On libérait notre imagination pour créer le futur que nous voulons ? " Agriculture : non aux produits toxiques - Pain pour le prochain
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Nº 2 / 2021 Le magazine pour « lire et agir » « Et si … … on libérait notre imagination pour créer le futur que nous voulons ? » Agriculture : non aux Le droit de produire sa produits toxiques propre nourriture Page 5 Page 8
Éditorial Contenu 2 Politique 5 Agriculture : non aux Chère lectrice, cher lecteur, produits toxiques Projet « Et si . . . ? » C’est une question que nous nous posons de temps 6 Œuvrer au coeur de la à autre, avant de l’écarter et nous accommoder de la réalité. tourmente Et si nous cessions de balayer nos rêves d’un revers de la pen- En transition 9 Réseau Transition Suisse sée, pour utopiques qu’ils puissent nous sembler ? Et si nous Romande trouvions dans cette question l’étincelle qui rend l’impossible Dossier possible, transforme notre mode de vie et notre société ? 10 L’imagination au pouvoir La force de notre imagination nous permet de nous affranchir 13 Poursuivre sa vision malgré de logiques dépassées et de partir à la recherche de nouvelles les obstacles solutions. C’est ce constat qui est à la base de l’approche du 14 Et si … ? mouvement de la Transition, notamment, une approche reprise aussi par Pain pour le prochain et qui sert de repère à notre engagement en faveur d’une transition écologique et sociale, de la préservation du climat et de la justice dans le monde. Cependant, autant il est impossible d’amorcer un changement sans la force de notre imagination, autant il est vain de se contenter de rêver. Pour passer de la question aux actes et parvenir au changement voulu, il faut en effet emprunter un chemin sinueux et souvent accidenté. Depuis plusieurs années, vous nous soutenez et nous accompa- gnez sur ce chemin afin de concrétiser notre vision d’un avenir plus juste et plus durable. Soyez-en remercié·e·s ! Photo : Patrik Kummer Bernard DuPasquier Directeur de Pain pour le prochain Impressum Publication Pain pour le prochain, 2021 Couverture : Getty Images / Ivan Yang Rédactrice en chef Gabriela Neuhaus Rédaction Colette Kalt, Tiziana Conti, Daniel Tillmanns Mise en page et réalisation Crafft, Zurich Travail sur les photos Schellenberg Druck AG Impression Druckerei Kyburz AG Tirages 30 500 DE / 8400 FR Paraît quatre fois par an Prix CHF 5.– par donateur / donatrice sont utilisés pour l’abonnement Contact Pain pour le prochain ppp@bfa-ppp.ch, 021 614 77 17 Perspectives 2 / 2021
Politique 3 jeu comptable, une réduction de 30 à 35 mil- lions de tonnes de CO2 devrait ainsi être at- teinte non en Suisse, mais à l’extérieur de nos frontières. L’Union européenne est beaucoup plus ambitieuse : elle exclut ces expédients et entend même, dans son Pacte vert, réduire de 55 % les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 à l’intérieur de ses frontières. La Suisse devra donc revoir sa copie pour la prochaine étape. Le nouveau Fonds à créer par la loi est une lueur d’espoir pour la politique de dévelop pement : une partie de ce fonds – soit les re- cettes provenant des sanctions et du com- merce d’émissions – devrait être affectée à des « mesures visant à prévenir et à maîtriser les dommages aux personnes ou aux biens qui pourraient résulter de l’augmentation de la concentration de gaz à effet de serre dans l’at- mosphère ». Du point de vue juridique, cela in- clut des mesures d’adaptation réalisées dans des pays en développement. Tempêtes, inondations et sécheresses sont plus fréquentes. Les populations du Sud sont les plus touchées. La menace d’un vide juridique La nouvelle loi sur le CO² est un pas important vers plus de justice climatique. Si la loi sur le CO2 n’entrait pas en vigueur en 2022, la politique climatique suisse reculerait Loi sur le CO² : un de plusieurs années, car l’échec du projet de loi provoquerait un vide juridique qui ne serait pas comblé avant le milieu de cette décennie. Pen- dant ce temps, la Suisse n’aurait pas de législa- progrès important tion climatique à proprement parler. Même celles et ceux qui pensent que la loi ne va pas assez loin ont intérêt à voter « oui » : en effet, il est illusoire de croire que le rejet de la loi fera avancer leurs revendications. C’est le contraire qui est vrai : l’expérience faite avec Après de longs débats, les Chambres fédérales ont adopté d’autres projets refusés montre qu’ils ac- la nouvelle loi sur le CO² en automne 2020. Cet objet sera couchent d’une loi édulcorée et non pas d’une loi plus stricte. soumis au peuple. Même si les mesures prévues sont insuf- Ces prochaines années, Pain pour le pro- fisantes, Pain pour le prochain recommande de voter oui. chain/EPER et Action de Carême n’auront de cesse, durant la campagne œcuménique, de défendre la justice climatique. Dès lors, il est logique que nous disions « oui » à ce premier pas vers ce principe. En effet, il n’y aura pas de Le référendum lancé par Avenergy (l’ancienne La loi sur le CO2, compromis conclu par les justice climatique tant que la Suisse et les pays Union pétrolière) et par Auto-Suisse ayant forces parlementaires, n’a vu le jour qu’après industrialisés n’assumeront pas leur responsa- abouti, la nouvelle loi sur le CO2 sera soumise d’âpres négociations. En dépit de ses carences bilité dans la crise climatique et ne mettront au peuple le 13 juin 2021. manifestes, elle représente une avancée que pas en œuvre des mesures contraignantes et Pain pour le prochain donne son suffrage à l’on attendait depuis longtemps dans une poli- efficaces. Photo : Bob Timonera / Action de Carême la révision de la loi sur le CO2, même si elle est tique climatique suisse hésitante et prépare le encore insuffisante face aux enjeux climatiques. terrain pour d’autres progrès urgents plus am- Miges Baumann est Néanmoins, le Parlement a fait un pas dans la bitieux qui nous rapprocheront de la justice codirecteur du dépar bonne direction et il n’y a pas de solution de climatique dans le monde. tement Politique de rechange à la loi sur le CO2 pour que la Suisse De nombreuses ONG déplorent qu’un quart développement chez réduise de moitié ses émissions de gaz à effet des objectifs climatiques nationaux formulés Pain pour le prochain de serre d’ici 2030 par rapport au niveau de pour 2030 puissent être atteints par l’achat de et responsable du 1990. certificats pour des mesures à l’étranger. Par un secteur Climat 2030. Perspectives 2 / 2021
