Les coulisses de la quantification des langues I retroscena della quantificazione delle lingue Davos las culissas da la quantificaziun da linguas ...
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Les coulisses de la quantification des langues — I retroscena della quantificazione delle lingue — Davos las culissas da la quantificaziun da linguas — Hinter den Kulissen der Quantifizierung von Sprachen Executive Summary Alexandre Duchêne, Renata Coray, Philippe Humbert 2019 Illustration originale d'Oncle Phil, © tous droits réservés, 2018
Les coulisses de la quantification des langues Executive Summary — I retroscena della quantificazione delle lingue Sommario esecutivo — Davos las culissas da la quantificaziun da linguas Executive Summary — Hinter den Kulissen der Quantifizierung von Sprachen Executive Summary Alexandre Duchêne, Renata Coray, Philippe Humbert 2019 — Rapport du Centre scientifique de compétence sur le plurilinguisme Rapporto del Centro scientifico di competenza per il plurilinguismo Rapport dal Center scientific da cumpetenza per la plurilinguitad Bericht des Wissenschaftlichen Kompetenzzentrums für Mehrsprachigkeit
Index Français Les coulisses de la quantification des langues 7 Rumantsch Davos las culissas da la quantificaziun da linguas 43 1 Contexte, objectifs et méthodes 8 1 Context, finamiras e metodas 44 2 Aperçu des résultats de recherche 11 2 Survista dals resultats da la retschertga 47 2.1 Histoire de la statistique officielle des langues en Suisse 11 2.1 Istorgia da la statistica uffiziala da las linguas en Svizra 47 2.2 Les défis de la réalisation d’une nouvelle enquête statistique 2.2 Las sfidas d’ina nova enquista statistica uffiziala davart officielle sur les langues 13 las linguas 49 2.3 Le traitement médiatique des statistiques linguistiques 19 2.3 Il resun medial da las statisticas linguisticas 55 3 Conclusion 22 3 Conclusiun 58 4 Bibliographie 80 4 Bibliografia 80 5 Abréviations 81 5 Abreviaziuns 81 Italiano I retroscena della quantificazione delle lingue 25 Deutsch Hinter den Kulissen der Quantifizierung von Sprachen 61 1 Contesto, obiettivi e metodi 26 1 Kontext, Ziele und Methoden 62 2 Panoramica dei risultati della ricerca 29 2 Übersicht der Untersuchungsresultate 65 2.1 Storia della statistica ufficiale delle lingue in Svizzera 29 2.1 Geschichte der offiziellen Sprachenstatistik in der Schweiz 65 2.2 Le sfide di una nuova inchiesta statistica ufficiale sulle lingue 31 2.2 Die Herausforderungen einer neuen offiziellen statistischen 2.3 Il trattamento mediatico delle statistiche linguistiche 36 Sprachenerhebung 68 3 Conclusione 40 2.3 Die mediale Verarbeitung der Sprachenstatistiken 74 4 Bibliografia 80 3 Schlussfolgerungen 77 5 Acronimi 81 4 Bibliografie 80 5 Abkürzungen 81
← Index 6 Français 7 Les coulisses de la quantification des langues Executive Summary — Alexandre Duchêne, Renata Coray et Philippe Humbert
← Index Les coulisses de la quantification des langues 8 Les coulisses de la quantification des langues 9 1 les réponses. Finalement, nous avons exa- tions des questions sur les langues dans les miné comment les chiffres publiés par les recensements, de même que nous avons exa- Contexte, objectifs et méthodes autorités circulent dans des sphères d’in- miné les débats et rapports d’expertise qui fluence, telles que les médias et le champ ont conduit à la modification de certaines politique, et la manière dont ils sont appro- formulations ou encore au changement des Les recensements des langues constituent tés quantifiables. Quantifier les langues n’est priés et/ou contestés. modes de récoltes de données. un des piliers fondamentaux dans la repré- pas un processus neutre, cela implique des Cette recherche, dont nous dégageons Le deuxième corpus est composé de don- sentation du plurilinguisme helvétique. Ancrées décisions méthodologiques ancrées dans cer- les principaux résultats dans cette synthèse, nées ethnographiques récoltées lors de notre dans une tradition de plus de 150 ans, les taines conceptions du langage sur lesquelles s’est organisée autour de trois grands axes travail de terrain qui consistait à accompa- statistiques linguistiques officielles servent les linguistes eux-mêmes sont en désaccord d’investigation. Un axe historiographique qui gner et à documenter la réalisation d’une à définir la composition linguistique du ter- (qu’est-ce qu’une langue ? en quoi le dialecte a cherché à mettre en évidence les grandes nouvelle enquête statistique sur les langues : ritoire. C’est entre autres à l’aide des sta- est-il différent du standard ? qu’est-ce que étapes de l’évolution historique des statis- l’Enquête sur la langue, la religion et la culture tistiques que les autorités dessinent les le plurilinguisme ? etc.). Ces décisions ne sont tiques sur les langues en Suisse. Un axe eth- (ELRC). Cette enquête s’inscrit dans une série contours des frontières linguistiques et pas sans conséquence. En fonction des ques- nographique qui a examiné la manière dont de développements méthodologiques à l’OFS. observent l’évolution démographique des tions que l’on pose, de la manière dont on les s’élabore une enquête statistique sur les Depuis 2010, le traditionnel recensement de communautés linguistiques à travers le ter- formule, et du type de récolte et de traitement langues, ceci en documentant les différentes la population décennal est remplacé par un ritoire. En Suisse, nous sommes régulière- que l’on fait des données, les statistiques obte- étapes d’une enquête contemporaine (rédac- nouveau système de récolte de données com- ment confrontés à ces chiffres qui sont consul- nues contribuent