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LUXEMBOURG
3
LE HORS-SÉRIE DES LADIES EXTRAORDINAIRES
Hors série
ONLY
FOR
WOMEN
www.magazinepremium.lu
www.luxartfair.com
Photo couverture : Julianne Moore/Chopard
Directeur de publication
David Bail
ÉDITO
Le poids de la féminité
J
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Responsable de publication et publicité
Anne Ciancanelli Hollings (dans le livre Fuck les Régimes) qui énumérait en quelque
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toute faite. Entrer dans une case, mais être originale. Être originale, mais
Rédacteurs et contributeurs
Annie Esch pas marginale. Soigner son apparence, sans être objet sexuel. Séduire
Krystyna Gawlik Anne Ciancanelli, rédactrice en chef de ce
Antonio Da Palma Ferramacho Hors-série Special femmes
les hommes, en restant discrète. Ne pas castrer, ne pas se soumettre.
Sabrina Pontes
Impression
Ne pas être une salope, mais faire l’amour comme dans du porno. Nonne
Tirage Luxembourg : 8 500 exemplaires
multiorgasmique. Être drôle, mais pas clown. Être maquillée, mais pas tarte. Soft mais sophistiquée. Naturelle mais
France (Metz-Thionville) : 5 000 exemplaires
Fréquence : 7 numéros par an sexy. Exubérante mais rasée comme une militaire. Être mature, mais rester jeune. Rester jeune, mais pas gamine.
Impression BDZ Centre d'impression
www.magazinepremium.lu Être mince, mais avec des seins. Être aux fourneaux, et au régime. Bonne vivante, affamée. Avoir du caractère – ah,
Premium sur les réseaux sociaux attention, là, c’est trop : vous êtes hystéro. Ne pas vouloir fonder une famille à tout prix, mais en fonder une quand
même. Travailler quarante heures par semaine mais préparer des plats bio «maison». Être une bonne mère, mais ne
www.facebook.com/premiumluxembourg pas se perdre. Se perdre, c’est mal. Mais être une mauvaise mère, aussi. Vingt minutes par jour de yoga, mais toujours,
www.linkedin.com/company/magazinepremium
www.instagram.com/magazine_premium toujours, garder le contrôle. C’est sûr, ça ne laisse pas beaucoup de place pour révolutionner le monde...».
Alors peut-être que ça ne laisse pas beaucoup de place pour révolutionner le monde comme elle le dit, mais, de tous
temps, les femmes ont été pionnières, ambitieuses, audacieuses. Puisqu’au cours du dernier siècle, des avancées
majeures ont été faites pour la liberté et la condition de la femme, nous sommes plus que jamais contributrices de
l’histoire. Croyez-moi, être femme aujourd’hui c’est quelque chose, mais c’est un privilège aussi. Bonne lecture de
cette édition qui se veut être une ode à la femme, celles qui ont marqué le passé, pèsent sur le présent et dessineront
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l’avenir.
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HORS-SÉRIE
n°3
HORS-SÉRIE SPÉCIAL LADIES OCTOBRE 2019
p. 3 EDITO
12 LIFESTYLE
12
p. 12 BELLES DE MÉCANIQUES
p. 18 DESIGNED FOR APFEL
20 saveurs
p. 20 L’ENFANT DE LA TABLE
p. 24 LA GASTRONOMIE SUR MESURE
p. 26 FONDRE DE PLAISIR
32 CAPITAL
p. 32 INVESTIR, UNE AFFAIRE DE FEMMES
34 TAKE CARE
p. 34 FRAGRANCES DÉLITS
p. 36 UN CRÉATEUR ENIVRANT
18 26 38 DÉCO
p. 38
p. 40
p. 44
FLAMMES FATALES
LES SENS DU BEAU
42 CULTURE
p. 42 RENDEZ-VOUS AVEC L’HISTOIRE
J. K. ROWLING, UN SUCCÈS MAGIQUE
46 FASHION
p. 46 LOVE AFFAIRES
p. 48 UN BAR DE STYLE
44
66 SOCIÉTÉ
p. 66 L’ANNÉE DE TOUS LES DANGERS
p. 68 ROYAUMES DE FEMMES
72 TRAVEL
p. 72 ENTRE CIEL ET MER
p. 74 RÊVES PARTY
76 HIGH TECH
p. 76 ELECTRO CHIC
78 WATCHES
82 88
p. 78 ULTRA VIOLET
80 JEWELRY
p. 80 BLING OF JUNGLE
p. 82 PASSION JOAILLIÈRE
86 POWER
p. 86 EN TENUE DE CROSS FIT
p. 88 PLASTIQUE DE RÊVE
p. 90 PEUGEOT AU VOLANT DE DS
92 SPORT
92
p. 92 L'EXPÉDITION DE ANNICK GOERENS
PREMIUM HORS-SÉRIE LADIES 8
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LES NEWS
1
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IN THE du Luxembourg étend son modèle
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2
LE CRÉATEUR DE MODE
KARIM MEGUELLATI SIGNE LE
RETOUR DE LA FEMME
Le créateur de mode Karim Meguellati a fait
un retour le 23 octobre dans les salons de
l'Hôtel Le Place d'Armes avec un nouveau
défilé. Une quinzaine de modèles ont offerts
aux invités des créations à la silhouette bien
définie, des éléments phares qui ont marqué
la précédente présentation. Cette collection
automne/hiver est placée sous le signe de
l’élégance. Karim Meguellati veut un retour
au raffinement et faire de la femme, une "
femme-femme ".
Hôtel Le Place d'Armes*****, 18 Place
d'Armes à Luxembourg
POUSSEZ LES PORTES DE L'ORIENT AU BAZAAR
Ouvert sur un emplacement emblêmatique en plein cœur de la ville de
Luxembourg, le restaurant Bazaar et sa grande façade atypique font
déjà sensation. L'intérieur dévoile une décoration d'inspiration orientale
à l'image de sa carte, un bar impressionnant et une magnifique cave à
cocktail privatisable pour passer de très belles soirées.
