FAIRE FACE AU CHANGEMENT - LE CANADA ET LA DÉCENNIE INTERNATIONALE POUR LES PERSONNES D'ASCENDANCE AFRICAINE - Canadian Institute for Identities ...
←
→
Transcription du contenu de la page
Si votre navigateur ne rend pas la page correctement, lisez s'il vous plaît le contenu de la page ci-dessous
PREMIÈRE PARTIE FAIRE FACE AU CHANGEMENT LE CANADA ET LA DÉCENNIE INTERNATIONALE POUR LES PERSONNES D'ASCENDANCE AFRICAINE Édition spéciale en partenariat avec la Commission canadienne pour l’UNESCO VOLUME 16 | NO. 3 | 2019
PREMIÈRE PARTIE « On ne peut pas changer tout ce qui est affronté, mais rien ne peut être changé tant qu'on ne l'a pas affronté. » – James Baldwin INTRODUCTION FACE AUX PREUVES Vers la reconnaissance, la justice et le développement Les personnes d'ascendance africaine au Canada : 3 Mireille Apollon 34 Une diversité d'origines et d'identités Jean-Pierre Corbeil & Hélène Maheux Survol du numéro 5 Miriam Taylor Point tournant – Évaluation des progrès réalisés au Canada, au cours de la Décennie, en santé, en 38 matière d'inégalités raciales pour les personnes d'ascendance africaine FAIRE FACE AUX DÉFIS ET AUX OPPORTUNITÉS Tari Ajadi DE LA DÉCENNIE INTERNATIONALE Une décennie pour éradiquer la discrimination Ce que la diaspora afro-américaine nous enseigne et le fléau du racisme : Les sommets nationaux 41 sur l’anglais vernaculaire des Noirs 9 des Noirs canadiens prennent en charge l'héritage de l'esclavage Dre Shana Poplack La très honorable Michaëlle Jean LE VISAGE DE L'EXPÉRIENCE VÉCUE Opportunités et responsabilités uniques 14 de la Décennie internationale L’honorable Dre Jean Augustine 48 L'expérience des Noirs dans la région du Grand Toronto Dre Wendy Cukier, Dr Mohamed Elmi et Erica Wright Comptez sur nous : Plan d'action de la Nouvelle- Écosse en réponse à la Décennie internationale Lutter contre le racisme en adoptant des approches 17 pour les personnes d'ascendance africaine, 2015-2024 51 de cartographie des ressources et d’études de cas : Exemple des collectivités d’ascendance africaine de Wayn Hamilton Vancouver, en Colombie-Britannique Rebecca Aiyesa et Dr Oleksander (Sasha) Kondrashov Migration, identité et oppression : Initiative FACE À L’HÉRITAGE DU COLONIALISME communautaire interprovinciale pour l’étude et le traitement de l’intersectionnalité de l’oppression 55 Le soleil ne se couche jamais, le soleil attend et des répercussions en matière de santé et les pour se lever : Héritages structurels persistants 21 de la colonisation européenne répercussions sociales et économiques connexes Dre Christine Lwanga, Dr Oluwasegun Hassan Chuka Ejeckam et Christine van de Merwe Esclavage, race et enseignement supérieur : 24 Le cas de l'Université Dalhousie Dre Afua Cooper Soirées éthiopiennes : La culture Blackface au Québec 28 Dre Dorothy Williams
DIVERSITÉ CANADIENNE EST PUBLIÉ PAR Diversité canadienne est une publication trimestrielle de l’Association d’études canadiennes (AEC). Les collaborateurs et collaboratrices de Diversité canadienne sont entièrement CONSEIL D’ADMINISTRATION DE L’ASSOCIATION D’ÉTUDES CANADIENNES (ÉLU LE 23 NOVEMBRE 2019) responsables des idées et opinions exprimées dans leurs DR. JULIE PERRONE articles. L’Association d’études canadiennes et un organisme Présidente du Conseil d'administration, Directrice, Communications & Marketing, pancanadien à but non lucratif dont l’objet est de promouvoir Finance Montréal, Montréal, Québec l’enseignement, la recherche et les publications sur le Canada. L’AEC est une société savante et membre de la Fédération CELINE COOPER Rédactrice, L’Encyclopédie canadienne, Professeure, Université Concordia, canadienne des sciences humaines et sociales. Montréal, Québec HUBERT LUSSIER Ancien sous-ministre adjoint, Patrimoine Canadien, Ottawa, Ontario JANE BADETS COURRIER Ancienne statisticienne en chef adjointe, Statistique Canada, Ottawa, Ontario GISÈLE YASMEEN Des commentaires sur ce numéro ? Directrice exécutive, Réseau pour une alimentation durable, Montréal, Québec Écrivez-nous à Diversité canadienne : PROFESSEUR HOWARD RAMOS Diversité canadienne/AEC Université Dalhousie, Halifax, Nouvelle-Écosse 850-1980, rue Sherbrooke Ouest L'HONORABLE MARLENE JENNINGS Montréal, Québec H3H 1E8 C.P., LLb., Avocate, Montréal, Québec Ou par courriel au MADELINE ZINIAK Consultante, Présidente, Canadian Ethnic Media Association, Toronto, Ontario PROFESSEUR CHEDLY BELKHODJA Université Concordia, Montréal, Québec Cette édition spéciale de Diversité canadienne est publiée en JEAN TEILLET partenariat avec la Commision canadienne pour l'UNESCO. Associé, Pape Salter Teillet LLP, Vancouver, Colombie-Britannique Nous désirons les remercier pour leur précieuse collaboration. PROFESSEURE JOANNA ANNEKE RUMMENS Université Ryerson, Toronto, Ontario Un remerciement spécial à Mireille Apollon, Vice-présidente ÉDITEUR et à David Schimpky, Conseiller spécial, Initiatives stratégiques Jack Jedwab et relations extérieures. Merci également à Yaovi Hoyi de la Fondation Michaëlle Jean et à Christine Lwanga de RÉDACTRICE EN CHEF Miriam Taylor l'Université du Manitoba. TRADUCTION Miriam Taylor Louise Sultan Chloe Nignol EN COUVERTURE DESIGN ET MISE EN PAGE CAMILAHGO. studio créatif La femme et le pagne de Yasmeen Souffrant camilahgo@gmail.com
