Cristian Măcelaru le Trio Wanderer - des concerts - Cadences
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L’ AC T UALI T E D E S CO N C ERTS E T D E L’ O PE R A Mahler © Radio France / Christophe Abramowitz le chant de la terre le Trio Wanderer Cristian [ n° 358 novembre 2022 ] Le calendrier des concerts Măcelaru à Paris et en direction Île-de-france
sommaire Anniversaire © Bibliothèque musicale La Grange-Fleuret L eS d o s s i e rs Mahler, Le Chant de la Terre 2 © M. Ribes & A. Vo Van Tao Gluck, Armide 4 Jules Massenet, Hérodiade 14 Il y a 80 ans… Véronique Gens 4 Naissait le Concours Long-Thibaud, sur une © Christian Kargl idée de la pianiste Marguerite Long et du violoniste Jacques Thibaud. Les deux célèbres solistes avaient déjà une très riche carrière l e s c o n c e rt s derrière eux (Marguerite avait d’ailleurs créé à paris 18 le Concerto pour piano en sol majeur que Maximilian Schmitt 2 et en île-de-france Ravel lui avait dédié), enseignaient dans d’illustres institutions et se retrouvaient régulièrement pour des projets de musique à P a ri s CD 28 de chambre. En fondant le concours, Portrait 8 ils souhaitaient faciliter les carrières des Cristian Măcelaru jeunes talents et leur donner un rayonnement L’actualité des concerts 6 international, dans les domaines du piano E. Haïm, David et Jonathas… et du violon. Ce fut une totale réussite si l’on regarde les musiciens de légende que le Contemporain 10 concours mit en lumière, comme le pianiste Philip Glass Samson François, lauréat de la première © Raymond Meier Musique de chambre 12 édition (1943), ou encore les violonistes Christian Ferras (1949) et Ivry Gitlis (1951). Trio Wanderer Présidé ou dirigé au fil des années par des figures majeures de la scène musicale (Yehudi Publi-reportage NO(S) DAMES 16 Philip Glass10 Menuhin, Martha Argerich, Kurt Masur…), le concours s’affirma comme l’un des plus prestigieux du monde. Après avoir connu une phase d’incertitude, le Concours Long-Thibaud devint brièvement le Concours Long-Thibaud- Crespin (en hommage à la soprano Régine Crespin), s’ouvrant à l’art lyrique. Il revient finalement à ses origines en se centrant uniquement sur le piano et le violon. Cette année, il est consacré au piano et se déroulera du 7 au 13 novembre, à la Salle Cortot puis au Théâtre du Châtelet pour la finale avec orchestre. E.G. Cadences • ISSN 1760 - 9364 • édité par les Concerts Parisiens • SARL au capital de 10 000 euros • 21, rue Bergère 75009 Paris • Tél. 01 48 24 40 63 • Fax 01 48 24 16 29 • Siret 44156960500013 • Directeur de la publication : Philippe Maillard • Publicité : tél. 01 48 24 40 63, publicite@ cadences.fr • Rédacteur en chef : Yutha Tep • Chef de rubrique : Élise Guignard • Ont participé à ce numéro : Michel Fleury, Michel Le Naour, Pierre Verdier • Conception graphique : Astrada design • Diffusion : Sophie Borgès, sborges@ cadences.fr • Impression : RPN-Groupe Prenant, Vitry-sur-Seine • Tirage : 40 000 exemplaires • Abonnement : 6 nos 30 € novembre 2022 cadences 1
dossier Mahler Le Chant de la Terre Cette symphonie de lieder est l’œuvre la plus novatrice de et les pulsions du désir terrestre engendrait de Mahler et également son émouvant chant d’adieu. profondes souffrances. L’intimation de faire ses L adieux s’imposait à l’homme qui, par sa propre e Chant de la Terre, extase, avait suffisamment mûri pour saisir la synthèse entre Lied valeur bienfaisante de son Dasein. Tragique na- et symphonie, ces ture d’un prophète aveuglé par la clairvoyance deux pôles de la créa- de son propre regard, qui étreint tout être ai- tion malhérienne, marque mant dans l’ivresse de son extase créatrice, mais aussi le début de sa troisième qui, en fait, ne peut plus rien saisir. Du conflit et dernière période créatrice. intérieur de celui qui errait entre les mondes « Le sentiment que tout ce qu’il sont nées les trois œuvres ultimes. C’est une troi- a fait jusque-là n’est qu’un sième période créatrice qui se dessine, différente © Médiathèque Musicale Mahler, Paris faible commencement, qu’une des deux précédentes par le sentiment poétique vie vraiment créatrice va seu- et le style musical, et engendrée cependant par lement commencer, cette clair- la nature la plus intime de l’auteur. » (Paul Bek- voyance de celui qui se tient à ker). Peut-être les évènements extérieurs (les la frontière de l’autre monde, a trop fameux « coups de destin ») ont-ils pu pré- inspiré les dernières œuvres de cipiter cette « troisième manière » : la tumul- Mahler. » (Paul Bekker). tueuse rupture avec l’opéra de Vienne, la mort de sa fille aînée et le diagnostique de la grave Un chant maladie de cœur qui, bientôt, précipiterait sa fin. Enfin, en composant cette œuvre hybride d’adieu Gustav Mahler sut concilier entre Lied et symphonie, qu’il intitulerait sym- une brillante carrière de phonie, Mahler pensait sans doute tromper S ’y exprime une âme désenchantée et soli- chef d’orchestre avec la le destin en franchissant subrepticement le taire, attendant son heure, au lendemain composition d’œuvres chiffre 9, si fatidique pour Beethoven, Schu- de l’acte d’amour universel représenté par la puissantes et novatrices. bert, Bruckner et Dvořák (sa Neuvième serait Huitième, colosse à part, mais tentant lui aussi en réalité sa Dixième…). Comme on le sait, cette de fondre chant et symphonie dans un même ruse échoua… monde sonore… Chaque œuvre de Mahler est à la fois en elle-même unique et liée à celles qui la précèdent ; elle représente la « préparation » La conscience de la suivante. Le tournant est d’autant plus du poids du monde marqué en ce qui concerne Le Chant de la Terre qu’il correspond à une profonde mutation inté- rieure. La conscience de l’accomplissement