Cristian Măcelaru le Trio Wanderer - des concerts - Cadences

 
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Cristian Măcelaru le Trio Wanderer - des concerts - Cadences
L’ AC T UALI T E D E S CO N C ERTS E T D E L’ O PE R A

                                                                                   Mahler
         © Radio France / Christophe Abramowitz

                                                                               le chant de la terre

                                                                                  le Trio
                                                                                 Wanderer

                                                                               Cristian
[ n° 358 novembre 2022 ]

                                                               Le calendrier
                                                         des concerts          Măcelaru
                                                           à Paris et en          direction
                                                               Île-de-france
Cristian Măcelaru le Trio Wanderer - des concerts - Cadences
Cristian Măcelaru le Trio Wanderer - des concerts - Cadences
sommaire
Anniversaire
               © Bibliothèque musicale La Grange-Fleuret

                                                            L eS d o s s i e rs
                                                            Mahler, Le Chant de la Terre              2

                                                                                                          © M. Ribes & A. Vo Van Tao
                                                            Gluck, Armide                             4
                                                            Jules Massenet, Hérodiade                14

  Il y a 80 ans…                                                                                                                       Véronique Gens   4
  Naissait le Concours Long-Thibaud, sur une

                                                            © Christian Kargl
  idée de la pianiste Marguerite Long et du
  violoniste Jacques Thibaud. Les deux célèbres
  solistes avaient déjà une très riche carrière                                                           l e s c o n c e rt s
  derrière eux (Marguerite avait d’ailleurs créé                                                          à paris                                        18
  le Concerto pour piano en sol majeur que                                      Maximilian Schmitt   2    et en île-de-france
  Ravel lui avait dédié), enseignaient dans
  d’illustres institutions et se retrouvaient
  régulièrement pour des projets de musique
                                                            à P a ri s                                    CD                                             28
  de chambre. En fondant le concours,                       Portrait                                  8
  ils souhaitaient faciliter les carrières des              Cristian Măcelaru
  jeunes talents et leur donner un rayonnement
                                                            L’actualité des concerts 6
  international, dans les domaines du piano
                                                            E. Haïm, David et Jonathas…
  et du violon. Ce fut une totale réussite si l’on
  regarde les musiciens de légende que le                   Contemporain                             10
  concours mit en lumière, comme le pianiste                Philip Glass
  Samson François, lauréat de la première                                                                 © Raymond Meier
                                                            Musique de chambre 12
  édition (1943), ou encore les violonistes
  Christian Ferras (1949) et Ivry Gitlis (1951).
                                                            Trio Wanderer
  Présidé ou dirigé au fil des années par des
  figures majeures de la scène musicale (Yehudi
                                                            Publi-reportage
                                                            NO(S) DAMES
                                                                                                     16
                                                                                                                                         Philip Glass10
  Menuhin, Martha Argerich, Kurt Masur…),
  le concours s’affirma comme l’un des plus
  prestigieux du monde. Après avoir connu une
  phase d’incertitude, le Concours Long-Thibaud
  devint brièvement le Concours Long-Thibaud-
  Crespin (en hommage à la soprano Régine
  Crespin), s’ouvrant à l’art lyrique. Il revient
  finalement à ses origines en se centrant
  uniquement sur le piano et le violon.
  Cette année, il est consacré au piano et se
  déroulera du 7 au 13 novembre, à la Salle
  Cortot puis au Théâtre du Châtelet pour
  la finale avec orchestre.                    E.G.

     Cadences • ISSN 1760 - 9364 • édité par les
     Concerts Parisiens • SARL au capital de 10 000 euros
     • 21, rue Bergère 75009 Paris • Tél. 01 48 24 40
     63 • Fax 01 48 24 16 29 • Siret 44156960500013
     • Directeur de la publication    : Philippe Maillard
     • Publicité    : tél. 01 48 24 40 63, publicite@
     cadences.fr • Rédacteur en chef   : Yutha Tep •
     Chef de rubrique : Élise Guignard • Ont participé
     à ce numéro : Michel Fleury, Michel Le Naour,
     Pierre Verdier • Conception graphique   : Astrada
     design • Diffusion   : Sophie Borgès, sborges@
     cadences.fr • Impression   : RPN-Groupe Prenant,
     Vitry-sur-Seine • Tirage   : 40 000 exemplaires •
     Abonnement  : 6 nos 30 €

                                                                                                                                       novembre 2022 cadences   1
Cristian Măcelaru le Trio Wanderer - des concerts - Cadences
dossier

                              Mahler
    Le Chant de la Terre
     Cette symphonie de lieder est l’œuvre la plus novatrice de                                                      et les pulsions du désir terrestre engendrait de
             Mahler et également son émouvant chant d’adieu.                                                         profondes souffrances. L’intimation de faire ses

    L
                                                                                                                     adieux s’imposait à l’homme qui, par sa propre
              e Chant de la Terre,                                                                                   extase, avait suffisamment mûri pour saisir la
              synthèse entre Lied                                                                                    valeur bienfaisante de son Dasein. Tragique na-
              et symphonie, ces                                                                                      ture d’un prophète aveuglé par la clairvoyance
              deux pôles de la créa-                                                                                 de son propre regard, qui étreint tout être ai-
    tion malhérienne, marque                                                                                         mant dans l’ivresse de son extase créatrice, mais
    aussi le début de sa troisième                                                                                   qui, en fait, ne peut plus rien saisir. Du conflit
    et dernière période créatrice.                                                                                   intérieur de celui qui errait entre les mondes
    « Le sentiment que tout ce qu’il                                                                                 sont nées les trois œuvres ultimes. C’est une troi-
    a fait jusque-là n’est qu’un                                                                                     sième période créatrice qui se dessine, différente
                                       © Médiathèque Musicale Mahler, Paris

    faible commencement, qu’une                                                                                      des deux précédentes par le sentiment poétique
    vie vraiment créatrice va seu-                                                                                   et le style musical, et engendrée cependant par
    lement commencer, cette clair-                                                                                   la nature la plus intime de l’auteur. » (Paul Bek-
    voyance de celui qui se tient à                                                                                  ker). Peut-être les évènements extérieurs (les
    la frontière de l’autre monde, a                                                                                 trop fameux « coups de destin ») ont-ils pu pré-
    inspiré les dernières œuvres de                                                                                  cipiter cette « troisième manière » : la tumul-
    Mahler. » (Paul Bekker).                                                                                         tueuse rupture avec l’opéra de Vienne, la mort
                                                                                                                     de sa fille aînée et le diagnostique de la grave

          Un chant                                                                                                   maladie de cœur qui, bientôt, précipiterait sa
                                                                                                                     fin. Enfin, en composant cette œuvre hybride
           d’adieu                                                            Gustav Mahler sut concilier            entre Lied et symphonie, qu’il intitulerait sym-
                                                                              une brillante carrière de              phonie, Mahler pensait sans doute tromper