INTRODUCTION VERS LA RECONNAISSANCE, LA JUSTICE ET LE DÉVELOPPEMENT Mireille Apollon est vice-présidente de la Commission canadienne pour l'UNESCO. Mme Apollon a été conseillère municipale pour la ville de Gatineau de 2009 à 2017. Elle a présidé la Commission des arts, de la culture, des lettres et du patrimoine de la Ville de Gatineau de 2013 à 2017. Elle est également une ancienne consule canadienne au Sénégal et une cadre de l'Agence canadienne de développement international (ACDI). Au nom de la Commission canadienne pour l’UNESCO, La Décennie internationale des personnes d’ascendance afri- j’ai l’honneur de vous présenter une édition spéciale caine, dont le thème porte sur la reconnaissance, la justice de la revue Diversité canadienne, laquelle porte sur la et le développement, est née d’une grave préoccupation liée Décennie internationale des personnes d’ascendance au racisme et à la discrimination envers les « personnes de africaine promulguée en 2015, par l’ONU. couleur ». L’UNESCO a par ailleurs établi trois objectifs pour cette décennie. Elle cherche tout d’abord à promouvoir une Les journées, les années et les décennies spéciales procla- meilleure connaissance et reconnaissance de la culture, de mées par les Nations Unies sont destinées à mettre en lumière l’histoire et du patrimoine des personnes d’ascendance afri- certaines préoccupations et à attirer l’attention sur de grands caine. Elle encourage ensuite à reconnaître la mémoire des enjeux mondiaux. Il s’agit d’appels à l’action concertée et victimes de la traite négrière, de l’esclavage et du colonia- individuelle dans le monde entier de la part de gouvernements, lisme – et leurs descendants – à travers l’établissement de d’organismes de la société civile, d’activistes, d’universitaires « sites de mémoire » témoignant de ce passé, elle incite la ou de citoyens. Elles permettent également de reconnaître communauté internationale à honorer cette mémoire sous qu’il n’existe pas de solutions rapides aux préoccupations différentes formes. Enfin, elle continue à collaborer avec les qu’elles soulèvent; et nécessitent plutôt, de déployer des États membres pour éradiquer la discrimination contre les efforts à long terme pour induire un changement systémique. personnes d’ascendance africaine. Cet espoir n’est toutefois pas vain. Combinées à une large Le Canada a officiellement reconnu la Décennie internationale participation et à des engagements, les Décennies internatio- en 2018. La Nouvelle-Écosse est devenue en septembre 2019 nales peuvent apporter un réel changement. Trois Décennies la première juridiction au monde à mettre en œuvre officielle- internationales consécutives consacrées à la lutte contre le ment un plan d’action en lien avec la Décennie internationale. racisme ont par ailleurs précédé la Déclaration et le Programme Un article écrit par M. Wayn Hamilton, directeur général des d’action de Durban de 2001. Au Canada, nous pouvons Affaires afro-néo-écossaises du gouvernement de la Nouvelle- observer les répercussions qui ont découlé de la Déclaration des Écosse, porte d’ailleurs sur cette initiative historique. Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Suite à trois Décennies internationales consacrées aux peuples Cette édition spéciale, qui présente divers points de vue sur la autochtones, la déclaration a contribué à mettre sur pied la Décennie internationale ainsi que ces thèmes, comprend des Commission de vérité et réconciliation. contributions faites par d’éminents chefs de file, penseurs et 3
activistes. Son thème est tiré d'une célèbre citation de James identités et les migrations, les éditeurs de la revue Diversité Baldwin dans son essai de 1962, «Autant de vérité que l'on canadienne et tous ceux qui ont contribué par leurs articles à peut en supporter» : «Tout ce qui est affronté ne peut pas la richesse des réflexions. être changé. Mais rien ne peut être changé tant qu'on ne l'a pas affronté.» Je tiens également à remercier Yaovi Hoyi et Christine Lwanga pour leurs conseils et leurs commentaires sur ce Le grand défi de cette édition spécial est l’impossibilité de numéro. L’année 2020 marque le milieu de la Décennie rendre compte des nombreuses perspectives éclairées liées internationale, nous avons espoir que la présente édition à l’expérience des personnes d’ascendance africaine au spéciale incitera tous les Canadiennes et Canadiens à agir Canada. Nos expériences sont aussi diversifiées que nos ensemble afin de bâtir une société juste et inclusive. identités. Qu’il s’agisse De Mathieu da Costa, le navigateur libre qui a aidé Samuel de Champlain à venir au Canada, ou d’Olivier Le Jeune, un jeune esclave africain qui a été amené de force en Nouvelle-France dans les années 1600; de personnes qui ont fui l’esclavage aux États-Unis et qui ont refait leur vie dans le sud-ouest de l’Ontario, ou de loyalistes noirs qui se sont installés en Nouvelle-Écosse; de résistants comme Viola Desmond ou de leaders comme Jean Augustine et Lincoln Alexander; de personnes qui ont migré des Antilles et des Caraïbes ou de celles qui ont migré de pays d’Afrique. Cette édition spéciale constitue l’une des nombreuses ini- tiatives qui ont été entreprises par la Commission cana- dienne pour l’UNESCO, laquelle collabore sans relâche avec ses membres, ses réseaux et ses partenaires afin de faire progresser les idéaux et les priorités de l’UNESCO, notam- ment dans la lutte contre le racisme et toutes ses formes de discrimination. Par exemple, la Commission canadienne pour l’UNESCO (CCUNESCO) a parrainé et appuyé le travail d’artistes exceptionnels tels la créative artiste, Rhodnie Désir, l’illustre historien hip-hop, Webster, qui a par ailleurs écrit une courte histoire sur l’esclavage au Canada. La commission coordonne les initiatives de la Coalition des municipalités inclusives, laquelle réunit les villes qui créent des politiques et entreprennent des initiatives pour lutter contre le racisme et la discrimination. Elle appuie également les efforts qui ont été déployés par la Fondation Michaëlle Jean et la Fédération des Canadiens noirs afin d’offrir des lieux sûrs afin de faire pro- gresser les discussions très nécessaires sur ce qui est requis au chapitre de la législation, des politiques et des programmes, afin de s’assurer d’inclure et de faire pleinement participer les Canadiens d’ascendance africaine, particulièrement les jeunes et les personnes les plus marginalisées, dans tous les aspects de la vie dans notre pays. Il est inspirant de constater que diverses organisations cana- diennes ont souligné cette Décennie internationale en mettant en œuvre des initiatives spéciales. Parmi ces organismes, on retrouve l’African Descent Festival de Vancouver, l’African Canadian Resource Network, la ville de Toronto, l’Église Unie du Canada, l’Université Dalhousie, le Syndicat canadien de la fonction publique, et bien d’autres. Je tiens à saluer toutes les parties prenantes qui travaillent sans relâche afin de promouvoir l’esprit de la Décennie. Je remercie nos partenaires de l’Institut canadien pour les 4
