On libérait notre imagination pour créer le futur que nous voulons ? " Agriculture : non aux produits toxiques - Pain pour le prochain

La page est créée Fabrice Jacob
 
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On libérait notre imagination pour créer le futur que nous voulons ? " Agriculture : non aux produits toxiques - Pain pour le prochain
Nº 2 / 2021
Le magazine pour « lire et agir »

                                                                         « Et si …
                                                                         … on libérait notre imagination pour
                                                                         créer le futur que nous voulons ? »

                                    Agriculture : non aux   Le droit de produire sa
                                    produits toxiques       propre nourriture
                                    Page 5                  Page 8
On libérait notre imagination pour créer le futur que nous voulons ? " Agriculture : non aux produits toxiques - Pain pour le prochain
Éditorial                                                            Contenu                                        2

                                                                     		Politique
                                                                     5	Agriculture : non aux
Chère lectrice, cher lecteur,                                            produits toxiques

                                                                     		Projet
« Et si . . . ? » C’est une question que nous nous posons de temps   6	Œuvrer au coeur de la
à autre, avant de l’écarter et nous accommoder de la réalité.            tourmente

Et si nous cessions de balayer nos rêves d’un revers de la pen-      		 En transition
                                                                     9	Réseau Transition Suisse
sée, pour utopiques qu’ils puissent nous sembler ? Et si nous            Romande
trouvions dans cette question l’étincelle qui rend l’impossible
                                                                     		Dossier
possible, transforme notre mode de vie et notre société ?
                                                                     10 L’imagination au pouvoir
La force de notre imagination nous permet de nous affranchir
                                                                     13	Poursuivre sa vision malgré
de logiques dépassées et de partir à la recherche de nouvelles           les obstacles
solutions. C’est ce constat qui est à la base de l’approche du
                                                                     14	Et si … ?
mouvement de la Transition, notamment, une approche reprise
aussi par Pain pour le prochain et qui sert de repère à notre
engagement en faveur d’une transition écologique et sociale, de
la préservation du climat et de la justice dans le monde.
Cependant, autant il est impossible d’amorcer un changement
sans la force de notre imagination, autant il est vain de se
contenter de rêver. Pour passer de la question aux actes et
parvenir au changement voulu, il faut en effet emprunter un
chemin sinueux et souvent accidenté.
Depuis plusieurs années, vous nous soutenez et nous accompa-
gnez sur ce chemin afin de concrétiser notre vision d’un avenir
plus juste et plus durable. Soyez-en remercié·e·s !
                                                                                                                          Photo : Patrik Kummer

                         Bernard DuPasquier
                         Directeur de Pain pour le prochain                Impressum
                                                                           Publication Pain pour le prochain, 2021
                                                                                                                          Couverture : Getty Images / Ivan Yang

                                                                           Rédactrice en chef Gabriela Neuhaus
                                                                           Rédaction Colette Kalt, Tiziana Conti,
                                                                           Daniel Tillmanns
                                                                           Mise en page et réalisation Crafft, Zurich
                                                                           Travail sur les photos Schellenberg Druck AG
                                                                           Impression Druckerei Kyburz AG
                                                                           Tirages 30 500 DE / 8400 FR
                                                                           Paraît quatre fois par an
                                                                           Prix CHF 5.– par donateur / donatrice
                                                                           sont utilisés pour l’abonnement
                                                                           Contact Pain pour le prochain
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Perspectives 2 / 2021
On libérait notre imagination pour créer le futur que nous voulons ? " Agriculture : non aux produits toxiques - Pain pour le prochain
Politique                                                                                                                                                    3

                                                                                                                                                       jeu comptable, une réduction de 30 à 35 mil-
                                                                                                                                                       lions de tonnes de CO2 devrait ainsi être at-
                                                                                                                                                       teinte non en Suisse, mais à l’extérieur de nos
                                                                                                                                                       frontières. L’Union européenne est beaucoup
                                                                                                                                                       plus ambitieuse : elle exclut ces expédients et
                                                                                                                                                       entend même, dans son Pacte vert, réduire de
                                                                                                                                                       55 % les émissions de gaz à effet de serre d’ici
                                                                                                                                                       2030 à l’intérieur de ses frontières. La Suisse
                                                                                                                                                       devra donc revoir sa copie pour la prochaine
                                                                                                                                                       étape.
                                                                                                                                                           Le nouveau Fonds à créer par la loi est une
                                                                                                                                                       lueur d’espoir pour la politique de dévelop­
                                                                                                                                                       pement : une partie de ce fonds – soit les re-
                                                                                                                                                       cettes provenant des sanctions et du com-
                                                                                                                                                       merce d’émissions – devrait être affectée à des
                                                                                                                                                       « mesures visant à prévenir et à maîtriser les
                                                                                                                                                       dommages aux personnes ou aux biens qui
                                                                                                                                                       pourraient résulter de l’augmentation de la
                                                                                                                                                       concentration de gaz à effet de serre dans l’at-
                                                                                                                                                       mosphère ». Du point de vue juridique, cela in-
                                                                                                                                                       clut des mesures d’adaptation réalisées dans
                                                                                                                                                       des pays en développement.

                                          Tempêtes, inondations et sécheresses sont plus fréquentes. Les populations du Sud sont les plus touchées.    La menace d’un vide juridique
                                          La nouvelle loi sur le CO² est un pas important vers plus de justice climatique.
                                                                                                                                                       Si la loi sur le CO2 n’entrait pas en vigueur en
                                                                                                                                                       2022, la politique climatique suisse reculerait

                                          Loi sur le CO² : un
                                                                                                                                                       de plusieurs années, car l’échec du projet de loi
                                                                                                                                                       provoquerait un vide juridique qui ne serait pas
                                                                                                                                                       comblé avant le milieu de cette décennie. Pen-
                                                                                                                                                       dant ce temps, la Suisse n’aurait pas de législa-

                                          progrès important
                                                                                                                                                       tion climatique à proprement parler.
                                                                                                                                                            Même celles et ceux qui pensent que la loi
                                                                                                                                                       ne va pas assez loin ont intérêt à voter « oui » :
                                                                                                                                                       en effet, il est illusoire de croire que le rejet de
                                                                                                                                                       la loi fera avancer leurs revendications. C’est le
                                                                                                                                                       contraire qui est vrai : l’expérience faite avec
                                          Après de longs débats, les Chambres fédérales ont adopté                                                     d’autres projets refusés montre qu’ils ac-
                                          la nouvelle loi sur le CO² en automne 2020. Cet objet sera                                                   couchent d’une loi édulcorée et non pas d’une
                                                                                                                                                       loi plus stricte.
                                          soumis au peuple. Même si les mesures prévues sont insuf-                                                         Ces prochaines années, Pain pour le pro-
                                          fisantes, Pain pour le prochain recommande de voter oui.                                                     chain/EPER et Action de Carême n’auront de
                                                                                                                                                       cesse, durant la campagne œcuménique, de
                                                                                                                                                       défendre la justice climatique. Dès lors, il est
                                                                                                                                                       logique que nous disions « oui » à ce premier
                                                                                                                                                       pas vers ce principe. En effet, il n’y aura pas de
                                          Le référendum lancé par Avenergy (l’ancienne             La loi sur le CO2, compromis conclu par les         justice climatique tant que la Suisse et les pays
                                          Union pétrolière) et par Auto-Suisse ayant               forces parlementaires, n’a vu le jour qu’après      industrialisés n’assumeront pas leur responsa-
                                          abouti, la nouvelle loi sur le CO2 sera soumise          d’âpres négociations. En dépit de ses carences      bilité dans la crise climatique et ne mettront
                                          au peuple le 13 juin 2021.                               manifestes, elle représente une avancée que         pas en œuvre des mesures contraignantes et
                                               Pain pour le prochain donne son suffrage à          l’on attendait depuis longtemps dans une poli-      efficaces.
Photo : Bob Timonera / Action de Carême