Bazaar, 46 Place Guillaume II à Luxembourg 4
3
LA MAISON JOAILLIÈRE
GORALSKA ACCUEILLE UNE
PRÉCIEUSE EXPOSITION
La Maison Goralska, qui crée des pièces
joaillières pour les femmes ‘citoyennes du
monde’ et affirmées, se fait l’hôte d'une
exposition au sein de son enseigne, rue du
Fossé, en ville. C’est l’artiste Ott Neuens
qui est présenté jusqu’au 23 novembre et se
mêle parfaitement à cet univers de bijoux. En
effet, il utilise pour ses couleurs des pigments
de lapis-lazuli, une pierre semi-précieuse de
couleur bleue.
Goralska, 9 rue du Fossé à Luxembourg.
Jusqu’au 23/11/2019.
PREMIUM HORS-SÉRIE LADIES 10Photomontage sur photo Bell&Ross BR126 Original LIFESTYLE
Amelia Earhart devant le Lockheed Electra
dans lequel elle a disparu en juillet 1937.
(Crédit photo Harris & Ewing)
|
HISTOIRE FEMMES ET MÉCANIQUES
Belles de
MÉCANIQUES
De tous temps, les femmes ont été un souffle de courage et de persévérance
dans un monde souvent modelé par les hommes pour les hommes. Alors
qu’en plein XXIème il semble encore d’utilité de lutter pour la parité, nous
revenons sur des parcours de femmes d’exception qui ont marqué leur temps,
et l’histoire tout autant. Ces trois récits rappellent que la mécanique aussi, qu’il
s’agisse de voiture ou d’avion, est une histoire de femme.
Par Anne Ciancanelli
PREMIUM HORS-SÉRIE LADIES 12En 1929, après avoir obtenu la troisième place lors de la pre-
AMELIA EARHART mière course aérienne féminine transcontinentale, Earhart a
contribué à la création de Ninety-Nines, une organisation in-
L'as du ciel ternationale dédiée à la promotion des femmes pilotes. Elle en
est devenue la première présidente. Cette organisation existe
Amelia Earhart n’est pas une femme importante dans l’histoire toujours aujourd'hui et recense une centaines de membres
de l’aviation, mais un personnage important dans l’histoire de venant de 44 pays.
l’aviation. Par sa hardiesse, cette aviatrice américaine a dé- À l’approche de son 40e anniversaire, Amelia a déclaré : « J’ai
fendu l'émancipation des femmes dans cette activité et a éta- le sentiment qu’il reste vraisemblablement un bon vol man-
bli de nombreux records : elle est devenue la première femme quant dans mon système… » Elle espérait que ce serait un
à voler en solo à travers l’océan Atlantique et la première per- vol autour du globe. Elle voulait être la première femme à le
sonne à voler en solo d’Hawaï au continent américain! Earhart faire.Elle planifia alors un tour du monde en avion, en suivant
disparut au-dessus du Pacifique en juillet 1937, au cours d'un la ligne de l’équateur… Un périple de 29000 miles. Le 1er juin
vol qui devait faire le tour du globe et qui n’était pas loin d’y 1937, Earhart et son navigateur Fred Noonan quittèrent Miami
arriver. L'épave de son avion ne fut jamais retrouvée et elle fut en grande pompe en direction de l'est. Pendant les 29 premiers
officiellement déclarée perdue en mer. Sa disparition reste l'un jours de vol, ils ont traversé le continent américain, l'Afrique,
des plus grands mystères non résolus du XXe siècle. Amelia la péninsule arabique, l’Inde, le sud-est asiatique et l’Indoné-
Mary Earhart est née à Atchison, au Kansas, le 24 juillet 1897.
Elle a défié les rôles de genre traditionnels dès son plus jeune
âge. Earhart a joué au basketball, a suivi un cours de répara-
tion automobile et a brièvement fréquenté l’université, ce qui
à cette époque était peu commun. Pendant la Première Guerre
mondiale, elle s’est engagée en tant qu'infirmière à la Croix- // AU MOMENT OÙ JE FUS
Rouge à Toronto, au Canada. C’est là qu'elle a commencé à
regarder les pilotes du Royal Flying Corps sur l’aérodrome local À DEUX OU TROIS CENTS
de Toronto. Après la guerre, elle retourna aux États-Unis pour
étudier la médecine mais surtout effectuer son premier vol. PIEDS DU SOL, JE SUS QUE
C’était en Californie, en décembre 1920. Au cours d'un spec-
tacle aérien auquel elle assistait, à Long Beach, elle effectua JE DEVAIS VOLER //
un court trajet en avion avec le célèbre pilote Frank Hawks :
ce vol de 10 minutes a changé sa vie. « Au moment où je fus
à deux ou trois cents pieds du sol, je sus que je devais voler »,
a-t-elle dit. Dès janvier 1921, elle commence à prendre des
cours de pilotage. Un peu plus tard cette même année, elle sie, où ils ont marqué une longue pause sur l’île de Java pour
acheta son premier avion, un Kinner Airster d’occasion, qu'elle réviser l’avion. En reprenant leur vol vers l’Australie, ils ont
surnomma « le canari »… Il était jaune. atterri à Lae, en Nouvelle-Guinée, pour un ravitaillement en
Earhart a établi un certain nombre de records dans l'aviation carburant. Les 7 000 milles restants devaient être parcourus
au cours de sa courte carrière. Son premier fait d'arme date par le Pacifique. Le plan prévoyait d'atterrir sur l'île Howland,
de 1922, lorsqu'elle est devenue la première femme à voler en située entre Hawaii et l'Australie, à 2,556 milles de Lae. Avec
solo à une altitude supérieure à 14 000 pieds. En 1932, Earhart seulement 1,5 km de long et un demi-mile de large, l’île de
devint la première femme (et la deuxième personne après Howland était un endroit difficile pour atterrir. Des précautions
Charles Lindbergh) à traverser l'océan Atlantique en solo. Elle spéciales de navigation avaient été prises, y compris l’éta-
décolla de Harbour Grace, à Terre-Neuve, pour se rendre à blissement de communications radio avec le navire américain
Paris. Presque immédiatement, le vol a été malmené par le Itasca de la Garde côtière américaine au large de l’île. Earhart
mauvais temps, des nuages épais et de la glace sur les ailes. et Noonan ont décollé de Lae à 10 heures. Ils ont rencontré
Earhart savait qu'elle ne se rendrait pas à Paris et a atterri à très tôt des problèmes de ciel couvert et d'averses de pluie.