de tout ce qu’il avait accompli jusque-là éveillait C ’est à cette époque de crise intérieure qu’un ami communiqua à Mahler un recueil de poèmes chinois adaptés par le poète allemand soudain une conscience aiguë de sa solitude. Hans Bethge, à partir de traductions des origi- « L’Univers sonore était créé, le créateur appa- naux en français, en anglais et en allemand, raissait lui-même, à ses propres yeux, en trop. Les 9 & 10 novembre– Théâtre intitulé Die chinesische Flöte. Ce recueil ras- Mais l’homme qui était en lui n’avait pas encore du Châtelet semblant une quarantaine de textes arrangés Klangforum Wien. Dir. : E. Pomarico. atteint le ciel entrevu dans ses rêves. Une faim dans l’esprit de l’imagerie d’Extrême Orient P. Quesne, mise en scène, conception ardente d’amour et de vie s’élevait et le conflit & scénographie. Avec C. Daletska, langoureux alors cultivé par le Jugendstil, à entre une âme passionnément éprise de divin M. Schmitt. grand renfort de pièces d’eau, de fleurs de 2 cadences novembre 2022
paris © Astrid Ackermann. © Yuri Helytovych Lotus, de pavillons de porcelaine et de ponts qu’une beauté indifférente et immuable, re- de jade, était comparable au célèbre Buch der fuge temporaire pour l’ami qui gagne les mon- hängenden Gärten de Stefan George, mis en tagnes lointaines après son adieu au monde. musique par Schönberg. Ces poésies impré- Tout est dit à mi-mot : les puissants excès des gnées de la conscience du caractère éphémère sommets d’intensité des symphonies anté- © Christian Kargl de toute chose et de pressentiments funèbres rieures sont proscrits, et l’immense orchestre s’accordaient bien au pessimisme du musicien. cultive la texture transparente d’un ensemble Mahler en a sélectionné sept, remontant aux de chambre. Les instruments s’expriment vo- viie et viiie siècles : La chanson à boire de l’afflic- lontiers en solistes, en une polyphonie aérée tion de la terre (Li-Tai-po), Le solitaire à l’au- dont les ramures s’incurvent dans une sur- tomne (Tchang Tsi), Le pavillon de porcelaine, Christina Daletska et prenante indépendance les unes des autres, ce Sur la rive, Le buveur au printemps (Li-Tai-po), Maximilian Schmitt qui contribue à des frottements harmoniques Dans l’attente de l’ami (Mong-Kao-Yen), L’adieu interpréteront le chef- audacieux, dont l’acidité traduit parfaitement de l’ami (Wang-Wei). Ces poèmes n’ont pas été d’œuvre de Mahler avec l’ironie amère du propos poétique. La forme mis bout-à-bout au hasard. Ils valent comme le Klangforum Wien symphonique s’affirme dès le premier mouve- un tout, un tableau de la vie et du monde. Leur placé sous la direction ment : le conflit entre la douleur du monde et choix résulte de leur cohérence avec la vision d’Emilio Pomarico. la joie désespérée du buveur donne lieu à un que le « promeneur solitaire » a de l’univers. vrai développement d’allegro de sonate dans S’identifiant à ce promeneur désabusé, Mahler l’interlude symphonique qui suit la deuxième devait être particulièrement réceptif à des vers repères strophe ; le Solitaire en automne tient lieu de tels que : « Sombre est la vie, et la mort », « Mon mouvement lent, et les trois poèmes suivants, 7 juillet 1860 : naissance à Kalischt cœur est las » ou « Les hommes fatigués fer- de scherzo. Tout converge vers l’immense fi- en Bohême ment leurs yeux ». À son habitude, il a retouché nal, dans lequel la voix n’est qu’un instrument 1875-1878 : études au conservatoire ici et là les textes, ajoutant quelques vers de son parmi les autres. Ici s’éprouve physiquement le de Vienne cru, et il a réuni les deux derniers dans le final, poids du monde, sa pulsation éternelle et hié- 1888-1891 : directeur de l’opéra sous le titre de l’Adieu. L’œuvre se présente fi- de Budapest ratique dans la scansion de basses insondables nalement en six Lieder : La Chanson à boire de 1888 : Symphonie n° 1 « Titan » sous-tendant les bruits de la nature. Laissons l’affliction de la terre, Le Solitaire à l’automne, la parole à Paul Bekker dont la somme (Gustav 1891-1897 : premier chef d’orchestre De la jeunesse, De la beauté, Le Buveur au prin- à Hambourg Mahlers Sinfonien, Schuster & Loeffler, Berlin, temps, L’Adieu. Interfèrent ainsi les thèmes ré- 1894 : Symphonie n° 2 1920) n’a jamais été égalée à ce jour : « Le mo- currents des œuvres antérieures, mais comme « Résurrection » tif de la terre s’élève une dernière fois vers les décantés et stylisés, avec une sorte de recul 1896 : Symphonie n° 3 étoiles, délivré de la souffrance et de l’illusion. et de fatalisme qui les rend d’autant plus poi- 1897-1907 : directeur de l’opéra Dans des nuances toujours plus douces, il se gnants : l’éternelle solitude, la fugacité de toute de Vienne fond dans la voix, annonçant l’éternelle florai- chose et son corollaire, le regret (de la jeunesse, 1900 : Symphonie n° 4 son, le perpétuel renouveau. La voix du Solitaire de la beauté), le rire (à travers les larmes) d’un 1902 : Symphonie n° 5 en route vers ses montagnes natales s’éloigne clown triste dont le seul exutoire est l’ivresse 1904 : Symphonie n° 6 peu à peu, invoquant l’éternité, comme venue qui rend même indifférent aux beautés du « Tragique », Kindertoten Lieder d’un autre monde, jusqu’aux limites du silence. printemps et de la nature. Dans le final, les 1905 : Symphonie n° 7 Dans les profondeurs, le do majeur des trom- sonorités d’orgue de barbarie de l’orchestre 1906 : Symphonie n° 8 bones et des cordes, reposant au-dessus, le la du expriment l’amertume d’un saltimbanque : la hautbois et de la flûte. Le motif mi-sol-la, figé en 1908 : Das Lied von der Erde nature est la toile de fond, mais elle n’est plus accord, s’ensommeillant doucement sur le socle 1910 : Symphonie n° 9 la source où puiser des forces dionysiaques mystique du do au fond de l’abime… » 18 mai 1911 : mort à Vienne comme dans la Troisième ; elle n’est plus • Michel Fleury novembre 2022 cadences 3
