Inventeurs de la French Tech - Palmarès 2018 des Patent-Angels.com - Institut de l'iconomie
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Palmarès 2018 des Inventeurs de la French Tech présenté par Patent-Angels.com Expertise et financement de brevets
Sommaire Palmarès 2018 des Inventeurs de la French Tech – publication de Challenges 4 Top 50 5 Top 100 6 Palmarès des régions 7 Ile de France et Alpes 8 Bretagne et Occitanie-Toulouse 9 Provence-Alpes-Côte d’Azur et de Nouvelle Aquitaine 10 Occitanie-Montpellier et de Normandie 11 Auvergne-Rhône et du Grand Est 12 Pays de la Loire, de la Réunion et des Hauts de France 13 Palmarès des jeunes Inventeurs 14 Création de 2008 15 Création de 2009 16 Création de 2010 17 Création de 2011 18 Création de 2012 19 Création de 2013 20 Création de 2014 21 Création de 2015 22 Création de 2016 23 Interview par FrenchWeb 25 Politique 26 Pour protéger la French Tech, il faut élargir le champ (d’utilisation) du brevet 26 Comment faire de la France une « Start-up Nation » ? 30 Pourquoi les start-up négligent-elles le Brevet ? 33 Il faut penser la synthèse des intelligences artificielle et collective 37 Stratégie 41 Le brevet, clé du développement de l’Intelligence Artificielle 41 Les brevets à un milliard de dollars 49 Le brevet au cœur de la création de valeur des grands acteurs du numérique 53 Google, Apple, Nest Labs : ce que rapportent les « nouveaux » brevets 59 Stratégie d’acquisition : le rôle des brevets 62 Pratique 63 Combien coûte (vraiment) un brevet pour une entreprise ? 63 Comment financer les brevets de la French Tech ? 67 Brevets : les bonnes questions à se poser 70 « Pourquoi j’ai déposé un brevet » 74 « 10 raisons pour lesquelles une startup doit prendre un brevet » 78 Contact 81 2
Top 50 TOP 20 TOP 50 APPI TECHNOLOGY ACTILITY CEDEXIS (GROUPE CITRIX) ART-FI EXAGAN BIOSERENITY FINEHEART CAILABS ISKN CALIXAR KOLIBREE DELAIR TECH NETATMO DNA SCRIPT RYTHM ECOAT SLOW CONTROL ENOGIA SOMFY PROTECT (MYFOX) ENTEROME STARKLAB GAMAMABS PHARMA SURGIVISIO GLOWBL UROMEMS IMASCAP (WRIGHT MEDICAL) INFLECTIS BIOSCIENCE MINI GREEN POWER MOVE'N SEE MYBRAIN TECHNOLOGIES SCALITY © PATENT-ANGELS.COM SCULPTEO 2018 SNIPS TEAMCAST 5
Top 100 TOP 100 3D SOUND LAB ETHERTRUST OROSOUND AIRBORNE CONCEPT FAMOCO PRIXTEL ALLECRA THERAPEUTICS GECKO BIOMEDICAL PRYNT ARKOLIA ENERGIES GREEN CREATIVE SEQUANS COMMUNICATION AXIBLE TECHNOLOGIES HELPER DRONE SHORT EDITION BODYCAP IFEELSMART SOLABLE CANAILLES DREAM INSITEO SOUS LES FRAISES CARDIAWAVE INVOXIA SPHERE CARDIOLOGS IONOSYS SPIDEO CHRONOCAM KOLOR SURICOG CONNECTED CYCLE LEXIP TARGEDYS CORNIS LIGHT AND SHADOWS TECBAK CORWAVE MAAT PHARMA THERACHON CRYO PUR MARBOTIC TICATAG DIAFIR MEDDAY UWINLOC DONECLE MIP ROBOTICS WISTIKI EMIOTA MYBRAIN WIZTIVI ENERBEE OB’DO WYPLAY ENOVAP OCCI © PATENT-ANGELS.COM 2018 6
Palmarès des régions Notre classement révèle que l’Ile de France est en pole position pour le nombre de start-up qui inventent. En revanche la région de Paris est reléguée en seconde division lorsque l’on rapporte ce chiffre à son nombre total de startups. La surprise vient davantage des régions des Alpes et de Bretagne qui se révèlent être très fertiles en brevets, non seulement en nombre mais surtout en proportion de leurs startups. Lyon, Marseille et Lille sont les grands absents de ces podium, ce qui montre s’il était encore nécessaire que l’inventivité n’est pas directement liée à la puissance économique. Ainsi, tout n’est pas concentré sur la région parisienne : de fortes dynamiques régionales, combinées avec une stratégie volontaire de brevets, peuvent créer la différence. 7
Ile de France et Alpes Paris invente des objets, tandis que les Alpes inventent des technologies. Paris a fait émerger les robots Nao d’Aldebaran, les enceintes et amplis Devialet, et les objets connectés de Withings qui, après avoir été racheté par Nokia, semble devoir revenir dans les mains de son co-fondateur Eric Carreel. Les Alpes inventent des technologies issues des laboratoires de recherche du CEA (Commissariat à l’Energie Atomique et aux Energies Alternatives). Crocus développe des capteurs magnétiques ultra-performants, Movea crée des solutions de détection pour les objets connectés et Aledia réalise des leds plus petites sans perte de luminosité. 8
Bretagne et Occitanie-Toulouse Les régions de Rennes et Toulouse ont deux trios de champions qui se ressemblent. Kerlink dans l’une, Sigfox dans l’autre, développent des réseaux spécialisés pour les objets connectés. Optinvent fabrique des lunettes de vision augmentée, Somfy commercialise des caméras de surveillance augmentée. Taztag propose des terminaux biométriques professionnels, tandis que Delair développe des drones professionnels. 9
Provence-Alpes-Côte d’Azur et de Nouvelle Aquitaine Aix-Marseille présente un podium homogène d’inventeurs de la Green Tech. Ecoat fabrique des peintures vertes, Enogia et Mini Green Power produisent de l’énergie verte. A l’inverse, l’équipe de Bordeaux brille par son hétérogénéïté. Sunna Design crée des éclairages publics solaires, Fineheart a mis au point une mini-turbine cardiaque et Helper envoie ses drones faire du sauvetage en mer. 10
Occitanie-Montpellier et de Normandie Les inventeurs de la région de Montpellier améliorent notre environnement. Grâce à ses ampoules et objets audio connectés, AwoX rend la maison plus intelligente. Grâce à ses terminaux wi-fi, Appi Technology connecte les membres d’une activité de loisir même là où il n’y a pas de réseau. Grâce à ses centrales à énergie renouvelables, Arkolia encourage la transition écologique. Les inventeurs de Normandie améliorent notre santé à travers les solutions thérapeutiques de Targedys qui régulent l’appétit, à travers les pilules de BodyCap qui embarquent des capteurs biométriques, ou à travers les surfs connectés d’Ob’do qui mesurent nos performances sportives. 11