INTRODUCTION SURVOL DU NUMÉRO Miriam Taylor est directrice des publications et des partenariats à l’Association d’études canadiennes et à l’Institut canadien pour les identités et des migrations. Ce numéro spécial de Diversité canadienne en entre les ministères, les organisations et la communauté, partenariat avec la Commission canadienne pour le plan vise à favoriser l’élimination des nombreux défis l’UNESCO marquant la Décennie internationale pour auxquels sont confrontés les Néo-Écossais d’origine africaine. les personnes d’ascendance africaine est intitulé Faire face au changement : le Canada et la décennie interna- La deuxième section, Faire face à l’héritage du colonialisme, tionale pour les personnes d'ascendance africaine, et contient trois textes historiques qui mettent en évidence sera publié en deux parties. Avec une introduction de les différents contextes dans lesquels l’héritage de l’injustice Mireille Apollon, vice-présidente de la CCUNESCO, ce systémique de l’ère coloniale perdure jusqu’à nos jours. Les premier numéro est divisé en quatre sections. auteurs démontrent également l’importance vitale d’une évaluation honnête et approfondie de notre passé. Dans Le La première section, Faire face aux défis et aux opportunités soleil ne se couche jamais, le soleil attend pour se lever, Chuka de la décennie internationale, s’ouvre sur une contribution Ejeckam expose l’eurocolonialisme structurel qui persiste de la très honorable Michaëlle Jean, qui donne un aperçu des dans l’ancien empire britannique, y compris au Canada, où efforts actuels pour éradiquer le racisme et la discrimination une histoire d’esclavage, de ségrégation raciale et de margi- par le biais d’une série de sommets nationaux des Canadiens nalisation a alimenté les disparités actuelles. Afua Cooper noirs tenus dans le cadre de la Décennie internationale. débute son article en citant les excuses historiques présen- L’honorable Jean Augustine décrit ensuite les opportunités tées par l’université Dalhousie à la communauté noire de la et responsabilités uniques de la Décennie internationale, Nouvelle-Écosse. Elle décrit ensuite avec une précision trou- concluant que la voie à suivre implique « l’identification et blante les multiples domaines dans lesquels l’université et la coordination mondiale d’idéaux primordiaux qui tiennent ses fondateurs ont entretenu des relations avec l’esclavage compte des 400 ans et plus d’asservissement systémique des et le racisme, en démontrant à quel point cette enquête hon- droits, et de la nécessité d’inciter les générations actuelles et nête a été essentielle aux expressions ultérieures de regret et futures de Noirs à bénéficier d’un terrain de jeu mondial juste, de responsabilité, de reconnaissance et de réparation. Dans équitable et égalitaire ». La Nouvelle-Écosse étant la première Soirées éthiopiennes : la culture Blackface au Québec, Dorothy et la seule province canadienne à proclamer la décennie inter- Williams retrace l’histoire peu connue de la culture du Black- nationale, Wayn Hamilton, le directeur général du Bureau des face au Québec et son rôle dans la diffusion des stéréotypes affaires afro-néo-écossaises, présente le plan d’action de sa négatifs sur les Noirs dans la culture populaire, plaçant ainsi province, intitulé Count Us In. Conçu pour fournir au gou- des exemples très médiatisés de Blackface du 21e siècle dans vernement des actions spécifiques, facilitant la collaboration une tradition sinistre qui a nourri le racisme et les préjugés. 5
Intitulée Faire face aux preuves, la troisième section souligne l’importance de la recherche scientifique et de la collecte de données pour parvenir à une compréhension précise de la réalité à laquelle sont confrontés les Canadiens noirs au XXIe siècle, et pour dissiper certains mythes largement répandus. Jean-Pierre Corbeil et Hélène Maheux, de Statistique Canada, nous aident à définir et à identifier les personnes d’origine africaine au Canada, en montrant la diversité des identités et la multiplicité des origines au sein de cette communauté, ainsi que les questions et les défis importants auxquels cette population est confrontée. L’article de Tari Ajadi explore les initiatives actuelles en Nouvelle-Écosse cherchant à réformer le système de santé dans le but d’une plus grande équité en matière de santé, en évaluant les inégalités persistantes dans le système de santé comme une voie vers de nouvelles façons de concevoir la politique de santé pour mieux répondre aux réalités spécifiques auxquelles sont confrontés les Canadiens d’origine africaine. Pour sa part, Shana Poplack, dans : Ce que la diaspora afro-américaine nous apprend sur l’anglais vernaculaire des Noirs, dissipe le mythe selon lequel l’anglais vernaculaire des Noirs est le résultat d’un anglais incorrect ou dénaturé. Grâce à son analyse linguistique méticuleuse, elle en retrace plutôt les origines à la langue parlée par les Britanniques qui ont colonisé les États-Unis au XVIIe siècle, des structures linguistiques qui ont été conservées au fil du temps en raison d’un isolement relatif par rapport aux développements linguistiques dominants. La quatrième section, Le visage de l’expérience vécue, fournit de brèves descriptions de trois études qui cherchent à remonter à la source des expériences vécues par les communautés noires dans différentes régions du pays. En se concentrant sur la région du Grand Toronto, le Black Experience Project, tel que présenté par Wendy Cukier, Mohamed Elmi et Erica Wright, révèle que si le concept même de « Noir » doit être déballé car il masque des différences importantes au sein des groupes, l’expérience partagée de l’identité noire continue d’être définie par le racisme institutionnel et individuel à de nombreux niveaux. Ayant Vancouver comme centre d’étude, Rebecca Aiyesa et Oleksander (Sasha) Kondrashov, défient le racisme par le biais d’une cartographie des atouts et d’études de cas, mettant en lumière l’impact négatif de l’oppression vécue sur tous les aspects de la vie, tant personnels que professionnels. Dans Migration, identité et oppression, Christine Lwanga, Oluwasegun Hassan et Christine van de Merwe explorent les expériences vécues d’oppression fondée sur la « race », le sexe et les différences religieuses dans les contextes familial, communautaire et professionnel, et exposent les coûts de santé, sociaux et économiques qui y sont liés. 6
