À quoi sert l'aide publique au développement ? Objectifs des principaux bailleurs et implications pour la France - Iddri
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N°01/17 AVRIL 2017 À quoi sert l’aide publique au développement ? Objectifs des principaux bailleurs et implications pour la France Tancrède Voituriez, Julie Vaillé, Noura Bakkour (Iddri) LE RÔLE DE L’APD DANS L’AGENDA 2030 EN QUESTION Le basculement des Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) vers les Objectifs de développement durable (ODD), universels et indi- visibles, soulève la question du rôle de l’aide publique au développe- ment (APD) dans le nouvel Agenda 2030 du développement durable. Les besoins d’investissement durable excèdent largement les volumes d’APD, et les objectifs politiques de « containment » qui ont prévalu à sa naissance sont incontestablement caducs. L’objectif de cet article est d’éclairer les raisons d’être, motivations et objectifs de l’APD tels qu’on peut les lire dans les docu- ments et sur les sites officiels du Royaume-Uni, de l’Allemagne, de la France, de la Chine, ainsi que de la Fondation Bill & Melinda Gates (FBMG), et d’en tirer quelques implications spécifiques pour l’APD française. IL EXISTE DES DIFFÉRENCES PROFONDES ENTRE BAILLEURS DANS LA JUSTIFICATION DE LEUR APD L’APD « indispensable » se concentre sur la stabilisation des États fragiles ou défaillants et sur l’extrême pauvreté (Royaume-Uni, FBMG). L’APD « réparatrice » est un moyen de construire des politiques globales capables de « gérer » ou « réparer » la mondialisation au profit des pays au Sud (France, Allemagne). L’APD « émancipatrice » offre aux pays récipien- daires une alternative à l’aide conditionnelle versée par les anciennes puis- sances coloniales, et une perspective de développement autonome portée par des intérêts commerciaux partagés (Chine). LES RÉCITS DE L’AIDE CONTIENNENT QUELQUES ZONES D’OMBRE Ainsi du rôle attendu des financements extérieurs dans l’atteinte d’objec- tifs de stabilité et de réduction de la pauvreté lorsque les États sont fragiles ou défaillants (l’aide indispensable), de la soutenabilité de financements souscrits sous forme de dette ainsi que de la réalité de leur effet de levier (l’aide réparatrice), et de la soutenabilité environnementale des modèles émergents de développement (aide émancipatrice). L’APD FRANÇAISE : FAIRE COÏNCIDER DISCOURS ET PRATIQUES La France, dans ses choix d'allocation bilatérale de l'APD, n'honore qu'im- parfaitement son discours. L'ambition de compenser les effets de la mondia- lisation se reflète dans l'allocation en faveur des biens publics mondiaux et www.iddri.org du climat, en forte croissance ces dernières années. En revanche, le déve- Institut du développement durable loppement économique des pays à revenus intermédiaires reste un objectif et des relations internationales privilégié par la France, qui mériterait d'être clarifié dans le discours. Et les 27, rue Saint-Guillaume dépenses consacrées à la stabilité et à la justice sociale sont en retrait en 75337 Paris cedex 07 France comparaison des autres enjeux.
Copyright © 2017 Iddri En tant que fondation reconnue d’utilité publique, l’Iddri encourage, sous réserve de citation (réfé- rence bibliographique et/ou URL correspon- dante), la reproduction et la communication de ses contenus, à des fins personnelles, dans le cadre de recherches ou à des fins pédagogiques. Toute utilisation commerciale (en version imprimée ou électronique) est toutefois interdite. Sauf mention contraire, les opinions, interpréta- tions et conclusions exprimées sont celles de leurs auteurs, et n’engagent pas nécessairement l’Iddri en tant qu’institution ni les individus ou les organi- sations consultés dans le cadre de cette étude. Citation : Voituriez, T., Vaillé, J., Bakkour, N. (2017). À quoi sert l’aide publique au développe- ment ? Objectifs des principaux bailleurs et impli- cations pour la France, Working Papers N°01/17, Iddri, Paris, France, 30 p. ◖◖◖ Ce travail a bénéficié d’une aide de l’État gérée par l’Agence nationale de la recherche au titre du programme « Investissements d’avenir » portant la référence ANR-10-LABX-01. Ce document de travail et de cadrage a été préparé dans le cadre du projet “Transformative Invest- ment for Sustainable Development” (TISD), coor- donné par l’Iddri en partenariat avec la Ferdi et le soutien de la Fondation Bill et Melinda Gates. ◖◖◖ Pour toute question sur cette publication, merci de contacter : Tancrède Voituriez – tancrede.voituriez@iddri.org Julie Vaillé – julie.vaille@iddri.org ISSN 2258-7071
À quoi sert l’aide publique au développement ? Objectifs des principaux bailleurs et implications pour la France Tancrède Voituriez, Julie Vaillé, Noura Bakkour (Iddri) OBJECTIF, MÉTHODE ET PRINCIPAUX RÉSULTATS 5 1. PREMIER RÉCIT : NÉE DE LA GUERRE, L’APD NE DISPARAÎTRA QU’AVEC LA PAIX (ROYAUME-UNI) 8 1.1. L’affirmation du self-interest britannique 8 1.2. Les signatures du leadership: États fragiles, gouvernance et finance soutenable 9 2. DEUXIÈME RÉCIT : DON CONTRE DON - LA PROSPÉRITÉ S’ACCOMPAGNE D’OBLIGATIONS (ALLEMAGNE) 10 2.1. Un monde, notre responsabilité 10 2.2. Les priorités : droits de l’homme, réformes institutionnelles et finance climat 11 3. TROISIÈME RÉCIT : L’APD PRÉCURSEUR DE POLITIQUES PUBLIQUES MONDIALES (FRANCE) 12 3.1. Corriger les défaillances de la mondialisation 12 3.2. L’APD « couteau-suisse » : différenciation et co-bénéfices 14 4. QUATRIÈME RÉCIT : L’AIDE AU SERVICE D’UN PROJET D’ÉMANCIPATION (CHINE) 16 4.1. Une aide justifiée par la manière, plus que par les finalités 17 4.2. Priorité aux affaires et aux infrastructures 18 5. CINQUIÈME RÉCIT : L’APD INDISPENSABLE (FBMG) 18 5.1. L’extrême pauvreté, justification constante de l’aide 18 5.2. Financer l’innovation à destination des populations les plus pauvres 19 6. LES DISCOURS FACE AUX FAITS : QUELS GRANDS ENJEUX L’APD FRANÇAISE FINANCE-T-ELLE ? 19 6.1. Méthodologie 20 6.2. Les principaux enjeux privilégiés par la France ne reflètent qu’imparfaitement son discours 22 6.3. Des enjeux plus révélateurs des instruments utilisés que du discours 23 7. CONCLUSION SUR LES FRAGILITÉS ET CONDITIONS DE SUCCÈS DE L’APD À L’HORIZON 2030 25 7.1. Les fragilités révélées par les récits nationaux 25 7.2. Les conditions de succès – une exploration 25 RÉFÉRENCES 27 ANNEXE 28 3
