Obésité : quelles conséquences pour l'économie et comment les limiter ?
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n° 179 Obésité : quelles conséquences pour l'économie et comment les limiter ? Alors qu'elles représentent un peu moins de la moitié de la population, les personnes obèses ou en surpoids contribuent à une part plus élevée des dépenses de santé (56 % pour les soins de ville et probablement davantage à l'hôpital). L'excès de poids entraîne en effet des conséquences sanitaires particulièrement néfastes : à la fois sur la morbidité, en accroissant le risque de contracter une maladie chronique, et sur la mortalité (13 % des décès en Europe étaient imputables à l'obésité en 2002). Cette dernière reflète également d'importantes inégalités sociales puisqu'elle est sur représentée chez les ménages modestes. Le coût social de la surcharge pondérale avoisinait 20 Md€ (1 % du PIB) en 2012 soit un montant comparable à celui de l'alcool et du tabac. Toutefois, le coût par individu concerné est largement inférieur à celui par personne alcoolique ou par fumeur puisque bien plus d'individus sont concernés par la surcharge pondérale. De plus, les comportements individuels ne doivent être stigmatisés puisque, contrairement à l'alcool et au tabac qui dépendent des comportements individuels, les causes de l'obésité sont multiples (qualité des aliments consommés, déterminants génétiques etc.). Si des mesures pertinentes ont déjà été mises en œuvre pour tenter de contenir la hausse du nombre de personnes en excès de poids, elles peuvent encore sembler insuffisantes face aux risques sanitaires encourus et notamment l'augmentation prévisionnelle du nombre de personnes obèses et en surpoids (33,0 millions en 2030 contre 24,6 en 2012). Les mesures de prévention passées ont principalement mis l'accent sur les campagnes d'information de masse. Il semble possible de renforcer les incitations pour les médecins à développer la prévention et d'améliorer l'efficacité des taxes nutritionnelles pour qu'elles infléchissent de manière plus marquée les comportements. S'il semble souhaitable d'agir sur la fiscalité comportementale dans le but d'améliorer les politiques de lutte contre l'obésité en France, d'autres types de mesures non coûteuses et innovantes pourraient être encouragées pour lutter contre l'excès de poids qu'il s'agisse : – d'exploiter les incitations inconscientes à la prise de décisions des consommateurs dans le but de rendre l'alimentation plus saine ; – de réaliser des campagnes de prévention plus ciblées ; – de limiter voire d'interdire des publicités destinées aux enfants vantant des produits dont l’excès de consommation peut Répartition des Français selon leur catégorie de poids nuire à la santé ; 3,1% 1,2% 3,5% – de renforcer l'étiquetage nutritionnel. 10,7% L'organisation d'un suivi intensif des personnes obèses par des professionnels de santé semble enfin très prometteuse mais potentiellement coûteuse à court terme. Deux éléments rendent difficile ce suivi : le manque d'incitations pour les médecins et le manque de moyens dans 49,2% certaines régions sous-dotées en médecins. 32,3% Source : INSERM, Kantar Health, Roche (2012), « Enquête épidémiologique sur le surpoids et l'obésité ». Maigreur Normal Surpoids Obésité modérée Obésité sévère Obésité morbide
1. L'augmentation de la prévalence de l'obésité en fait un enjeu sanitaire majeur 1.1 Définition et enjeux L'obésité est définie par l'OMS1 comme « une accumulation susciter des débats sur la mesure de l'obésité, il est commu- anormale de graisse corporelle qui peut nuire à la santé et nément admis que l'indice de masse corporelle (IMC) semble réduire l'espérance de vie ». Si cette définition générale a pu être l'indicateur le plus adapté. Encadré 1 : La mesure de l'obésité L'indice de masse corporelle (IMC), reconnu comme le standard pour évaluer les risques liés au surpoids chez l'adulte par l'OMS en 1997, semble être l'indice le plus efficace pour identifier les phénomènes épidémiologiques liés à la surcharge pondérale (regroupant obésité et surpoids). Il est utilisé dans sa forme actuelle depuis 1972, après qu'une étude de réfé- rencea a constaté que cet indice, proposé par A. Quételet au XIXème siècle, s'avérait plus performant que les autres mesu- res de l'obésité. Avant 1972, on faisait principalement référence à un « poids idéal » déterminé par les probabilités de décès calculées par les assureurs dans le cadre de leur tarification. Depuis cette date, l'IMC, simple d'utilisation et interpré- table de la même façon quelle que soit la taille des individusb, est communément admis comme étant l'indicateur le plus performant pour prévoir la morbidité et la mortalité liées à l'obésitéc. Poids ( en kg ) Défini par la formule, --------------------------------------- 2 - , il permet de regrouper les individus selon leur niveau de risque. Taille ( en m ) Tableau 1 : tranches standard d'IMC reconnues par l'OMS Tranche d’IMC Interprétation IMC < 18, 5 Maigreur 18, 5 ≤ IMC < 25 Corpulence normale 25 ≤ IMC < 30 Surpoids Obésité modérée (classe I) : 30 ≤ IMC < 35 30 ≤ IMC Obésité sévère (classe II) : 35 ≤ IMC < 40 Obésité Obésité morbide (classe III) : celle qui regroupe les risques les plus lourds, pour un IMC ≥ 40 Source : OMS. En revanche, l'IMC souffre de limites importantes. Il ne prend pas en compte les risques spécifiques à l'âge, au sexe ou à la musculature. Ainsi, un sportif pourra avoir une forte masse musculaire induisant un fort IMC sans que cela ne comporte de risque sur sa santé. D'autres indicateurs sont donc également mobilisés pour mesurer