Commerces : le monde d'après - le magazine de l'immobilier et de la ville - Le vélo, SIEC
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le magazine de l’immobilier et de la ville n° 112 | juin-juillet 2020 | 25 € Commerces : le monde d’après Retour à Le vélo, La Défense Grenoble roi du fait renaître presqu’île déconfinement ? ses sous-sols
ÉDITORIAL Projet de transformation de la RD14 à Montigny-lès-Cormeilles (95). © Agence Seura Programmé avant la crise sanitaire et le confinement, notre dossier explore la transformation des zones commerciales, emblèmes de la « France moche », qui recherchent une nouvelle urbanité. Des opérations mixtes se développent ici ou là, sans toujours faire grand bruit. Les foncières commerciales y jouent un rôle, aux côtés des villes. Ces transformations prennent du temps : pour la Patte d’Oie d’Herblay, premier pôle commercial du Val d’Oise, dix ans se seront écoulés entre le premier travail de l’agence Seura, dans le cadre de l’atelier national « Territoires économiques », et le démarrage d’un chantier de logements avec rez-de- chaussée actifs, prévu en 2021. Se projeter Ces patients efforts seront-ils mis à bas par la crise sanitaire et ses suites économiques ? Les intervenants cités dans notre dossier continuent de se projeter – prudemment – dans un « après » qualitatif. Et certains comportements adoptés pendant la crise pourraient perdurer, en faveur d’une consommation de proximité au cœur des villes. Les premières observations post-déconfinement ne tendent pourtant pas à confirmer cette hypothèse. Les files de voitures en amont d’un fast food, la ruée dans les magasins de bricolage, ou les queues devant dans des enseignes populaires de prêt à porter semblent signer le retour aux pratiques « d’avant ». Aux porteurs de projets de persister… nos colonnes leur sont ouvertes. Marie-Christine Vatov, rédactrice en chef n° 112 juin-juillet 2020 3
SOMMAIRE 14 traits urbains n°112 Editeur : Innovapresse & Communication 5 rue Saulnier - 75009 Paris T 01 48 24 81 20 www.innovapresse.com www.projetsurbains.com RCS Paris B 329.255.566 ISSN : 1776-9604 Commission paritaire : 0324 T 87608 Directeur de la publication : Gaël Chervet Fondateur : Jean Audouin Rédactrice en chef Marie-Christine Vatov Direction artistique Laëtitia Loas-Orsel Maxime Buot 52 Maquette-graphisme Laëtitia Loas-Orsel Ont participé à ce numéro : Lucie Bornat, Benoît Léger, Antoine Torre (rédaction Innovapresse Paris), Pierre Derrouch (Innovations), Agnès Fernandez, Nicolas Guillon, Nora Hachache, Francis Mateo, et nos correspondants en régions : Séverine Cattiaux, Béatrice Girard, Bertrand Verfaillie. Publicité 40 Aurélie Jeammes / 01 48 24 81 24 ajeammes@innovapresse.com Abonnements Evelyne Magda/01 48 24 81 18 abonnement@innovapresse.com Tarif /abonnement annuel 129 E TTC tarif France (8 numéros) - 25 E le numéro (TVA : 2,1 %) Imprimeur : Chirat (42) Dépôt légal à parution En couverture : Rue commerçante. DR À SUIVRE 6 Agenda 7 Tendances Au prochain numéro ! 13 Transactions Mobilités : nouvelle donne 14 DOSSIER Zones commerciales : demain, nouveau ou ancien monde ? 18 Pascal Madry : « après la crise sanitaire, deux scénarios possibles » 19 Montpellier se Frey un chemin jusqu’à la mer 20 Alfred Peter : « le domaine de pertinence s’arrête trop souvent au diagnostic » 21 Mérignac Soleil : tout sauf du bricolage 22 Montigny-lès-Cormeilles veut créer son centre-ville dans un corridor commercial 25 Etixia : l’habit fait la zone 4 juin-juillet 2020 n° 112
SOMMAIRE 36 46 56 26 34 STRATÉGIES URBAINES PROJETS URBAINS 26 Presqu’île : le « Grenoble de demain » ? 52 Grand Matabiau va redessiner Toulouse 30 Le Grand Narbonne mise sur 54 La Cité fertile, « terrain d’expérimentations » la désimperméabilisation 34 Reconstruire autour du vide 36 Le vélo, roi du déconfinement ? PROJETS IMMOBILIERS 56 La Défense : Baukunst dessinera des lieux de vie au sein des milieux résiduels » STRATÉGIES IMMOBILIÈRES 58 A Toulouse Métropole, un bailleur social 40 Gérard Lodetti (Linkcity France) : « cette crise « aménageur en chef » sera un accélérateur et renforcera nos convictions » 44 Flore Trautmann : « transformer les rez-de-chaussée en communs urbains » INNOVATIONS 60 Barcelone, terrain de jeu des opérateurs de la smart city ACTEURS 62 Sécurité sanitaire et développement durable 46 Philippe Druon : « la ville, on l’aime, on la subit ou on la quitte » 50 Mouvements n° 112 juin-juillet 2020 5
À SUIVRE AGENDA Université d’été des urbanistes 1 Materials & Light 1 « Les nouveaux territoires de l’utopie » Materials & Light, le salon des solutions seront le fil rouge de l’université d’été innovantes pour l’architecture, organisé des urbanistes, organisée par le Conseil par notre confrère le magazine d’A, français des urbanistes à la fin de l’été dans conjuguera stands d’exposition, workshops un lieu d’utopies, le Familistère de Guise. et conférences, sur les thèmes du bois Les 28 et 29 août (avec le magazine Séquences Bois) et autres Familistère de Guise (Aisne) matériaux, du design, de la mise en lumière Informations et préinscriptions sur et du mobilier urbain. https://cfdu.org et FB : @CFDUURBA Les 8 et 9 septembre Carreau du Temple, Paris Salon Produrable ml.darchitectures.com Reporté pour cause de crise sanitaire, le salon Produrable s’inscrira « dans le rebond 5 à 7 avec Richard Sennett 2 d’un New Deal européen qui propose une Le prochain 5 à 7 du Club Ville vraie transformation de nos modèles en Aménagement aura pour invité le sociologue faveur du climat, de la biodiversité, de la et urbaniste américain Richard Sennett, © Fab5669 sobriété, du partage et du bon sens pour sur le thème « Faire la ville éthique ». une nouvelle prospérité, juste, raisonnée, Conçue et animée par Ariella Masboungi, éthique, pérenne et profitable, pour tous », Grand