                                          la révision de la loi sur le CO2, même si elle est       tique climatique suisse hésitante et prépare le
                                          encore insuffisante face aux enjeux climatiques.         terrain pour d’autres progrès urgents plus am-
                                                                                                                                                                              Miges Baumann est
                                          Néanmoins, le Parlement a fait un pas dans la            bitieux qui nous rapprocheront de la justice
                                                                                                                                                                              codirecteur du dépar­
                                          bonne direction et il n’y a pas de solution de           climatique dans le monde.                                                  tement Politique de
                                          rechange à la loi sur le CO2 pour que la Suisse               De nombreuses ONG déplorent qu’un quart                               développement chez
                                          réduise de moitié ses émissions de gaz à effet           des objectifs climatiques nationaux formulés                               Pain pour le prochain
                                          de serre d’ici 2030 par rapport au niveau de             pour 2030 puissent être atteints par l’achat de                            et responsable du
                                          1990.                                                    certificats pour des mesures à l’étranger. Par un                          secteur Climat 2030.

                                          Perspectives 2 / 2021
On libérait notre imagination pour créer le futur que nous voulons ? " Agriculture : non aux produits toxiques - Pain pour le prochain
Actualités                                                                                                                                 4

2080
                                                                                                  Transparence

                                                                                                  Make ICT Fair
                                                                                                  Cinq projets pilotes du projet européen
                                                                                                  « Make ICT Fair » ont permis de recueillir
                                                                                                  des informations sur la manière dont les
                                                                                                  pouvoirs publics peuvent mettre en œuvre
villes participent au mouvement                                                                   les exigences de transparence des chaînes
« Fair-Trade-Town » dont Carouge,                                                                 d’approvisionnement. Par exemple, lors
                                                                                                  de l’appel d’offres pour du matériel infor­
Renens, Fribourg et 10 autres villes                                                              matique, la ville de Barcelone a exigé des
suisses. www.fairtradetowns.org/fr                                                                soumissionnaires qu’ils démontrent le
                                                                                                  respect des normes sociales et écologiques
                                                                                                  tout au long de la chaîne d’approvisionne­
                                                                                                  ment, de la production jusqu’au recyclage.
Entreprises et droits humains                                                                     www.electronicswatch.org/fr

Espoirs en faveur                                              Justice vaccinale

du climat                                                      Levée des brevets
Le mois de février 2021 a marqué l’entrée en vigueur en        Avant même l’homologation des vaccins contre la Covid-19, les pays riches du
Amérique latine de l’accord d’Escazú, lequel impose            nord de la planète se sont assuré la livraison de millions de doses, laissant
aux États parties un devoir de transparence et de              130 pays les mains vides, principalement dans l’hémisphère sud. L’Afrique du
participation publique. S’agissant du premier traité au        Sud et l’Inde demandent la levée des brevets sur les vaccins contre la Covid-19
monde sur les questions environnementales à présen­            afin de permettre une production mondiale des doses et de réduire leur coût.
ter une telle portée, il pourrait faire école. Son objectif    De nombreux pays du Sud et ONG soutiennent cette démarche. Pour l’organi­
est de mieux protéger les paysan·ne·s et les défen­            sation MSF, il est nécessaire que les pays du Sud reçoivent un nombre suffisant
seurs·euses de l’environnement qui luttent contre la           de doses afin d’éviter que le virus ne connaisse d’autres mutations.
spéculation foncière et les entreprises extractives et de
renforcer leurs capacités. À ce jour, 12 États, dont
l’Argentine, le Mexique et la Bolivie, ont ratifié l’accord.                Une bonne nouvelle
https://bit.ly/31t5pps
                                                                            Foire aux semences au
                                                                            Cameroun
                                                                 « Sauvons et gardons nos semences
                                                                 locales », telle est la devise de la pre­
                                                                 mière foire aux semences qui a eu lieu
                                                                 au Cameroun. Cet événement, mis sur
                                                                 pied par le partenaire local de Pain pour                                       Photos : Christian Lombardi / Public Eye / Pain pour le prochain / RADD

                                                                 le prochain RADD, s’est tenu à la fin
                                                                 du mois de février 2021 dans le village
                                                                 d’Essé, à 60 kilomètres au nord de
                                                                 Yaoundé. Quelque 800 personnes ont
« Quand on a une conscience, on se doit                          ainsi pu acheter et échanger des se­
de rompre tout lien avec les entreprises                         mences locales à une centaine de stands,
                                                                 des conférences et des séances d’infor­
qui financent le changement climatique                           mation complétant le programme de la
et les inégalités qui en découlent. »                            foire. L’objectif de RADD consiste à
                                                                 préserver la diversité des variétés de semences locales et à les rendre
Desmond Tutu, prix Nobel de la paix, Afrique du Sud              accessibles aux familles paysannes. Rapport détaillé de la foire sur :
                                                                 www.ppp.ch/blog

Perspectives 2 / 2021
On libérait notre imagination pour créer le futur que nous voulons ? " Agriculture : non aux produits toxiques - Pain pour le prochain
Politique                                                                                                                                      5

                                                                                                                                                       D’innombrables études scientifiques apportent
                                                                                                                                                       depuis très longtemps la preuve des ravages que
                                                                                                                                                       ces substances infligent à l’environnement et à
                                                                                                                                                       la société. Toutefois, notre modèle alimentaire
                                                                                                                                                       industriel, fondé sur des produits de masse bon
                                                                                                                                                       marché et uniformes, dépend de ces intrants
                                                                                                                                                       chimiques dont le commerce est bien trop ren-
                                                                                                                                                       table pour que l’agrobusiness songe à s’en pas-
                                                                                                                                                       ser. Voilà des années que des sociétés comme
                                                                                                                                                       Syngenta à Bâle – dont trois quarts du chiffre
                                                                                                                                                       d’affaires proviennent des pesticides – s’em-
                                                                                                                                                       ploient à faire croire qu’une agriculture sans
                                                                                                                                                       pesticide de synthèse serait un danger pour la
                                                                                                                                                       sécurité alimentaire.