Auvergne-Rhône et du Grand Est Les régions d’Auvergne-Rhône et Grand Est inventent pour la santé. Calixar isole et purifie des cibles thérapeutiques ou vaccinales. Maat Pharma restaure la flore intestinale d’un patient sans antibiotique après une chimiothérapie. Enovap commercialise une cigarette électronique intelligente qui adapte pendant la journée le bon niveau de nicotine. Allecra Therapeutics développe un nouvel antibiotique contre lequel il n’y a pas de résistance. Grâce à une solution créative de visio-conférence, Glowbl permet à plusieurs amies de faire du shopping à distance sur le même site de e-commerce. Sur le podium des inventeurs, Glowbl est le seul à n’être pas un spécialiste de la santé (quoique…) 12
Pays de la Loire, de la Réunion et des Hauts de France Ces régions ne placent qu’un ou deux inventeurs dans le Top 100 de la French Tech. Ils n’en ont que plus de mérite ! Inflectis Bioscience crée des médicaments destinés au traitement de pathologies liées au mauvais repliement des protéines. Spécialiste des interfaces, Wiztivi simplifie les usages de la télévision interactive. La fourchette connectée de Slow Control veille sur notre manière de manger. Starklab récupère les fumées industrielles pour en recycler l’énergie thermique. 13
Palmarès des jeunes Inventeurs Le classement des inventeurs par leur nombre de brevets privilégie les sociétés anciennes, qui ont eu davantage de temps pour constituer leur portefeuille. Pour mettre à l’honneur les sociétés plus jeunes, le Palmarès des Jeunes Inventeurs de la French Tech dévoile les podiums par année de création de la société, de 2008 à 2016. 14
Création de 2008 Withings, qui fabrique des objets connectés, montre en France la voie de la protection par brevet des innovations non technologiques (même si elles intègrent des briques technologiques). L’OCDE avait déjà prouvé 2005 le rôle prééminent de ces innovations, et réédité en conséquence son Manuel d’Oslo. En 2009, le rapport Morand-Manceau avait élargi la définition française de l’innovation à l’innovationd’usage. Il a pourtant fallu attendre 2015 pour que Bpifrance adopte cette nouvelle doctrine, et l’Institut national de la propriété industrielle (INPI), qui se présente comme « la maison des innovateurs », définit toujours aujourd’hui le brevet comme une « protection de l’innovation technique » (1). Withings, heureusement, n’a pas attendu pour protéger ses innovations non technologiques. Kalray et Eveon sont à l’inverse des sociétés technologiques pour lesquelles le dépôt de brevet est plus classique. La première développe, sur la base d’une technologie propriétaire affinée durant dix ans, un processeur “intelligent” destiné à analyser à la volée de grand flux de données, réagir et prendre des décisions en temps réel. Les dispositifs médicaux développés par la seconde assurent un débit maîtrisé, précis et constant pour l’administration automatique et sécurisée de nouvelles thérapies fluidiques et médicaments complexes. 15
Création de 2009 Sur la plus haute marche du podium 2009, Sigfox ambitionne d’être le premier réseau cellulaire mondial des objets connectés. Pour cette société, le brevet est un élément essentiel de la valorisation de l’entreprise, notamment pour obtenir des financements. Plus on dépose de brevets, plus on a de crédibilité. Le « brevet inside » est évidemment également un atout en termes d’image (2). La start-up toulousaine est en bonne voie pour devenir ce que l’on appelle une « licorne », ces jeunes sociétés dont la valorisation dépasse le milliard de dollars (3). Cedexis, qui accélère le temps de chargement des pages web, a été rachetée en février pour un montant d’environ 100 millions de dollars par l’américain Citrix. Et pour cause : de nombreux géants du Net, médias, acteurs du e-commerce ou mastodontes du cloud ont intégré sa technologie unique au monde, adoubé par sept brevets. Ainsi, en huit ans à peine, l’aiguilleur du Web a été adopté par Google, Facebook, Twitter, Airbnb, Slack, Microsoft, Air France, Accor Hotels, Hermes, Dailymotion, Samsung, Tencent, Huawei et beaucoup d’autres. De quoi faire monter les enchères… (4) Surgivisio, société medtech innovante qui développe des technologies d’imagerie 2D/3D intégrées à la navigation chirurgicale, a bouclé un tour de financement de 10,7 millions d’euros en particulier grâce à la protection de sa technologie. 16
Création de 2010 Isorg conçoit des photodétecteurs organiques et des capteurs d’images en électronique polymère à partir d’un procédé de fabrication par impression. Actility développe et exploite un système de communication machine à machine (M2M), adapté aux applications de très grand volume. Fineheart a mis au point une mini-turbine cardiaque. Ses ruptures technologiques sont brevetées pour empêcher toute fabrication, détention et importation dans les territoires visés, mais avec des difficultés contrastés. Pour obtenir une délivrance rapide et peu coûteuse aux US, la start-up a d’abord effectué un dépôt au Canada en requérant un examen accéléré. Obtenu, ce brevet a ensuite été étendu aux US selon la procédure PPH (Patent Prosecution Highway) pour éviter les aller-retour avec l’examinateur américain. À l’inverse, la société s’époumone à convaincre le bureau chinois des brevets, malgré la délivrance d’un même titre dans la plupart des autres pays du G20. Les examinateurs chinois contestent systématiquement les revendications déposées et entrent dans un jeu d’usure onéreux et à l’issue incertaine. 17