dossier Gluck Armide Au cœur du débat entre défense du style français ou du style italien, Armide de Gluck fit beaucoup parler à sa Lorsqu’il commença la composition de son Armide, une partie du milieu musical n’ap- création. Le compositeur y atteint de nouveaux sommets prouvait pas du tout le tournant qu’il faisait d’expressivité, sublimant le livret de Quinault presque prendre à l’opéra. L’Opéra de Paris décida de le confronter à Niccolò Vito Piccini, qui incar- un siècle après le chef-d’œuvre de Lully. On entendra nait l'excellence musicale italienne, en com- l’ouvrage ce mois-ci à l’Opéra Comique. L mandant l'opéra Roland à celui-ci. Le conflit e contexte entou- qui opposait les mélomanes entre défenseurs rant la création en et censeurs du style français agita la presse 1777 d’Armide de beaucoup plus que les musiciens eux-mêmes, Gluck nous replonge qui se vouaient un grand respect mutuel. Les dans le conflit qui opposa les tenants et les aboutissants de cet affrontement adeptes de l'opéra français n'étaient par ailleurs pas que musicaux mais et les adeptes de l'opéra ita- également politiques : tous les partisans de lien au milieu du xviiie siècle. Gluck étaient aussi ceux de Marie-Antoinette Enclenché dès 1752 avec la tandis que tous ses opposants s'affichaient fameuse « Querelle des Bouf- comme des adversaires de la jeune Autri- fons », ce différend refit sur- chienne. face face aux réformes mises en place par le compositeur à la fois dans l'opera seria Les passions à nu italien et dans la tragédie ly- rique française. Dès son Orfeo ed Euridice, R eprendre le livret d’Armide écrit par Qui- nault ne manquait pas d’audace de la © D.R. Gluck avait pris beaucoup part de Gluck, car à ce moment-là, personne de liberté par rapport aux n'osait toucher aux livrets du librettiste qui conventions de l'opera seria, limitant la place Christoph Willibald avait travaillé avec le grand Lully, et les cri- de la voix soliste qui jusque-là exprimait à elle Gluck marqua son tiques se montraient impitoyables envers ceux seule les émotions des personnages (et dont la époque en réformant qui osaient se mesurer au compositeur du Roi partie virtuose constituait l'essence même du la tragédie lyrique. Soleil. Qui plus est, Gluck reprenait le livret de spectacle). Conscient d'autre part que la tra- son opéra le plus emblématique. Armide était gédie lyrique, telle qu'on la connaissait, avait la tragédie lyrique qu'on citait en exemple déjà donné ce qu'elle avait de meilleur et plai- pour parler de la fine fleur de l'opéra français, sait de moins en moins à un public européen et la comparaison pouvait effrayer. Le choix qui ne parlait pas toujours français, Gluck vou- de Gluck était pourtant bien compréhensible : lait tenter de lui donner un nouveau souffle, le livret de Quinault offrait l'opportunité de la recherche du naturel dans l'expression des dépeindre une gamme large de sentiments hu- sentiments devenant sa ligne de mire. Les or- mains, de l'amour à la fureur. Son intrigue est nements furent réduits au minimum, l’esthé- rythmée et découpée en cinq actes : Armide, tisme pur s’effaçant au profit d’une émotion magicienne redoutable par ses enchantements directe, concrète, capable de toucher le specta- Du 5 au 15 novembre – et par sa beauté, est éprise de Renaud, un témé- teur. Dans la préface d'Alceste, le compositeur Opéra Comique raire chevalier. Il l'éconduit et l’abandonne, la définissait ainsi son travail : « J'ai cherché à Chœur Les Éléments, Les Talens laissant déchirée entre son amour pour lui et Lyriques. Dir. : C. Rousset. L. Baur, mise réduire la musique à sa véritable fonction : celle sa soif de vengeance. Le personnage d’Armide, en scène. Avec V. Gens, I. Bostridge, de seconder la poésie pour fortifier l'expression E. Crossley-Mercer, A. Morel, P. Estèphe, tiré de La Jérusalem délivrée du Tasse, est pas- des sentiments et l'intérêt des situations [...] ». F. Valiquette… sionnant par ses ambiguïtés et correspond à 4 cadences novembre 2022
© M. Ribes & A. Vo Van Tao paris Véronique Gens interprète le rôle- titre à l’Opéra Comique. un modèle qui a inspiré les artistes dans tous les domaines : celui de la sorcière tourmentée par l'amour. On peut voir en Armide une cou- sine de Médée, de Circé ou même de Calypso. L'opéra de Gluck s'ouvre sur une musique qui fait sentir un certain flottement, avec un thème qui nous suggère l'indécision d'Armide plutôt que sa colère. À l'acte II on trouve deux passages essentiels : l'« air de sommeil » de Re- naud, où les cordes reproduisent le bruit d'une rivière et la flûte le chant d'un oiseau, et un monologue d'Armide à la fin de l'acte. Gluck sut en tirer le potentiel théâtral pour composer des pages de musiques magnifiques, comme l'avait fait Lully avant lui. Le récit et l'air qui suit « Enfin il est en ma puissance » nous montre une sorcière furibonde qui finit par céder à l'amour, renonçant à son désir de ven- geance. Le troisième acte nous amène à une tension dramatique forte avec l'arrivée de la Haine, dont le chant se voit transpercé par la voix accablée de la magicienne. On retrouve des thèmes que Gluck avait employés dans d'autres opéras, notamment dans Telemaco. La fin de l'opéra nous réserve un dernier moment d'émoi avec le second grand monologue d'Ar- mide. Abandonnée par Renaud, désespérée, elle atteint les frontières de la folie et laisse libre cours à sa colère, envoyant ses démons démolir le palais. L’Armide de Gluck connut finalement un suc- cès phénoménal, bien plus que le Roland de Piccini, et devint l’une des pièces incontour- nables du répertoire des théâtres lyriques à partir de là. Loin de jeter l'éponge, les picci- nistes continuèrent à livrer bataille aux gluc- kistes, bataille dont l'acmé fut atteinte lorsque les deux musiciens composèrent presque simultanément une Iphigénie en Tauride. Et cette fois, le succès fulgurant de Gluck coupa court à la querelle… • Élise Guignard novembre 2022 cadences 5