Prix de l’urbanisme 2016, avec pour annoncent les organisateurs. débatteur le sociologue et urbaniste Alain Les 7 et 8 septembre Bourdin, cette séance postulera que « la 2 Palais des congrès, Paris ville éthique est stimulante, inachevée et www.produrable.com poreuse », et non prescriptive et fermée. Cette conférence était programmée pour le printemps ; le propos devrait donc s’enrichir de l’expérience de six mois de crise sanitaire © Ars Electronica from Österreich et des remises en question consécutives à cette crise. Le 10 septembre Tour Séquoia, La Défense Inscription en ligne : https://bit.ly/2RWcM3N TENDANCES Europan 16 : Villes vivantes « La sortie de la crise sanitaire du covid-19 appelle une réflexion sur la résilience des milieux urbains, leur capacité à abriter les êtres vivants et à prendre soin d'eux. Les évènements vécus ces derniers mois montrent l'importance des métabolismes urbains, de leurs flux et stocks, des transports et des échanges... ils pointent surtout en direction du rôle du vivant, humain et non- humain, dans ces métabolismes ». De quoi conforter les organisateurs d’Europan (concours de projets à destination des jeunes professionnels européens de la conception architecturale et urbaine) dans le choix, pour la 16e session, du thème « Villes vivantes », abordé suivant deux directions de travail : écologique et sociologique. Prochaines étapes de cette 16e session : la recherche de sites de projets, qui se poursuit jusqu'à l'automne 2020 ; un forum intersessions 15/16, en décembre 2020 (probablement en partie en visioconférence) ; le lancement de la session, en avril/mai 2021. www.europanfrance.org 6 juin-juillet 2020 n° 112
À SUIVRE TENDANCES Politique Métropole du Grand Paris : un plan de relance résiliente Le Conseil métropolitain du Grand Paris a adopté à l’unanimité, le 15 mai, un plan de relance de 110 millions d’euros afin de faire face à la crise sanitaire, soutenir l’économie locale et accélérer la transition écologique, pour « un territoire durable, équilibré et résilient ». Structuré en cinq axes et décliné en 50 actions, le plan prévoit de soutenir le secteur de l’habitat et de la construction, via « le lancement d’une nouvelle édition © Duotone / Pixabay de l’appel à projets innovants Inventons la Métropole du Grand Paris axé sur la réintroduction d’activités productives en zone dense » ou l’appel à manifestation d’intérêt pour de nouvelles opérations d’intérêt métropolitain, afin « de construire et animer un réseau et des partenariats entre la Métropole et les principaux acteurs métropolitains des filières de la rénovation et de la construction ». Second volet : la revivification du tissu économique et culturel de proximité, avec notamment la participation à hauteur de 14 millions d’euros au fonds mutualisé Résilience Ile-de-France dédié aux TPE et PME du territoire ; le lancement d’une nouvelle édition du programme « Centre-ville vivant » ; le soutien à la conception et la construction du pôle culturel et économique des ateliers Médicis à Clichy-Montfermeil (Seine-Saint-Denis) ; l’entrée de la Métropole au capital de la Semaest ou encore le soutien à l’économie sociale et solidaire et aux jeunes entreprises innovantes. L’axe « accélérer la transition écologique et le développement des mobilités douces » consiste, entre autres, en l’adoption d’un Plan vélo métropolitain doté de 10 millions d’euros, la création de 100 nouvelles stations de Vélib’ d’ici 2022 et le déploiement de 3 000 bornes de recharge électrique sur tout le territoire. Un soutien spécifique à la filière du végétal et du paysage est également prévu. Le plan de relance prévoit également de repenser l’offre de santé en adoptant et promouvant une « stratégie métropolitaine de la santé environnementale » qui intègre notamment le retour d’expériences de la crise sanitaire. Cet axe intègre aussi la question de l’alimentation, avec « l’accélération du Plan alimentation durable métropolitain engagé en 2019 ». En matière de fracture et de transition numériques, le plan de relance grand-parisien projette de renforcer les financements auprès des publics fragiles via le Pass numérique, de « mettre en place un programme de sensibilisation dédié aux commerçants et artisans » en partenariat avec la CCI, ou encore de déployer un maillage métropolitain de ressourceries de recyclage de matériel informatique. Lucie Bornat n° 112 juin-juillet 2020 7
À SUIVRE TENDANCES Des consultations citoyennes Grand prix sur la crise et ses suites à Lille national de et à Dunkerque l’ingénierie : résilient La gare Eole CNIT-La Défense, conçue par le consortium groupe Setec-agence Duthilleul/Arep- Antea Group, a remporté le Grand prix national de l’ingénierie 2019. © Setec/agenceDuthilleul/Arep Le Grand prix national de l’ingénierie 2020 s’intéressera à la résilience. Organisé par les ministères de la © Liliane Monconduit / Pixabay Transition écologique, de la Cohésion des territoires et de l’Economie et des finances, en partenariat avec Syntec Ingénierie, il récompensera « une équipe ayant concouru à la conception, soit d’un produit soit d’un projet remarquable dans le domaine Les grands EPCI nordistes s'ébrouent au sortir de la crise sanitaire. de l’industrie et de la construction ». Dès la fin avril, la communauté urbaine de Dunkerque (17 communes, Avec pour critères l’inventivité, la 198 000 habitants) a lancé un appel à idées afin « d'inventer des solutions pluridisciplinarité, l’apport spécifique pour vivre ensemble » après le 11 mai. Plus de 2 500 contributions ont été de la fonction ingénierie à la faisabilité enregistrées sur des sujets très concrets comme faire son marché, se divertir technico-économique du projet, mais ou s'engager localement. Au chapitre des déplacements, la communauté a aussi l’intégration des composantes pris les