L'UKRAINE DANS SON COMBAT POUR LA LIBERTÉ : RÉACTION DES ALLIÉS ET RÉPONSE MONDIALE À LA GUERRE MENÉE PAR LA RUSSIE
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AVANT-PROJET DE RAPPORT SPÉCIAL L’UKRAINE DANS SON COMBAT POUR LA LIBERTÉ : RÉACTION DES ALLIÉS ET RÉPONSE MONDIALE À LA GUERRE MENÉE PAR LA RUSSIE Avant-projet de rapport spécial Rick LARSEN (États-Unis) Rapporteur spécial 016 DSC 22 F – Original : anglais – 18 mai 2022 Fondée en 1955, l’Assemblée parlementaire de l’OTAN est une organisation interparlementaire consultative, institutionnellement distincte de l’OTAN. Tant qu’il n’est pas adopté par les membres de la commission, le contenu de ce document de travail représente uniquement le point de vue du rapporteur. Il est basé sur des informations provenant de sources accessibles au public ou de réunions tenues dans le cadre de l’AP-OTAN, lesquelles sont toutes non classifiées.
L’invasion brutale et illégale de l’Ukraine par la Russie le 24 février 2022, marque un changement radical dans les affaires internationales, un séisme qui modifiera de fond en comble la sécurité au niveau mondial. L’Ukraine est sur la ligne de front du combat mené par le monde démocratique contre des régimes autoritaires révisionnistes qui ont décidé de saper l’ordre international fondé sur des règles. Si l’OTAN n’est pas partie à cette guerre, les Alliés et leurs partenaires ont le devoir moral d’appuyer les efforts de défense déployés par l’Ukraine, et ont tout intérêt à le faire sur le plan géopolitique. L’Alliance se doit également de rassurer ses membres et de renforcer son dispositif de dissuasion et de défense. Le présent avant-projet de rapport revient sur la genèse de cette guerre et sur son évolution, et présente les moyens qui permettront aux parlements et aux gouvernements des pays de l’OTAN d’aider davantage l’Ukraine et de garantir que l’Organisation sera à même de s’adapter comme il convient. En particulier, il préconise aux Alliés d’augmenter la livraison des systèmes d’armes les plus indispensables à l’Ukraine, de renforcer les sanctions à l’encontre de la Russie, d’élaborer une sorte de plan Marshall aux fins de reconstruire le pays après la guerre, et d’enquêter sur tous les crimes de guerre.
I- INTRODUCTION ..................................................................................................... 1 II- LA GENÈSE DE LA GUERRE ................................................................................. 1 A. LA PREMIÈRE INVASION DE L’UKRAINE ET SON OCCUPATION ILLÉGALE PAR LA RUSSIE ENTRE 2014 ET 2021 ................................................................................... 1 B. LE RENFORCEMENT DU POTENTIEL MILITAIRE RUSSE ET L’ESCALADE PAR LA RUSSIE EN 2021-2022 .................................................................................................... 2 III- LES DIFFÉRENTES PHASES DE L’INVASION - UNE VUE D’ENSEMBLE DE LA CAMPAGNE ....................................................................................................... 4 IV- LA SITUATION HUMANITAIRE ............................................................................... 8 V- LE SOUTIEN DES ALLIÉS ET DE LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE À L'UKRAINE .............................................................................................................. 9 VI- PERSPECTIVES D'AVENIR : SOUTENIR ET RECONSTRUIRE L'UKRAINE ET PROMOUVOIR L'ADAPTATION DE L'OTAN ....................................................13 BIBLIOGRAPHIE ....................................................................................................16
I- INTRODUCTION 1. L’inacceptable invasion militaire de l’Ukraine déclenchée par la Russie le 24 février 2022, constitue un tournant de l’histoire contemporaine, comme l’ont été la chute du mur de Berlin et les attentats du 11 septembre 2001. Le retour de la guerre classique de grande envergure en Europe représente un changement radical dans les affaires internationales, un séisme qui modifiera de fond en comble la sécurité au niveau mondial. L’Ukraine est sur la ligne de front du combat que le monde démocratique mène contre des régimes autoritaires révisionnistes ayant décidé de saper l’ordre international, fondé sur des règles, que les Alliés avaient mis en place après la seconde guerre mondiale et qu’ils appuient depuis lors. 2. L’Ukraine fait barrage à la Russie et en paie le prix fort sur le double plan humain et matériel. C’est pourquoi, si l’OTAN n’est pas partie prenante à cette guerre, les Alliés et leurs partenaires ont le devoir moral d’appuyer les efforts de défense déployés par l’Ukraine, et ont tout intérêt à le faire sur le plan géopolitique. La réussite de l’Ukraine sera celle de tout le monde libre. L’Alliance se doit également de rassurer ses membres et de renforcer son dispositif de dissuasion et de défense ; l’OTAN a déjà pris d’importantes mesures à cet égard, y compris lors de la réunion extraordinaire des chefs d’État et de gouvernement des pays de l’Organisation qui s’est tenue le 24 mars dernier. 