l'obésité. Ainsi, si les défauts de l'IMC ne l'empêchent pas d'être performant pour les études épidémiologiques, d'autres indicateurs, plus difficiles à calcu- ler (comme le rapport tour de taille / tour de hanche) semblent être plus pertinents pour prédire les risques individuels, et plus particulièrement les risques métaboliques (maladies cardiovasculaires). S'il s'agit de mesurer les discriminations liées à l'obésité, il semblerait plus pertinent d'utiliser un écart par rapport à une norme sociale de corpulence basée sur l'appa- renced. a. Keys A., Fidanza F., Karvonen MJ. (1972), "Indices of relative weight and obesity", Journal of Chronic Diseases, 25, p. 329-343. b. En dehors de certains cas particuliers tels que le nanisme. c. OCDE (2010), « L'obésité, tendances passées et projections pour l'avenir ». d. Autrement dit, une personne peut souffrir de discriminations dues au poids dès lors que sa silhouette semble plus large que la norme communément accep- tée par son entourage. Des personnes obèses peuvent ne pas souffrir de discriminations si l'obésité est la norme dans leur entourage ou, inversement, une mannequin de taille 38/40 pourrait subir des railleries de la part de ses collègues tout en restant bien loin du surpoids au sens de l'IMC. L'obésité peut entraîner de nombreuses conséquences sur la survenues des maladies est complexe à déterminer puisque santé : diabète de type 2 (80 % des nouveaux cas concernent certaines maladies (hypothyroïdie) peuvent également des personnes obèses), hypertension artérielle, maladies entraîner une prise de poids. L'obésité peut aussi avoir des cardiovasculaires, maladies respiratoires (notamment conséquences psychologiques et sociales, notamment du fait l'apnée du sommeil), et maladies articulaires (telles que de la discrimination dont sont victimes les personnes obèses l'arthrose)2. Elle accroît également le risque de survenue de et de l'effet de l'obésité ou du surpoids sur l'estime de soi4. La certains cancers (utérus, côlon…). Ainsi, près de 32 % des probabilité d'être en dépression est ainsi plus élevée chez les personnes obèses souffrent d'une affection de longue durée personnes obèses que chez celles de corpulence normale, et (ALD)3 alors que dans la population générale ce taux n'est elle est également plus élevée chez les anciens obèses5. que de 15 % en 2012. Toutefois la causalité entre obésité et Tableau 2 : prévalence de certaines pathologies en fonction de la catégorie d'IMC (2012) Population Diabète Infarctus Hypertension artérielle Dépression Lombalgie IMC < 18, 5 2,1 % 0,3 % 3,9 % 6,0 % 13,9 % 18, 5 ≤ IMC < 25 3,2 % 0,3 % 6,8 % 3,6 % 16,2 % 25 ≤ IMC < 30 9,6 % 0,9 % 15,6 % 5,6 % 22,0 % 30 ≤ IMC 19,3 % 0,9 % 26,7 % 7,7 % 24,6 % Population générale 6,7 % 0,6 % 12,9 % 4,5 % 19,0 % Source : ESPS 2012, calculs DG Trésor. (1) OMS (2015), « Obésité et surpoids », aide-mémoire n°311. (2) OMS (2015), op. cit. (3) Part des adultes obèses souffrant d'une ALD calculée à partir de l'« enquête sur la santé et la protection sociale » (ESPS) de l'IRDES. (4) Poulain J.-P. (2009), Sociologie de l'obésité, Presses Universitaires de France. (5) Herva A. et al. (2006), Obesity and Depression, Results from the longitudinal Northern Finland 1966 Birth Cohort Study. TRÉSOR-ÉCO – n° 179 – Septembre 2016 – p.2
Ces effets physiques et psychologiques de la surcharge pondé- La plus grande fréquence de pathologies chroniques parmi rale sur la santé (et plus particulièrement de l'obésité) les personnes souffrant de surcharge pondérale entraîne une peuvent s'observer en analysant la prévalence de différentes surconsommation de dépenses de santé. Tandis qu'elles maladies en fonction de la corpulence, à partir des données représentent 15 % de la population, les personnes obèses de l'enquête sur la santé et la protection sociale (ESPS) 2012 représentent 22,1 % des dépenses de services et produits de de l'IRDES (cf. tableau 2). santé en ville tandis que les 32,3 % des personnes en surpoids De manière complémentaire à une plus grande prévalence y contribuent pour 33,9 %. des maladies chroniques, la surcharge pondérale entraîne L'analyse des caractéristiques des personnes obèses permet une réduction de l'espérance de vie. Une étude récente6 chif- de mettre en évidence quelques constats. Si la part de frait le nombre d'années de vie perdues à : personnes obèses est la même parmi les deux sexes, plus • 1,5 année pour une personne en surpoids ; d'hommes sont en surpoids (38,8 % contre 26,3 % des femmes). L'IMC moyen augmente aussi avec l'âge : s'il est en • 3,5 années pour une personne obèse de classe I moyenne de 22,4 pour la catégorie des 18-24 ans, il passe à (obésité modérée) ; 26,5 pour les plus de 55 ans. • 4,5 années pour une personne obèse de classe II (obésité sévère) ; Un autre facteur entrant en compte dans la prévalence de l'obésité est la catégorie sociale, que l'on peut par exemple • 8 années pour une personne obèse de classe III (obésité illustrer par le niveau d'éducation10. Plus ce dernier est morbide). faible, plus la prévalence de l'obésité est élevée et plus elle Une autre façon d'observer le phénomène consiste à analyser croît rapidement : près de 4 fois plus vite chez les agriculteurs la mortalité due à l'obésité. L'obésité serait ainsi responsable que chez les cadres entre 1992 et 200311. Cela s'explique en de près de 13 % des décès en Europe selon l'OMS7, ce qui en partie par la corrélation entre un niveau d'études élevé et de fait une des premières causes de mortalité. En revanche, selon bons revenus d'activité permettant un accès plus facile à une une étude