Actualités 4 2080 Transparence Make ICT Fair Cinq projets pilotes du projet européen « Make ICT Fair » ont permis de recueillir des informations sur la manière dont les pouvoirs publics peuvent mettre en œuvre villes participent au mouvement les exigences de transparence des chaînes « Fair-Trade-Town » dont Carouge, d’approvisionnement. Par exemple, lors de l’appel d’offres pour du matériel infor Renens, Fribourg et 10 autres villes matique, la ville de Barcelone a exigé des suisses. www.fairtradetowns.org/fr soumissionnaires qu’ils démontrent le respect des normes sociales et écologiques tout au long de la chaîne d’approvisionne ment, de la production jusqu’au recyclage. Entreprises et droits humains www.electronicswatch.org/fr Espoirs en faveur Justice vaccinale du climat Levée des brevets Le mois de février 2021 a marqué l’entrée en vigueur en Avant même l’homologation des vaccins contre la Covid-19, les pays riches du Amérique latine de l’accord d’Escazú, lequel impose nord de la planète se sont assuré la livraison de millions de doses, laissant aux États parties un devoir de transparence et de 130 pays les mains vides, principalement dans l’hémisphère sud. L’Afrique du participation publique. S’agissant du premier traité au Sud et l’Inde demandent la levée des brevets sur les vaccins contre la Covid-19 monde sur les questions environnementales à présen afin de permettre une production mondiale des doses et de réduire leur coût. ter une telle portée, il pourrait faire école. Son objectif De nombreux pays du Sud et ONG soutiennent cette démarche. Pour l’organi est de mieux protéger les paysan·ne·s et les défen sation MSF, il est nécessaire que les pays du Sud reçoivent un nombre suffisant seurs·euses de l’environnement qui luttent contre la de doses afin d’éviter que le virus ne connaisse d’autres mutations. spéculation foncière et les entreprises extractives et de renforcer leurs capacités. À ce jour, 12 États, dont l’Argentine, le Mexique et la Bolivie, ont ratifié l’accord. Une bonne nouvelle https://bit.ly/31t5pps Foire aux semences au Cameroun « Sauvons et gardons nos semences locales », telle est la devise de la pre mière foire aux semences qui a eu lieu au Cameroun. Cet événement, mis sur pied par le partenaire local de Pain pour Photos : Christian Lombardi / Public Eye / Pain pour le prochain / RADD le prochain RADD, s’est tenu à la fin du mois de février 2021 dans le village d’Essé, à 60 kilomètres au nord de Yaoundé. Quelque 800 personnes ont « Quand on a une conscience, on se doit ainsi pu acheter et échanger des se de rompre tout lien avec les entreprises mences locales à une centaine de stands, des conférences et des séances d’infor qui financent le changement climatique mation complétant le programme de la et les inégalités qui en découlent. » foire. L’objectif de RADD consiste à préserver la diversité des variétés de semences locales et à les rendre Desmond Tutu, prix Nobel de la paix, Afrique du Sud accessibles aux familles paysannes. Rapport détaillé de la foire sur : www.ppp.ch/blog Perspectives 2 / 2021
Politique 5 D’innombrables études scientifiques apportent depuis très longtemps la preuve des ravages que ces substances infligent à l’environnement et à la société. Toutefois, notre modèle alimentaire industriel, fondé sur des produits de masse bon marché et uniformes, dépend de ces intrants chimiques dont le commerce est bien trop ren- table pour que l’agrobusiness songe à s’en pas- ser. Voilà des années que des sociétés comme Syngenta à Bâle – dont trois quarts du chiffre d’affaires proviennent des pesticides – s’em- ploient à faire croire qu’une agriculture sans pesticide de synthèse serait un danger pour la sécurité alimentaire. Nourrir le monde sans pesticide Or, c’est faux, comme le prouvent les 6000 ex- ploitations agricoles bio de Suisse, mais aussi les millions de cultivateurs et cultivatrices dans le monde qui produisent dans le respect de Agriculture : non aux l’écologie et soignent leurs plantes selon des pratiques douces tantôt millénaires, tantôt nouvelles. Pain pour le prochain soutient de- puis des années des organisations paysannes en produits toxiques Afrique et en Amérique latine qui promeuvent avec succès l’agroécologie et la souveraineté alimentaire. L’argument de l’industrie selon lequel il serait impossible de produire suffisam- ment de nourriture pour toute l’humanité en appliquant les techniques de l’agriculture bio- logique ne tient pas : en premier lieu, dans cer- En créant le joli terme de « produit phytosani- taines régions du monde, le passage au bio s’est taire », l’industrie chimique a été bien inspirée : même traduit par une amélioration du rende- Le 13 juin 2021, les électeurs et les qui penserait que des substances toxiques se ment ; en second lieu, l’agrobusiness produit électrices devront se prononcer sur deux initiatives qui abordent le sujet cachent sous un terme évoquant la