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L’IMPACT DES ERP SUR LE CONTRÔLE DE GESTION: UNE PREMIÈRE ÉVALUATION

L’IMPACT DES ERP SUR LE CONTRÔLE DE GESTION:
          UNE PREMIÈRE ÉVALUATION

                                Yves de Rongé (Louvain)1
Résumé. L’auteur puise aussi bien dans la littérature sur les systèmes d’informa-
tion et le contrôle de gestion que dans ses propres observations. Il y cerne les
conditions à réunir et l’impact à prévoir dans la firme moderne qui aspire à un
meilleur contrôle via les progiciels intégrés de gestion, ces systèmes dits ERP per-
mettant l’Enterprise Resource Planning. L’auteur analyse de nombreux rapports
d’implantation d’ERP. Il en conclut qu’un meilleur système de contrôle a ses exi-
gences. Il faut: qu’il soit adapté tant à la structure qu’aux stratégies de la firme; que
celle-ci ait investi dans un ERP à sa mesure et rentable; et, que les comptables de
gestion possèdent la compétence (d’utilisation et d’interprétation) nécessitée par
l’ERG.
I.      INTRODUCTION
       Avec l’ère informatique, la firme a connu une rapide évolution de ses
systèmes d’information et son contrôle de gestion n’a cessé d’en être influencé. On
assiste, ces années-ci, à des vagues d’adoption de progiciels intégrés de gestion.
Ceux-ci sont au coeur des systèmes dits ERP permettant l’Enterprise Resource
Planning, comme ceux proposés par SAP, Baan et PeopleSoft. Or, l’importance de
leur impact sur la firme commence à ressortir des études récentes. D’où l’à-propos
ici d’en faire une première évaluation.
      Plus précisément, il s’agit d’identifier les attentes de la firme, de caractériser
les ERP et de cerner leur impact potentiel sur les systèmes de contrôle de gestion.
L’on verra que trois conclusions s’imposent. Premièrement, la firme doit définir
avec soin un système de contrôle bien adapté à ses choix stratégiques et structurels,
choix qui se voient confirmer lors du processus d’implantation de l’ERP. Deu-
xièmement, elle doit s’assurer de la rentabilité de son investissement en ERP.
Troisièmement, elle doit accorder les compétences de son personnel de gestion aux
exigences du bon fonctionnement de son ERP.

1    L’auteur est professeur à l’Université Catholique de Louvain, IAG, Place des Doyens,
     B-1348 Louvain-la-Neuve, Belgique (deronge@fin.ucl.ac.be). Il remercie le professeur
     Maurice Gosselin de l’Université Laval pour ses conseils de même que le Directeur de Finé-
     co, le professeur Guy Charest, pour son appui éditorial.

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      Une analyse succincte des attentes de la firme par rapport à ses systèmes
d’information est présentée à la section II qui suit. Brièvement, elle couvre l’évo-
lution des systèmes d’information depuis les années cinquante et explicite les
besoins d’aujourd’hui en la matière. Dans la section III, on décrit la nature des ERP
et on donne des raisons pour leur adoption. À la section IV, on définit le cadre
d’analyse d’impact des ERP. La section V décrit l’implantation des ERG avec ses
phases et ses exigences pour la firme. Une première synthèse de cas d’implantation
d’ERP est donnée à la section VI. On élabore sur les impacts organisationnels des
ERP à la section VII avant d’en cerner l’impact sur le contrôle de gestion dans la
firme à la section VIII. On conclut à la section IX.

II.      SYSTÈMES D’INFORMATION ET ATTENTES DES FIRMES

       Le système d’information classique collecte, traite, stocke et communique
l’information aux fins de décision, de coordination, de contrôle et d’analyse au sein
d’une organisation (Laudon et Laudon, 2002). Par ailleurs, l’information est la ma-
tière première du contrôle de gestion2. Or, l’informatisation a eu de profondes
répercussions sur le système d’information de l’organisation. Et ses solutions suc-
cessives pour soutenir et organiser ce système ont influé grandement sur le contrôle
des organisations. Faisons un peu d’histoire à ce sujet.

       Dans les années cinquante, l’informatique servait surtout à automatiser les
tâches existantes, y compris le processus de gestion. On cherchait à réduire les
coûts et à traiter avec efficience les tâches routinières (en comptabilité, en gestion
des salaires, etc.). Les gros ordinateurs des années 60 permettaient déjà un contrôle
centralisé de l’information. Selon Nolan et Croson (1995), leur architecture s’ac-
cordait aux principes du contrôle hiérarchique d’alors. Les systèmes d’information
reflétaient donc les pratiques de gestion fonctionnelle dans l’organisation. Chaque
fonction avait son propre système, souvent peu relié aux autres fonctions. Il faut
dire que les systèmes d’information des diverses fonctions (marketing, production,
comptabilité-finance, etc.) n’ont pas été conçus dans le but d’échanger l’informa-
tion.

       Avec l’évolution radicale de l’environnement économique depuis 20 ans, la
firme attend de ses systèmes d’information qu’ils lui aident à s’adapter aux nou-
velles réalités: (1) une concurrence générale accrue (sous l’impulsion des NTIC: les
nouvelles technologies de l’information et de la communication) dans un monde
industriel où la production de masse devient sur mesure et où la performance se
décompose pour s’exprimer en termes de qualité, de délais, d’innovation, etc., pas

2     Au point que le contrôleur de gestion prend souvent le titre de Chief Information Officer.

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seulement en revenus et coûts; (2) une concurrence accrue aussi via la dérèglemen-
tation de pans entiers de l’économie; et (3) un rythme constamment en hausse de
l’innovation technologique qui raccourcit la durée du cycle de vie des produits et
décloisonnent les industries, les services, voire les technologies.