Création de 2011 Plus brillantes et plus efficaces sur le plan énergétique, les LED d’Aledia pourraient bousculer les technologies existantes pour l’éclairage des futurs écrans de smartphones, de montres connectées ou de lunettes de réalité augmentée. La structure d’émission de ses LED est constituée d’une forêt de nanofils en nitrure de gallium, d’où un rendement lumineux très élevé. Oledcomm diffuse Internet à haut débit sans fil et sans ondes, grâce à la modulation à haute fréquence du signal lumineux émis par les LED – invisible à l’œil – qui transmet les données, jusqu’à 23 mégabits par seconde. Ynsect est le leader mondial de la production d’insectes pour les besoins de l’alimentation animale. 18
Création de 2012 L’assistant vocal de Snips garantit le respect de la vie privée. Ceux d’Apple, Googleou Amazon, envoient votre voix dans le Cloud pour l’analyser et renvoient le résultat. Snips analyse votre voix localement, dans l’appareil, sans qu’aucune donnée ne soit envoyée sur Internet. Les sportifs peuvent utiliser un capteur Bodycap, de la taille d’une gélule, qui permet de mesurer leur température interne pendant l’effort. CorWave développe une technologie de pompe ventriculaire à membrane ondulante. Pour pallier la déficience du ventricule gauche, majoritairement responsable des insuffisances cardiaques, la pompe de Corwave assure un fonctionnement physiologique similaire à celui du cœur natif. 19
Création de 2013 Le millésime 2013 se caractérise par des cycles de recherche particulièrement longs. InFlectis BioScience développe des thérapies qui exploitent la réponse intégrée au stress pour le traitement d’un large éventail de maladies. Cailabs veut faire passer, dans une même fibre optique, 45 formes différentes de lumière. Cette technologie ouvre de nouveaux marchés dans l’avionique et les réseaux locaux. GamaMabs Pharma est une entreprise de biotechnologie en Immuno-Oncologie, leader dans le développement d’anticorps optimisés ciblant AMHR2 dans le cancer. Les brevets sont donc au coeur du développement de ces sociétés pour protéger leurs investissements de long terme. Gamamabs a une stratégie duale, proactive et réactive. La première consiste à engager des études pour renforcer certaines protections. La deuxième consiste à analyser systématiquement tous les résultats générés au regard des brevets existants pour identifier les inventions non encore protégées. En revanche, la longueur de ces cycles engendre des coûts d’extension et de maintenance des brevets prohibitifs dans les pays européens. En attendant le brevet unitaire européen (5), ces coûts continuent à pénaliser ces TPE sur leur marché domestique. 20
Création de 2014 La tablette numérique d’ISKN concilie les sensations du dessin sur papier et les avantages du digital, contrairement aux tablettes graphiques où le «stylet» est roi et le papier, bon à jeter. Dreem commercialise un bandeau portable qui mesure l’activité cérébrale afin de faciliter l’endormissement, améliorer la qualité du sommeil profond et permettre de se réveiller plus reposé. Exagan veut révolutionner l’électronique de puissance avec des transistors dix fois plus rapides grâce à l’apposition d’une couche de nitrure de gallium (GaN) sur des plaquettes de silicium. Les marchés visés sont ceux des chargeurs de téléphones, de l’automobile électrique, l’industrie, le photovoltaïque et l’aéronautique, à plus long terme. 21
Création de 2015 Solable transforme l’eau du robinet en eau pure, à travers un processus inspiré par la nature, sans filtre ni produit ajouté. Enovap a pour objectif d’aider le fumeur à arrêter avec plaisir. Son vaporisateur intelligent contrôle les substances actives via différentes méthodes de diffusion du principe actif, en particulier la nicotine, ce qui a valu à son inventeur la Médaille d’or au concours Lépine de 2014. MIP Robotics veut rendre la robotique industrielle accessible à tous, pour des petites ou moyenne séries mais aussi pour des utilisateurs n’ayant pas de connaissance en informatique ou en programmation. 22
Création de 2016 Parmi les 100 premiers inventeurs de la French Tech, une seule entreprise a été créée depuis 2016. Il s’agit de Helper, start-up qui envoie ses drones faire du sauvetage en mer ♦ (1) Collectif. Pour protéger la French Tech, il faut élargir le champ des brevets. Le Monde, 2017 https://www.lemonde.fr/idees/article/2017/09/01/pour-proteger- la-french-tech-il-faut-elargir-le-champ-des-brevets_5179472_3232.html (2) Brevet, les bonnes questions à se poser. INPI 2017, https://www.inpi.fr/fr/brevets-les-bonnes-questions-se-poser (3) Internet des objets : la start-up toulousaine Sigfox a refusé une offre à un millard d’euros. La Dépêche, 2018 https://www.ladepeche.fr/article/2018/02/15/2743202-internet- objets-start-up-toulousaine-sigfox-grande-ambitions-2018-2018.html (4) Sylvain Rolland, Pourquoi le français Cedexis se vend à l’américain Citrix. La Tribune, 2018 https://www.latribune.fr/technos- 23
medias/innovation-et-start-up/pourquoi-le-francais-cedexis-se-vend-a-l- americain-citrix-768222.html (5) Manuel Moragues. “Le premier brevet unitaire européen devrait être délivré début 2019”, estime Benoît Battistelli de l’OEB. L’Usine Nouvelle, 7 juin 2018. https://www.usinenouvelle.com/editorial/le-premier-brevet- unitaire-europeen-devrait-etre-delivre-debut-2019-estime-benoit- battistelli-le-president-de-l-oeb.N703704 24
Interview par FrenchWeb Le palmarès des inventeurs : Frenchweb interviewe Vincent Lorphelin https://www.dailymotion.com/video/x6i324i?start=1032 25