américaine récente8, la mortalité liée à l'obésité et alimentation plus équilibrée (le ratio de coût / énergie des au surpoids seraient largement sous-estimée. En effet, les matières grasses serait de l'ordre de 0,1 €/MJ, et celui des études publiées jusqu'à maintenant ne considéraient que les fruits et légumes de plus de 1,2 €/MJ12). Ces populations plus personnes obèses au moment de leur mort et négligeaient la aisées sont par ailleurs plus sensibles aux campagnes de surmortalité (de 27 %) des personnes de poids normal ayant prévention, et moins sensibles aux campagnes publicitaires été obèses à un moment de leur vie par rapport aux personnes vantant les produits riches en graisses13. Enfin, il est probable ayant toujours eu un poids normal. que le moins bon accès aux soins des ménages modestes ait 1.2 La prévalence de l'obésité a crû de plus de 4 % également un impact sur leur taux d'obésité. par an ces 15 dernières années Graphique 2 : prévalence de l'obésité selon le plus haut diplôme obtenu en 2012 en France En 2012, 15,0 % des Français étaient obèses et 32,3 % en 30,00% surpoids selon l'enquête « Obépi 2012 »9, publication régu- lière de référence permettant d'estimer la prévalence de 25,00% l'obésité en France. À l'inverse, 3,5 % de la population souf- frirait de maigreur excessive. Plus d'un Français sur deux 20,00% aurait donc des problèmes de poids. 15,00% Graphique 1 : prévalence de l'obésité (en %) en fonction de l'âge en 2012 100 25,1% 5 6 23,0% 10 13 11 15 18 17 15 17 10,00% 90 10 21 21 16 16,4% 80 12,7% 22 31 5,00% 24 8,8% 70 34 29 40 32 35 60 43 47 0,00% Sans diplôme Certificat d'études Brevet, CAP ou Baccalauréat Enseignement 50 74 primaires BEP supérieur 69 40 62 Source: INSERM, Kantar Health, Roche (2012), « Obépi ». 30 54 57 50 43 50 45 42 Si entre 1981 et 2003 la prévalence de l'obésité est passée de 20 37 35 5,3 % à 10,2 % (+3,0 % par an)14, elle a encore accéléré sur 10 10 5 11 5 la période 1997-2012 (+4,1 % par an). En revanche, 3 2 2 2 3 3 2 2 0 18-24 25-34 35-44 45-54 55-64 65+ 18-24 25-34 35-44 45-54 55-64 65+ toujours sur la période 1997-2012, la prévalence du surpoids Homme Femme croît moins rapidement (+0,8 % par an) passant de 28,5 % à Maigreur Poids normal Surpoids Obésité 32,3 %15. Source: INSERM, Kantar Health, Roche (2012), " Obépi". Les modifications dans l'alimentation (plus grandes portions, plus grande densité énergétique…) et une augmentation de (6) The Lancet Diabetes and Endocrinology (2014), "Years of life lost and healthy life-years lost from diabetes and cardiovascular disease in overweight and obese people: a modelling study". (7) OMS (2002), « Rapport sur la Santé dans le Monde 2002 - Réduire les risques et promouvoir une vie saine ». (8) Stokes A. et al. (2015), "Smoking and reverse causation create an obesity paradox in cardiovascular disease". (9) INSERM, Kantar Health, Roche (2012), « Enquête épidémiologique sur le surpoids et l'obésité ». (10) Effet que l'on retrouve en fonction de la PCS ou du niveau de salaire (éléments fortement corrélés). (11) DREES (2011), « L'état de santé de la population en France ». (12) Darmont N. (2005), « Fruits et légumes, en a-t-on pour son argent ? ». (13) Nisbett RE. et al. (1968), "Obesity, food deprivation, and supermarket shopping behavior". (14) de Saint Paul T. (2007), « L'obésité en France : les écarts entre catégories sociales s'accroissent », Insee Première n° 1123. (15) INSERM, Kantar Health, Roche (2009 et 2012), « Enquête épidémiologique sur le surpoids et l'obésité ». TRÉSOR-ÉCO – n° 179 – Septembre 2016 – p.3
la sédentarité (utilisation de la voiture ou des transports en 1.3 La prévalence de l'obésité est en France commun ou de la voiture dans les déplacements quotidiens, moindre que dans les autres pays de l'OCDE moindre activité physique) jouent un rôle incontestable dans Si cette forte prévalence de l'obésité en France pose question, l'augmentation de la prévalence de l'obésité16. Il semblerait la prévalence de l'obésité chez les enfants relativement aussi que le manque de sommeil, facteur jusque-là largement modérée semble plutôt rassurante. En effet, un enfant obèse mésestimé, augmente le risque d'obésité de plus de 40 %17. avant la puberté a entre 20 % et 50 % de probabilité de l'être Ainsi, une étude exhaustive sur les causes de l'obésité18, a toujours adulte, la probabilité atteignant 50 % à 70 % s'il est également montré l'impact de la baisse de la consommation obèse après la puberté21. En France, la prévalence de 15 % de de tabac (effet coupe-faim de la nicotine) ou d'éléments dus la surcharge pondérale chez les enfants de 5 à 17 ans se situe à l'environnement familial dans l'augmentation de la préva- parmi les plus faibles des pays de l'OCDE puisque seule la lence de la surcharge pondérale. Mais ces facteurs ne suffi- Norvège fait mieux (14,5 %) et que la moyenne des pays de sent pas à expliquer la totalité de l'augmentation de la préva- l'OCDE atteint 18 %22. De plus, les comparaisons internatio- lence de l'obésité. Il reste encore des inconnues dans les nales, pour les plus de 15 ans, semblent plutôt montrer que causes de l'obésité, notamment en ce qui concerne les prédis- la situation française est plutôt moins préoccupante que celle positions génétiques19 qui pourraient expliquer en partie les des autres pays de l'OCDE23 et en particulier celle des pays différences individuelles dans la prise de poids. De même, la anglo-saxons. Cela pourrait s'expliquer par des facteurs géné- dégradation de la qualité des aliments20 ou encore l'environ- tiques, un mode de vie relativement plus sain que dans nement (stress, consommation de certains médicaments ou d'autres pays ou bien encore par une certaine efficacité des exposition à des polluants…), pourraient également être politiques de prévention. incriminés. 