      Les nouvelles réalités juste évoquées ont forcé les structures organisation-
nelles à s’adapter, en particulier face à l’orientation client de plus en plus retenue.
Child (1987) a bien vu comment les NTIC peuvent aider la firme à relever ses nou-
veaux défis stratégiques, les principaux étant: (1) faire face au risque lié à une
demande très fluctuante; (2) gérer un risque d’innovation amplifié par le rythme
croissant des changements technologiques; et (3) contrôler le risque d’inefficience
dû à une concurrence accrue centrée sur le contrôle et la réduction des coûts.

       Face à ces défis, les solutions informatiques issues des systèmes d’informa-
tion cloisonnés par fonction ont montré leurs limites vers la fin des années 80, des
symptômes majeurs en témoignant. Premièrement, plusieurs grandes firmes per-
daient alors le contrôle sur leurs coûts d’informatique. Leur solution provisoire a
été d’externaliser, en partie ou totalité, leurs systèmes, voire leur département,
d’informatique, ou de mettre ce dernier en concurrence systématique avec des
sociétés externes apparentées. Deuxièmement, l’adoption d’une orientation client
et l’accent mis sur les processus de gestion transversaux aux fonctions ont créé des
besoins débordants d’information de gestion. Les systèmes d’information, trop
cloisonnés, ne suffisaient pas à les combler, même avec des interfaces nombreuses
et complexes. Le réencodage manuel des mêmes données en divers points de la
firme se multipliait en toute inefficience. Troisièmement, la croissance via groupe-
ment de bien des firmes multipliait les systèmes informatiques propriétaires et les
difficultés de communication. Comme exemples, citons Chevron qui, après absorp-
tion de Gulf, disposait de 200 systèmes informatiques distincts (Sandoe et al.,
2001) et Electrabel, résultat de fusions entre trois producteurs belges d’électricité,
qui héritait de 43 systèmes différents. Etc.

       En bref, avec les années 90, on voit de nombreux dirigeants exprimer leur
insatisfaction face aux solutions informatiques disponibles. Leurs attentes, toujours
valides, veulent que les systèmes d’information permettent:

-   d’organiser l’intégration des flux d’information entre les unités qui intervien-
    nent en succession, ou conjointement, dans un même processus transversal de
    gestion; la mise au point d’un système d’information en support du fonction-
    nement des processus transversaux aux organisations est certainement la
    priorité;

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-    de définir et de diffuser un langage commun au sein de la firme via une stan-
     dardisation détaillée de l’information liée aux différentes fonctions;
-    de faire fonctionner de nouvelles structures organisationnelles transversales,
     fussent-elles transitoires comme dans le cas des projets;
-    de soutenir les équipes multifonctionnelles dispersées géographiquement;
-    de définir un juste équilibre entre centralisation et décentralisation selon: a) la
     quantité et la qualité de l’information nécessaire aux différents niveaux de
     l’organisation; (b) la fiabilité des canaux de communication; (c) l’efficacité de
     la saisie de l’information; et (d) les capacités cognitives et interprétatives des
     acteurs de l’organisation; et,
-    d’accorder aux utilisateurs un rôle actif dans le développement des systèmes
     d’information en fonction de leurs besoins décisionnels et de contrôle.

      Notons que le souci informatique immédiat des dirigeants au seuil du nou-
veau siècle a été d’échapper au bogue de l’an 2000 et de réussir le passage à l’Euro.
Ces deux préoccupations auraient amené plusieurs entreprises à implanter un ERP
au coeur de leur système global d’information.

III. NATURE DES ERP ET RAISONS D’ADOPTION
       Rappelons que les systèmes ERP (ou Enterprise Resource Planning Systems)
visent à contrôler les flux d’information, de matières, d’argent et de personnes dans
une organisation. Les ERP ont une architecture informatique client-serveur. Dans
le progiciel intégrateur, les données n’entrent qu’une fois, à leur point d’origine.
Ses caractéristiques majeures sont la standardisation de l’information et l’intégra-
tion des activités constituant un processus de gestion. La figure 1 tirée de Sandao
et al. (2001, p. 124), en explicite l’architecture logique. Sa conception modulaire
fait qu’on n’a pas à installer tous les modules du progiciel retenu. Par ailleurs,
l’ERP typique semble répondre aux attentes manageuriales car (a) il englobe la
solution Euro; (b) il permet d’intégrer des systèmes de gestion vu qu’il gère les
interdépendances entre les activités de valorisation, quelle que soit leur apparte-
nance fonctionnelle; (c) son langage commun à l’ensemble de l’organisation
permet une communication transversale; (d) il offre un support potentiel à l’amélio-
ration des décisions de gestion.
       Mabert et al. (2000) indiquent divers motifs derrière le choix d’un ERP, dont
les suivants, en ordre décroissant d’importance: (1) le remplacement des systèmes
propriétaires fonctionnels; (2) la simplification et la standardisation des systèmes;
(3) l’amélioration des interactions et de la communication avec fournisseurs et
clients; (4) l’acquisition d’un avantage stratégique; (5) le lien avec les activités
globales.