Politique Pour protéger la French Tech, il faut élargir le champ (d’utilisation) du brevet L’innovation d’usage doit recevoir la même protection que l’innovation technique, au risque de voir l’activité de nos start-up bloquée, par exemple par les géants de l’Internet. Il ne s’agit pas de changer la réglementation des brevets, qui a ses qualités et ses défauts, mais de changer la politique de l’innovation pour mettre à profit ce cadre réglementaire aussi efficacement que le font les GAFA. Par Vincent Lorphelin, François Bourdoncle et Pierre Ollivier Le gouvernement a annoncé la création d’un Fonds d’innovation de rupture doté de 10 milliards d’euros, financé par la vente de participations de l’Etat dans les entreprises. Emmanuel Macron veut faire de la France une « start-up nation ». Mais cette vision se heurte à la doctrine française de l'invention, malgré les progrès réalisés dans la conception de l’innovation. 26
En juillet 2014, BlaBlaCar a fait une levée record de 100 millions de dollars. Ce succès prouve que les entrepreneurs français peuvent revenir dans la course. Mais BPIfrance, bras armé du pays pour l’investissement dans l’innovation, qui aurait dû accompagner ce succès, a été contraint d’admettre que son outil n’est pas adapté aux startups dont la création de valeur n’est pas technologique. Pourtant l’OCDE avait prouvé dès 2005 le rôle prééminent des innovations non technologiques, et réédité en conséquence le Manuel d’Oslo, référence mondiale pour les statistiques sur l’innovation. En 2009, le rapport Morand- Manceau remis au Ministre de l’économie avait élargi la définition française de l’innovation à l’innovation d'usage. Il a fallu attendre 2015 pour que BPIfrance adopte cette nouvelle doctrine et reconnaisse enfin, entre autres, le site de ventes évènementiellesVente-Privée, le pèse-personne connectéWithings et la carte sans banque Compte Nickel. On aurait pu penser que ce revirement, bien que tardif, allait moderniser rapidement la culture de l’innovation. Hélas l’invention d’usage, sous-jacent essentiel de l’innovation d’usage, n’est toujours pas admise. L’Institut National de la Propriété Industrielle(INPI), qui se présente comme « la maison des innovateurs », définit toujours le brevet comme une « protection de l'innovation technique ». Depuis la création du label French Tech, pas une seule de ses startups n’a été lauréate des trophées de l’INPI. Le message est clair : pas de brevet pour l’innovation non technologique. Or ce message est contredit par Withings et Compte Nickel, qui ont protégé leurs innovations non technologiques par des brevets. Il est contredit aussi par la valeur stratégique incomparable de ce type de documents. Lorsque Apple a déclaré la guerre à Samsung, ses armes n’étaient pas des brevets sur les techniques de pointe des microprocesseurs ou des écrans tactiles. Il s’agissait de ceux sur les usages du zoom en écartant deux doigts, du double tap pour zoomer et du rebond de la liste du carnet d’adresse en fin de page. Malgré un repli partiel depuis, les enjeux ont dépassé le milliard de dollars. De même Yahoo! a contesté la paternité du fil d’actualité à Facebook et la valorisation du fabriquant de thermostats connectés Nest Labs s’est envolée grâce à sa propriété intellectuelle. EN JEU, DES MILLIARDS D’EUROS Les inventions d’usage foisonnent. Dernièrement Google a imaginé la commande d’objets connectés par l’utilisateur en touchant la manche de sa 27
veste. Facebook veut classer nos e-mails en fonction de la proximité sociale de l’expéditeur et du destinataire. Amazon a eu l’idée de décharger des trains en marche avec des drones pour gagner du temps de livraison. Cette catégorie d’invention existe depuis toujours, il suffit pour s’en convaincre de lister les grandes inventions françaises : l’automobile de Cugnot n’est-elle pas autre chose que l'application d’un moteur à vapeur à la roue d’un chariot ? Le cinématographe n’est-il pas la combinaison du mécanisme saccadé de la machine à coudre et de la pellicule photo ? La carte à puce n’est-elle pas la synergie d’une carte et d’une puce ? Ces innovations mettent en oeuvre des briques techniques, mais ce ne sont pas des innovations techniques. Les puristes objecteront qu’une invention apporte par définition une solution technique à un problème technique. Pour autant, une invention d'usage réside typiquement dans la combinaison de techniques dont l’effet global dépasse la somme des effets séparés. Les légalistes allègueront la jurisprudence de l’Office européen des brevets, qui juge « paradoxal » de reconnaître inventive une innovation non technologique et taxeront la locution « invention d’usage » de contradiction. Qu’ils utilisent alors l’acronyme « IBINT » pour « invention brevetable à finalité d’innovation non technologique », si cela peut les libérer du piège des mots ! Les sceptiques critiqueront les brevets d’usage pour leur largeur, qui serait un frein à l’innovation. Le droit américain s’éreinte depuis quatre ans à éradiquer en priorité les brevets flous, qu’ils soient techniques ou d'usages, car ils sont instrumentalisés par les patent trolls (« chasseurs de brevets ») pour attaquer en justice les entreprises. En attendant une illusoire réforme, décourager nos start-up laisse le champ libre aux géants de l'Internet pour les bloquer ! Comme pour l’innovation d’usage de BlaBlaCar, faudra-t-il attendre un choc collectif pour l’invention d’usage ? Par exemple, que BlaBlaCar percute le mur d' Uber et son brevet d’ « informations d’itinéraire pendant un co-voiturage », celui de Facebook et son « co-voiturage associé à un évènement » ou celui d’ Apple et son « co-voiturage automatique entre les membres d’un groupe social » ? Ne pas officialiser l’invention d’usage aboutit à un gâchis considérable. Le brevet multiplie les chances de survie des start-up par trois. En protégeant ne serait-ce que 30% des start-up au lieu de 15% actuellement, le taux de réussite de la French Tech augmenterait de 50%. Rapporté au demi-point de croissance du PIB estimé par le gouvernement, l'enjeu se calcule en milliards d’euros. 28