à rendre certains groupes tion du questionnaire, passation de l’enquête, binant plusieurs sources et méthodes. Outre tés par de nombreux·ses acteur·trice·s d’individus ou certaines pratiques plus visibles, traitement des données). Et finalement un les registres des habitant∤e∤s, et le relevé sociaux·ales. Ils font partie de notre paysage ou au contraire à les effacer du paysage lin- axe médiatique dans lequel nous avons étu- structurel (une enquête par échantillonnage scientifique, médiatique et politique, et font guistique national. dié les diverses appropriations des résul- annuel), l’OFS propose chaque année une souvent l’objet d’âpres débats politiques et C’est pourquoi nous avons cherché dans tats tels qu’ils circulent dans l’espace public. analyse thématique approfondie. En 2014, scientifiques, révélant des divergences sur ce projet (effectué au Centre scientifique de Le premier corpus, à savoir les données l’OFS a réalisé pour la première fois l’étude ce qui compte comme « francophone », comme compétence sur le plurilinguisme de Fribourg, historiographiques (de 1850, date de la publi- ELRC qui sera répétée tous les cinq ans. Cette « plurilingue », comme « dialectophone », etc. 2014-2017), à mieux comprendre l’activité cation des premières statistiques des lan- étude inclut un important volet sur les lan- Fondamentalement, ils viennent interroger de compter les langues, les locuteur∤trice∤s gues en Suisse, à nos jours), est constitué gues en Suisse. Nous avons eu l’opportunité ce qui fait la particularité de la Suisse, à et les pratiques langagières. Nous nous sommes de documents d’archives, de publications de suivre l’élaboration et la réalisation de savoir sa diversité linguistique, à laquelle intéressés à ce qui se passe dans les cou- officielles du gouvernement et du parlement cette enquête en qualité d’observateur∤trice∤s est associée un imaginaire national et une lisses de chiffres que nous côtoyons quoti- fédéral (Feuille Fédérale, Bulletin officiel de participant∤e∤s (nous avons à plusieurs reprises certaine idée de la cohésion sociale. diennement en tant que citoyen∤ne, cher- l’Assemblée fédérale, etc.), ainsi que de publi- été consulté∤e∤s et avons fourni à l’OFS des Le point de départ de ce travail n’est pas cheur∤e, journaliste ou encore politicien∤ne. cations et de documents de l’Office fédéral rapports périodiques). Les données analy- stricto sensu statistique, il est avant tout Nous avons cherché à comprendre quels sont de la statistique (OFS) (rapports méthodo- sées sont constituées de notes de terrain sociolinguistique. Si les chiffres sont consti- les raisonnements qui, au fil de l’histoire, logiques, matériel de recensement, etc.). Nous prises durant des séances de discussions tutifs d’une certaine image de la Suisse, ils président à la réalisation de statistiques lin- avons par ailleurs enrichi ce corpus d’entre- avec l’OFS, de focus-groupes durant lesquels posent une série de questions à la fois lin- guistiques, quelles conceptions du langage, tiens d’expert∤e∤s ayant pris part à des recen- les enquêteur∤trice∤s et les superviseur∤e∤s guistiques et politiques. En effet, nous le savons, des langues, du plurilinguisme se donnent à sements ou les ayant suivis de près. Nous de l’institut de sondage expliquent leurs pour quantifier les pratiques langagières, il voir dans la production et passation de ques- avons étudié de manière systématique, en méthodes de travail, de notes de terrain prises est nécessaire de catégoriser ce qui compte tionnaires sur les langues et quels défis ren- nous appuyant sur des analyses textuelles par plusieurs chercheur∤e∤s assis∙e∙s à côté comme langue ou non, de réduire des phéno- contrent les personnes qui répondent aux (Bauman & Briggs, 1990 ; Park & Bucholtz, des enquêteur∤trice∤s durant 150 entretiens mènes sociolinguistiques complexes en uni- questions, de même que celles qui administrent 2009), les diverses formulations et défini- téléphoniques, ainsi que des documents ins-
← Index Les coulisses de la quantification des langues 10 Les coulisses de la quantification des langues 11 titutionnels liés à la conception et à la pas- tats ont été interprétés par les acteur∤trice∤s 2 sation du questionnaire. De plus, nous avons médiatiques, pour finalement nous concen- pu enregistrer les 150 interactions télépho- trer sur la manière dont cette diffusion a été Aperçu des résultats de recherche niques de l’enquête (en français, en (suisse-) débattue par différents groupes d’intérêt. allemand et en italien) que nous avons ensuite Cette démarche1 et les questionnements transcrites. Les réponses telles qu’elles ont qui jalonnent notre étude nous permettent été codifiées dans la base de données de ainsi de proposer une lecture sociolinguis- l’OFS ont été mises en relation avec les inter tique des statistiques sur les langues, de 2.1 structurel annuel, composé d’un échantillon actions. Nous avons alors analysé les défis dégager les grands défis conceptuels sous- Histoire de la statistique d’au moins 200 000 individus âgés de 15 ans rencontrés par les concepteur∤trice∤s, les jacents au processus même de compter des officielle des langues en Suisse et plus qui se voient sollicités pour remplir enquêteur∤trice∤s, les répondant∤e∤s et les langues et des locuteur∤trice∤s, de même que un questionnaire. Les questions linguistiques statisticien∤ne∤s, mobilisant ainsi à la fois les de saisir la portée politique de recenser les Développement historique des modes de sont maintenues dans le relevé structurel et outils de l’analyse des interactions verbales langues dans un territoire où la diversité