FAIRE FACE AUX DÉFIS ET AUX OPPORTUNITÉS DE LA DÉCENNIE INTERNATIONALE « Je rêve que mes quatre petits-enfants vivront un jour dans une nation qui ne les juge pas sur la couleur de leur peau. » – Elijah J. McCoy (1844-1929), inventeur né au Canada et dont les parents étaient des esclaves fugitifs « Nous ne cessons de parler de nos différences. Mais, vous savez, nos différences sont moins importantes que nos similitudes. Les gens ont beaucoup en commun, qu'ils le voient ou non. » – William Hall (1827-1904), première personne noire, premier Néo-Écossais et premier récipiendaire canadien de la Croix de Victoria dans la marine « Tout grand rêve commence par un rêveur. Souvenez-vous toujours que vous avez en vous la force, la patience et la passion d'atteindre les étoiles pour changer le monde. » – Harriet Tubman (née Araminta Ross, 1822-1913), née en esclavage, s'est échappée et a sauvé environ 70 personnes réduites en esclavage « La couleur de la peau ne fait pas la personne. » – Ulrick Chérubin (1943-2014), maire d’Amos de 2004 à 2014, un des premiers maires noirs élus au Québec 7
UNE DÉCENNIE POUR ÉRADIQUER LA DISCRIMINATION ET LE FLÉAU DU RACISME ROMPRE AVEC L’HÉRITAGE DE L’ESCLAVAGE : L’INVITATION DU SOMMET PANCANADIEN DES COMMUNAUTÉS NOIRES La très honorable Michaëlle Jean est la 27e gouverneure générale, commandante en chef du Canada, ancienne envoyée spéciale de l’UNESCO en Haïti, 3e secrétaire générale de la Francophonie, cofondatrice et coprésidente de la Fondation Michaëlle Jean. Cet article propose un aperçu de la mobilisation et des efforts engagés notamment par le Sommet pancanadien des communautés noires organisé par la Fondation Michaëlle Jean pour l’éradication de la discrimination raciale et l’atteinte des objectifs de la Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine, proclamée par les Nations Unies. rés en Afrique. Dépossédés de tout — de leur qualité d’êtres La Décennie internationale des personnes d’ascendance afri- humains, leur dignité, leur liberté, leurs noms, leurs biens, leurs caine : reconnaissance, justice, développement proclamée en territoires, leurs liens, leurs langues, leur histoire, leurs traits 2015 par les Nations unies est un appel, lancé à tous les États de civilisation — ces malheureux étaient déportés vers l’Europe membres, d’engager, d’ici 2024, des politiques publiques afin et les Amériques pour y être cruellement réduits en esclavage. d’agir efficacement sur les effets nocifs et dévastateurs de la discrimination raciale qui continue d’affliger, depuis des L’idéologie largement et abominablement mise à l’œuvre par siècles et d’une génération à l’autre, les populations d’ascen- des empires prédateurs qui dominaient le monde en clamant dance africaine partout à travers le monde. La vague de mobi- la suprématie de la race blanche sur les autres, est loin d’être lisation sans précédent qu’elle a suscitée pour l’éradication de disparue, on en trouve, aujourd’hui encore, la trace et le reflux toutes les formes de racisme déferle aussi sur le Canada, dans dans des mentalités et des préjugés coriaces. un élan national, visant à s’assurer que le pays entre résolument, à l’aune des valeurs qui le fonde, dans une ère de pleine jouis- Le racisme demeure un fléau aux conséquences incommensu- sance pour toutes et pour tous de tous les droits fondamentaux. rables, continue d’empoisonner nos sociétés, de saper des vies, Car partout la vigilance est de mise. de miner la stabilité et l’équilibre social pourtant si essentiels. Le racisme contre les Noirs, source d’exclusion, de manifes- Le racisme exclut, creuse inexorablement de larges fossés et tations de haine et de violences, est l’un des vestiges persis- ne produit rien d’autre qu’un immense déficit. Un déficit de tants et odieux de ces siècles de conquêtes et d’exploitations possibilités, de perspectives, d’énergies, d’idées, de vision et coloniales, durant lesquels se pratiquaient des rapts, par mil- de démocratie. Un déficit d’humanisme, de reconnaissance lions, d’hommes, de femmes et d’enfants agressés et captu- pleine et entière de l’autre, de justice et par conséquent de 9
développement. Les exigences d’un développement durable, lement de dire que derrière les chiffres de cet abominable ne sont-elles pas qu’il soit d’abord responsable, partagé, commerce de vies humaines se cachent des pertes encore humain et inclusif ? plus effrayantes. Pour chaque survivant, on estime que des dizaines d’autres ont péri lors des raids et des attaques Le racisme n’est pas qu’attitudes ou comportements déplo- menées pour leur capture. Des multitudes tomberont d’épui- rables de certains envers d’autres du fait de leurs différences sement et des cruautés infligées au cours des marches « ethniques » « raciales » ou « culturelles ». L’histoire nous forcées jusqu’aux forteresses construites par les colons montre combien le racisme n’a rien de banal ni d’inoffensif, européens le long des côtes africaines, de même durant les qu’il peut être érigé en système, induit ou cautionné par des mois de captivité avant la déportation. Le taux de morta- politiques et des pratiques institutionnalisées. lité est en plus estimé à 13 % en raison des supplices et des conditions tout aussi meurtrières du voyage. Cette traversée Le racisme peut s’inscrire et trouver caution dans des infernale, qu’on nommait alors « le passage du milieu », est contraintes coercitives, l’on parle dès lors de personnes et une épreuve inimaginable et les centaines de milliers de de communautés racialisées1, discriminées, mises en marge, corps balancés par-dessus bord feront de l’océan Atlantique méprisées, dépouillées de leurs droits, décrétées indésirables un vaste charnier marin. dans des cercles, des espaces publics ou professionnels, des lieux, des enceintes, des activités. Cela vous dit certainement Nous, les descendants des