                                                                                                                                                       Nourrir le monde sans pesticide
                                                                                                                                                       Or, c’est faux, comme le prouvent les 6000 ex-
                                                                                                                                                       ploitations agricoles bio de Suisse, mais aussi
                                                                                                                                                       les millions de cultivateurs et cultivatrices dans
                                                                                                                                                       le monde qui produisent dans le respect de

                                                       Agriculture : non aux
                                                                                                                                                       l’écologie et soignent leurs plantes selon des
                                                                                                                                                       pratiques douces tantôt millénaires, tantôt
                                                                                                                                                       nouvelles. Pain pour le prochain soutient de-
                                                                                                                                                       puis des années des organisations paysannes en

                                                       produits toxiques
                                                                                                                                                       Afrique et en Amérique latine qui promeuvent
                                                                                                                                                       avec succès l’agroécologie et la souveraineté
                                                                                                                                                       alimentaire. L’argument de l’industrie selon
                                                                                                                                                       lequel il serait impossible de produire suffisam-
                                                                                                                                                       ment de nourriture pour toute l’humanité en
                                                                                                                                                       appliquant les techniques de l’agriculture bio-
                                                                                                                                                       logique ne tient pas : en premier lieu, dans cer-
                                                                                                 En créant le joli terme de « produit phytosani-       taines régions du monde, le passage au bio s’est
                                                                                                 taire », l’industrie chimique a été bien inspirée :   même traduit par une amélioration du rende-
                                                       Le 13 juin 2021, les électeurs et les
                                                                                                 qui penserait que des substances toxiques se          ment ; en second lieu, l’agrobusiness produit
                                                       électrices devront se prononcer sur
                                                       deux initiatives qui abordent le sujet    cachent sous un terme évoquant la santé ? Et          surtout, à grand renfort de chimie, des matières
                                                       des pesticides. L’initiative « pour       pourtant : ces produits « sanitaires » de synthèse    premières telles que le soja ou le maïs, utilisés
                                                       une eau potable propre » a été            sont précisément conçus pour tuer des orga-           dans les filières du fourrage ou des carburants
                                                       lancée en réaction à la pollution de      nismes vivants, qu’il s’agisse de plantes, d’ani-     et même pas conçus pour l’alimentation hu-
                                                       l’eau potable par des résidus de          maux ou de champignons, selon la philosophie          maine.
                                                       pesticides et demande notamment           qu’il faut anéantir ce qu’on tient pour nocif,             De plus en plus de voix s’élèvent contre les
                                                       de réserver les paiements directs         comme les mauvaises herbes et les ravageurs.          pesticides. En Suisse, le peuple devra en juin
                                                       aux exploitations agricoles qui n’en      Or, on empoisonne aussi des êtres vivants ex-         prochain se prononcer sur deux initiatives po-
                                                       utilisent pas. Malheureusement,           trêmement utiles, pour ne pas dire indispen-          pulaires qui demandent de réduire ou d’inter-
                                                       elle ne fixe pas de limites pour les
                                                                                                 sables à l’humanité, comme des insectes polli-        dire leur utilisation. Pour Pain pour le prochain,
                                                       denrées alimentaires importées
                                                                                                 nisateurs ou des micro-organismes vitaux pour         une Suisse sans pesticide est une étape impor-
                                                       et n’interdit l’usage des pesticides
                                                       qu’aux agriculteurs et agricultrices,     la fertilité du sol.                                  tante vers un monde sans pesticide et, par
                                                       mais pas aux pouvoirs publics ni aux                                                            conséquent, vers une agriculture capable à la
                                                       jardinières et jardiniers amateurs.       Une toxicité permanente                               fois de garantir des conditions de travail sûres
Photos : Christian Beutler, Keystone / Brot für alle

                                                       L’initiative « Pour une Suisse libre de   Une fois épandues, les substances toxiques ne         et dignes et de produire des aliments sains et
                                                       pesticides de synthèse » est plus         s’évanouissent pas simplement dans la nature :        variés pour tous et toutes.
                                                       cohérente, car elle demande une in-       elles s’accumulent dans le sol, polluent les eaux
                                                       terdiction générale de ces subs­          et finissent dans nos assiettes. Voilà des décen-
                                                       tances ainsi que de l’importation de                                                                                  Tina Goethe est
                                                                                                 nies que l’on sait que les pesticides de synthèse
                                                       denrées alimentaires qui en                                                                                           codirectrice du dépar­
                                                                                                 portent atteinte à la santé humaine et, en pre-
                                                       contiennent ou qui ont été produites                                                                                  tement Politique de
                                                                                                 mier lieu, à celle des personnes qui les épandent.                          développement chez
                                                       à l’aide de pesticides.
                                                                                                 Toutefois, personne n’est épargné, car ces subs-                            Pain pour le prochain et
                                                                                                 tances pénètrent aussi dans le corps via l’eau                              responsable Droit à
                                                                                                 potable et les denrées alimentaires.                                        l’alimentation.

                                                       Perspectives 2 / 2021
On libérait notre imagination pour créer le futur que nous voulons ? " Agriculture : non aux produits toxiques - Pain pour le prochain
Projet                                                                                                                                 6

Œuvrer au cœur                                                                           Au Guatemala comme dans le reste du monde,
                                                                                         les conséquences du confinement lié au corona­
                                                                                         virus touchent principalement les plus dému-
                                                                                         nis les privant de leurs maigres sources de reve-

de la tourmente
                                                                                         nus et provoquant l’arrêt des projets d’aide et
                                                                                         de formations auxquels ils participent. Compte
                                                                                         tenu de la gravité de la situation, Pain pour le
                                                                                         prochain a aussitôt débloqué une enveloppe de
                                                                                         50 000 dollars afin de financer des mesures
                                                                                         d’urgence. « Notre personne de contact à Berne
Aux côtés de ses partenaires, Pain pour le prochain                                      s’est montrée très à l’écoute et a réagi sans at-
s’est essayée à de nouvelles manières de prêter aide                                     tendre », indique Yojana Miner, la responsable
                                                                                         des programmes de développement soutenus
et assistance dans le cadre de la crise sanitaire au                                     par Pain pour le prochain et Action de Carême
Guatemala durant le printemps 2020.                                                      au Guatemala. Avec l’aide de deux organisa-
                                                                                         tions partenaires, elle a choisi 303 familles par-
                                                                                         ticulièrement dans le besoin qui ont ainsi reçu
                                                                                         des semences et des colis alimentaires préparés
                                                                                         à partir de produits locaux. « Cette démarche
                                                                                         nous a permis de faire d’une pierre deux coups
                                                                                         en soutenant à la fois les familles frappées par
                                                                                         la faim et les paysan·ne·s qui n’ont plus le droit
                                                                                         de vendre leurs produits au marché à cause du
                                                                                         confinement », nous explique Yojana Miner en
                                                                                         soulignant l’intérêt de cette action.