santé ? Et surtout, à grand renfort de chimie, des matières des pesticides. L’initiative « pour pourtant : ces produits « sanitaires » de synthèse premières telles que le soja ou le maïs, utilisés une eau potable propre » a été sont précisément conçus pour tuer des orga- dans les filières du fourrage ou des carburants lancée en réaction à la pollution de nismes vivants, qu’il s’agisse de plantes, d’ani- et même pas conçus pour l’alimentation hu- l’eau potable par des résidus de maux ou de champignons, selon la philosophie maine. pesticides et demande notamment qu’il faut anéantir ce qu’on tient pour nocif, De plus en plus de voix s’élèvent contre les de réserver les paiements directs comme les mauvaises herbes et les ravageurs. pesticides. En Suisse, le peuple devra en juin aux exploitations agricoles qui n’en Or, on empoisonne aussi des êtres vivants ex- prochain se prononcer sur deux initiatives po- utilisent pas. Malheureusement, trêmement utiles, pour ne pas dire indispen- pulaires qui demandent de réduire ou d’inter- elle ne fixe pas de limites pour les sables à l’humanité, comme des insectes polli- dire leur utilisation. Pour Pain pour le prochain, denrées alimentaires importées nisateurs ou des micro-organismes vitaux pour une Suisse sans pesticide est une étape impor- et n’interdit l’usage des pesticides qu’aux agriculteurs et agricultrices, la fertilité du sol. tante vers un monde sans pesticide et, par mais pas aux pouvoirs publics ni aux conséquent, vers une agriculture capable à la jardinières et jardiniers amateurs. Une toxicité permanente fois de garantir des conditions de travail sûres Photos : Christian Beutler, Keystone / Brot für alle L’initiative « Pour une Suisse libre de Une fois épandues, les substances toxiques ne et dignes et de produire des aliments sains et pesticides de synthèse » est plus s’évanouissent pas simplement dans la nature : variés pour tous et toutes. cohérente, car elle demande une in- elles s’accumulent dans le sol, polluent les eaux terdiction générale de ces subs et finissent dans nos assiettes. Voilà des décen- tances ainsi que de l’importation de Tina Goethe est nies que l’on sait que les pesticides de synthèse denrées alimentaires qui en codirectrice du dépar portent atteinte à la santé humaine et, en pre- contiennent ou qui ont été produites tement Politique de mier lieu, à celle des personnes qui les épandent. développement chez à l’aide de pesticides. Toutefois, personne n’est épargné, car ces subs- Pain pour le prochain et tances pénètrent aussi dans le corps via l’eau responsable Droit à potable et les denrées alimentaires. l’alimentation. Perspectives 2 / 2021
Projet 6 Œuvrer au cœur Au Guatemala comme dans le reste du monde, les conséquences du confinement lié au corona virus touchent principalement les plus dému- nis les privant de leurs maigres sources de reve- de la tourmente nus et provoquant l’arrêt des projets d’aide et de formations auxquels ils participent. Compte tenu de la gravité de la situation, Pain pour le prochain a aussitôt débloqué une enveloppe de 50 000 dollars afin de financer des mesures d’urgence. « Notre personne de contact à Berne Aux côtés de ses partenaires, Pain pour le prochain s’est montrée très à l’écoute et a réagi sans at- s’est essayée à de nouvelles manières de prêter aide tendre », indique Yojana Miner, la responsable des programmes de développement soutenus et assistance dans le cadre de la crise sanitaire au par Pain pour le prochain et Action de Carême Guatemala durant le printemps 2020. au Guatemala. Avec l’aide de deux organisa- tions partenaires, elle a choisi 303 familles par- ticulièrement dans le besoin qui ont ainsi reçu des semences et des colis alimentaires préparés à partir de produits locaux. « Cette démarche nous a permis de faire d’une pierre deux coups en soutenant à la fois les familles frappées par la faim et les paysan·ne·s qui n’ont plus le droit de vendre leurs produits au marché à cause du confinement », nous explique Yojana Miner en soulignant l’intérêt de cette action. « C’est un projet de soli- darité en faveur des per- sonnes avec lesquelles nous collaborons depuis plusieurs années » Yojana Miner L’approvisionnement, une tâche laborieuse Il s’agissait, tout d’abord, de déterminer quelle serait la composition idéale des rations alimen- taires. Dans le cas des semences, la tâche consistait à sélectionner des cultures et des variétés adaptées. S’est alors posée la question épineuse de l’approvisionnement. Les colis ali- mentaires devaient avant tout contenir du maïs et des haricots, qui sont des aliments de base, ainsi qu’un peu de sucre et une variété de se- moule de céréale. En fin de compte, il fut pos- sible, avec l’aide des organisations locales, d’acheter les quantités requises en gros pour ensuite répartir les produits entre les colis. Distribution de colis d’aide d’urgence dans le département de Quiché, au nord du Quant aux semences, elles ont été fournies par Guatemala. La nourriture provenait de la production locale – une approche innovante et réussie. un partenaire de longue date de Pain pour le prochain et d’Action de Carême. Dans le même temps, cette action a permis de distribuer aux Perspectives 2 / 2021