Londonderry, en Irlande. « Après avoir effrayé les vaches du En approchant de Howland Island, ils ont été incapables d'éta-
quartier, je me suis arrêtée dans la cour d’un fermier », a-t-elle blir un lien suffisant avec l'Itasca ou de s'y poser. Après une
déclaré. Earhart a reçu de nombreux honneurs pour son vol dernière communication à 8h43: «Nous courons au nord et
de 15 heures et est devint une héroïne internationale. Entre au sud», leur avion disparaît des radars. Certains témoins ont
1930 et 1935, elle a établi pas moins de sept records d’aviation déclaré que l'antenne de la radio avait peut-être été endom-
‘femme’, tant sur la vitesse que sur la distance. Amelia est magée et d'autres experts ont suggéré que leurs cartes étaient
devenue une véritable célébrité dans son domaine, au point peut-être inexactes. Le président Franklin D. Roosevelt a auto-
d'être surnommée "Lady Lindy » par la presse et a longuement risé une recherche massive du couple, à l’aide de pas moins de
oeuvré à promouvoir les opportunités pour les femmes au sein 9 navires et 66 avions, mais les recherches restèrent vaines. Le
de l'aviation. 19 juillet 1937, Earhart et Noonan sont déclarés perdus en mer.
PREMIUM HORS-SÉRIE LADIES 13LIFESTYLE
Photos : Daimler media
BERTHA BENZ
La pionnière de l'automobile
Aujourd’hui, Mercedes-Benz est l’un des constructeurs les plus connus
au monde mais sa saga n’est pas due à son créateur seul... L’adage
« derrière chaque grand homme se cache une femme » vous dit peut-
être quelque chose ? Car il convient parfaitement au récit de Mercedes.
Son inventeur, Carl Benz, a créé cette marque à l’aide de son inventrice
de femme, Bertha Benz, née Ringer. Carl Benz était un inventeur génial,
certes, pionnier dans l’industrie automobile, mais pas forcément porté
sur les affaires. Si sa découverte a su révolutionner la mobilité du
19ème siècle et en somme changer le monde, c’est grâce à l’énergie,
à la témérité sans faille de Bertha. Pour cela, il faut se replacer dans
le contexte de cette époque, où, à la fin de ce 19ème siècle, le public
était encore particulièrement méfiant d’un véhicule avançant sans
cheval, à la force d’une énergie encore inconnue. Déjà, d’un point de
vue moral et sociétal, cette invention était presque considérée comme
antipatriotique tant le Kaiser aimait les chevaux et qu’il était alors
inconcevable de les remplacer. Puis religieusement aussi, attendu que
l’église, férocement conservatrice, pointait l’automobile comme une
invention du diable. Mais aucune de ces réticences n’a su freiner
l’entrain, l’engouement et la confiance que plaçait Mme Benz dans le
véhicule de son mari. Un jour, au petit matin, elle prit une décision qui
allait tout simplement marquer l’histoire : conduire cette automobile
sur une longue distance. En ce 5 août 1888, en toute discrétion, elle
sortit la ‘Patent Wagen’ de l’atelier pour ne pas alerter son mari et se
lança dans un voyage d’une centaine de kilomètres avec ses deux fils,
Eugen et Richard. Elle laissa tout de même un mot à Carl, qu’il trouva
à son réveil, où elle l’informait qu’elle était partie rendre visite à sa
mère à Pforzheim... à 104 kilomètres de là. Il faut dire que parcourir
cette distance à cette époque n’était pas une mince affaire. Déjà, cette
PREMIUM HORS-SÉRIE LADIES 14// BERTHA BENZ A DÛ
DÉBOUCHER UN CONDUIT
D'ESSENCE AVEC SON
ÉPINGLE À CHEVEUX, FAIRE
APPEL À UN FORGERON POUR
RÉPARER LA CHAÎNE, RÉPARER
UNE CONDUITE QUI FUIT
-25
SHOWROOM
% SUR
TOUT LE
AVEC SA JARRETIÈRE //
automobile, perçue comme la première de l’histoire, restait rudimentaire et peu
confortable. Sa vitesse avoisinait tout juste les 15km/h, et son réservoir ne pou-
DE 10 À 15 %
SUR LES COMMANDES
vait contenir que 4,5 litres d’essence. Évidemment, il n’y avait pas de stations
essence à cette époque, ce qui corsa particulièrement le trajet. C’était d’ailleurs
l’une des principales problématiques de Bertha : trouver de l’essence en cours
de route et donc s’approvisionner auprès des pharmacies, qui étaient les seules
à vendre de l’éther de pétrole en ces temps. Autre embûche, son moteur mono-
cylindre n’était pas assez puissant pour affronter les montées et obligeait les
deux fils, alors adolescents, à pousser le véhicule. À part cela, Bertha Benz a dû
« déboucher un conduit d'essence avec son épingle à cheveux, faire appel à un
DU 1 er AU 30 NOVEMBRE
forgeron pour réparer la chaîne, réparer une conduite qui fuit avec sa jarretière ».
Là encore, l’ingéniosité de madame Benz fait pâlir tant elle parvient à trouver
des solutions à chaque obstacle. C’est d’ailleurs elle qui inventa les plaquettes
de frein car, pour l’anecdote, elle avait sollicité un cordonnier afin qu’il recouvre
de cuir les patins en bois des freins qui commençaient à défaillir. Tout au long de
son parcours, elle tenait informé son mari de son avancement par le biais de télé-
grammes et surtout annotait dans un carnet tous les problèmes rencontrés. Ce
carnet allait devenir un renfort de taille pour perfectionner l’engin. Partis à l’aube,
ils arrivèrent à Pforzheim à la nuit tombée. Trois jours plus tard, Bertha et ses
deux fils retournèrent à Mannheim, toujours à bord de la Motorwagen n°3, sans
encombre. Étonnante et complètement étrange pour cette époque, cette machine
a effrayé de nombreuses personnes à son passage, si bien qu’elle a fait beaucoup
parler d’elle. Et c’était bien là le but de Bertha : attirer l’attention du public.