                                                                                         « C’est un projet de soli-
                                                                                         darité en faveur des per-
                                                                                         sonnes avec lesquelles
                                                                                         nous collaborons depuis
                                                                                         plusieurs années »
                                                                                         Yojana Miner

                                                                                         L’approvisionnement, une tâche laborieuse
                                                                                         Il s’agissait, tout d’abord, de déterminer quelle
                                                                                         serait la composition idéale des rations alimen-
                                                                                         taires. Dans le cas des semences, la tâche
                                                                                         consistait à sélectionner des cultures et des
                                                                                         variétés adaptées. S’est alors posée la question
                                                                                         épineuse de l’approvisionnement. Les colis ali-
                                                                                         mentaires devaient avant tout contenir du maïs
                                                                                         et des haricots, qui sont des aliments de base,
                                                                                         ainsi qu’un peu de sucre et une variété de se-
                                                                                         moule de céréale. En fin de compte, il fut pos-
                                                                                         sible, avec l’aide des organisations locales,
                                                                                         d’acheter les quantités requises en gros pour
                                                                                         ensuite répartir les produits entre les colis.
Distribution de colis d’aide d’urgence dans le département de Quiché, au nord du
                                                                                         Quant aux semences, elles ont été fournies par
Guatemala. La nourriture provenait de la production locale – une approche innovante et
réussie.                                                                                 un partenaire de longue date de Pain pour le
                                                                                         prochain et d’Action de Carême. Dans le même
                                                                                         temps, cette action a permis de distribuer aux

Perspectives 2 / 2021
On libérait notre imagination pour créer le futur que nous voulons ? " Agriculture : non aux produits toxiques - Pain pour le prochain
Projet                                                                                                                                             7

                                 Les aliments et les semences destinés aux colis d’urgence ont été achetés auprès de
                                 productrices et de producteurs locaux.

                                 familles bénéficiaires du matériel de sensibili-         dans le cadre de la pandémie. Grâce à nos re-                 Votre don permet de
                                 sation et des articles d’hygiène qui les aident à        cherches, nous connaissions donc les quantités                fournir un soutien à long
                                                                                                                                               Lire &   terme aux personnes en
                                 mieux se prémunir contre la Covid-19.                    de maïs et de haricots dont a besoin une famille,    Agir
                                                                                          mais aussi la manière de nous procurer les pro-               situation d’urgence.
                                 La DDC emboîte le pas                                    duits localement. » Notre partenaire a ainsi pu               CCP 10-26487-1
                                 Pour comble de malheur, deux cyclones dévas-             distribuer de la nourriture, cette fois encore
                                 tateurs se sont abattus sur l’Amérique centrale          achetée sur place, à 1 700 familles.
                                 à la fin de l’automne 2020. Ces catastrophes ont              Dans d’autres pays d’Amérique latine et
                                 causé d’immenses dégâts et laissé des millions           d’Afrique également, Pain pour le prochain a
                                 de personnes sans abris ni moyens de subsis-             fait preuve d’une grande réactivité pour finan-
                                 tance, si bien que la Direction du développe-            cer des mesures d’urgence axée sur la lutte
                                 ment et de la coopération s’est elle aussi attelée       contre la Covid-19 – une action de plus, et non
                                 à financer des mesures d’urgence. Pour le Gua-           des moindres, pour soutenir ses partenaires
                                 temala, il a de nouveau été fait appel à Yojana          dans cette situation particulière. « C’est un pro-
                                 Miner et à son équipe pour coordonner l’aide             jet de solidarité en faveur des personnes avec
                                 d’urgence suisse. S’il est vrai que la gestion de        lesquelles nous collaborons depuis plusieurs
Photos : Pain pour le prochain

                                 catastrophes naturelles relève d’un tout autre           années », résume Yojana Miner. Si l’initiative a
                                 domaine que la lutte contre la pandémie de               épaulé la population au cœur de la tourmente,
                                 coronavirus, il a néanmoins été possible de              la crise n’est néanmoins pas encore derrière
                                 mettre à profit l’expérience engrangée pendant           nous. — Gabriela Neuhaus
                                 l’été. « Nous avons pu nous appuyer sur le guide
                                 de gestion de crise que nous avions élaboré

                                 Perspectives 2 / 2021
On libérait notre imagination pour créer le futur que nous voulons ? " Agriculture : non aux produits toxiques - Pain pour le prochain
Vue du Sud                                                                                                                                     8

                                                                                  Ange-David Baïmey est spécialiste
                                                                                  des questions liées au climat et
                                                                                  à l’accaparement des terres chez
                                                                                  Grain * en Afrique.                       70 %
                                                                                                                            des denrées alimen-
                                                                                                                            taires sont produites
           « Nous avons le droit de produire                                                                                par des petits pay-
                                                                                                                            sans et paysannes.
               notre propre nourriture »
      En novembre 2021 se tiendra le sommet des
      Nations Unies sur les systèmes alimentaires
      durables. Grain estime que ces systèmes
      doivent promouvoir la souveraineté alimen-
      taire et l’agroécologie et œuvre en ce sens de-
                                                                   producteurs·trices n’est en effet associée à l’évé-
                                                                   nement, organisé en étroite collaboration avec
                                                                   le Forum économique mondial (FEM).
                                                                        Au contraire, l’ordre du jour du sommet est
                                                                   même en grande partie déterminé par les mul-
                                                                                                                            2,5
                                                                                                                            milliards de per-
      puis 30 ans aux côtés du mouvement paysan                    tinationales qui négocient les denrées alimen-
      international La Via Campesina et de nombreux                taires avant tout comme des marchandises en              sonnes, principale-
      autres groupements locaux, communautés in-
      digènes et initiatives féministes.
                                                                   vue de générer des profits. Les chaînes d’appro-
                                                                   visionnement mondiales de ces grands groupes
                                                                                                                            ment dans les pays
           Le concept de système alimentaire met en                reposent sur la production industrielle en               du Sud, s’approvi-
      évidence que tout est en interrelation dans le               masse, mettent en opposition la nature et l’être
      monde qui nous entoure. Ainsi, lorsque nous                  humain, saucissonnent la production en une
                                                                                                                            sionnent en nourri-
      détruisons des forêts ou d’autres écosystèmes                multitude d’étapes et isolent les différents ac-         ture uniquement sur
      au profit de plantations d’hévéas ou de palmiers             teurs·trices en leur sein.
      à huile, nos actions auront nécessairement des                    Pour être durables, il faut que les systèmes
                                                                                                                            les marchés locaux.
      répercussions sur notre environnement, notre                 alimentaires s’appuient sur des systèmes lo-
      vie et notre santé. La crise liée au coronavirus             caux solides et souverains, lesquels reposent à

