Les syndicats entre vents et marées - Imagine demain le monde
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apprendre enquête Les syndicats entre vents et marées Bruno Devoghel 18 imagine 114 - mars / avril 2016
A la veille des élections sociales fixées du 9 au 22 mai, les temps sont durs pour les syndicats. Confrontés à un gouvernement fédéral hostile, dénigrés dans les médias et dans l’opinion, traversés par des tensions internes, ils font face. Mais que pèsent exactement les organisations syndicales en Belgique ? Sont-elles encore en mesure d’influencer les décisions politiques ? Quel avenir pour cet indispensable contre-pouvoir ? Imagine a mené l’enquête. Une enquête d’Hugues Dorzée – Photos : Bruno Devoghel (sauf mention contraire) «L utter ou subir, il faut choisir » : l’immense calicot af- Les mois passent, et face à « ce gouvernement de la rupture et à fiché ce matin-là à l’entrée de la gare de Liège est la solde du patronat », dixit Jean-François Tamellini, secrétaire éloquent. Ce 6 janvier, une large majorité des che- fédéral FGTB, les syndicats peinent à faire entendre leur voix. minots… francophones ont choisi leur camp : ce sera celui de Ils ont pour eux le poids du nombre (3,488 millions d’affiliés la « lutte ». La grève menée en front commun par la CGSP et la en 2014, selon les derniers chiffres obtenus par Imagine), une CSC est d’ailleurs un succès : pas un train ne circule. « Non, le présence massive dans les entreprises et dans les organes syndicat n’est pas mort ! », proclame Thierry Moers, secrétaire d’avis (Onem, Inami, CNT…), des relais politiques au sein de permanent CGSP. « Le gouvernement veut casser la solidarité, chaque pilier (socialiste, chrétien, libéral), un énorme travail nous affaiblir et imposer une concertation de façade ? Nous ne de terrain, mais cela ne suffit pas ou plus. céderons pas ! », ajoute Marc Eyen, permanent régional à la Les syndicats sont désormais attaqués de toutes parts : par la CSC-Transcom. NV-A, le MR et l’Open VLD, dans les médias, sur les réseaux Mais derrière les mines réjouies, l’heure est aussi aux doutes sociaux. En interne, ça bouillonne : tensions entre le Nord et le et aux critiques : « Depuis l’automne 2014, peste Frédéric Gillot, Sud, entre la base et l’appareil, entre les centrales ouvrières et ex-délégué FGTB chez ArcelorMittal et député wallon PTB les employés, entre les tenants d’un syndicalisme « de combat » venu soutenir les camarades, on n’a rien engrangé. On manque ou « de négociation »… Et de plus en plus de voix s’élèvent pour d’une vision globale, d’un objectif commun. Il faut repartir de la dénoncer les échecs sur le fond (la vision et la force de proposi- base et relancer le combat. » tion), comme sur la forme (la communication et l’image). Avec une série d’actions fin octobre, 110 000 personnes dans « Les militants sont à la fois déboussolés et sans perspectives », les rues le 6 novembre, une grève générale le 15 décembre, la résume un cadre CGSP. « On traverse une grosse crise de fin d’année 2014 fut effectivement synonyme de succès pour confiance », reconnaît un permanent CGSLB. « C’est une pé- les trois organisations (FGTB, CSC, CGSLB). « Ce sont les at- riode difficile, admet Marie-Hélène Ska, secrétaire générale de tentats contre Charlie Hebdo survenus dans la foulée (le 7 jan- la CSC. Mais c’est aussi une opportunité à saisir pour avancer. » vier) qui ont clairement sauvé le gouvernement Michel », analyse Avec, d’un côté, la bureaucratie, les luttes d’influence et Paul Lootens, président sortant de la Centrale générale FGTB. d’egos, et de l’autre, d’immenses défis pour faire face aux Jusque-là, on avait un mouvement massif, déterminé, une opinion nouvelles réalités économiques (globalisation, évolution publique à nos côtés, et soudain tout a basculé. On est entré dans du monde du travail…), voici les syndicats au pied du mur. une logique d’unité nationale et d’obsession sécuritaire. » Contraints de faire leur autocritique ou de se réinventer. Pour Dans la foulée, la FGTB rejette l’accord social du Groupe des demeurer, plus que jamais, ce contre-pouvoir indispensable 10, la CSC l’approuve à une courte majorité (52 %), la CGSLB de notre démocratie. — H.Do. suit. Le front commun se lézarde. La mobilisation retombe alors comme un soufflé. « Une grosse crise de confiance » Saut d’index, allongement des carrières, réforme fiscale, ex- Le making-off clusions du chômage… « Le gouvernement est passé en force partout et on ne nous écoute plus », se désole Mario Coppens, président du syndicat libéral. « Jusqu’ici, on était dans un cadre clair, historique, celui de la concertation sociale, dénonce Felipe Van Keirsbilck, secrétaire général de la CNE. Ils ont dé- sormais changé les règles : c’est comme si on jouait encore aux P our réaliser cette enquête, nous avons recueilli l’avis de 23 permanents, délégués et militants syndicaux au sein des trois organisations, ainsi que celui de 16 autres témoins qui ont souhaité échecs et qu’ils étaient passés au karaté ! » Ce fameux « mo- rester anonymes. Nous avons interviewé 6 experts universitaires, dèle belge » qui, comme le rappelle Carl Devos, politologue 3 acteurs issus de la société civile, et obtenu nombre d’informations à l’Université de Gand, a apporté depuis des décennies « la auprès de différentes sources publiques (Onem, ministères, Banque- prospérité et la stabilité », a désormais du plomb dans l’aile. Carrefour des entreprises…). — imagine 114 - mars / avril 2016 19