lin- relevés statistiques sur les langues une enquête thématique (ELRC) est conduite (Traverso, 2008) et de l’analyse ethnogra- guistique est constitutive de l’image de la en 2014 afin de documenter plus en détail phique des enquêtes sociales (Cicourel, 1964 ; nation. Chargé de fournir des informations quanti- les pratiques langagières en Suisse. Merry, 2016). tatives sur l’évolution et l’état de la popula- Ces différentes manières de sonder la Le troisième corpus, les données média- tion, c’est en 1860 que l’OFS voit officielle- langue créent différents effets de saillance tiques, englobe principalement des coupures ment le jour en Suisse sous le nom de « Bureau sur les groupes de locuteur∤trice∤s rendus de presse répertoriées dans les archives de fédéral de statistique » (voir Busset, 1993, visibles ou non. Compter les langues sur la l’OFS et d’autres archives de presse. Le cor- et Jost, 2016, pour l’histoire des statistiques base de la langue utilisée par la commune pus de presse a porté sur la période de 1990 et des recensements de la population suisse). posait des problèmes dans des communes (moment où les questions du recensement Depuis cette date, plusieurs manières de avec des habitant∤e∤s de langues différentes ont connu une évolution majeure, cf. infra) à compter les langues ont été envisagées. Les (notamment dans des régions à la frontière nos jours (incluant la réception de l’enquête premières données statistiques sont élabo- linguistique). Recenser les langues au tra- ELRC 2014). Par ailleurs, pour les produits rées sur la base de la langue de la commune vers des ménages ne permettait pas de rendre médiatiques liés aux résultats de l’ELRC 2014, (1850, avant l’existence officielle de l’OFS) compte de nombreux∤ses locuteur∤trice∤s nous avons élargi notre récolte aux journaux et de la langue parlée dans les ménages (1860- logeant dans un ménage, p. ex. germano- télévisés et radiophoniques. À la croisée des 70). C’est en 1880 qu’une question linguis- phones, mais qui parlaient une autre langue intérêts des politiques, des médias et du tique sur la « langue maternelle » est intro- comme l’italien ou le romanche. Le recense- public, ces données ont donné lieu à une duite dans le recensement et donc posée de ment général dès 1880 a permis de rendre analyse des discours médiatiques d’inspira- façon systématique à tou∤te∤s les habitant∤e∤s, compte de cette population. Par ailleurs, la tion foucaldienne (Keller, 2011). Nous avons de manière individuelle. La question linguis- disparition du recensement au profit du relevé alors observé quels aspects des résultats tique sera maintenue (avec des variantes de structurel dès 2010 a entraîné, quant à elle, de l’OFS sont sélectionnés par les médias formulation, cf. infra) dans le recensement un problème inhérent à l’introduction de la (ou non) et trouvent un écho (ou non) dans général jusqu’en 1980. Dès 1990, cette ques- méthode par échantillonnage, en particulier l’espace public. Nous avons par ailleurs ana- tion est accompagnée de deux questions com- pour les groupes linguistiques de petite taille lysé la manière dont ces sélections théma- plémentaires concernant les pratiques lan- (voir Coray, 2017a et 2017b, pour le romanche). tiques ont été traitées et comment les résul- gagières dans deux domaines (à la maison et Il en va de même pour l’ELRC qui s’appuie sur au travail/à l’école). En 2010, le recensement un échantillonnage plus réduit encore. 1 Pour de plus amples informations concernant la méthodologie, cf. Duchêne, Humbert & Coray, 2018. exhaustif est abandonné au profit d’un relevé
← Index Les coulisses de la quantification des langues 12 Les coulisses de la quantification des langues 13 Développement historique des concepteur∤trice∤s précisent les caractéris- Elles estiment qu’il est préférable d’éviter le le plurilinguisme et la diglossie, qui deviennent questions sur les langues tiques définitoires de cette locution en insis- terme « maternel », car celui-ci suscite trop de plus en plus des sujets de débats écono- tant déjà sur le fait qu’il s’agit de « la langue d’émotions et ne rend pas compte des véri- miques et politiques. De même que les manières de récolter des dans laquelle on pense », celle qu’on « utilise tables pratiques des individus, mais plutôt Ce bref aperçu historiographique sou- données ont évolué à travers le temps, celles le plus volontiers dans le contexte familial » de leur sentiment d’appartenance familiale. ligne combien l’évolution de la statistique de poser des questions sur les langues ont et « le plus couramment ». Dès 1950, la défi- A la locution « langue maternelle » est préfé- des langues en Suisse constitue une forme également pris des formes diverses au fil des nition de la « langue maternelle » est reformu- rée celle de « langue principale ». Au même de miroir de l’histoire sociale et politique des années. Notre analyse historiographique a lée (en opérant une réduction des critères) moment, deux questions sont ajoutées sur idées sur les langues. La manière de récol- permis de dégager différentes étapes de for- comme suit : « la langue dans laquelle on pense les langues « habituellement parlées à la mai- ter les données, la terminologie, la définition mulation que nous décrivons brièvement ici. et que l’on possède/maîtrise le mieux ». L’idée son/avec les proches » et « au travail/sur le de la langue ou encore le nombre et l’ordre Le recensement de la langue dite « mater- de vérifier le degré d’intégration, voire d’as- lieu de formation », permettant pour la pre- de passation des questions produisent des nelle » dès 1880 coïncide avec le