                                                                                                                            90 %
      met en exergue ces interactions.                             leur tour sur d’authentiques marchés, permet-
           Si nous souhaitons aborder l’agriculture et             tant aux paysan·ne·s de rencontrer les transfor-
      l’alimentation sous un angle global, voire sys-              mateurs·trices de denrées alimentaires, les né-
      témique, il nous faut donc mettre à profit                   gociant·e·s et les consommateurs·trices et de
      les interdépendances qui lient les produc-                   traiter directement avec eux.
      teurs·trices à la nature, la biodiversité à la di-                Nous avons le droit de produire notre
      versité culturelle, les savoirs traditionnels à              propre nourriture, de façon diversifiée et sou-
                                                                                                                            des produits agri-
      l’apprentissage collectif et à l’innovation, les             veraine. Pour que la population de la Côte               coles sont trans-
      communautés locales aux institutions pu-                     d’Ivoire, du Sénégal, du Ghana ou de toute autre
      bliques.                                                     région de la planète puisse véritablement tirer          formés à l’échelon
           Or, le sommet à venir n’apportera vraisem-              parti du commerce international, il est primor-          local ou régional,
      blablement aucune avancée en ce sens, car il                 dial de procéder à une refonte totale des règles
      s’engage à cet égard sur une voie fondamenta-                qui le régissent. Il est alarmant que les multi-         tandis que seule-
      lement erronée, marquée par l’absence de                     nationales puissent désormais exercer une                ment 10 à 12 % font
      transparence et de démocratie. Aucune organi-                mainmise sur les débats et négociations rela-
      sation de la société civile représentant les com-            tives aux systèmes alimentaires qui se dé-               l’objet d’échanges
                                                                                                                                                    Photo : mise à disposition

      munautés locales et indigènes ou les petits                  roulent dans l’enceinte des Nations Unies.
                                                                                                                            internationaux.
         *Partenaire de longue date de Pain pour le prochain, Grain est une petite organisation internationale qui fut la
               première à inscrire la problématique de l’accaparement des terres à l’ordre du jour international.

Perspectives 2 / 2021
On libérait notre imagination pour créer le futur que nous voulons ? " Agriculture : non aux produits toxiques - Pain pour le prochain
En transition                                                                                                                                             9

                          Réseau Transition
                          Suisse Romande
                          Il y a cinq ans, Pain pour le prochain initiait le Réseau Transition Suisse Romande.
                          Aujourd’hui, ce sont des centaines de personnes qui s’investissent dans
                          les initiatives de transition qui voient le jour dans tous les cantons romands.

                          Dès la création du Laboratoire de transition
                          intérieure en août 2016, Pain pour le prochain
                          s’investit afin de faire naître un Réseau Transi-
                          tion Suisse Romande. Noémie Cheval, anthro-
                          pologue et militante associative et Michel
                          Maxime Egger, fondateur du Laboratoire de
                          transition intérieure, seront rejoints par Micaël
                          Metri, géographe passionné d’écopsychologie,
                          pour établir, en 2017, les fondements de ce qui
                          n’est encore qu’un hub émergent. Deux événe-
                          ments organisés durant la campagne œcumé-
                          nique de 2018 intitulée « Prenons part au chan-
                          gement » auront un formidable impact sur le
                          développement du futur Réseau Transition
                          Suisse Romande. Le premier a lieu à Berne, le
                          22 février 2018, où plus de 200 personnes parti-
                          cipent aux conférences et ateliers de la « Jour-          Le mouvement Transition a pris de l’ampleur en Suisse ces dernières années : de plus en plus
                                                                                    de personnes cherchent de nouvelles voies et de nouveaux modes de vie en commun.
                          née sous le signe de la transition », avec Satish
                          Kumar, fondateur du Schumacher College (GB),
                          l’un des nombreux invités de cet événement. Le
                          mois suivant (6.3.2018), plus de 160 personnes        Rêver ensemble la transition                            ment avec des initiatives à Bienne, Vevey, Mon-
                          se réunissent et participent à la soirée « Bienne     Depuis, le Réseau Transition Suisse Romande             treux, Chailly 2030 (Lausanne), Morges, Yver-
                          en transition ».                                      et Pain pour le prochain collaborent pour faire         don-les-Bains, Vallorbe ou encore Pully.
                                                                                vivre la transition dans notre pays. « S’entraider      — Daniel Tillmanns
                          Un soutien indispensable                              c’est l’ADN de ce mouvement qui s’amplifie et
                          Le vent en poupe, il ne reste aucun doute sur la      s’accélère » s’émerveille Noémie Cheval avant           Toutes les informations sur :
                          nécessité d’un Réseau Transition Suisse Ro-           de poursuivre : « Au fil des rencontres, nous
                                                                                                                                        www.reseautransition.ch
                          mande. Pour pérenniser cet envol, se projeter         avons ressenti le besoin des personnes enga-
                          et mettre en œuvre les prochaines étapes et les       gées de raconter leur histoire de transition.
                          activités de ce futur Réseau, il devient essentiel    Nous avons mis sur pied la formation transhis-
                          de trouver un financement. La fondation Pierre        toire pour que ces récits, qui vont à l’encontre
                          Luigi Giovaninni contacte Michel Maxime Eg-           du défaitisme et du consumérisme, puissent
                          ger pour réfléchir à une réorientation de ses         prendre vie et se propager. » De nombreuses
                          activités vers la transition. « Je leur ai présenté   autres activités ont vu le jour comme le soutien
                          le projet du Réseau Transition Suisse Romande         en écopédagogie pour accompagner les com-
Photo : Nicolas Gluzman

                          que la fondation a très vite adopté ». La fonda-      munes, les paroisses ou les individus en tran­
                          tion s’engage pour un financement sur trois ans       sition ou encore les formations « lancer une
                          et Pain pour le prochain héberge le hub et met        initiative de formation » et « gouvernance par-
                          à sa disposition un soutien logistique et admi-       tagée », qui ont lieu plusieurs fois par année.
                          nistratif.                                            Enfin, le mouvement vit et se développe locale-

                          Perspectives 2 / 2021
On libérait notre imagination pour créer le futur que nous voulons ? " Agriculture : non aux produits toxiques - Pain pour le prochain
L’imagination
Dossier                                                      10

au pouvoir

L’heure est à l’urgence climatique et sociale, qui appelle
de profonds changements. Pour réussir cette transition
indispensable, nous disposons d’un puissant catalyseur :
notre imagination.

Perspectives 2 / 2021
Dossier                                                                                   11

                                               P
                                                           our l’écrivaine Nancy Huston, nous
                                                           sommes l’« espèce fabulatrice ».
                                                           Pour l’historien Yuval Noah Hariri,
                                                           c’est leur capacité d’inventer des
                                                           récits qui a permis aux êtres hu-
                                               mains de coopérer à grande échelle et de
                                               conquérir le monde. Quant à Rob Hopkins, le
                                               fondateur du Mouvement de la transition,
                                               il est persuadé que nous devons nous réappro-
                                               prier la force de l’imagination pour inventer
                                               le monde de demain (voir l’encadré).
                                                    Il ne faut pas, comme le secteur du
                                               divertissement tente de nous en convaincre,
                                               confondre l’imagination avec la fantaisie,
                                               cette fuite dans l’irréalité ou la virtualité.
                                               L’imagination est une sorte de « for intérieur »
                                               qui influence tant la conscience que l’in-
                                               conscient de notre société afin que nous puis-
                                               sions façonner ensemble notre avenir. Les
                                               récits que produit cette imagination sont à
                                               l’origine du sens de la vie, de visions et de
                                               valeurs. Lorsqu’elle est ancrée dans la réalité
                                               locale, elle peut aboutir à des changements,
                                               à des alliances et à des mouvements tant
                                               individuels que collectifs.