survivants de cette hécatombe, quelque chose, tant cette absence est flagrante. sommes, rien qu’en Amérique, plus de 200 millions, disséminés de la pointe du Canada au cône de l’Argentine. Il est indé- Des régimes ségrégationnistes, esclavagistes ont permis et niable que les communautés d’ascendance africaine peinent aujourd’hui encore pratiquent le commerce et l’exploitation encore à se relever de l’outrage, à se reconstruire et à renaître d’êtres humains comme des bêtes de somme, jetables après pleinement à elles-mêmes. Les obstacles et les défis sont une vie de sévices, incluant des mutilations, le viol et la tor- lourds et innombrables. Affranchis, émancipés, certes, nous ture. Cette barbarie et ce déni d’humanité placent des millions avons la fierté d’avoir remporté ce combat et nous honorons de personnes d’ascendance africaine parmi les plus pauvres nos ancêtres. Mais il nous faut encore constamment lutter des pauvres, aux rangs les plus précaires dans bien des pays. contre l’aliénation, le racisme larvé et les injustices qui nous tenaillent, les profondes inégalités, les divisions et les situations La reconnaissance implique un devoir de mémoire. Combien qui nous minent. préfèrent que l’on n’en parle pas, ni dans les livres d’histoire ni en classe. Il convient pourtant de rappeler que la grande Les objectifs de la Décennie internationale des personnes majorité des personnes qui ont servi à jeter les fondations d’ascendance africaine : responsabilité, justice, développement des Amériques modernes étaient d’origine africaine. Que l’on nous parlent et nous convoquent partout. Au Canada, l’im- sache que des 6,5 millions de personnes qui ont, en effet, tra- pulsion vient du terrain pour forcer la marche des décisions versé l’Atlantique entre 1500 et 1800, seul un million venait et des actions, faire bouger les lignes vers une Stratégie cana- d’Europe. Au cours des 300 premières années des Amériques dienne antiraciste, s’assurer que nous soyons de la partie modernes, telles que nous les connaissons, 5,5 millions de pour la mise en œuvre de programmes et d’interventions qui personnes venaient d’Afrique, enchaînées, embarquées s’imposent dans de nombreux secteurs où la discrimination de force, entassées dans les cales des milliers de bateaux est là, sournoise et rampante. Être de race noire demeure, ici négriers qui sillonnaient, dans un trafic incessant, océans comme ailleurs un combat. Propos offensants, injures, har- et continents, entre l’Europe, l’Afrique et l’Amérique. L’infâme cèlement, discrédit font partie de ces « micro-agressions » « commerce triangulaire » de la traite transatlantique, parfai- qui viennent troubler notre quotidien. Le profilage racial, tement rodée, aura déversé en Amérique des millions d’âmes les difficultés d’accès à l’emploi, à certains corps profession- soustraites au continent africain, dans ces plantations à nels, au financement d’entreprises, à certains services, à des perte de vue, installées sur les territoires ravis, dans un autre instances, à la propriété sont autant d’iniquités affligeantes effroyable génocide, aux populations qui y vivaient depuis qui viennent miner nos perspectives d’avenir. La résurgence des millénaires. L’Europe y a trouvé sa fortune, et pour les d’idéologies populistes et de groupes prônant la suprématie populations d’Afrique et les premiers peuples des Amériques, de la race blanche, y compris auprès d’un certain électorat, du Nord au Sud, ce fut la damnation. dans les réseaux sociaux et autres médias, n’épargne pas le Canada et exige que nous fassions preuve de la plus grande Pour prendre la pleine mesure du drame, il convient éga- vigilance. 1 Une communauté « racialisée » est un groupe de personnes à qui la société blanche dominante attribue une identité raciale de nature oppressive. L'expression « communautés racialisées » fait référence à des populations s’apparentant à celles que l'on appelle « minorités visibles » ou « personnes de couleur », mais en insistant davantage sur le fait que la « race » n'est pas une réalité biologique et que l'imposition d'identités raciales a entraîné des inégalités et différentes formes d’oppression. 10
LA DÉCENNIE INTERNATIONALE DES PERSONNES D’ASCENDANCE AFRICAINE Proclamée par l’Assemblée générale des Nations unies, la Décennie internationale pour les personnes d’ascendance africaine (2015-2024) offre une occasion historique d’aborder et de rectifier l’héritage de siècles de cette odieuse traite des esclaves, ainsi que la discrimination systématique et les obstacles qui entravent la reconnaissance, la justice et le développement pour les personnes d’ascendance africaine. Avec l’objectif général de promouvoir le respect, la protection et la réalisation des droits et libertés fondamentales dans leur intégralité, tels que reconnus dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, la Décennie internationale pour les personnes d’ascendance africaine vise plus spécifiquement à : • Renforcer l’action nationale et mondiale pour la pleine jouissance de l’ensemble des droits fondamentaux et la participation pleine et entière de toutes les personnes d’ascendance africaine à tous les aspects de la société ; • Promouvoir une meilleure connaissance et un plus grand respect du patrimoine, de la culture et de la contribution des personnes d’ascendance africaine au développement des sociétés ; • Renforcer les cadres juridiques conformément à la Déclaration de Durban et à la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, et veiller à leur mise en œuvre intégrale et effective. La Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine appelle à la mise en œuvre de plans d’action concrets, coordonnés et multisectoriels pour mettre fin à la discrimination chronique et systémique qui touche les communautés noires partout dans le monde. Par son devoir d’apporter reconnaissance, justice et développement aux personnes d’as- cendance africaine, la Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine est une occasion de se souvenir, de rétablir la justice et de changer ce qui peut et doit être changé. LE SOMMET PANCANADIEN DES COMMUNAUTÉS NOIRES Les deux