142.495 tonnes. Cette année-là, rationnel et continu. ballé, transporté. le Congo Belge exporta 34.410 tonnes Aussi, désireux d’éviter le gaspillage du de coton-fibre, 1.359 tonnes de linters capital ligneux et de la main-d’œuvre, Des sociétés cotonnières achetaient le et 320 tonnes de déchets. Il exporta en l’Etat n’encouragea que les exploitations coton-graine à des conditions fixées outre 5.796 tonnes d’huile de coton. disposant de capitaux importants. chaque année par le Gouvernement La valeur à l’exportation du coton, y Aussi, longtemps l’exploitation fores- et elles en assuraient l’égrainage, le compris celle des tourteaux et d’huile, tière se limita à l’ouverture de petits conditionnement, le transport et la représentait un peu plus d’un milliard chantiers où le bois nécessaire aux de francs, soit quelque 6% des ex- besoins locaux était débité à la main 6. Salle d’égrenage de l’usine de la Cotonco portations totales de la Colonie. Une par des scieurs de long. Peu à peu, des à Businga, dans le territoire de Banzyville. F. partie du coton produit était utilisée scieries mécaniques ont été installées Pierot, “Lumière sur l'Afrique belge », 1958. par l'industrie textile congolaise. dans différentes régions fournissant 6 10 Mémoires du Congo n°48 MdC asbl Décembre 2018
poutres, charpentes, planches néces- placages tranchés, des fabriques de tation excessive et l’érosion qui en est saires à la construction de bâtiments meubles en divers endroits du Congo très souvent le corollaire. et à la fabrication de meubles. (7) et, au Maniema, une scierie débitant L’Inéac collabora avec le secteur des Les Compagnies de transport fer- des traverses de chemins fer destinées bois congolais pour rechercher des roviaire et fluvial étaient autorisées à l’exportation vers l’Afrique du Sud. solutions aux problèmes de l’exploi- à couper sur les terres domaniales Quelque 1.600 entreprises diverses tation des richesses forestières, de non occupées ni mises en culture le vivaient de la sylviculture ainsi que l’aménagement et de la conservation bois nécessaire à la construction et à des industries de transformation et des forêts, ainsi qu’au problème de l’entretien des lignes et de leurs dé- du commerce du bois. (8) la déforestation et de la dégradation pendances ainsi que pour la chauffe Bien que moins de 2% de la forêt des sols. des chaudières des bateaux et des congolaise était réellement exploité, A suivre ■ locomotives à vapeur. le Gouvernement jugea nécessaire de Après la Deuxième Guerre mondiale, prendre des mesures de protection l’industrialisation des exploitations pour préserver le capital sylvestre du 7. La scierie à vapeur de la Compagnie des Chemins forestières s’est largement développée pays. La sauvegarde des richesses fo- de Fer des Grands Lacs à Stanleyville, mise en et de nouvelles activités virent le jour, restières fit l’objet des préoccupations service en 1904. “Le Congo – Moniteur colonial”, 1905. entre autres des usines de tranchage, des pouvoirs publics, conscients des de déroulés, de contreplaqués, de dangers que comportent une défores- 7 Plan de l’étude complète 1. Introduction (n°42) 2. Transports (n°43) 3. Industries minières A UMHK (n°44) 4. Industries minières B (n°45) 5. Industries minières C (n°46) 6. Sources d'énergie (n°47) 7. Agro-industries (n°48) 8. Industries de transformation A (n°49) 9. Industries de transformation B (n°50) 10. Industries de transformation C (n°51) 11. Le colonat (n°52) 12. La Main-d’œuvre indigène (n°53) 8. Usine de contreplaqués de Lukula, 8 déroulage d’une grume. DR. Mémoires du Congo n°48 MdC asbl Décembre 2018 11
Culture PATRIMOINE SWAHILI (2b) Pour bien fixer les idées, arrêtons-nous un instant à l’étymologie du mot culture, tiré du latin “colere”, terme qui signifie à la fois habiter et honorer. L PAR EMILY BEAUVENT (Texte et photos) a culture dans le sens d’ha- moins comme nous. C'est alors un Zanzibar ou des Comores, formaient biter est fixe, limitée à un bien précieux qu’il faut protéger et une unité de culture prospère et re- ensemble de gens (ethnie, soigner : ne pas perdre les traditions, nommée. Ces populations parlent des nation, collégialité, terroir, plutôt les mettre sous cloche. Mais si langues voisines, variantes du kiswa- village) liés par un certain on met une culture sous cloche, ne hili, et partagent un certain nombre nombre de faits : langue, contribue-t-on pas à sa disparition ? de valeurs propres. traditions (comment cuire Et enfin, colere signifie honorer, véné- C'est avant tout une culture urbaine, le poisson, quand mettre rer. C'est ici que ça peut mal tourner : africaine et musulmane. Nous envisa- un chapeau, quel dieu honorer dans si nous vénérons notre culture, nous gerons donc cette culture d’Afrique de telle et telle circonstances, mémoire allons en faire un culte, un sentiment l’Est un peu à la manière d’un inven- collective, sens du beau …). Elle est identitaire qui part de "notre poisson taire à la Prévert ... sans le raton-laveur ! constamment évolutive, mouvante et est mieux cuit" et arrive à "notre culture changeante (phénomènes d'accultu- est meilleure". 