C’est ainsi que Bertha Benz est devenue, il y a 130 ans, la première personne à
conduire une automobile sur un si long trajet. Instigatrice de ce périple, elle a
prouvé l'efficacité de cette automobile, offert une publicité extraordinaire pour
l'époque et déterminé de nombreuses améliorations comme les plaquettes de
frein et l’ajout d’un rapport essentiel pour monter les côtes. Comme le disait
Carl lui-même, elle était plus audacieuse que lui. Carl Benz était effectivement le
créateur de cette machine qui allait changer le monde mais c’est bien Bertha qui
a modelé l’automobile telle qu’on la connaît aujourd’hui.
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National de l'Aéronautique, ou NACA) cherchait à envoyer des personnes
dans l'espace pour la première fois, et surtout à devancer les russes. Cette
tâche nécessitait de nombreux calculs et ne bénéficiait pas encore des or-
dinateurs de grande puissance dont nous disposons aujourd'hui ; c’est ainsi
que l'agence a décidé d’embaucher une équipe d’« ordinateurs » femmes
contre des bas salaires, tout simplement parce que les hommes étaient
partis au front et qu’ils commençaient à manquer. Johnson était intéressée
mais fut recalée lors de sa première candidature. Elle retenta sa chance et
intégra enfin l’unité West African Computing, un groupe de femmes afro-
américaines qui effectuaient manuellement des calculs mathématiques
complexes pour les ingénieurs du programme. Ces femmes, connues sous
le nom de West Computers, ont analysé les données de tests et fourni des
calculs mathématiques essentiels au succès du premier programme spatial
américain. Au cours de cette période soumise aux lois ségrégationnistes,
qui jugeaient selon la couleur de la peau, la NACA était séparée des West
Computers, qui étaient obligées d’utiliser des toilettes séparées. Cela a
changé en 1958 lorsque la NACA a été intégrée à la Nouvelle Administra-
tion Nationale de l'Aéronautique et de l'Espace (NASA), interdisant alors
la ségrégation.
Johnson a une telle maîtrise des chiffres, presqu’au-delà de l’entende-
ment, qu’elle n’a cessé de repousser les barrières, tant sociétales que
raciales. Membre du groupe de travail spatial de la NASA, elle parvient à
assister aux réunions alors interdites aux femmes. En 1960, elle a coécrit
avec un ingénieur du groupe un article sur les calculs de mise en orbite
d’un vaisseau spatial ; c'était la première fois qu'une femme de sa division
recevait un crédit en tant qu'auteur d'un rapport de recherches. Katherine
a écrit ou coécrit 26 rapports de recherches au cours de sa carrière. Elle a
également joué un rôle essentiel dans le programme Mercury (1961-1963),
consacré aux vols spatiaux habités. En 1961, elle calcula le chemin de Free-
dom 7, le vaisseau spatial qui avait envoyé le premier astronaute américain
Photo : NASA, restored by Adam Cuerden
dans l'espace, Alan B. Shepard. Mais ce sont les trois orbites autour de la
Terre effectuées par l’astronaute John Glenn en 1962 qui ont marqué un
tournant dans cette course spatiale entre les États-Unis et la Russie. Son
visage est peut-être celui dont la plupart des gens se souviennent, mais,
en coulisse, Katherine Johnson a été un facteur clé pour le faire décoller.
Les équations orbitales utilisées pour déterminer sa mission avaient été
téléchargées sur un ordinateur, sauf que les calculatrices électroniques
n’étaient toujours pas jugées fiables au début des années 60. C’est donc
à la demande de John Glenn que Johnson vérifia si l'ordinateur avait pla-
nifié son vol correctement. « Si elle dit que tout va bien, je suis prêt à y
aller. » a-t-il dit. Le vol s’est déroulé sans accroc. Tandis que John Glenn est
accueilli en héros national à son retour, les États-Unis ont déterminé leur
projet spatial le plus épique, celui qui marqua l’Histoire. Le président John
F. Kennedy avait ordonné à la NASA de se mettre au travail pour la mission
KATHERINE JOHNSON la plus ambitieuse jamais réalisée : envoyer une navette avec des hommes
sur la Lune. Ce voyage nécessiterait encore plus de calculs, et Johnson a
Le computer de la Nasa
encore une fois joué un rôle prépondérant : elle a travaillé avec l’équipe
d’ingénieurs de la NASA pour déterminer la trajectoire d’Apollo 11, l’heure
et le lieu de départ permettant aux astronautes de se diriger vers la Lune.
Avant d’aider à envoyer les premiers astronautes sur la Lune, de remporter
Le programme d'atterrissage sur la Lune Apollo a été un succès et sans
la médaille présidentielle de la liberté et de faire l’objet d’un film primé,
doute l'un des événements les plus célèbres de l'histoire des voyages dans
Katherine Johnson était une « female computer » (ordinateur femme) ano-
l'espace. L’administrateur adjoint de la NASA, Dava Newman, n’a pas exa-
nyme effectuant un travail ingrat mais vital à la NASA. Les réalisations
géré en affirmant dans un communiqué de la NASA que Katherine Johnson
de cette mathématicienne hors pair ont depuis été reconnues et elle est
"avait littéralement écrit le manuel sur la science de la fusée". Plus tard
aujourd'hui considérée comme l'une des pionnières de l'ère spatiale. Le
dans sa carrière à la NASA, Johnson a travaillé sur certains des premiers
don qu’a Katherine pour les chiffres lui a permis d’accélérer ses études plans de l’agence pour une mission sur Mars. Elle a pris sa retraite en
et de s’affirmer tout au long de sa vie. Ses victoires, nombreuses, furent 1986, quelques décennies avant que la NASA publie un plan détaillé pour
doubles : elle a su s’imposer en tant que femme dans une société totale- atteindre la planète rouge au public.
ment patriarcale et surtout faire oublier sa couleur de peau alors que les Peu de personnes connaissaient son nom lorsque les premiers astronautes
États-Unis étaient en pleine ségrégation raciale. ont foulé le sol lunaire en 1969, mais en 2015, Johnson a été reconnue offi-
Pour étaler un tant soit peu ses capacité et précocité, Katherine Johnson, ciellement et en grande pompe. Le président Barack Obama lui a décerné
née Coleman en Virginie-Occidentale (États-Unis) le 26 août 1918, était la Médaille Présidentielle de la Liberté pour son travail de pionnière dans
déjà prête pour le lycée à l’âge de 10 ans. Au premier cycle du West Virgi- les domaines des STEM (Sciences, Technologie, Ingénierie et Mathéma-
nia State College, elle a suivi tous les cours de mathématiques possibles. tiques); cette médaille est le plus grand honneur qu'un civil puisse recevoir.