premières éditions du Sommet pancanadien des communautés noires, à Toronto en 2017, puis à Ottawa en Les témoignages et les inquiétudes des jeunes des commu- 2019, ont permis à des milliers de participants de tout le pays nautés noires sont particulièrement troublants et ne peuvent de se pencher sur les principaux défis à relever, les initiatives nous laisser indifférents, ils nous pressent d’agir et se saisissent en cours, d’ouvrir un dialogue national sur les moyens de de la Décennie internationale des personnes d’ascendance lutter contre les facteurs de discrimination, de renforcer la africaine : responsabilité, justice, développement pour se cohésion sociale et promouvoir les conditions d’un déve- faire entendre, réclamer des mesures robustes afin d’éradi- loppement pleinement inclusif, équitable et durable. Dès quer, rien de moins, la discrimination raciale. La Fondation le départ, l’accent a été mis sur des questions ciblées, des Michaëlle Jean, proche des jeunes en situation d’exclusion, objectifs à atteindre et la conception d’un plan stratégique d’insécurité, de vulnérabilité, partout au Canada, et de leurs (2017-2024) pour tout le Canada. Le rassemblement à Ottawa communautés, a d’emblée dès 2016, lancé le Sommet pan- a permis des rencontres, des séances franches et directes canadien des communautés noires, une série de rassemble- avec les élus et les décideurs de la capitale nationale. Face ments, visant à mobiliser largement et inclusivement, de la aux ministres, les jeunes ont eu la possibilité non seulement de base au plus haut niveau décisionnel. Partant des préoc- plaider leur cause avec aplomb, des témoignages percutants cupations, des réalités et des perspectives des populations et précis, mais aussi de proposer des solutions concrètes. afro-canadiennes, de leurs expériences, leurs initiatives et leurs expertises, le Sommet pancanadien des communautés Le choix d’Halifax en Nouvelle-Écosse pour la troisième noires convie, de manière stratégique, la participation et la édition du Sommet pancanadien des communautés noires, solidarité de nombreux partenaires des secteurs public et les 20-21-22 mars 2020 n’est pas anodin, il est aussi intentionnel privé, d’institutions et d’organisations nationales et inter- qu’historique. Cette province maritime du Canada offre une nationales et de groupes de la société civile au sens large. histoire contrastée, très emblématique de celle du reste du La lutte contre le racisme et la discrimination raciale, sous continent : une double conquête coloniale et la coexistence toutes ses formes, doit être l’affaire de toutes et de tous, une dans la diversité. Entre les premiers peuples dont le terri- vraie responsabilité partagée. toire non cédé, Mi'kma'ki, a été confisqué et colonisé par 11
les Français et les Anglais; les Acadiens et leur résistance port d’arrivée, lieu de passage, de transit et d’ancrage de à la conquête anglaise; l’établissement de la plus ancienne milliers d’exilés, d’immigrants et de réfugiés, certains fuyant communauté noire du Canada, il y a plus de 400 ans, dès des circonstances extrêmes, en provenance surtout d’Europe l’époque de la traite transatlantique; Halifax est aussi un et maintenant du Moyen-Orient et d’Afrique. LA FONDATION MICHAËLLE JEAN La Fondation Michaëlle Jean est le legs de la 27e gouverneure générale du Canada. Créée en 2010, elle s’est donnée pour mission de mobiliser et de soutenir, par ses programmes et ses activités, les jeunes Canadiennes et Canadiens de 15 à 30 ans, tout particulièrement celles et ceux qui, confrontés à des circonstances difficiles, se trouvent en situation d’exclusion, d’insécurité et de vulnérabilité, partout au Canada. La Fondation Michaëlle Jean accompagne les jeunes dans le renforcement de leur engagement civique, de leurs capacités, la réussite de leurs initiatives sociales et entrepreneuriales, leur volonté d’agir collectivement pour le bien commun. Considérant les jeunes comme de véritables acteurs de changement, elle s’assure que leurs voix et leurs préoccupations soient entendues, que leur leadership et leur apport inestimables soient pris en compte. Dans ses actions, la Fondation privilégie le pouvoir des arts et de la culture comme moyen d’ouvrir de nouveaux espaces de dialogue, de mobiliser et de rassembler avec force la jeunesse et les décideurs. La Fondation Michaëlle Jean insiste également sur le pouvoir de l’éducation, la formation professionnelle, les connaissances essentielles à l’insertion au sein de la vie professionnelle, ainsi que sur la créativité, le pouvoir de l’innovation, dont la jeune génération a le génie. Datant du XVIe siècle, la perspective unique des Afro-Néo- l’avènement de la Confédération. Écossais nous dresse un rare panorama de l’état des relations raciales au Canada. Prêter une oreille attentive aux voix En mars 2020, à Halifax, cette troisième édition arrive à point issues de cette communauté permet de comprendre et nommé, à mi-parcours de la Décennie internationale des d’entrevoir des solutions aux obstacles auxquels se heurtent personnes d’ascendance africaine : reconnaissance, justice, non seulement les personnes d’origine africaine, mais toute développement, le moment d’évaluer où en sont ses objectifs personne victime de discrimination. et de leur insuffler un nouvel élan. En présence de hauts représentants des Nations unies et de la communauté inter- Avec une cinquantaine de communautés afro-néo-écossaises nationale, la troisième édition du Sommet sera également réparties dans toute la Nouvelle-Écosse, l’espoir est de tirer l’occasion de faire avancer une réflexion à l’échelle mondiale, parti de leurs connaissances et de leurs pratiques acquises de rappeler l’urgence d’agir dans l’état actuel d’un monde de de longue date. La Nouvelle-Écosse est la seule province toutes les incertitudes, où les valeurs humanistes volent en à disposer d’un ministère chargé de voir à la condition des éclats, les extrémismes et populismes foisonnent, la fréquence Canadiens noirs. Le gouvernement provincial s’est doté d’un des discours et des crimes haineux s’accentue. Avec la Fondation ministère dédié aux Affaires