relevé des similation linguistique, des individus par le mière fois d’obtenir des résultats sur le plu- effets – certes de calculs – mais aussi de données linguistiques au niveau individuel. biais de cette question se concrétise : une rilinguisme et la diglossie, puisque les répon- sens, permettant de donner à voir un certain L’usage du terme « maternel » s’inscrit dans personne ayant grandi en parlant (suisse-) dant∤e∤s ont la possibilité de distinguer leurs type de paysage linguistique s’articulant à une volonté politique d’associer la question allemand qui déménagerait en territoire fran- pratiques langagières en indiquant l’utili- un certain imaginaire national au même titre linguistique aux origines des répondant∤e∤s. cophone resterait ainsi identifiable, dans la sation d’un/plusieurs standards et d’un/plu- qu’il soutient des enjeux politiques (voir Hum- Dès le début, la question de la « langue mater- mesure où même si elle s’exprimait en fran- sieurs dialectes suisses. L’apparition de ces bert, 2018, pour l’imaginaire linguistique nelle » affiche son objectif d’identifier les çais, on partirait du principe qu’elle pense deux questions concorde avec une volonté cartographique). La diversification du p aysage résident∤e∤s suisses et étranger∤ère∤s pro- toujours en (suisse-)allemand. Avec le temps, politique de soutenir scientifiquement et linguistique helvétique induit une complexi- venant de territoires linguistiques différents. il se pourrait toutefois que cette même personne politiquement l’importance du plurilinguisme fication dans la manière de compter les lan- La question sur la langue maternelle est intrin- se mette à penser en français, donc qu’elle en Suisse. Cependant, la première question gues. En ce sens, la nouvelle enquête ELRC sèquement inscrite dans une conception change de langue et « s’assimile » – pour de la langue principale reste encore formu- constitue un terrain d’investigation sans pré- monolingue et mono-variétale, les répon- reprendre un terme déjà utilisé à l’époque – lée au singulier, empêchant les répondant∤e∤s cédent, nous donnant accès à l’élaboration dant∤e∤s ne pouvant inscrire qu’une seule à la majorité linguistique de son milieu. En de se déclarer et de se définir comme bilingue en temps réel d’une enquête statistique. langue (ce qui restera le cas jusqu’en 2010) Suisse, c’est par le biais de la langue de la ou plurilingue. Ce n’est qu’en 2010 qu’il sans pouvoir faire de distinction entre dia- pensée – conçue comme celle que l’on sait devient possible d’indiquer plusieurs « lan- lecte et langue standard non plus. De nom- mieux que toutes les autres – qu’on cherche gues principales » dans le relevé structurel, 2.2 breux∤ses bilingues ou plurilingues se voient à évaluer les rapports de force entre des com- élargissant encore l’empan des données sta- Les défis de la réalisation d’une ainsi forcé∤e∤s de faire un choix en ne décla- munautés linguistiques imaginées homogènes tistiques qu’il est possible d’obtenir sur le nouvelle enquête statistique rant qu’une seule langue. La question pose et monolingues jusqu’à récemment. plurilinguisme. officielle sur les langues plus de difficultés encore dans des zones Cette définition est encore proposée dans Étant donné que la mobilité croissante de contacts entre deux, voire trois, langues, le relevé structurel actuel. D’un point de vue des individus à travers la Suisse induit une Dans le prolongement des développements comme dans le nord du canton de Berne, dans statistique, la relative stabilité de la défini- recrudescence des contacts linguistiques, présentés ci-dessus, l’ELRC 2014, enquête celui du Jura ou dans les Grisons par exemple. tion garantit une certaine continuité des don- les chiffres sur le plurilinguisme individuel réalisée par computer-assisted telephone Si une première définition est relevée unique- nées récoltées à travers le temps, mainte- commencent à susciter plus d’intérêt. Basée interview (CATI) auprès d’un échantillon d’en- ment dans la version française des formu- nant un niveau de comparabilité des résultats sur des moyens technologiques plus sophis- viron 16 500 répondant∤e∤s, a pour objectif laires du recensement de 1900, c’est en 1910 sur plus d’un siècle de relevés statistiques. tiqués, la diversification des modes de rele- de quantifier la diversité des pratiques lan- que la « langue maternelle » est définie pour Toutefois, la terminologie utilisée en 1990 vés statistiques de l’OFS reflète aussi la gagières en Suisse. Complémentaire au relevé la première fois de la même manière pour l’en- change sous l’impulsion d’expert∤e∤s issus volonté d’essayer d’approfondir quantitati- structurel, cette enquête permet de poser semble du relevé national. À cette date, les des milieux politiques et scientifiques. Ils/ vement des changements de société, tels que davantage de questions et ainsi de propo-