À quoi sert l’aide publique au développement ? Objectifs des principaux bailleurs et implications pour la France OBJECTIF, MÉTHODE grands récits. Dans une seconde partie, nous avons ET PRINCIPAUX RÉSULTATS confronté, dans le cas de l’APD française, les dis- cours aux faits, en comparant l’allocation hypothé- En servant des ambitions aussi diverses que tique de l’aide française telle qu’on peut la déduire contenir l’expansion communiste, éradiquer l’ab- des discours la justifiant avec son allocation réelle. solue pauvreté ou décarboner la production d’élec- Enfin, nous avons tenté d’identifier en guise de tricité, l’aide publique au développement (APD) conclusion les fragilités et les conditions de succès a été mise à contribution depuis l’après Seconde de l’APD à l’horizon 2030. Guerre mondaile pour des finalités dont le nombre Ressortent de notre recherche les points sail- et la variété soulèvent, de manière récurrente, la lants suivants : question de sa véritable utilité. À quoi sert donc 1. Notre lecture des récits nationaux montre l’aide au développement dans le monde de Daesh, que le consensus d’Addis Abeba sur les modalités des Panama Papers et des 17 Objectifs du dévelop- de financement du développement (encadré 2) et pement durable (ODD) ? celui sur les finalités exprimé par les ODD masque L’objectif de cet article est d’apporter des ré- des différences profondes entre bailleurs dans la ponses à cette question, en nous plaçant dans la justification de leur APD. Tant dans la manière perspective des pourvoyeurs d’APD qui, sous une de justifier l’aide que dans l’exposé de ses motifs, forme analogue se la posent, afin de justifier celle- les différences sont plus frappantes et explicites ci. Nous n’adoptons pas le point de vue des bénéfi- qu’envisagé initialement. ciaires, faute de données d’enquête disponibles sur 2. Si des convergences dans les finalités et les les effets (perçus) de l’aide dans les populations modalités s’observent – gestion des conflits, réduc- des pays récipiendaires1. Nous nous concentrons tion de la pauvreté, financement des biens publics sur les textes officiels des principaux bailleurs mondiaux –, aucune ne rassemble les 4 bailleurs européens – Royaume-Uni (RU), France (Fr), Alle- sous une même bannière qui projetterait son magne (All) – ainsi que sur ceux de la Chine et de ombre sur toutes les autres. la Fondation Bill et Melinda Gates (BMG), dont 3. Hormis dans le cas de la fondation BMG (et les subventions sont comptabilisées par le Comité en partie du Royaume Uni), les conditions de suc- d’aide au développement (CAD) de l’OCDE depuis cès de l’APD sont extérieures au monde de l’aide. 2011. L’aide voit son destin à l’horizon 2030 lié au succès À la lecture de ces textes, nous avons répertorié de politiques ou d’initiatives qui ne sont pas clas- et classé les raisons d’être de l’APD (l’encadré 1 pré- sées dans la catégorie APD telle qu’on la connait cise ce que le terme « aide » recouvre dans ce texte). aujourd’hui. Sans être nouvelle, cette dépendance Nous sommes parvenus ainsi à faire émerger cinq est amplifiée par le programme de développement durable à l’horizon 2030 (« Agenda 2030 ») et une fragilité dans les récits contemporains de l’APD. 1. L’antécédent que constitue le rapport de l’OCDE (2015a) 4. Ces discours contiennent quelques angles n’a pu être utilisé ici car il porte sur les représentations des raisons d’être et des impacts de l’aide parmi les ad- morts qu’il serait bon d’éclairer. Ainsi du rôle exact ministrations des pays récipiendaires sans viser les utili- des financements (APD et hors APD) dans l’at- sateurs directs de l’APD. teinte des buts recherchés, de la soutenabilité de IDDRI WORKING PAPER 01/2017 5
À quoi sert l’aide publique au développement ? Objectifs des principaux bailleurs et implications pour la France ces financements s’ils devaient être souscrits sous les sites officiels des gouvernements et des agences forme de dette, et du partage des responsabilités ou départements de développement du Royaume- public/privé dans la gestion du risque, en parti- Uni2, de l’Allemagne3, de la France4 et de la Chine5. culier. Ces angles morts constituent un deuxième Nous y ajoutons les discours et documents dispo- facteur de fragilité des discours justifiant l’APD. nibles sur le site de la Fondation Bill & Melinda 5. L’Agenda 2030 tel qu’il se discute aujourd’hui Gates6. Nous reproduisons de manière littérale est un agenda d’offre de financement. Cette pré- les citations afin d’éviter tout biais d’interpréta- pondérance de discours sur l’offre découle de tion. Dans la partie 6, nous nous penchons sur la l’équation comptable des besoins mirifiques de comparaison entre l’allocation réelle de l’aide fran- financement de l’agenda – ces milliers de milliards çaise et son allocation telle qu’on peut la déduire à trouver absolument –, dont les termes remontent des discours portant sur sa justification. La partie 7 aux premiers travaux du Comité international conclut par l’identification de quelques points de d’experts sur le financement du développement vigilance à prendre en compte par les pourvoyeurs durable. Indispensables pour fixer les ordres de d’APD afin de renforcer sa contribution et sa valeur grandeurs, les estimations des besoins agrégés ont ajoutée à l’horizon 2030. cet inconvénient d’occulter pour l’instant l’émer- gence de préférences nationales et de récits au Sud sur le sujet. C’est un troisième facteur de fragilité des discours sur l’APD. 2. Pour le Royaume-Uni, le Department for International 6. De la comparaison du discours français et des Development (DFID), https://www.gov.uk/govern- ment/organisations/department-for-international-de- choix d’allocation bilatérale de l’APD, on retiendra velopment/about. La