devants début mai en proposant à la population une aide à l'achat de du développement durable. « Au vu de vélos, ainsi que des prêts gratuits longue durée de vélos. la crise inédite que nous traversons, A son tour le 12 mai, la Métropole européenne de Lille (95 communes, 1,1 million liés à la pandémie de Covid-19, le jury d'habitants) a ouvert une consultation citoyenne « pour recueillir les expériences portera une attention toute particulière de confinement des métropolitains et envisager l'après ». Participation dirigée sur aux projets qui participent à la relance des thèmes comme l'aménagement, le cadre de vie, la démocratie locale, les d’une économie résiliente », précisent usages numériques, ou expression libre : les retours feront l'objet d'une synthèse, les organisateurs. présentée aux élus et aux différents services de la Mel. Date limite de dépôt des candidatures : Bertrand Verfaillie (Innovapresse / Lille) le 31 août avant midi. Règlement du concours disponible sur syntec- ingenierie.fr 8 juin-juillet 2020 n° 112
À SUIVRE TENDANCES L’expo IBA Basel reportée au Le Puca explore printemps 2021 les relations ville-travail « Alors que le logement fait l’objet d’une quantité importante de réflexions et d’expérimentations, le travail semble un impensé alors même que les évolutions des usages y sont probablement plus forte ». Partant de ce constat, le Puca (Plan urbanisme construction architecture) a lancé une réflexion partenariale avec les représentants de l’industrie, de la logistique, de la promotion immobilière, de l’aménagement, des collectivités locales et de plusieurs laboratoires de recherche. De cette réflexion est né un appel à projets de recherche « Ville productive », pour explorer « les lieux et la nature des fonctions productives dans l’espace urbain et la place des travailleurs en ville ». Cinq axes thématiques sont proposés : les conditions et stratégies du maintien et du retour de l’activité productive en ville ; les lieux du « travail à distance » de l’entreprise ; la ville productive comme projet environnemental ; la logistique DR urbaine et l’évolution des pratiques commerciales ; la vie des travailleurs et des travailleuses. L’exposition finale de l’IBA Basel (Internationale Les réponses sont attendues pour le 31 août (appel à projets Bauaustellung), prévue à la fin du mois de téléchargeable sur www.urbanisme-puca.gouv.fr/appel-a- juin dans le Campus Vitra à Weil am Rhein projets-de-recherche-sur-la-ville-a2041.html ). (Allemagne) se tiendra du 30 avril au 6 juin 2021, en raison de la crise sanitaire. Pour les organisateurs, « il était impensable de réaliser la première IBA transfrontalière sans pouvoir réellement traverser les frontières ». Ce travail commun visant à faire émerger et mettre en lumière des initiatives urbaines, architecturales et paysagères, associe des collectivités françaises, allemandes et suisses. Et « le défi que peut représenter le franchissement d’une frontière – habituellement presque invisible – lors d’une pandémie dans la région trinationale, est en fin de compte le quotidien des urbanistes et autres acteurs œuvrant à un aménagement coordonné du territoire ». L’exposition, intitulée « Au-delà des limites ensemble », présentera les multiples projets visant à créer de nouveaux espaces de vie. www.ibaexpo.com © Malachi Witt / Pixabay n° 112 juin-juillet 2020 9
À SUIVRE TENDANCES La quasi-totalité des chantiers franciliens ont repris © Ahmad Ardity / Pixabay A la fin du mois de mai, la Fédération des promoteurs immobiliers d’Ile-de-France (FPI-IDF) a annoncé, via son président Marc Villand, que plus de 800 chantiers – ce qui représente plus de 60 000 logements – ont repris. En effet, les adhérents sondés par l’organisation ont déclaré que 95 % des chantiers étaient repartis en Ile-de- France. Pour rappel, Julien Denormandie avait évoqué, le 12 mai, son intention de rouvrir « tous les chantiers avant la fin du mois ». La FPI-IDF propose la création d’un « PC Covid », qui permettrait d’adapter temporairement le traitement des permis de construire déposés entre le 12 mars et le 31 décembre 2020. Concrètement, cela se caractériserait par la « possibilité pour les maîtres d’ouvrage de transmettre le pré-dossier ou des pièces complémentaires par voie dématérialisée, la suppression de toutes demandes de pièces non formellement requises légalement, des prorogations des délais de validité des permis de construire devenus caducs », précise l’organisation. (AT) La RE2020 entrera finalement en vigueur à l'été 2021 Pour tenir compte de l’impact de la situation sanitaire actuelle, le gouvernement ajuste le calendrier de la future règlementation environnementale des bâtiments neufs (RE2020). La phase de simulations, lancée en janvier « afin d’éclairer les choix des indicateurs et niveaux de performance pertinents », prendra fin courant mai, indique un communiqué. Les concertations « se poursuivront pendant l’été pour permettre à tous les acteurs concernés d’y prendre part ». La publication des textes règlementaires, à l’origine fixée à l’automne 2020, interviendra « fin 2020 ou au plus tard au tout début de l’année 2021 ». Prévue par la loi Elan, la règlementation entrera en vigueur à l’été 2021, précise le gouvernement, au lieu de la date initialement prévue du 1er janvier 2021. 10 juin-juillet 2020 n° 112