1) La langue ration par exemple et tout simple- On entre dans une hiérarchie et on Le kiswahili est né sur la côte d'Afrique ment, passage du temps). Elle peut ouvre la porte à tous les nationalismes... orientale, fruit de la symbiose de être adoptée par d'autres, surtout Le terme swahili viendrait de sawahil, peuples d'origines diverses. Il appar- dans ses aspects les plus superficiels pluriel du mot arabe sahel qui signi- tient à l’ensemble linguistique bantou ; mais s'exporte malaisément. L’autre fie côte ou frontière. Les populations c’est la langue de l’Afrique noire qui traduction est cultiver, soigner, proté- concernées sont d’origine bantoue compte le plus grand nombre de lo- ger. La culture, partagée par tout un avec des apports arabes et, dans une cuteurs (langue maternelle et langue groupe, rassure : on n'est pas seul, moindre mesure, persans et indiens. seconde). On y retrouve aussi des mots on a toujours des compatriotes, des Les cités-États côtières comme Mom- arabes notamment dans les chiffres coreligionnaires qui pensent plus ou basa, Kilwa, Lamu, et les archipels de mais aussi des mots indiens baloutches, 1. Bois de mangrove et briques de corail à Lamu (Ke). 12 Mémoires du Congo n°48 MdC asbl Décembre 2018
des mots portugais, anglais… Le fait de parler cette langue définit de nos jours une communauté composée de personnes attachées à leurs traditions historiques et sociales propres. En Tanzanie, elle est la langue nationale, alors qu’au Kenya, elle se place après l’anglais. À l'intérieur du continent, elle est utilisée à des degrés divers jusque dans l'Est du Congo, de Kisangani à Lubumbashi, mais aussi au nord de la Zambie. Cette extension géographique explique la grande variété dialectale du kiswahili, qui est encore renforcée par les traditions culturelles locales. 2) La littérature Le plus ancien document écrit en langue swahilie et en caractères arabes est la lettre d’une sultane datée de 1711. D’autres lettres du XVIIIe rédigées à Kilwa étaient destinées à des Portu- gais du Mozambique. Le plus ancien poème rédigé en kiswahili daterait du XVIIe siècle, mais nous n’en possédons pas le manuscrit original. La fameuse 2. Plafond en bois de mangrove Chronique de Kilwa, mise par écrit vers 1520, fut rédigée en arabe. Les inscriptions et pièces de monnaie an- ciennes sont toutes en graphie arabe. Les Swahilis commencèrent donc pro- bablement à retranscrire leur langue, à l'aide de l'alphabet arabe, vers les XVIe - XVIIe siècles. 3) L’architecture L’architecture swahilie est née vers le Xe siècle... Il reste très peu de traces des origines. Il faut se référer aux nombreuses ruines de la côte à Gede, Juma, Mnarani, Mafia, Pemba, Songo Mnara... Mais les constructions ont utilisé et utilisent toujours les mêmes matériaux de base que sont le bois de mangrove et le corail (1). Le plus beau corail est débité en “briques” et sert à l’élévation des murs. Le corail plus médiocre est brûlé au charbon de bois pour livrer la chaux qui recouvre les murs et le stuc dans lequel sont creu- sées les zidaka (niches) qui décorent les intérieurs. La structure du bois de mangrove conditionne la largeur des 3. Baraza à Zanzibar constructions aux pièces longues et ➟ Mémoires du Congo n°48 MdC asbl Décembre 2018 13
Culture Patrimoine swahili (2b) étroites. (2) Les Swahilis ont depuis rez-de-chaussée – qui disposent de de milliers de petits clous à tête de longtemps d’excellentes notions d’ur- peu de ventilation – sont réservées cuivre.” Emily RUETE (1894-1924), banisme ; on trouve dans leurs villes aux serviteurs et à l’entrepôt pour Princesse Salme, fille du sultan de des canalisations d’eau, des égouts, les marchandises et les produits des Zanzibar. des salles d’eau et des toilettes dans plantations. Plus on monte les étages S’agissant des portes, la coutume veut les maisons… La maison commence, plus l’habitat devient noble. “Chez les qu’avant de construire une maison, on au niveau de la rue, par le banc de personnes riches et d’un rang élevé, choisisse d’abord la porte qui caution- pierre, “baraza” (3), qui flanque la les chambres sont garnies de tapis nera le statut social du propriétaire… monumentale porte d’entrée et qui de Perse ou de nattes les plus fines. Il semble que ces portes fassent bien joue un important rôle social. On s’y Les murs épais et blanchis à la chaux, partie d’une vieille tradition de la côte assied pour engager la conversation sont garnis depuis le bas jusqu’en haut swahilie. Au XVIe siècle, le Portugais avec les voisins ou les passants… La de somptueuses niches partagées en Duarte Barbosa mentionne dans son maison swahilie s’organise vers