Projet 7 Les aliments et les semences destinés aux colis d’urgence ont été achetés auprès de productrices et de producteurs locaux. familles bénéficiaires du matériel de sensibili- dans le cadre de la pandémie. Grâce à nos re- Votre don permet de sation et des articles d’hygiène qui les aident à cherches, nous connaissions donc les quantités fournir un soutien à long Lire & terme aux personnes en mieux se prémunir contre la Covid-19. de maïs et de haricots dont a besoin une famille, Agir mais aussi la manière de nous procurer les pro- situation d’urgence. La DDC emboîte le pas duits localement. » Notre partenaire a ainsi pu CCP 10-26487-1 Pour comble de malheur, deux cyclones dévas- distribuer de la nourriture, cette fois encore tateurs se sont abattus sur l’Amérique centrale achetée sur place, à 1 700 familles. à la fin de l’automne 2020. Ces catastrophes ont Dans d’autres pays d’Amérique latine et causé d’immenses dégâts et laissé des millions d’Afrique également, Pain pour le prochain a de personnes sans abris ni moyens de subsis- fait preuve d’une grande réactivité pour finan- tance, si bien que la Direction du développe- cer des mesures d’urgence axée sur la lutte ment et de la coopération s’est elle aussi attelée contre la Covid-19 – une action de plus, et non à financer des mesures d’urgence. Pour le Gua- des moindres, pour soutenir ses partenaires temala, il a de nouveau été fait appel à Yojana dans cette situation particulière. « C’est un pro- Miner et à son équipe pour coordonner l’aide jet de solidarité en faveur des personnes avec d’urgence suisse. S’il est vrai que la gestion de lesquelles nous collaborons depuis plusieurs Photos : Pain pour le prochain catastrophes naturelles relève d’un tout autre années », résume Yojana Miner. Si l’initiative a domaine que la lutte contre la pandémie de épaulé la population au cœur de la tourmente, coronavirus, il a néanmoins été possible de la crise n’est néanmoins pas encore derrière mettre à profit l’expérience engrangée pendant nous. — Gabriela Neuhaus l’été. « Nous avons pu nous appuyer sur le guide de gestion de crise que nous avions élaboré Perspectives 2 / 2021
Vue du Sud 8 Ange-David Baïmey est spécialiste des questions liées au climat et à l’accaparement des terres chez Grain * en Afrique. 70 % des denrées alimen- taires sont produites « Nous avons le droit de produire par des petits pay- sans et paysannes. notre propre nourriture » En novembre 2021 se tiendra le sommet des Nations Unies sur les systèmes alimentaires durables. Grain estime que ces systèmes doivent promouvoir la souveraineté alimen- taire et l’agroécologie et œuvre en ce sens de- producteurs·trices n’est en effet associée à l’évé- nement, organisé en étroite collaboration avec le Forum économique mondial (FEM). Au contraire, l’ordre du jour du sommet est même en grande partie déterminé par les mul- 2,5 milliards de per- puis 30 ans aux côtés du mouvement paysan tinationales qui négocient les denrées alimen- international La Via Campesina et de nombreux taires avant tout comme des marchandises en sonnes, principale- autres groupements locaux, communautés in- digènes et initiatives féministes. vue de générer des profits. Les chaînes d’appro- visionnement mondiales de ces grands groupes ment dans les pays Le concept de système alimentaire met en reposent sur la production industrielle en du Sud, s’approvi- évidence que tout est en interrelation dans le masse, mettent en opposition la nature et l’être monde qui nous entoure. Ainsi, lorsque nous humain, saucissonnent la production en une sionnent en nourri- détruisons des forêts ou d’autres écosystèmes multitude d’étapes et isolent les différents ac- ture uniquement sur au profit de plantations d’hévéas ou de palmiers teurs·trices en leur sein. à huile, nos actions auront nécessairement des Pour être durables, il faut que les systèmes les marchés locaux. répercussions sur notre environnement, notre alimentaires s’appuient sur des systèmes lo- vie et notre santé. La crise liée au coronavirus caux solides et souverains, lesquels reposent à 90 % met en exergue ces interactions. leur tour sur d’authentiques marchés, permet- Si nous souhaitons aborder l’agriculture et tant aux paysan·ne·s de rencontrer les transfor- l’alimentation sous un angle global, voire sys- mateurs·trices de denrées alimentaires, les né- témique, il nous faut donc mettre à profit gociant·e·s et les consommateurs·trices et de les interdépendances qui lient les produc- traiter directement avec eux. teurs·trices à la nature, la biodiversité à la di- Nous avons le droit de produire notre versité culturelle, les savoirs traditionnels à propre nourriture, de façon diversifiée et sou- des produits agri- l’apprentissage collectif et à l’innovation, les veraine. Pour que la population de la Côte coles sont trans- communautés locales aux institutions pu- d’Ivoire, du Sénégal, du Ghana ou de toute autre bliques. région de la planète puisse véritablement tirer formés à l’échelon Or, le sommet à venir n’apportera vraisem- parti du commerce international, il est primor- local ou régional, blablement aucune avancée en ce sens, car il dial de procéder à une refonte totale des règles s’engage à cet égard sur une voie fondamenta- qui le régissent. Il est alarmant que les multi- tandis que seule- lement erronée, marquée par l’absence de nationales puissent désormais exercer une ment 10 à 12 % font transparence et de démocratie. Aucune organi- mainmise sur les débats et négociations rela- sation de la société civile représentant les com- tives aux systèmes alimentaires qui se dé- l’objet d’échanges Photo : mise à disposition munautés locales et indigènes ou les petits roulent dans l’enceinte des Nations Unies. internationaux. *Partenaire de longue date de Pain pour le prochain, Grain est une petite organisation internationale qui fut la première à inscrire la problématique de l’accaparement des terres à l’ordre du jour international. Perspectives 2 / 2021