3. L’Assemblée parlementaire de l’OTAN (AP-OTAN) appuie de longue date la cause ukrainienne, soutient la souveraineté du pays, son intégration euro-atlantique et ses processus de réforme, et exhorte sans répit les gouvernements alliés à accroître leur aide diplomatique, économique, humanitaire et militaire en faveur de l’Ukraine. Le rôle primordial joué depuis le début de la guerre par les parlementaires pour mobiliser un tel soutien, a été souligné à plusieurs reprises par le président Volodymyr Zelensky lors de ses allocutions devant nos parlements nationaux. L’AP-OTAN, son président et tous ses membres à titre individuel continuent d’assumer ce rôle. 4. Le présent avant-projet de rapport revient sur la genèse de cette guerre et sur son évolution, et présente les moyens qui permettront aux parlements et aux gouvernements des pays de l’OTAN d’aider davantage l’Ukraine et de garantir que l’Organisation sera à même de s’adapter comme il convient face à ce qui est, sans doute, la plus grave crise humanitaire et de sécurité en Europe depuis la seconde guerre mondiale. II- LA GENÈSE DE LA GUERRE A. LA PREMIÈRE INVASION DE L’UKRAINE ET SON OCCUPATION ILLÉGALE PAR LA RUSSIE ENTRE 2014 ET 2021 5. Les Ukrainiens font rapidement remarquer que la guerre menée par la Russie en Ukraine avait déjà commencé il y a huit ans et qu’elle est seulement entrée dans sa phase la plus intense le 24 février 2022. En février 2014, la Russie a lancé son opération en ayant principalement recours à ses forces spéciales ainsi qu’à des éléments de guerre électronique et de cyberguerre : elle avait ainsi fomenté des troubles dans la péninsule de Crimée pour pouvoir s’en emparer. Les agents russes et leurs alliés sur le terrain s’étaient arrangés pour qu’y soit organisé le 16 mars un référendum en faveur de l’annexion illégale de la péninsule par la Russie et, deux jours plus tard, un traité d’adhésion était signé entre Moscou et les représentants de la soi-disant « République de Crimée ». Depuis, les Alliés n’ont eu cesse de condamner cette action, en dénonçant la violation de la souveraineté territoriale de l’Ukraine par la Russie, en contravention aux obligations qui lui incombaient au titre du mémorandum de Budapest de 1994 et des principes fondamentaux de la Charte des Nations unies. En effet, pour la première fois depuis la seconde guerre mondiale, un pays européen a annexé par la force une partie du territoire de son voisin. 1 AVANT-PROJET DE RAPPORT SPÉCIAL – 016 DSC 22 F
6. Parallèlement, au printemps 2014, la Russie encourageait une insurrection dans l’est de l’Ukraine et accordait un soutien militaire et financier aux formations armées présentes dans les régions séparatistes du Donbass (Donetsk et Louhansk). En 2015, les accords de Minsk II signés par la Russie et l’Ukraine sous médiation franco-allemande, ont instauré un cessez-le-feu entre les forces armées ukrainiennes et les formations armées appuyées par la Russie. Peu de temps après leur mise en œuvre, celles-ci se rendaient en grande partie coupables de violations continues de ce cessez-le-feu, installant par vagues successives l’Est de l’Ukraine dans un conflit de basse intensité préoccupant, brisant ainsi systématiquement toute tentative d’y instaurer la paix et empêchant qu’y soit mené un règlement négocié. 7. Selon la mission spéciale d’observation civile de l’OSCE (SMM) en Ukraine, la grande majorité des violations du cessez-le-feu, des déploiements de systèmes d’armes interdits et des restrictions à la liberté de mouvement des experts de la SMM ont été enregistrés dans les zones non contrôlées par Kiev. 1 Entre 2014 et 2021, le conflit aurait fait plus de 14 000 victimes (ICG, 2022). En novembre 2018, une nouvelle fois en violation du droit international et des accords de Minsk, les forces agissant pour le compte de la Russie dans le Donbass ont tenu des élections « présidentielle » et « législatives » dans les régions non contrôlées par le gouvernement ukrainien (Mission des États-Unis auprès de l’OSCE, 2018) et ont commencé à y distribuer à grande échelle des passeports russes (Mission des États-Unis auprès de l’OSCE, 2020). Les pourparlers dans le cadre du format Normandie2 et du groupe de contact trilatéral3 n’ont produit aucun résultat concret4. 8. En procédant, en 2018, à la construction d’un pont dans le détroit de Kertch pour relier la Crimée à la région russe de Krasnodar, la Russie a fortement restreint la liberté de navigation dans la mer d’Azov, violant le droit de la mer ainsi que le Traité de 2003 entre la Fédération de Russie et l’Ukraine sur la coopération dans l’utilisation de la mer d’Azov et du détroit de Kertch. Le contrôle illégal de la péninsule par la Russie a permis à cette dernière de disposer d’importantes capacités de projection de forces dans la région de la mer Noire et au-delà. Il a également ouvert la voie à de dangereuses surenchères, comme l’ont montré les coups de semonce russes tirés en juin 2021 vers le contre-torpilleur britannique HMS Defender, qui rejoignait un port en Géorgie depuis Odessa. 9. Enfin, depuis leur annexion illégale de la Crimée, les autorités russes ont perpétré des violations graves des droits humains dans la péninsule, abondamment documentées, parmi lesquelles la répression de l’opposition, la suppression des médias indépendants, la confiscation de biens, des disparitions forcées, la torture, des détentions illégales et la persécution des Tatars de Crimée et des personnes d’origine ukrainienne (Département d’État des États-Unis, 2019). B. LE RENFORCEMENT DU POTENTIEL MILITAIRE RUSSE ET L’ESCALADE PAR LA RUSSIE EN 2021-2022 10. Il est clair, rétrospectivement, que le renforcement massif, en mars-avril 2021, le long des frontières ukrainiennes et dans la Crimée illégalement occupée, de forces russes prêtes au combat (plus de 100 000 militaires y ont été stationnés, d’après les sources ukrainiennes), a préludé à l’invasion de grande envergure dont l’Ukraine est actuellement l’objet. Beaucoup ont vu dans ce renforcement une tentative de Vladimir Poutine de mettre à l’épreuve la nouvelle administration américaine, la Russie ayant par la suite annoncé le retrait de ses troupes. Le 16 juin 2021, les présidents des États-Unis et de la Fédération de Russie se sont rencontrés à Genève pour discuter de la stabilité stratégique. Quoi qu’il en soit, le retrait russe n’a pas été total, des quantités 1 Voir, par exemple : OSCE. ‘Special Monitoring Mission to Ukraine: Trends and observations.’ 2019. https://www.osce.org/files/f/documents/b/1/417584.pdf 2 Réunissant les quatre signataires des accords de Minsk, à savoir la France, l’Allemagne, l’Ukraine et la Russie. 3 Réunissant l’Ukraine, la Russie et l’OSCE (en tant que modérateur). 4 Aucun sommet n’a eu lieu après 2019, ni aucune réunion ministérielle. 2 AVANT-PROJET DE RAPPORT SPÉCIAL – 016 DSC 22 F