2. Le coût social de la surcharge pondérale serait comparable à celui de l’alcool ou du tabac 2.1 Quelle évaluation du coût social pour Les coûts externes sont des coûts induits par l'obésité mais l'obésité ? qui ne se retrouvent pas directement dans les comptes L'obésité entraîne une série de coûts pour la collectivité, publics. Il s'agit principalement ici de pertes de production 25. L'effet sur les dépenses publi- parfois difficiles à chiffrer. Si les plus évidents sont ceux liés liées à l'obésité en France aux dépenses de santé, l'obésité provoque aussi des pertes de ques est majoré d'un coefficient α qui correspond au coût production au niveau national, en excluant certaines d'opportunité pour l'économie de lever des prélèvements personnes du marché du travail, ou en créant de l'absen- obligatoires qui traduit une « perte sèche » en termes de téisme pour raisons médicales. Cependant, l'obésité peut bien-être collectif. Ce coefficient 26. (1+ α ) a été estimé à 1,2 aussi induire des moindres dépenses pour les systèmes de selon le rapport Quinet retraite puisque les personnes obèses meurent en moyenne Le surcoût des dépenses de santé induit par la surcharge plus jeunes (réduisant ainsi le coût des pensions versées par pondérale est un surcoût instantané mesuré à un instant t. Il la sécurité sociale). Afin de déterminer le coût social de la ne représente pas le surcoût induit par les personnes en surcharge pondérale nous utiliserons un modèle classique surcharge pondérale durant l'ensemble de leur vie. Par d'évaluation socioéconomique, basé sur la mesure du bien- exemple, du fait de leur décès prématuré par rapport aux être collectif24, qui compare une situation dans laquelle tous personnes dont l'IMC est normal, les personnes voient appa- les individus auraient un IMC normal à la situation actuelle : raître plus tôt les dépenses de santé liées à la fin de vie, et tout Coût social= ΔCE + ( 1 + α ) × Δ G particulièrement celles de la dernière année de vie, qui sont très élevées27. Toutefois, il pourrait s'agir d'un décalage de Avec : CE = coûts externes, G = coût pour les finances publi- ces dépenses. ques et ( 1 + α ) = coût d'opportunité pour l'économie de lever des prélèvements obligatoires. Néanmoins, il est possible d'imaginer qu'une personne malade toute sa vie du fait de son obésité ait dépensé, de (16) INSERM (2014), « Obésité », Dossier d'information. (17) Institut National du Sommeil et de la Vigilance (2015), « Enquête sommeil et nutrition ». Ceci s'explique à la fois par des raisons hormonales - puisque le manque de sommeil réduit fortement la production de leptine, hormone de la satiété - et comportementales, le manque de sommeil induisant une réduction de l'activité physique. (18) Keith S. et al. (2006), "Putative contributors to the secular increase of obesity: exploring the roads less traveled", International Journal of Obesity, 30, 1585-1594. (19) Prédispositions pouvant être purement innées ou acquises du fait du milieu (mais inscrites dans les gènes) : par exemple, si une mère souffre de sous nutrition durant sa grossesse mais que son enfant mange ensuite normalement, il pourrait devenir obèse, son corps s'étant adapté dans le ventre de sa mère à une alimentation insuffisante. (20) Les impacts d'une consommation élevée de pesticides, de produits remplaçant le sucre (notamment le HFCS - high fructose corn syrup), d'hormones de croissance dans la viande etc., ne sont pas encore entièrement connus. (21) HAS (2011), « Surpoids et obésité de l'enfant et de l'adolescent ». (22) OCDE (2014), "Obesity update". (23) Ces constats valent pour les seules personnes obèses. De telles comparaisons ne sont pas disponibles pour les personnes en surpoids. (24) Quinet E. (2013), « L'évaluation socioéconomique des investissements publics », France Stratégie. (25) Notre estimation ne tient pas compte de la perte d'utilité liée à la diminution de l'espérance de vie ou à la moindre qualité de vie induites par l'obésité. (26) Quinet E. (2013), « L'évaluation socioéconomique des investissements publics », France Stratégie. (27) Geay C. et de Lagasnerie G. (2013), « Projection des dépenses de santé à l'horizon 2060, le modèle PROMEDE », Documents de Travail de la DG Trésor, Numéro 2013/08. Les dépenses de santé au cours de la dernière année de vie sont en moyenne 6 à 7 fois supérieures à celles de l'année précédente. TRÉSOR-ÉCO – n° 179 – Septembre 2016 – p.4
facto, plus qu'une personne en bonne santé, mais il n'existe nalières). La dernière actualisation de ce chiffrage, menée par pas de données permettant d'aboutir à un chiffrage plus l’IGF en 200829 concluait à un coût – minoré du fait de la précis que celui présenté infra. sous-estimation des dépenses hospitalières dans l'ESPS 2002 Le coût social de l'obésité et du surpoids atteindrait 20,4 Md€ – compris entre 8,1 Md€ et 10,3 Md€ en 2006. Sur ce même en 2012 (cf. tableau 3). L'IRDES chiffrait ce coût entre 4,2 et champ, selon nos estimations, ce coût serait de 13,4 Md€ en 6,2 Md€28 pour l'année 2002 (sur le champ des rembourse- 2012 (3 premières lignes du tableau 3), ce qui semble donc ments de soins de l'assurance maladie et des indemnités jour- cohérent avec les travaux antérieurs. Tableau 3 : coût social de l'obésité et du surpoids (en Md€ en 2012) Montant lié Montant lié au Nature du coût Montant total à l’obésité surpoids Surcoût pour l’assurance maladie (soins de villes) 2,8 2,7 5,6 Surcoût pour l’assurance maladie (hôpital) 3,7 3,3 7,0 Indemnités journalières (maladie) 0,5 0,3 0,8 Pensions d’invalidité 1,7 1,9 3,6 Dépenses de prévention 0,1 0,0 0,1 Taxes nutritionnelles –0,2 –0,2 –0,4 Moindres dépenses de pension –4,0 –3,2 –7,2 Coût pour les finances publiques (G) 4,5 4,9 9,5 Pertes de production dues à l’absentéisme des personnes obèses 1,2 0,9 2,1 Pertes de production dues à l’exclusion des femmes obèses du marché du travail 5,0 0,0 5,0 Dépenses de soins non remboursées (soins de ville) 0,7 0,6 1,3 Dépenses de soins non remboursées (hôpital) 0,4 0,3 0,7 Coûts externes (CE) 7,3 1,8 9,1 Coût social = ( 1 + α ) × G + CE a 12,8 7,7 20,4 Surcoût total en soins de ville 3,6 3,3 6,9 Surcoût total en soins hospitaliers 4,1 3,6 7,7 a. α = coût d’opportunité de lever des prélèvements obligatoires. Source : calculs DG Trésor. 2.2 Détail des différentes composantes du coût • les dépenses de soins de ville : il s'agit d'un surcoût lié à social la surcharge pondérale, une série d’autres facteurs étant 2.2.1 Coûts sanitaires et assimilés (contribuant au contrôlés (cf. encadré 2), déterminé à partir de l'ESPS déficit public - sauf les dépenses de santé non 2012 ; remboursées) Ces coûts sont composés de 5 éléments principaux : Encadré 2 : Estimation du surcoût, en soins de ville, lié à l'obésité Selon l'enquête ESPS 2012, un individu de poids normal dépensea en moyenne 1 320 € par an, un individu en surpoids 1 760 € et un individu obèse 2 190 €. En revanche, pour estimer le surcoût lié à l'obésité, comparer ces dépenses moyennes n'est pas suffi- sant. En effet, une partie de cette différence s'explique par le fait que les personnes obèses sont plus âgées, de niveau socio- professionnel différent etc. Ainsi pour estimer ce surcoût, il faut contrôler une série de paramètresb. Pour ce faire, le modèle utilisé est le suivant : Pour l'individu i : 10 log (Dépense de soins de villei+A) = α + βj Xij + εi j=1 Avec X1 = IMC, X2 = âge, X3 = sexe, X4 = nombre de cigarettes fumées par jour, X5 = indicatrice du niveau d'alcoolisation, X6 = complémentaire santé privée ou non, X7 = CMU-C ou non, X8 = région, X9 = nombre de personnes du ménage, X10 = tranche de revenu, A = valeur qui maximise la vraisemblance marginale du logarithme (constante calculée a priori), ε = résidu et α = cons- tante. Le coefficient β 1 (estimé à 0,0296) permet ainsi de visualiser l'effet d'une augmentation de l'IMC toutes choses égales par ailleurs : si l'IMC augmente d'un point, la dépense augmentera de 2,96%. Ainsi, la différence d'IMC moyenne entre les personnes en surpoids ou obèses par rapport aux personnes de poids normal permet de calculer le surcoût lié à l'obésité. Il était en 2012 de 160 € par an pour les personnes en surpoids et de 365 € pour les personnes obèses. Ce résultat - auquel s'ajoute le surcoût en soins hospitaliers (voir 2.1.1) pour aboutir à un total de 785 € pour les personnes obèses et 330 € pour celles en surpoids - semble cohérent avec le surcoût déterminé par l'IRDESc, sur les données de l'ESPS 2002, et s'élevant à 506 € par an pour l'ensemble des dépenses de santé (soins de ville + hôpital) pour les personnes obèses. Les dépenses de santé incluses dans l'ESPS 2002 se com- posaient à 72 % de soins de ville. Le surcoût précédemment obtenu correspond à la dépense totale, incluant la part payée par les individus, leur complémentaire santé et l'assurance maladie. Pour estimer le surcoût lié à l'obésité pour l'assurance maladie, le même modèle a été utilisé, en remplaçant la dépense totale au titre des soins de ville par la dépense remboursée par l'assurance maladie obligatoire au titre des soins de ville. Le surcoût pour l'assurance maladie est alors de 296 € par an pour un individu obèse et 128 € pour un individu en surpoids. a. Sur le champ de la Consommation de Soins et Biens Médicaux (CSBM) des comptes nationaux de la santé, hors dépenses hospitalières. b. N'ont été conservées ici que les variables significatives. c. IRDES (2007), « Évaluation du coût associé à l'obésité en France ». (28) Institut de Recherche et Documentation en Économie de la Santé (2007), « Évaluation du coût associé à l'obésité en France ». (29) IGAS et IGF (2008), « Rapport sur la faisabilité d'une taxe nutritionnelle ». TRÉSOR-ÉCO – n° 179 – Septembre 2016 – p.5
• les dépenses pour les soins en milieu hospitalier : ces Les pertes de production liées à l'obésité sont dues à deux données n'étant pas présentes dans l'ESPS 2012, nous phénomènes principaux : avons estimé le surcoût à partir de la part des dépenses • l'absentéisme plus important des personnes obèses : a hospitalières dans le surcoût lié à l'obésité déterminé été déterminé le surplus de journées d'absence des per- par l'IRDES en 200730, redressée en fonction de la sonnes obèses en divisant leur surcoût en termes dépense en soins hospitaliers de 2012 ; d'indemnités journalières par le coût moyen d'une • les indemnités journalières dues aux arrêts maladie : indemnité journalière. Ce nombre de journées est multi- l'étude de l'IRDES fournissant la probabilité d'arrêt plié par leur salaire super brut journalier ; maladie et le montant moyen des indemnités journaliè- • l'exclusion d'une partie de la population obèse du mar- res selon l'IMC, elle permet d'appliquer les paramètres ché du travail : le chiffrage se fonde sur une étude des personnes à l'IMC normal aux personnes en sur- récente34 qui montre qu'il n'y a pas d'effet significatif de charge pondérale ; l'obésité sur l'emploi des hommes, mais que cet effet est • les pensions d'invalidité : la méthodologie