En transition 9 Réseau Transition Suisse Romande Il y a cinq ans, Pain pour le prochain initiait le Réseau Transition Suisse Romande. Aujourd’hui, ce sont des centaines de personnes qui s’investissent dans les initiatives de transition qui voient le jour dans tous les cantons romands. Dès la création du Laboratoire de transition intérieure en août 2016, Pain pour le prochain s’investit afin de faire naître un Réseau Transi- tion Suisse Romande. Noémie Cheval, anthro- pologue et militante associative et Michel Maxime Egger, fondateur du Laboratoire de transition intérieure, seront rejoints par Micaël Metri, géographe passionné d’écopsychologie, pour établir, en 2017, les fondements de ce qui n’est encore qu’un hub émergent. Deux événe- ments organisés durant la campagne œcumé- nique de 2018 intitulée « Prenons part au chan- gement » auront un formidable impact sur le développement du futur Réseau Transition Suisse Romande. Le premier a lieu à Berne, le 22 février 2018, où plus de 200 personnes parti- cipent aux conférences et ateliers de la « Jour- Le mouvement Transition a pris de l’ampleur en Suisse ces dernières années : de plus en plus de personnes cherchent de nouvelles voies et de nouveaux modes de vie en commun. née sous le signe de la transition », avec Satish Kumar, fondateur du Schumacher College (GB), l’un des nombreux invités de cet événement. Le mois suivant (6.3.2018), plus de 160 personnes Rêver ensemble la transition ment avec des initiatives à Bienne, Vevey, Mon- se réunissent et participent à la soirée « Bienne Depuis, le Réseau Transition Suisse Romande treux, Chailly 2030 (Lausanne), Morges, Yver- en transition ». et Pain pour le prochain collaborent pour faire don-les-Bains, Vallorbe ou encore Pully. vivre la transition dans notre pays. « S’entraider — Daniel Tillmanns Un soutien indispensable c’est l’ADN de ce mouvement qui s’amplifie et Le vent en poupe, il ne reste aucun doute sur la s’accélère » s’émerveille Noémie Cheval avant Toutes les informations sur : nécessité d’un Réseau Transition Suisse Ro- de poursuivre : « Au fil des rencontres, nous www.reseautransition.ch mande. Pour pérenniser cet envol, se projeter avons ressenti le besoin des personnes enga- et mettre en œuvre les prochaines étapes et les gées de raconter leur histoire de transition. activités de ce futur Réseau, il devient essentiel Nous avons mis sur pied la formation transhis- de trouver un financement. La fondation Pierre toire pour que ces récits, qui vont à l’encontre Luigi Giovaninni contacte Michel Maxime Eg- du défaitisme et du consumérisme, puissent ger pour réfléchir à une réorientation de ses prendre vie et se propager. » De nombreuses activités vers la transition. « Je leur ai présenté autres activités ont vu le jour comme le soutien le projet du Réseau Transition Suisse Romande en écopédagogie pour accompagner les com- Photo : Nicolas Gluzman que la fondation a très vite adopté ». La fonda- munes, les paroisses ou les individus en tran tion s’engage pour un financement sur trois ans sition ou encore les formations « lancer une et Pain pour le prochain héberge le hub et met initiative de formation » et « gouvernance par- à sa disposition un soutien logistique et admi- tagée », qui ont lieu plusieurs fois par année. nistratif. Enfin, le mouvement vit et se développe locale- Perspectives 2 / 2021
L’imagination Dossier 10 au pouvoir L’heure est à l’urgence climatique et sociale, qui appelle de profonds changements. Pour réussir cette transition indispensable, nous disposons d’un puissant catalyseur : notre imagination. Perspectives 2 / 2021
Dossier 11 P our l’écrivaine Nancy Huston, nous sommes l’« espèce fabulatrice ». Pour l’historien Yuval Noah Hariri, c’est leur capacité d’inventer des récits qui a permis aux êtres hu- mains de coopérer à grande échelle et de conquérir le monde. Quant à Rob Hopkins, le fondateur du Mouvement de la transition, il est persuadé que nous devons nous réappro- prier la force de l’imagination pour inventer le monde de demain (voir l’encadré). Il ne faut pas, comme le secteur du divertissement tente de nous en convaincre, confondre l’imagination avec la fantaisie, cette fuite dans l’irréalité ou la virtualité. L’imagination est une sorte de « for intérieur » qui influence tant la conscience que l’in- conscient de notre société afin que nous puis- sions façonner ensemble notre avenir. Les récits que produit cette imagination sont à l’origine du sens de la vie, de visions et de valeurs. Lorsqu’elle est ancrée dans la réalité locale, elle peut aboutir à des changements, à des alliances et à des mouvements tant individuels que collectifs. La clé de la transition Ce constat est à la base de l’approche de « Futurs proches », un partenaire de l’Atelier de la transition intérieure de Pain pour le prochain et d’Action de Carême. Dans ses ateliers, les participant·e·s formulent un dis- cours collectif qui présente l’avenir auquel ils aspirent. L’imagination est ainsi la clé de la transition sociale et écologique, capable à la fois de façonner le monde de demain et de renforcer notre capacité de résistance. Elle décolonise nos esprits en les affranchissant des convictions et des idées qui nous ont menés dans l’impasse actuelle. Pour réaliser cette transition, il faut cesser de voir dans la nature un simple garde-manger, abandon- ner l’idée artificielle d’une séparation entre les êtres humains et les autres êtres vivants et renoncer à l’idée qui fait de la consomma- tion de biens matériels la base du bonheur. Si nous voulons bâtir un monde nou- Photo : Anne Bichsel veau, nous devons commencer par rêver d’un monde différent et inventer ensemble d’autres modes de vie, d’autres façons de nous loger, de prendre des décisions, de nous nourrir ou de nous déplacer. Telle est la méthode de Rob Hopkins : « Et si … ? ». Perspectives 2 / 2021