les concerts du mois Coup de cœur Marc-Antoine Charpentier Emmanuelle Haïm, direction David et Jonathas Les 10, 11 & 12 novembre (Chapelle Royale de Versailles) Transmission Lors de la création qui eut lieu 17 novembre (Chapelle Royale, Versailles) le 28 février 1699 au Collège 18 novembre (Église Notre-Dame, Pontoise) Louis-le-Grand, la musique de David et Jonathas apportait un éclairage psychologique à une pièce de théâtre donnée ©Senne Van der Ven simultanément, une tragédie en latin intitulée Saül née de la plume du Père Pierre Char- millart, dont on ne peut que deviner l’intigue, ce texte étant © Marianne Rosenstiehl totalement perdu. Saül s’inscrivait dans la tradition du théâtre jésuite, développé sur les ailes de la Contre-Réforme dès le mi- lieu du xvie siècle en Italie, et destiné à l'édification religieuse et morale des futurs dirigeants formés dans les établissements jésuites. Ce théâtre s'accommodait parfaitement d'intermèdes musicaux qui prirent une place de plus en plus grande : des spectacles tels que David et Jonathas étaient extrêmement cou- À la Chapelle Royale de Versailles, à l’Église Notre-Dame rus, et l’on ne reculait devant aucune dépense. Même s’il s’agit à Pontoise puis à la Chapelle de la Trinité à Lyon, Emma- d’une tragédie biblique, Charpentier respecte le modèle établi nuelle Haïm dirige un projet d’envergure autour du grand par Lully et son œuvre contient bien un prologue et cinq actes. motet à l’époque de Louis XV. Il réunit des étudiants issus Ce qui frappe à l'écoute de David et Jonathas, c'est la limpi- de prestigieuses institutions musicales françaises (Conser- dité admirable de la texture sonore ou encore la sensualité vatoires Supérieurs de Musique de Paris et de Lyon, Centre des galbes mélodiques, sans compter un élan musical solaire. de Musique Baroque de Versailles, Jeune Chœur de Paris). Peut-être faut-il chercher les raisons de cette beauté immédiate Il faut dire que la cheffe française a toujours accordé une dans l'objectif pédagogique même de l'œuvre, l'édification pas- importance de premier plan à la transmission : « Par le pas- sant alors par la séduction des sens. sé j’ai enseigné dans plusieurs structures, j’ai notamment été Avec une brillante distribution emmenée par Reinoud Van professeur d’écriture dans les deux conservatoires supérieurs Mechelen en David et Caroline Arnaud en Jonathas, Gaétan de France, Paris et Lyon, puis j’ai également longtemps ensei- Jarry fera scintiller les couleurs de son Ensemble Marguerite gné le répertoire baroque aux chanteurs dans celui de Paris. Louise, dans une mise en scène de Marshall Pynkoski, un grand J’ai beaucoup aimé ces années de transmission et d’échange habitué de Versailles. avec de jeunes artistes en devenir, que je retrouve parfois maintenant sur la scène. Aujourd’hui, j’enseigne avant tout lors de master class, sur la rhétorique à la française, l’orne- Nathanaël Gouin piano Chopin, Concerto pour piano n° 2 mentation à l’italienne, ou lors de projets de concerts spé- cifiques. J’essaie de continuer à trouver du temps pour les jeunes. Par ailleurs, pour chacune de ses productions, Le Le 19 novembre (La Seine musicale) Concert d’Astrée développe des projets satellites, notamment Il compte parmi les jeunes pianistes pédagogiques. La médiation et l’action culturelle sont très les plus étroitement suivis par le importantes pour nous. » En résidence au Centre de Mu- monde musical. Avec sa technique sique Baroque de Versailles, Emmanuelle Haïm y multiplie transcendante, Nathanaël Gouin est ses interventions et productions : « Nous avons fait l’année assurément à la hauteur des défis po- dernière un travail autour de la cantate française avec les © Nikolaj Lund sés par les partitions de Chopin, dont Chantres, et cette année nous allons aborder les histoires il soigne aussi le cantabile avec un sacrées et la tragédie lyrique. Le prochain projet, donné à art achevé – on en aura une nouvelle Versailles puis à Pontoise et à Lyon, est un chantier vaste car preuve dans un florilège en première il réunit des étudiants aux cursus différents. Certains d’entre partie de concert. Ensuite, aux côtés de l’orchestre Appassio- eux aborderont, pour la première fois des instruments qui ne nato de Mathieu Herzog, il abordera le Concerto n° 2 du maître font pas partie de leur quotidien, comme la basse de violon. franco-polonais et en soulignera la délicatesse mozartienne. On Je suis accompagnée pour cela par plusieurs musiciens du ne peut rêver meilleur guide pour dévoiler Chopin aux fidèles Concert d’Astrée qui seront leurs mentors. » de la série « Vous trouvez ça classique » à La Seine Musicale. 6 cadences novembre 2022