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À SUIVRE TENDANCES Quelles pistes pour relancer l'attractivité des centres-villes ? L’association Centre-Ville en Mouvement a remis son rapport « Solutions et idées pour la relance de l’attractivité de nos centres-villes » – qui résulte de l’analyse d’une quarantaine d’auditions menées auprès des acteurs du centre-ville – aux ministres concernés. La crise sanitaire inédite « a profondément changé les façons de consommer, les façons de se mouvoir et de fréquenter la ville et son centre », juge le rapport. Les commerces indépendants ont subi de plein fouet les mesures de confinement à travers le décret de fermeture. Si les chiffres d’affaires des hypermarchés de périphérie ont © Peter H / Pixabay chuté, les auditions menées ont permis de constater que les supermarchés de proximité, situés dans la ville, ont réalisé des chiffres d’affaires en hausse de 50 %. Relancer l’activité et accroître l’attractivité des centres- villes passera d’abord par l’application de mesures pour les rendre « irréprochables d’un point de vue sanitaire », rapporte l’association. Elle évoque la mise en place d’un label, soutenu par l’Etat, qui serait apposé sur les portes des commerces pour témoigner de leur respect des normes sanitaires. Le rapport appelle aussi à « une action forte de l’État » pour soutenir la livraison, qui s’est imposée, en temps de crise, comme un aspect primordial à prendre en compte pour soutenir les commerces de proximité. Concernant le tissu commercial, la digitalisation apparaît comme un enjeu majeur pour toucher un nombre plus important de consommateurs. La relance des commerces de proximité passe aussi par un soutien de la consommation locale, à travers des initiatives telles que des chèques cadeaux ou des bons de réduction subventionnés par les pouvoirs publics locaux, indique le document. La crise a révélé « l’impuissance de nombreux maires dans la gérance de leurs missions », constatent les acteurs auditionnés. Pourtant, ce sont eux « qui vont être en première ligne » dans le plan de relance des villes, et il est important, dans ce cadre, de leur redonner le pouvoir, juge le rapport. Autre profession, assurément essentielle : les managers de centre-ville, qui doivent être « partie prenante de la relance en étant intégrés à toutes les échelles des discussions et des concertations ». Rendre le centre-ville attractif passe par les politiques d’embellissement, pour donner l’envie aux habitants « d’y retourner pour faire leurs courses ou tout simplement pour se balader », l’organisation d’activités culturelles (par exemple la création de cinémas en plein air, déjà mise en œuvre dans certaines communes), et par le fait de favoriser les modes de mobilité douce. Lee rapport appelle à adapter les modes de déplacement au sein de l’espace public et propose, quand cela est possible, la « condamnation de quelques rues automobiles pour y intégrer le vélo ». Antoine Torre Pavillon ouvert à l’Arsenal Le Pavillon de l’Arsenal a rouvert ses portes au public le 16 juin. Au programme : la présentation de l’ensemble des contributions du forum « Et demain, on fait quoi ? » dans la grande halle et la poursuite de l’exposition « Champs-Elysées – histoire et perspectives » prolongée jusqu’au 30 août. Les contenus du cycle #architecturealamaison ! , qui ont animé la période de confinement, restent Capture de l’exposition virtuelle « Intelligence accessibles en ligne. artificielle et architecture ». DR www.pavillon-arsenal.com 12 juin-juillet 2020 n° 112
À SUIVRE TRANSACTIONS Val de Fontenay : Ivanhoé Cambridge acquiert le campus Joya Ivanhoé Cambridge a acquis en Vefa un campus de bureaux de 50 000 m2 en blanc, situé au Val de Fontenay (94). Un ensemble baptisé Joya, imaginé par Emmanuel Combarel (ECDM architectes) et développé par le duo Europequipements – Quartus, qui sera livré en 2022. Il bénéficiera de surfaces adaptables « hyperconnectées », proposera des plateaux de 6 000 m2 répartis sur sept étages divisibles en quatre lots, « assurant une flexibilité d’aménagement optimale », indique un communiqué daté du 26 mai. Autres caractéristiques de l’ensemble : ses © ECDM Architectes espaces de services (restauration, bien-être, auditorium, réunion, etc.), ses surfaces de jardins et ses terrasses accessibles. « Nous sommes très heureux de cette acquisition off-market dans le premier pôle tertiaire de l’Est parisien qui s’inscrit parfaitement dans notre vision à long terme pour le Grand Paris », commente Karim Habra, directeur général Europe et Asie-Pacifique d’Ivanhoé Cambridge. Il ajoute : « alors que la crise du Covid-19 accélère la mutation des modes de travail et impacte les modèles d’affaires des entreprises, Joya répond d’autant plus aux besoins futurs des utilisateurs en termes de coûts d’occupation, de services, de flexibilité des espaces de travail et d’accès à la technologie ». (BL) Cession problématique pour l'ancien siège de la métropole de Lille La cession de l'ancien siège de la mé- tropole européenne de Lille (Mel) et de ses dépendances à Vinci immobilier pour 95 millions d'euros HT n'aura pas lieu cette année comme prévu. Le délai de concréti- sation de la promesse de vente signée en juillet 2019 a été prolongé jusqu'en février 2022. Conséquence d'un désaccord entre l'EPCI et la Ville de Lille, sur le territoire © OXO Architectes de laquelle se trouve l'emprise bâtie de trois hectares, dénommée « Metropolitan Square ». Le programme présenté par Vinci immobilier avec BNP Paribas Real Estate (65 000 m2 de bureaux, 30 000 m2 de logements, 2 000 m2 de commerces) ne plaît pas à Martine Aubry, qui a déposé un recours il y a un an contre la désignation du groupement. Elle estime qu'il y manque des « dimensions sociales, écologiques et urbaines ». La maire a maintenu cette position lors de l'adoption du nouveau PLU de la métropole en décembre dernier et le document validé à l'époque par l'assemblée communautaire bloque de fait le développement du projet. Une révision partielle du PLU est aujourd'hui nécessaire ; elle prendra plusieurs mois et passera peut-être par une enquête publique. Le produit de la vente inscrit au budget 2020 de la Mel ne sera évidemment pas disponible. L'opération Metropolitan Square a déjà connu quelques aléas par le passé. A l'origine, la Mel voulait démolir son siège et le reconstruire sur place. Elle a ensuite changé d'optique, décidant d'emménager en location dans le « Biotope », un immeuble neuf de 30 000 m2 édifié dans la Zac Euralille 2, et de vendre son site historique pour financer cette réinstallation. (BV) n° 112 juin-juillet 2020 13