publication de référence sur la que les principaux enjeux privilégiés par la France stratégie du Royaume-Uni pour le développement est : ne reflètent qu’imparfaitement son discours. L’en- HM Treasury and DFID (2015). UK aid: tackling global challenges in the national interest. jeu de « développement économique » est le plus 3. Pour l’Allemagne, nous avons consulté les documents financé sur la période 2011-2014, représentant disponibles sur le site du Bundesministerium für autour de 30 % des engagements en APD. La pré- wirtschaftlische Zusammenarbeit und Entwicklung pondérance du « développement économique » (BMZ) http://www.bmz.de/ et en particulier les docu- dans les choix d’affectation de l’APD se manifeste ments BMZ (2015) Charter for the Future. One World. Our responsibility ; BMZ (2016) BMZ’s Africa Policy : par des engagements importants dans les secteur New challenges and focuses. BMZ Paper 4. Strategy du transport routier, ferroviaire ou aéronautique Paper. (pour 1 milliard de dollars en moyenne sur la 4. Les informations sur la stratégie de la France en matière période), de la « production » (accès aux finance- d’APD sont disponibles sur le site France Diplomatie ments et aux services bancaires, développement http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/politique-etran- gere-de-la-france/aide-au-developpement/dispositif- de filières agricoles), de la « distribution d’éner- institutionnel-et-canaux-d-acheminement-de-l-aide- gie » (lignes de transmission électrique et de dis- francaise/strategie-francaise-en-matiere-d-aide-au-de- tribution d’électricité) et du « développement et veloppement/ Les deux documents de référence dont nous avons privilégié la lecture sont MAE, Direction gé- gestion urbaine » (aménagement de la sécurité nérale de la Mondialisation, du Développement, et des foncière ou soutien aux collectivités). Partenariats (2011). Coopération au développement, 7. Les dépenses consacrées à la paix et la stabi- une vision française. Document cadre. Et le texte de lité restent faibles dans le portefeuille de l’APD LOI n° 2014773 du 7 juillet 2014 d’orientation et de pro- grammation relative à la politique de développement bilatérale française, tout comme le sont, dans une et de solidarité internationale consultable sur le site : moindre mesure, celles allouées à la « justice so- https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTex ciale ». Pourtant, ces enjeux font partie des atouts te=JORFTEXT000029210384&categorieLien=id. de la France, qui y possède une incontestable ex- 5. Pour la Chine, les deux documents de références sont pertise – que ce soit en matière d’éducation (pu- accessibles aux adresses suivantes : China’s Foreign Aid (2011), http://english.gov.cn/archive/white_pa- blique), de protection sociale, de renforcement per/2014/09/09/content_281474986284620.htm de la gouvernance financière et de mobilisation Et China’s Foreign Aid (2014), http://english.gov.cn/ des ressources fiscales. On pourra objecter que la a r c h i v e / w h i t e _ p a p e r / 2 01 4 / 0 8 / 2 3 / c o n t e n t _ France pourvoit à ces postes en priorité par des 281474982986592.htm canaux multilatéraux, mais cette observation mé- 6. http://www.gatesfoundation.org/ et en particulier les riterait d’être étayée et confirmée par l’estimation pages Development Policy and Finance – Strategy Over- view http://www.gatesfoundation.org/What-We-Do/ de la contribution fléchée et pilotée par la France Global-Policy/Development-Policy-Finance#bodyre- à travers les canaux multilatéraux pertinents. Ce gion_0_interiorarticle_0_strategysections_1_strategy- sera l’objet d’un travail complémentaire. subsectionsa39afdfabce745f2a43a74502161be71_0_lnk- Header S’y ajoute le rapport de Bill Gates aux leaders Nous restituons dans les parties une à cinq ci- du G20 : Innovation With Impact: Financing 21st Cen- dessous les récits nationaux des raisons de l’aide, tury Development. A report by Bill Gates to G20 leaders, tels qu’on peut les lire dans les documents et sur Cannes Summit, November 2011. 6 WORKING PAPER 01/2017 IDDRI
À quoi sert l’aide publique au développement ? Objectifs des principaux bailleurs et implications pour la France Encadré 1. Ce que le terme « aide » recouvre Encadré 2. Le consensus d’Addis Abeba sur le dans ce texte financement du développement ›› Plusieurs définitions différentes de l’aide peuvent être évo- ›› Le plan d’action d’Addis Abeba marque un tournant dans quées par les bailleurs : l’histoire du financement du développement. La nouveauté mm L’aide publique au développement (APD) stricto sensu, par rapport au consensus de Monterrey qui le précédait réside telle qu’elle est définie par le CAD de l’OCDE, à savoir dans la concomitance d’au moins quatre éléments : tous les apports de ressources publiques concession- mm des ambitions renouvelées : achever le travail des nelles aux pays en développement (ou aux institutions Objectifs du Millénaire pour le développement, intégrer multilatérales) qui ont pour objet le développement éco- l’objectif climat dans l’agenda du développement, pro- nomique et social7. mouvoir des modèles économiques durables ; mm Les politiques de coopération et de développement inter- mm l’accord sur un meilleur partage des tâches entre national : autrement dit les politiques destinées à amé- acteurs : rôle croissant du secteur privé, des collectivités liorer le bien-être économique et social des populations locales, de la société civile, de la coopération Sud-Sud des pays en développement ; ce terme inclus l’apport de et des institutions de financements de développement ; ressources mais ne s’y limite pas. mm la reconnaissance de l’opportunité de recourir à une mm Le financement du développement, sans définition palette d’instruments plus larges : mixages prêts-dons, unique : ce terme désigne l’éventail des options de fonds verticaux, financements innovants, partage du financement offertes aux pays en développement dont risque, garanties, etc. ; l’objectif est le développement économique, social et mm l’émergence de nouveaux modes d’apprentissage pour environnemental ; ces options de financements peuvent mieux intégrer les 3 éléments précédents : plateformes, être publiques ou privées, nationales ou internationales8. échanges d’expérience, coalitions multi-acteurs, mise en ›› Le terme d’« aide » englobe ici les deux premières définitions. réseau. Sources : OCDE. Sources : Iddri. 7. http://www.oecd.org/dac/financing-sustainable-de- velopment/index-terms.htm#ODA 8. Idem IDDRI WORKING PAPER 01/2017 7