Un contre-pouvoir apprendre enquête légitime et une large base 1. Qui sont leurs 1,021 million en Flandre). Ceux-ci la Flandre orientale (158 919) et Anvers (154 753). sont en majorité des « actifs » Concernant la part d’affiliés « actifs » et « inac- (67 %), avec une part de cotisants tifs », la FGTB n’a pas été en mesure de nous affiliés ? « non actifs » (chômeurs, invalides, transmettre ces données. « C’est géré au niveau prépensionnés) qui grandit année des centrales », nous précise sa porte-parole. après année (33 % en 2014). Malgré nos demandes répétées auprès des La CSC est organisée en dix centrales, mais trois 6 centrales, seule la Centrale générale nous a E n Belgique, il n’existe pas de statistiques forment à elles seules la moitié du contingent : transmis l’information : en 2014, elle enregistrait officielles. Rien de suspect en soi : « L’adhé- la centrale flamande des employés (LBC-NVK, 41 % de non-actifs et 59 % d’actifs. sion à un syndicat est une démarche d’ordre 322 989 membres), la CSC bâtiment-industrie- A la CGSLB, enfin, on a comptabilisé en 2014 privé, dont les autorités n’ont pas à avoir connais- énergie (270 801) et la CSC alimentation et un total de 293 952 affiliés pour l’ensemble du sance », rappelle Jean Faniel, directeur du Crisp. services (268 388). syndicat libéral. « Environ 35 % d’entre eux ne Mais les organisations syndicales sont plutôt La deuxième organisation du pays, c’est la sont pas des travailleurs actifs », nous indique avares en la matière, à l’exception de la CSC qui FGTB. Qui, pour l’année 2014, revendique son secrétaire national, Olivier Valentin, sans est la plus transparente des trois. 1,547 million d’affiliés (100 000 de moins que la nous donner davantage de précisions. Selon les dernières données disponibles qu’Ima- CSC). Près de 50 % (731 384) sont flamands et Une frilosité statistique qui cache aussi la réalité gine a pu se procurer, on totalisait 3,488 millions dépendent donc de la Vlaams ABVV. à laquelle les syndicats doivent désormais de syndiqués fin 2014. Ce taux de syndicalisa- Deux centrales réunissent la moitié des affilia- faire face, avec une base militante en pleine tion figure parmi les plus élevés d’Europe (+ de tions : la Centrale générale (16 sections, mutation (moins de travailleurs actifs, plus de 50 % de la population active). « Si l’on regarde 437 492 cotisants), suivie de près par le Setca/ chômeurs et de prépensionnés). Ce qui n’est l’évolution dans le temps, ce taux reste globa- BBTK (les employés, cadres et techniciens, pas sans effet sur les organisations : moins de lement élevé et même en légère croissance », 425 422). La CGSP services publics (309 874) et recettes financières, des difficultés à fédérer ajoute le politologue. la FGTB métal (164 070) arrivent derrière. ces exclus du monde du travail, des services en En 2014, la CSC dénombrait 1,647 million Au niveau géographique, trois régionales do- plus à offrir et de nouveaux modes d’actions à d’affiliés effectifs en ordre de cotisation (dont minent : Liège-Huy-Waremme (175 438), inventer. — 2. lors des élections sociales qui se tiennent tous les quatre ans. Ils sont 27 400 à la CSC Comment sont-ils (auxquels il faut ajouter 8 300 délégués pour la centrale des services publics), et environ 5 000 à la CGSLB. Pour la FGTB, nous n’avons organisés ? pas reçu de chiffres. Enfin, les syndicats sont aussi de gros em- ployeurs avec un personnel éclaté (per- manents, employés dans les bureaux de L es syndicats sont de véritables machines blesse, résume Jean Faniel. Grâce à cela, elles chômage, formateurs, services juridiques, de guerre ou des usines à gaz, c’est selon. peuvent soutenir des actions de masse, assurer ASBL, etc.). Avec une architecture plus ou moins un grand nombre de services et se perpétuer. » La CSC emploie 3 500 travailleurs (temps pyramidale qui s’appuie sur un ensemble de « Le syndicat est le fruit d’une longue histoire, pleins et temps partiels confondus). structures fédérales et régionales, un pilier rappelle Daniel Richard, secrétaire régional Au syndicat libéral, ils étaient 624 travail- interprofessionnel (qui défend les intérêts FGTB, où l’autonomie des centrales reste un leurs sous contrat en 2015. collectifs), des centrales (10 à la CSC, 6 à la principe sacro-saint. C’est une confédération A la FGTB, on compte 2 200 permanents FGTB) qui représentent les travailleurs par regroupant des entités autonomes qui dé- (dont 166 à la FGTB fédérale) répartis dans secteur, des milliers de délégués dans les en- fendent des intérêts communs. Elle est théori- les 15 régionales. A cela, il faut évidemment treprises, mais aussi des groupes spécifiques quement centrée sur les militants qui décident ajouter le personnel des six centrales. Seule (femmes, jeunes, travailleurs sans emploi…), en toute légitimité. Même si, dans les trois or- la Centrale générale nous a transmis son Enfance des ASBL satellites (éducation permanente, Santé la démocratie interne est possible, ganisations, cadre : 556 collaborateurs en 2014, dont formations…) et différents services tournés elle n’est pas forcément automatique. » 124 attachés à la CG fédérale. — vers leurs affiliés (conseils, aide juridique…). Les syndicats vivent grâce à leurs affiliés « Ce sont des organisations à la fois lourdes et (lire ci-contre), mais s’appuient également 1. Co-auteur du Courrier hebdomadaire n°2146/7, consacré à bureaucratisées, ce qui fait leur force et leur fai- sur leurs délégués élus dans les entreprises l’implantation syndicale entre 2000 et 2010. 20 imagine 114 - mars / avril 2016
Avec 3,488 millions d’affiliés en 2014, la Belgique affiche un taux de • La Confédération générale des syndicats syndicalisation parmi les plus chrétiens et libres de Belgique voit le élevés d’Europe. jour en 1912. • Elle est composée d’un pilier interpro- fessionnel avec 14 fédérations (8 en Wallonie, 1 à Bruxelles, 5 en Flandre) et 10 centrales professionnelles. 