Dossier 12 Cette question a la faculté de transformer d’autres acteurs. Comme le montrent de nom- l’apparemment impossible en réalité. Il suffit breux projets, l’appui des instances poli- de penser à la conquête de la Lune, à l’abo tiques devient décisif à un moment donné, lition de l’esclavage, à la chute de l’apartheid même s’il ne faut pas attendre que les choses ou encore au suffrage féminin. évoluent dans la voie attendue grâce aux autorités. Nous trouvons un bon exemple de Renforcer la capacité de résistance cet appui à Bologne, où le « Bureau de l’ima Sans cette approche féconde, de nombreux gination citoyenne » a déjà réalisé près de 500 projets n’auraient jamais vu le jour. Pour initiatives proposées par la base. Cela montre s’en convaincre, il suffit de se rendre à Liège, l’importance d’éviter que le discours se où 25 coopératives ont été créées en l’espace transforme en idéologie et de veiller à ce qu’il de six ans, au village alsacien en transition reste au contraire ouvert et pluriel, afin de d’Ungersheim, à la Biovallée de la Drôme ou n’exclure personne. — Michel Maxime Egger à la ferme du Bec-Hellouin en Normandie qui pratique la permaculture. Les projets de transition fleurissent toujours davantage, tant dans l’hémisphère sud qu’au Nord et notamment en Suisse. L’état de notre planète ne cesse de se dégrader, et stimuler notre créativité pour imaginer d’autres voies est un puissant fortifiant pour notre capacité de résistance. Il s’agit en effet de ne pas céder aux appels à la panique des prophètes apocalyptiques, sans renoncer pour autant à appeler les choses par leur nom. La force de la formule « Et si … ? » est de nous rappeler que le destin n’est pas décidé d’avance. Nous disposons en effet d’outils qui nous permettent de « digérer » des sentiments tels que l’angoisse, l’impuis- sance, la tristesse et la rage et de les trans former en énergie positive. En aiguisant notre imagination, nous nous sentons moins seuls, retrouvons espoir et recouvrons notre capa cité d’action. L’importance de travailler en réseau L’imagination ne surgit et ne se déve- loppe que lorsque plusieurs conditions sont réunies. En premier lieu, il faut créer un milieu sécurisé, préservé des écrans et de l’agitation quotidienne, qui nous aide à rêver, à méditer, à apprécier le moment présent, à partager des moments avec les êtres qui Un livre et des ateliers nous sont chers et à nous relier à la nature et au mystère sacré de notre origine. Il faut « Et si… on libérait notre imagination pour créer le futur que nous voulons ? », par ailleurs avoir très envie de changement. tel est le titre du dernier livre de Rob Hopkins, une invitation irrésistible au Il ne suffit en effet pas, comme l’exprime changement. Il nous appelle en effet à assimiler à notre pratique la créativité, l’imagination et les modèles du monde de demain. Le fondateur du mouve Rainer Maria Rilke, cité par Rob Hopkins, ment de la Transition montre à quel point nous négligeons l’imagination dans que : « … l’avenir entre en nous […] pour notre société, dans l’éducation et dans le discours politique, bien que des se transformer en notre substance, bien avant études montrent que la pensée et le rêve collectif d’un avenir différent sont de de prendre forme lui-même », mais il faut puissants moteurs de changements. aussi, pour mener à bien les changements Emballés par cette approche, Pain pour le prochain et le Réseau Transition rêvés, un esprit résolu et une implication Suisse Romande ont organisé un cours sur l’imagination au pouvoir, dont le soutenue. À elle seule, l’imagination est premier atelier, réalisé avec Rob Hopkins à la mi-décembre, sera suivi d’un se- inopérante. cond en mai 2021. Par ailleurs, les deux partenaires proposeront un webinaire La transition requiert toutefois encore sur ce sujet du 11 au 13 juin 2021, dans le cadre du Festival Objectif Terre. – CP une autre faculté, celle de collaborer avec Perspectives 2 / 2021
Dossier 13 Poursuivre sa vision pousse à emprunter une autre voie politique que celle suivie par les partis existants. » Le contexte politique actuel entrave toutefois malgré les obstacles l’action de Walhi. Selon Khalisah Khalid, le gouvernement du président Jokowi verse de plus en plus dans l’autoritarisme, ce qui n’est guère propice à la concrétisation de visions. Notre partenaire ajoute que la situation La dégradation massive de la situation poli- actuelle est comparable à celle prévalant en 2008 sous la présidence de Suharto. Aussi tique que connaît actuellement l’Indonésie Walhi prévoit-elle d’élaborer une nouvelle stratégie, de rejoindre l’opposition et de ren- représente un obstacle de taille pour les organi- forcer toujours plus les capacités des com sations de défense des droits humains et munautés locales. Yuyun Harmono, respon- sable Climat chez Walhi, fonde ses espoirs environnementaux telles que Walhi. sur la jeunesse : « Dans les cinq à dix années à venir, ce sera la nouvelle génération qui mènera la barque et représentera la première force politique. À l’inverse de l’élite politique actuelle, elle aspire à de profonds change- ments et se préoccupe de l’environnement et des droits humains. » Cheminer vers la lumière En mettant en relation crises environne mentales et causes sociales, Walhi cherche à susciter une « transition juste ». Grâce à cette nouvelle perspective tenant compte des intérêts de toutes les parties prenantes – c’est à dire tant les travailleurs·euses que la population indigène et l’environnement –, nous pourrions parvenir à une transforma- tion socialement et écologiquement juste du secteur de l’huile de palme et des autres industries problématiques. Rassemblement de femmes du village de Silit, dans la province de Kalimantan