importantes d’équipements militaires ayant été stationnées près de la frontière ukrainienne et les forces qui n’avaient pas été démobilisées y préparant, selon la version officielle russe, l’exercice Zapad de septembre 20215. Au cours de l’été 2021, Vladimir Poutine s’est employé à préparer les esprits à une attaque contre la « souveraineté » ukrainienne en publiant un long article intitulé « Sur l’unité historique des Russes et des Ukrainiens » (Vladimir Poutine, 2021), article où est décriée l’identité nationale ukrainienne, qui présente une série de revendications territoriales à peine voilées et où il est affirmé que l’Ukraine ne peut exister en tant qu’État souverain que dans le cadre d’un partenariat étroit avec la Russie (Dickinson, 2021). 11. En novembre 2021, il était devenu évident que la Russie massait de nouveau troupes et matériel - y compris des chars de combat, des aéronefs d’attaque, des systèmes de guerre électronique et des lance-roquettes multiples - le long de la frontière ukrainienne. En janvier et au début de février 2022, elle déployait également des effectifs au Bélarus sous prétexte de vouloir procéder à des exercices conjoints avec les forces armées bélarussiennes, et envoyait en mer Noire des navires de guerre de ses flottes du Nord et de la Baltique. Les experts ont relevé que ce renforcement militaire présentait des différences importantes par rapport à celui de mars-avril 2021, des stocks de sang ayant été constitués pour les blessés et la garde nationale russe ayant été partiellement mobilisée afin, tel qu’on le supposait, de maintenir l’ordre dans les territoires qui allaient être occupés (Amiel, 2021). Dès le début du mois de novembre 2021, les États-Unis prévenaient que la Russie pourrait envisager d’envahir l’Ukraine (Nardelli et al., 2021) ; en février 2022, Washington annonçait que l’invasion semblait imminente et le 11 février, ils engageaient tous les ressortissants américains à quitter l’Ukraine (Borger et Sabbagh, 2022). En février, le nombre de soldats russes avait augmenté pour atteindre 190 000 environ [Reuters(b), 2022], tandis que les médias publiaient les plans d’attaque susceptibles d’être suivis pour envahir l’Ukraine depuis la Russie (à l’est), depuis le Bélarus (au nord) et depuis la Crimée illégalement occupée (au sud) (Jones, 2022). Du début à la fin, les autorités russes se sont défendues avec véhémence de vouloir envahir l’Ukraine et se sont moquées de ces affirmations, les qualifiant d’« hystériques » et d’« absurdes » (AP, 2022). 12. Fin 2021, les dirigeants occidentaux ont approché Moscou pour comprendre ce qui poussait la Russie à mener sans motif cette politique de la corde raide et à provoquer délibérément une escalade. En décembre, le Kremlin présentait une liste d’exigences, réclamait la garantie que l’Ukraine et la Géorgie n’adhéreraient jamais à l’OTAN, et demandait que l’Alliance revienne à son dispositif militaire d’avant 1997 (Pifer, 2021). Ces propositions ont été considérées comme insensées par l’OTAN : lors de la réunion extraordinaire du Conseil OTAN-Russie qui s’est tenue le 12 janvier, les Alliés ont unanimement réitéré leur engagement à faire respecter l’article 10 du Traité de Washington ; celui-ci prévoit que tout État européen remplissant les critères d’adhésion peut être invité à rejoindre l’OTAN [OTAN, 2022(a)]. En outre, ils ont fermement rejeté les exigences unilatérales de la Russie visant à restreindre la capacité de l’OTAN à défendre et à protéger tous les Alliés. Comme le secrétaire général de l’OTAN l’a souligné, « [TRADUCTION NON OFFICIELLE] nous ne pouvons pas nous retrouver dans une situation dans laquelle nous avons des membres de seconde classe, et dans laquelle l’OTAN en tant qu’alliance ne saurait les protéger comme elle protège les autres Alliés » [OTAN, 2022(b)]. Un message semblable a été transmis à la Fédération de Russie lors de la session bilatérale du dialogue stratégique États-Unis-Russie sur la stabilité qui s’est tenue à Genève [RadioFreeEurope, 2022(a)], et de la réunion du Conseil permanent de l’OSCE qui a eu lieu la même semaine [RadioFreeEurope, 2022(b)]. Cela dit, l’Alliance a signifié à la Russie qu’elle était prête à intensifier le dialogue sur un certain nombre de questions, notamment sur la maîtrise des armements et sur la transparence en cas d’exercices militaires [OTAN, 2022(a)]. Les Alliés ont également multiplié les avertissements et prévenu qu’une invasion de l’Ukraine entraînerait des sanctions dévastatrices, qui pourraient paralyser l’économie russe (Neo et Clark, 2022). 5 https://crsreports.congress.gov/product/pdf/IF/IF11938 3 AVANT-PROJET DE RAPPORT SPÉCIAL – 016 DSC 22 F