afro-néo-écossaises qui agit de Michaëlle Jean, l’ONU veut convoquer les jeunes qui luttent, manière transversale sur les questions, les politiques et les à grand renfort d’imagination, contre ces périls. Les jeunes programmes touchant les Afro-Néo-Écossais et la société afrodescendants ainsi que leurs communautés connaissent dans son ensemble. les blessures et les effets dévastateurs du racisme, veulent en venir à bout, sentir qu’ils ne sont pas seuls et que leurs Le 17 octobre 2019, l’Assemblée législative de la Nouvelle- voix portent. C’est pourquoi le Sommet coïncide délibéré- Écosse a adopté à l’unanimité une résolution appuyant les ment avec la Journée internationale pour l’élimination de objectifs de l’édition 2020 du Sommet pancanadien des la discrimination raciale, le 21 mars. Le Sommet lancera la communautés noires. Cette résolution inscrit l’intention Déclaration d’Halifax pour l’éradication de toutes les formes historique du Sommet dans les annales de la Chambre de discrimination, un appel historique nous invitant à faire en d’assemblée de la Nouvelle-Écosse, siège de la législature de sorte que les objectifs que nous nous sommes fixés pour cette la Nouvelle-Écosse dont le bâtiment bicentenaire, Province décennie franchissent la ligne d’arrivée. House, est le plus ancien du Canada, le gouvernement colonial de la Nouvelle-Écosse y tenait déjà ses assises bien avant Il est formidable de voir comment, en amont du Sommet, 12
les organismes communautaires et associations de la société civile, des femmes, des hommes et des jeunes, militants, chercheurs, artistes et créateurs, éducateurs et formateurs, programmateurs et entrepreneurs, parlementaires, juristes, banquiers, professionnels de tous les secteurs, toutes et tous engagés partout au Canada se préparent non seulement à soulever d’importantes problématiques, mais travaillent activement à des recommandations pour la conception de stratégies novatrices et le déploiement d’actions concrètes pour répondre à un large éventail de besoins socioculturels, économiques, politiques et structurels. La plus grande attention est portée aux questions de justice, aux conséquences mêmes de la discrimination sur la santé, à l’intégration professionnelle et économique, à l’action concertée contre toutes les formes d’exclusion, aux investissements dans la formation, l’innova- tion et l’entrepreneuriat socioculturel, à l’évaluation des poli- tiques d’intégration, à la surreprésentation des jeunes noirs et autochtones dans le système carcéral, et à l’aménagement urbain qu’il faut repenser en le centrant sur un humanisme. Toutes ces collaborations entre des acteurs issus d’une grande diversité de secteurs viendront enrichir les échanges, mais sans jamais se soustraire au pragmatisme, à la valeur pratique et applicable des stratégies, politiques et programmes à mettre en œuvre, tout comme celle des compétences à réunir. Des entreprises seront aussi invitées à témoigner de l’impact de leurs politiques en matière de responsabilisation et de leurs plans d’action favorisant l’inclusion et la diversité au sein des équipes de travail, des services et des ressources humaines au sens large. Tout sera affaire de reconnaissance, de justice et de déve- loppement. 13
OPPORTUNITÉS ET RESPONSABILITÉS UNIQUES DE LA DÉCENNIE INTERNATIONALE POUR LES PERSONNES D’ASCENDANCE AFRICAINE L'Honorable Dre Jean Augustine est une administratrice de l’éducation grenadienne canadienne, militante pour la justice sociale et politicienne. Elle a été l’une des deux premières femmes noires canadiennes élues à la Chambre des communes. Elle a été ministre d’État au multiculturalisme (et à la Condition féminine) de 2002 à 2004. Au fil des ans, les Nations Unies ont été un forum important des défis systémiques afin d’égaliser les chances des Noirs. pour la reconnaissance de l’histoire accablante des défis En s’inspirant des meilleures approches, un double chemine- systémiques et des conséquences permanentes que les Noirs ment donnera les meilleurs résultats. du monde entier ont dû endurer en tant que victimes de la traite des esclaves et de l’héritage du colonialisme. En par- Premièrement, une coordination mondiale sur une question ticulier, la Déclaration et le Programme d’action de Durban d’une telle ampleur et d’une telle portée est essentielle. Cela (DDPA) de 2006 des Nations Unies fournit un cadre concret implique un accord sur un ensemble d’idéaux et d’objectifs de mesures pour lutter contre le racisme, la discrimination mondiaux. Parmi ces principes généraux, il devrait y avoir : raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est liée. La thèse sous-jacente est qu’aucun pays ne peut prétendre être exempt • un effort pour que les personnes d’origine africaine de racisme. Il s’agit d’une préoccupation mondiale qui nécessite reçoivent la meilleure éducation possible ; un effort universel et des actions de sensibilisation dans le monde entier. • l’autonomisation économique de l’individu et de la communauté ; et S’appuyant sur la DDPA, la Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine (DIPAA), qui s’étend de • l’inclusion et la participation actives des femmes. 2014 à 2024, reconnaît que les personnes d’ascendance africaine représentent un groupe distinct dont les droits de la Selon ces principes fondamentaux, un plaidoyer efficace personne doivent être promus et protégés. La DIPAA offre un devrait impliquer une collaboration entre les individus, les moyen par lequel les communautés du monde entier peuvent organisations et les gouvernements en Afrique et dans les favoriser le dialogue et la collaboration en vue de promouvoir pays de la diaspora africaine. Grâce aux efforts déployés à la le respect et la protection des droits de l’homme et des libertés base, les approches de divers pays pourraient être davantage fondamentales des personnes d’origine africaine. C’est égale- distillées selon les lignes directrices de politiques internes. ment un moyen de reconnaître la richesse du patrimoine et les contributions importantes des Africains à la société mondiale. Deuxièmement, ces idéaux doivent d’abord commencer à s’imposer au niveau familial, communautaire et local. C’est Au fil des ans, d’éminents penseurs ont avancé des idées à ce niveau que l’influence peut le mieux s’exercer – et que constructives sur la meilleure façon de relever l’ensemble l’on peut obtenir un impact et des résultats immédiats. Cela 14