    S   ’y exprime une âme désenchantée et soli-                              chef d’orchestre avec la               le destin en franchissant subrepticement le
        taire, attendant son heure, au lendemain                              composition d’œuvres                   chiffre 9, si fatidique pour Beethoven, Schu-
    de l’acte d’amour universel représenté par la                             puissantes et novatrices.              bert, Bruckner et Dvořák (sa Neuvième serait
    Huitième, colosse à part, mais tentant lui aussi                                                                 en réalité sa Dixième…). Comme on le sait, cette
    de fondre chant et symphonie dans un même                                                                        ruse échoua…
    monde sonore… Chaque œuvre de Mahler est à
    la fois en elle-même unique et liée à celles qui
    la précèdent ; elle représente la « préparation »
                                                                                                                            La conscience
    de la suivante. Le tournant est d’autant plus                                                                         du poids du monde
    marqué en ce qui concerne Le Chant de la Terre
    qu’il correspond à une profonde mutation inté-
    rieure. La conscience de l’accomplissement de
    tout ce qu’il avait accompli jusque-là éveillait
                                                                                                                     C    ’est à cette époque de crise intérieure qu’un
                                                                                                                          ami communiqua à Mahler un recueil de
                                                                                                                     poèmes chinois adaptés par le poète allemand
    soudain une conscience aiguë de sa solitude.                                                                     Hans Bethge, à partir de traductions des origi-
    « L’Univers sonore était créé, le créateur appa-                                                                 naux en français, en anglais et en allemand,
    raissait lui-même, à ses propres yeux, en trop.                           Les 9 & 10 novembre– Théâtre           intitulé Die chinesische Flöte. Ce recueil ras-
    Mais l’homme qui était en lui n’avait pas encore                          du Châtelet                            semblant une quarantaine de textes arrangés
                                                                              Klangforum Wien. Dir. : E. Pomarico.
    atteint le ciel entrevu dans ses rêves. Une faim                                                                 dans l’esprit de l’imagerie d’Extrême Orient
                                                                              P. Quesne, mise en scène, conception
    ardente d’amour et de vie s’élevait et le conflit                         & scénographie. Avec C. Daletska,      langoureux alors cultivé par le Jugendstil, à
    entre une âme passionnément éprise de divin                               M. Schmitt.                            grand renfort de pièces d’eau, de fleurs de

2   cadences novembre 2022
Cristian Măcelaru le Trio Wanderer - des concerts - Cadences
paris

                                       © Astrid Ackermann.
© Yuri Helytovych

Lotus, de pavillons de porcelaine et de ponts                                                                      qu’une beauté indifférente et immuable, re-
de jade, était comparable au célèbre Buch der                                                                      fuge temporaire pour l’ami qui gagne les mon-
hängenden Gärten de Stefan George, mis en                                                                          tagnes lointaines après son adieu au monde.
musique par Schönberg. Ces poésies impré-                                                                          Tout est dit à mi-mot : les puissants excès des
gnées de la conscience du caractère éphémère                                                                       sommets d’intensité des symphonies anté-
                                                             © Christian Kargl

de toute chose et de pressentiments funèbres                                                                       rieures sont proscrits, et l’immense orchestre
s’accordaient bien au pessimisme du musicien.                                                                      cultive la texture transparente d’un ensemble
Mahler en a sélectionné sept, remontant aux                                                                        de chambre. Les instruments s’expriment vo-
viie et viiie siècles : La chanson à boire de l’afflic-                                                            lontiers en solistes, en une polyphonie aérée
tion de la terre (Li-Tai-po), Le solitaire à l’au-                                                                 dont les ramures s’incurvent dans une sur-
tomne (Tchang Tsi), Le pavillon de porcelaine,               Christina Daletska et                                 prenante indépendance les unes des autres, ce
Sur la rive, Le buveur au printemps (Li-Tai-po),             Maximilian Schmitt                                    qui contribue à des frottements harmoniques
Dans l’attente de l’ami (Mong-Kao-Yen), L’adieu              interpréteront le chef-                               audacieux, dont l’acidité traduit parfaitement
de l’ami (Wang-Wei). Ces poèmes n’ont pas été                d’œuvre de Mahler avec                                l’ironie amère du propos poétique. La forme
mis bout-à-bout au hasard. Ils valent comme                  le Klangforum Wien                                    symphonique s’affirme dès le premier mouve-
un tout, un tableau de la vie et du monde. Leur              placé sous la direction                               ment : le conflit entre la douleur du monde et
choix résulte de leur cohérence avec la vision               d’Emilio Pomarico.                                    la joie désespérée du buveur donne lieu à un
que le « promeneur solitaire » a de l’univers.                                                                     vrai développement d’allegro de sonate dans
S’identifiant à ce promeneur désabusé, Mahler                                                                      l’interlude symphonique qui suit la deuxième
devait être particulièrement réceptif à des vers                             repères                               strophe ; le Solitaire en automne tient lieu de
tels que : « Sombre est la vie, et la mort », « Mon                                                                mouvement lent, et les trois poèmes suivants,
                                                                           7 juillet 1860 : naissance à Kalischt
cœur est las » ou « Les hommes fatigués fer-                                                                       de scherzo. Tout converge vers l’immense fi-
                                                                           en Bohême
ment leurs yeux ». À son habitude, il a retouché                                                                   nal, dans lequel la voix n’est qu’un instrument
                                                                           1875-1878 : études au conservatoire
ici et là les textes, ajoutant quelques vers de son                                                                parmi les autres. Ici s’éprouve physiquement le
                                                                           de Vienne
cru, et il a réuni les deux derniers dans le final,                                                                poids du monde, sa pulsation éternelle et hié-
                                                                           1888-1891 : directeur de l’opéra
sous le titre de l’Adieu. L’œuvre se présente fi-                          de Budapest                             ratique dans la scansion de basses insondables
nalement en six Lieder : La Chanson à boire de                             1888 : Symphonie n° 1 « Titan »
                                                                                                                   sous-tendant les bruits de la nature. Laissons
l’affliction de la terre, Le Solitaire à l’automne,                                                                la parole à Paul Bekker dont la somme (Gustav
                                                                           1891-1897 : premier chef d’orchestre
De la jeunesse, De la beauté, Le Buveur au prin-                           à Hambourg                              Mahlers Sinfonien, Schuster & Loeffler, Berlin,
temps, L’Adieu. Interfèrent ainsi les thèmes ré-                           1894 : Symphonie n° 2                   1920) n’a jamais été égalée à ce jour : « Le mo-
currents des œuvres antérieures, mais comme                                « Résurrection »                        tif de la terre s’élève une dernière fois vers les
décantés et stylisés, avec une sorte de recul                              1896 : Symphonie n° 3                   étoiles, délivré de la souffrance et de l’illusion.
et de fatalisme qui les rend d’autant plus poi-                            1897-1907 : directeur de l’opéra        Dans des nuances toujours plus douces, il se
gnants : l’éternelle solitude, la fugacité de toute                        de Vienne                               fond dans la voix, annonçant l’éternelle florai-
chose et son corollaire, le regret (de la jeunesse,                        1900 : Symphonie n° 4                   son, le perpétuel renouveau. La voix du Solitaire
de la beauté), le rire (à travers les larmes) d’un                         1902 : Symphonie n° 5                   en route vers ses montagnes natales s’éloigne
clown triste dont le seul exutoire est l’ivresse                           1904 : Symphonie n° 6                   peu à peu, invoquant l’éternité, comme venue
qui rend même indifférent aux beautés du                                   « Tragique », Kindertoten Lieder        d’un autre monde, jusqu’aux limites du silence.
printemps et de la nature. Dans le final, les                              1905 : Symphonie n° 7                   Dans les profondeurs, le do majeur des trom-
sonorités d’orgue de barbarie de l’orchestre                               1906 : Symphonie n° 8                   bones et des cordes, reposant au-dessus, le la du
expriment l’amertume d’un saltimbanque : la                                                                        hautbois et de la flûte. Le motif mi-sol-la, figé en
                                                                           1908 : Das Lied von der Erde
nature est la toile de fond, mais elle n’est plus                                                                  accord, s’ensommeillant doucement sur le socle
                                                                           1910 : Symphonie n° 9
la source où puiser des forces dionysiaques                                                                        mystique du do au fond de l’abime… »
                                                                           18 mai 1911 : mort à Vienne
comme dans la Troisième ; elle n’est plus
                                                                                                                                                    • Michel Fleury
                                                                                                                                            novembre 2022 cadences        3
Cristian Măcelaru le Trio Wanderer - des concerts - Cadences
dossier