13. Le caractère incontestablement inacceptable des propositions russes a fait craindre que Moscou n’y recherche délibérément une fin de non-recevoir pour créer un casus belli lui donnant l’opportunité d’envahir l’Ukraine. En parallèle, le Kremlin s’est employé à former des coalitions, aux fins de prévoir des contacts politiques et militaires plus fréquents avec Minsk et de publier avec Xi Jinping, au début des Jeux olympiques d’hiver, une déclaration conjointe décisive dans laquelle la Chine se rallie publiquement aux critiques émises depuis longtemps par la Russie concernant l’élargissement de l’OTAN (Dou, 2022). 14. Après l’échec prévisible des pourparlers avec les pays occidentaux - et, coïncidence ou pas, à l’issue des Jeux olympiques -, la Russie est entrée dans la phase finale de préparation de son invasion de l’Ukraine. Au cours de la réunion orwellienne du Conseil de sécurité de la Fédération de Russie qui s’est tenue le 21 février, des personnalités politiques et militaires russes de premier plan ont dûment « recommandé » à Vladimir Poutine de reconnaître l’« indépendance » des soi-disant « Républiques populaires de Donetsk et de Louhansk ». Dans une allocution télévisée, ce dernier s’est de nouveau exprimé sur le caractère historiquement « artificiel » de « l’État » ukrainien, qualifiant son gouvernement de « néonazi », avant de signer un document reconnaissant ces « républiques » et d’ordonner aux forces armées russes de pénétrer officiellement dans ces territoires [Fisher, 2022(a)]. Certains avaient espéré que la reconnaissance de cette « indépendance » représenterait le point d’orgue de l’escalade qui sévissait depuis plusieurs mois ; très tôt le 24 février, en langage convenu, Vladimir Poutine ordonnait pourtant l’invasion à grande échelle de l’Ukraine dans le cadre d’une « opération militaire spéciale » [Fisher, 2022(b)]. III- LES DIFFÉRENTES PHASES DE L’INVASION - UNE VUE D’ENSEMBLE DE LA CAMPAGNE RUSSE 15. Objectifs initiaux : Au moment de la rédaction du présent avant-projet de rapport, la guerre entrait dans son troisième mois. Si le Kremlin a indiqué à maintes reprises que l’« opération militaire spéciale » se déroulait comme prévu, les observateurs occidentaux s’accordent presque unanimement sur le fait que les forces armées russes n’ont pas atteint, jusqu’à présent, leurs objectifs (Cranny-Evans et Kaushal, 2022). Le manque de cohérence de cette campagne militaire laisse supposer qu’elle ne s’appuie sur aucun objectif politique clairement formulé - et réaliste. Au départ, l’invasion de l’Ukraine était présentée comme étant la suite logique de la reconnaissance des « Républiques populaires de Donetsk et de Louhansk » et de leur invocation du « traité d’amitié et d’assistance mutuelle » conclu avec la Russie. Cela n’a pas empêché Vladimir Poutine d’annoncer le 24 février que le but de cette « opération militaire spéciale » était de « démilitariser et [de] dénazifier » l’ensemble de l’Ukraine [Max Fisher, 2022(a)]. Il n’a pas précisé comment ces objectifs devaient être atteints. Déclarant que la Russie n’avait pas l’intention d’occuper le territoire de l’Ukraine, il a toutefois insinué, en parlant des dirigeants ukrainiens qu’il a qualifiés de « junte antinationale », que la Russie y recherchait un changement de régime ; plusieurs jours après, il s’est adressé directement aux généraux ukrainiens pour qu’ils renversent ces « toxicomanes et [ces] néonazis » (à savoir le gouvernement ukrainien démocratiquement élu) (France24, 2022). Toujours est-il que Dmitri Peskov, l’attaché de presse de Vladimir Poutine, a expliqué par la suite que la Russie continuait de considérer Volodymyr Zelensky comme le président légitime de l’Ukraine et que Moscou avait officiellement engagé des pourparlers diplomatiques avec la délégation ukrainienne désignée par M. Zelensky. Le fait que les forces armées russes aient attaqué le territoire ukrainien par le nord, par l’est et par le sud, et que des missiles de croisière et des missiles balistiques aient été utilisés pour frapper des sites sur l’ensemble du territoire ukrainien, donne à penser que la Russie cherche à atteindre plusieurs objectifs politiques en même temps, et qu’elle pourrait, entre autres, vouloir susciter un changement de régime, acquérir des territoires dans l’est du pays, établir un couloir terrestre vers la Crimée et la Transnistrie, provoquer des flux réfugiés vers les pays occidentaux et intimider la population de l’Ukraine occidentale. La Russie a essayé de 4 AVANT-PROJET DE RAPPORT SPÉCIAL – 016 DSC 22 F
parvenir à ces objectifs avec des effectifs militaires relativement restreints eu égard à la superficie du pays ; n’oublions pas, en effet, que l’Ukraine est le premier pays d’Europe par sa superficie et qu’elle compte 44 millions d’habitants. 16. Officiellement, les dirigeants russes espéraient que les activités subversives de la Russie en Ukraine éroderaient la cohésion ukrainienne et affaibliraient les institutions de l’État au fil des ans, et qu’un nombre limité de tirs de missiles, de tirs d’artillerie et de frappes aériennes (auxquels viendrait s’ajouter la menace que les immenses convois militaires russes feraient peser en s’approchant) paralyseraient l’Ukraine, l’empêcheraient de résister et pousseraient les généraux ukrainiens déçus - ou les agents russes infiltrés à Kiev - à opérer un changement de régime. Cette stratégie correspond à la tradition qui imprègne depuis longtemps la pensée militaire russe, laquelle place les capacités de frappe de précision de longue portée et les armes non cinétiques (guerre de l’information, subversion et cyberattaques) - à employer de façon coordonnée avec les actions militaires conventionnelles - au nombre des principes devant régir la guerre de la prochaine génération (Cranny-Evans et Kaushal, 2022). 