À quoi sert l’aide publique au développement ? Objectifs des principaux bailleurs et implications pour la France 1. PREMIER RÉCIT : NÉE DE LA mm Global insecurity is rising and the risk of conflict in GUERRE, L’APD NE DISPARAÎTRA previously stable parts of the world is increasing. mm Migration is a global challenge. Instability, ex- QU’AVEC LA PAIX (ROYAUME-UNI) tremism and conflict in the Middle East and Af- rica have displaced millions of people, with many 1.1. L’affirmation du self- having sought to travel to Europe. It has created a interest britannique serious humanitarian challenge, which is creating pressures across the European Union. Championne de la cause internationale que mm Poverty is falling – but maintaining this trend will constitue l’éradication de l’extrême pauvreté, avec depend on continued strong economic growth. In derrière elle la notoriété que lui a conféré l’initia- the future, extreme poverty is likely to be con- tive « Make Poverty History » portée au plus haut centrated in fragile countries.” (ibid, p. 7, nous niveau de l’État, le Royaume-Uni a substantielle- soulignons). ment révisé ses priorités en 2015, en pleine « crise des migrants » selon l’expression que la presse lui Par cette anticipation de la future géographie a donné. À cette même date, la séquence des OMD de l’extrême pauvreté, le Royaume-Uni lie ses s’achève : objectifs sécuritaires les plus récents à ceux plus “This strategy outlines our new approach to aid caractéristiques des années Blair, Brown et Came- spending that we believe will command public con- ron concentrés sur les OMD – et en particulier fidence. The world is changing, and our strategy la réduction de la pauvreté. On peut interpré- on aid needs to change with it.” HM Treasury and ter cette mise à jour de l’agenda bi-partisan des DFID, 2015, p.3). OMD comme une continuité. Continuité dans la Si l’éradication de l’extrême pauvreté reste une logique de priorisation et de concentration. Conti- des signatures de la politique de développement nuité également dans l’idée qu’en échouant sur britannique, l’attention est portée sur les questions quelques objectifs qui seraient comme les clefs de d’instabilité, d’insécurité et de conflits (encadré 3). voûte de l’agenda du développement, c’est toute la structure de celui-ci qui menace de s’écrouler. « Risques » et « menaces » sont cités plus de dix fois Encadré 3. Les quatre objectifs stratégiques chacun dans le document stratégique de référence du de l’APD britannique Royaume-Uni. Le mot « valeur » n’apparaît quasi- ›› Strengthening global peace, security and gover- ment pas – sauf dans value for money et une fois nance: the government will invest more to tackle the causes pour dans les « valeurs démocratiques » soutenues of instability, insecurity and conflict, and to tackle crime and par le Commonwealth. Le mot « coopération » n’est corruption. This is fundamental to poverty reduction overseas, jamais cité, non plus que le mot « transformation » and will also strengthen our own national security at home. porté aujourd’hui au pinacle de l’agenda 2030. ›› Strengthening resilience and response to crises: this includes more support for ongoing crises including that in L’« intérêt national » est aujourd’hui la clé de Syria and other countries in the Middle East and North Africa voûte de l’APD britannique – le nombre de ses region, more science and technology spent on global public occurrences ne laisse d’impressionner. Le titre du health risks such as antimicrobial resistance, and support for document cadre est lui-même sans équivoque : efforts to mitigate and adapt to climate change. « Tackling global challenges in the national inte- ›› Promoting global prosperity: the government will use rest ». L’objectif (atteint) des 0,7 % est lui-même Official Development Assistance (ODA) to promote economic justifié dans une perspective d’intérêt et de development and prosperity in the developing world. This will puissance : contribute to the reduction of poverty and also strengthen UK “The UK leads the world on international de- trade and investment opportunities around the world. velopment, and has kept its promises on aid.” ›› Tackling extreme poverty and helping the world’s (p 5) “We firmly believe that spending 0.7% of most vulnerable: the government will strive to eliminate Gross National Income (GNI) on international extreme poverty by 2030, and support the world’s poorest development—alongside our commitment to spend 2% on defence—means our country walk- Sources: HM Treasury and DFID (2015). UK aid: tackling global challenges in the ing taller in the world” (ibid p. 3). national interest (p 3). Les raisons de cette évolution tiennent dans la Enfin, on ne peut manquer l’affirmation selon succession des quatre arguments suivants : laquelle l’aide doit concourir à sa propre fin. mm “The world faces new challenges. These challenges “We are ending the need for aid by build- affect both the world’s poorest and people in the ing peaceful and stable societies, creating jobs UK. and strong economies, fighting corruption, 8 WORKING PAPER 01/2017 IDDRI