                                                 Gluck
                               Armide
         Au cœur du débat entre défense du style français ou du
          style italien, Armide de Gluck fit beaucoup parler à sa
                                                                                                       Lorsqu’il commença la composition de son
                                                                                                       Armide, une partie du milieu musical n’ap-
        création. Le compositeur y atteint de nouveaux sommets                                         prouvait pas du tout le tournant qu’il faisait
         d’expressivité, sublimant le livret de Quinault presque                                       prendre à l’opéra. L’Opéra de Paris décida de
                                                                                                       le confronter à Niccolò Vito Piccini, qui incar-
           un siècle après le chef-d’œuvre de Lully. On entendra
                                                                                                       nait l'excellence musicale italienne, en com-
                           l’ouvrage ce mois-ci à l’Opéra Comique.

    L
                                                                                                       mandant l'opéra Roland à celui-ci. Le conflit
              e contexte entou-                                                                        qui opposait les mélomanes entre défenseurs
              rant la création en                                                                      et censeurs du style français agita la presse
              1777 d’Armide de                                                                         beaucoup plus que les musiciens eux-mêmes,
              Gluck nous replonge                                                                      qui se vouaient un grand respect mutuel. Les
    dans le conflit qui opposa les                                                                     tenants et les aboutissants de cet affrontement
    adeptes de l'opéra français                                                                        n'étaient par ailleurs pas que musicaux mais
    et les adeptes de l'opéra ita-                                                                     également politiques : tous les partisans de
    lien au milieu du xviiie siècle.                                                                   Gluck étaient aussi ceux de Marie-Antoinette
    Enclenché dès 1752 avec la                                                                         tandis que tous ses opposants s'affichaient
    fameuse « Querelle des Bouf-                                                                       comme des adversaires de la jeune Autri-
    fons », ce différend refit sur-                                                                    chienne.
    face face aux réformes mises
    en place par le compositeur
    à la fois dans l'opera seria                                                                              Les passions à nu
    italien et dans la tragédie ly-
    rique française.
    Dès son Orfeo ed Euridice,                                                                         R    eprendre le livret d’Armide écrit par Qui-
                                                                                                            nault ne manquait pas d’audace de la
                                        © D.R.

    Gluck avait pris beaucoup                                                                          part de Gluck, car à ce moment-là, personne
    de liberté par rapport aux                                                                         n'osait toucher aux livrets du librettiste qui
    conventions de l'opera seria, limitant la place       Christoph Willibald                          avait travaillé avec le grand Lully, et les cri-
    de la voix soliste qui jusque-là exprimait à elle     Gluck marqua son                             tiques se montraient impitoyables envers ceux
    seule les émotions des personnages (et dont la        époque en réformant                          qui osaient se mesurer au compositeur du Roi
    partie virtuose constituait l'essence même du         la tragédie lyrique.                         Soleil. Qui plus est, Gluck reprenait le livret de
    spectacle). Conscient d'autre part que la tra-                                                     son opéra le plus emblématique. Armide était
    gédie lyrique, telle qu'on la connaissait, avait                                                   la tragédie lyrique qu'on citait en exemple
    déjà donné ce qu'elle avait de meilleur et plai-                                                   pour parler de la fine fleur de l'opéra français,
    sait de moins en moins à un public européen                                                        et la comparaison pouvait effrayer. Le choix
    qui ne parlait pas toujours français, Gluck vou-                                                   de Gluck était pourtant bien compréhensible :
    lait tenter de lui donner un nouveau souffle,                                                      le livret de Quinault offrait l'opportunité de
    la recherche du naturel dans l'expression des                                                      dépeindre une gamme large de sentiments hu-
    sentiments devenant sa ligne de mire. Les or-                                                      mains, de l'amour à la fureur. Son intrigue est
    nements furent réduits au minimum, l’esthé-                                                        rythmée et découpée en cinq actes : Armide,
    tisme pur s’effaçant au profit d’une émotion                                                       magicienne redoutable par ses enchantements
    directe, concrète, capable de toucher le specta-      Du 5 au 15 novembre –                        et par sa beauté, est éprise de Renaud, un témé-
    teur. Dans la préface d'Alceste, le compositeur       Opéra Comique                                raire chevalier. Il l'éconduit et l’abandonne, la
    définissait ainsi son travail : « J'ai cherché à      Chœur Les Éléments, Les Talens               laissant déchirée entre son amour pour lui et
                                                          Lyriques. Dir. : C. Rousset. L. Baur, mise
    réduire la musique à sa véritable fonction : celle                                                 sa soif de vengeance. Le personnage d’Armide,
                                                          en scène. Avec V. Gens, I. Bostridge,
    de seconder la poésie pour fortifier l'expression     E. Crossley-Mercer, A. Morel, P. Estèphe,    tiré de La Jérusalem délivrée du Tasse, est pas-
    des sentiments et l'intérêt des situations [...] ».   F. Valiquette…                               sionnant par ses ambiguïtés et correspond à

4   cadences novembre 2022
Cristian Măcelaru le Trio Wanderer - des concerts - Cadences
© M. Ribes & A. Vo Van Tao
                                                            paris

Véronique Gens interprète le rôle-
titre à l’Opéra Comique.

un modèle qui a inspiré les artistes dans tous
les domaines : celui de la sorcière tourmentée
par l'amour. On peut voir en Armide une cou-
sine de Médée, de Circé ou même de Calypso.
L'opéra de Gluck s'ouvre sur une musique
qui fait sentir un certain flottement, avec un
thème qui nous suggère l'indécision d'Armide
plutôt que sa colère. À l'acte II on trouve deux
passages essentiels : l'« air de sommeil » de Re-
naud, où les cordes reproduisent le bruit d'une
rivière et la flûte le chant d'un oiseau, et un
monologue d'Armide à la fin de l'acte. Gluck
sut en tirer le potentiel théâtral pour composer
des pages de musiques magnifiques, comme
l'avait fait Lully avant lui. Le récit et l'air
qui suit « Enfin il est en ma puissance » nous
montre une sorcière furibonde qui finit par
céder à l'amour, renonçant à son désir de ven-
geance. Le troisième acte nous amène à une
tension dramatique forte avec l'arrivée de la
Haine, dont le chant se voit transpercé par la
voix accablée de la magicienne. On retrouve
des thèmes que Gluck avait employés dans
d'autres opéras, notamment dans Telemaco. La
fin de l'opéra nous réserve un dernier moment
d'émoi avec le second grand monologue d'Ar-
mide. Abandonnée par Renaud, désespérée,
elle atteint les frontières de la folie et laisse
libre cours à sa colère, envoyant ses démons
démolir le palais.
L’Armide de Gluck connut finalement un suc-
cès phénoménal, bien plus que le Roland de
Piccini, et devint l’une des pièces incontour-
nables du répertoire des théâtres lyriques à
partir de là. Loin de jeter l'éponge, les picci-
nistes continuèrent à livrer bataille aux gluc-
kistes, bataille dont l'acmé fut atteinte lorsque
les deux musiciens composèrent presque
simultanément une Iphigénie en Tauride. Et
cette fois, le succès fulgurant de Gluck coupa
court à la querelle…