                                               La clé de la transition
                                               Ce constat est à la base de l’approche de
                                               « Futurs proches », un partenaire de l’Atelier
                                               de la transition intérieure de Pain pour le
                                               prochain et d’Action de Carême. Dans ses
                                               ateliers, les participant·e·s formulent un dis-
                                               cours collectif qui présente l’avenir auquel
                                               ils aspirent.
                                                    L’imagination est ainsi la clé de la
                                               transition sociale et écologique, capable à la
                                               fois de façonner le monde de demain et de
                                               renforcer notre capacité de résistance. Elle
                                               décolonise nos esprits en les affranchissant
                                               des convictions et des idées qui nous ont
                                               menés dans l’impasse actuelle. Pour réaliser
                                               cette transition, il faut cesser de voir dans
                                               la nature un simple garde-manger, abandon-
                                               ner l’idée artificielle d’une séparation entre
                                               les êtres humains et les autres êtres vivants et
                                               renoncer à l’idée qui fait de la consomma-
                                               tion de biens matériels la base du bonheur.
                                                    Si nous voulons bâtir un monde nou-
                        Photo : Anne Bichsel

                                               veau, nous devons commencer par rêver
                                               d’un monde différent et inventer ensemble
                                               d’autres modes de vie, d’autres façons de
                                               nous loger, de prendre des décisions, de
                                               nous nourrir ou de nous déplacer. Telle est
                                               la méthode de Rob Hopkins : « Et si … ? ».

Perspectives 2 / 2021
Dossier                                                                                                                                          12

Cette question a la faculté de transformer         d’autres acteurs. Comme le montrent de nom-
l’apparemment impossible en réalité. Il suffit     breux projets, l’appui des instances poli-
de penser à la conquête de la Lune, à l’abo­       tiques devient décisif à un moment donné,
lition de l’esclavage, à la chute de l’apartheid   même s’il ne faut pas attendre que les choses
ou encore au suffrage féminin.                     évoluent dans la voie attendue grâce aux
                                                   autorités. Nous trouvons un bon exemple de
Renforcer la capacité de résistance                cet appui à Bologne, où le « Bureau de l’ima­
Sans cette approche féconde, de nombreux           gination citoyenne » a déjà réalisé près de 500
projets n’auraient jamais vu le jour. Pour         initiatives proposées par la base. Cela montre
s’en convaincre, il suffit de se rendre à Liège,   l’importance d’éviter que le discours se
où 25 coopératives ont été créées en l’espace      transforme en idéologie et de veiller à ce qu’il
de six ans, au village alsacien en transition      reste au contraire ouvert et pluriel, afin de
d’Ungersheim, à la Biovallée de la Drôme ou        n’exclure personne. — Michel Maxime Egger
à la ferme du Bec-Hellouin en Normandie
qui pratique la permaculture. Les projets de
transition fleurissent toujours davantage,
tant dans l’hémisphère sud qu’au Nord et
notamment en Suisse.
     L’état de notre planète ne cesse de se
dégrader, et stimuler notre créativité pour
imaginer d’autres voies est un puissant
fortifiant pour notre capacité de résistance. Il
s’agit en effet de ne pas céder aux appels à la
panique des prophètes apocalyptiques, sans
renoncer pour autant à appeler les choses
par leur nom. La force de la formule « Et si … ?
» est de nous rappeler que le destin n’est
pas décidé d’avance. Nous disposons en effet
d’outils qui nous permettent de « digérer »
des sentiments tels que l’angoisse, l’impuis-
sance, la tristesse et la rage et de les trans­
former en énergie positive. En aiguisant notre
imagination, nous nous sentons moins seuls,
retrouvons espoir et recouvrons notre capa­
cité d’action.

L’importance de travailler en réseau
L’imagination ne surgit et ne se déve-
loppe que lorsque plusieurs conditions sont
réunies. En premier lieu, il faut créer un
milieu sécurisé, préservé des écrans et de
l’agitation quotidienne, qui nous aide à rêver,
à méditer, à apprécier le moment présent,
à partager des moments avec les êtres qui
                                                            Un livre et des ateliers
nous sont chers et à nous relier à la nature et
au mystère sacré de notre origine. Il faut                  « Et si… on libérait notre imagination pour créer le futur que nous voulons ? »,
par ailleurs avoir très envie de changement.                tel est le titre du dernier livre de Rob Hopkins, une invitation irrésistible au
Il ne suffit en effet pas, comme l’exprime                  changement. Il nous appelle en effet à assimiler à notre pratique la créativité,
                                                            l’imagination et les modèles du monde de demain. Le fondateur du mouve­
Rainer Maria Rilke, cité par Rob Hopkins,
                                                            ment de la Transition montre à quel point nous négligeons l’imagination dans
que : « … l’avenir entre en nous […] pour
                                                            notre société, dans l’éducation et dans le discours politique, bien que des
se transformer en notre substance, bien avant
                                                            études montrent que la pensée et le rêve collectif d’un avenir différent sont de
de prendre forme lui-même », mais il faut                   puissants moteurs de changements.
aussi, pour mener à bien les changements                    Emballés par cette approche, Pain pour le prochain et le Réseau Transition
rêvés, un esprit résolu et une implication                  Suisse Romande ont organisé un cours sur l’imagination au pouvoir, dont le
soutenue. À elle seule, l’imagination est                   premier atelier, réalisé avec Rob Hopkins à la mi-décembre, sera suivi d’un se-
inopérante.                                                 cond en mai 2021. Par ailleurs, les deux partenaires proposeront un webinaire
     La transition requiert toutefois encore                sur ce sujet du 11 au 13 juin 2021, dans le cadre du Festival Objectif Terre. – CP
une autre faculté, celle de collaborer avec

Perspectives 2 / 2021
Dossier                                                                                                                                                13

                        Poursuivre sa vision                                                                                       pousse à emprunter une autre voie politique
                                                                                                                                   que celle suivie par les partis existants. »
                                                                                                                                   Le contexte politique actuel entrave toutefois

                        malgré les obstacles
                                                                                                                                   l’action de Walhi. Selon Khalisah Khalid, le
                                                                                                                                   gouvernement du président Jokowi verse de
                                                                                                                                   plus en plus dans l’autoritarisme, ce qui n’est
                                                                                                                                   guère propice à la concrétisation de visions.
                                                                                                                                   Notre partenaire ajoute que la situation

                        La dégradation massive de la situation poli-                                                               actuelle est comparable à celle prévalant en
                                                                                                                                   2008 sous la présidence de Suharto. Aussi
                        tique que connaît actuellement l’Indonésie                                                                 Walhi prévoit-elle d’élaborer une nouvelle
                                                                                                                                   stratégie, de rejoindre l’opposition et de ren-
                        représente un obstacle de taille pour les organi-                                                          forcer toujours plus les capacités des com­