17. Premiers résultats de la campagne : Les stratèges russes se sont totalement trompés. Ils ont surestimé l’effet des tirs de missiles et des frappes aériennes. Le peu d’attention accordée au développement de tactiques de manœuvre explique que de longues colonnes de blindés russes (celle qui se dirigeait sur Kiev se serait étirée sur 60 km, voire plus) se soient retrouvées paralysées en raison de pannes mécaniques et de l’encombrement des routes, de problèmes d’approvisionnement en nourriture et en carburant, ainsi que de problèmes de commandement et de contrôle provoqués par les perturbations des réseaux de communication (BBC News, 2022). Concrètement, les forces russes ont opéré sans commandant d’opération unique, mais avec différents postes de commandement pour chacun des groupes d’armées, et ce sur trois fronts distincts, suivant des tactiques différentes. Les analystes militaires font observer que la Russie a investi massivement dans les plates-formes modernes au fil des ans, mais qu’elle n’avait pas suffisamment investi dans la maintenance et la remise en état, ce qui explique qu’un grand nombre d’équipements aient été abandonnés (Chotiner, 2022). La corruption généralisée, le favoritisme, le manque de transparence et l’absence d’un système de responsabilisation au sein du secteur de la défense en charge des acquisitions d’armement, ont également compromis la qualité du matériel (Jackson, 2022). Les dirigeants russes n’ont pas non plus tenu compte de la détérioration du moral des soldats, beaucoup, dit-on, n’ayant entendu parler de l’invasion de l’Ukraine qu’au dernier moment et s’étant par là même retrouvés désemparés lorsqu’il s’est agi de soutenir des combats prolongés (McLeary et Brown, 2022). Jeremy Fleming, directeur de l’Agence de renseignement et de sécurité du Royaume-Uni (Government Communications Headquarters, GCHQ), a déclaré publiquement que les soldats russes qui « refus[aient] d’exécuter les ordres, qui sabot[aient] leur propre matériel, voire qui abatt[aient] par accident leurs propres avions », étaient légion (GCHQ, 2022). 18. À l’inverse, Moscou a largement sous-estimé la résistance de l’État ukrainien et l’extraordinaire détermination de la population à défendre sa patrie. Les volontaires qui ont décidé de rejoindre la défense territoriale sont, paraît-il, si nombreux que beaucoup d’entre eux ont été placés sur des listes d’attente, faute d’armes et de structures pour les incorporer (Rukomeda, 2022). Dans les jours qui ont suivi le déclenchement du conflit, des dizaines de milliers d’Ukrainiens résidant à l’étranger sont rentrés en Ukraine pour participer aux combats [Reuters, 2022(a)]. Les Ukrainiens se sont unis autour de la présidence exemplaire de M. Zelensky, lequel a refusé de quitter la capitale et symbolise désormais la résistance du monde libre. Les occupants russes ont eu des difficultés à trouver des collaborateurs dans les villes ukrainiennes qu’ils ont conquises, et la population des villes occupées de Melitopol et de Kherson manifeste régulièrement en masse en scandant des slogans pro-ukrainiens. 5 AVANT-PROJET DE RAPPORT SPÉCIAL – 016 DSC 22 F
19. La guerre éclair ayant échoué, une ignoble guerre d’usure a commencé. Certains territoires sont tombés aux mains des Russes, au nord de Kiev, au nord-est et surtout au sud, où la Russie cherche à assurer un couloir terrestre entre le Donbass et la Crimée illégalement occupée. Il n’en reste pas moins que les forces russes ont cessé de progresser du fait de la résistance et des contre- offensives ukrainiennes. Les Ukrainiens exploitent les avantages d’une défense en milieu urbain, mènent des assauts contre les longues lignes de ravitaillement et prennent en embuscade les convois russes (Chotiner, 2022). La ville de Kherson, au sud, est le seul chef-lieu à être tombé aux mains des Russes depuis le début de la campagne. Malgré des efforts répétés, la Russie n’a pas réussi à s’emparer des grandes villes de l’est et du nord, parmi lesquelles Kharkiv, Soumy et Tchernihiv, et n’a que très peu progressé dans certaines parties des oblasts de Donetsk et Louhansk qui étaient sous contrôle ukrainien avant la guerre. Le port maritime de Marioupol, dans l’oblast de Donetsk, est encerclé et bombardé de manière systématique depuis des semaines, mais, au moment de la rédaction du présent avant-projet de rapport, la Russie n’était toujours pas parvenue à en prendre totalement le contrôle, ce qui empêche la Russie de réaliser son pont terrestre avec la Crimée. 20. Entre-temps, les bombardements russes sur les villes et les villages ukrainiens (bombardements aveugles, pour la plupart), en particulier dans l’est de l’Ukraine où le russe est parlé, se sont considérablement accrus. L’utilisation à grande échelle de missiles balistiques et de missiles de croisière (Iskander et Kalibr, notamment) ainsi que des missiles hypersoniques Kinjal, 6 AVANT-PROJET DE RAPPORT SPÉCIAL – 016 DSC 22 F
les frappes aériennes, les tirs d’artillerie et l’horrible destruction dont Marioupol est l’objet, s’ils ont provoqué une catastrophe humanitaire et suscité un tollé mondial, n’ont produit aucun résultat concret du côté russe, bien au contraire. La destruction aveugle opérée par la Russie n’a fait que renforcer l’hostilité de la population majoritairement russophone de l’est de l’Ukraine ; elle a poussé les pays démocratiques à accroître l’appui politique et pratique qu’ils fournissent à l’Ukraine, et les a conduits à prendre de nouvelles sanctions à l’encontre de la Russie. D’aucuns affirment qu’en bombardant des zones peuplées, Moscou a cherché à aggraver la crise des réfugiés pour accentuer la pression exercée sur les économies et les sociétés européennes, afin que les pays occidentaux fassent à leur tour pression sur Kiev (Friedman, 2022). Cette stratégie n’a pas produit l’effet escompté, les sociétés européennes ayant fait preuve à l’égard des réfugiés ukrainiens d’une hospitalité remarquable. 