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      Notons que le souci de réorganisation lié à l’implantation d’un ERP est une
raison peu citée par les firmes répondantes. Selon diverses études (Besson, 1999;
Besson et Rowe, 2001), l’implantation d’un ERP se révèle plus complexe que
prévu et les résultats attendus se concrétisent difficilement. Notre intérêt ci-dessous
est d’y voir plus clair certes, mais également d’entrevoir l’impact que l’implanta-
tion d’un ERP peut avoir sur le contrôle de gestion dans la firme.

IV. BASE THÉORIQUE D’ANALYSE D’IMPACT

      Dans notre analyse d’impact des ERP, nous avons besoin d’assises
théoriques. Pour les établir, nous positionnons l’ERP par rapport aux trois niveaux
de contrôle classiques adoptés depuis l’apport séminal d’Anthony (1965), à savoir:
contrôle ou planification stratégique, contrôle de gestion et contrôle opérationnel.
Puis, nous puisons dans les théories concurrentes quant à l’impact sur la firme des
NTIC avant d’adopter une perspective d’analyse dite contingente.

a.     ERP et niveaux de contrôle

       Selon Anthony (1965) et les travaux dans son sillage (Anthony et al., 1985;
Anthony et Govindarajan, 1998; etc.), le contrôle organisationnel s’exerce à trois
niveaux: la stratégie, la gestion et les opérations. Plus précisément, on a: (1) le pro-
cessus de planification stratégique qui consiste à décider des buts de l’organisation
et des stratégies pour les atteindre; son orientation est à long terme et centrée sur
les évolutions dans l’environnement externe; (2) le processus de contrôle de gestion
par lequel les manageurs utilisent leur influence pour mettre en oeuvre les stratégies
de l’organisation; ce processus doit assurer la cohérence entre la stratégie et le quo-
tidien des actions du personnel; il définit aussi les modalités pour que le contrôle
opérationnel soit cohérent avec les objectifs stratégiques retenus; et (3) le processus
de contrôle opérationnel ayant pour effet visé que les tâches spécifiques s’accom-
plissent, au jour le jour, avec efficience et efficacité.

       Les besoins d’information diffèrent à chaque niveau de contrôle. Certains
auteurs, dont Sandoe et al. (2001), établissent les correspondances entre niveaux de
contrôle et systèmes d’information, comme on le voit à la figure 2. Le champ
d’application premier de l’ERP se situe au niveau du contrôle opérationnel dans le
système d’information sur les transactions de base. Avec l’ERP, on a un change-
ment majeur: l’information est partout standardisée, quel que soit le module dans
lequel on se situe, de sorte qu’un client se définit de la même façon dans tout mo-
dule. L’ERP permet aussi d’organiser toutes les transactions qui sont liées à une
première transaction. Par exemple, si un fabricant est saisi d’une commande pour
un article, le système génère la chaîne suivante de transactions: on vérifie si l’article

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est en stock et si oui, on le réserve et organise sa livraison; sinon, on ordonne la fa-
brication de l’article, ce qui amène à vérifier si les inputs sont disponibles, à défaut
de quoi on ordonne de les fabriquer ou de les commander des fournisseurs; etc.,
etc., jusqu’à ce qu’on organise le transport, émette la facture et enregistre les écri-
tures comptables exigées par le processus.

       Cette volonté d’intégration et de standardisation pèse lourd sur la collecte de
données et modifie le rôle des opérateurs fonctionnels. Lorsqu’une transaction est
saisie pour la première fois, les données nécessaires à toutes les fonctions doivent
l’être aussi. Dans l’exemple précédent, le vendeur à un nouveau client doit ali-
menter la base de données avec les informations nécessaires pour la production, la
facturation et la comptabilisation de la transaction. Dans un système non intégré, la
commande initiale entraîne les mêmes opérations mais la saisie se fait dans le
système de chaque fonction visée selon ses besoins d’information. Ainsi, les
mêmes données se trouvent saisies plusieurs fois, et souvent de façon bien dif-
férente, ce qui rend difficile le transfert de données et la communication entre
fonctions.

       Un deuxième impact important apparaît au niveau du contrôle de gestion.
Historiquement, le contrôle de gestion est né dans les années 20 chez les géants en
devenir (GM, du Pont, etc.) avec un langage inventif qui déjà permettait de com-
parer les performances d’activités différentes au sein des divisions d’une même
firme. L’évolution qui a mené à l’ERP, (avec son progiciel intégré de gestion) a
produit au moins deux effets sur le contrôle financier: (1) la standardisation et
l’intégration, caractéristiques fondamentales des progiciels, donnent une meilleure
traduction de l’activité des autres fonctions dans la firme en termes financiers, ce
qui réduit la marge de manoeuvre des fonctions de production et de marketing par
exemple; on peut déjà concevoir (voir figure 3) un ERP qui traduirait l’ensemble
des processus de l’organisation dans une représentation financière intégrée et stan-
dardisée; et, (2) la réduction des délais dans les rapports de contrôle de gestion; par
exemple, les rapports comptables mensuels sortaient 15 à 20 jours ouvrables après
la clôture, contre 10 jours maintenant, voire 3 ou 4; ainsi, le contrôleur de gestion
a le temps de se transformer de “chiffreur” en analyste du business. Les développe-
ments récents du progiciel semblent aussi influer sur le niveau du contrôle
stratégique via le nouveau système, dit de pilotage stratégique, soutenu par une
architecture d’ERP.

b.    Une perspective contingente de la solution ERP

      L’impact des technologies de l’information (TI) sur les structures organisa-
tionnelles, donc sur le contrôle de gestion, ne fait pas l’unanimité chez les

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théoriciens. Markus et Robey (1988) distinguent trois visions du lien causal entre
les TI et le changement organisationnel:

(1) L’impératif technologique. Ici la technologie agirait comme une force exogène
    qui conditionnerait le comportement des individus et des organisations. Selon
    cette vision, plus de TI causerait plus de centralisation. Or, l’évidence empiri-
    que qui s’accumule depuis l’évaluation critique de Robey (1977) ne semble pas
    beaucoup soutenir cette prédiction: dans un environnement d’incertitude (et
    c’est notre monde) les TI favoriseraient plutôt la décentralisation.