l’in- compartiments et dont les tablettes, “Livro” les belles portes sculptées de térieur, depuis le porche de l’entrée formant étagères, supportent les plus “daka” où le maître de maison reçoit jolis et les plus précieux bibelots : cris- avec une tasse de “çay” ou de “kawa” taux de prix, poteries élégantes, fines accompagnée du “halwa”, pâte su- porcelaines artistement décorées… crée délicieuse. Puis, à travers la cour, Dans un coin de la chambre s’élève jusqu’à “n’dani”, la chambre du chef de un grand lit de bois de rose dont les famille, à la décoration très élaborée admirables sculptures sont dues à l’art et enfin jusqu’aux chambres parallèles indien. Une mousseline ou un tulle et étroites, de plus en plus sombres blanc l’enveloppe tout entier. Les lits au fur et à mesure que l’on s’éloigne sont très élevés sur pieds, en sorte que du puits de lumière. Les maisons de pour y accéder, on doit monter sur Stone Town à Zanzibar (Unesco) et une chaise ou user de la main d’une de la ville de Lamu (Kenya) reflètent femme de chambre comme échelon aujourd’hui ce que devaient être les naturel. L’espace sous le lit est souvent villes portuaires d’autrefois. utilisé pour coucher soit la nourrice Leurs hautes maisons délimitent des d’un enfant soit une garde-malade... (5) ruelles étroites qui préservent de la Les tables sont rares et ne se trouvent chaleur (4). que chez les personnes de rang élevé; Comme l’ancienne maison des Swa- mais il y a beaucoup de sièges de hilis, la demeure suit une structure toutes sortes et de toutes couleurs. (6) tournée vers l’intérieur. La “beyt” est organisée autour d’une cour centrale à Nous avons aussi des armoires, des ciel ouvert qui permet à la lumière et commodes garnies de carreaux de à l’air de se répandre dans les étroites faïence (7) et une sorte de bahut en chambres et les étages. Les pièces du bois de rose joliment travaillé et orné 4. Ruelle à Lamu 5. Lit 6. Divan 14 Mémoires du Congo n°48 MdC asbl Décembre 2018
Kilwa qu’il a admirées lors de son pé- vention purement locale à partir de des Grands Lacs. Elle est étroitement riple dans l’Océan Indien. Avec l’abon- formes architecturales peut-être préis- liée à la culture et au mode de vie dance du bois et la maîtrise acquise par lamiques. Même si l’Islam ne favorise swahili. Le taarab est semblable à les artisans dans le travail du stuc, les pas cette personnalisation des tombes, une poésie chantée. En arabe, le mot portes font naturellement partie des certaines étaient très élaborées avec désigne une émotion d’une grande maisons swahilies. Une porte typique des parois gravées comme les murs ampleur, une communion des sens est rectangulaire, dans un bois de teck des maisons et incrustées d’assiettes qui emporte l’âme dans le tourbillon résistant au climat et aux termites. Elle importées d’Orient. Une citation du de la musique. Il parle d’amour et de est double avec un montant central et Coran pouvait en achever le décor. (9) relations humaines mais il est aussi une chaîne et les panneaux ne sont utilisé pour éviter les conflits ou les pas sculptés. Le cadre et le linteau 4) La musique disputes au sein de la communauté. en font toute la beauté artistique. La Le Taarab est un genre musical très Souvent des poèmes anonymes sont porte est l’expression de la culture de populaire à Zanzibar mais aussi en adressés aux orchestres qui y puiseront l’Océan Indien, étroitement liée au Tanzanie et au Kenya. Il utilise les leur nouveau répertoire. commerce et aux dhows des mous- instruments les plus hétéroclites : le sons. Des motifs sculptés à la poupe qanun indien (10), cithare à 72 cordes 5) La vie quotidienne des dhows s’invitent sur les linteaux qui repose à plat et que l’on effleure L’heure comme le poisson ou les vagues tandis comme une harpe, les tambourins, le Un des aspects des plus anecdotiques que les dessins de chaînes évoquent la violon et l'accordéon qui lui donnent de la culture swahilie est la gestion du sécurité. Des rosettes et des fleurs de un touche occidentale, l’oud (man- temps. À 6 heures, heure du lever du lotus venues de l’Inde voisinent avec doline) et le dumbek (percussion) du soleil, correspond la première heure des dattes de Somalie ou d’Arabie pour Moyen-Orient, et enfin des tambours du matin, à 18 heures, heure du cou- exprimer l’abondance et la santé. (8) africains qui donnent le rythme… cher du soleil correspond la première Quant aux tombes à piliers, elles ne Née à la cour des sultans omani, cette heure de la nuit. Ainsi 3 heures du se rencontrent nulle part ailleurs dans musique est influencée par l’Egypte, jour correspond à 9 heures du système le monde musulman et sont une in- le Moyen Orient, l’Inde et… l’Afrique international ! ➟ 7. Zidaka et armoire à décor de faïence 8. Porte à Zanzibar Mémoires du Congo n°48 MdC asbl Décembre 2018 15
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