21. Si elles se sont emparées de territoires ukrainiens, les forces armées russes ont subi de lourdes pertes et n’ont guère atteint leurs buts déclarés, ni les objectifs politiques que la Russie se serait fixés ; selon des estimations britanniques, environ 15 000 soldats (dont plusieurs généraux) ont été tués au combat au cours des deux premiers mois de la guerre (Wheeler, 2022). Il leur est impossible de renforcer sensiblement leur contingent en Ukraine sans devoir au moins procéder à une mobilisation partielle, ce que Moscou hésite à faire pour des raisons politiques, Vladimir Poutine ayant publiquement affirmé que seuls des soldats de métier participeraient à cette « opération militaire spéciale » (AFP, 2022). Début avril, plusieurs centaines de mercenaires syriens, tchétchènes et du groupe Wagner y participaient, dit-on (Schmitt et al., 2022) ; ce nombre pourrait avoir considérablement augmenté par la suite (Borger, 2022). Après un mois de combats, la Russie a donc été obligée de faire une pause stratégique afin de regrouper ses forces. 22. Fin mars, Moscou a commencé ouvertement à procéder à des modifications importantes de sa stratégie initiale. Le 29 mars, le ministère russe de la Défense a annoncé que les « principaux objectifs de la première phase de cette opération militaire spéciale [avaient] été atteints » et que les forces armées russes devaient maintenant « placer leur attention et concentrer leurs efforts sur l’objectif principal, à savoir la libération du Donbass » (TASS, 2022). N’étant pas parvenu à s’emparer de Kiev, ni, par voie de conséquence, à l’emporter sur l’ensemble du territoire ukrainien, le pouvoir russe a donc décidé officiellement de se concentrer dorénavant sur le renforcement de sa présence dans la région du Donbass et le sud de l’Ukraine. Fin mars/début avril, les forces armées russes se sont retirées de l’oblast de Kiev et des oblasts de Soumy et de Tchernihiv, au nord-est. Les dirigeants ukrainiens et les responsables de l’OTAN ont publiquement exprimé leur crainte à l’idée que la Russie projette une grande offensive dans le sud-est de l’Ukraine pour consolider son couloir terrestre vers la Crimée [OTAN, 2022(c)]. Les observateurs font valoir que les Russes pourraient avoir tiré les enseignements des erreurs commises au début de la campagne, et qu’ils pourraient tenter une attaque frontale interarmes dans le Donbass en s’appuyant sur leur suprématie aérienne dans cette région et sur des lignes d’approvisionnement plus courtes (The Economist, 2022). À cela s’ajoute le fait que les unités russes sont actuellement réorganisées en formations interarmes pour pouvoir mener des opérations tactiques plus efficaces. 23. Moscou s’est également efforcé d’améliorer la coordination des forces en nommant un seul commandant de théâtre d’opérations, le général Alexander Dvornikov, connu pour la manière impitoyable avec laquelle il avait conduit les opérations russes en Syrie. À l’occasion de la réunion des ministres des affaires étrangères qui s’est tenue le 7 avril à l’OTAN, le ministre ukrainien, Dmytro Kuleba, a indiqué qu’il prévoyait que la bataille imminente du Donbass, « avec la participation de l’artillerie, la participation de milliers de chars, de véhicules blindés et d’avions dans le cadre de grandes opérations... », ressemblerait à la seconde guerre mondiale [BBC News, 2022(b)]. 24. Alors que la guerre d’agression russe bat son plein, des délégations ukrainienne et russe désignées ont mené plusieurs séries de négociations depuis le 28 février, y compris au niveau des ministres des affaires étrangères le 10 mars dernier à Istanbul. À part certains accords portant sur 7 AVANT-PROJET DE RAPPORT SPÉCIAL – 016 DSC 22 F
l’ouverture de couloirs humanitaires, ces pourparlers doivent encore donner des résultats concrets. Malgré les appels répétés du président Zelensky à son homologue russe, et l’offre de médiation faite par le président turc, Recep Tayyip Erdoğan, le Kremlin a jusqu’à présent refusé qu’une réunion bilatérale soit organisée. Une solution diplomatique semblait improbable au moment de la rédaction de ces lignes, et les responsables de l’OTAN comme des États-Unis se montrent de plus en plus préoccupés par la perspective d’un conflit de longue durée (OTAN, 2022 ; Eric Schmitt et al., 2022). IV- LA SITUATION HUMANITAIRE 25. La guerre en cours entraîne dans son sillage toute une série d'effroyables crimes de guerre. L'invasion, non provoquée, d'un pays souverain constitue une violation claire de la Charte des Nations unies, qui stipule que la force armée ne peut être utilisée qu'en cas de légitime défense ou avec l’aval du Conseil de sécurité de l'ONU. Un faisceau large et grandissant de preuves pointe vers un bombardement aveugle par la Russie de centres urbains, d'hôpitaux, de maternités, d'écoles et d'autres zones civiles. La Russie est également soupçonnée d'utiliser des munitions interdites telles que des bombes à fragmentation (Hagos et Detsch, 2022). Des organismes internationaux de défense des droits tels que Human Rights Watch et Amnesty international recueillent des preuves concernant de nombreux cas présumés de meurtres et de viols de civils, de torture, de pillage de biens privés et d'autres actes d'une cruauté indicible dans les zones occupées par les forces russes (Human Rights Watch, 2022 ; Amnesty International, 2022). Des scènes d’une brutalité choquante à l'encontre de civils, y compris la découverte de fosses communes et les traces d’exécutions conduites sans distinction, à Boutcha, Berdyanka et dans d'autres endroits abandonnés par les forces russes en retraite ont indigné l'opinion publique mondiale. Les responsables américains et ukrainiens ont souligné que les horreurs de Boutcha n'étaient que la « partie émergée de l'iceberg » de ce qui se passe dans les territoires occupés. Le secrétaire d'État américain Antony Blinken a déclaré que les atrocités commises à Boutcha, loin d’être des incidents isolés, découlaient bien d’une tactique délibérée de la part de la Russie (Maison-Blanche, 2022a). Le président Biden a, quant à lui, demandé que M. Poutine soit jugé pour crimes de guerre (Mangan, 2022). Bien que la situation dans la ville assiégée de Marioupol n'ait pu être rapportée avec précision, les crimes de guerre qui y sont commis et le degré de souffrance humaine qui y est enduré par les populations pourraient surpasser toutes les atrocités observées jusqu’à présent dans le cadre de cette guerre. 