1 647 500 affiliés déclarés en 2014 (67 % d’actifs, 33 % de non-actifs). • Depuis son congrès de 1994, elle s’affiche comme un « syndicat de valeur(s) » et défend « le respect de la digité humaine », le travail « comme nécessité pour la subsistance de l’homme et de la société », Bruno Devoghel la justice « à travers l’économie de marché corrigée socialement », la solidarité, etc. — 3. régionale, 11 % à la CSC fédérale, 7,5 % sont destinés à alimenter les caisses de grève et Comment 12,5 % servent à financer des projets (le jour- • La Fédération générale du travail de nal L’Info, MOC, Solidarité mondiale…). Belgique (FGTB) est née en 1945 de la A la FGTB et à la CGSLB, la ventilation n’est Commission syndicale (créée en 1898) et sont-ils pas rendue publique. de la CGTB (1937), qui sont l’émanation L’autre source de financement, ce sont les du Parti ouvrier belge (POB) fondé en Fonds de sécurité d’existence. Il y en a 180 1885 au départ de 56 sociétés ouvrières. financés ? en Belgique. Ils sont organisés par secteur, • Elle est composée de 3 interrégionales financés par les cotisations patronales et (Bruxelles, Wallonie, Flandre), 16 régio- gérés de façon « autonome et paritaire » par nales et 6 centrales professionnelles: les syndicats et les employeurs. Ces fonds Centrale générale (CG), Employés, tech- L eur première source de financement, ce permettent d’octroyer certains avantages niciens et cadres (SETCa), Services publics sont les cotisations. Elles sont versées sociaux (pécule de vacances, assurance hospi- (CGSP), Métal (MWB), Alimentation-Hore- mensuellement, mais le montant varie talisation…), mais aussi de prendre en charge ca-Services (Horval), Transport (UBT). d’une organisation à l’autre et d’un secteur à des formations et des primes syndicales dans 1 547 172 affiliés déclarés en 2014. l’autre (sauf à la CGSLB où tout est centra- certaines entreprises, dont le montant varie • Dans l’article 1 de son statut, la FGTB lisé). Chaque syndicat fixe par ailleurs des d’une commission paritaire à l’autre (entre 50 précise qu’elle est « l’émanation des forces tarifs différenciés en fonction de la situa- et 100 euros par an environ). laborieuses organisées ». Elle vise « l’idéal tion de l’affilié (travailleur, chômeur, - 21 ou Pour se financer, les organisations reçoivent syndicaliste » qui « s’accomplira par une 25 ans, prépensionné…). également des subsides publics pour des ac- transformation totale de la société ». — Un membre « actif » payera, en moyenne, une tivités syndicales bien déterminées (forma- cotisation complète de 14,7 euros par mois à tion permanente, coopération au dévelop- la FGTB, 15,85 euros à la CGSLB et 16,10 euros pement, jeunesse…). « Mais ils sont limités », à la CSC. A l’inverse, la cotisation la plus basse insiste-t-on en interne, afin de « garder une (celle des pensionnés) est de 3,2 euros à la certaine indépendance vis-à-vis des pouvoirs FGTB, 5,52 euros à la CSC et 5 euros à la CGSL publics ». Ils proviennent essentiellement du • La Centrale générale des syndicats (une cotisation dite « de solidarité »). Fédéral et des entités fédérées. libéraux de Belgique (CGSLB) a vu le « C’est notre commission financière qui dé- Par ailleurs, comme on le lira en p.22, les jour en 1939. termine le plafond minimal et maximal par organisations disposent de recettes propres : • Une organisation centralisée, catégorie », indique-t-on à la FGTB. Des intérêts sur leurs placements financiers, ventes 17 zones, une centaine de secrétariats. règles similaires sont prévues dans les deux d’immeubles, loyers, hôtellerie, jetons de pré- Une structure interprofessionnelle autres syndicats. Une cotisation savamment sence dans diverses instances de gestion (à la (le SLFP). répartie au sein des organisations. A chaque CSC ceux-ci sont reversés au syndicat), etc. 293 952 affiliés déclarés en 2014. « entité » sa part de recettes. Enfin, en tant qu’employeur et via leurs • Pour la CGSLB, le libéralisme constitue A la CSC, la clé de répartition est la suivante : différentes associations, elles peuvent aussi « la base de [son] action syndicale ». 34 % de l’affiliation d’un ouvrier vont à sa bénéficier d’aides à l’emploi et sont exoné- Avec 4 mots clés : « liberté », « solidari- centrale professionnelle, 35 % à la fédération rées de la TVA sur les ASBL. — H.Do. té », « responsabilité » et « tolérance ». — imagine 113 - janvier / février 2016 21
Une galaxie apprendre enquête juridique et financière La CGSLB L es syndicats ne sont pas des entreprises comme les autres. Ce sont des personnes morales, sans personnalité juridique. Ils ne sont donc pas tenus de publier leurs comptes annuels. Cette nécessaire protection leur permet de défendre, avec une certaine liberté, les La CGSLB (n° BE 0850.330.011) a été intérêts individuels et collectifs des travailleurs. « Ce statut les protège par exemple d’astreintes fondée le 1er janvier 1939. Au départ de d’envergure que pourraient être tentés de réclamer des employeurs en cas d’actions, rappelle Jean ses deux sièges principaux (Anderlecht et Faniel (Crisp). Par ailleurs, ils ne sont pas tenus de révéler le montant de leurs caisses de grève pour Gand), nous avons recensé 83 entreprises éviter, ici aussi, d’être asphyxiés financièrement. » ou unités d’établissements. Parmi celles- La réalité est autrement plus complexe. Comme le montre notre cadastre inédit publié ci-dessous, ci, on dénombre : chaque organisation forme une véritable galaxie juridique et financière1. Avec, au-delà de ce • 9 Associations sans but lucratif statut de personne morale, des dizaines d’entreprises, non lucratives pour la plupart, reliées ou non * Le Bien-être des salariés (n°0416.291.831, entre elles, répondant à un objet social plus ou moins défini et avec des comptes publiés et agréés pas de compte déposés à la BNB) et Com- (ou pas). Rien d’illégal en soi. Mais la preuve que ce contre-pouvoir s’organise aussi à partir d’une petent in engagement (n° 0413.768.049) constellation d’entreprises aux formes diverses. — H.Do. qui affiche, en 2014, un déficit de - 95 832 euros. Ces 2 ASBL sont recon- La FGTB • 2 Sociétés coopératives agréées (SC) : la Maison des syndicats (fondation le 24.11.1932, nues comme organisations d’éducation permanente. Au départ de ses 17 sièges sociaux francophones capital social : 5,597 millions) qui loue et ex- * Keerpunt, spécialisée dans l’activation (6 centrales, 9 régionales, 2 interrégionales) ploite les bâtiments de la FGTB (en 2014, elle des chômeurs en Flandre (un déficit affi- nous avons recensé 198 entreprises ou unités détenait 37,485 millions d’actifs immobiliers, ché en 2014 de - 54 703 euros). d’établissements qui se trouvent dans le giron dont 15,912 millions de « terrains et construc- * Mouvement pour la solidarité interna- de la FGTB, parmi lesquelles : tions », et affichait un compte de résultats tionale (MSI), active dans le domaine de • 62 Associations sans but lucratif (ASBL), dont en boni de 380 454 euros) et le Centre local l’aide au développement (1,074 million de 39 ont leur siège à Bruxelles, 9 à Namur, 4 à Ver- syndical de la Centrale générale à Charleroi cotisations, dons, legs et subsides en 2014, viers, 2 à Liège, etc. Elles sont spécialisées dans (n°0422.588.022, pas de comptes disponibles). et un bénéfice affiché de + 34 euros). la formation (Focades Catering, Cepag, For.a.bra, • 2 Sociétés anonymes (SA). * Senioren (n° 0443.088.674, pas de Dewez Afico, ACCI, Borinage 2000…), la lutte * Née de la dissolution de CMB-Finance créée comptes disponibles), qui s’occupe des contre l’exclusion sociale (Habiter Bruxelles, à Bruxelles le 26.7.2006, la MWB-Finance/ + de 50 ans non actifs professionnellement. Bol d’espoir…), le conseil en économie sociale MVL-Finance (capital social : 5,384 millions * L’Association du tourisme libéral, créée en (Propages), l’analyse financière des entreprises d’euros) a son siège à la centrale de la FGTB 1982 (pas de comptes disponibles). (AFIN-A), etc. Métal (49 rue de Namur, à Namur). 45 % de son Sylva (n°0410.645.936), qui gère les bâti- • 7 Sociétés coopératives à responsabilité capital sont détenus par la SA Castel de Pont- ments et les ressources matérielles du syn- limitée (SCRL), dont deux radiées en 2013 et à-Celles (Dinant) qui gère un hôtel 3 étoiles et dicat libéral (pas de comptes disponibles). 2015 pour « non-dépôt des comptes » : Fosoder 25 hectares de terrain. En 2014, elle affiche une * 2 ASBL chargées de la « promotion du (n° d’entreprise 0423.170.913, créée à Verviers perte de 11 224 euros. tourisme social » en faveur de ses affi- le 5.2.1982 avec un capital de départ de 30 987 * Fondée le 20.12.12, la SA SOFITRA exerce des liés : Maisons de vacances (créée en 1988) euros, spécialisée dans « le conseil des affaires ») activités de gestion de holdings. Son siège est qui, en 2014, disposait de 20,616 millions et Atefa Metal (n° 0454.078.081, 21.12.1994, situé 9, place Saint-Paul, à Liège. En 2014, elle d’euros de terrains et constructions et de Verviers, 1,25 million de capital de départ). disposait de 3,146 millions d’immobilisations placements pour 1,398 millions euros. Elle Les 5 autres SCRL sont : la Maison de l’employé financières et elle a terminé l’année en léger a achevé l’exercice avec un déficit de (Bruxelles) gérée par le Setca (1,19 million de boni (+ 2 478 euros). - 483 774 euros. Et Vacances Ardennes capital de départ), la Maison syndicale wallonne • 2 Sociétés privées à responsabilité limitée (9,115 millions d’actifs immobiliers, à Namur (qui assure la « gestion immobilière » de (SPRL), dont une (la Maison Gauquie) est en fail- 1,875 million de placements et un déficit la FGTB wallonne), Immo Symbat (Saint-Gilles) lite depuis 1985. Reste le Domaine des sources affiché de - 209 906 euros en 2014). — qui gère les biens immobiliers du Setca (2,218 fondé le 1.1.1979 et qui gère un complexe millions de capital de départ), Traits d’union (le touristique (camping, commerce, Horeca) pour 1. Pour réaliser ce cadastre – non disponible auprès des fonds de licenciement de la FGTB Hainaut) et les affiliés de la Centrale générale de la FGTB au organisations –, nous avons examiné en détail la Banque- Haut comme trois pommes (fondée à Liège le départ d’un capital social de 620 000 euros. Carrefour des entreprises, le Moniteur belge, la centrale des bilans et le répertoire des employeurs au départ 26.6.2015) qui gère une crèche et une garderie • 4 organismes immatriculés par l’Office natio- des différents sièges sociaux des syndicats. Il s’agit d’un d’enfants. nal des pensions (Bruxelles, Charleroi, Liège et recensement non exhaustif tant leurs structures sont très éclatées, notamment dans les régions. Mons). — 22 imagine 114 - mars / avril 2016
La CSC A partir de son principal siège social situé gestion (Procura), l’économie sociale (Syneco), (n°0473.574.982, fondée en 2000, 125 000 chaussée de Haecht, 579, à Schaerbeek, nous les soins résidentiels (Interfédérale mutualiste euros de capital social) qui a pour mission avons recensé 118 entreprises ou unités d’en- chrétienne), la gestion de biens immobiliers de fournir des « moyens financiers, humains treprises qui se trouvent dans le giron de la (MDT Exploitation) ou de terrains de camping et matériels » au MOC ; Patrimonialilon CSC. Parmi lesquelles : (Kompas), le planning familial (FCPC), etc. (n°0500.535.440, 2012, 500 000 euros de • 54 Associations sans but lucratif (ASBL) dont Parmi ces ASBL dont le siège social se situe à la capital social) tournée vers l’économie sociale ; les activités sont tournées vers la formation CSC nationale, il y a aussi le CHU Mont- Qualias (n°0462.424.833, 1998, 157 487 euros et l’emploi (Educo, Solid’emplois, CIEP…), la Godinne (n° 0408.028.619, fondé en 1928) de capital social) spécialisée dans la location programmation informatique (Medsoc), la qui, en 2014, disposait d’actifs immobiliers de matériel médical, et Social engagement promotion de la santé (Fonds national d’en- (terrains, bâtiments, mobiliers) pour 114,612 (n°0473.574.289, 2000, 6 200 euros de capital traide), les voyages ou le tourisme (Okma, millions d’euros et affiche une perte pour cet social), chargée d’effectuer des activités syn- Service intersocial, Carrefour Europe…), la exercice de 701 383 euros. dicales. diffusion de programmes radio (ACV), le sport • 1 Société mutuelliste (personne morale) : • 1 caisse commune d’assurances de droit privé : pour handicapés (Altéosport), la coopération MC Assure Com-Zorgkas Vlaanderen, fondée en 2001. (Animation solidarité mondiale, Wereld Solida- • 4 Sociétés coopératives à responsa- • 1 organisme de paiement agréé par l’Office riteit…), l’aide aux aînés (Ceneo), le conseil en bilité limitée (SCRL) : Mouvement social national des pensions. —H.Do. Des caisses de chômage transparentes A en croire la N-VA, et dans une des dossiers de chômage, nous précise-t-on Capac. Qui est donc deux fois