DOSSIER ZONES COMMERCIALES DEMAIN, NOUVEAU OU ANCIEN MONDE ? Projet de transformation de Pariwest à Maurepas (78) par Etixia. © Etixia La « France moche » se refait une beauté : les zones commerciales d'entrée de ville ont débuté leur mutation. A Metz, Montpellier, Mérignac ou Montigny-lès-Cormeilles, quelques-unes de ces zones sont le support de projets urbains désormais plus équilibrés. Mais le coronavirus s'est invité dans le tableau et le secteur du commerce a été frappé de plein fouet par le confinement. Quels seront les impacts de la crise ? Comment évolueront les pratiques de consommation ? Avec quelles conséquences sur la concurrence entre enseignes de centres-villes et ensembles de périphérie ? Les observateurs les plus avisés, s'ils espèrent que cette crise aura un effet accélérateur sur les bonnes pratiques, n'écartent pas non plus le scénario du coup d'arrêt voire - pire - du retour en arrière. Premières analyses, pour un « monde d’après » qui n’oublie pas la qualité urbaine. 14 juin-juillet 2020 n° 112
DOSSIER À en croire l'architecte-urbaniste David Que nous disent les résultats de cette étude ? En premier lieu, Mangin, l'urbanisme commercial serait victime de malen- que la vacance commerciale progresse dans l'ensemble des tendus. « Le débat n'est pas entre une France moche et le aires urbaines, à raison d'un demi-point en moyenne par an. Il reste du monde ; la voiture et les transports en commun ; est vrai que dans un certain nombre de cas, le commerce de la boîte à chaussures et les gestes architecturaux », écrit-il périphérie se porte mieux que celui de centre-ville, mais cela dans l'ouvrage Du Far West à la ville (Éditions Paren- vaut seulement pour 21 % des zones urbaines observées. thèses) (lire aussi l’encadré page 24). De même, l'effet Ailleurs, le tableau est beaucoup plus contrasté. On relève létal du commerce de périphérie sur celui de centre-ville en particulier une corrélation entre les aires urbaines les plus serait une autre idée reçue. Le directeur de l'Institut de la fragilisées et les territoires les plus en déprise, tant que sur Ville et du Commerce (IVC), Pascal Madry, partage cette le plan de la démographie que sur celui de l'emploi. Enfin, il vision nuancée : « le commerce reste méconnu parce qu'on semble qu'un équilibre ait été trouvé dans 40 % des situa- ne chausse jamais les bonnes lunettes pour l'observer. La tions. En conclusion, le rapport de domination si souvent plupart des travaux concernant les zones commerciales remis sur la table du commerce de périphérie au détriment n'aborde que la question urbanistique alors qu'il faudrait en de celui du centre-ville n'est, de fait, pas aussi net qu'on veut même temps chausser des lunettes d'économiste ». C'est bien le dire. une des raisons qui a poussé à la création, après la crise de Une fois ce constat dressé, il n'en demeure pas moins que 2008, de cette association qui réunit l'ensemble des acteurs le modèle des zones commerciales issues de la période de la filière : investisseurs, promoteurs, collectivités, syndi- no parking no business atteint ses limites, au regard des cats et chambres de commerce, aménageurs, laboratoires nouveaux entrants du développement durable mais égale- de recherche, etc. Avec un double objectif : d'une part ment sur le plan économique. Un chiffre, un seul, résume constituer une base de données, d'autre part produire une tout : en 2019, le taux de vacance des zones commerciales réflexion commune, notamment sur le lien entre périphérie de périphérie était de 9 %, quand la limite acceptable, celle et centre-ville, plus complexe qu'il n'y paraît. Aussi quand le qui permet un turn-over, est de 5 %. C'est le signe d'une Gouvernement a lancé le programme Action cœur de ville, fragilisation du secteur de la grande distribution mais égale- l'IVC a-t-elle souhaité prendre le contre-pied et faire du ment de la saturation du marché. Une explication limpide à commerce de périphérie son sujet de réflexion de l'année, ce phénomène : dans les années 1990, 60 % des achats des dans l'optique d'aboutir à la formulation de recommanda- Français étaient effectués dans des hypers et 40 % dans de tions dépassant le seul contexte des métropoles. L'IVC plus petits magasins. Aujourd'hui, ce rapport s'est inversé. devait tenir son assemblée générale le 18 mars dernier et Quand il y a trente ans, le chiffre d'affaires moyen d'un hyper par la même occasion, initier une grande réflexion natio- était de 12 000 euros/m2/an, il n'est plus de nos jours nale sur ce thème. Une caravane d'ateliers aux différentes que de 8 000 euros/m2/an. Et pourtant, on continue de problématiques (foncier, portage immobilier, programma- construire des zones commerciales de périphérie. Depuis tion...) devait simultanément partir sur les routes de France. les années 1990, le rythme des ouvertures a même doublé Mais voilà ! La crise sanitaire a tout stoppé. pour aboutir à cette situation absurde dans laquelle il existe plus de zones que la consommation ne peut absorber. La vacance en progression partout Comment en est-on arrivé là ? Par un processus endo- gène cannibale. « La révolution de la grande distribution Nous nous sommes malgré tout procuré l'étude qui devait est derrière nous », analyse Pascal Madry. « Il n'y a plus être présentée et discutée lors cette de AG, un document pour ce secteur de capacité de croissance. C'est pourquoi portant sur l'évolution de 2015 à 2020 de 1 800 zones les zones commerciales sont entrées en concurrence