                              • Élise Guignard
                                                    novembre 2022 cadences   5
Cristian Măcelaru le Trio Wanderer - des concerts - Cadences
les concerts du mois

     Coup de cœur                                                         Marc-Antoine Charpentier
     Emmanuelle Haïm, direction                                           David et Jonathas
                                                                          Les 10, 11 & 12 novembre (Chapelle Royale de Versailles)
     Transmission                                                                                            Lors de la création qui eut lieu
     17 novembre (Chapelle Royale, Versailles)                                                               le 28 février 1699 au Collège
     18 novembre (Église Notre-Dame, Pontoise)                                                               Louis-le-Grand, la musique de
                                                                                                             David et Jonathas apportait
                                                                                                             un éclairage psychologique à
                                                                                                             une pièce de théâtre donnée

                                                                       ©Senne Van der Ven
                                                                                                             simultanément, une tragédie
                                                                                                             en latin intitulée Saül née de
                                                                                                             la plume du Père Pierre Char-
                                                                                                             millart, dont on ne peut que
                                                                                                             deviner l’intigue, ce texte étant
      © Marianne Rosenstiehl

                                                                          totalement perdu. Saül s’inscrivait dans la tradition du théâtre
                                                                          jésuite, développé sur les ailes de la Contre-Réforme dès le mi-
                                                                          lieu du xvie siècle en Italie, et destiné à l'édification religieuse
                                                                          et morale des futurs dirigeants formés dans les établissements
                                                                          jésuites. Ce théâtre s'accommodait parfaitement d'intermèdes
                                                                          musicaux qui prirent une place de plus en plus grande : des
                                                                          spectacles tels que David et Jonathas étaient extrêmement cou-
     À la Chapelle Royale de Versailles, à l’Église Notre-Dame
                                                                          rus, et l’on ne reculait devant aucune dépense. Même s’il s’agit
     à Pontoise puis à la Chapelle de la Trinité à Lyon, Emma-
                                                                          d’une tragédie biblique, Charpentier respecte le modèle établi
     nuelle Haïm dirige un projet d’envergure autour du grand
                                                                          par Lully et son œuvre contient bien un prologue et cinq actes.
     motet à l’époque de Louis XV. Il réunit des étudiants issus
                                                                          Ce qui frappe à l'écoute de David et Jonathas, c'est la limpi-
     de prestigieuses institutions musicales françaises (Conser-
                                                                          dité admirable de la texture sonore ou encore la sensualité
     vatoires Supérieurs de Musique de Paris et de Lyon, Centre
                                                                          des galbes mélodiques, sans compter un élan musical solaire.
     de Musique Baroque de Versailles, Jeune Chœur de Paris).
                                                                          Peut-être faut-il chercher les raisons de cette beauté immédiate
     Il faut dire que la cheffe française a toujours accordé une
                                                                          dans l'objectif pédagogique même de l'œuvre, l'édification pas-
     importance de premier plan à la transmission : « Par le pas-
                                                                          sant alors par la séduction des sens.
     sé j’ai enseigné dans plusieurs structures, j’ai notamment été
                                                                          Avec une brillante distribution emmenée par Reinoud Van
     professeur d’écriture dans les deux conservatoires supérieurs
                                                                          Mechelen en David et Caroline Arnaud en Jonathas, Gaétan
     de France, Paris et Lyon, puis j’ai également longtemps ensei-
                                                                          Jarry fera scintiller les couleurs de son Ensemble Marguerite
     gné le répertoire baroque aux chanteurs dans celui de Paris.
                                                                          Louise, dans une mise en scène de Marshall Pynkoski, un grand
     J’ai beaucoup aimé ces années de transmission et d’échange
                                                                          habitué de Versailles.
     avec de jeunes artistes en devenir, que je retrouve parfois
     maintenant sur la scène. Aujourd’hui, j’enseigne avant tout
     lors de master class, sur la rhétorique à la française, l’orne-   Nathanaël Gouin piano
                                                                       Chopin, Concerto pour piano n° 2
     mentation à l’italienne, ou lors de projets de concerts spé-
     cifiques. J’essaie de continuer à trouver du temps pour les
     jeunes. Par ailleurs, pour chacune de ses productions, Le         Le 19 novembre (La Seine musicale)
     Concert d’Astrée développe des projets satellites, notamment
                                                                                                Il compte parmi les jeunes pianistes
     pédagogiques. La médiation et l’action culturelle sont très
                                                                                                les plus étroitement suivis par le
     importantes pour nous. » En résidence au Centre de Mu-
                                                                                                monde musical. Avec sa technique
     sique Baroque de Versailles, Emmanuelle Haïm y multiplie
                                                                                                transcendante, Nathanaël Gouin est
     ses interventions et productions : « Nous avons fait l’année
                                                                                                assurément à la hauteur des défis po-
     dernière un travail autour de la cantate française avec les
                                                                         © Nikolaj Lund

                                                                                                sés par les partitions de Chopin, dont
     Chantres, et cette année nous allons aborder les histoires
                                                                                                il soigne aussi le cantabile avec un
     sacrées et la tragédie lyrique. Le prochain projet, donné à
                                                                                                art achevé – on en aura une nouvelle
     Versailles puis à Pontoise et à Lyon, est un chantier vaste car
                                                                                                preuve dans un florilège en première
     il réunit des étudiants aux cursus différents. Certains d’entre
                                                                       partie de concert. Ensuite, aux côtés de l’orchestre Appassio-
     eux aborderont, pour la première fois des instruments qui ne
                                                                       nato de Mathieu Herzog, il abordera le Concerto n° 2 du maître
     font pas partie de leur quotidien, comme la basse de violon.
                                                                       franco-polonais et en soulignera la délicatesse mozartienne. On
     Je suis accompagnée pour cela par plusieurs musiciens du
                                                                       ne peut rêver meilleur guide pour dévoiler Chopin aux fidèles
     Concert d’Astrée qui seront leurs mentors. »
                                                                       de la série « Vous trouvez ça classique » à La Seine Musicale.

6   cadences novembre 2022
Cristian Măcelaru le Trio Wanderer - des concerts - Cadences
paris

Julie Fuchs soprano
Mozart, airs d’opéras & de concert
Le 21 novembre (Théâtre des Champs-Élysées)
                          La voix de Julie Fuchs s’épanouit su-
                          perbement, comme vient de le prou-
                          ver sa Giulietta bellinienne à l’Opéra
                          Bastille. Avec ce récital mozartien
                          dans le cadre des Grandes Voix, la so-
                          prano française captivera avec cette
                          pulpe vocale qu’elle montre depuis
© D.R.

                          ses débuts. S’y ajoute une insigne net-
                          teté instrumentale indispensable dans
Mozart. Entourée des Siècles dirigés du violon par Kati Debret-
zeni, elle proposera « tubes » (Susanna des Noces de Figaro…)

                                                                                ARMIDE
et pages rares (la cantate Per la ricuperate salute di Ofelia peut-
être composée à deux plumes avec Antonio Salieri !).