plus chère moindre mesure le MR et l’Open- à l’Onem, l’introduction de la dégressivité et offre, par ailleurs, moins de services que VLD, le système actuel de paiement des allocations, les modifications des alloca- les syndicats (accueil, personnel plus spé- des allocations de chômage assumé par les tions d’insertion, etc. ». Par ailleurs, comme cialisé, etc.). syndicats serait « coûteux » et « inefficace ». le souhaite le gouvernement Michel, les Sont-ils pour autant « moins efficaces » ? Pire, ceux-ci seraient « indulgents face à la syndicats doivent aussi lutter contre la C’est plus difficile à objectiver. Une certi- fraude ». Des accusations qui sont large- fraude. « Ceux-ci participent de manière tude : entre les chômeurs et les syndicats, ment infondées. effective aux mesures préventives. Une in- c’est une longue histoire. Depuis 1963, la FGTB, la CSC et la CGSLB demnité couvrant leurs frais leur est donc « Les organisations sont constituées par et sont agréées en tant qu’organismes de allouée », ajoute-t-on à l’Onem. avant tout pour les travailleurs avec em- paiement. Ceux-ci introduisent les dos- Un système scrupuleusement contrôlé : ploi », rappelle Jean Faniel (Crisp). « On siers pour leurs affiliés, assurent le suivi et en 2014, l’Onem a procédé à 570 contrôles ne fait pas partie de leur core business, les contrôles préalables. Mais c’est l’Onem concernant le versement de ces allocations confirme Bruno, chômeur de longue durée. qui décide de l’octroi ou non d’une allo- et à 159 autres portant sur les frais de ges- On ne vote pas aux élections sociales, on n’a cation de chômage, ainsi que du montant tion (avec rapport à son comité de gestion, pas de délégué attitré, pas de déduction fis- octroyé. En 2014, 7,7594 milliards d’euros tutelle du ministre et rapport de la Cour cale pour notre cotisation ni de prime syn- ont ainsi été versés (+ 1,5482 milliard d’eu- des comptes). Les attaques de la NV-A et dicale. » Un permanent FGTB acquiesce : ros d’allocations de chômage avec complé- des libéraux sur un prétendu laxisme fi- « La majorité des chômeurs s’affilient chez ment d’entreprises). nancier sont donc infondées. nous non pas par adhésion ou conviction, Pour assurer ce service, les syndicats re- mais pour le service qui est plus complet çoivent une « indemnité pour frais d’ad- « Pas leur core business » qu’à la Capac. » ministration », versée annuellement par Un système coûteux ? Là encore, nos « Les syndicats sont en première ligne face l’Onem et calculée à partir de plusieurs chiffres démontrent le contraire. à un public de plus en plus sous pression et critères : le nombre de paiements traités A côté des syndicats, il existe un quatrième en détresse, relève-t-on au sein du Collectif (11,203 millions en 2014), la logistique, le organisme de paiement (public quant à solidarité contre l’exclusion. Ils doivent tout personnel nécessaire, mais aussi les ajus- lui) : la Caisse auxiliaire de paiement des faire : payer, suivre, contrôler, annoncer une tements structurels et l’évolution du coût allocations de chômage. exclusion… ça n’est pas simple pour eux. » des salaires. En 2014, la Capac a géré environ 10 % des « Ces matières sont de plus en plus com- Ainsi, en 2014, la CSC a perçu 80,802 mil- dossiers de chômage (1,3 million de paie- plexes, conclut Thierry Muller, du collectif lions d’euros d’indemnités, la FGTB 79,139 ments) et perçu 43,685 millions d’avances. Riposte. La législation change tout le temps. millions et la CGSLB 15,764 millions. Une Aussi, si l’on compare les 4 caisses, un dos- Qui a droit à quoi ? Les chômeurs n’y com- enveloppe en hausse depuis quelques an- sier géré par la FGTB a coûté à l’Etat 17,03 prennent plus rien. Et comme partout, il y a nées. « Ce qui s’explique notamment par un euros, contre 17,41 euros par la CSC, 23,22 des gens très compétents et ouverts dans les accroissement important de la complexité euros par la CGSLB et 33,33 euros via la syndicats, et d’autres moins. » — H.Do. imagine 114 - mars / avril 2016 23
apprendre enquête Pourquoi les syndicats sont devenus moins forts Bruno Devoghel Entre un syndicalisme militant en déclin, le poids écrasant d’une Europe néolibérale, les coups de boutoir du gouvernement Michel, des organisations sous tension et un certain lynchage médiatique, les syndicats ont perdu une partie de leur pouvoir. Voici comment et pourquoi. Ils sont « Depuis leur origine, les syndicats sont tra- partage des tâches – à toi la rue, à moi le Par- au « service de l’Etat » versés par la dialectique entre action directe lement – et une approche pragmatique : ils « Sans les syndicats, rappelle Corine et négociation, radicalité et modération, doivent négocier, donner un visage humain Gobin, politologue et maître de recherches confirme Jean Faniel, directeur du Crisp. au marché, et quand ça n’est plus possible, au FNRS, et dans ce système capitaliste qui Comme l’écrivait en 1948 déjà le sociologue on passe à l’action », confirme Corine Gobin. est le nôtre, le monde serait dans un état plus américain Charles Wright Mills, ils sont de- Désormais, les syndicats sont tenus de effroyable encore en termes d’acquis sociaux venus des “gestionnaires du mécontente- jouer leur rôle essentiel et légitime de et d’inégalités de richesse. Mais force est de ment”. Ils défendent les intérêts spécifiques « partenaires sociaux ». « Mais ils ont com- constater qu’avec le temps, les organisations et immédiats de leurs membres et ne sont plètement intégré le système en siégeant dans syndicales ont été modelées par la social- plus dans l’esprit de transformer la société, un grand nombre d’organes d’avis et de déci- démocratie. » Né des combats ouvriers à la mais plutôt de la préserver, de renforcer le sion [Conseil central de l’économie, Onem, fin du 19e siècle, ce syndicalisme militant, système actuel d’économie capitaliste. » Inami, etc. NDLR], ce qui rend plus difficile engagé dans la « lutte des classes », va très « C’est devenu un syndicalisme de services, de d’exercer un rôle critique. » vite se structurer dans une Belgique à trois concertation, moins militant, à forte capacité Fortement implantés dans les entreprises, piliers (socialiste, chrétien et libéral), pour de mobilisation, mais très dépendant de ses ils proposent par ailleurs à leurs affiliés devenir progressivement un syndicalisme relais politiques », ajoute Bruno Bauraind, une gamme de services très précieux (pro- « d’accompagnement » ou d’« adaptation ». chercheur-formateur au Gresea. « Avec un tection juridique, aide sociale…), mais sont 24 imagine 114 - mars / avril 2016