retenue est la assez marqué pour les femmes (le taux d'emploi des même que celle relative aux indemnités journalières femmes obèses est inférieur de 10 % à celui de celles avec la probabilité de recevoir une pension et son mon- qui ne le sont pas et en raisonnant toutes choses égales tant moyen (données de l'ESPS 2012). Les informations par ailleurs la différence reste de 7 %). Pour le sur les montants individuels de ces pensions d'invalidité surpoids, il n'y a pas d'effet significatif sur l'emploi, n'étant pas connues, il sera nécessaire de supposer que indépendamment du sexe. toutes les pensions d'invalidité sont de même montant31 ; L'observatoire français des drogues et toxicomanies (OFDT) a publié récemment de telles estimations35 sur l'alcool et le • dépenses de prévention : détaillées infra. tabac. Sur un champ rendu comparable – notamment en 2.2.2 Recettes et coûts évités (contribuant à réduire le excluant les dépenses associées à la perte de qualité de vie et déficit public) à la mortalité, qui reposent en grande partie sur le coût d'une En ce qui concerne les gains financiers liés à l'obésité, deux année de vie perdue défini de manière conventionnelle – les facteurs sont à prendre en compte : dépenses liées à l'obésité que nous avons estimées sont comparables à celles de l'alcool et du tabac. En revanche, la • les recettes des taxes nutritionnelles ; hiérarchie des coûts entre les trois ne ressort pas clairement • les retraites non versées à la suite des décès pour deux raisons principales : prématurés : cette estimation peut s'avérer particulière- ment complexe du fait de la multiplicité des effets ayant • les hypothèses nécessaires pour un chiffrage de cette un impact sur le chiffrage et de l'absence de données nature conduisent à des approximations plus ou moins répondant aux besoins de l'exercice. Cela oblige à poser précises des montants en jeu. En particulier, les retraites un certain nombre d'hypothèses fortes (effets sur les économisées pour les personnes obèses et en surpoids pensions de réversion, montant des pensions etc.), qui sont surestimées ; entourent le résultat de fortes incertitudes. • le nombre d'individus considérés peut être un facteur explicatif : toute personne en surcharge pondérale est 2.2.3 Coûts en termes de perte de production (coûts incluse dans le chiffrage de l'obésité alors que le chif- externes) frage du tabac inclut uniquement les fumeurs quotidiens Il s'agit d'évaluer le nombre de jours de travail non réalisés et celui de l'alcool les « usagers problématiques » défi- en raison de la prévalence de l'obésité. Deux hypothèses nis dans une étude de l'OFDT36. seront considérées dans cette partie : De plus, une comparaison des coûts par individu alcoolique, • la production est constituée à 67 % de travail (salaire fumeur ou obèse met en lumière les effets plus importants sur super brut) et à 33 % de capital32 ; la santé de l'alcool et du tabac par rapport à l'obésité ou au • les personnes obèses sont rémunérées au SMIC33. surpoids : le coût par fumeur est entre 2 et 3 fois supérieur à celui par personne en excès de poids et celui par personne alcoolique près de 5 fois supérieur. (30) IRDES (2007), op. cit. (31) Puisque les pensions d'invalidité représentent un pourcentage (dont la valeur dépend du degré d'invalidité) appliqué au salaire moyen des 10 meilleures années, et que les personnes obèses sont moins rémunérées que les autres en moyenne, cette hypothèse induit une légère surestimation du surcoût, limitée par l'existence de plafond et plancher. (32) INSEE (2009), « Partage de la valeur ajoutée, partage des profits et écarts de rémunérations en France ». (33) Hypothèse prenant en compte le fait que la prévalence de l'obésité est bien plus élevée au sein des ménages modestes mais tendant à minorer les résultats. (34) Coudin E. et Souletie A. (2015), « Obésité et discrimination sur le marché du travail », Dossiers solidarité et santé, Actes du colloque DRESS/DARES, p. 29. (35) Kopp P. (2015), « Le coût social des drogues en France », Note de synthèse, OFDT. (36) OFDT (2011), « Les niveaux d'usage des drogues en France en 2010 ». TRÉSOR-ÉCO – n° 179 – Septembre 2016 – p.6
Tableau 4 : comparaison des coûts sociaux annuels des drogues licites et de la surcharge pondérale (en Md€, sauf indication contraire Élément Obésité et Dont Dont Alcool Tabac surpoids obésité surpoids Pertes de production 7,1 6,2 0,9 9,0 8,6 Coût des soins non remboursés 2,0 1,1 0,9 0,0 0,0 (1) Coûts externes 9,1 7,3 1,8 9,0 8,6 Coût des soins pris en charge (incluant indemnités journalières et pensions d’inva- 16,9 8,7 8,3 8,6 25,9 lidité) Économies de pensions de retraitea –7,2 –4,0 –3,2 –0,7 –0,8 Prévention et répression 0,1 0,1 0,0 0,2 0,3 Taxation –0,4 –0,2 –0,2 –3,1 –10,4 (2) Déficits publics 9,5 4,5 4,9 5,0 15,0 (1) +1,2*(2)=(3) Coût social total 20,4 12,8 7,7 15,0 26,6 (4) Nombre d’individus concernés (en millions) 30,9 9,8 20,1 3,8 13,4 (3) / (4)=(5) Coût social par individu concerné (en €) 660 € 1 300 € 360 € 3 950 € 1 990 € Pour information : résultats avec un champ comparable à l’étude de Koppb Coût social à périmètre comparable 27,0 17,0 11,1 15,8 27,6 Coût social par individu concerné à périmètre comparable 870 € 1 730 € 550 € 4 470 € 2 060 € Source : Kopp P. (2015), « Le coût social des drogues en France » et DG Trésor pour l'obésité. Note : les dépenses associées à la perte de qualité de vie et à la mortalité ne sont ici pas prises en compte. Cela explique l'écart avec les chiffres communiqués par P. Kopp : 120 Md€ de coût social pour tabac et alcool. Note a : les coûts présentés ici sont relativement comparables à deux nuances près : le coût des soins non remboursés est ici présenté tandis que P. Kopp ne les a pas estimés et notre chiffre sur les retraites économisées est basé sur les années de vie perdues par les personnes obèses et non sur les années de vie perdues par les personnes obèses du fait de leur obésité. Note b : le coût des soins non remboursés et les économies liées aux moindres pensions de retraite sont exclues de la comparaison pour recréer un champ d'évaluation du coût social comparable à celui utilisé par P. Kopp dans son étude. 