À quoi sert l’aide publique au développement ? Objectifs des principaux bailleurs et implications pour la France unlocking the potential of girls and women, continue to use its influence to persuade tackling climate change and helping to save lives other countries to fulfil—and where possi- when humanitarian emergencies hit. We are do- ble strengthen—their ODA commitments as ing this because it is both the right thing to do outlined in the Addis Ababa Action Agenda and and firmly in Britain’s national interest” (site SDG target 17.2” (nous soulignons). web DFID, nous soulignons). L’APD est une signature du Royaume-Uni, quand Née de l’après-guerre avec un objectif sécuri- bien même l’Agenda 2030, selon le propos même taire9, l’aide britannique retourne aux racines et du gouvernement britannique que nous avons se promet de disparaître dans un monde de paix. rapporté dans la section précédente, va « au-delà de l’aide ». 1.2. Les signatures du leadership: Ce n’est pas la seule. Le Parlement dans son rap- États fragiles, gouvernance port rappelle que le gouvernement britannique a et finance soutenable lancé après la publication des Panama Papers en mars 2016 une série d’initiatives en matière d’éva- Un document particulièrement utile pour iden- sion fiscale et de secret financier. Le sommet anti- tifier la « signature » britannique en matière de corruption de Londres (12 mai 2016) à l’initiative moyens mobilisés et de priorités, au-delà des du Premier ministre est salué par le rapport, à discours sur les objectifs que nous venons de nouveau autant pour la réponse qu’il apporte que restituer, réside dans la consultation menée par pour qui la porte : le Parlement britannique au sein du Comité inter- “We recognise the impact of tax evasion on national pour le développement10. Sauf mention developing countries’ ability to raise revenues contraire, les citations qui suivent sont extraites and welcome the Prime Minister’s decision de ce rapport. to host the recent Anti-Corruption Summit Le Parlement britannique isole trois domaines in London, positioning the UK as a leader d’excellence du Royaume-Uni qui tous ressor- in this debate. (…) We welcome the Addis Tax tissent aux moyens de mise en œuvre de l’agenda Initiative and the Government’s strong commit- 2030. Par ordre d’apparition – dans le corps du ment to supporting the development of effective rapport, et non dans le résumé exécutif qui modi- tax systems in some of the world’s poorest coun- fie l’ordre et privilégie la lutte contre la corruption tries. Prioritising assistance to developing coun- avant l’APD –, nous trouvons « le rôle vital » joué tries, particularly Least Developed Countries, par l’APD, la lutte contre la corruption et l’évasion in implementing effective tax collection systems fiscale, et la « maximisation des marchés de capi- will be crucial in enabling countries to raise the taux » et, singulièrement, de la place financière revenue needed to implement the SDGs” (p. 18) de Londres. Dans une moindre mesure, le soutien (nous soulignons). à l’investissement privé par le truchement de la Commonwealth Development Corporation – reca- Rendre la finance privée « soutenable » est le pitalisée en 2015 – et du Fonds de prospérité (Pros- troisième moyen mis en avant pour satisfaire aux perity Fund) s’ajoute aux « signatures 2030 » du ambitions de l’Agenda 2030, et dissiper le mystère Royaume-Uni par lequel celui-ci justifie son APD. incantatoire du passage de milliards (d’APD) aux Indispensable APD, en premier lieu, et indispen- trillions requis par ce dernier. L’alignement pro- sable Royaume-Uni pour soutenir et accroître, par gressif de la finance avec les objectifs climatiques son influence, l’engagement des autres bailleurs: et la charge symbolique du discours de Carney à “Although ODA is just part of the solution to Londres sur le risque que fait encourir la « bulle raising development finance for the SDGs, it carbone » aux grandes places financières mon- still plays a vital role, particularly for the poor- diales11 motivent la recherche similaire d’un ali- est countries. According to the OECD, “ODA gnement des pratiques de la finance sur les inté- remains the biggest financial flow in fragile rêts sociaux ou sociétaux incarnés par les ODD. states”. (…) As a respected leader in the do- À l’observation d’un gestionnaire de fonds selon nor community, the UK Government should lequel : « The Government is already taking action to harness the markets to support sustainable de- 9. Sur les origines sécuritaires de l’aide, lire par exemple velopment, highlighting that, “HM Treasury has Carbonnier (2010), Brainard (2006), et Charnoz et Se- verino (2007) toujours d’actualité. 10. House of Commons, International Development Com- 11. Carney, M. (2015). Breaking the tragedy of the horizon. mittee (2016). UK implementation of the Sustainable Climate change and financial stability. Speech given at Development Goals. First Report of Session 2016-17. Lloyd’s of London. 29 September 2015. IDDRI WORKING PAPER 01/2017 9
À quoi sert l’aide publique au développement ? Objectifs des principaux bailleurs et implications pour la France recently launched, in conjunction with the City It taught the German population how important of London, a Green Finance Initiative to advance and successful aid can be. The prosperity and proposals on how to increase and incentivise pri- values that are characteristic of today’s Germa- vate sector finance in the green economy” (p. 21). ny are also a consequence of this forward-look- ing post-war policy. And, not least, it is this expe- … le Parlement répond : rience that induced the German government to “There is no reason why these efforts could not take on an active role in regard to development be expanded within the framework of the SDGs” policy and, in 1961, to become first country in Eu- (p. 21). rope to establish a development ministry. “12 “We recognise the potential—and need—to D’autres différences marquantes distinguent harness the trillions of dollars tied up in the cap- le cas britannique du cas allemand. L’Allemagne ital markets to achieve the SDGs. London is the insiste sur les conséquences de la mondialisation world’s leading financial centre, meaning that – un monde interconnecté rendant nécessaire la the UK Government is in a strong and unique coopération internationale et l’offre de réponses position to look at how this could be done (p. globales à des défis globaux. 