26. Entre le 24 février et le 6 avril, le haut-commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme a enregistré 3 838 victimes civiles dans le pays : 1 611 tués, dont 131 enfants, et 2 227 blessés (HCR, 2022a). Les sources ukrainiennes font état de chiffres bien plus élevés. Des centaines de milliers de personnes dans les villes assiégées ont été privées d'électricité, d'eau, de chauffage, de nourriture et de soins de santé, tandis que, selon Kiev, les couloirs humanitaires vers le centre de l'Ukraine ont été périodiquement bombardés par les forces russes (Rott, 2022). En guise d'alternative, la Russie a cyniquement proposé des couloirs humanitaires vers la Russie ou le Bélarus, une proposition que Kiev et ses partenaires occidentaux ont jugé hypocrite et totalement inacceptable (DW, 2022). 27. Des procédures d'enquête concernant ces crimes de guerre ont déjà été lancées au niveau international. La Cour internationale de justice (CIJ) des Nations unies à La Haye a ouvert une enquête sur les actions de la Russie au regard de la convention des Nations unies contre le génocide. Bien que la CIJ n'ait pas encore statué sur l'affaire, le 16 mars, ses juges ont ordonné à la Russie de cesser ses opérations militaires en Ukraine (Posthumus et Zvobgo, 2022). Une autre institution importante, la Cour pénale internationale (CPI), qui enquête sur les crimes commis par des individus plutôt que par des États, examine également les accusations de crimes de guerre portées contre le président russe et d'autres responsables russes. L'affaire portée contre les responsables russes est soutenue par 39 pays, et les procureurs de la CPI recueillent déjà des preuves en Ukraine (Riegert, 2022). Le 1er mars, la Cour européenne des droits de l'homme du 8 AVANT-PROJET DE RAPPORT SPÉCIAL – 016 DSC 22 F
Conseil de l'Europe a également demandé à la Russie de cesser ses attaques contre les civils et d'assurer leur évacuation en toute sécurité (Kinetz, 2022a). Le ministre ukrainien des affaires étrangères, M. Kouleba, a également proposé la création d'un tribunal spécial de type Nuremberg pour les dirigeants politiques et militaires russes. Début avril, on estimait que dix pays [Kinetz, 2022(b)] auraient ouvert des enquêtes sur les crimes de guerre ou les crimes contre l'humanité commis par la Russie en Ukraine (Kinetz, 2022b). Bien que la Russie ne reconnaisse pas officiellement la compétence obligatoire de la CPI ou de la CIJ, et qu’elle ait été exclue du Conseil de l'Europe le 16 mars, les enquêtes en cours peuvent néanmoins avoir un impact moral et politique important. 28. La guerre a contraint au départ des millions d'Ukrainiens : au 2 mai, quelque 7,7 millions d’entre eux étaient déplacés à l'intérieur du pays, tandis que plus de 5,6 millions avaient quitté l'Ukraine (principalement des femmes, des enfants et des hommes âgés, les hommes valides âgés de 18 à 60 ans ayant reçu l'ordre de rester dans le pays). Dans le même temps, quelque 1,4 million d'Ukrainiens sont revenus ou sont entrés en Ukraine [HCR, 2022(a)]. À elle seule, selon le HCR, la Pologne a accueilli plus de 3 millions de réfugiés, tandis qu’un nombre important d’Ukrainiens a également fui vers d'autres pays voisins, notamment la Roumanie, la République tchèque, la Slovaquie, la Hongrie et la République de Moldova. Les réfugiés ukrainiens ont été accueillis avec une hospitalité remarquable : les États européens et des milliers de bénévoles ont mis en place des centres d'accueil et proposé un abri, de la nourriture, des transports, des soins médicaux, un soutien financier et même des emplois. L'UE a rapidement invoqué - pour la première fois - la directive sur la protection temporaire, qui permet à toute personne résidant légalement en Ukraine avant le 24 février de bénéficier d'un statut juridique clair pendant une période pouvant aller jusqu'à trois ans, qui inclut la possibilité de travailler, d'étudier et d'accéder à la protection sociale dans le pays de l'UE de son choix (Martini, 2022). La plupart des réfugiés ukrainiens ont été accueillis par des familles européennes ou dans des logements mis à disposition par les gouvernements (Lovett et al, 2022). L'UE a également invoqué son instrument de soutien technique pour aider les États membres à accueillir et intégrer les personnes fuyant la guerre en Ukraine (Commission européenne, 2022). Le HCR coordonne la fourniture de services, tels que l'aide juridique, le soutien psychologique, la protection des enfants et la gestion des cas de violence sexuelle [HCR, 2022(b)]. 