Maîtrise Notre-Dame de Paris
Monteverdi, Carissimi, Gabrieli                                                 Christoph Willibald Gluck
Le 23 novembre (Église Saint-Eustache)
                           Pour ce concert à l’Église Saint-Eus-
                           tache, devenu son refuge depuis
                           l’incendie de l’illustre cathédrale,

                                                                                05 > 15.11
                           la Maîtrise Notre-Dame placée sous
                           la direction experte d’Henri Chalet
                           (avec l’orgue éloquent d’Yves Casta-
© J.-B. Millot

                           gnet) nous propose un programme
                           plantureux à la gloire du Seicento ita-
                           lien, avec de grandes pages de Monte-
verdi, extraites notamment de la Selva Morale e Spirituale. Mais
on prêtera aussi une oreille attentive à l’« histoire sacrée » de               Direction musicale
Carissimi, Jephte, qui influença tout le xviie siècle tardif, notam-
                                                                                Christophe Rousset
ment Charpentier en France.
                                                                                Mise en scène
                                                                                Lilo Baur
Percussions de Strasbourg                                                       Chœur
Ikeda, 100 Cymbals                                                              Les éléments
Le 26 novembre (Cité de la musique)                                             Orchestre
                         Faut-il encore parler de concert ? Ryo-                Les Talens Lyriques
                         ji Ikeda se revendique artiste visuel
                         et sonore : on ne s’étonnera pas que
                         cette soirée éblouisse l’œil et grise
                                                                                                                                      Licence E.S. L-R-21-8858 - Création graphique :
© Claudia Hensen

                         l’oreille. Avec 100 Cymbals, entre-                    Production Opéra Comique
                         prise digne en tous points de leur his-
                         toire prestigieuse, les Percussions de
                         Strasbourg emmenés par Minh-Tâm
                                                                                opera-comique.com
                         Nguyen, leur directeur artistique,
nous plongent dans un univers sonore absolument passion-
                                                                                01 70 23 01 31
nant. Il faut prendre le titre de l’œuvre à la lettre : il y aura
bien 100 cymbales disposées dans la salle (les Percussions sont
allés jusqu’en Turquie pour trouver leur idéal vibratoire, pour
reprendre leur terme) que feront vivre dix solistes.

                                                                                                                   novembre 2022 cadences                                               7
                                                               OPERA COMIQUE armide AP cadences 92x261 HR.indd 1                      26/09/2022 11:20
Cristian Măcelaru le Trio Wanderer - des concerts - Cadences
portrait

       Cristian Măcelaru
                                             chef de cœur                                            nous sommes capables aussi d’apprendre du
         sa nomination comme directeur musical de l'orchestre
        national de france avait quelque peu surpris. annoncée                                       passé de notre orchestre ». Cet attachement à
                                                                                                     la si riche histoire du National va de pair avec
        pour septembre 2021, sa prise de fonction a été avancée à
                                                                                                     une fierté plus large : « Le passé du National est
     septembre 2020, reflet du véritable coup de foudre entre la
                                                                                                     phénoménal, il y a eu avant moi de fantastiques
                      phalange parisienne et cristian Măcelaru.
                                                                                                     chefs et directeurs musicaux, avec un répertoire
                                                                                                     immense et un nombre incroyable de créations :
                                                        Le 17 novembre –                             Debussy, Messiaen, Dutilleux, sans oublier les
                                                        Philharmonie                                 liens étroits avec les compositeurs vivants. Je
                                                        Maxim Vengerov (violon), Orchestre           me sens la grande responsabilité de préserver
                                                        National de France.                          l’incroyable tradition d’un orchestre qui a tou-
                                                        Kodály, Mozart, Bartók.
                                                                                                     jours été sur le devant de la scène dans la culture
                                                                                                     française ».
                                                        Le 24 novembre – Maison
                                                        de la Radio
    © Radio France / Christophe Abramowitz

                                                        Daniil Trifonov (violon), Orchestre
                                                        National de France.
                                                                                                            Un tribut prudent
                                                        Ravel, Scriabine, Franck.
                                                                                                             aux traditions

                                                                                                     N     ulle question toutefois de s'abandonner à
                                                                                                           une routine, aussi confortable soit-elle et
                                                                                                     Cristian Măcelaru paie un tribut sincère mais
                                                                                                     prudent à une divinité parfois tyrannique, la
                                                                                                     tradition : « La tradition n'est pas une mau-
                                                          du tac au tac
                                                                                                     vaise chose, car il est important de savoir ce que
                                                          Votre son préféré ? Celui                  d’autres musiciens ont pu accomplir avant vous.
                                                          d’un moteur de voiture
                                                                                                     J’essaie de comprendre comment et pourquoi
                                                          parfaitement synchronisé.

    L
                                                                                                     sont nées toutes les traditions d’interprétation,
                                                          Votre partition pour une île déserte ?
             e 27 septembre 2018, Cristian                Une symphonie de Brahms.
                                                                                                     et surtout de savoir si elles aident vraiment la
             Măcelaru dirigeait pour la première                                                     musique. Parfois, on découvre simplement une
                                                          Votre compositeur préféré ? Il est
             fois « le National » dans le plus péril-     vraiment trop difficile                    solution pour interpréter plus facilement une
             leux des programmes : dans Vivier,           de répondre.                               partition, et cette solution devient de plus en plus
    Berg ou Dusapin, les membres de l'orchestre           Votre œuvre préférée ? Si je dois          ancrée, finissant par donner naissance à une
    avaient été impressionnés par la précision de         la diriger, Le Prince des Bois             tradition. Pour ma part, je préfère aborder une
    sa battue, puis emportés par sa vision de l'Ada-      de Bartók.                                 œuvre comme si elle était entièrement neuve.
    gio de la Symphonie n° 10 de Mahler. De l'aveu        Le compositeur que vous voulez             Le désir et la volonté de l’orchestre d'aborder
    général, orchestre et chef unis en un même            défendre ? Bartók, j’aimerais              Ravel comme si c’était son premier contact
                                                          tant qu’on le comprenne
    élan, les choses ne pouvaient pas en rester là.                                                  avec sa musique, de jouer Franck ou Scriabine
                                                          mieux.
    Quatre années plus tard, perdure l'amour des                                                     comme si c’était la première fois, c’est le ma-
                                                          Les objets qui ne vous quittent jamais ?
    premiers jours : « Vous savez, chaque semaine         Mon chargeur de téléphone                  gnifique cadeau que la National me fait quand
    que nous passons ensemble, j’ai le sentiment          et un crayon.                              nous nous retrouvons ». Cette volonté de se
    que nous dialoguons plus profondément et que          Si vous deviez vous réincarner ?           renouveler en permanence, Cristian Măcelaru
    nous découvrons toujours plus de choses, plus         Ce serait en arbre, juste pour             se l'impose d'abord à lui-même : « J’essaie de
    de possibilités pour jouer mieux. J’aime par          être là et avoir le temps                  regarder chaque note en me demandant : si tu
    exemple le fait que beaucoup de jeunes musi-          de regarder ce qui se passe                n’avais jamais entendu cette note auparavant,
                                                          autour de soi.
    ciens nous ont rejoints ces derniers temps mais                                                  comment l’approcherais-tu de la façon la plus