← Index Les coulisses de la quantification des langues 14 Les coulisses de la quantification des langues 15 ser un aperçu des pratiques plurilingues dans tant sur les enjeux d’intercompréhension, Face à ces questionnements, un com- lecte » soit claire et que toutes les per- différents espaces sociaux. Il ne s’agit plus etc.). Au final, les questions qui sont posées promis a été trouvé en initiant le ques- sonnes interrogées en soient informées. d’identifier les individus à une seule langue et qui seront traitées sont le résultat de tionnaire en deux temps. Dans un pre- Afin d’assurer cette information, il a été ou à plusieurs, il ne s’agit plus uniquement contraintes, d’intérêts et de collaborations mier temps, il a été décidé de reformuler introduit dans le script du questionnaire de les localiser sur le territoire, mais bien de multiples. la question de la « langue principale » au des questions de relance qui étaient documenter une myriade d’usages plurilin- L’examen de cette pratique collaborative pluriel, sans limitation du nombre de lan- activées lorsque les répondant∤e∤s évo- gues productifs et/ou réceptifs au sein de a permis de mettre en évidence trois grands gues, tout en maintenant une définition quaient l’allemand (ou le suisse-alle- la société helvétique. En ce sens, l’ELRC consti- défis conceptuels dans la réalisation de ce proche de celle du relevé structurel. Ceci mand) ou l’italien (ou le dialetto) comme tue l’aboutissement de la reconnaissance de questionnaire : dans le but d’éviter d’énumérer trop de « langue principale » et/ou « langue l’importance d’un dénombrement des langues langues que les répondant∤e∤s disent connue ». Ces relances portent sur la en Suisse, tout autant qu’il permet de pro- a. Le relevé du plurilinguisme individuel : savoir, sans pour autant les inciter à distinction entre dialecte et standard, poser une image plus dynamique des pra- l’un des enjeux récurrents dans l’éla- n’en indiquer qu’une seule. Dans un demandant aux répondant∙e∙s de préci- tiques langagières. Il s’agit d’un terrain de boration du questionnaire est celui de second temps, afin de garantir la docu- ser s’il s’agit du dialecte, du standard recherche unique afin de saisir les différents savoir combien de langues peuvent être mentation d’un plurilinguisme fonction- ou des deux. défis rencontrés par de nombreux acteur∤trice∤s indiquées par les répondant∤e∤s comme nel, une question sur les « langues impliqué∤e∤s dans la réalisation de cette relevant de leur répertoire linguistique connues » a été ajoutée, dont la formu- c. Les niveaux de compétences linguistiques enquête. Dans ce qui suit, nous allons déga- (« langue(s) principale(s) » et « langues lation plus ouverte permet au répon- vs les fréquences et domaines d’usages : ger les principales lignes de tensions ren- connues »). En effet, l’objectif de l’ELRC dant∤e∤s de lister les langues qu’ils/elles la distinction entre compétences et fré- contrées dans les diverses étapes de sa réa- de recenser les pratiques langagières connaissent plus ou moins bien. quence d’usage a constitué un sujet cen- lisation : conception de l’enquête, passation prédispose les statisticien∤ne∤s à docu- tral de discussion dans l’élaboration du du questionnaire et traitement statistique menter le plurilinguisme, et en ce sens b. La distinction dialecte – langue stan- questionnaire. Les représentant∤e∤s des des données. à mettre l’accent sur la diversité linguis- dard : dans les espaces italophones et milieux de l’éducation et de la migration, tique en Suisse afin d’éviter ainsi de germanophones, le dialecte fait partie ainsi que des associations de défense La conception de l’ELRC 2014 rendre les répondant∤e∤s plus monolin- des usages quotidiens. Objet de débats des communautés linguistiques souhai- gues qu’ils/elles ne le sont. Cependant, (dans l’espace public et politique), sa taient obtenir des informations statis- Le choix des questions, de même que la manière une série d’interrogations ont émergé pratique est tantôt perçue comme une tiques sur les compétences linguistiques, de les formuler, sont le fruit de nombreuses lors du processus de rédaction de l’en- menace sur la cohésion nationale, tan- notamment pour en savoir plus sur des discussions au sein de l’OFS, mais aussi entre quête, liées cette fois-ci au degré d’ou- tôt comme un patrimoine national vivant enjeux liés à l’intégration dans la société des acteur∤trice∤s sociaux∤ales issu∤e∤s de verture au plurilinguisme. Ces interro- et comme une caractéristique identitaire suisse. Plusieurs pistes ont été envisa- divers domaines institutionnels, scientifiques gations portaient à la fois sur la manière qu’il convient de cultiver dans le res- gées pour essayer de distinguer les niveaux et/ou politiques (migration, culture, éduca- de poser certaines questions (la ou les pect de la diversité. De plus, dès 1990, de compétences linguistiques, mais elles tion, etc.). Le questionnaire final est donc le « langues principales », le degré de le recensement avait introduit le dia- suscitaient plusieurs difficultés (sub- produit d’un processus complexe où les res- connaissance des « langues connues »), lecte comme une catégorie de réponse jectivité des auto-évaluations et dimen- ponsables de l’OFS se doivent de prendre en sur des enjeux pratiques (en particulier possible. C’est pourquoi il a rapidement sion chronophage de questions précises considération des intérêts divers (et parfois le temps de passation) qu’occasionne- été envisagé d’introduire le dialecte sur les compétences). C’est pourquoi, il divergents), de même qu’ils/elles doivent faire rait une ouverture maximale à de multi- comme possibilité de réponses à de nom- a été décidé d’abandonner le sondage face à des contingences techniques et maté- ples langues (sans limitation du nombre breuses questions de l’ELRC. Cepen- de compétences et de se concentrer sur rielles (durée de passation conditionnant le de langues), et sur l’écueil possible d’une dant, chercher à avoir des informations les fréquences d’usage qui permettent nombre de questions, modalités de passa- formulation trop ouverte qui rendrait les fiables sur le dialecte présuppose que de donner un aperçu différencié du plu- tion par téléphone impliquant un travail impor- répondant∤e∤s exagérément plurilingues. la distinction entre « standard » et « dia- rilinguisme fonctionnel.