Face aux diktats de consentie ou non à l’émergence de l’Eu- jours plus rapide que celui du travail », in- l’Europe néolibérale rope des marchés, ils se sentent aujourd’hui siste Bruno Bauraind. et aux nouvelles floués », abonde sa collègue. Le monde de l’entreprise est également en « C’est un échec collectif de la gauche pro- pleine mutation, avec une forte présence réalités économiques, gressiste, reconnaît volontiers Thierry de PME, un recours régulier à la sous- les syndicats sont Bodson, secrétaire fédéral à la FGTB. Par- traitance, des tâches externalisées, des de plus en plus tis, syndicats, monde associatif, on s’est tous laissés imprégner par la social-démocratie. emplois précaires (CDD, temps partiels, travail intérimaire, emplois subsidiés), etc. désarmés. Or, après la crise financière de 2008, nous Ce qui rend de plus en plus complexe le avions un boulevard devant nous. On n’a pas combat syndical. « Pour des syndicats qui loin d’être des « organisations homogènes et su peser assez fort et aujourd’hui les idées ont longtemps été productivistes, attachés monolithiques, rappelle Corine Gobin. On y néolibérales, à l’origine de cette même crise, à la croissance et au plein emploi, c’est un retrouve des niveaux de compétence et de mi- se renforcent partout en Europe. » bouleversement énorme. » litance très différents. Avec un fossé entre une « 70 % des décisions sont prises au niveau Si le travail change de visage, ses militants base souvent conscientisée, au plus près de la européen et c’est effectivement là que tout se aussi. « Historiquement, résume Jean Faniel, réalité sociale, et des dirigeants très impliqués joue », admet Marie-Hélène Ska, secrétaire l’affilié type était un ouvrier qualifié, adulte, de dans les appareils de pouvoir ou alors des générale de la CSC. sexe masculin, autochtone, en activité, occu- technocrates, fascinés par les experts en éco- Et pourtant, l’eurosyndicalisme est lent et pant un emploi stable, à durée indéterminée, à nomie, formés dans les grandes écoles de ges- lourd à mettre en place. Il faut composer temps plein, dans une grande entreprise. » tion qui suivent forcément la voie du marché ». avec des cultures syndicales aux antipo- Aujourd’hui, environ un tiers des affiliés En jouant leur rôle de caisse de chômage des les unes des autres – du modèle alle- sont des « non-actifs ». Et la place laissée aux (lire en p.22), les syndicats sont aussi de- mand de cogestion aux syndicats de com- chômeurs, aux femmes, aux immigrés, aux venus des « serviteurs de l’Etat, ajoute la bat (France, Espagne…), en passant par la jeunes et aux pensionnés reste minoritaire chercheuse du FNRS. Ils tirent leur force, concertation scandinave –, une Confédéra- au sein des organisations. « On ne pourra pas leurs moyens et leur légitimité des pouvoirs tion européenne des syndicats qui manque lutter contre l’exclusion en excluant continuel- publics. Ils sont porteurs d’une autorité qui de moyens et d’indépendance (70 % de son lement les exclus du débat », admet Philippe à la fois les protège et les affaiblit, ce qui est financement vient de la Commission), un Parmentier, de la CSC, pourtant assez active parfois schizophrénique ». puissant lobbying patronal… « Alors on dans ce domaine. « Il nous faut d’un côté dé- Cette évolution se traduit, in fine, par une cherche le plus petit dénominateur com- fendre de nouveaux types de travailleurs et de perte progressive de leur capacité d’in- mun », constate Corine Gobin. l’autre être la voix des sans-voix, ce n’est pas fluence. « Leur pouvoir réel est très difficile « L’Europe des marchés avance bien plus simple », admet Olivier Valentin, secrétaire à évaluer, tempère Bernard Conter, polito- vite que nous, admet Felipe Van Keirsbilck, national de la CGSLB. « Les syndicats doivent logue et chargé de recherches à l’IWEPS. secrétaire fédéral de la CNE. A l’exception ouvrir les yeux : les chômeurs ne sont pas tous On peut additionner le nombre de mani- des dockers qui ont su faire bloc pour em- des inactifs, malheureux, non intégrés, ils ont festants dans la rue, examiner les résultats pêcher la libéralisation des ports, on court des choses à dire, à proposer, il serait temps des élections sociales, compter le nombre tous derrière. En même temps, l’unité syn- de les écouter ! », insiste Thierry Müller, du d’affiliés… L’essentiel, c’est leur capacité à dicale, c’est compliqué : il faut du temps, des collectif Riposte. produire des résultats pour améliorer la vie moyens, tout traduire en 10 ou 15 langues, des citoyens au travers d’accords, parfois dépasser nos différences. » Ils font face peu visibles, mais essentiels, dans les entre- « Comment parler à un patron que vous à un gouvernement hostile prises. Mais au niveau national, force est de ne voyez jamais ?, s’interroge par ailleurs Autre difficulté : le contexte politique au fé- constater que, depuis les années 80, les syn- Jean-François Ramquet, secrétaire régio- déral. Un gouvernement de droite et majori- dicats ne sont plus en mesure de peser sur nal à la FGTB. Quand il faut négocier un tairement flamand (NV-A, libéraux, CD&V). les grandes politiques publiques. » plan de restructuration, on envoie le numé- « Avec une marge de manœuvre ultra-limitée, ro 3 ou le numéro 4 du groupe, sans mandat analyse Bernard Conter, politologue. Proche Ils subissent fort ni l’expérience qui va forcément avec. du patronat, l’exécutif fixe l’agenda, passe en l’Europe des marchés On s’attaque à la représentativité des syndi- force, ne joue plus son rôle d’arbitre, mais de- Leur deuxième difficulté, c’est