                        sations de défense des droits humains et                                                                   munautés locales. Yuyun Harmono, respon-
                                                                                                                                   sable Climat chez Walhi, fonde ses espoirs
                        environnementaux telles que Walhi.                                                                         sur la jeunesse : « Dans les cinq à dix années
                                                                                                                                   à venir, ce sera la nouvelle génération qui
                                                                                                                                   mènera la barque et représentera la première
                                                                                                                                   force politique. À l’inverse de l’élite politique
                                                                                                                                   actuelle, elle aspire à de profonds change-
                                                                                                                                   ments et se préoccupe de l’environnement et
                                                                                                                                   des droits humains. »

                                                                                                                                   Cheminer vers la lumière
                                                                                                                                   En mettant en relation crises environne­
                                                                                                                                   mentales et causes sociales, Walhi cherche
                                                                                                                                   à susciter une « transition juste ». Grâce à
                                                                                                                                   cette nouvelle perspective tenant compte des
                                                                                                                                   intérêts de toutes les parties prenantes –
                                                                                                                                   c’est à dire tant les travailleurs·euses que la
                                                                                                                                   population indigène et l’environnement –,
                                                                                                                                   nous pourrions parvenir à une transforma-
                                                                                                                                   tion socialement et écologiquement juste du
                                                                                                                                   secteur de l’huile de palme et des autres
                                                                                                                                   industries problématiques.
                        Rassemblement de femmes du village de Silit, dans la province de Kalimantan occidental.                         Interrogée sur les changements qu’elle
                                                                                                                                   apporterait en Indonésie si elle pouvait
                                                                                                                                   voir un de ses vœux exaucés, Khalisah Khalid
                                                                                 En 2020, le partenaire indonésien de Pain         nous confie : « Rétablir la démocratie et la
                                                                                 pour le prochain Walhi, qui célébrait ses         justice. » Une vision dont la concrétisation
                                                                                 40 années d’existence, a publié le livre          pourrait selon elle s’appuyer sur le pouvoir
                                                                                 « Menghijaukan HAM » – un titre que l’on          régional : « Étant donné que les gouverne-
                                                                                 pourrait traduire par « verdir les droits         ments régionaux sont élus directement, nous
                                                                                 humains ». Dans cet ouvrage, l’organisation       avons la possibilité d’exercer une influence
                                                                                 met en évidence le lien qui unit droits           sur eux et de modifier leur composition. »
                                                                                 humains et environnementaux. À l’image de              Quant à elle, Yuyun Harmono formule sa
                                                                                 la destruction des forêts primaires, qui porte    réponse avec poésie : « Pour l’instant, notre
                                                                                 atteinte aux droits des communautés indi-         chemin n’est éclairé que par une faible lueur,
                                                                                 gènes. « Depuis 2004, nous nous employons         qui devrait guider chacun·e d’entre nous.
                                                                                 à réunir sous un même étendard le mouve-          Tout comme un homme qui aurait perdu ses
                                                                                 ment environnemental, la cause des travail-       clés dans un parc et ne les chercherait qu’à
                                                                                 leurs·euses et des pêcheurs·euses ainsi que la    l’endroit illuminé par un lampadaire. C’est
                                                                                 lutte paysanne contre l’accaparement des          une question d’instinct : nous dirigeons nos
                                                                                 terres », indique Khalisah Khalid, la coordina-   pas vers la lumière. Nous cheminerons vers la
Photo : Lorenz Kummer

                                                                                 trice politique de Walhi. « Nous souhaitons       lumière, dans l’espoir d’y trouver quelque
                                                                                 amorcer un changement de paradigme afin           chose. Ce qui nous permettra au moins de ne
                                                                                 d’abandonner le modèle actuel centré sur la       plus rester plongés dans l’obscurité. »
                                                                                 croissance économique, un objectif qui nous       — Miges Baumann

                        Perspectives 2 / 2021
Dossier                                                                                                    14

Et si … ?
                                             … en 2040 la Suisse
                                             tirait 75 % de sa
Pain pour le prochain a demandé à
une personne active au sein de trois         consommation
de ses partenaires – une en Suisse,          d’énergie de sources
une au Brésil et une au Cameroun –           renou­velables ?
de décrire l’aspect qu’aurait le monde
en 2040 si tous les changements          Félix Staehli, cofondateur des Impact Hubs de Genève
                                         et de Lausanne
pour lesquels elle s’engage au quoti-    Depuis 2021, c’est-à-dire en 20 ans, notre empreinte
                                         écologique s’est réduite de trois planètes et demie à une
dien se produisaient d’ici cette         planète et demie. Une agriculture diversifiée, garante
échéance.                                de la biodiversité et largement inspirée par la perma-
                                         culture, s’est substituée aux monocultures. Les cultiva-
                                         teurs et cultivatrices n’utilisent plus de pesticides,
Interviews — Chantal Peyer
                                         avantageusement remplacés par la force de la nature et
                                         par l’équilibre entre insectes, animaux et plantes. L’agri-
                                         culture a évolué vers la vente directe, les paysans et
                                         paysannes proposant une foule de produits et de presta-
                                         tions. Leurs clients travaillent dans certains projets à la
                                         ferme et donnent un coup de main pour la culture et la
                                         vente. L’agriculture urbaine produit de 10 à 15 % du total
                                         des récoltes : laitues, carottes, tomates ou encore pommes
                                         de terre prospèrent à qui mieux mieux non seulement
                                         dans les parcs, mais aussi sur les toits et les façades. Dans
                                         les quartiers, les habitants et habitantes se partagent les
                                         tâches (semis, désherbage, etc.) avec des maraîchers et
                                         maraîchères professionnels rémunérés par les communes.
                                         Cette activité collective soude la société et permet aux
                                         citadins et citadines de se relier à la nature et au cycle des
                                         saisons.
                                              Les consommateurs et consommatrices optent pour
                                         le partage et la location plutôt que pour l’achat. Des ini-
                                         tiatives telles que le partage de voitures, les stations de lo-
                                         cation de vélos ou les bibliothèques d’objets font partie
                                         du quotidien et les repair cafés ont essaimé dans toutes les
                                         villes. Les autorités promeuvent la fabrication de pro-
                                         duits modulaires, dont chaque élément peut être réparé
                                                                                                                Illustrations : Karin Hutter

                                         séparément.
                                              Dans le secteur du bâtiment, le taux de recyclage
                                         des décombres est passé de 1,5 en 2021 à 50 %, après une
                                         prise de conscience de la nécessité de déconstruire les
                                         matériaux de construction. Nous disposons également de
                                         matériaux d’isolation biodégradables.
Perspectives 2 / 2021
Dossier                                                                                                                            15

                … l’agriculture était
                mise au service de la
                population locale au
                Cameroun ?
          Marie Crescence, directrice du Réseau des acteurs du
          développement durable RADD

                                                                               … les peuples indi-
          En 2040, il y a moins de conflits sociaux et les paysans
          et paysannes peuvent exercer leur souveraineté alimen-

                                                                               gènes avaient assumé
          taire. Ce sont eux qui administrent leurs champs, leurs
          forêts et leurs terres. Lorsqu’une entreprise s’installe dans