(2) L’impératif organisationnel. Ici l’organisation est déterminante. Ses ma-
    nageurs construisent des systèmes d’information et de contrôle en réponse à
    ses besoins d’information. Dans cette veine, MacIntosh (1985) développe son
    modèle contextuel des systèmes d’information (comptable comprise) où il
    associe les quatre types de technologies selon Perrow (1967) à quatre types de
    systèmes de contrôle de gestion: (1) un système fermé, adapté à une technolo-
    gie de routine, avec ses rapports fréquents de données détaillées, spécifiques,
    définies a priori par la direction générale; (2) un système orienté résultats,
    adapté à une technologie artisanale, avec ses rapports espacés de données
    générales; (3) un système orienté perspectives, adapté à une technologie de
    recherche, avec ses rapports espacés peu détaillés, allant de bas en haut dans la
    firme; et (4) un dernier système de contrôle de gestion détaillé et complet,
    adapté à une technologie technico-professionnelle, avec ses rapports plutôt
    espacés, de type spécifique, ou de statistiques détaillées, le tout accompagné
    d’informations budgétaires relativement générales.

(3) La vision d’un impact imprévisible. Ici, selon Markus et Robey (1988: 588),
    “les usages et les conséquences des technologies de l’information émergent de
    façon imprévisible d’interactions sociales complexes”. La technologie peut
    créer du changement organisationnel mais, avant de l’implanter, on ne peut
    prédire sa forme.

       Quant à notre perspective, elle est dite contingente. Comme vision, elle
s’avère assez proche parente de l’impératif organisationnel voulant que les
systèmes de contrôle répondent aux besoins de l’organisation, qu’ils soient straté-
giques, structurels, culturels, technologiques ou autres. L’hypothèse est faite que
les progiciels de gestion vont influer sur les firmes en fonction de variables contin-
gentes comme la stratégie choisie ou la structure organisationnelle mise en place.

     En fait, nous reprenons la perspective contingente simplifiée de Chenhall
(2001) pour l’étendre au contrôle de gestion. Ici, la variable contingente qu’est la

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stratégie n’est pas, à strictement parler, un élément de contexte. En choisissant une
stratégie modifiée ou nouvelle, les dirigeants de l’organisation peuvent influencer
aussi bien son environnement externe que ses technologies, sa structure et ses
modalités de contrôle (Fischer, 1995; Chenhall, 2001). Dans cette perspective, on
peut soutenir l’hypothèse suivante: la stratégie, la structure et les modalités de con-
trôle mises en place vont infléchir le choix du progiciel de gestion, du nombre de
ses modules et du mode d’implantation de l’ERP. Avant d’examiner de plus près
l’articulation ERP-stratégie/structure, il importe de bien savoir ce que signifie
l’implantation de l’ERP.

V.      L’IMPLANTATION D’UN ERP: PHASES ET PROBLÈMES

      Le processus d’implantation de l’ERP a ses phases critiques que nous exa-
minons ci-dessous en vue d’en mieux comprendre l’impact possible sur le contrôle
de gestion. Certaines illustrations sont empruntées à l’expérience de trois grandes
organisations:

.     Une multinationale pétrochimique (35 pays, 15 000 employés)
.     Une grosse PME au sein d’un groupe sidérurgique (3 usines dans 3 pays, 415
      employés, bureaux dans 8 pays)
.     Une université (2 campus, 10 facultés, 50 départements, 4 000 employés dont
      500 professeurs).

       L’implantation d’un ERP comprend d’ordinaire les cinq phases suivantes:
(1) le choix d’une solution ERP; (2) l’analyse des processus de gestion en place; (3)
leur réingénérie; (4) la particularisation de l’ERP (son adaptation à des besoins par-
ticuliers); et (5) la mise en place.

(1)     Le choix d’une solution ERP

       Dans cette phase initiale, la firme précise les besoins à combler par ses
systèmes d’information et analyse les solutions offertes sur le marché selon des
critères d’adéquation pertinents. On répète que les facteurs problématiques à ce
stade résident dans:

-     une piètre définition des besoins en systèmes d’information et de TI;

-     une définition insuffisante des objectifs correspondants de l’organisation;
-     une méconnaissance de la philosophie derrière les systèmes ERP;
-     une faible perception du lien entre ERP et réingénérie des processus;

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-     une minimisation du coût réel d’implantation de la solution ERP et pareille-
      ment pour sa grave complexité et les crises qui peuvent en surgir;
-     la difficulté d’appliquer les critères classiques de rentabilité à l’évaluation d’un
      projet d’ERP;
-     le manque d’implanteurs expérimentés dans la firme et chez les consultants;
      etc.

       Dans le premier des trois cas déjà mentionnés, il s’agit, au départ, d’une mul-
tinationale décentralisée où les filiales ont l’autonomie de développer leurs systè-
mes d’information et de choisir leurs solutions informatiques. La production y est
la fonction dominante jusqu’au tournant des années 90, alors qu’une concurrence
accrue et une crise financière viennent modifier la stratégie de la multinationale et
augmenter l’importance des fonctions marketing et finance. Et avec la stratégie
modifiée s’inscrit l’implantation graduelle d’un ERP commun aux filiales du
groupe. Pour plus ample description, lire de Rongé et Cerrada (1996).