L’innovation d’usage a mis plus de dix ans à être reconnue. Il faut maintenant que la doctrine de l’invention d’usage soit reconnue à son tour pour protéger enfin sérieusement le génie inventif de la French Tech ♦ 29
Comment faire de la France une « Start-up Nation » ? La French Tech montre un dynamisme enthousiasmant mais, faute de culture de brevet, elle risque de ne jamais franchir le cap de la maturité. Et pourtant, contrairement aux apparences, les GAFAM sont vulnérables. Par Vincent Lorphelin, Pierre Ollivier et Eric Le Forestier Emmanuel Macron veut que la France devienne une nation de start-up. Cependant les GAFAM ont déposé 52 000 brevets en 5 ans pour défendre l’accès aux futurs marchés du numérique. Avec seulement trois d’entre eux, Apple avait obtenu une condamnation de Samsung en milliards de dollars. Comment alors imaginer que des start-up françaises aient la moindre chance ? La French Tech s’enorgueillit d’être la première délégation mondiale du CES de Las Vegas en termes de start-up et se réjouit de ses contacts prometteurs avec des grands groupes. Pourtant le vol des idées fait partie du top 5 des mauvaises pratiques de ces grands groupes, et la barre pour défendre leurs droits est trop haute pour les jeunes sociétés : de 500.000 à 4 millions de dollars par litige. 30
Les start-up sont pillées. Pire encore, elles sont des contrefacteurs sans le savoir jusqu’au jour où elles reçoivent un courrier d’huissier. Pour éviter des procédures interminables, 90% des actions en contrefaçon font l’objet d’une transaction. Mais leur part la plus visible, initiée par les “patent trolls”, concerne à elle seule une start-up sur trois. Les start-up pensent que leur agilité et rapidité les sauveront. Le mantra du “first takes it all” est dans toutes les têtes, alors qu’il est contredit par les faits : Google, Facebook et Apple n’ont pas été respectivement les premiers moteur de recherche, réseau social ni fabricant de lecteur MP3. Devant ces réalités écrasantes, comment ne pas penser que la “start-up nation” ne soit qu’une lubie sans lendemain ? En fait, le chiffre de 52 000 brevets doit être analysé plus finement. En zoomant par exemple sur le domaine de l’intelligence artificielle, on constate que les GAFAM n’ont déposé que 244 brevets, dont 103 par Microsoft et 80 par Google. Amazon a présenté en grandes pompes Alexa au CES 2017, son assistant intelligent et vocal. Vite devenue la star de Las Vegas, Alexa permet de dicter sa liste de courses, de commander son Uber ou sa pizza… en s’adressant à des téléviseurs, des lampes ou des réfrigérateurs. Pourtant, derrière cette vitrine imposante, Amazon dispose de moins de 40 brevets en intelligence artificielle. De même, Mark Zuckerberg a annoncé le pari de Facebook sur la réalité augmentée. Ses technologies de “camera effect platform” permettront aux smartphones de superposer des éléments virtuels sur le monde réel. Pourtant, le premier réseau social mondial ne dispose d’aucun brevet de réalité augmentée en propre. Ainsi les marchés du numérique sont tellement nombreux que 52 000 brevets rapportés à chaque marché ne pèsent finalement pas si lourd. Les 5 brevets de réalité virtuelle rachetés par Facebook avec Oculus ne l’auront pas empêché d’être condamné à 500 millions de dollars pour vol de technologies à ZeniMax, et il est à nouveau accusé par ImmersiON- VRelia. Contrairement aux apparences, les géants du numérique sont vulnérables. C’est là que se situe l’opportunité pour les start-up qui peuvent valoriser leur positionnement unique, en tant que fournisseur, partenaire ou cible 31
d’investissement. En millions, comme Vega Vista et ses 10 brevets, ou en milliards, comme Nest et ses 40 brevets. Pour asseoir leur domination sur les marchés du numérique, les enchères entre les grands groupes sont illimitées. Il faut en revanche que les start-up qui veulent se valoriser disposent de brevets de qualité, c’est-à-dire déposés de manière précoce et avec des moyens convenables. On objectera que seules 15% des start- up françaises détiennent au moins un brevet durant leur phase d’amorçage. On peut voir en effet ce chiffre comme une faiblesse, puisque son équivalent américain est de 22%. On peut le voir aussi comme un formidable potentiel d’opportunités. Celui-ci a été identifié depuis des années par de nombreux rapports officiels, qui insistent sur la qualité et le foisonnement de l’inventivité en France. Que manque-t-il ? Une culture de la propriété intellectuelle. Les entrepreneurs sont majoritairement des inventeurs qui s’ignorent. Les innovations non technologiques, les inventions qui mettent en œuvre des ressources numériques ou des logiciels open source ne leur paraissent a priori pas brevetables. Le brevet leur semble cher, compliqué, indéfendable et le succès des licences ouvertes a brouillé leur compréhension de la propriété intellectuelle. Leurs priorités sont la prospection et la commercialisation. Les business angels interviennent après l’invention, trop tard pour la protéger correctement. Sous la pression des investisseurs, qui exigent la présence d’un brevet pour investir, les entrepreneurs font des dépôts à moindre frais et de qualité médiocre. Que faut-il faire ? Selon Jean Tirole, Prix Nobel d’Economie, « pour innover, il faut des inventeurs et du financement. L’innovation vient de plus en plus des start-up ». L’OCDE le confirme, il faut apporter aux start- up de l’expertise et des financements de la propriété intellectuelle. Les SATT, France Brevets, INPI et Bpifrance font des efforts dans ce sens, mais on est encore loin du compte. Il faudra davantage pour libérer le potentiel des inventeurs et que le projet d’une “start-up nation” devienne plus qu’une simple utopie ! ♦ 32