8   cadences novembre 2022
en couverture

                                                                                         on se prépare à un concert, parce qu’il ne faut
                                                                                         pas seulement chauffer ses muscles ou trouver
                                                                                         le bon geste intellectuel. Il faut aussi savoir
                                                                                         comment dévoiler ses émotions et c’est quelque
                                                                                         chose que l’on apprend ! ».
                                                                                         Parions que cette juste alchimie s'exprimera
                                                                                         dans le Concerto pour orchestre de Bela Bartók
                                                                                         donné le 17 novembre. Pour Cristian Măcelaru,
                                                                                         même une figure aussi singulière que le maître
© Christophe Abramowitz

                                                                                         hongrois doit être époussetée : « Le Concerto
                                                       3 CD                              pour orchestre est une pièce tellement conser-
                                                                                         vatrice si on la compare au reste de la produc-
                                                                                         tion de Bartók. Il l’a composée à la fin de sa vie
                                                                                         et elle est très traditionnelle dans son style, sa
                                                                                         forme. Mais elle est remplie de vie et de joie dans
                                                                                         ses passages en forme de danse, de beauté, de
simple possible ? Ensuite, j’essaie une chose                                            tristesse dans son mouvement lent. Je me bats
puis une autre, ce qui détermine alors un cer-                                           contre les traditions pour l’ensemble de l'œuvre
                                                       Johannes Brahms
tain langage harmonique, puis le caractère de          Concerto pour violon, mélodies.   de Bartók. Dans sa musique, il y a des dizaines
la musique, etc. Tout cela cumulé devient alors        Emmanuel Tjeknavorian (violon),   de très petites – presque imperceptibles – indi-
l’interprétation ».                                    WDR Sinfonieorchester             cations qui sont extrêmement importantes. Très
                                                       Anna Lucia Richter (mezzo),       souvent, on essaie de s’en accommoder pour
                                                       Andreas Haefliger (piano).
                La juste alchimie entre                1 CD Berlin Classics
                                                                                         rendre l’exécution plus facile, mais je ne peux
                                                                                         pas m’y résoudre. Je tente de comprendre ce qui,
                   cerveau et cœur                                                       dans le caractère de la musique, demande qu’on
                                                                                         respecte toutes ces indications, même si parfois

C    e désir irrésistible de décortiquer chaque
     mesure ne signifie pas une battue abusi-
vement scientifique : « Pour beaucoup de mu-
                                                                                         cela relève de l’impossible. Par ailleurs, à mes
                                                                                         yeux, il est très important, en particulier dans le
                                                                                         Concerto pour orchestre, que le public sorte de
siciens, tout vient du cœur. Pour moi, il faut la      Camille Saint-Saëns               la salle en ayant la conscience que la musique
bonne alchimie. Le cœur est important bien sûr         Intégrale des symphonies.         de Bartók est le plus grand exemple de musique
                                                       Olivier Latry (orgue),
mais si ce que je fais ne satisfait pas mon cer-                                         expressionniste. Je suis persuadé que, une fois
                                                       Orchestre National de France.
veau, je ne suis pas content. On jugera peut-être      3 CD Warner Classics              cette idée acceptée, on comprend un peu mieux
mon approche très intellectuelle. Je dis toujours                                        son style. Si nous écoutons Bartók simplement
que pour moi, la musique doit d’abord venir du                                           comme de la musique moderne, et cela arrive
cerveau, puis elle arrive au cœur et c’est seule-                                        souvent, on ne fait qu’en égratigner la surface.
ment à ce moment là que je peux l’offrir à un pu-                                        Les publics ont encore peur d’ouvrir leur cœur à
blic. En fait, je pense qu’il y a beaucoup de va-et-                                     sa musique et si je parviens, à la fin de ma vie, à
vient entre le cerveau et le cœur. J’ai appris cela                                      changer cela, ce serait pour moi le plus merveil-
notamment de Daniil Trifonov. Nous faisions un                                           leux des cadeaux ».
                                                       Wynton Marsalis
concert ensemble et avant de monter sur scène,         Concerto pour violon,             Cristian Măcelaru vient d’être reconduit
je l’ai entendu jouer la musique de façon très         Fiddle Dance Suite.               jusqu’en 2027. Les fidèles du National sont
très lente. Il m’a dit : « Je suis juste en train de   Nicola Benedetti (violon),        bien chanceux !
chauffer mes émotions ». J’ai trouvé que c’était       The Philadelphia Orchestra.

                                                                                                                             • Yutha Tep
                                                       1 CD Universal/Decca
un façon très belle de décrire la manière dont

                                                                                                                  novembre 2022 cadences       9
Contemporain

                               Philip Glass
     Einstein on the Beach
          créé en 1976, le premier opéra                                                                               Comment décrire en quelques
          de philip glass est entré dans                                                                               lignes ce monstre théâtro-mu-
             l'histoire de la musique. sa                                                                              sical (ou musico-théâtral) ? Il
               complexité, tant dans les                                                                               ne s'inscrit dans aucun genre
                                                                                                                       identifiable (pas même celui
        effectifs mis en jeu que dans sa
                                                                                                                       de l'opéra), avec pour ambition
      nature textuelle, explique qu'il
                                                                                                                       d'évoquer un scientifique de
           n'apparaît que rarement sur
                                                                                                                       légende sans élément biogra-
       les scènes internationales. ces                                                                                 phique (le personnage d'Eins-
         soirées à la cité de la musique                                                                               tein est d'ailleurs campé par
     constituent donc des événements.                                                                                  un violon solo) et sa théorie

     V
                                                                                                                       de la relativité du temps. Utili-
                énéré ou décrié, Philip Glass aura                                                                     sant des chiffres, des notes de
                certainement marqué notre temps.                                                                       musique littéralement énon-
                Coller un qualificatif à son œuvre                                                                     cées, des poèmes d'un jeune
                colossale et protéiforme rélève de la                                                                  autiste, Christopher Knowles,
                                                          © Raymond Meier