21). (…) To harness the finance tied up in capital “Today, our lives are much more interconnect- markets, DFID and other relevant government ed with those of people living on other continents departments should also enter into discussions than ever before. We have many advantages be- with the London Stock Exchange and the City of cause of that. However, it also means that we London to explore how they might work together have greater responsibility than previous gener- to create better incentives for sustainable devel- ations, because the international community is opment in the capital markets” (p. 3). facing challenges for which it needs to find global solutions. Radical changes need to be made—at global level and as soon as possible.” 2. DEUXIÈME RÉCIT : DON CONTRE DON - LA PROSPÉRITÉ S’ACCOMPAGNE On voit là que l’aide n’est qu’une réponse parmi d’autres en dehors du monde de l’aide – réponses D’OBLIGATIONS (ALLEMAGNE) qui tardent ou sont insuffisantes (« radical changes need to be made—at global level »). L’Allemagne, à 2.1. Un monde, notre la différence du Royaume-Uni, insiste sur les trans- responsabilité formations requises par l’ampleur nouvelle des défis, même si le mot « transformation » n’est pas La lecture des documents stratégiques est fasci- cité littéralement – « radical changes » n’en est pas nante tant les récits nationaux diffèrent et dans éloigné. Autre différence notable, l’Allemagne fait le ton et dans le fond. Le cas de l’Allemagne nous peu de cas du national interest. Non que l’aide soit montre des motivations et des objectifs sensible- conçue dans une perspective purement altruiste13, ment différents de celles et ceux de la Grande- mais c’est l’intérêt général qui est mis en avant, et Bretagne. Si les deux nations puisent aux racines guère l’intérêt de l’Allemagne – expression qui sous historiques de l’aide, née de l’après-guerre pour cette forme n’apparaît jamais. Ainsi, après avoir reconstruire l’Europe afin de prémunir celle-ci énoncé une série d’objectifs généraux préfigurant de l’influence soviétique, l’Allemagne souligne la peu ou prou les ODD : relation particulière nouée avec cet instrument. “The German government is actively engaged, Pays bénéficiaire de l’aide à l’origine, l’Allemagne in close cooperation with the international com- conçoit à ce titre des obligations de retour, de munity, in combating poverty, securing food, contre-don. L’Allemagne a par ailleurs acquis une establishing peace, freedom, democracy and expérience de première main sur les vertus de l’aide : ne doit-elle pas en effet au plan Marshall d’avoir pu très vite, en 1961, passer du statut de 12. http://www.bmz.de/en/what_we_do/principles/in- receveur au statut de donneur et ouvrir le premier dex.html ministère du développement parmi tous les pays 13. Dans son 14e rapport sur la politique de développement, le gouvernement allemand précise que l’aide bilatérale d’Europe occidentale ? allouée par la BMZ doit satisfaire à 4 critères : l’état de “Germany was itself once a recipient of inter- la gouvernance dans les pays récipiendaires, la pauvreté national aid programmes. The country was dev- et les besoins, l’avantage comparatif de l’Allemagne à l’égard des autres donneurs, et « les intérêts allemands » astated during the Second World War and sub- mais il est aussitôt précisé « (incluant les partenariats sequently received billions of dollars in support stratégiques et biens environnementaux globaux) » from the United States under the Marshall Plan. (BMZ, 2013 : 26). 10 WORKING PAPER 01/2017 IDDRI
À quoi sert l’aide publique au développement ? Objectifs des principaux bailleurs et implications pour la France human rights, shaping globalisation in a socially Si l’accroissement des dépenses d’APD en 2015 equitable manner, and preserving the environ- est presque exclusivement le fait du traitement ment and natural resources.” des migrants, au point de nourrir des doutes sur la persistance de cette hausse et des critiques sur L’Allemagne précise qui bénéficie de l’APD : la confusion entre sécurité domestique et dévelop- “Development cooperation is one of the most pement15, l’Allemagne n’en a pas moins apporté la important instruments for achieving these goals. preuve qu’elle savait mettre des moyens en face The German government regards it as an imper- d’objectifs généraux de responsabilité et de soli- ative of humanity and of reason. Development darité « don contre don » dont nous avons rendu cooperation guarantees a future for people in de- compte dans une première partie. Parce qu’elle a veloping countries – and thus for everyone else, bénéficié de l’APD et se trouve aujourd’hui en posi- too” (nous soulignons). tion d’en faire bénéficier les autres, l’Allemagne se doit d’être un bailleur de haut rang ; et à l’iden- « Everyone else » inclut l’Allemagne mais diffère tique, parce que les familles allemandes savent du « national interest ». L’APD Allemande répond à depuis la réunification et l’immédiat après-guerre une obligation, celle de tenir son rang et de contri- ce qu’être déplacé et accueilli veut dire et qu’elles buer à régler les problèmes du monde à hauteur se trouvent en possibilité d’offrir l’hospitalité, cette de ses capacités humaines et financières, incluant hospitalité est un dû. Il y a une cohérence incon- celles conférées par son implication dans l’agenda testable entre le discours sur les fins et la mobilisa- et la réforme d’institutions plurilatérales comme la tion des moyens. Banque mondiale, le G7 ou le G20. Comme dans le Pour autant, la première véritable « signature cas britannique, le titre du rapport phare sur l’APD 2030 » de l’Allemagne réside, selon notre lecture, est emblématique : One world. Our responsibility. dans la mise au service des pays en développement de la voix et de l’influence de l’Allemagne au sein 2.2. Les priorités : droits des institutions pluri et multilatérales. Signature de l’homme, réformes à l’encre claire, mais signature tout de même. Le institutionnelles et développement passe par des règles et du droit, et finance climat c’est au renforcement des