signifie que les parents, les enseignants et les autres acteurs noirs visant à coordonner et à optimiser les efforts de reven- communautaires de première ligne doivent s’approprier les dication des organisations des communautés de partout au changements qui relèvent de leur compétence. En pratique, pays afin d’améliorer la collaboration entre le gouvernement il s’agit de garantir les meilleures possibilités et les meilleurs et le secteur privé. résultats en matière d’éducation pour les enfants noirs, d’enseigner et d’inculquer une appréciation de l’autonomie Au Québec, le Forum économique international des Noirs économique, de la création de richesses et du réinvestisse- fait la promotion de l’esprit d’entreprise et de l’investissement ment caritatif dans la communauté, et de garantir l’égalité des comme moteur de prospérité des communautés noires, et chances pour les femmes et les filles qui sont confrontées à souligne l’importance d’établir et de maintenir des relations de nombreuses formes de discrimination et d’exclusion qui avec le gouvernement afin de mieux influencer l’élaboration se recoupent. Partout dans le monde, cela inclut les inégalités des politiques. dans l’accès à la santé, l’invisibilité dans la collecte des données et la violence disproportionnée à leur encontre — tout cela les En Ontario, la Black Health Alliance recherche des solutions prive, ainsi que la société, de leur capacité inhérente à contribuer innovantes pour améliorer la santé et le bien-être des commu- à la construction de sociétés fonctionnelles. nautés noires, y compris les enfants. Cela implique d’aborder les problèmes systémiques liés à la santé physique et mentale, y En 2018, le gouvernement du Canada a officiellement pro- compris les effets sur les nouveaux immigrants et les réfugiés. mulgué la DIPAA afin de souligner et de célébrer l’importante Au Centre Jean Augustine pour l’autonomisation des jeunes histoire des contributions des personnes d’origine africaine à femmes de Toronto, des travaux sont en cours pour inculquer la société canadienne, ainsi qu’un cadre de reconnaissance, aux filles et aux jeunes femmes les outils et les compétences de justice et de développement pour lutter contre le racisme, nécessaires à leur réussite et à leur leadership. la discrimination et les inégalités persistantes auxquelles les Canadiens d’origine africaine sont confrontés. Les Canadiens En Nouvelle-Écosse, l’Université Dalhousie prend des noirs ont contribué au patrimoine canadien depuis l’arrivée mesures pour renforcer ses relations avec la communauté de Mathieu Da Costa, qui a dirigé Samuel de Champlain le afro-néo-écossaise en élaborant une stratégie visant à long du fleuve Saint-Laurent au début des années 1600. résoudre spécifiquement les problèmes structurels auxquels Depuis lors, les Noirs ont contribué de nombreuses façons à les personnes continuent de faire face en raison de ce qui s’est la croissance, à la diversité et au développement du pays. produit dans le passé. Il est important de noter que la DIPAA a été présentée dans Dans le monde entier, une série d’initiatives notables en le cadre d’un engagement plus large visant à construire un matière de DIPAA sont également en cours. De l’Amérique Canada plus fort et plus inclusif. Des fonds modestes ont été du Nord et du Sud à l’Europe, à l’Afrique et aux communautés annoncés pour améliorer la recherche et la collecte de don- de la diaspora africaine dans le monde entier, la plupart des nées, ce qui permettrait également aux décideurs politiques activités sont liées aux thèmes de la décennie, à savoir la de mieux comprendre les défis particuliers auxquels sont reconnaissance, la justice et le développement. confrontés les 1,3 million de Canadiens de race noire qui se déclarent comme tels au Canada. Mais malgré les meilleures intentions, la réflexion doit porter sur ce que l’on peut considérer comme des résultats réalistes Mais les données existantes soulignent déjà une sombre réalité. de la DIPAA. Verrons-nous des améliorations en 2024 ? Ou au Le taux de chômage des Canadiens noirs est de 12 %, alors que moins une voie vers l’amélioration ? Les décideurs politiques la moyenne pour les citoyens non noirs est de 5 %. En outre, seront-ils vraiment capables de s’entendre sur ce qui doit être alors que les Canadiens noirs ne représentent que 3,5 % de la fait ? Ou sur la manière de le faire ? population canadienne totale, 18 % d’entre eux vivent dans la pauvreté. Ces chiffres, ainsi qu’une série d’autres indicateurs Lorsque l’on s’interroge sur la condition des personnes d’ascen- socio-économiques négatifs, sont liés à l’héritage de l’esclavage. dance africaine, il faut être conscient de la grande diversité des Il n’est pas non plus surprenant que les problèmes de santé Noirs dans le monde, mais encore plus vigilant quant à notre mentale et la surreprésentation dans le système correctionnel histoire commune de persécution sur la base de la race et de aient également été cités par les dirigeants communautaires la couleur de la peau. Par exemple, une incarcération dispro- comme des obstacles à la participation pleine et égale des portionnée et un désavantage économique peuvent être des Canadiens noirs à la société. En améliorant la recherche et la indicateurs principaux pour les communautés d’ascendance collecte de données, on s’attend à ce que des données solides africaine dans les pays occidentaux. Le racisme anti-noir est et impartiales aident à la formulation de meilleures solutions peut-être moins répandu en Afrique continentale ou dans politiques. les pays des Caraïbes où les Noirs détiennent et contrôlent le pouvoir formel et informel. Entre-temps, dans tout le pays, les initiatives en cours de la DIPAA comprennent le Sommet national des Canadiens Cependant, lorsque nous considérons la voie vers un paysage 15
Vous pouvez aussi lire