occidental. Interrogée sur les changements qu’elle apporterait en Indonésie si elle pouvait voir un de ses vœux exaucés, Khalisah Khalid En 2020, le partenaire indonésien de Pain nous confie : « Rétablir la démocratie et la pour le prochain Walhi, qui célébrait ses justice. » Une vision dont la concrétisation 40 années d’existence, a publié le livre pourrait selon elle s’appuyer sur le pouvoir « Menghijaukan HAM » – un titre que l’on régional : « Étant donné que les gouverne- pourrait traduire par « verdir les droits ments régionaux sont élus directement, nous humains ». Dans cet ouvrage, l’organisation avons la possibilité d’exercer une influence met en évidence le lien qui unit droits sur eux et de modifier leur composition. » humains et environnementaux. À l’image de Quant à elle, Yuyun Harmono formule sa la destruction des forêts primaires, qui porte réponse avec poésie : « Pour l’instant, notre atteinte aux droits des communautés indi- chemin n’est éclairé que par une faible lueur, gènes. « Depuis 2004, nous nous employons qui devrait guider chacun·e d’entre nous. à réunir sous un même étendard le mouve- Tout comme un homme qui aurait perdu ses ment environnemental, la cause des travail- clés dans un parc et ne les chercherait qu’à leurs·euses et des pêcheurs·euses ainsi que la l’endroit illuminé par un lampadaire. C’est lutte paysanne contre l’accaparement des une question d’instinct : nous dirigeons nos terres », indique Khalisah Khalid, la coordina- pas vers la lumière. Nous cheminerons vers la Photo : Lorenz Kummer trice politique de Walhi. « Nous souhaitons lumière, dans l’espoir d’y trouver quelque amorcer un changement de paradigme afin chose. Ce qui nous permettra au moins de ne d’abandonner le modèle actuel centré sur la plus rester plongés dans l’obscurité. » croissance économique, un objectif qui nous — Miges Baumann Perspectives 2 / 2021
Dossier 14 Et si … ? … en 2040 la Suisse tirait 75 % de sa Pain pour le prochain a demandé à une personne active au sein de trois consommation de ses partenaires – une en Suisse, d’énergie de sources une au Brésil et une au Cameroun – renouvelables ? de décrire l’aspect qu’aurait le monde en 2040 si tous les changements Félix Staehli, cofondateur des Impact Hubs de Genève et de Lausanne pour lesquels elle s’engage au quoti- Depuis 2021, c’est-à-dire en 20 ans, notre empreinte écologique s’est réduite de trois planètes et demie à une dien se produisaient d’ici cette planète et demie. Une agriculture diversifiée, garante échéance. de la biodiversité et largement inspirée par la perma- culture, s’est substituée aux monocultures. Les cultiva- teurs et cultivatrices n’utilisent plus de pesticides, Interviews — Chantal Peyer avantageusement remplacés par la force de la nature et par l’équilibre entre insectes, animaux et plantes. L’agri- culture a évolué vers la vente directe, les paysans et paysannes proposant une foule de produits et de presta- tions. Leurs clients travaillent dans certains projets à la ferme et donnent un coup de main pour la culture et la vente. L’agriculture urbaine produit de 10 à 15 % du total des récoltes : laitues, carottes, tomates ou encore pommes de terre prospèrent à qui mieux mieux non seulement dans les parcs, mais aussi sur les toits et les façades. Dans les quartiers, les habitants et habitantes se partagent les tâches (semis, désherbage, etc.) avec des maraîchers et maraîchères professionnels rémunérés par les communes. Cette activité collective soude la société et permet aux citadins et citadines de se relier à la nature et au cycle des saisons. Les consommateurs et consommatrices optent pour le partage et la location plutôt que pour l’achat. Des ini- tiatives telles que le partage de voitures, les stations de lo- cation de vélos ou les bibliothèques d’objets font partie du quotidien et les repair cafés ont essaimé dans toutes les villes. Les autorités promeuvent la fabrication de pro- duits modulaires, dont chaque élément peut être réparé Illustrations : Karin Hutter séparément. Dans le secteur du bâtiment, le taux de recyclage des décombres est passé de 1,5 en 2021 à 50 %, après une prise de conscience de la nécessité de déconstruire les matériaux de construction. Nous disposons également de matériaux d’isolation biodégradables. Perspectives 2 / 2021
Dossier 15 … l’agriculture était mise au service de la population locale au Cameroun ? Marie Crescence, directrice du Réseau des acteurs du développement durable RADD … les peuples indi- En 2040, il y a moins de conflits sociaux et les paysans et paysannes peuvent exercer leur souveraineté alimen- gènes avaient assumé taire. Ce sont eux qui administrent leurs champs, leurs forêts et leurs terres. Lorsqu’une entreprise s’installe dans la gestion des forêts un village, elle coopère avec les habitants et habitantes au lieu de les priver de leurs terres, comme cela se produi- au Brésil ? sait encore en 2021. L’entreprise aide les paysans et pay- sannes à acquérir les compétences voulues, à se transfor- mer en producteurs et productrices et à lui vendre des matières premières, comme de l’huile ou du caoutchouc. En outre, chaque famille cultive, pour elle-même et pour Winfridus Overbeek, coordinateur international du le village, du manioc, des bananes plantain, de l’igname, Mouvement mondial pour les forêts tropicales des pommes de terre, des mangues ou encore des avo- En 2040, le modèle fondé sur l’exploitation fait désormais cats. Tant les traditions locales que les lieux sacrés et his- partie du passé au Brésil. Depuis quelques années, ce toriques sont préservés. pays n’autorise plus de plantations de palmiers, ni de La présidente de la République élue cinq ans au mines, ni