premières, à l’affirma- tion du second au bénéfice des pays en développe- L’Allemagne rappelle dans le document soumis ment, que la politique de coopération allemande au HLPF, dans la perspective de la première trouve les arguments qui la distinguent, et ce fai- conférence d’étape dans la mise en œuvre de sant, la justifient. l’Agenda 2030, que l’APD, par ses volumes, est “The rising need for common global action calls une de ses signatures, même si elle ne peut pas se for strong and united action on the part of mul- targuer d’avoir atteint 0,7 % du RNB14. tilateral cooperation, with the goal of improving “Germany’s ODA (Official Development As- the international framework for sustainable de- sistance) has increased steadily in recent years; velopment, gearing multilateral organisations the OECD’s latest ODA estimate for 2015 shows to the promotion of sustainable development continual increases to around 16.0 billion euros. around the globe, and ensuring that they make That makes Germany the third-largest donor the best possible use of their comparative ad- in absolute figures; Germany’s ODA rose from vantages. In its capacity as a member of the 0.38% of gross national income (GNI) in 2013, to United Nations, the EU and the OECD, as well 0.42% of GNI in 2014 and 0.52% of GNI in 2015. as other international organisations, and as About 0.09 percentage points of the increase re- one of largest shareholders in the World Bank corded between 2014 and 2015 were accounted and regional development banks, Germany is for by the costs of providing for refugees in Ger- supporting the necessary reform and strategy many, some of which costs are classified as ODA. processes within these organisations. With- Spending on development cooperation con- out a strong and efficient United Nations, there tinues to be one of the German Government’s can be no solution to global problems. Germa- top priorities. It has increased its spending ny is actively supporting the reform of the several times in recent years and a further UN development system and is pushing for an rise is planned for 2017” (Nous soulignons). 15. Oxfam est sans doute parmi les organisations les plus virulentes sur le sujet. Voir par exemple : https://www. 14. German Federal Government, 2016. Report of the Ger- euractiv.fr/section/aide-au-developpement/inter- man Federal Government to the High-Level Political Fo- view/weekend-or-monoxfam-our-red-lines-on-securiti- rum on Sustainable Development 2016. 12 July 2016. sation-and-conditionality-of-eu-aid/ IDDRI WORKING PAPER 01/2017 11
À quoi sert l’aide publique au développement ? Objectifs des principaux bailleurs et implications pour la France anchoring of reform projects within the scope of climate finance, German Chancellor Angela the Quadrennial Comprehensive Policy Review Merkel announced in May 2015 that the German negotiations.” (Nous soulignons). government is planning to double German cli- mate finance by 2020. In making that announce- La seconde signature réside dans la promo- ment, Germany led the way. (…) With this tion des droits de l’homme, consubstantielle à la increase and the additional private funding that politique de coopération et de développement can be mobilised as a result, the target of 100 allemande. billion dollars from 2020 onwards is now within “Respecting, protecting and safeguarding hu- reach. Germany’s share in that amount would be man rights are among the criteria that deter- about ten per cent.” (nous soulignons). mine the nature and extent of Germany’s de- velopment cooperation with a partner country. La signature « climat » se superpose à la première Through the human rights strategy it published signature, apposée par l’Allemagne au registre des in May 2011, the BMZ is operationalising the institutions: human rights-based approach systematically “Within the G7, Germany is pushing for the in its work. In accordance with the strategy, hu- ambitious implementation of the SDGs and, man rights standards and principles are includ- under the German Presidency in 2015, made an ed when preparing sector, regional and country important contribution with its commitment to strategies, as well as joint donor strategies. Ger- climate change mitigation: the G7 is aiming to many is thus an international leader in this decarbonise the global economy by the end of this field.”16 (nous soulignons). century and put its energy sector on a new foot- ing by 2050 in order to limit global warming to Signalons que c’est au nom de la protection des well below 2° Celsius, ideally to 1.5° Celsius. The droits de l’homme que la santé (incluant les droits G7 states are also aiming to apply labour, social et santé sexuelle et reproductive) figure au rang and environmental standards more rigorously des priorités distinctives de l’Allemagne (“Health – in global supply chains and have set themselves A human right”, pour reprendre la devise du BMZ). the goal to free 500 million people in developing Enfin, l’engagement pour le climat est l’ultime countries and emerging economies from hunger signature dont se prévaut l’Allemagne, dans un and malnutrition by 2030”. ensemble de textes où les postures assumées de champion sont extrêmement rares – la parole gou- “Also within the framework of the G20, the vernementale allemande brillant surtout par sa German Government is pushing for the across- modestie. the-board implementation of the SDGs, and is “In 2014, the German government committed a urging all member states to engage more strongly total of more than 2.344 billion euros in official at national level, for example through national budget funds for climate change mitigation and sustainable development strategies. The German adaptation. About 85 per cent of this sum came Government will translate this into more specific from the BMZ’s budget. Since 2005, Germany’s terms in the course of the German Presidency in commitments have grown almost fivefold (from 2017 and will push for a stronger alignment of 471 million euros at the time), and in 2014 Ger- the G20’s work with the 2030 Agenda.” many became, for the first time, the largest bilateral donor of climate finance.” (nous soulignons). 