avec commerciales (90 000 points de vente au total) réparties elles-mêmes, pour piquer des parts de marché aux copains. dans 800 aires urbaines, l'échelle d'observation la plus perti- Les promoteurs, parce qu'ils arrivent avec leurs enseignes, nente selon l'IVC. Rappelons en préambule qu'en France, les parviennent encore à séduire les collectivités, naïves ou zones commerciales représentant 70 % des lieux de consom- complaisantes, qui se laissent appâter par la promesse mation, le commerce de centre-ville 17 % et le commerce d'emplois incertains. En créant une nouvelle zone commer- diffus 13 %. « Nous avons formulé deux hypothèses », déve- ciale sur leur territoire, les élus pensent pouvoir créer un loppe Pascal Madry. « La première part du principe que les flux mais cela revient à confondre la fin et les moyens zones commerciales sont responsables de la fragilisation des car l'équipement ne fait pas l'attractivité. Une seule règle centres-villes marchands, ce que nous pouvons définir comme devrait prévaloir : se baser sur les besoins réels, raisonner une crise de la centralité. La deuxième prétend à l'opposé par l'offre et non par la demande, car ça ne marche plus. que le problème des zones commerciales rejoint celui des La crise sanitaire du coronavirus en constitue la meilleure centres-villes marchands, que leur santé irait de pair, situation preuve : on a fermé trois quarts des enseignes dans le pays qui s'apparente à une crise urbaine ». et malgré cela, nous n'avons manqué de rien ! ». n° 112 juin-juillet 2020 15
DOSSIER Nouveau jeu d'acteurs opérations négociées, impulsées par le public et réalisées par le privé, comme Mérignac-Soleil, dans la métropole Le cannibalisme connaît, toutefois, lui aussi ses limites. Les bordelaise. grandes chaînes ferment les magasins les uns après les Peut-on considérer pour autant que nous sommes à un autres, les promoteurs voient leur terrain d'expression s'assé- point de bascule ? « Le fait est qu'un certain nombre de cher et les élus, qui généralement tirent la sonnette d'alarme collectivités cheminent dans leur réflexion », observe quand la vacance commerciale sur leur territoire dépasse Pascal Madry. « Nous voyons, en effet, des élus essayer 7,5 %, s'inquiètent. Aussi, commence-t-on à voir se dessiner d'organiser les choses en amont », confirme Pascal un nouveau jeu d'acteurs en faveur de la requalification de Barboni, directeur général délégué au développement l'existant, en s'appuyant sur les nouveaux paradigmes envi- chez Frey. « Nous avons ainsi répondu à plusieurs appels ronnementaux. Jusqu'à récemment, on ne savait pas requali- d'offres pour la réalisation d'études prospectives urbaines. fier sans créer de nouveaux mètres carrés. C'était toujours le Nous intervenons, par exemple, au sein d'un groupement serpent qui se mordait la queue. Mais aujourd'hui, à l'instar de pluridisciplinaire, à Toulouse et Chambéry ». Cela présup- ce que le new urbanism a pu produire aux États-Unis, on voit pose néanmoins un bon niveau d'attractivité du territoire. apparaître des opérations plus complexes, où l'on n'hésite Mérignac c'est l'agglomération de Bordeaux, une des pas à démonter des boîtes à chaussures pour « renaturer » et métropoles les plus attractives de l'Hexagone. Mais quid mixer les fonctions – commerce, habitat, emploi – des sujets de ce type d'opérations à Thiers, Vierzon ou Chatellerault ? qu'en théorie il n'aurait jamais fallu séparer, la spécialisation Si le couplage commerce-logement est intéressant, l'em- n'ayant jamais fait ses preuves. ploi ne suit pas toujours. La dynamique Rennes promeut, Les toutes premières opérations ont été réalisées dans la pour sa part, le modèle de la ville-archipel mais cela exige région de Troyes, à la forte tradition commerciale. C'est le une intégration politique forte. La question de la mobilité cas notamment dans la zone de Saint-Parres, dont la Zac est également primordiale. Bordeaux a tiré une ligne de a été clôturée cette année. Depuis, nombre de projets ont tramway jusqu'à Mérignac. Là aussi, les choses changent. émergé. Il existe quatre types de requalification de zone Jusqu'au début des années 2000, l'idée – reçue elle commerciale : les opérations privées, comme celle qui aussi – selon laquelle la grande distribution n'était pas concerne Actisud à Metz, où l'ensemble des mutations est compatible avec le transport en commun a conduit à la pris en charge par Etixia, détentrice de 100 % du foncier ; doxa du tout-voiture. « Pendant quinze ans, on a entendu les opérations « classiques » menées par un aménageur ça », peste encore David Mangin. « On ne pouvait pas faire public dans le cadre d'une Zac, comme l’Epase (Etablis- arriver de ligne de tramway jusqu'aux zones commerciales sement public d’aménagement de Saint-Etienne) à Saint- de périphérie, soi-disant parce qu'il était impossible de Etienne – Pont de l’Ane ; les opérations mixtes initiées par monter dedans avec un caddie. Mais il y avait une autre le public et déléguées à un opérateur privé dans le cadre raison à cette objection, moins avouable, et pourtant d'une Zac concédée, comme celles que conduit le groupe bien réelle : on ne voulait pas d'une population pauvre et Frey à Montpellier (Ode à la mer) ; enfin, plus rares, les jeune. C'est d'ailleurs d'une prise de conscience des popu- Vues du projet de transformation d’Actisud à Augny, près de Metz. © Etixia 16 juin-juillet 2020 n° 112