       Dans le cas de la PME, sa direction change au milieu des années 90. Une
équipe rajeunie hérite d’une firme traditionnelle où les systèmes d’information et
les solutions informatiques sont peu développées, au point où, par exemple, le cal-
cul mensuel des coûts de revient se fait à la main. Ici, l’étude d’implantation d’un
ERP s’engage dans la perspective de moderniser la gestion de la PME.

       Dans le cas de l’université, elle vise au départ à remplacer un logiciel de ges-
tion comptable et financière devenu inapte à répondre aux besoins de ses
destinataires. L’université dispose paradoxalement d’une administration très cen-
tralisée mais elle abrite en même temps un grand nombre de décideurs dès qu’il
s’agit de fonds obtenus par contrats externes.

(2)     L’analyse des processus de gestion

       Lorsqu’une solution ERP a été retenue, la phase importante qui suit comporte
une analyse à double volet des processus de gestion: (1) une analyse visant à com-
prendre pleinement le fonctionnement des processus organisationnels et à identifier
ses problèmes en termes de temps perdu, de duplication des tâches, d’inefficiences,
etc.; (2) une analyse détaillée des systèmes d’information en place.

       Dans la multinationale déjà décrite (décentralisée, avec autonomie comp-
table et informatique pour les filiales), les formats de données et les pratiques bud-
gétaires n’étaient pas standardisées et les communications informatiques inter-
systèmes impossibles. D’où, par exemple, des réencodages multiples des mêmes
données. En Europe, les filiales en étaient fort aise car leurs systèmes produisaient

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L’IMPACT DES ERP SUR LE CONTRÔLE DE GESTION: UNE PREMIÈRE ÉVALUATION

“leur” information nécessaire à leurs décisions et à leur contrôle de gestion. Mais
la direction européenne déplorait que l’absence de standardisation de l’information
l’empêchait, par exemple, de comparer les performances des filiales.

       Pour la PME, l’analyse révéla que la plupart de ses processus (de production,
de contrôle de qualité, de ventes, de comptabilité, de finance, etc.) étaient insuf-
fisamment documentés, le savoir résidant surtout dans la tête de ses employés.
Quant à l’université, pour l’essentiel, l’analyse détaillée n’a pu porter que sur cer-
tains processus d’achat et de dépenses.

(3)   Le réingénérie des processus

      La phase de réingénérie est probablement la plus critique dans l’implantation
d’un ERP car elle conditionne fortement les bénéfices à en tirer. Lors d’une telle
implantation, l’organisation se trouve, en matière de réingénérie sur un continuum
entre les deux positions suivantes: (1) les processus de gestion, ayant bénéficié
d’une analyse complète, ont été reconfigurés optimalement avant d’entamer
l’implantation du ERP; (2) le personnel de l’organisation n’a aucune compréhen-
sion de la vision processus qui sous-tend l’ERP.

      Dans le cas de notre multinationale, on a confié à une équipe multifiliale de
25 personnes, de souche comptable ou informatique, le soin d’élaborer un système
d’information commun pour les activités de distribution pétrolière. Parallèlement,
une équipe de 4 a établi un plan comptable pour toutes les composantes du groupe.
Dans le cas de la PME, un an après le début de l’implantation de l’ERP, on a
demandé à une firme-conseil de proposer une réingénérie complète des processus
de commande, d’achat, de production et de comptabilité-finance. Dans le cas de
l’université, c’est une équipe alliant département financier et consultants qui a pré-
paré la réingénérie de la fonction achats.

(4)   La particularisation des modules

       La plupart des ERP offrent des solutions concurrentes pour organiser les pro-
cessus de gestion. Elles correspondent à des pratiques reconnues dans l’industrie.
Or, il est crucial que, pour chaque processus à informatiser: (1) l’on sache bien
choisir entre les solutions contenues dans l’ERP; et (2) que l’on puisse particu-
lariser les modules en fonction des besoins spécifiques. Il faut préciser, cependant,
que cette particularisation est très coûteuse: programmation à langage spécifique
nécessitant des consultants, reprogrammation due à la nécessité, par exemple,
d’accéder à de nouvelles fonctionnalités (comme l’accès à l’Internet); etc. Dans la
pratique, trois solutions semblent émerger: (a) pour chaque processus de gestion,

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retenir une solution préexistante dans le progiciel retenu, car il est plus économique
d’adapter un processus de l’organisation au progiciel que faire le contraire: (b) dis-
tinguer entre les processus compatibles avec une solution standard comprise dans
l’ERP et ceux qui nécessitent des particularisations modulaires; (c) catégoriser
aussi les processus de gestion entre: (1) ceux qui se conforment à une solution stan-
dard de l’ERP; (2) les processus particularisés intégrés au sein de l’ERP; et (3) ceux
qu’on gardera à part par souci stratégique (pour préserver un avantage concurren-
tiel, par exemple).

       Les solutions proposées, deviennent, au fil de l’implantation, des solutions
fort remaniées. Il ne va pas de soi alors que les organisations avec ERP parviennent
à une harmonisation de leurs systèmes d’information. Dans une perspective contin-
gente, c’est la stratégie et la structure de l’organisation qui détermineraient
l’étendue d’application de l’ERP et son degré de particularisation.

(5)     Mise en place

       La phase de mise en place de l’ERP poserait de graves difficultés de transi-
tion, de formation et de communication.