     gageure : pape du minimalisme, gourou de la                                                                       et des textes de Lucinda Childs
     musique répétitive ? Glass a récusé plusieurs                                                                     et de Samuel M. Johnson (qui
     fois certains adjectifs utilisés, selon lui, mal                                                                  joua le rôle du Juge et d'un
     à propos. De son propre aveu, Einstein on the                                                                     Chauffeur de bus à Avignon),
     Beach ouvre une nouvelle période de sa créati-                                                                    le livret tourne le dos à la nar-
     vité mais laquelle ? On serait bien en peine de      Né en 1937, Philip Glass                   rativité traditionnelle. Il s'articule en quatre
     classer musicalement ce véritable « OVNI » tant      étudie à la Juilliard School               « actes » (Train 1/Trial 1, Night Train, Trial 2/
     s'avéra organique la collaboration entre Philip      de New York puis à Paris                   Prison, Building/Bed/Spaceship) encadrés et
     Glass et Robert Wilson.                              avec Nadia Boulanger.                      séparés par cinq interludes dénommés « knee
     L'initiative vint de ce dernier, alors fermement     Sa carrière est d'une                      plays » (articulations), auxquels s'ajoutent
                                                          longévité exceptionnelle,
     ancré dans le théâtre d'avant-garde. L'un et                                                    Dance 1 et Dance 2 (Field with Spaceship).
                                                          avec un catalogue d'œuvres
     l'autre désiraient aborder une figure historique,                                               Admirant « le temps, l'espace et le mouvement
                                                          immense.
     Glass proposant Gandhi, Wilson évoquant Cha-                                                    théâtraux » de Robert Wilson, Philip Glass en
     plin et Hitler. Le tandem s'accorda finalement                                                  donne l'écho sonore avec un chœur à 4 voix,
     sur Albert Einstein. Le 25 juillet 1976, les spec-                                              et un ensemble instrumental entre orchestre
     tateurs du Festival d'Avignon découvrirent, mé-                                                 de chambre et groupe pop, démultiplié par
     dusés, un spectacle de cinq heures, dans lequel                                                 l'amplification. En apparence limpide, cette
     les chorégraphies de Lucinda Childs occupaient                                                  immense chaconne fourmille de détails ciselés
     une place centrale. En l'absence d'entracte, le                                                 dont on peine à saisir la totalité. S'apppuyant
     public était invité à sortir ou entrer dans la                                                  essentiellement sur les techniques de la pro-
     salle à sa convenance. Dans la foulée, la pro-                                                  gression par addition rythmique et du mouve-
     duction partit à la conquête de Hambourg, Pa-                                                   ment cyclique, Philip Glass procède à une véri-
     ris, Venise, Bruxelles et enfin New York. On ne                                                 table dilatation du temps qui reste unique dans
     reviendra pas sur les différentes versions qui       Les 14, 15 & 16 novembre –                 l'histoire de la musique.
     virent ensuite le jour, toutes soulevant maintes     Cité de la musique                         La vision proposée par Ictus et le Collegium Vo-
     difficultés (y compris pour Philip Glass et Ro-      Ictus, Collegium Vocale Gent, T. De        cale Gent a déjà montré ses qualités aux Pays-
                                                          Cock & M. Schmid (direction musicale),
     bert Wilson eux-mêmes qui remirent l'ouvrage         M. Van Nieukerken (cheffe de chœur).
                                                                                                     Bas ou en Espagne : le mélomane devrait vivre
     sur le métier à deux reprises) tant les éléments     S. Vega (narratrice), G. Kruip (lumières   – ou revivre – un expérience incomparable.
     sont imbriqués les uns aux autres.                   & scénographie).                                                               • Yutha Tep
10   cadences novembre 2022
musique de chambre

      Trio Wanderer
            30 ans de passions
           Dans la grande famille des                                                                         trio avec piano, ce sont les ré-
        ensembles de chambre, le Trio                                                                         pertoires viennois et allemands
           Wanderer occupe une place                                                                          qui constituent le cœur du tra-
          souveraine depuis plusieurs                                                                         vail : Haydn, Beethoven, Schu-
                                                                                                              bert, Mendelssohn, Brahms et
     décennies. Au Théâtre des Champs-
                                                                                                              Schumann. Jouer en priorité
      Élysées, il interprète deux Trios
                                                                                                              ces compositeurs est presque
       emblématiques de Mendelssohn
                                                                                                              une obligation mais nous le
         et Chostakovitch. Rencontre                                                                          faisons surtout par goût. Je
        avec le pianiste de l’ensemble,                                                                       pense que ce répertoire est in-
                           Vincent Coq.                                                                       surpassable, je peux le rejouer

     S
                                                                                                              encore et encore, je ne m’en
             alué dans le monde entier pour sa vir-                                                           lasse jamais ! » Au Théâtre des
             tuosité et sa profondeur d’interpréta-                                                           Champs-Élysées, le Trio pro-
             tion, le Trio Wanderer (composé du vio-                                                          pose deux chefs-d’œuvre ab-
             loniste Jean-Marc Phillips-Varjabédian,                                                          solus qu’il a déjà enregistrés,
                                                             © François Sechet

     du violoncelliste Raphaël Pidoux et du pianiste                                                          le Trio n° 1 op. 49 de Mendels-
     Vincent Coq) a fait bien du chemin depuis ses                                                            sohn et le Trio n° 2 op. 67 de
     débuts il y a plus de trente ans. Le pianiste se                                                         Chostakovitch : « Dans le trio
     remémore les premiers pas de l’ensemble :                                                                de Mendelssohn, on atteint à
     « Les rencontres artistiques lors de nos années                                                          mon sens la perfection de lan-
     d’études ont été très importantes. Nous avons           La riche discographie         gage romantique. Mais il ne s’agit pas d’un ro-
     été marqués par notre travail avec Jean-Claude          du Trio Wanderer est          mantisme torturé comme chez Schumann, c’est
     Pennetier au Conservatoire National Supérieur           une référence pour de         un romantisme jeune et flamboyant. Le mou-
     de Musique de Paris, Menahem Pressler du                nombreux mélomanes.           vement lent, l’un des plus grands de l’histoire
     Beaux-Arts Trio au festival de La Roque d’An-                                         de la musique, est d’une tendresse incroyable,
     théron ou encore le Quatuor Amadeus. » De son                                         avec un thème d’une beauté inouïe et pourtant
     triomphe au Concours ARD de Münich en 1988                                            d’une simplicité absolue. Le trio de Chostako-
     à aujourd’hui, le trio n’a cessé de gagner en                                         vitch est quant à lui l’une des œuvres les plus
     homogénéité et d’enrichir ses interprétations :                                       sombres du compositeur, écrite en 1944 après la
     « Pour nous, de l’intérieur, il est difficile de voir                                 bataille de Leningrad et la mort d’un ami. C’est
     précisément l’évolution, mais il est évident que                                      une partition élégiaque, imprégnée de l’horreur
     notre vision de la musique s’est approfondie                                          de la guerre, du stalinisme et du nazisme. Elle
     avec l’expérience. Il n’y a jamais eu de change-                                      est aussi très visuelle, presque cinématogra-
                                                             13 novembre – Théâtre
     ment radical dans notre parcours, ce qui aurait         des Champs-Élysées            phique, et fait partie des plus grands trios du
     été artificiel, mais nous avons ajouté petit à petit    Mendelssohn, Chostakovitch.   xxe siècle, avec ceux de Ravel et de Fauré. » Outre

     de nouvelles briques à notre construction. Nous                                       ses concerts, l’ensemble travaille actuellement
     avons aussi gagné en efficacité dans le travail,                                      sur un projet discographique enthousiasmant :
     parce que beaucoup de choses sont aujourd’hui                                         « Cela fait plus de 25 ans que nous nourrissons
     acquises, même s’il faut toujours être vigilant. »                                    une riche collaboration avec Harmonia Mundi,
     Le répertoire du Trio Wanderer a toujours                                             ce qui est une belle marque de confiance de leur
     été très large, allant de Haydn à la musique                                          part. Notre nouvel enregistrement est consacré
     contemporaine : « Il y a des perles dans tous                                         à César Franck et sortira probablement au prin-
     les répertoires, nous jouons de la musique fran-                                      temps prochain. »
     çaise, russe, espagnole… Mais quand on fait du                                                                       • Élise Guignard
12   cadences novembre 2022
CHÂTEAU DE VERSAILLES

                                                                                        Charpentier       Bach
                                                                                        DAVID ET JONATHAS ORATORIO DE NOËL
                                                                                        Opéra mis en scène               Monteverdi Choir
                                                                                         Nouvelle Production             English Baroque Soloists
                                                                                                                         John Eliot Gardiner, direction
                                                                                        Marshall Pynkoski, mise en scène 11 décembre 2022,
                                                                                        Ensemble Marguerite Louise       Chapelle Royale
                                                                                        Gaétan Jarry, direction
                                                                                        Christian Lacroix, costumes      Charpentier
                                                                                                                         NOËL BAROQUE
                                                                                        Du 10 au 12 novembre 2022,
                                                                                        Chapelle Royale
                                                                                                                         Les Arts Florissants
                                                                                                                         William Christie, direction
                                                                                        Purcell                          16 décembre 2022,
                                                                                        KING ARTHUR                      Chapelle Royale