L'un de ses mentors, le célèbre mathématicien noir William W. Schiefflin En 2016, la NASA a donné son nom à un bâtiment, le centre de recherches
Claytor, a même conçu un cours sur la géométrie de l'espace spécialement informatiques Katherine G. Johnson. Cette année-là, Margot Lee Shetterly
pour elle. À l'âge de 18 ans, Johnson a obtenu son diplôme en mathéma- publiait Hidden Figures : The American Dream pour raconter l'histoire iné-
tiques et en français avec la plus haute distinction. En 1939, en pleine dite de ces mathématiciennes noires ayant contribué à la victoire dans
période de ségrégation raciale, elle a été choisie pour être l'un des trois la conquête de l'espace, ces West Computers, dont Katherine Johnson,
premiers étudiants afro-américains à s'inscrire à un programme d'études Dorothy Vaughan et Mary Jackson étaient les figures de proue. Un film au
supérieures à la West Virginia University. Elle y a étudié les mathéma- succès retentissant (Les Figures de l’Ombre en français) basé sur le livre
tiques, mais est vite partie après avoir épousé James Goble et découvert est également sorti en 2016.
qu’elle était enceinte. Il mourut en 1956 et, trois ans plus tard, elle épousa « J'ai juste fait mon travail. La NASA avait un problème et j'avais la solu-
James Johnson. tion. » C'est avec ces mots et sans aucune fausse humilité que Katherine
Alors que la conquête de l’espace en était à ses prémisses au milieu des Johnson avait résumé, il y a quelques années de cela, sa carrière au Wash-
années 50, la NASA (alors connue sous le nom de Comité Consultatif ington Post.
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INFLUENCEUSE IRIS APFEL
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« Iris Apfel est l'une des grandes icônes de style des temps modernes.
Influenceuse de la mode, ambassadrice de marques, mannequin,
star de cinéma et designer. Elle a défini le fait que vieillir n’est pas
seulement une destination, mais un art.*» Par Annie Esch
* C’est en ces mots que John Demsey, président exécutif du groupe Estée Lauder Companies, parle de Iris Apfel.
PREMIUM HORS-SÉRIE LADIES 18Photo : Courtesy Peabody Essex Museum
emme qui transcende le temps et les tendances, Iris Apfel est
une véritable originale, une des personnalités les plus dyna-
miques du monde de la mode, du textile et de la décoration
d'intérieur. Avec son style excentrique et son esprit vif, Iris
Apfel a toujours été vouée à la gloire - même s'il lui a fallu
plus de huit décennies pour y arriver.
Il semblerait qu’Iris a vécu plusieurs vies. D’abord elle fonde
avec son mari Old World Weavers, une société de textile fré-
quentée par Greta Garbo ou Estée Lauder qui lui permet aussi
de parcourir le monde. De ces voyages, elle aiguise sa passion
pour les marchés aux puces et y déniche bijoux et vêtements
artisanaux qu’elle arbore au cours de ses soirées mondaines.
Et c’est ainsi que son style s’apprivoise, se dessine. Architecte matière de mode consiste à se regarder dans le miroir et y voir
d’intérieur, elle se lance également dans de nombreux projets quelqu'un d'autre." Reste qu’elle n’a aucune idée de ce que
de restauration et de design d’envergure. Elle est comme cela, signifie « s’habiller selon son âge » et qu’elle le vit divinement
le ralentissement elle ne connaît pas. bien ainsi.
Après avoir dirigé une entreprise de textile pendant 40 ans et La mode, elle ne la suit pas mais elle matérialise son propre
effectué des travaux de design d’intérieur pour neuf présidents style d’après ses goûts et au détour de ses coups de cœur.
de la Maison Blanche, ce personnnage a connu le succès à 83 Pour elle, il consiste d’ailleurs à prendre des articles basiques
ans lorsque son sens du style excentrique a fait l'objet d'une et à ajouter une touche personnelle. « Chaque personne peut
prendre les trois mêmes unités - une veste, un pantalon, une
blouse - et les assembler à sa manière en changeant les acces-
soires. »
// VOUS ÊTES AUSSI VIEUX QUE VOUS Mais cette férue de mode, influenceuse, qui campe les pre-
LE SENTEZ. LES GENS DE 90 ANS SONT miers rangs lors des défilés, garde l’esprit vif et le regard affûté
sur l’industrie de la mode. "Les designers n'ont pas réussi à
BEAUCOUP PLUS BRANCHÉS QUE réaliser que les femmes âgées détenaient la majorité des reve-
CERTAINES FEMMES DE 40 ANS... SI VOUS nus disponibles. Ne pas leur fournir de vêtements appropriés
est une grande perte", dit-elle. "Beaucoup de stylistes haut de
SAVEZ QUI VOUS ÊTES ET COMMENT VOUS gamme confectionnent de beaux vêtements pour les 18 ans,
POUVEZ VOUS HABILLER // mais ils n'ont pas l'argent." dénonce-t-elle.