      La transition au système ERP se gère mal, semble-t-il. Les revues profession-
nelles ne manquent pas d’exemples où la production a souffert (paralysie d’usine),
de même que les clients (confusion entre eux, commandes non livrées) et la factu-
ration. Davenport (1998) cite FoxMeyer affirmant que la mise en place d’un ERP
a précipité sa faillite.

       De plus, la firme sous-estimerait largement l’ampleur de la formation dont
son personnel a besoin pour maîtriser l’utilisation du progiciel, ce qu’indiquerait
d’ailleurs son budget irréaliste d’implantation. Et ce manque de formation ren-
forcerait la difficulté de gérer la transition.

      Enfin, des problèmes de communication découleraient du fait que l’ERP
impose une vision processus de l’organisation plutôt que fonctionnelle classique.
Or, cette vision est horizontale et transversale aux divisions fonctionnelles et
celles-ci n’ont pas l’habitude de communiquer entre elles.

VI. SYNTHÈSE DE CAS D’IMPLANTATION D’ERP

       La décision d’implanter un ERP vient en général du manque de performance
et de la rigidité des systèmes classiques en place. Mais parce que, au moment du
choix de l’ERP, on évalue mal son potentiel, sa logique processus et sa complexité,

56    FINÉCO, volume 10, année 2000
L’IMPACT DES ERP SUR LE CONTRÔLE DE GESTION: UNE PREMIÈRE ÉVALUATION

des difficultés majeures tendent à survenir en cours d’implantation. Par exemple,
en implantant une solution ERP proposée par SAN, notre PME sidérurgique déjà
décrite s’est trouvée devant le besoin inattendu d’une étude coûteuse de reconfigu-
ration de ses processus. La crise a été grave au point d’interrompre l’implantation,
de renvoyer les consultants et de subir un long délai avant de pouvoir trouver une
nouvelle solution ERP avec d’autres consultants.

       Ce qui caractérise aussi les expériences d’implantation d’un ERP, c’est
l’implication importante de la direction dans le projet. Ce constat rejoint les résul-
tats d’études sur les innovations en contrôle de gestion (comptabilité par activités,
tableau de bord équilibré, etc.), comme Shields (1995) en atteste.

      Par ailleurs, le degré d’autonomie laissée aux filiales mène à deux formes
d’intégration des systèmes d’information: (1) une intégration verticale si l’implan-
tation d’un ERP est une décision du groupe comme dans notre cas de
multinationale; et (2) une intégration horizontale lorsque c’est une filiale locale qui
implante l’ERP, comme dans notre cas de PME.

      L’on observe également que les stratégies d’implantation se différencient
surtout par: (1) le nombre de modules retenus parmi tous ceux que le progiciel ren-
ferme; et plus ce nombre s’élève, plus l’effort de standardisation et d’intégration
sera grand; (2) le choix entre l’approche totale (dite “big bang”), où l’on change le
système d’information en une fois pour tous les modules et toutes les filiales, et
l’approche graduelle où l’on commence par une filiale ou par un nombre limité de
modules dans quelques filiales; et (3) le degré de particularisation du progiciel,
donc de son adaptation aux besoins particuliers, présents et prévus, de l’organi-
sation.

       Les expériences étudiées indiquent également que pour implanter avec suc-
cès un ERP, il faut obtenir le support continu de la direction générale, une forte
implication des utilisateurs des systèmes d’information et l’assurance que l’opéra-
tion est menée par des professionnels, tant internes qu’externes. Il faut aussi définir
clairement le rôle des consultants en tout équilibre avec celui de l’équipe interne.

       En 2001, vu la nouveauté relative des ERP, il serait prématuré de faire le
bilan des implantations connues de nous. Néanmoins, certains constats semblent
récurrents: (1) une fois l’ERP mis en place, il est très difficile d’en mesurer les
effets sur l’efficacité et l’efficience des processus de gestion, y compris ceux de
leur réingénérie, et de les dissocier des effets acquis durant la mise en place; (2)
l’introduction d’un ERP peut signifier soit une décentralisation régulée, soit (moins
fréquemment) une centralisation renforcée; (3) on peut, dans cerains cas, observer

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YVES DE RONGÉ

une économie d’effectifs (en informatique/finance/contrôle) mais moindre que
prévu, alors que ce sont souvent les économies d’effectifs attendues, bien chif-
frables, qui ont justifié le projet; et (4) il s’ensuivrait souvent une certaine amélio-
ration (sans mesure précise) du fonctionnement transversal de l’organisation.

      Dans une perspective contingente, il importe de voir comment la solution
ERP s’adapte à l’organisation et vice-versa. Les effets à double sens, simultanés,
voire séquentiels, sont inévitables ici et bien malin qui peut en détecter le sens do-
minant à court ou moyen terme.

VII. IMPACTS ORGANISATIONNELS

a.     ERP et stratégies de la firme

      Le choix par la firme d’un ERP comme progiciel pour soutenir son système
d’information soulève diverses questions sur le plan de ses stratégies. Quel est,
pour la firme, l’impact potentiel du progiciel en termes d’avantages concurrentiels
(actuels et potentiels) et d’extension de ses capacités stratégiques? Quelle influence
aura-t-il sur sa structure de coûts? Et qu’advient-il des choix des concurrents en
matière d’ERP? Et des solutions informatiques retenues chez les clients et fournis-
seurs? Ont-ils implanté une solution ERP avec quel impact sur nos relations d’affai-
res? Etc.