← Index Les coulisses de la quantification des langues 16 Les coulisses de la quantification des langues 17 Malgré le nombre important de questions rents cadres interprétatifs : ceux des enquê- qu’il/elle peut interpréter la question l’importance politique, identitaire, cultu- qu’une enquête thématique permet de poser, teur∤trice∤s et ceux des répondant∤e∤s. Que comme une incitation à lister l’ensemble relle qu’elle revêt ou non pour eux. Ou l’élaboration du questionnaire a nécessité ce soit dans les discussions entre les enquê- de son répertoire linguistique. encore, le fait que quand les répondant∤e∤s une sélection inévitable parmi une multitude teur∤trice∤s ou dans la négociation des ques- sont interrogé∤e∤s sur leurs pratiques de questions possibles. Pour ce faire, il a tions par téléphone, l’interprétation des ques- b. Des histoires de vie comme réponses : langagières au travail, ces dernier∤ère∤s fallu naviguer entre les intérêts et les besoins tions s’inscrit dans un contexte où de il n’est pas rare que les répondant∤e∤s tendent à omettre les pratiques récep- des statisticien∤ne∤s, de l’institution manda- multiples conceptions des langues, des dia- fassent part aux enquêteur∤trice∤s de tives (telle que la compréhension d’une tée pour l’expertise scientifique (celle à lectes et du plurilinguisme convergent ou bribes de leur vie lorsqu’on leur pose conversation dans une autre langue ou laquelle nous sommes rattachés) et d’autres divergent. Analyser la passation permet donc des questions sur leurs langues. Ces dialecte). Ces réponses sont alors davan- groupes d’intérêts (p. ex. CDIP, OFC, SEM). de mettre en évidence la complexité en jeu séquences interactionnelles révèlent tage révélatrices des conceptions hié- Les choix thématiques peuvent être ainsi dans la compréhension et l’interprétation des que raconter ses pratiques langagières, rarchisées des pratiques langagières des considérés comme la résultante de ces dis- questions. c’est aussi parler d’expériences, de situa- répondant∤e∤s plutôt que de leurs usages cussions, mais ils sont aussi le témoin de la tions sociales, de trajectoires souvent effectifs des langues. place qu’occupent les langues dans notre a. Compréhension, interprétation et idéo- non linéaires. Elles indiquent aussi que société. L’emphase sur le travail ou sur les logies langagières des participant∤e∤s : les langues sont des lieux d’expression Les logiques interprétatives à l’œuvre dans médias (y compris les médias sociaux) en est pour les répondant∤e∤s, comme pour les de relations sociales souvent colorées les interactions et ce qui est dit lors de la un exemple. enquêteur∤trice∤s, ce qui compte comme d’émotion ou de sentiments mitigés. Ces passation sont, par la force des choses, omis Nous le constatons, l’élaboration d’un « langues principales » est tributaire de histoires de vie comme réponse signalent dans les résultats finaux. Le codage effec- questionnaire sur les langues et dialectes leur idéologie linguistique, mais aussi par là même qu’il n’est pas aisé de tué par les enquêteur∤trice∤s s’appuie sur est loin d’être une activité simple et évidente. de leur interprétation de la désirabilité répondre à des questions sur les lan- une multitude d’informations qui se doivent Au contraire, elle implique une série de déci- sociale des réponses. Nous avons alors gues par une simple liste. Cet état de de converger vers des entrées préétablies sions qui ne sont pas neutres et qui induisent observé des interprétations, pour une fait complexifie alors la tâche de l’en- par le questionnaire. Cette dimension néces- des conséquences. Les débats qu’elles sus- question formulée de la même manière, quêteur∤trice qui devra faire le tri des sairement interprétative, relevant de la citent sont ainsi le lieu d’expression d’en- allant d’une approche restrictive de la informations à l’appui de ces narrations. co-construction du sens par les partici- jeux plus larges que celui de l’enquête. Ils langue principale, souvent monolingue, pant∤e∤s, ne remet pas fondamentalement en révèlent à la fois les transformations socié- à savoir celle que l’on connait le mieux, c. Des ambiguïtés interprétatives révéla- question l’enquête en elle-même. Mais pour tales et l’image que les autorités et des groupes à une conception ouverte d’usage, à trices de la complexité des usages lan- les sociolinguistes que nous sommes, elle d’intérêts variés souhaitent donner des pra- savoir celles que l’on pratique le plus gagiers en société : l’examen des hési- donne accès à la manière dont les acteur∤trice∤s tiques linguistiques des citoyen∤ne∤s. souvent. Dans les interactions, ces tations et des mécompréhensions dans impliqué∤e∤s donnent du sens aux questions schèmes interprétatifs font l’objet de les interactions ne sont pas à mettre et, plus fondamentalement encore, à leurs La passation du questionnaire négociations : un∤e enquêteur∤trice peut sur le compte de « mauvaises » questions. conceptions des langues et de pratiques révé- parfois inciter le/la répondant∤e à men- Au contraire, nos analyses montrent lant les idéologies langagières à l’œuvre dans Une fois le questionnaire stabilisé, ce der- tionner plusieurs langues, mais il/elle qu’elles sont constitutives de la com- notre société. nier est introduit dans un système informa- peut aussi parfois considérer qu’il est plexité des usages langagiers en société. tique qui est ensuite utilisé par les enquê- peu probable que le/la répondant∤e maî- Par exemple, la difficulté parfois qu’ont Le traitement statistique des données teur∤trice∤s, à la fois pour introduire les trise plus d’une langue, par exemple. Il certain∤e∤s répondant∤e∙s à distinguer réponses mais aussi pour lire les questions, en va de même pour le/la répondant∤e entre dialecte et langue standard est Une fois les données récoltées, il faut encore constituant ainsi un script communication- qui peut omettre des langues qui entre- emblématique des conceptions que peuvent les traiter. Ce processus complexe révèle dif- nel. Cette phase de l’enquête représente un raient effectivement dans la catégorie avoir les répondant∤e∤s de la distinction férents enjeux emblématiques du processus moment important où se rencontrent diffé- « langues principales », au même titre ou non entre les deux (cf. supra) et de de quantification des langues. En effet, les