                                                                               la gestion des forêts
          un village, elle coopère avec les habitants et habitantes
          au lieu de les priver de leurs terres, comme cela se produi-

                                                                               au Brésil ?
          sait encore en 2021. L’entreprise aide les paysans et pay-
          sannes à acquérir les compétences voulues, à se transfor-
          mer en producteurs et productrices et à lui vendre des
          matières premières, comme de l’huile ou du caoutchouc.
          En outre, chaque famille cultive, pour elle-même et pour         Winfridus Overbeek, coordinateur international du
          le village, du manioc, des bananes plantain, de l’igname,        Mouvement mondial pour les forêts tropicales
          des pommes de terre, des mangues ou encore des avo-              En 2040, le modèle fondé sur l’exploitation fait désormais
          cats. Tant les traditions locales que les lieux sacrés et his-   partie du passé au Brésil. Depuis quelques années, ce
          toriques sont préservés.                                         pays n’autorise plus de plantations de palmiers, ni de
               La présidente de la République élue cinq ans au­            mines, ni de coupes sombres dans les forêts. L’économie
          paravant ayant décidé d’abaisser les prix, le panier de la       s’est convertie à la production à l’échelle locale, la part
          ménagère est devenu accessible à tous et toutes. L’ac­           des produits importés sur les rayonnages des magasins a
          cession de cette femme à la charge de cheffe de l’État a         diminué. La population est devenue très sensible aux
          marqué les esprits et a été suivie de la nomination de           modes de production et de consommation, mais aussi à
          plusieurs femmes aux postes de gouverneur. Grâce à ces           notre vision de la forêt. Cette prise de conscience est à
          exemples, la population a pris conscience que chaque             mettre sur le compte des communautés qui se sont mobili-
          femme se distingue par ses propres valeurs et que les            sées face à l’accaparement de leurs terres. Le monde poli-
          femmes et les hommes sont égaux en droit.                        tique a repris le dessus sur les multinationales responsables
               Ces progrès sont à mettre à l’actif des citoyens et des     de ces abus et restitué la gestion des forêts aux commu-
          citoyennes, qui se sont mobilisés pour dénoncer les              nautés indigènes, dont l’une des premières décisions a été
          abus sur les plantations. En réaction à ces initiatives, les     d’abolir les parcs nationaux, fondés sur une vision bi-
          ministres de l’Agriculture et de l’Économie ont promul-          naire du monde : d’une part la nature, qu’il faut parquer
          gué des lois pour modifier les modalités d’octroi des terres     et, de l’autre, les êtres humains qui exploitent la nature là
          et appuyer la formation des petits producteurs et pro­           où elle n’est pas protégée. Pour les communautés indi-
          ductrices. Les progrès accomplis au Cameroun de 2021 à           gènes, l’être humain fait partie de la nature, de sorte qu’il
          2040 ont eu un effet boule de neige dans d’autres pays           n’est pas nécessaire de créer des réserves : il préserve la
          africains et donné un élan à d’autres changements.               nature et vit avec elle, dans toute l’étendue de la forêt. Les
                                                                           communautés indigènes ont aussi interdit l’emploi de
                                                                           toute substance toxique dans l’agriculture.

Perspectives 2 / 2021
Dossier                                                                                                                                      16

Courage et détachement
Comme nous l’enseigne un atelier sur la transition intérieure,
notre imagination a le pouvoir d’amorcer le changement.
Compte-rendu d’un voyage à travers le passé et le futur.

 Nous sommes le 8 janvier 2021. Je m’installe à
 mon ordinateur et me connecte pour accéder
 à un atelier intitulé « Et si… nous explorions
 les chemins du sens et de la reliance ? » Cet
 événement s’inscrivait dans le cadre d’un
 cycle de conférences et d’ateliers – organisé
 par le Laboratoire de transition intérieure,
 le centre Pôle Sud de Lausanne et WWF Suisse
– axés sur les stratégies permettant de sur-
 monter l’angoisse et le découragement pour
 les transformer en dynamique d’engagement.
      En cette froide matinée d’hiver, je m’ap-
 prête donc à m’embarquer dans un voyage à
 travers le temps qui me permettra de renouer
 un lien avec tous les êtres vivants de la Terre,
 voyage d’une profondeur et intensité telle que
 j’en viens à remettre en question ma propre
 identité : qui suis-je ?

Une profonde connexion
L’animateur et l’animatrice, Vincent Wattelet
et Nathalie Grosjean, commencent par une
introduction suivie d’une présentation. Ils         écologique », pour emprunter le concept du
nous invitent ensuite, dans le cadre d’une          philosophe Arne Naess. Et comme les in­           Laboratoire de transition intérieure
méditation guidée, à explorer les aspects de        terconnexions ne se cantonnent pas aux êtres
                                                                                                      Fondé en 2016 par Pain pour
l’évolution humaine afin de révéler le lien         vivants actuels, je peux aussi nouer un dia-      le prochain et porté également par
qui nous unit aux autres formes de vie :            logue avec les générations futures. Grâce à       Action de Carême depuis 2020, le
« Observez vos vertèbres cervicales et dorsales.    mon imagination, je me retrouve propulsée         Laboratoire de transition intérieure a
Voyez comme elles sont indépendantes les            en 2050, face à une fillette de huit ans. Elle    pour but de contribuer à un chan­
unes des autres, mais forment néanmoins un          me demande si l’état de la planète m’attriste     gement de cap en travaillant sur les
tout complexe. Il s’agit là d’un héritage de nos    et me préoccupe et d’où je tire la force de       dimensions culturelles, psycholo­
ancêtres aquatiques, qui auraient été inca-         poursuivre mon engagement, ce à quoi je           giques et spirituelles qui permet-
pables de nager sans une colonne vertébrale         réponds : « J’entre en relation avec les êtres    tront d’amorcer la transition vers un
                                                                                                      monde meilleur et durable. Les
articulée. »                                        humains et les autres êtres vivants et je
                                                                                                      méditant·e·s-militant·e·s mettent en
     Alors que je laisse mon corps danser au        prends contact avec mon cœur et ma joie
                                                                                                      relation, au niveau individuel et
rythme de la douce musique de méditation,           intérieure. »
                                                                                                      collectif, les composantes politiques,
un sentiment de connexion avec tous les êtres            Cet atelier m’a montré toute la force        sociales et militantes du change-
vivants s’empare de moi. Comme si mon               que l’on peut tirer de l’imagination. Elle est    ment avec la transition intérieure et
                                                                                                                                                  Illustration : Karin Hutter

identité ne se limitait plus à ma personne,         une clé permettant de trouver la volonté et       personnelle. Le Laboratoire de
mais englobait tous les habitant·e·s de la          le courage de s’engager, mais aussi le détache-   transition intérieure vient compléter
planète, qu’il s’agisse tant des êtres humains      ment et l’espoir nécessaires pour faire face      l’engagement de Pain pour le
que des autres formes de vie ou de l’âme de la      aux incertitudes de notre monde.                  prochain.
Terre. Une conscience élargie d’un « soi            — Alexia Rossé

Perspectives 2 / 2021
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