Pourquoi les start-up négligent-elles le Brevet ? Les start-up qui détiennent au moins un brevet ont 3 fois plus de chances de succès que celles qui n’en ont pas. Leurs opportunités de levées de fonds sont en effet augmentées de 50% et elles disposent des moyens d’éviter le pillage de leur innovation par les grands groupes qui est sinon systématique. La logique financière est ainsi imparable : toutes les start-up devraient déposer des brevets. Or seules 15% des start-up françaises en amorçage détiennent au moins 1 brevet, derrière les start-up américaines et allemandes, qui brevètent respectivement à 22% et 23%. Quelles raisons contredisent la logique apparemment élémentaire du brevetage ? Par Vincent Lorphelin, Frédéric Hege et Marine Travaillot La principale raison avancée par les start-up qui renoncent au brevet semble être la même de part et d’autre de l’Atlantique, malgré l’absence d’enquête universitaire aussi détaillée en France : le coût. Non seulement celui de l’obtention du brevet, mais également celui lié à la protection de ses droits contre les contrefacteurs. D’autres raisons sont fréquemment évoquées auprès des Conseils et dans la presse. Le manque de financement 33
Les innovateurs trouvent des financements pour des développements commerciaux, pour lancer une production de série, pour investir dans un équipement industriel, mais échouent par exemple à trouver un financement destiné à étendre la protection d’un brevet à quelques dizaines de pays. Les aides publiques se limitent en général à l’étude de brevetabilité d’une invention déjà identifiée et décrite, mais non de l’identification préalable de l’invention dans une innovation, qui est d’autant plus délicate et coûteuse qu’il s’agit d’une innovation d’usage. Finalement, la propriété intellectuelle se finance essentiellement sur fonds propres. Le manque de visibilité sur la valorisation Il n’existe pas d’étude officielle permettant d’estimer, même de manière approximative, la valeur intrinsèque que représente un portefeuille de brevets, et encore moins la contribution à la valeur totale de l’entreprise ou à la rentabilité des investissements en capital-risque. Le manque d’appréciation de l’opportunité stratégique Au début de l’aventure, les premiers actionnaires ne voient pas les brevets comme une priorité, mais comme une charge, un investissement important tant en temps qu’en capital. Ils sont davantage préoccupés par le lancement commercial et le recrutement de collaborateurs et préfèrent remettre cette dépense à plus tard. L’absence de brevet n’est pas un handicap au départ et il n’est pas rare qu’un premier tour de table aboutisse sans brevet. Par contre, il empêche de passer le cap suivant, celui où les start-up devraient grossir et devenir des licornes ou se valoriser auprès d’acquéreurs potentiels. Le manque de visibilité sur les coûts Le site officiel de l’INPI annonce un coût de 700 EUR alors que France Brevets annonce une fourchette comprise en 5.000 et 50.000 EUR par brevet. Le manque d’incitation par les investisseurs Les business angels et les investisseurs en amorçage apprécient la présence d’un brevet, gage de sérieux, mais rechignent à financer la constitution d’un véritable portefeuille. La brièveté de la fenêtre d’opportunité L’amorçage est la meilleure période pour protéger son innovation car elle a une portée plus large et permet une protection complète de la technologie. Le dépôt de la demande de brevet doit aussi intervenir avant de révéler l’invention à la presse ou au public, afin de couper court à 34
toute velléité des concurrents à « s’inspirer » de l’idée présentée. Si on rate cette fenêtre d’opportunité, il faut alors se rabattre sur la protection de nouvelles versions du prototype, voire accepter que certains pans ne soient pas protégés. Pire, un tiers peut avoir protégé l’idée ou le prototype avant vous, ce qui oblige à payer une licence pour développer les versions ultérieures ou commercialiser le produit ou service. Le manque d’expertise sur la brevetabilité Open source, logiciel, algorithme, intelligence artificielle, tous ces mots semblent incompatibles a priori avec le brevet, ce qui est loin d’être le cas. Contre-exemple flagrant, Google se positionne comme le cinquième déposant mondial. Le manque d’expertise sur le brevet américain L’office américain des brevets est moins strict que ses homologues européens, en particulier pour les inventions mises en oeuvre par des logiciels et les innovations d’usage. Pourtant leader mondial du co- voiturage, BlaBlaCar n’a pas breveté son invention. Il est maintenant confronté à plusieurs dizaines de brevets américains, ce qui gêne son développement. La culture française de l'innovation La culture de l’innovation « techno-centrée » : la vision traditionnelle de l’innovation est centrée en France sur la recherche et la technologie. Malgré un changement de doctrine de BPIfrance en 2015 pour ouvrir cette vision à l’innovation d’usage, la French Tech se sent trop souvent exclue du champ du brevet. La culture du scepticisme envers le brevet : les brevets sont instrumentalisés par les « patent trolls », des chercheurs remettent en cause l’intérêt du brevet pour l’innovation, les innovations radicales ne seraient jamais le fruit des brevets, les pays les plus innovants ne sont pas ceux qui accumulent le plus de brevets. Bref, le brevetage est souvent soupçonné de nuire à l’intérêt général. La culture du « tout gratuit » nuit beaucoup à la brevetabilité. L’idée de la libre circulation des idées fait partie de la culture française et se retrouve même renforcée par le numérique. La rationalité financière du brevet est masquée par de nombreuses objections plus ou moins légitimes et particulièrement présentes en France. Dans ce contexte, il n’est finalement pas si étonnant de constater que les entrepreneurs ne cherchent pas à déposer de brevet, ce qui 35