                                                                                        Opéra mis en scène                  Haendel
                                                                                        Shirley et Dino, mise en scène
                                                                                        Le Concert Spirituel                LE MESSIE
                                                                                        Hervé Niquet, direction             Chœur de Chambre
                                                                                        Du 18 au 20 novembre 2022,          du Palais de la Musique
                                                                                        Opéra Royal                         Catalane de Barcelone
                                                                                                                            Orchestre de l’Opéra Royal
                                                                                                                            Franco Fagioli, direction
                                                                                        Sacrati                             17 et 18 décembre 2022,
                                                                                        LA FINTA PAZZA                      Chapelle Royale
                                                                                        Opéra mis en scène
                                                                                        Jean-Yves Ruf, mise en scène        Mozart
                                                                                        Cappella Mediterranea               LA FLÛTE
                                                                                        Leonardo García Alarcón,            ENCHANTÉE
                                                                                        direction                           Opéra mis en scène
                                                                                        3 et 4 décembre 2022,
                                                                                                                            Chanté en français
                                                                                        Opéra Royal
                                                                                                                            Cécile Roussat & Julien Lubek,
                                                                                                                            mise en scène
                                                                                                                            Le Concert Spirituel
                                                                                        Informations, réservations          Hervé Niquet, direction
                                                                                        www.chateauversailles-spectacles.fr Du 27 décembre au 1er janvier
                                                                                        01 30 83 78 89                      2023, Opéra Royal

                                                                                          Retrouvez les CD et vidéos des spectacles en streaming
                                                                                          et téléchargement sur www.live-operaversailles.fr et sur
                                                                                          www.qobuz.com

                                                                                                               ENTREPRISE
                                                                                                               MÉCÈNE
                                                                                                               PRINCIPAL

Licences : 2-1053422 / 3-1054036
Photographie © David de Michel-Ange / David & Jonathas / Charpentier – Domaine public
dossier

       Jules Massenet
                     Hérodiade
                 Deuxième opéra de Massenet, Hérodiade s'inspire
         librement d'un conte de Flaubert, qui revisite un drame
                                                                                                                               Tandis que chez Flaubert, Salomé n'est qu'un
                                                                                                                               instrument de la vengeance de sa mère Héro-
        de l'Antiquité évoqué dans les Evangiles. Les passions s'y                                                             dias, qui la pousse à séduire Hérode pour ob-
        déchaînent aux sons d'une musique puissante et colorée.                                                                tenir la tête de Jean, dans l'opéra elle devient
                                                                                                                               une jeune fille pure et sincère, qui aime Jean

     A
                                                                                                                               d'un amour véritable. Le féministe Massenet
                 près le succès du                                                                                             en fait une héroïne qui décide elle-même de
                 Roi de Lahore, Mas-                                                                                           son propre destin. Elle n'hésite pas à déclarer
                 senet a composé                                                                                               son amour à Jean, ose repousser les avances
                 Hérodiade       entre                                                                                         d'Hérode, ne réclame pas la tête du prophète
     1878 et 1880, sur un livret de                                                                                            mais cherche au contraire à le sauver et décide
     l'écrivain Paul Milliet et de                                                                                             de partager son sort. La danse voluptueuse de
     l'éditeur Georges Hartmann,                                                                                               Salomé qui rend Hérode fou de désir a disparu.
                                        © 1910, BnF, Bibliothèque-musée de l'Opéra

     alias Henri Grémont, après                                                                                                Quant au prophète Jean (Iaokanann chez Flau-
     qu'un premier scénario fut es-                                                                                            bert), qui dans le conte n'apparaît que pour
     quissé par le librettiste italien                                                                                         lancer ses imprécations depuis le caveau où il
     Angelo Zanardini. L'ouvrage                                                                                               est enfermé, il devient sensible aux sentiments
     fut refusé par l'Opéra de Paris                                                                                           humains, en particulier à l'amour de Salomé.
     et Massenet dut se tourner                                                                                                Il le rejette d'abord, en lui demandant d'élever
     vers le Théâtre de la Monnaie                                                                                             son sentiment au niveau du ciel. Mais dans la
     à Bruxelles. La première eut                                                                                              scène précédant le supplice, il lui avoue son
     lieu le 19 décembre 1881, avec                                                                                            amour, qui s'accomplira dans la mort.
     un succès triomphal. De nom-                                                                                              Dans l'opéra, c'est Hérodiade qui réclame à
     breux Français de l'élite musi-                                                                                           son époux Hérode la tête de Jean, qui l'a mau-
     cale parisienne avaient fait le                                                                                           dite parce qu'elle a quitté son précédent mari
     déplacement. La création italienne eut lieu à                                   Musicien de théâtre,                      pour son frère. Mais Hérode préfère épargner
     Milan en février 1882. En France, l'ouvrage fut                                 Massenet a placé des figures              le prophète car il croit, à tort, qu'il pourra en
     représenté à Nantes en 1883, à Paris en 1884                                    féminines fortes au                       faire un allié pour lutter contre les Romains.
     dans la version italienne, puis à Lyon en 1885.                                 centre de ses opéras.                     Hérode est obsédé par Salomé, en qui Héro-
     À l'origine, l'opéra comportait trois actes et                                                                            diade voit une rivale plutôt que sa fille. C'est
     cinq tableaux. Massenet remania profondé-                                                                                 seulement lorsqu'il découvre que la jeune fille
     ment sa partition et en acheva la version finale,                                                                         aime Jean qu'il décide de le condamner.
     en quatre actes et quinze scènes, seulement en                                                                            Salomé ignore qu'Hérodiade est sa mère. Dans
     1895. Mais l'œuvre n'entra au répertoire de                                                                               la scène finale, désespérée, elle implore Hérode
     l'Opéra de Paris qu'en 1921, bien après la mort                                                                           d'épargner Jean. Mais quand le bourreau entre
     du compositeur.                                                                                                           avec le glaive sanglant, elle s'apprête à frapper
     La source principale de l'opéra est le troisième                                                                          Hérodiade, qui lui révèle alors son origine. Sa-
     des contes publiés par Flaubert en 1877, Héro-                                                                            lomé retourne son arme contre elle, assumant
     dias, lui-même inspiré des récits bibliques figu-                                                                         son destin jusqu'au bout.
     rant dans les Évangiles de Matthieu et de Marc.                                                                           Bien sûr on reprocha au livret son infidé-
     Mais le livret prend ses distances avec le conte.                                                                         lité aux Écritures et au conte de Flaubert. Les
     Si le contexte politique et familial des évène-                                 25 novembre – Théâtre des                 catholiques fervents n'admettaient pas qu'on
     ments est le même, les caractères et les agisse-                                Champs-Élysées                            ait osé toucher à la figure sainte du prophète
                                                                                     Version concert. Chœur & Orchestre
     ments des protagonistes en diffèrent sensible-                                                                            Jean pour le plonger dans une intrigue senti-
                                                                                     de l'Opéra de Lyon. Dir. : D. Rustioni.
     ment, surtout en ce qui concerne Salomé et le                                   Avec N. Car, J.F. Borras, E. Semenchuk,   mentale. Les fidèles de Flaubert crièrent à la
     prophète Jean.                                                                  E. Dupuis…                                trahison, alors que le romancier venait juste de

14   cadences novembre 2022
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