l’Europe. « Les cats, mais nous, on a une base légitime. Les vient le décideur ultime. » syndicats ont toujours été pro-européens, patrons, ils parlent au nom de qui ? Ils dé- « On peut agir à la marge, en adoucissant rappelle Bruno Bauraind. Une Europe im- fendent les intérêts de qui ? » certaines mesures via le Groupe des 10. Ce parfaite, certes, mais qu’il fallait soutenir. » qui n’est pas rien sur certains dossiers, mais « Cette Europe unie, rempart contre le fas- Ils dépendent cela reste insuffisant, se désole Thierry cisme et le communisme et porteuse d’huma- du contexte économique Jacques, secrétaire fédéral de la CSC nisme », ajoute Corine Gobin. « Aujourd’hui, Chômage de masse, fermetures d’indus- Namur-Dinant. Nous sommes sans cesse ils subissent les foudres du néolibéralisme, tries, émergence du secteur tertiaire, mon- confrontés à des décisions injustes, idiotes peinent à créer un réel contre-pouvoir et dialisation et digitalisation de l’économie : ou indécentes. » sont confrontés à une base militante très cri- voilà désormais les nouvelles réalités éco- « Ils usent tout le temps du même vocabu- tique, voire eurosceptique », note l’expert du nomiques auxquelles sont confrontés les laire : des charges sociales trop “lourdes”, des Gresea. « Après avoir contribué de façon syndicats. « Avec un rythme du capital tou- réformes “inéluctables”, des budgets de l’Etat imagine 114 - mars / avril 2016 25
apprendre rupture », s’inquiète aussi Jean-François riser davantage les conflits sociaux. Autre- enquête Tamellini, secrétaire fédéral FGTB. fois, ces dossiers se soldaient souvent par « Au niveau wallon, c’est pareil, constate des acquittements ou des condamnations qui “explosent”, dénonce Marie-Hélène Ska. Thierry Bodson. Le patronat, c’est le banc symboliques. Voyez récemment le procès des Nous devons composer avec une nouvelle gé- des pleureuses : on n’en fait jamais assez ! ouvriers de Goodyear en France : neuf mois nération politique qui estime qu’elle est seule Ils cèdent tout du bout des lèvres et les syn- ferme. Ce contexte pousse les syndicats à la maîtresse à bord et qu’elle peut tout décider. » dicats ont toujours bon dos. » prudence, voire à l’autocensure, ce qui est « La NV-A et son ventriloque, le MR, ne visent Que ce soit sous la forme de propositions de inquiétant en démocratie. » Et les amène à qu’une chose : détricoter notre modèle social, loi ou de déclarations d’intention, la NV-A, rediscuter prochainement avec le gouver- affaiblir les syndicats, casser les actions col- l’Open VLD et le MR cherchent, depuis de nement du gentlemen’s agreement, un ac- lectives », enchaîne Jean-François Ramquet. longs mois, à limiter drastiquement le pou- cord tacite qui depuis 2004 encadre une Un modèle belge de concertation désormais voir des syndicats en restreignant le droit certaine « paix sociale » en Belgique. en panne. « On a placé 160 fois le mot concer- de grève, en imposant le service minimum, Un climat politique qui, ici encore, affai- tation dans le déclaration gouvernementale. en réduisant la portée des négociations col- blit les organisations syndicales. « On paye Une profession de foi ! En pratique, c’est : lectives, en s’attaquant à leur personnalité 30 ans d’offensive néolibérale et on récolte “écrasez-vous, renoncez à vos acquis et tout juridique, en voulant réduire les primes le fruit de notre inertie et de notre aveugle- ira bien !” », dénonce Felipe Van Keirsbilck. syndicales et les budgets de formation, etc. ment ! », rétorque un cadre de la CGSP. « On « Le gouvernement impose tout, fixe ses « D’un côté, il y a un exécutif poussé dans a trop vite capitulé ! », approuve un métal- règles, cherche à diviser pour régner », le dos par le patronat qui cherche à limiter lo ACV. « Quand vous êtes face à un parti abonde Mario Coppens, président de la les droits et libertés soit en optant pour la tout-puissant au Nord, prêt à casser les corps CGSLB. « La concertation a permis pendant voie législative, soit en étant dans l’idéologie intermédiaires pour arriver à ses fins, vous des décennies de partager les gains de la pure autour, par exemple, de la “grève poli- n’êtes pas en position de force », tempère productivité, c’était du win-win. Les années tique” ou du “droit au travail”, constate Jan Eugène Ernst, de la CSC enseignement. 80 ont été le temps des concessions sociales. Buelens, professeur de droit à l’Université « Si nous n’étions pas là, ce serait pire, Et là, on ouvre une nouvelle ère, celle de la d’Anvers. De l’autre, on cherche à judicia- défend Thierry Bodson. On continue Des travailleurs pressés de toutes parts, mais également traversés par le doute et la colère face au lynchage médiatique qui frappe leurs organisations syndicales. Bruno Devoghel 26 imagine 114 - mars / avril 2016
malgré tout à peser dans les organes de ges- et radicaux. « Nos militants sont effective- politologue. On disqualifie l’action syndicale, tion, pour changer les législations, créer de ment déboussolés, reconnaît Felipe Van délégitime la grève, met en avant les actions la jurisprudence, dire non aux politiques Keirsbilck (CNE). Ils attendent un agenda, violentes menées par une minorité, oppose de quand ils se trompent ». un mot d’ordre, un cap à suivre. » façon fallacieuse le droit de grève et le droit Et tous sonnent l’alarme : « Voyez ce qui « Tout ça pour ça, se dit la base en dressant de travailler et relaye abondamment le mes- se passe en Grèce, en Pologne, en Grande- notre bilan quasi nul au niveau interprofession- sage patronal en calculant, par exemple, le Bretagne… On touche aux libertés syndi- nel », admet Jean-François Tamelini (FGTB). coût de la grève en divisant le PIB par 365 cales, à la presse, aux droits fondamentaux. « Un syndicat, c’est un lieu de vie et de débat, jours, ce qui est totalement absurde ». Plus nos élus se sentent impuissants face rappelle Paul Lootens, président sortant de « La presse mainstream, celle qui pétrit à la domination des marchés, plus ils se la Centrale générale, et la conjoncture ne joue l’opinion, renvoie en continu l’image de