29. Il convient également de noter que des dizaines de milliers de Russes, dont des figures de l'opposition, des journalistes, des spécialistes en informatique et même certains oligarques, ont choisi de fuir, principalement vers les pays voisins - Géorgie, républiques d'Asie centrale, États baltes et Turquie (Rumer, 2022). V- LE SOUTIEN DES ALLIÉS ET DE LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE À L'UKRAINE 30. Le secrétaire général de l'OTAN, Jens Stoltenberg, a déclaré à plusieurs reprises que le soutien apporté de longue date par l'OTAN et les différents Alliés a grandement contribué à la capacité des forces armées ukrainiennes à repousser l'offensive russe. En effet, l'assistance sécuritaire des Alliés à l'Ukraine a été nettement renforcée après 2014. À eux seuls, les États-Unis ont engagé plus de 4 milliards de dollars de 2014 à mars 2022 « pour aider l'Ukraine à préserver son intégrité territoriale, à sécuriser ses frontières et à améliorer son interopérabilité avec l'OTAN » (CRS, 2022). Avant la guerre, plusieurs autres Alliés, dont le Royaume-Uni, la Pologne et la Lituanie, ont également fourni des armes à l'Ukraine, tandis que la Turquie a fourni des drones Bayraktar TB2 qui se sont avérés indispensables sur le champ de bataille (Seibt, 2022). Le Canada a, quant à lui, contribué avec une mission de formation militaire de 200 personnes, tandis que plusieurs autres Alliés ont fourni un soutien non létal important. 9 AVANT-PROJET DE RAPPORT SPÉCIAL – 016 DSC 22 F
31. L'OTAN elle-même, en tant qu’organisation, avait apporté sa contribution avant la guerre par le biais de nombreux mécanismes et programmes, notamment l’ensemble complet de mesures d'assistance (CAP) de 2016, qui comprend dix fonds d'affectation spéciale. Dans le cadre du CAP, l'OTAN fournissait des conseils de niveau stratégique et avait mis en place 40 mesures adaptées de soutien. En juin 2020, l'Ukraine s'est vu accorder le statut de partenaire « nouvelles opportunités », ce qui lui a permis de bénéficier d'un accès préférentiel aux exercices et au partage de renseignement OTAN. En vertu de son nouveau statut, l'Ukraine a accueilli, en septembre 2020, l'exercice Joint Endeavour auquel ont participé des troupes américaines, britanniques et canadiennes (Mills, 2022). Grâce à son programme de renforcement de la formation « défense », l'OTAN a contribué à améliorer les systèmes d'enseignement et de formation militaires de l'Ukraine, en se concentrant sur huit établissements d'enseignement de la défense et cinq centres de formation [OTAN, 2022(d)]. Au moins 10 000 soldats ukrainiens ont participé chaque année à des formations et des exercices avec du personnel de l’OTAN entre 2014 et 2022, ce qui a contribué à inculquer une approche plus moderne de la guerre et de l'organisation des forces armées. Cette approche implique, entre autres, de renforcer le niveau des sous-officiers et de mettre l’accent sur la flexibilité et l'autonomie de ceux qui se trouvent au bas de la chaîne de commandement pour atteindre les objectifs de combat fixés par les niveaux supérieurs (Michaels, 2022). Les conseillers de l'OTAN ont également contribué à renforcer le contrôle démocratique du secteur de la défense et de la sécurité en Ukraine. Malgré le conflit qui persistait dans ses régions orientales, l'Ukraine a également apporté une contribution précieuse à la sécurité par sa participation à de nombreuses opérations dirigées par l'OTAN, notamment au Kosovo, en Afghanistan et en Méditerranée, ainsi qu'à la Force de réaction de l'OTAN. 32. Tant par son propre dévouement que par le soutien apporté par les Alliés entre 2014 et 2022, l'Ukraine a réussi à faire passer le nombre de ses troupes prêtes au combat d'environ 6 000 à près de 150 000 hommes, tout en modernisant ses chars, ses véhicules blindés et ses systèmes d'artillerie. Les instructeurs de l'OTAN, notamment au centre de formation du Service de l'ordre militaire (MLOS) près de Lviv, ont assisté les officiers et les soldats ukrainiens à « désapprendre les vieux réflexes [soviétiques] prévisibles aux yeux de Moscou », selon la formule d’un expert (Seibt, 2022). Ces 8 années d’expérience à contrer les agents russes dans le Donbass a également contribué à endurcir l'armée ukrainienne et à identifier des officiers à hautes aptitudes. Il convient également de noter que l'Ukraine a fait des progrès considérables ces dernières années pour renforcer ses cyberdéfenses, et ceci grâce à une aide importante de la part de ses partenaires occidentaux (Cerulus, 2022). À la surprise de certains observateurs, au début de l'invasion russe, l'Ukraine est remarquablement bien parvenue à repousser les cyberattaques russes qui ont accompagné l’offensive et à rétablir rapidement la situation lorsque ces attaques ont réussi (Conger et Sanger, 2022). 33. À la veille de l'invasion à grande échelle de l'Ukraine par la Russie, les Alliés, et en particulier les États-Unis, ont accru leur soutien à l'Ukraine. Malgré le coup qui aurait pu être porté à sa réputation, l'administration Biden a choisi de divulguer ouvertement ses renseignements concernant l'imminence de l'invasion russe. Ce choix s'est avéré déterminant pour retirer à l’agresseur l'élément de surprise, compliquer le projet de Moscou de lancer des opérations « sous fausse bannière » et mobiliser la communauté euro-atlantique (Barnes et Sanger, 2022). En décembre 2021, les États-Unis ont annoncé que 200 millions de dollars supplémentaires seraient alloués pour soutenir les capacités de défense de l'Ukraine et, en janvier 2022, ils ont confirmé des livraisons supplémentaires de missiles Javelin et d'autres équipements, dont cinq hélicoptères Mi-17 (Mills, 2022). Les alliés ont également averti à plusieurs reprises la Russie qu'une invasion de l'Ukraine entraînerait des sanctions dévastatrices. 34. L'invasion du 24 février a galvanisé les Alliés de l'OTAN, qui ont rapidement étendu leur soutien à l'Ukraine. Bien qu'il ne soit pas possible d'évaluer l'ampleur exacte de ce soutien, en partie confidentiel, les Alliés ont fourni des équipements militaires défensifs essentiels, allant des armes lourdes aux fusils en passant par des gilets pare-balles. Depuis le début de la guerre de 2022, 10 AVANT-PROJET DE RAPPORT SPÉCIAL – 016 DSC 22 F
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