       La solution informatique qu’est l’ERP exige qu’on standardise l’information
et qu’on y intègre les processus appropriés. Or, dès qu’un vrai processus a été infor-
matisé via un module du progiciel, il devient difficile et coûteux de le modifier.
D’où l’importance d’identifier les processus peu susceptibles de mutation rapide
après leur standardisation. Ils sont les plus indiqués pour l’intégration au ERP.
L’analyse stratégique permet justement de distinguer entre les processus clés, ou
avantageux, c’est-à-dire ceux qui sont les plus créatifs de valeur et d’avantages
concurrentiels pour la firme, et les autres processus nécessaires, parce que essen-
tiels à son bon fonctionnement. Or, comme les processus avantageux ont besoin
d’être à la fois souples et voilés pour qu’ils le demeurent, souvent on ne les intègre
pas au ERP. Ce sont plutôt les processus dits nécessaires qu’on y intègre.

      Ainsi, la stratégie de la firme dicterait le choix des processus à intégrer au
ERP, et les processus, dits avantageux en seraient exclus. Son implantation va donc
varier selon la stratégie de la firme et ses avantages concurrentiels (Davenport,
1998, 2000).

58   FINÉCO, volume 10, année 2000
L’IMPACT DES ERP SUR LE CONTRÔLE DE GESTION: UNE PREMIÈRE ÉVALUATION

b.    ERP et structure/culture organisationnelle

        L’adoption d’un ERP et du progiciel sous-jacent influe sur l’organisation. En
effet, le progiciel structure le système d’information, non sans influence de la struc-
ture hiérarchique décisionnelle. De plus, dans un progiciel, l’organisation est vue
comme un ensemble de processus plutôt que de fonctions. Par ailleurs, dans la théo-
rie sur la firme vue comme une chaîne de valeur (Porter 1980, 1985), un processus
se définit comme des activités reliées visant à réaliser un output global au bénéfice
d’un client interne ou externe. Pour Lorino (1995), il s’agit d’activités, reliées par
des flux d’information, qui produisent un bien défini.

       Le progiciel choisi ne peut qu’influer sur le degré de centralisation dans la
firme. Il permet de décentraliser la saisie des données ainsi qu’un accès central et
local à l’information agrégée à divers niveaux du système. Toujours dans notre
exemple de multinationale, avec ses filiales appréciatives de leur autonomie, no-
tamment sur les plans comptable et informatique, et où les rapports mensuels vers
la société-mère n’étaient pas standardisés, l’implantation d’un ERP s’est accompa-
gnée d’un plan comptable commun, avec des conséquences, heureuses semble-t-il,
pour la direction centrale. D’abord, la maison-mère se déclare fort satisfaite d’un
meilleur contrôle de gestion, les comparaisons de performance interfiliales étant
devenues plus fiables. Elle voit aussi se réduire son fardeau d’encodage, du fait que
les comptables des filiales communiquent avec elle en langage standardisé. Égale-
ment, elle devient capable de forer à volonté et jusqu’au détail, dans les strates
d’information locales (exemple: l’agence X dans tels pays a encaissé Y hier). Le
revers ici, c’est méfiance et perte d’autonomie pour les filiales. Qui plus est, cer-
taines des filiales, étant très spécifiques et donc mal prises en compte dans le
système standardisé, se retrouvent en manque d’information pour leurs propres fins
décisionnelles ou de contrôle.

      Selon Davenport (2000) et sa synthèse de quelque 50 cas d’implantation
d’ERP, il y a des firmes qui, au départ du processus, ne spécifient aucun objectif
organisationnel. D’autres s’y engagent après un échec dans leurs efforts d’intégra-
tion. Enfin, certaines visent explicitement, via l’ERP, à créer une culture plus
disciplinée autour de systèmes d’information centrés sur les processus.

      On distingue également trois approches dans le choix du progiciel et des
applications au sein des grands groupes: centralisée, fédérale et décentralisée. Dans
l’approche centralisée, la maison-mère choisit aussi bien le progiciel que les mo-
dules à implanter et les impose aux divisions et filiales. Selon l’approche fédérale
(Davenport, 2000: 123-125), les entités ont en commun un sous-ensemble de pro-
cessus et d’informations. Dans l’approche décentralisée, toute entité d’une certaine

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YVES DE RONGÉ

taille reste libre de construire son système d’information en fonction de ses besoins
spécifiques.

      Il nous reste à résumer l’impact apparent de la solution ERP sur le contrôle
de gestion dans les organisations.

VIII. IMPLANTATION D’UN ERP ET ÉVOLUTION DU CON-
      TRÔLE

      Rappelons d’abord quelques auteurs récents sur les innovations en contrôle
de gestion. Anderson (1995) adapte le modèle unificateur de Kwon et Zmud (1987)
à l’implantation des systèmes d’information pour étudier comment l’innovation
ABC/ABM, de contrôle par activité de la firme et de ses coûts, s’est répandue chez
General Motors. (NB: AB symbolise “activity-based”, C “costing” et M “manage-
ment”.) Gosselin (1997) examine, dans une perspective contingente, le rôle joué
par la stratégie et la structure dans l’adoption et l’implantation d’une innovation
comme l’ABC/ABM.

       Notre perspective se veut contingente: l’impact des ERP sur le contrôle de
gestion dépend surtout des deux principales variables contingentes que sont la
stratégie et la structure.