contribue à solidifier le plafond de verre qui empêche la France de devenir une « Start-up Nation » ♦ 36
Il faut penser la synthèse des intelligences artificielle et collective Vouloir engager une réflexion nationale sur l'intelligence artificielle est un piège politique que le gouvernement se tend à lui-même. Pour l'éviter, il vaut mieux chercher la synthèse de l'intelligence artificielle et de l'intelligence collective. Par Vincent Lorphelin, Christian Saint-Etienne, Denis Jacquet, Fabrice Imbault, Jean-Paul Betbèze, Jean-Philippe Robé Le Premier Ministre a confié au Député et mathématicien Cédric Villani une mission sur l'intelligence artificielle (IA) pour l'éclairer et "ouvrir le champ à une réflexion nationale". L'enjeu est en effet de taille. Mark Zuckerberg, le fondateur de Facebook, et Eric Schmidt, Président exécutif de Google, pensent pouvoir grâce à l'IA « réparer tous les problèmes du monde ». Ce courant de pensée est puissant, mais critiqué pour ses dérives "solutionnistes". Demander à l'IA de résoudre le problème des sans-abris reviendrait à lui laisser les effacer en temps réel dans nos lunettes de 37
réalité augmentée. Aussi perfectionnée soit-elle, l'IA ne sait pas contextualiser les problèmes pour les élucider, et se précipite trop tôt sur de fausses solutions. C'est pourquoi Elon Musk, fondateur de Tesla, craint le scénario de Terminator : « jusqu'à ce que les gens voient vraiment des robots tuer des personnes, ils ne sauront pas comment réagir, tellement ça leur paraîtra irréel ». Pour contrer ce funeste destin, il a créé la société Neuralink avec la mission vertigineuse d'implanter des électrodes dans notre cerveau, et veut ainsi augmenter l'intelligence humaine. Ce deuxième courant de pensée "transhumaniste" est lui-même critiqué pour être un remède pire que le mal. A l'inverse l' intelligence collective (IC) veut augmenter la coopération entre les humains. Mais ce rêve ancien est resté inachevé. L'intelligence est certes interconnectée avec Internet et collaborative avec Google et les réseaux sociaux, mais elle est encore peu collective. Ce développement s'est toujours heurté aux limites du bénévolat, de la gouvernance partagée ou de l'organisation hiérarchique. A chaque fois dans l'histoire qu'une dynamique d'invention collective s'est mise à bouillonner, pour lancer la machine à vapeur, l'aviation ou la micro-informatique, elle s'est figée brusquement dès les premiers succès. Les contributeurs se disputent la propriété des fruits de l'IC et, lorsqu'ils essaient de résoudre le dilemme entre propriété privée ou commune, ils s'enlisent dans le sempiternel clivage capitalisme / communisme. Le thème de l'IA conduit mécaniquement aux thèses solutionniste et transhumaniste, et son inverse l'IC conduit aux antithèses capitaliste et communiste. Bloquée dans ces oppositions, la pensée ressasse les craintes du chômage, de colonisation numérique, de fuite des cerveaux, d'impossibilité de régulation et de perte de souveraineté. Elle sécrète ainsi un poison anxiogène qui intoxiquera toute réflexion nationale. Le gouvernement, qui n'aura aucun argument solide face à ces craintes, dépensera son énergie à ne pas se laisser contaminer. On exhortera l'IA à être plus verte et responsable, on durcira les contrôles administratifs, on dispensera quelques saupoudrages pour adoucir le mal, et on finira par ranger le tout dans le tiroir des occasions ratées avec le smartphone, le commerce électronique et l'ubérisation. 38
Pourtant notre histoire a déjà été confrontée à ce type de situation. Pour faire émerger une nouvelle intelligence du monde, le philosophe René Descartes établissait au XVIIème siècle la prééminence du raisonnement. Isaac Newton lui opposait celle de l'observation. Il constatait en effet qu'une pomme est attirée par la Terre comme les planètes par le Soleil, sans raison. Cette querelle de deux sciences incomplètes, envenimée par les préjugés des théologiens, a alimenté des débats fiévreux et vains pendant presque un siècle. Il a fallu attendre les Lumières pour inventer la synthèse du raisonnement et de l'observation par la science moderne. Alors seulement celle-ci a pu se développer pour résoudre les grands problèmes de son temps - la misère, les grandes épidémies et la mortalité infantile. De même aujourd'hui, la réflexion doit se focaliser sur la synthèse naissante des intelligences IA+IC. Celle-ci se dessine justement grâce à un foisonnement de jeunes expériences pour mieux coordonner les automobilistes et accroître la sécurité routière. Pour partager les images médicales et expertises, et améliorer la prévention des risques. Pour enrichir et simplifier la coopération entre les équipes marketing et leurs clients, entre élèves et professeurs. Pour répartir la prise de décision et remplacer le commandement par l'animation. Pour établir, dans les entreprises "à mission", des comptabilités extra-financières poussées et se fixer des objectifs responsables au-delà de la seule rentabilité. Pour mesurer, sur les plate-formes "décentralisées", la valeur de chaque contribution, lui attribuer des parts de co-propriété et sortir du travail gratuit habituellement récolté par les GAFA. Pour gérer les œuvres collectives et les big data comme des co-propriétés massives, dépasser les vieux clivages idéologiques sur la propriété et sortir du tout gratuit lorsque les GAFA les monétisent. Pour mesurer de multiples indicateurs de qualité de vie, les inclure dans les statistiques officielles et gouverner une économie enfin durable. Aucun de ces enjeux n'est accessible à l'IA ou l'IC pris séparément. En traitant le sujet tel qu'il lui a été confié, l'aboutissement de la mission sur l'IA sera anxiogène pour la réflexion nationale. En ouvrant son sujet à la synthèse de l'IA et de l'IC, cette mission pourra orienter les Français et les Européens vers l'avènement d'une nouvelle science capable de faire face aux grands problèmes contemporains. Cette vision offrira une 39