paris Julie Fuchs soprano Mozart, airs d’opéras & de concert Le 21 novembre (Théâtre des Champs-Élysées) La voix de Julie Fuchs s’épanouit su- perbement, comme vient de le prou- ver sa Giulietta bellinienne à l’Opéra Bastille. Avec ce récital mozartien dans le cadre des Grandes Voix, la so- prano française captivera avec cette pulpe vocale qu’elle montre depuis © D.R. ses débuts. S’y ajoute une insigne net- teté instrumentale indispensable dans Mozart. Entourée des Siècles dirigés du violon par Kati Debret- zeni, elle proposera « tubes » (Susanna des Noces de Figaro…) ARMIDE et pages rares (la cantate Per la ricuperate salute di Ofelia peut- être composée à deux plumes avec Antonio Salieri !). Maîtrise Notre-Dame de Paris Monteverdi, Carissimi, Gabrieli Christoph Willibald Gluck Le 23 novembre (Église Saint-Eustache) Pour ce concert à l’Église Saint-Eus- tache, devenu son refuge depuis l’incendie de l’illustre cathédrale, 05 > 15.11 la Maîtrise Notre-Dame placée sous la direction experte d’Henri Chalet (avec l’orgue éloquent d’Yves Casta- © J.-B. Millot gnet) nous propose un programme plantureux à la gloire du Seicento ita- lien, avec de grandes pages de Monte- verdi, extraites notamment de la Selva Morale e Spirituale. Mais on prêtera aussi une oreille attentive à l’« histoire sacrée » de Direction musicale Carissimi, Jephte, qui influença tout le xviie siècle tardif, notam- Christophe Rousset ment Charpentier en France. Mise en scène Lilo Baur Percussions de Strasbourg Chœur Ikeda, 100 Cymbals Les éléments Le 26 novembre (Cité de la musique) Orchestre Faut-il encore parler de concert ? Ryo- Les Talens Lyriques ji Ikeda se revendique artiste visuel et sonore : on ne s’étonnera pas que cette soirée éblouisse l’œil et grise Licence E.S. L-R-21-8858 - Création graphique : © Claudia Hensen l’oreille. Avec 100 Cymbals, entre- Production Opéra Comique prise digne en tous points de leur his- toire prestigieuse, les Percussions de Strasbourg emmenés par Minh-Tâm opera-comique.com Nguyen, leur directeur artistique, nous plongent dans un univers sonore absolument passion- 01 70 23 01 31 nant. Il faut prendre le titre de l’œuvre à la lettre : il y aura bien 100 cymbales disposées dans la salle (les Percussions sont allés jusqu’en Turquie pour trouver leur idéal vibratoire, pour reprendre leur terme) que feront vivre dix solistes. novembre 2022 cadences 7 OPERA COMIQUE armide AP cadences 92x261 HR.indd 1 26/09/2022 11:20
portrait Cristian Măcelaru chef de cœur nous sommes capables aussi d’apprendre du sa nomination comme directeur musical de l'orchestre national de france avait quelque peu surpris. annoncée passé de notre orchestre ». Cet attachement à la si riche histoire du National va de pair avec pour septembre 2021, sa prise de fonction a été avancée à une fierté plus large : « Le passé du National est septembre 2020, reflet du véritable coup de foudre entre la phénoménal, il y a eu avant moi de fantastiques phalange parisienne et cristian Măcelaru. chefs et directeurs musicaux, avec un répertoire immense et un nombre incroyable de créations : Le 17 novembre – Debussy, Messiaen, Dutilleux, sans oublier les Philharmonie liens étroits avec les compositeurs vivants. Je Maxim Vengerov (violon), Orchestre me sens la grande responsabilité de préserver National de France. l’incroyable tradition d’un orchestre qui a tou- Kodály, Mozart, Bartók. jours été sur le devant de la scène dans la culture française ». Le 24 novembre – Maison de la Radio © Radio France / Christophe Abramowitz Daniil Trifonov (violon), Orchestre National de France. Un tribut prudent Ravel, Scriabine, Franck. aux traditions N ulle question toutefois de s'abandonner à une routine, aussi confortable soit-elle et Cristian Măcelaru paie un tribut sincère mais prudent à une divinité parfois tyrannique, la tradition : « La tradition n'est pas une mau- du tac au tac vaise chose, car il est important de savoir ce que Votre son préféré ? Celui d’autres musiciens ont pu accomplir avant vous. d’un moteur de voiture J’essaie de comprendre comment et pourquoi parfaitement synchronisé. L sont nées toutes les traditions d’interprétation, Votre partition pour une île déserte ? e 27 septembre 2018, Cristian Une symphonie de Brahms. et surtout de savoir si elles aident vraiment la Măcelaru dirigeait pour la première musique. Parfois, on découvre simplement une Votre compositeur préféré ? Il est fois « le National » dans le plus péril- vraiment trop difficile solution pour interpréter plus facilement une leux des programmes : dans Vivier, de répondre. partition, et cette solution devient de plus en plus Berg ou Dusapin, les membres de l'orchestre Votre œuvre préférée ? Si je dois ancrée, finissant par donner naissance à une avaient été impressionnés par la précision de la diriger, Le Prince des Bois tradition. Pour ma part, je préfère aborder une sa battue, puis emportés par sa vision de l'Ada- de Bartók. œuvre comme si elle était entièrement neuve. gio de la Symphonie n° 10 de Mahler. De l'aveu Le compositeur que vous voulez Le désir et la volonté de l’orchestre d'aborder général, orchestre et chef unis en un même défendre ? Bartók, j’aimerais Ravel comme si c’était son premier contact tant qu’on le comprenne élan, les choses ne pouvaient pas en rester là. avec sa musique, de jouer Franck ou Scriabine mieux. Quatre années plus tard, perdure l'amour des comme si c’était la première fois, c’est le ma- Les objets qui ne vous quittent jamais ? premiers jours : « Vous savez, chaque semaine Mon chargeur de téléphone gnifique cadeau que la National me fait quand que nous passons ensemble, j’ai le sentiment et un crayon. nous nous retrouvons ». Cette volonté de se que nous dialoguons plus profondément et que Si vous deviez vous réincarner ? renouveler en permanence, Cristian Măcelaru nous découvrons toujours plus de choses, plus Ce serait en arbre, juste pour se l'impose d'abord à lui-même : « J’essaie de de possibilités pour jouer mieux. J’aime par être là et avoir le temps regarder chaque note en me demandant : si tu exemple le fait que beaucoup de jeunes musi- de regarder ce qui se passe n’avais jamais entendu cette note auparavant, autour de soi. ciens nous ont rejoints ces derniers temps mais comment l’approcherais-tu de la façon la plus 8 cadences novembre 2022