3. TROISIÈME RÉCIT : L’APD PRÉCURSEUR DE POLITIQUES L’Allemagne ouvre la voie (Germany is leading the way) : PUBLIQUES MONDIALES (FRANCE) “In 2009, the world’s industrialised countries made a commitment to provide, from 2020, an 3.1. Corriger les défaillances annual 100 billion US dollars from public and de la mondialisation private sources for climate change mitigation and adaptation in developing countries. (…) In order La grande affaire de la France, telle qu’elle l’ex- to further increase confidence in international prime depuis sa Vision de la coopération interna- tionale (2011) est la maîtrise de la mondialisation et la gestion des interdépendances. Cette vision 16. https://www.bmz.de/en/what_we_do/issues/Hu- manRights/allgemeine_menschenrechte/deutsche_ est présente également dans la loi d’orientation entwicklungspolitik/German-engagement-in-partner- et de programmation (2014) bien que moins countries/index.html soulignée. 12 WORKING PAPER 01/2017 IDDRI
À quoi sert l’aide publique au développement ? Objectifs des principaux bailleurs et implications pour la France « La politique de développement et de soli- « Le développement requiert un État stratège, darité internationale de la France a pour am- capable d’investir à long terme tout en entreten- bition une mondialisation mieux maîtrisée et ant le consensus social. »18 porteuse de valeurs humanistes. »17 Renforcement également au sein de l’espace Pour quelle raison ? Parce qu’après dix ans mondial, pour reprendre une expression de Ber- de croissance mondiale record, « partout trand Badie. s’impose l’évidence que les bénéfices de la mon- « Dans une perspective universelle, la France dialisation se heurtent à un déficit de gouver- entend favoriser l’émergence de politiques pub- nance et d’action collective. L’aspiration à une liques globales, notamment par son action dans croissance plus juste, respectueuse des droits les enceintes internationales (organisations des des individus, s’inscrivant dans la durée et le Nations unies, institutions de Bretton Woods, G8 respect des biens publics mondiaux, appelle à et G20) et par sa participation à de nombreux la mise en oeuvre de politiques globales. Ces fonds verticaux. »19 politiques doivent permettre de donner un sens à la mondialisation en cours, d’en tirer le meil- Les similitudes avec l’Allemagne sont frappantes, leur parti, y compris pour les pays en dével- autant que les dissimilitudes avec le Royaume-Uni : oppement, de mieux gérer les bouleversements insistance sur la coopération internationale (les qu’elle induit, de garantir qu’elle ne conduit « politique globales » remplace les « solutions glo- pas l’humanité dans une impasse. » bales » germaniques, mais cela relève de la nuance sémantique), gestion des interdépendances et à L’APD française peut se lire en creux comme nouveau, à la différence du cas britannique, un un instrument au service d’un projet alterna- éventail très large d’objectifs. Les objectifs de la tif à la libéralisation libérale (au sens français politique de développement de la loi de 2014 sont du terme « libéral ») incarnée par le consen- extrêmement généraux : sus de Washington et l’ajustement structurel « La France met en œuvre une politique de des années 1980 et 1990. L’APD française se lit développement et de solidarité internationale alors dans l’ombre portée de Keynes et de Hir- qui a pour objectif général de promouvoir un schman, et la conviction que même riche et développement durable dans les pays en dével- replet d’épargne, le monde ne peut compter sur oppement, tout en participant à l’effort interna- la main invisible du marché des capitaux pour tional de lutte contre la pauvreté extrême et de produire les biens et services essentiels à la pros- réduction des inégalités. » périté des nations. L’APD française peut aussi se lire en plein Nous soulignons, pour marquer la différence comme un instrument d’une coopération qui délibérée avec le cas britannique : la France retient ne peut se limiter à la coopération financière, l’objectif de réduction de la pauvreté, mais l’asso- coopération dédiée à l’élaboration de politiques cie à la réduction des inégalités. Cette dernière a publiques globales indispensables pour la pro- fait l’objet de nombreux débats pendant la négo- duction de biens publics mondiaux. La première ciation des ODD et, on le sait, en fait partie in fine, APD fait de la résistance, la seconde raconte une contre le souhait initial du Royaume-Uni et des histoire « positive » de la coopération internatio- États-Unis20. nale entre nations libérales (au sens anglo-saxon « Cette politique se décline dans quatre grands du terme cette fois, pour ne rien simplifier) telle domaines simultanément : promotion de la paix, qu’elle a pu s’écrire dans les années Clinton de la stabilité, des droits de l’homme et de l’égalité (Bill)-Blair-Schröder-Jospin, entre la chute du entre les femmes et les hommes (…) équité, mur de Berlin et celle des tours de Manhattan. justice sociale et développement humain (…) Qu’on la lise en creux ou en plein, l’APD fran- développement économique durable et riche en çaise a des desseins explicitement politiques – au emplois (…) préservation de l’environnement et sens de politiques publiques (policies), qu’elle des biens publics mondiaux (…) » (RF, 2014). entend renforcer dans les pays récipiendaires. Si les objectifs souffrent de cette ambition glo- 17. https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTe bale par l’ampleur de la tâche, ce qui est clair en xte=JORFTEXT000029210384&categorieLien=id. On peut également mentionner ici le titre programmatique de l’ouvrage Mieux gérer la mondialisation ? L’aide 18. MAE (2011). publique au développement, par Aurélien Lechevallier, Jennifer Moreau et François Pacquement. Editions 19. RF (2014). Ellipses, 2007. 20. Chancel et Voituriez (2015). IDDRI WORKING PAPER 01/2017 13
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