3. 3.Malgré les mesures déjà adoptées, la prévalence de l'obésité devraient continuer à progresser 3.1 Différentes actions ont déjà été menées pour utilisé : seuls les produits contenant de l'alcool, le caviar, les freiner la progression de l'obésité produits de confiserie et les graisses végétales sont taxés au 3.1.1 Les taxes nutritionnelles en France taux normal de TVA (20 %) alors que le taux réduit de 5,5 % s'applique en général aux produits alimentaires. Historique- Tous les coûts collectifs liés à l'obésité ne sont pas supportés ment, seul le taux de TVA sur les alcools semble donc être lié par les personnes en surpoids. Puisque les deux principales à des considérations de santé publique. causes de l'obésité sont la mauvaise alimentation et le manque d'activité physique, et que cette deuxième composante ne peut 3.1.2 La prévention liée à l'obésité être facilement taxée, une solution classique dans la théorie La définition la plus communément admise de la prévention économique37 consiste à taxer les aliments trop gras, salés ou est celle de l'OMS38 qui la définit comme « l'ensemble des sucrés contribuant au développement de l'obésité pour faire mesures visant à éviter ou réduire le nombre et la gravité internaliser ces effets externes par les agents. En effet, le des maladies, des accidents et des handicaps ». La préven- marché ne prenant en compte que les déterminants économi- tion peut se décomposer en trois niveaux principaux : ques du prix, il détermine un prix sous-optimal puisqu'il ne • prévention primaire : éviter la survenue d'une maladie prend pas en compte tous les éléments du coût social de ces en agissant sur ses causes (ex : vaccination ou campa- aliments. gnes publicitaires de prévention) ; En France, plusieurs taxes ont été récemment instaurées afin • prévention secondaire : détecter la maladie ou lésion à de tenter d'orienter certains comportements alimentaires et un stade précoce qui laisse le temps d'agir utilement lutter contre l'obésité, ce qui s'inscrit dans un mouvement (ex : dépistage du cancer de la prostate) ; général parmi les pays de l'OCDE. Les contributions sur les • prévention tertiaire : limiter les complications et séquel- boissons sucrées et édulcorées, instaurées en 2012, ont ainsi les d'une maladie (ex : prévention des récidives d'un rapporté un peu moins de 400 M€ à la sécurité sociale en cancer). 2014. En 2014 a été ajoutée la contribution sur les boissons énergisantes visant à limiter leur consommation. En revanche, La France dépense en moyenne globalement moins que les le rendement de cette taxe (3 M€ en 2014) a été bien infé- autres pays de l'OCDE puisque ses dépenses de prévention rieur aux 65 M€ attendus en raison de la baisse par le prin- institutionnelle représentaient 0,2 % du PIB contre 0,3 % cipal fabricant du taux de caféine dans son produit en dessous pour la moyenne des pays de l'OCDE. du seuil d'assujettissement de la taxe. Elle peut donc tout de L'interprétation de cette comparaison internationale est toute- même être vue comme une réussite au niveau de la santé fois très incertaine puisqu'il est possible que les champs ne publique. soient pas parfaitement comparables entre les différents pays Outre ces taxes comportementales, le taux de taxe sur la et qu'ils ne couvrent pas la prévention effectuée pendant 39 les valeur ajoutée (TVA) peut aussi constituer un levier pour agir actes de soins de ville et évaluée en 2012 à 8,5 Md€ ou sur les prix relatifs des aliments. En France, ce levier est peu pendant les soins hospitaliers. (37) Pigou A.C. (1920), "The economics of Welfare", Library of Economics and Liberty. (38) OMS (1948), « Constitution de l'Organisation Mondiale de la Santé ». (39) DREES (2014), « Une estimation partielle des dépenses de prévention au sein de la consommation de soins et biens médicaux ». TRÉSOR-ÉCO – n° 179 – Septembre 2016 – p.7
Le coût de la prévention institutionnelle directement liée à restant sont dus aux facteurs démographiques (accroisse- l'obésité avait été estimé à 58 M€ en 199840. Selon nos esti- ment de la population et vieillissement). En ce qui concerne mations, il serait proche de 100 M€ en 201241. S'il est diffi- le surpoids, la situation est similaire puisque l'augmentation cile de déterminer à partir des données financières, incom- de 17 millions de personnes en surpoids à 21 millions sur la plètes en la matière, sur quels axes sont menées les actions de même période (+1,4 % par an) est due, pour près de 60 %, prévention en France, il semble clair que les montants relatifs à l'augmentation de la prévalence. à l'obésité sont relativement modestes. Un modèle de projection, basé sur les données démographi- La prévention de la surcharge pondérale s'est largement ques de l'INSEE, la prévalence par âge et sexe de l'enquête « appuyée en France sur les Plans Nationaux Nutrition Santé Obépi » et les dépenses par âge, sexe et catégorie d'IMC de (PNNS), principalement axés sur des campagnes d'informa- l'ESPS, a été construit pour mesurer uniquement les effets