← Index Les coulisses de la quantification des langues 18 Les coulisses de la quantification des langues 19 données brutes requièrent une série de trai- b. Catégorisation des données : parmi la c. Mise en perspective des données : la certains aspects des chiffres et de leurs trai- tements impliquant à la fois des processus somme des réponses récoltées, il s’agit manière de catégoriser les langues, les tements. En décrivant, commentant ou en de sélection (quelles données sont utilisables), de déterminer lesquelles demandent à locuteur∤trice∤s et leurs répertoires, mais critiquant les résultats, ils/elles sélectionnent de catégorisation (quelles données peuvent être regroupées et lesquelles demandent aussi les décisions quant à quelles thé- des éléments des publications de l’OFS pour être agrégées, séparées, etc.) et de mise en à être traitées séparément. Cela pré- matiques approfondir, constituent une leur donner une orientation politique et/ou perspective (quel sens donner aux chiffres et suppose un travail de catégorisation mise en perspective des résultats fon- scientifique. C’est à cette appropriation média- quelles données doivent-elles être mises en mettant en évidence certaines concep- damentalement liée au mandat et aux tique que nous avons consacré la dernière avant). Ce sont ces processus que nous allons tions sociétales de la langue. Par exemple, principes directeurs de la statistique partie de notre projet, dans la mesure où les brièvement décrire en mettant en évidence les les données concernant le standard et publique suisse. Il se crée alors des effets médias offrent une vitrine des débats que défis rencontrés à chacune de ces étapes : le dialecte ont été, lors du rapport ini- de saillances qui produisent des effets suscitent les résultats des statistiques des tial, traitées de manière agrégée (regrou- de sens indiquant que les statisticien∤ne∤s langues. a. Sélection des données : tout traitement pant pour certains items le dialecte et n’opèrent pas dans l’isolement, mais Nos analyses ont permis de dégager les quantitatif présuppose que les chiffres le standard en une seule catégorie). qu’ils/elles participent pleinement du thématiques qui font l’objet d’une attention à disposition sont pertinents statisti- Cependant, dans un rapport séparé sur débat social au même titre qu’ils/elles particulière dans la presse depuis 1990, les quement. Ainsi, parmi les données à dis- le dialecte, ces chiffres ont fait l’objet en sont dépendant∤e∤s. Par exemple, le débats méthodologiques qui jalonnent la position, certaines ne pouvaient faire d’un traitement explicitement séparé. En choix de rédiger deux rapports théma- publication de ces chiffres, de même que les l’objet de considération statistique, dans outre, afin de rendre compte du réper- tiques, l’un sur le suisse-allemand et tensions politiques découlant de la mise en la mesure où le nombre de réponses était toire plurilingue des répondant∤e∤s, une l’autre sur les langues au travail, révèle abîme médiatique des résultats de l’OFS. trop faible. C’était le cas par exemple nouvelle catégorie a été créée : « les lan- l’importance de ces deux sujets sur le pour de nombreuses réponses portant gues d’usage régulier » ou « langues uti- plan national. Mais aussi, le choix, dans a. Un traitement variable et historiquement sur le romanche. Par ailleurs, certaines lisées régulièrement », regroupant les la plupart des rapports, de distinguer situé de l’information : l’intérêt média- questions posées se sont avérées in fine réponses à plusieurs questions en fonc- les locuteur∤trice∤s de différentes géné- tique pour les diverses thématiques abor- difficilement utilisables, non pas pour tion des fréquences d’usage (« tous les rations de migration en Suisse pointe dées par l’OFS depuis les années 1990 des raisons statistiques, mais pour des jours ou presque » et « au moins une fois vers des débats sociaux autour de l’in- n’est pas le même selon les régions lin- raisons conceptuelles. C’est le cas pour par semaine », qu’il s’agisse d’un usage tégration tout autant qu’il renforce la guistiques. Généralement, la presse la question qui concernait les obstacles réceptif ou productif). Cette approche distinction catégorielle. romande, tessinoise et des Grisons relaie linguistiques, qui n’a pas été systéma- catégorielle permet à la fois de contour- ces informations avec un intérêt plus tiquement posée aux personnes les plus ner le problème d’une définition du plu- marqué que dans la partie alémanique. concernées. Quand elle l’était, les indivi- rilinguisme sur la base des « langues 2.3 Les résultats les plus discutés du recen- dus pouvaient éprouver des difficultés à principales », tout en démontrant la vita- Le traitement médiatique des sement (jusqu’en 2000) et du relevé admettre qu’ils avaient de la peine à com- lité des pratiques d’usages plurilingues statistiques linguistiques structurel (dès 2010) dans la presse muniquer lors d’une visite chez le/la méde- en Suisse. Si certaines « langues d’usage sont certainement ceux découlant de la cin ou dans d’autres contextes plus ou régulier » font l’objet d’un traitement Publiés par l’OFS sous la forme de commu- « langue principale ». Les statistiques moins formels. En outre, les populations systématique, telles que l’anglais, d’autres niqués de presse et/ou de rapports géné- issues des autres questions – les lan- les plus concernées par cette probléma- se trouvent subsumées dans des caté- raux et thématiques, les résultats des enquêtes gues parlées à la maison et/ou au tra- tique n’étaient pas atteignables, puisqu’elles gories « autres » en raison de leur faible statistiques font l’objet d’articles dans la vail/à l’école – ne sont reprises que de n’étaient pas capables de répondre à une nombre de locuteur∤trice∤s, voire ne sont, presse écrite, de lettres de lecteur∤trice∤s, façon marginale et commencent à trou- enquête téléphonique en (suisse-)alle- dans quelques cas, pas comptabilisées de reportages télévisuels ou radiophoniques, ver un plus grand écho dans les médias mand, en français ou en italien. parce qu’elles ont échappé au proces- etc. dans lesquels des journalistes, des groupes suite au recensement de 2000. La presse sus de codification. d’intérêts ou encore des expert∤e∤s soulignent présente les chiffres en lien avec des