À présent, cette starlette gériatrique, dont l'authenticité, l'es-
prit, la candeur et l'énergie contagieuse lui valent près d'un
exposition au Metropolitan Museum of Art de New York. million d'adeptes sur les médias sociaux, n’est pas prête de
C’était en 2005 et c’était d’ailleurs la première personne non calmer le jeu. Bien qu’elle n’ait jamais envisagé de devenir
designer à y faire exposer ses vêtements et accessoires ! Cette l'une des nonagénaires les plus célèbres du monde, Iris Apfel
superproduction l'a catapultée sur le devant de la scène et lui prend son rôle très au sérieux. . "Ce n'est pas parce que tu es
a ouvert une carrière de mannequin, de muse, et ouvert des plus vieux que tu dois arrêter de vivre ou de travailler, ou que
collaborations avec des marques renommées, de Citroën à Tag tu te roules en boule jusqu’à ce que tu trépasses", dit-elle. Celle
Heuer, ou même plus récemment les glaces Magnum. qui considère qu’une retraite précoce est un destin pire que la
Sur sa bio Instagram, elle mentionne « Le plus c’est le plus, mort a, à presque 100 ans, des projets à la pelle : elle vient
et moins c’est ennuyeux ». Le message est clair, et du haut de entre autres de signer un contrat avec le géant mondial du man-
ses 98 printemps, point de monotonie. Elle reste et assume son nequinat IMG et a fait don d’environ 90 de ses looks au musée
côté exubérant, coloré, audacieux, et n’est pas prête de mettre Peabody Essex dans le Massachusetts (États-Unis) afin d’en
de côté sa personnalité forte et excentrique. Harold Koba, réaliser une exposition.
ancien conservateur de l’Institut du costume au Metropolitan
Museum of Art dit à son sujet : « Personne ne connaît mieux
les règles de la mode et est plus disposé à les enfreindre qu'Iris LA BIBLE D'APFEL
Apfel. Aussi inattendue que possible par son style, ses effets ne
Pour celles et ceux qui veulent en découvrir plus
la transforment jamais en confusion ou chaos. Elle est comme
sur cette icône atypique, elle a sorti un livre « Iris
un fashion Picasso, elle arrange divers pièces inattendues dans
Apfel, an accidental icon ». Une collection unique
un collage fascinant et complètement original. ».
et richement illustrée de réflexions, d'anecdotes et
Et elle ajoute : « Vous êtes aussi vieux que vous le sentez.
d'observations sur toutes les questions de la vie et
Les gens de 90 ans sont beaucoup plus branchés que certaines
du style, imprégnées de la franchise singulière, de
femmes de 40 ans... Si vous savez qui vous êtes et comment
l'esprit et de l'exubérance de cette icône mondiale
vous pouvez vous habiller ». Comme Coco Chanel l'affir-
de la mode.
mait, « Rien ne rend une femme aussi vieille que d'essayer
désespérément de paraître jeune. Le plus grand faux pas en
PREMIUM HORS-SÉRIE LADIES 19SAVEURS
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INTERVIEW GRÉGORY COHEN
L'enfant de laTABLE
Après l’avoir rencontré sur le tournoi international de polo Roude Leiw
cet été, nous avons été charmés par cet atypique des fourneaux.
Chef bout-en-train, jovial et sans demi-mesure, le médiatique Grégory
Cohen est, à 51 ans, sur cent fronts en même temps. Interview
sympathique et gourmande. Propos recueillis par Anne Ciancanelli
Crédit photo : M. Verge
PREMIUM HORS-SÉRIE LADIES 20PREMIUM : D’où te sont venues ta passion pour la cuisine et ta volon- té d’en faire ton métier ? Grégory Cohen : Je suis né dans la cuisine... je suis né dans une marmite comme on dit. Mes parents avaient un restaurant, Le Galant Vert, dans la rue de Vermeuil à Paris. Un deux étoiles. J’ai commencé à travailler au restaurant et puisque j’étais le fils du patron, je devais travailler trois fois plus que les autres. J’ai commencé à travailler à l’âge de 13 ans et c’était génial parce que j’avais les deux mondes. le monde de la cuisine et le monde de la pâtisserie; j’avais un chef cuisinier qui était assez rigoureux, assez méticuleux, car c’était un restaurant qui avait tout de même 16/20 au Gault & Millau (mention très bien), et d’un autre côté j’avais un pâtis- sier que j’adorais parce qu’on pâtissait en musique. PREMIUM : As-tu une préférence pour la cuisine ou la pâtisserie ? Le sucré ou le salé ? M. G. : En fait, j’aime vraiment les deux. C’est comme l’hémisphère droit et l’hémisphère gauche de ton cerveau, c’est vraiment deux choses complètement différentes. Tu as un champ des possibles en cuisine qui, a priori, est plus important qu’en pâtisserie. La cuisine ça se construit un peu par itération : tu as une bibliothèque de goûts qui est dans ta tête, une bibliothèque de saveurs, que tu vas mélanger avec telle tech- nique, comme la technique de cuisson par exemple. Tu as, en théorie, une capacité d’innovation dans la cuisine. Et puis, de l’autre côté, tu as la pâtisserie que l’on présente très souvent comme très méticuleuse, très ‘au gramme près’, et en fait moi je suis un pâtissier avec un cerveau de cuisinier ou un cuisinier avec un cerveau de pâtissier. J’ai mélangé les deux et du coup j’ai cette passion mais vraiment pour les deux. Une des dernières créations que j’ai faite, c’est le fameux After Eight, cet espèce de chocolat avec le fondant à la menthe. Je l’ai fait avec un crumble croustillant et par-dessus j’ai fait un aérien de petits pois, parce que petits pois-menthe, ça fonctionne très très bien. Pourtant c’est un dessert, mais tu vois je mélange ce genre de choses qui vont faire que tu te retrouves avec une possibilité en pâtisserie qui est hyper créative. PREMIUM : C’est un bel avantage d’être aussi polyvalent, mais quelles sont les qualités nécessaires selon toi pour être un bon chef ? Et diffèrent-elles entre un chef pâtissier et un chef cuisinier ? M. G. : C’est intéressant. Petite parenthèse historique : le mot de chef et le nom de brigade et les sous-chefs, etc, ça vient d’un monsieur qui s’appelle Auguste Escoffier qui était le cuisinier des armées du roi et qui a organisé toute la cuisine de façon militaire. Donc tu as le chef, en des- sous le