       Le premier impact important d’un ERP central est qu’il impose une vision
processus de l’organisation. Il lie, et donc intègre, divers processus et fonctions de
gestion. L’ampleur de l’intégration dépendra des choix stratégiques quant au nom-
bre de processus inclus dans l’ERP et quant à la structure des centres de respon-
sabilité. Les modules retenus traduisent la manière dont les firmes rassemblent
leurs activités en processus de gestion. L’ERP va donc permettre de mesurer la per-
formance des processus et renforce ainsi la vision processus par rappport à la vision
fonctionnelle classique.

        Notons que cette vision processus de l’ERP semble compatible avec la vision
sous-jacente au modèle de contrôle par activité de type ABC. Toutefois, les
premières versions de l’ERP de SAP, par exemple, ne facilitaient pas l’instauration
d’un contrôle de type ABC. Granlund et Malmi (2000) estiment que les firmes
ayant adopté l’ABC avant d’implanter un ERP ne l’ont pas intégré dans l’ERP et
l’utilisent en parallèle.

       Notons aussi que si la firme choisit d’implanter l’ensemble des modules d’un
ERP, elle en obtient d’ordinaire une intégration essentiellement financière. En
effet, toutes les transactions liées aux fonctions intégrées dans l’ERP (production,

60   FINÉCO, volume 10, année 2000
L’IMPACT DES ERP SUR LE CONTRÔLE DE GESTION: UNE PREMIÈRE ÉVALUATION

achats, ventes, effectifs, etc.) ayant un quelconque impact sur les flux financiers
vont se répercuter dans les modules de comptabilité tant financière que de gestion.
Et toutes les déviations (erreurs ou inexactitudes) dans la traduction des processus
de gestion dans l’ERP vont faire apparaître des déviations dans le module de
comptabilité financière. Ainsi, l’information transactionnelle saisie dans les mo-
dules et celle traduisant son impact sur les flux financiers se déversent en entonnoir
dans le module de comptabilité financière. Il s’ensuit que l’ERP centrée sur la
comptabilité financière a plusieurs conséquences: (1) il permet de traduire avec
grande transparence la performance économique et financière des fonctions qui lui
sont intégrées; (2) la standardisation et l’intégration y adoptent un langage surtout
comptable et financier; (3) les financiers et contrôleurs y trouvent plus de pouvoir;
etc.

      Par ailleurs, l’intégration des modules, en particulier l’intégration entre
comptabilité financière et comptabilité de gestion, limite les jeux et maquillages
comptables, ce qui donne plus de transparence. Elle permet aussi de réduire le délai
dans les rapports mensuels à 3 ou 4 jours (contre 15 ou 20 avant).

       Même si le métier de contrôleur de gestion en contexte d’ERP reste à pré-
ciser, on en voit déjà des éléments d’évolution. Par exemple, la saisie d’une bonne
partie de l’information comptable se fait hors département, dans les fonctions
(vente, production, etc.) où les transactions sont initiées et enregistrées. À leur tour,
les enregistrements génèrent leur traduction comptable. Par ailleurs, la vitesse de
sortie des rapports, due aux calculs programmés, laisse du temps au comptable pour
devenir un analyste de gestion. Mais cette évolution de chiffreur vers analyste
devrait réduire les effectifs nécessaires en comptabilité de gestion.

       Une fois l’ERP implanté, les contrôleurs de gestion jouent d’ordinaire un rôle
important de maintenance et d’adaptation de l’ERP du fait qu’ils sont en charge des
bases de données sous-jacentes. Il apparaît également que leur rôle dépend avant
tout de la stratégie d’implantation de l’ERP. En effet, une stratégie centralisatrice
appelle naturellement une centralisation complète des fonctions de comptabilité, de
finance, de contrôle et d’audit au sein d’un centre de services partagés. Une
stratégie fédéraliste, où seuls quelques processus sont communs aux entités, mène
à une autre organisation en matière de finance et de contrôle, avec à la fois un
département central et des contrôleurs agissant au niveau des entités.

IX. CONCLUSION

      Les études (de cas ou autres) sur le contrôle de gestion en contexte ERP ne
sont pas très nombreuses. Il en ressort néanmoins quelques conclusions.

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YVES DE RONGÉ

(1) Il est primordial que l’organisation définisse avec soin un système de contrôle
    bien adapté à ses choix stratégiques et structurels, ceux-ci se voyant confirmés
    au fil de l’implantation de l’ERP; il résulte de tels choix une certaine diversité
    d’implantations ERP dans la pratique; or, cette diversité se manifeste dans le
    nombre de modules retenus et dans les façons d’adapter des processus ERP
    standards ou de les particulariser selon ses besoins.

(2) Il importe d’établir la rentabilité de l’investissement en ERP et donc les éco-
    nomies à en dériver (en personnel surtout) tout en prévoyant un suivi serré pour
    qu’elles se réalisent.

(3) Il faut pouvoir compter sur les qualités et compétences qu’exige l’ERP. Le
    comptable de gestion va créer de la valeur pour l’entreprise dans la mesure où
    son analyse des chiffres produits par le système permet à la firme d’améliorer
    ses décisions, son contrôle et sa gestion des risques.

(4) Il est crucial, en contexte ERP, d’investir suffisamment pour s’assurer que son
    personnel a la formation requise et peut gérer la transition.

      De nombreuses questions restent ouvertes. Avec la nouvelle vague ERP
(subséquente aux solutions An 2000 et Euro), on pourra mieux voir comment les
facteurs de contingence, comme la structure et la stratégie, agissent sur les choix de
progiciels et, en même temps, mieux saisir comment la qualité du contrôle de ges-
tion évolue dans les firmes ayant opté pour un ERP.

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