de tion mais aussi sur une mobilisation des industriels. Cette la hausse attendue des effectifs en obésité et surpoids. dernière se manifeste à travers la publication de 37 chartes Trois scénarios d'augmentation de la prévalence ont été d'engagement nutritionnel (volontaires) qui permettent simulés : prévalences prolongées en suivant les tendances d'améliorer, a minima marginalement, la qualité des observées sur les années passées avec, puisque ces tendances produits vendus en France. ne peuvent se poursuivre indéfiniment44, un ralentissement Comme le soulignait l'Institut national de prévention et de la progression annuelle de la prévalence de 10 % par an d'éducation pour la santé (INPES) en 201142, la France (scénario central), ralentissement de 2 % seulement (pessi- souffre néanmoins d'un manque d'évaluation ex-post de ses miste) et prévalence à âge et sexe donné restant identique à politiques de prévention. Une étude de 201243, testant l'effi- celle de 2012 (purement démographique). cacité de l'un des messages du PNNS, « Pour votre santé, Avec les hypothèses du scénario central, en 2030, parmi les mangez au moins cinq fruits et légumes par jour », a plus de 15 ans, 23 % des Français seraient obèses et 36 % en montré à la suite d'une expérience dans un fast-food que surpoids. A titre de comparaison, les projections les plus l'affichage de ce message sur la photo du hamburger incitait récentes de l'OMS45 pour la France à horizon 2030 prévoient les gens à manger moins sainement. Selon l'auteur, cela une prévalence de 25 % pour l'obésité et 41 % pour le s'explique par le fait que l'affichage du message de prévention surpoids. au milieu de la publicité a pour effet de déculpabiliser les individus (« si je fais ce que me dit le message, je peux faire Selon le scénario central du modèle de projection utilisé dans un excès aujourd'hui ») au lieu de les inciter à manger notre étude, la part des personnes en surcharge pondérale sainement. dans les dépenses de soins de ville passerait de 56 % en 2012 à 69 % en 203046. Malgré les efforts engagés dans la lutte 3.2 Près de 8 millions supplémentaires de Français contre l'obésité, celle-ci continue donc de représenter à la obèses ou en surpoids à l'horizon 2030 fois un défi économique et sanitaire pour la France pour les L'augmentation de la prévalence de l'obésité, de 4,1 % par an années à venir. Il convient de poursuivre les efforts pour entre 1997 et 2012, explique 85 % de la croissance du limiter sa progression. nombre de personnes obèses (+4,7 % par an). Les 15 % 4. Quelles pistes peut-on envisager pour renforcer la lutte contre l'obésité ? L’objectif premier de la prévention est l'amélioration de la maximiser leur efficacité. Les pistes qui semblent les plus effi- santé et donc de la qualité de vie des citoyens. Néanmoins, cientes sont présentées en premier. cela n'est pas incompatible avec la réalisation d'économies. 4.1 Piste 1 : améliorer la pertinence de la taxation Parmi les différentes mesures habituellement préconisées de l'alimentation dans la lutte contre la surcharge pondérale, toutes n'ont pas Le recours aux taxes nutritionnelles semble justifié, notam- la même efficacité. Certaines, en particulier celles à destina- ment en ce qui concerne le sucre, par le fort impact sur tion des enfants, peuvent avoir des coûts à court terme mais l'obésité entraîné par sa consommation48. Les premières générer des gains à long terme. Ainsi, si le recours aux méde- évaluations de la mise en œuvre de nombreuses taxes de ce cins semble de loin la solution la plus efficace47, elle est aussi type dans les pays de l'OCDE, permettent de faire émerger la plus coûteuse, induisant des coûts à court terme, mais des plusieurs recommandations pour en optimiser les effets. gains élevés à long terme. Seules les taxes nutritionnelles permettent des économies en santé à court terme supérieures En ce qui concerne l'objet sur lequel porte la taxe, deux à leur coût de mise en œuvre. options ont été expérimentées : la faire porter sur un nutri- ment (sucre…) ou un produit (boissons sucrées…). Les Cette partie analyse donc l'impact potentiel des principales taxes sur un nutriment spécifique limitent les effets de report mesures de lutte contre l'obésité si elles étaient appliquées en vers d'autres produits peu sains non taxés (par exemple la France et précise les modalités pratiques qui contribuent à seule taxation des sodas peut entraîner une substitution des (40) DREES (2003), « Les dépenses de prévention dans les Comptes nationaux de la santé ». (41) Sont prises en compte les dépenses du Plan Obésité (38 M€ en 2012), du Programme National Nutrition Santé (19 M€) et les dépenses de la section alimentation de l'ANSES (42 M€). (42) INPES (2011), « Comment mesurer l'impact des dépenses de prévention ». (43) Werle C. et al. (2012), "The boomerang effect of mandatory sanitary messages to prevent obesity", Marketing Letters, p. 1-9. (44) Sinon, à terme, l'ensemble de la population serait en surpoids ou obèse. (45) Projection présentée en mai 2015 dans le cadre du "UK Health Forum". (46) Cette part varierait entre 57 % (scénario optimiste) et 81 % (scénario pessimiste). (47) OCDE (2010), « Obésité et économie de la prévention ». Les chiffrages du coût des différentes mesures proviennent intégralement de cette étude, d'où leur présentation en $ PPA (parité de pouvoir d'achat) par habitant. (48) Dr. Lustig R. (2013), "Fat Chance: Beating the Odds Against Sugar, Processed Food, Obesity, and Disease". TRÉSOR-ÉCO – n° 179 – Septembre 2016 – p.8
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