sous-chef, etc, c’est hiérarchique. Un bon chef c’est une personne qui est capable de transmettre à toutes ses équipes et de leur permettre de grandir au sein de la brigade, et ce de façon très pédagogique et très bienveillante. Ensuite, un bon cuisinier ou un bon pâtissier c’est celui qui a créé un maximum de bibliothèques de saveurs et de goûts, et pour qui la technique est juste un moyen de réussir à faire quelque chose. Ce n’est jamais un exercice de technique, ni de dressage, c’est une connaissance, c’est un équilibre aux niveau des saveurs et des goûts. Personnellement, j’attache énormément d’importance à ce que j’appelle le ‘séquencier des saveurs’ : quelle va être la première note que tu vas avoir en bouche, quelle va être la seconde note et comment ça va terminer. Et c’est à partir de là que je crée un plat, une pâtisserie. Donc un bon cuisinier ou un bon pâtissier c’est celui qui va pouvoir - pour continuer de garder cette image de musicalité - travailler ses gammes en fonction de la bibliothèque de ses saveurs, et de goûts qu’il aura emmagasinés. PREMIUM : L’engouement récent pour la cuisine est devenu ultra médiatique. Parmi les nombreuses émissions, tu chapeautes égale- ment la tienne "Chéri(e), c'est moi le Chef !" diffusée sur France 2 chaque jour. Que penses-tu de la popularisation de la cuisine ? M. G. : Je trouve que c’est génial. En fait ça a commencé il y a quelques temps, dans les années 80. Un grand monsieur qui nous quitté, qui s’appelle Paul Bocuse, est sorti pour la première fois des cuisines et a commencé à parler. Il a été exceptionnel car il a ramené avec lui tous ses copains, Guerin, Troisgros, une bande de copains sympathique qui a présenté la cuisine différemment car avant c’était ‘t’es pas bon à l’école tu vas finir cuisinier’. Aujourd’hui, on présente la cuisine comme quelque chose de complètement différent, comme quelque chose de créatif, d’in- telligent, de sensible, comme un vecteur d’émotions. Je trouve que les grosses émissions de type Top Chef sont parfaites parce que ça a revalo- risé le métier de cuisinier et créé des vocations. Puis tu as d’autres émis- sions comme la mienne “Chérie, c’est moi le chef” qui sont des émissions qui vont permettre de désacraliser un petit peu la cuisine et je revendique complètement ça. Je vais permettre à des gens de se dire, de 1, que c’est finalement pas si compliqué que ça de faire à manger. 2, ça prend pas tant de temps que ça. Et puis 3, c’est pas si cher non plus. Donc faire du bon, du maison, et du pas cher, c’est jouable. Donc ces émissions ont cette vocation à pouvoir déculpabiliser, désacraliser et permettre de
SAVEURS
rendre accessible à tout le monde la cuisine, qui est tournoi au Luxembourg en juillet de cette année;
quand même la base de tout. On nourrit et on partage comment as-tu découvert le polo ?
en famille et entre amis. M. G. : Ma rencontre avec le polo est très anecdo-
tique. Quand j’ai eu 40 ans, je me suis dis qu’il fallait
PREMIUM : Justement, rendre la bonne cuisine absolument que je m’enlève toutes mes phobies et
accessible à tous semble être une initiative qui te toutes mes peurs. L’une de mes peurs - parce que j’ai
tient vraiment à coeur, au vu de la belle action que été traumatisé par un film qui s’appelle Les dents de
tu as entreprise avec les hôpitaux. la mer - était d’aller nager en pleine mer quand je ne
M. G. : Oui c’est extrêmement important pour moi. voyais pas ce qu’il y avait en-dessous. En 2 ans, j’ai
C’est une action qui s’appelle Repas Toqué que j’ai passé tous les brevets et tous les niveaux de plongée
créée en collaboration avec l’association Princesse sous-marine, et je suis même devenu prof de plongée
Margot, qui accompagne les familles dont les enfants sous-marine ! Puis un jour, j’étais à Saint-Tropez et
ou adolescents sont atteints de cancer. C’est une tragé- il y avait un mistral de dingue, il était impossible de
die doublée d’une énorme injustice, il n'y a pas d’âge prendre la mer. Idem le lendemain, puis le surlende-
pour avoir le cancer, il n'y a pas d’origine sociale, main. Au bout du quatrième jour, je tournais un peu
il n'y a pas d’origine ethnique, c’est une injustice en rond, et j’ai un copain qui m’invite à venir taper
totale. J’ai rencontré des familles, des parents, avec // J’AI la balle à cheval. Sauf que j’avais peur des chevaux
et que je ne savais pas monter à cheval. Il me répond
un enfant d’un an qui avait le cancer, c’est terrible.
Et cette association accompagne les familles dans L’IMPRESSION “raison de plus” et il avait complètement raison car
j’avais décidé d’arrêter d’avoir peur à mes 40 ans.
cette tragédie et elle améliore aussi le quotidien des
enfants, leur séjour hospitalier. Quand on sait qu’une QU'IL N’Y A QUE C’est ainsi que je me retrouve sur un terrain de polo
à Saint Tropez pour la première fois. Le polo a une
alimentation de qualité joue un rôle dans le rétablis-
sement des jeunes atteints de cancer, il fallait réfléchir DES BEAUTIFUL particularité : c’est un sport où tu ne fais que progres-
ser. La première fois que tu montes à cheval, tu tentes
et créer un projet. Aujourd’hui, c’est un constat que
tout le monde fait : on ne mange pas bien à l'hôpi- PEOPLE AVEC DES de taper dans la balle avec le maillet que tu tiens et
tu n’y parviens pas. Puis tu réussis enfin et tu te dis
tal. Par exemple, je me rappelle parfaitement que la
chambre de ma femme, lors de ses accouchements, se BEAUTIFUL MINDS que c’est génial. De fil en aiguille, sans t’en rendre
compte, tu as appris à monter à cheval, à taper dans la
transformait en épicerie générale, avec des chocolats,
des gâteaux, des paniers de fruits, simplement parce AU LUXEMBOURG, balle au triple galop, à faire des backs, des coups sur
encolure… et avec une équipe qui s’appelle Sainte-
que tout le monde, inconsciemment, se disait qu’elle
allait mal manger. Mais il ne faut pas que ce soit une DONC J’AI HÂTE Mesme tu deviens champion de France une fois, puis
2 fois. C’est une pure passion.