ZONES COMMERCIALES_DOSSIER lations et des professionnels de l'urbanisme – suivie de se doit d'avancer avec la plus grande prudence. « Quels celle des commerçants, qui ont fini par comprendre qu'ils formats pourraient être le plus mis à mal et sur le principe pouvaient en tirer de nouveaux bénéfices - qu'est venue des vases communicants, quels sont ceux qui tireraient une évolution en faveur des déplacements doux. Avec l'ar- leur épingle du jeu ? », s'interroge Pascal Madry. « Une rivée de tramways dans certaines zones commerciales, de partie de la réponse est peut-être, malheureusement, dans nouveaux clients en provenance des faubourgs ont fait leur les cessations de paiement et les liquidations judiciaires apparition, avec un panier d'achats certes plus réduit mais qui ne manqueront pas d'intervenir au cours de cette revenant plus fréquemment dans le temps ». En termes de année particulièrement douloureuse. Or, la grande distri- mobilité, le consommateur reste, toutefois, très contrasté bution semble a priori la mieux armée pour encaisser le dans ses déplacements. En banlieue, par exemple, la choc. La zone de périphérie à l'ancienne avec ses grandes voiture demeure le principal moyen de locomotion. Et enseignes, ses parkings et Amazon qui viendrait s'installer avant la crise du coronavirus, la distance pour s'approvi- à côté, pourrait alors parachever le modèle tant décrié des sionner avait même tendance à s'accroître. Trente Glorieuses et le développement des zones commer- ciales de nouvelle génération connaître un coup d'arrêt ». Quid du e-commerce ? Mais Ghislain Fauquet n'y croit pas : « toutes les grandes crises nous ont montré que les tendances qui émergeaient La contrainte du confinement a bien évidemment boule- avant reviennent après, souvent même avec un effet accé- versé la donne, le consommateur étant obligé d'aller au lérateur. Et celle-ci a quelque part donné encore plus de plus près, quand il n'optait pas pour le drive ou la livraison à sens à notre action ». domicile. L'observation en a automatiquement été biaisée. Laissons la conclusion à David Mangin : « ce qui serait « Nous n'avons que très peu de recul », modère Ghislain extraordinaire, ce serait déjà d'améliorer l'ordinaire, de Fauquet, leader marketing et communication chez Etixia. dépasser le mur de l'argent et les querelles de clocher, « Ce ne sont que des signaux faibles. Qu'en restera-t-il encore plus présentes dans les zones de périphérie qu'ail- dans un ou deux ans, une fois la pandémie derrière nous ? » leurs. Avec une vision mieux partagée des objectifs du Dans un éditorial du Monde Diplomatique du mois d'avril, développement durable et des projets urbains mieux cali- Serge Halimi se montrait très sceptique : « depuis trente brés, les agents de transformation se mobiliseront de plus ans, chaque crise nourrit l'espérance déraisonnable d'un en plus pour promouvoir une ville recomposée. Et du fait de retour à la raison, d'une prise de conscience, d'un coup la taille des espaces qu'ils engagent, de leur attractivité et d'arrêt. Une fois la tragédie du Covid-19 surmontée, allons- du mélange de population qu'ils génèrent, ces territoires nous irrémédiablement changer nos modes de consomma- sont peut-être aujourd'hui la mère de toutes les batailles à tion ou tout recommencera-t-il comme avant ? ». mener ». Ces paroles datent de 2014, pourtant elles n'ont L'équation à plusieurs inconnues pourrait aussi se poser pas pris une ride avec le coronavirus. Cette fois, il y n'a en ces termes : quels seront les lieux de commerce les plus de malentendu possible. plus résilients ? Terrain miné sur lequel l'observateur Nicolas Guillon Actisud à Augny, le Hub. © Etixia n° 112 juin-juillet 2020 17
DOSSIER PASCAL MADRY : « APRÈS LA CRISE SANITAIRE, DEUX SCÉNARIOS POSSIBLES » Le directeur de l'Institut de la Ville et du Commerce répète qu'il ne faudrait jamais aborder la question de l'urbanisme commercial sans chausser des lunettes d'économiste. Il nous en fait ici la démonstration tout en s'essayant au délicat exercice de la prospective post-coronavirus. DR L'anthropologue Stéphane Juguet, expert de la rue a aussi un côté rassurant. Après cette assignation à des questions urbaines, explique que le confinement a domicile, on va peut-être aussi vouloir réhabiliter les marchés été la redécouverte de « la ville du chausson », celle forains, la production locale, ces nouvelles valeurs qu'on où il faut réussir à trouver les ressources de première voyait s'installer chez une partie des consommateurs. nécessité dans un rayon de 500 mètres autour de chez soi. Que cette crise sanitaire a fait l'éloge du micro au À condition que le petit commerce survive à cette détriment du macro, de l'hyper proximité contre la crise... périphérie. Partagez-vous ce constat ? C'est une évidence. Peu de commerces devraient atteindre C'est en effet une vision des choses très intéressante. L'ana- cette année 60 % de leur chiffre d'affaires de 2019. Sachant lyse des tickets de caisse sur cette période nous montre que 60 % de ceux-ci n'atteignent pas un résultat net de que les supermarchés (2 à 3 000 mètres carrés), que l'on 30 000 euros (source : FCGA), beaucoup risquent de se oppose rarement aux hypermarchés, sont parmi les grands retrouver en très mauvaise posture en fin d'exercice. Car gagnants de cette crise. En l'occurrence, le maillage de les mesures gouvernementales sont surtout des mesures proximité qu'ils offrent constitue indéniablement un atout de report. De prime abord, nous avons affaire à un État très au regard de l'éloignement des hypers. Mais nous pourrions interventionniste, protecteur, mais celui-ci n'a jamais dit qu'il aussi dire que le confinement a profité à « la ville du canapé » rétablirait le chiffre d'affaires à la fin. Qui tiendra ? Si on met car durant cette période, le chiffre d'affaires des drives et de tout le monde sur la ligne de départ après le déconfinement, la livraison à domicile a été multiplié par deux. je suis à peu près certain de retrouver les hypers sur la ligne d'arrivée. Les autres ? Cette crise ne va-t-elle pas modifier durablement les habitudes du consommateur, en recherche de sécu- Sur ces bases de réflexion, peut-on se hasarder