de coupes sombres dans les forêts. L’économie paravant ayant décidé d’abaisser les prix, le panier de la s’est convertie à la production à l’échelle locale, la part ménagère est devenu accessible à tous et toutes. L’ac des produits importés sur les rayonnages des magasins a cession de cette femme à la charge de cheffe de l’État a diminué. La population est devenue très sensible aux marqué les esprits et a été suivie de la nomination de modes de production et de consommation, mais aussi à plusieurs femmes aux postes de gouverneur. Grâce à ces notre vision de la forêt. Cette prise de conscience est à exemples, la population a pris conscience que chaque mettre sur le compte des communautés qui se sont mobili- femme se distingue par ses propres valeurs et que les sées face à l’accaparement de leurs terres. Le monde poli- femmes et les hommes sont égaux en droit. tique a repris le dessus sur les multinationales responsables Ces progrès sont à mettre à l’actif des citoyens et des de ces abus et restitué la gestion des forêts aux commu- citoyennes, qui se sont mobilisés pour dénoncer les nautés indigènes, dont l’une des premières décisions a été abus sur les plantations. En réaction à ces initiatives, les d’abolir les parcs nationaux, fondés sur une vision bi- ministres de l’Agriculture et de l’Économie ont promul- naire du monde : d’une part la nature, qu’il faut parquer gué des lois pour modifier les modalités d’octroi des terres et, de l’autre, les êtres humains qui exploitent la nature là et appuyer la formation des petits producteurs et pro où elle n’est pas protégée. Pour les communautés indi- ductrices. Les progrès accomplis au Cameroun de 2021 à gènes, l’être humain fait partie de la nature, de sorte qu’il 2040 ont eu un effet boule de neige dans d’autres pays n’est pas nécessaire de créer des réserves : il préserve la africains et donné un élan à d’autres changements. nature et vit avec elle, dans toute l’étendue de la forêt. Les communautés indigènes ont aussi interdit l’emploi de toute substance toxique dans l’agriculture. Perspectives 2 / 2021
Dossier 16 Courage et détachement Comme nous l’enseigne un atelier sur la transition intérieure, notre imagination a le pouvoir d’amorcer le changement. Compte-rendu d’un voyage à travers le passé et le futur. Nous sommes le 8 janvier 2021. Je m’installe à mon ordinateur et me connecte pour accéder à un atelier intitulé « Et si… nous explorions les chemins du sens et de la reliance ? » Cet événement s’inscrivait dans le cadre d’un cycle de conférences et d’ateliers – organisé par le Laboratoire de transition intérieure, le centre Pôle Sud de Lausanne et WWF Suisse – axés sur les stratégies permettant de sur- monter l’angoisse et le découragement pour les transformer en dynamique d’engagement. En cette froide matinée d’hiver, je m’ap- prête donc à m’embarquer dans un voyage à travers le temps qui me permettra de renouer un lien avec tous les êtres vivants de la Terre, voyage d’une profondeur et intensité telle que j’en viens à remettre en question ma propre identité : qui suis-je ? Une profonde connexion L’animateur et l’animatrice, Vincent Wattelet et Nathalie Grosjean, commencent par une introduction suivie d’une présentation. Ils écologique », pour emprunter le concept du nous invitent ensuite, dans le cadre d’une philosophe Arne Naess. Et comme les in Laboratoire de transition intérieure méditation guidée, à explorer les aspects de terconnexions ne se cantonnent pas aux êtres Fondé en 2016 par Pain pour l’évolution humaine afin de révéler le lien vivants actuels, je peux aussi nouer un dia- le prochain et porté également par qui nous unit aux autres formes de vie : logue avec les générations futures. Grâce à Action de Carême depuis 2020, le « Observez vos vertèbres cervicales et dorsales. mon imagination, je me retrouve propulsée Laboratoire de transition intérieure a Voyez comme elles sont indépendantes les en 2050, face à une fillette de huit ans. Elle pour but de contribuer à un chan unes des autres, mais forment néanmoins un me demande si l’état de la planète m’attriste gement de cap en travaillant sur les tout complexe. Il s’agit là d’un héritage de nos et me préoccupe et d’où je tire la force de dimensions culturelles, psycholo ancêtres aquatiques, qui auraient été inca- poursuivre mon engagement, ce à quoi je giques et spirituelles qui permet- pables de nager sans une colonne vertébrale réponds : « J’entre en relation avec les êtres tront d’amorcer la transition vers un monde meilleur et durable. Les articulée. » humains et les autres êtres vivants et je méditant·e·s-militant·e·s mettent en Alors que je laisse mon corps danser au prends contact avec mon cœur et ma joie relation, au niveau individuel et rythme de la douce musique de méditation, intérieure. » collectif, les composantes politiques, un sentiment de connexion avec tous les êtres Cet atelier m’a montré toute la force sociales et militantes du change- vivants s’empare de moi. Comme si mon que l’on peut tirer de l’imagination. Elle est ment avec la transition intérieure et Illustration : Karin Hutter identité ne se limitait plus à ma personne, une clé permettant de trouver la volonté et personnelle. Le Laboratoire de mais englobait tous les habitant·e·s de la le courage de s’engager, mais aussi le détache- transition intérieure vient compléter planète, qu’il s’agisse tant des êtres humains ment et l’espoir nécessaires pour faire face l’engagement de Pain pour le que des autres formes de vie ou de l’âme de la aux incertitudes de notre monde. prochain. Terre. Une conscience élargie d’un « soi — Alexia Rossé Perspectives 2 / 2021
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