en couverture on se prépare à un concert, parce qu’il ne faut pas seulement chauffer ses muscles ou trouver le bon geste intellectuel. Il faut aussi savoir comment dévoiler ses émotions et c’est quelque chose que l’on apprend ! ». Parions que cette juste alchimie s'exprimera dans le Concerto pour orchestre de Bela Bartók donné le 17 novembre. Pour Cristian Măcelaru, même une figure aussi singulière que le maître © Christophe Abramowitz hongrois doit être époussetée : « Le Concerto 3 CD pour orchestre est une pièce tellement conser- vatrice si on la compare au reste de la produc- tion de Bartók. Il l’a composée à la fin de sa vie et elle est très traditionnelle dans son style, sa forme. Mais elle est remplie de vie et de joie dans ses passages en forme de danse, de beauté, de simple possible ? Ensuite, j’essaie une chose tristesse dans son mouvement lent. Je me bats puis une autre, ce qui détermine alors un cer- contre les traditions pour l’ensemble de l'œuvre Johannes Brahms tain langage harmonique, puis le caractère de Concerto pour violon, mélodies. de Bartók. Dans sa musique, il y a des dizaines la musique, etc. Tout cela cumulé devient alors Emmanuel Tjeknavorian (violon), de très petites – presque imperceptibles – indi- l’interprétation ». WDR Sinfonieorchester cations qui sont extrêmement importantes. Très Anna Lucia Richter (mezzo), souvent, on essaie de s’en accommoder pour Andreas Haefliger (piano). La juste alchimie entre 1 CD Berlin Classics rendre l’exécution plus facile, mais je ne peux pas m’y résoudre. Je tente de comprendre ce qui, cerveau et cœur dans le caractère de la musique, demande qu’on respecte toutes ces indications, même si parfois C e désir irrésistible de décortiquer chaque mesure ne signifie pas une battue abusi- vement scientifique : « Pour beaucoup de mu- cela relève de l’impossible. Par ailleurs, à mes yeux, il est très important, en particulier dans le Concerto pour orchestre, que le public sorte de siciens, tout vient du cœur. Pour moi, il faut la Camille Saint-Saëns la salle en ayant la conscience que la musique bonne alchimie. Le cœur est important bien sûr Intégrale des symphonies. de Bartók est le plus grand exemple de musique Olivier Latry (orgue), mais si ce que je fais ne satisfait pas mon cer- expressionniste. Je suis persuadé que, une fois Orchestre National de France. veau, je ne suis pas content. On jugera peut-être 3 CD Warner Classics cette idée acceptée, on comprend un peu mieux mon approche très intellectuelle. Je dis toujours son style. Si nous écoutons Bartók simplement que pour moi, la musique doit d’abord venir du comme de la musique moderne, et cela arrive cerveau, puis elle arrive au cœur et c’est seule- souvent, on ne fait qu’en égratigner la surface. ment à ce moment là que je peux l’offrir à un pu- Les publics ont encore peur d’ouvrir leur cœur à blic. En fait, je pense qu’il y a beaucoup de va-et- sa musique et si je parviens, à la fin de ma vie, à vient entre le cerveau et le cœur. J’ai appris cela changer cela, ce serait pour moi le plus merveil- notamment de Daniil Trifonov. Nous faisions un leux des cadeaux ». Wynton Marsalis concert ensemble et avant de monter sur scène, Concerto pour violon, Cristian Măcelaru vient d’être reconduit je l’ai entendu jouer la musique de façon très Fiddle Dance Suite. jusqu’en 2027. Les fidèles du National sont très lente. Il m’a dit : « Je suis juste en train de Nicola Benedetti (violon), bien chanceux ! chauffer mes émotions ». J’ai trouvé que c’était The Philadelphia Orchestra. • Yutha Tep 1 CD Universal/Decca un façon très belle de décrire la manière dont novembre 2022 cadences 9
Contemporain Philip Glass Einstein on the Beach créé en 1976, le premier opéra Comment décrire en quelques de philip glass est entré dans lignes ce monstre théâtro-mu- l'histoire de la musique. sa sical (ou musico-théâtral) ? Il complexité, tant dans les ne s'inscrit dans aucun genre identifiable (pas même celui effectifs mis en jeu que dans sa de l'opéra), avec pour ambition nature textuelle, explique qu'il d'évoquer un scientifique de n'apparaît que rarement sur légende sans élément biogra- les scènes internationales. ces phique (le personnage d'Eins- soirées à la cité de la musique tein est d'ailleurs campé par constituent donc des événements. un violon solo) et sa théorie V de la relativité du temps. Utili- énéré ou décrié, Philip Glass aura sant des chiffres, des notes de certainement marqué notre temps. musique littéralement énon- Coller un qualificatif à son œuvre cées, des poèmes d'un jeune colossale et protéiforme rélève de la autiste, Christopher Knowles, © Raymond Meier gageure : pape du minimalisme, gourou de la et des textes de Lucinda Childs musique répétitive ? Glass a récusé plusieurs et de Samuel M. Johnson (qui fois certains adjectifs utilisés, selon lui, mal joua le rôle du Juge et d'un à propos. De son propre aveu, Einstein on the Chauffeur de bus à Avignon), Beach ouvre une nouvelle période de sa créati- le livret tourne le dos à la nar- vité mais laquelle ? On serait bien en peine de Né en 1937, Philip Glass rativité traditionnelle. Il s'articule en quatre classer musicalement ce véritable « OVNI » tant étudie à la Juilliard School « actes » (Train 1/Trial 1, Night Train, Trial 2/ s'avéra organique la collaboration entre Philip de New York puis à Paris Prison, Building/Bed/Spaceship) encadrés et Glass et Robert Wilson. avec Nadia Boulanger. séparés par cinq interludes dénommés « knee L'initiative vint de ce dernier, alors fermement Sa carrière est d'une plays » (articulations), auxquels s'ajoutent longévité exceptionnelle, ancré dans le théâtre d'avant-garde. L'un et