à rité sanitaire ? l'exercice de prospective ? Il est en effet fort probable que les habitudes prises par le Disons que deux scénarios peuvent être avancés. Un consommateur durant le confinement laissent des traces premier, « hypocondriaque », qui verrait un prolonge- tant dans le choix de ses lieux d'achats que dans le choix des ment de ces comportements de consommation observés produits. Il est certain que les produits locaux vont être désor- durant la crise, motivés par la recherche de limitation des mais préférés aux produits chinois. Mais durant cette crise, contacts. Cela se traduirait par un repli de l'acte d'achat le consommateur a surtout expérimenté la distanciation, vis dans la sphère domestique à travers le recours accru à à vis de l'autre, et de l'argent liquide. Pour la première fois, la livraison à domicile ; et une diminution de la fréquen- nous avons massivement fait l'expérience du commerce sans tation des magasins physiques, à l'exception des grandes contact. Ce ne sera pas sans lendemain. Cette façon de faire surfaces perçues – à tort ou à raison - comme permettant rassurante sur le plan sanitaire pourrait perdurer, voire devenir de maîtriser la distanciation. En termes d'aménagement, la norme. Et si l'on pousse encore plus loin le raisonnement, s'opérerait une polarisation croissante du commerce dans on se dit que la grande distribution que l'on trouve dans les les zones de périphérie ainsi qu’un fort développement zones de périphérie a cette capacité de développer toutes les d’interfaces d’échange permettant des achats découplés : interfaces possibles. Comme les GAFA d'ailleurs. La concen- livraison à domicile, consigne, drive, etc. Ce scénario se tration des grands acteurs pourrait donc s'accélérer. Et en heurte, toutefois, à un défi écologique et... sanitaire. Des même temps, le commerce de contact, la boutique du coin chercheurs du Laboratoire Aménagement, Économie et 18 juin-juillet 2020 n° 112
ZONES COMMERCIALES_DOSSIER Transports (LAET) ont, en effet, démontré que la vente en majeure. Il promeut des formes de commerce n’ayant grande surface et la livraison à domicile sont les formes jamais démontré leur capacité à générer les économies de commerce les plus polluantes. Le consommateur irait d’échelle nécessaires à l’approvisionnement de marchés donc à l'encontre du but recherché. de consommation de masse. Pour son auto-suffisance en produits locaux, l'Île-de-France devrait mobiliser 3 millions Et quel est le deuxième scénario ? d'hectares, ce qui nécessiterait malgré tout des déplace- Un scénario de « reterritorialisation » qui verrait a contrario ments de 300 kilomètres. le consommateur chercher à renouer le contact avec le commerce, motivé par un désir de maîtrise de la chaîne La solution ne se trouve-t-elle pas entre les deux, dans d'approvisionnement. Les gagnants de la crise seraient une forme d'hybridation ? ainsi peu à peu délaissés voire rejetés au profit de Probablement. D'ailleurs, on le voit déjà. Des commer- formes alternatives privilégiant la proximité et la qualité. çants indépendants, du type maraîchers, utilisent Internet. En termes d'aménagement, cela se traduirait par la réin- Et de l'autre côté, la notion de filière vient s'inviter dans troduction dans le tissu urbain de filières de production les grandes surfaces. Une chose est sûre, d'une façon et la réhabilitation de formes traditionnelles de vente : ou d'une autre, les communes vont devoir s'assurer une artisanat, marchés forains, producteurs locaux... C'est maîtrise suffisante de leur territoire. La crise accélérera l'exemple de Singapour qui ne dispose d'aucune terre certainement un processus de modernisation. Lequel ? mais développe les fermes urbaines en nombre sur ses C'est sans doute le consommateur qui a la clé. toits. Mais ce scénario se heurte, lui aussi, à une difficulté Propos recueillis par NG MONTPELLIER SE FREY UN CHEMIN JUSQU'À LA MER Projet Ode à la mer, à Montpellier. © Frey Ode à la mer : le nom est un peu ronflant et 75 000 m2 de bureaux. « Le déclin des entrées de ville mais il faut bien avouer que le projet est imposant. Lancé commerciales est amorcé et il est le reflet d'un échec à en 2014 par Montpellier Agglomération et les communes la fois urbanistique, architectural, écologique et écono- de Lattes et Pérols, ce projet urbain, car il doit être consi- mique », poursuit Pascal Barboni. « Le modèle a donc obli- déré comme tel, vise la reconquête sur 250 hectares gation de s'adapter ». d'une entrée commerciale historique. « Il s'agit ni plus ni Validé par le Conseil d'Etat en 2017, Ode à la mer fait moins de reconstruire de la ville sur la ville, sur la route qui toutefois l'objet de nombreux recours et fut un des sujets mène à la mer », résume Pascal Barboni, directeur général brûlants de la dernière campagne des municipales. Les délégué au développement chez Frey. Le groupe s'est vu plus virulents de ses opposants lui prédisent même le confier l'acte I de l'opération à travers l'attribution d'un destin d'Europa City. Pascal Barboni a, lui, une conviction macro-lot de 10 hectares. La forte densité de cette zone profonde : « dans notre monde moderne, les gens ont de va permettre de transférer des commerces pour intro- plus en plus besoin de sociabilisation et la période du confi- duire de nouvelles fonctions. Le projet, très axé « loisirs », nement aura à mon avis renforcé ce phénomène. C'est a également la particularité de rapatrier des enseignes sans doute d'ailleurs la limite du e-commerce. Voilà pour- d'autres zones vieillissantes des alentours. À terme, ce quoi j'ai tendance à penser que les concepts de type shop- sont 6 000 à 8 000 logements qui doivent sortir de terre, ping promenade ont de l'avenir ». (NG) n° 112 juin-juillet 2020 19
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