alternative aux courants de pensée dominants de l'IA, et sera plus en ligne avec nos valeurs, davantage portées par l'intérêt collectif. Le défi intellectuel est de taille, mais Cédric Villani en a relevé d'autres ♦ 40
Stratégie Le brevet, clé du développement de l’Intelligence Artificielle Malgré les enjeux évoqués par la mission Villani, la French IA protège peu ses innovations à cause de l’incompatibilité supposée des logiciels et des brevets. Or l’IA repousse les frontières de la brevetabilité sur plusieurs fronts, y compris en Europe. Il faut seulement approfondir la recherche des inventions sous- jacentes. Par Vincent Lorphelin, Eric Le Forestier, Jean-Christophe Rolland, Pierre Ollivier, Frédéric Hege, Mathieu Buchkremer Vladimir Poutine déclarait que le leader de l’IA « dominera le monde ». Le médaillé Fields et député Cédric Villani exhorte l’Europe à investir des dizaines de milliards d’euros dans l’IA. Selon le rapport intermédiaire de sa mission, les enjeux ne sont pas moins que ceux de la « domination économique », de l’« aspiration de la valeur » et même du risque de « déshumanisation ». 41
Il vante la vitalité française dans l’IA avec ses 270 start-up, plusieurs dizaines de centres de recherche et un haut niveau de recherche en mathématiques et informatique. Pourtant, nous n’avons toujours pas résolu un problème majeur. La France continue à inventer pour le bénéfice du monde entier, sauf du sien. Chaque rapport officiel déplore son manque de propriété intellectuelle. Pour ce qui concerne les start- up, seulement 15% d’entre elles sont protégées contre 22% en Allemagne et aux Etats-Unis. La French Tech est sceptique Les start-up de l’IA ne se sentent en général pas concernées par ce problème. Elles croient majoritairement que l’IA n’est pas brevetable. Parmi les raisons évoquées : • Intégrer des briques open source empêcherait la brevetabilité. Pourtant Google, héraut mondial de l’open source, est le cinquième déposant mondial de brevets. • Les logiciels ne seraient pas brevetables. Pourtant IBM est le premier déposant mondial avec 8088 demandes dont 2700 pour l’IA. • Les algorithmes ne seraient pas brevetables en France. Pourtant le CNES vient d’obtenir un brevet de surveillance apprenante du bon fonctionnement des satellites, donc basé sur des algorithmes de machine learning (5). • Les innovations d’usage, qui intègrent des briques d’IA, n’auraient pas la technicité suffisante pour être brevetées. Pourtant Apple a protégé le déverrouillage d’un portillon automatique par reconnaissance de l’empreinte digitale sur un iPhone placé à proximité (2). Facebook a protégé l’accès à une communauté en ligne par scan d’un QRcode imprimé sur une affiche (3). Amazon a protégé la liste de mots-clés proposés à un utilisateur pour décrire une photo qu’il s’apprête à poster (4). En dépit de ces faits la French IA reste sceptique sur la brevetabilité de ses innovations. Il faut reconnaître à sa décharge que la première prestation qui leur est proposée par les professionnels est en général une analyse de brevetabilité. Or celle-ci conclut trop souvent par la négative lorsqu’il s’agit d’une innovation d’usage. Cette analyse n’est hélas que 42
rarement précédée par une identification approfondie des inventions sous-jacentes, prestation plus longue et coûteuse alors que les budgets ne sont pas toujours là, mais qui révèlerait des trésors aujourd’hui ignorés ! Cette identification consiste à dénicher par exemple les inventions sous- jacentes d’un assistant de beauté qui conseille à une cliente un blush et un crayon à lèvres lorsqu’elle achète du rouge à lèvres (5), d’un synthétiseur de voix qui apparaît plus naturel à l’écoute (6), ou d’un animateur artificiel de conférences en ligne qui réagit en fonction de l’ambiance des débats (7). Le champ du brevet est élargi par l’IA L’intelligence artificielle est une source de brevetabilité considérable que la French Tech ignore pour de mauvaises raisons. L’IA repousse même les limites de la brevetabilité en Europe au-delà de frontières qui paraissaient jusqu’alors intangibles. Sur son site web l’INPI (Institut National de la Propriété Intellectuelle) indique que « au sens de la propriété industrielle, le brevet protège une invention technique, c’est-à-dire un produit ou un procédé qui apporte une nouvelle solution technique à un problème technique donné ». Or on peut se demander où se trouve l’élément technique dans la revendication fondatrice du brevet du CNES précédemment évoqué (1). • L’INPI n’a soulevé aucune objection de non brevetabilité, et l’OEB (Office Européen des Brevets) en rédigeant l’Opinion Ecrite ne l’a pas soulevé non plus. Dans le jargon des experts, il s’agit en effet d’un procédé de traitement de mesures, et le procédé logique produit un effet nouveau sur le traitement des mesures. Par exemple si la détermination d’une frontière par le programme lui- même permet d’obtenir une plus grande fiabilité des alertes, on a un effet technique. Cette méthode permet de plus d’optimiser et de gagner en sollicitation de ressources machines compte tenu du grand nombre de paramètres à surveiller, et fait gagner en temps de calcul de manière significative. • L’ optimisation peut être considérée comme un effet technique, surtout lorsqu’elle rend des choses possibles qui ne le sont pas sans l’invention. 43
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