Dance 1 et Dance 2 (Field with Spaceship). avec un catalogue d'œuvres l'autre désiraient aborder une figure historique, Admirant « le temps, l'espace et le mouvement immense. Glass proposant Gandhi, Wilson évoquant Cha- théâtraux » de Robert Wilson, Philip Glass en plin et Hitler. Le tandem s'accorda finalement donne l'écho sonore avec un chœur à 4 voix, sur Albert Einstein. Le 25 juillet 1976, les spec- et un ensemble instrumental entre orchestre tateurs du Festival d'Avignon découvrirent, mé- de chambre et groupe pop, démultiplié par dusés, un spectacle de cinq heures, dans lequel l'amplification. En apparence limpide, cette les chorégraphies de Lucinda Childs occupaient immense chaconne fourmille de détails ciselés une place centrale. En l'absence d'entracte, le dont on peine à saisir la totalité. S'apppuyant public était invité à sortir ou entrer dans la essentiellement sur les techniques de la pro- salle à sa convenance. Dans la foulée, la pro- gression par addition rythmique et du mouve- duction partit à la conquête de Hambourg, Pa- ment cyclique, Philip Glass procède à une véri- ris, Venise, Bruxelles et enfin New York. On ne table dilatation du temps qui reste unique dans reviendra pas sur les différentes versions qui Les 14, 15 & 16 novembre – l'histoire de la musique. virent ensuite le jour, toutes soulevant maintes Cité de la musique La vision proposée par Ictus et le Collegium Vo- difficultés (y compris pour Philip Glass et Ro- Ictus, Collegium Vocale Gent, T. De cale Gent a déjà montré ses qualités aux Pays- Cock & M. Schmid (direction musicale), bert Wilson eux-mêmes qui remirent l'ouvrage M. Van Nieukerken (cheffe de chœur). Bas ou en Espagne : le mélomane devrait vivre sur le métier à deux reprises) tant les éléments S. Vega (narratrice), G. Kruip (lumières – ou revivre – un expérience incomparable. sont imbriqués les uns aux autres. & scénographie). • Yutha Tep 10 cadences novembre 2022
musique de chambre Trio Wanderer 30 ans de passions Dans la grande famille des trio avec piano, ce sont les ré- ensembles de chambre, le Trio pertoires viennois et allemands Wanderer occupe une place qui constituent le cœur du tra- souveraine depuis plusieurs vail : Haydn, Beethoven, Schu- bert, Mendelssohn, Brahms et décennies. Au Théâtre des Champs- Schumann. Jouer en priorité Élysées, il interprète deux Trios ces compositeurs est presque emblématiques de Mendelssohn une obligation mais nous le et Chostakovitch. Rencontre faisons surtout par goût. Je avec le pianiste de l’ensemble, pense que ce répertoire est in- Vincent Coq. surpassable, je peux le rejouer S encore et encore, je ne m’en alué dans le monde entier pour sa vir- lasse jamais ! » Au Théâtre des tuosité et sa profondeur d’interpréta- Champs-Élysées, le Trio pro- tion, le Trio Wanderer (composé du vio- pose deux chefs-d’œuvre ab- loniste Jean-Marc Phillips-Varjabédian, solus qu’il a déjà enregistrés, © François Sechet du violoncelliste Raphaël Pidoux et du pianiste le Trio n° 1 op. 49 de Mendels- Vincent Coq) a fait bien du chemin depuis ses sohn et le Trio n° 2 op. 67 de débuts il y a plus de trente ans. Le pianiste se Chostakovitch : « Dans le trio remémore les premiers pas de l’ensemble : de Mendelssohn, on atteint à « Les rencontres artistiques lors de nos années mon sens la perfection de lan- d’études ont été très importantes. Nous avons La riche discographie gage romantique. Mais il ne s’agit pas d’un ro- été marqués par notre travail avec Jean-Claude du Trio Wanderer est mantisme torturé comme chez Schumann, c’est Pennetier au Conservatoire National Supérieur une référence pour de un romantisme jeune et flamboyant. Le mou- de Musique de Paris, Menahem Pressler du nombreux mélomanes. vement lent, l’un des plus grands de l’histoire Beaux-Arts Trio au festival de La Roque d’An- de la musique, est d’une tendresse incroyable, théron ou encore le Quatuor Amadeus. » De son avec un thème d’une beauté inouïe et pourtant triomphe au Concours ARD de Münich en 1988 d’une simplicité absolue. Le trio de Chostako- à aujourd’hui, le trio n’a cessé de gagner en vitch est quant à lui l’une des œuvres les plus homogénéité et d’enrichir ses interprétations : sombres du compositeur, écrite en 1944 après la « Pour nous, de l’intérieur, il est difficile de voir bataille de Leningrad et la mort d’un ami. C’est précisément l’évolution, mais il est évident que une partition élégiaque, imprégnée de l’horreur notre vision de la musique s’est approfondie de la guerre, du stalinisme et du nazisme. Elle avec l’expérience. Il n’y a jamais eu de change- est aussi très visuelle, presque cinématogra- 13 novembre – Théâtre ment radical dans notre parcours, ce qui aurait des Champs-Élysées phique, et fait partie des plus grands trios du été artificiel, mais nous avons ajouté petit à petit Mendelssohn, Chostakovitch. xxe siècle, avec ceux de Ravel et de Fauré. » Outre de nouvelles briques à notre construction. Nous ses concerts, l’ensemble travaille actuellement avons aussi gagné en efficacité dans le travail, sur un projet discographique enthousiasmant : parce que beaucoup de choses sont aujourd’hui « Cela fait plus de 25 ans que nous nourrissons acquises, même s’il faut toujours être vigilant. » une riche collaboration avec Harmonia Mundi, Le répertoire du Trio Wanderer a toujours ce qui est une belle marque de confiance de leur été très large, allant de Haydn à la musique part. Notre nouvel enregistrement est consacré contemporaine : « Il y a des perles dans tous à César Franck et sortira probablement au prin- les répertoires, nous jouons de la musique fran- temps prochain. » çaise, russe, espagnole… Mais quand on fait du • Élise Guignard 12 cadences novembre 2022