replient sur leur petite parcelle d’autorité pas en notre faveur. Mais nous devons aussi syndicats pas assez constructifs, peu créa- avec des slogans chocs et des coupes bud- être capables de faire notre autocritique. » tifs, hostiles aux changements », se désole gétaires qui mettent en péril la cohésion so- « Le moment est venu de balayer devant Daniel Richard (FGTB). « Désinformation, ciale », s’inquiète Marie-Héléne Ska. « Avec notre porte, de réinterroger nos stratégies petites phrases sorties de leur contexte, in- un grand risque, prévient Olivier Valentin et nos structures », abonde Joël Thiry, se- formations anecdotiques… Voilà aussi dans (CGSLB), que les citoyens se referment sur crétaire régional de la FGTB Luxembourg. quel univers nous devons évoluer » déplore eux-mêmes, s’éloignent du militantisme et se « Nous avons besoin de sang froid, de recul, Marie-Hélène Ska. tournent vers les partis extrémistes. » de profondeur dans la réflexion », insiste « Ce déferlement médiatique est d’autant Thierry Jacques, l’ex-président du MOC. plus détestable qu’il vise aussi des per- Ils sont traversés « On entend évidemment tous ces appels du sonnes. Voyez comme on traîne Marc Goblet par des tensions internes pied, réagit Marie-Hélène Ska. Mais notre dans la boue : valet du PS, fort en gueule, « A quoi sert-on encore ?, s’interroge, amer, difficulté, c’est d’être à la fois dans l’action, inculte… Sudpresse s’en est même pris à sa un délégué CGSP de Bruxelles. Nos appa- la réaction, et le temps long, avec des revendi- vie privée, en montant en épingle un conflit reils sont devenus d’une mollesse incroyable. cations de fond pour plus d’égalité et d’éman- familial », s’indigne Paul Lootens. On dirait des généraux qui ne veulent plus se cipation, une meilleure redistribution des ri- « Les médias veulent sans cesse du spectaculaire, battre ! » « On s’est installés dans la routine », chesses. Ce qui, dans cette société de l’urgence du court, du clash. Si vous n’êtes pas en grève, on abonde un délégué CGSLB de Charleroi. « On et de l’image est devenu très compliqué. » ne parlera pas de vous. Les messages modérés, a trop vite capitulé. Les manifs, ces processions L’image, il en est souvent question dans les c’est évidemment moins sexy à vendre », relève de Nord à Midi, c’est inefficace », tranche un critiques. « On ne parvient plus à construire Didier Seghin, attaché de presse à la CGSLB. permanent de la CSC-Textile. « Soit on ac- un contre-discours, à incarner un message « Martelé de toutes parts, le message selon lequel cepte notre mort lente, soit on rebondit », pré- d’espoir, positif, tourné vers tous les citoyens », c’est la crise et qu’il faut faire des efforts est entré vient un affilié Setca. « Nos cadres fréquentent résume ce cadre de la FGTB wallonne. petit à petit dans la tête des gens », constate Aïcha les mêmes restos, conduisent les mêmes grosses A cela s’ajoutent des turbulences internes Magha, sa collègue de la FGTB Wallonne. voitures. Nous sommes allés trop loin dans les au sein du syndicat socialiste (la démission « Un discours lisse, simple, caricatural sur fond logiques de pouvoir. Il n’y a plus d’idéal com- de deux secrétaires fédéraux, les tensions de culte de l’individualisme, déplore Eugène mun », peste un délégué de la FGTB Métal. entre les centrales ouvrières et le Setca, Ernst (CSC). Et nous, nous sommes dans le « La lutte des places a remplacé la lutte des le leadership et l’état de santé de son se- temps long, dans la complexité, dans des dos- classes. On vise son petit intérêt, son plan de crétaire général Marc Goblet…), des di- siers de fonds ». carrière », renchérit un délégué CNE. « On vergences Nord-Sud réapparues lors de « Sur les réseaux sociaux, c’est souvent in- veut plaire davantage à la presse qu’à nos af- la grève de la SNCB, la restructuration au juste et truffé d’erreurs, mais il faut relativi- filiés ! », enchaîne un permanent de la CSC sein de la CSC-ACW liée à la liquidation ser, tempère enfin Thierry Jacques (CSC). Il Bâtiments. d’Arco, son bras financier, emporté dans la s’agit de professionnels de l’injure, une mi- Des témoignages comme ceux-ci – souvent faillite de Dexia en 2011, etc. norité hyperagissante. Les citoyens ne sont critiques, mais sous couvert d’anonymat –, Enfin l’autre critique porte sur l’indépen- pas dupes, notamment les jeunes, qui font nous en avons recueilli bien davantage. Le dance syndicale. « Qu’on arrête de coller aussi preuve d’esprit critique ». ton général ? Amertume à certains étages aux baskets du PS qui n’a plus rien de so- Une critique de bon ou de mauvais aloi et moral en berne. L’objet des critiques ? Le cialiste ! » plaide un cadre FGTB. « Notre face à un contre pouvoir essentiel en dé- projet syndical, la bureaucratie, les moyens force, c’est aussi notre liberté », insiste un mocratie aujourd’hui désarmé, dénigré et d’action, la communication… collègue libéral. « Les relais politiques, c’est en quête de lendemains meilleurs. — H.Do. « Ça fait 20 ans qu’on dit les syndicats au une arme à double tranchant, dit un ponte bord de l’implosion !, sourit Jean Faniel, du de la CSC. Quand le moteur contre pouvoir www.imagine-magazine.com Crisp. Mais, en période de crise, c’est sûr, se grippe, ça se retourne en dépendance ». les tensions internes se font beaucoup plus Barrage de Cheratte : info et intox fortes. » Et des tensions, il y en a. Entre les Ils sont victimes Lire sur notre site ailes flamandes et francophones. Entre de syndicalisme bashing www.imagine-magazine.com les dessous les centrales ouvrières et les employés. Enfin, dernier écueil et pas des moindres : de la controverse autour de ce piquet de Entre l’appareil syndical et la base. Entre le syndicalisme bashing qui sévit dans la grève du 19 octobre 2015 organisé par la partisans du confédéralisme et régiona- presse et sur les réseaux sociaux. « Il y a FGTB sur l’autoroute de Cheratte. listes. Entre adeptes du business as usual une lame de fond, confirme Bernard Conter, imagine 114 - mars / avril 2016 27
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