← Index Les coulisses de la quantification des langues 20 Les coulisses de la quantification des langues 21 thématiques linguistiques hautement b. Un débat méthodologique et politique : est quant à lui avant tout porté par les diquer plus d’une seule langue comme politisées, notamment en faisant des au fil des publications de l’OFS, nous expert∤e∤s, souvent des linguistes. Avant langue principale. En outre, si le terme liens entre les statistiques de l’anglais observons dans les médias des ques- les grands changements de 2010, ils/ « langue principale » du relevé structu- au travail et l’élaboration des programmes tionnements et des débats sur la métho- elles avaient relevé la vision trop res- rel est généralement relayé tel quel dans d’enseignement des langues dans les dologie des différents relevés. Ils sont trictive de la langue principale et insisté les médias, le nouveau concept utilisé écoles du pays. En outre, la croissance de deux ordres : le premier concerne l’ina- sur l’importance de recenser les per- dans la présentation des résultats de des langues non nationales est asso- déquation des enquêtes à rendre compte sonnes qui étaient bilingues et plurilin- l’ELRC 2014 – les « langues d’usage régu- ciée à des questions de « multicultura- de la vitalité de la langue romanche ; le gues. Si la possibilité d’indiquer plu- lier » – fait parfois l’objet de glissements lisme » suite aux résultats de 1990, alors second concerne la vision réductrice des sieurs langues principales a été discursifs. La définition officielle de l’OFS que la couverture des résultats de 2000 enquêtes de la définition de langues considérée comme une avancée notoire, de ce concept inclut des pratiques de met surtout en avant « l’intégration lin- principales, empêchant de documenter certain∤e∤s expert∤e∤s continuent de s’in- communication quotidiennes et/ou heb- guistique » des populations issues de le plurilinguisme fonctionnel des habi- quiéter de la formulation de la question domadaire, réceptives et/ou productives, l’immigration – insistant sur le grand tant∤e∤s. Porté par des groupes d’inté- de la/des langue(s) principale(s) : l’orien- dans plusieurs contextes. Or, certaines nombre d’étranger∤ère∤s ayant indiqué rêts romanches et relayé par les médias, tation normativisante de cette question présentations dans les médias ont recours une langue nationale comme langue prin- le premier objet de débat a pris des formes au détriment d’une approche axée sur à des formulations suggérant un usage cipale. Dès 2010, date de la modifica- différentes en lien avec l’évolution des les pratiques linguistiques empêcherait essentiellement productif, telles que tion en profondeur des modes de recen- questions posées et des modalités de de rendre compte de nombreux plurilin- « parler » ou « pratiquer ». D’autres les sements (cf. chap. 2.1), les résultats relevés. En 1990, les défenseur∤e∤s de gues en Suisse. présentent comme une preuve du pluri- issus du relevé structurel, ainsi que ceux la langue romanche regrettent le dépla- linguisme et assimilent cette catégorie de l’ELRC 2014, s’inscrivent dans des cement discursif de « langue maternelle » c. Une transposition médiatique incertaine : aux langues principales. débats publics sur le bilinguisme et le à « langue principale », arguant que cette avec l’arrivée du nouveau système de plurilinguisme individuel. En Suisse modification incite les répondant∤e∤s à recensement en 2010, ce sont égale- De manière générale, il ressort de cette ana- romande, les médias soulignent que le indiquer plutôt l’allemand (langue de ment des données plus complexes qui lyse que les modes de relevés statistiques, plurilinguisme est plus présent qu’il n’y tous les jours) au détriment du romanche sont à disposition des médias. La mul- les catégories de langues (langues princi- paraît et que cela constitue un aspect (« langue du cœur »). Selon eux/elles, tiplicité des sources des statistiques pales, langues d’usages réguliers) et les nou- positif de la société suisse. En revanche, l’abandon du terme « maternel » aurait langagières engendre une certaine confu- velles questions et objectifs de l’ELRC ne en Suisse italienne, la croissance de la ainsi accentué le recul du romanche. sion dans la transmission des informa- sont pas toujours pris en considération ou diversité linguistique est commentée L’impossibilité d’indiquer jusqu’en 2000 tions dans les médias, et la distinction n’ont pas toujours été compris par les médias. d’un ton plutôt critique, car elle sug- plus d’une langue principale était néces- entre relevé structurel et ELRC n’est pas Il est probable que ces transformations et gèrerait un recul de l’utilisation des lan- sairement pointée du doigt par cette toujours claire pour les journalistes. De déplacements soient trop complexes pour gues nationales et une perte de l’italien communauté bilingue. Enfin, le problème plus, la présentation de l’augmentation être relayés de manière concise dans l’es- face à l’anglais qui gagne du terrain de la représentativité des données, qui, importante des autres langues (c’est- pace public et médiatique. Par ailleurs, la comme langue d’usage régulier. Quant avec les nouveaux dispositifs de rele- à-dire des langues non nationales) comme façon variable dont les régions linguistiques à la Suisse alémanique, la présentation vés (relevé structurel et ELRC), ne per- langues principales n’est pas toujours couvrent l’information est révélatrice des des premiers résultats de l’ELRC 2014 mettent plus de générer des chiffres mise en relation avec le changement préoccupations principales de chaque com- met en avant le plurilinguisme considé- significatifs à toutes les échelles géo- méthodologique majeur dans le relevé munauté linguistique et de sa place sur l’échi- rable en Suisse thématisant les usages graphiques et sociales pour les roman- structurel, à savoir la possibilité d’in- quier politique. des langues nationales et étrangères, chophones, est également mentionné tout en insistant sur la vitalité des dia- sporadiquement dans les médias. Le lectes alémaniques. second type de débat méthodologique
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