CHÂTEAU DE VERSAILLES Charpentier Bach DAVID ET JONATHAS ORATORIO DE NOËL Opéra mis en scène Monteverdi Choir Nouvelle Production English Baroque Soloists John Eliot Gardiner, direction Marshall Pynkoski, mise en scène 11 décembre 2022, Ensemble Marguerite Louise Chapelle Royale Gaétan Jarry, direction Christian Lacroix, costumes Charpentier NOËL BAROQUE Du 10 au 12 novembre 2022, Chapelle Royale Les Arts Florissants William Christie, direction Purcell 16 décembre 2022, KING ARTHUR Chapelle Royale Opéra mis en scène Haendel Shirley et Dino, mise en scène Le Concert Spirituel LE MESSIE Hervé Niquet, direction Chœur de Chambre Du 18 au 20 novembre 2022, du Palais de la Musique Opéra Royal Catalane de Barcelone Orchestre de l’Opéra Royal Franco Fagioli, direction Sacrati 17 et 18 décembre 2022, LA FINTA PAZZA Chapelle Royale Opéra mis en scène Jean-Yves Ruf, mise en scène Mozart Cappella Mediterranea LA FLÛTE Leonardo García Alarcón, ENCHANTÉE direction Opéra mis en scène 3 et 4 décembre 2022, Chanté en français Opéra Royal Cécile Roussat & Julien Lubek, mise en scène Le Concert Spirituel Informations, réservations Hervé Niquet, direction www.chateauversailles-spectacles.fr Du 27 décembre au 1er janvier 01 30 83 78 89 2023, Opéra Royal Retrouvez les CD et vidéos des spectacles en streaming et téléchargement sur www.live-operaversailles.fr et sur www.qobuz.com ENTREPRISE MÉCÈNE PRINCIPAL Licences : 2-1053422 / 3-1054036 Photographie © David de Michel-Ange / David & Jonathas / Charpentier – Domaine public
dossier Jules Massenet Hérodiade Deuxième opéra de Massenet, Hérodiade s'inspire librement d'un conte de Flaubert, qui revisite un drame Tandis que chez Flaubert, Salomé n'est qu'un instrument de la vengeance de sa mère Héro- de l'Antiquité évoqué dans les Evangiles. Les passions s'y dias, qui la pousse à séduire Hérode pour ob- déchaînent aux sons d'une musique puissante et colorée. tenir la tête de Jean, dans l'opéra elle devient une jeune fille pure et sincère, qui aime Jean A d'un amour véritable. Le féministe Massenet près le succès du en fait une héroïne qui décide elle-même de Roi de Lahore, Mas- son propre destin. Elle n'hésite pas à déclarer senet a composé son amour à Jean, ose repousser les avances Hérodiade entre d'Hérode, ne réclame pas la tête du prophète 1878 et 1880, sur un livret de mais cherche au contraire à le sauver et décide l'écrivain Paul Milliet et de de partager son sort. La danse voluptueuse de l'éditeur Georges Hartmann, Salomé qui rend Hérode fou de désir a disparu. © 1910, BnF, Bibliothèque-musée de l'Opéra alias Henri Grémont, après Quant au prophète Jean (Iaokanann chez Flau- qu'un premier scénario fut es- bert), qui dans le conte n'apparaît que pour quissé par le librettiste italien lancer ses imprécations depuis le caveau où il Angelo Zanardini. L'ouvrage est enfermé, il devient sensible aux sentiments fut refusé par l'Opéra de Paris humains, en particulier à l'amour de Salomé. et Massenet dut se tourner Il le rejette d'abord, en lui demandant d'élever vers le Théâtre de la Monnaie son sentiment au niveau du ciel. Mais dans la à Bruxelles. La première eut scène précédant le supplice, il lui avoue son lieu le 19 décembre 1881, avec amour, qui s'accomplira dans la mort. un succès triomphal. De nom- Dans l'opéra, c'est Hérodiade qui réclame à breux Français de l'élite musi- son époux Hérode la tête de Jean, qui l'a mau- cale parisienne avaient fait le dite parce qu'elle a quitté son précédent mari déplacement. La création italienne eut lieu à Musicien de théâtre, pour son frère. Mais Hérode préfère épargner Milan en février 1882. En France, l'ouvrage fut Massenet a placé des figures le prophète car il croit, à tort, qu'il pourra en représenté à Nantes en 1883, à Paris en 1884 féminines fortes au faire un allié pour lutter contre les Romains. dans la version italienne, puis à Lyon en 1885. centre de ses opéras. Hérode est obsédé par Salomé, en qui Héro- À l'origine, l'opéra comportait trois actes et diade voit une rivale plutôt que sa fille. C'est cinq tableaux. Massenet remania profondé- seulement lorsqu'il découvre que la jeune fille ment sa partition et en acheva la version finale, aime Jean qu'il décide de le condamner. en quatre actes et quinze scènes, seulement en Salomé ignore qu'Hérodiade est sa mère. Dans 1895. Mais l'œuvre n'entra au répertoire de la scène finale, désespérée, elle implore Hérode l'Opéra de Paris qu'en 1921, bien après la mort d'épargner Jean. Mais quand le bourreau entre du compositeur. avec le glaive sanglant, elle s'apprête à frapper La source principale de l'opéra est le troisième Hérodiade, qui lui révèle alors son origine. Sa- des contes publiés par Flaubert en 1877, Héro- lomé retourne son arme contre elle, assumant dias, lui-même inspiré des récits bibliques figu- son destin jusqu'au bout. rant dans les Évangiles de Matthieu et de Marc. Bien sûr on reprocha au livret son infidé- Mais le livret prend ses distances avec le conte. lité aux Écritures et au conte de Flaubert. Les Si le contexte politique et familial des évène- 25 novembre – Théâtre des catholiques fervents n'admettaient pas qu'on ments est le même, les caractères et les agisse- Champs-Élysées ait osé toucher à la figure sainte du prophète Version concert. Chœur & Orchestre ments des protagonistes en diffèrent sensible- Jean pour le plonger dans une intrigue senti- de l'Opéra de Lyon. Dir. : D. Rustioni. ment, surtout en ce qui concerne Salomé et le Avec N. Car, J.F. Borras, E. Semenchuk, mentale. Les fidèles de Flaubert crièrent à la prophète Jean. E. Dupuis… trahison, alors que le romancier venait juste de 14 cadences novembre 2022
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