fatalité. Je me suis rapproché des services de cuisine
de l'hôpital Saint Louis à Paris, je leur ai demandé D’Y REVENIR. // PREMIUM : Effectivement, c’est dingue comme
leurs contraintes. La première contrainte, c’est qu’ils
histoire. Avant-dernière question Grégory, j’ai cru
disposent d’1,50€ par plat comme budget. Deuxième
entendre qu’il y avait beaucoup de choses sur le
contrainte, ils sont en liaison froide, en somme c’est PREMIUM : Tu n’aurais pas pu me répondre de la
feu, mais c’est quoi ton dernier projet ?
préparer la veille et réchauffer le lendemain. Il y a purée en fait. (rires)
M. G. : J’ai l’immense honneur et la joie d’être de-
aussi les nutritionnistes qui sont intervenus et m’ont M. G. : Le restaurant de mes parents faisait l’un des
venu l’ambassadeur du groupe Ferrero et à ce titre
alerté sur la température à coeur de tous les aliments, meilleurs foie gras de tout Paris, et la poitrine de pou-
je collabore avec la marque Nutella en particulier
qui doit être de 64 degrés, parce que les enfants at- larde fourrée au foies gras était fameuse. Mais ça me
pour travailler sur de nombreux nouveaux projets.
teints de cancer ont des intolérances. Sans oublier, fait rire parce que je n’y avais jamais pensé. De toutes
les interviews que j’ai faite, on ne m’a jamais posé L’année à venir verra deux gros lancements. Je vous
aucun aliment cru. Bref, on m’a empilé toutes les
cette question-là. Et tu vois c’est spontané, donc c’est donne une exclu pour PREMIUM, la Nutella Aca-
contraintes et je leur ai dit ok. A partir de là, j’ai fait demy sera lancée pour la fin de l’année 2020. Elle
des fiches recettes, j’ai formé tous les cuisiniers de bien ce plat-là.
vise à détecter, accompagner les futurs talents de la
l'hôpital à celles-ci, je leur ai expliqué des choses pâtisserie, c’est-à-dire les jeunes diplômés en passe
simplissimes mais qu’on oublie parfois, notamment PREMIUM : Mais de ton côté, aujourd’hui, c’est
quoi le plat que tu préfères cuisiner? de devenir les futurs grands de la pâtisserie. Il y aura
à l’aide de mnémotechnique. J’ai travaillé sur l'ap- un concours pour les sélectionner et la finale aura lieu
pétence des plats également, c’est super important M. G. : Pour le coup c’est compliqué parce que je
suis un curieux, profondément curieux. Je m’enrichis pendant le salon du chocolat 2020. Aussi, il y aura un
d’avoir un plateau repas qui donne envie d’être man- livre de recettes autour de Nutella, où je vais revisi-
gé. Si tu vois un poisson blanc et à côté des carottes de tous mes voyages. Récemment j'en suis revenu du
Japon; je connaissais déjà un petit peu la culture et ter environ 50 recettes, 50 classiques de la pâtisserie.
oranges, c’est pas alléchant. Du coup, j’explique qu’il On y découvrira l'éclair au Nutella, le Paris Brest au
certaines recettes mais je n’y étais jamais allé. J’y
faut griller les carottes parce qu’une carotte qui est un Nutella, la Forêt-Noire au Nutella, etc...
suis revenu avec des feuilles de Sakura, le sakura
peu brûlée est plus sexy qu’une carotte qui a juste été
c’est le cerisier japonais. Ce sont des feuilles qui par-
bouillie. Je travaille sur les marinades; par exemple, PREMIUM : Ça a dû être dur de tester toutes ces
fument très très légèrement. J’ai donc fait un test :
un blanc de poulet qui a été mariné auparavant reste recettes (rires).
une dorade en feuilles de sakura cuite vapeur, avec
gorgé de jus et donc ne sera pas sec. De même, je M. G. : Il y a un autre projet qui est génial, je t’en
un aérien de thé matcha par-dessus, et un onctueux
travaille sur les sauces maison. En résumé, on a réussi parle rapidement, ça s’appelle Chef Battle. C’est un
de patate douce. On a ainsi le doux sucré de la patate
à créer des repas qui respectent exactement toutes les douce, le léger parfum du cerisier japonais, et le côté jeu sur smartphones dont le défi est de devenir chef
contraintes. Autre grosse victoire récemment, du ser- un peu âpre du matcha qui vient par-dessus. cuisinier sur fond de batailles avec d’autres chefs. Je
vice oncologie, nous passons désormais à tout l’hôpi- suis le seul chef réel à être dans ce jeu et il estime
tal Sains Louis dès début 2020. On a eu une bonne PREMIUM : Et à l’inverse, que préfères-tu man- faire à peu près 30 millions de joueurs dans le monde
fée qui s’est penchée sur le berceau : Brigitte Macron, ger? sur la première année. C’est complètement dingue. Il
l’épouse du Président de la France, soutient Repas M. G. : J’aime la charcuterie française, le terroir. J’ai devrait sortir janvier-février 2020.
Toqué pour l’ensemble de l'hôpital. Et j’entreprends des origines périgourdines, avec des agriculteurs et
tout cela bénévolement bien entendu. des éleveurs dans la famille, j’ai conservé ce côté PREMIUM : Et pour nous, à quand ta prochaine
paysan, amateur de plats simples. J’apprécie aussi un venue au Luxembourg ?
PREMIUM : On dit que personne ne cuisine comme bon pot-au-feu, avec son bouillon, son os à moelle M. G. : Très bientôt, il faut que j’organise ça. J’ai
maman… Même si tu étais un peu privilégié car tu avec différents types de viandes, et ses légumes. adoré la ville et les gens. C’est fabuleux parce que tu
as grandi dans le restaurant familial doublement J’adore. as l’impression que c’est un mini monde; il y a des
étoilé, as-tu quoi qu’il en soit un plat qui a marqué personnes qui viennent de partout. Culturellement
ton enfance? PREMIUM : Tu es également joueur de polo, double c’est vraiment intéressant, j’ai l’impression qu'il n’y
M. G. : C’était la poitrine de poularde fourrée au foie champion de France en titre. On a eu d’ailleurs a que des beautiful people avec des beautiful minds
gras (rires). eu la chance de l’apercevoir lors de ta venue au au Luxembourg, donc j’ai hâte d’y revenir.
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