LA FÊTE - La Marmotte Déroutée
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UN JOURNAL POUR LA ROYA La marmotte déroutée (Mai) - Juin—Juillet 2018 - nº16 - Prix libre LA FÊTE (À) LA MOROSITÉ ! NIQUE Depuis la nuit des temps, les femmes et les hommes fêtent les nouvelles saisons, surtout le printemps, les récoltes, les naissances, les anni- versaires, les mariages, les morts, les diplômes, les croyances de tous poils. Tout est prétexte à la fête. C’est comme si elle nourrissait une soif toujours renouvelée, la part cigale, présente en nous pour équilibrer la part fourmi. Familiales, villageoises, religieuses, culturelles, sauvages, - les fêtes comblent un besoin indéniable : sor- tir du quotidien, rencontrer, découvrir, rire et DANS CE NUMÉRO : sourire, aimer, se lâcher, se recharger. Vivre la fête intensément, en être acteur (-rice), décuple Parole de Marmotte nº16 : Caléidoscope d'un temps qui… … 2 ses pouvoirs. DOSSIER : La fête - “Nique (à) la morosité” Plus le quotidien est dur, plus le besoin d’en Le Carnaval apprivoisé … 3 sortir nous tire à la fête. Plus la galère quoti- Petite bafouille de Pantaï … 5 dienne meurtrit, plus faire la fête prend des airs Fêtons en choeur (témoignage d’un-e fêtard-e) … 5 de révolte, comme tant de révoltes prennent Calendriers des fêtes en Roya/Bévera … 6 Dystopie : la Stacada 2096 … 7 des airs de fêtes. Plus les perspectives sont Le Carnaval de Saint-Roch … 8 sombres, plus la fête nous fait du bien et nous A lire : enquête “Nice je ne t’aime plus” … 9 donne des forces pour les éclaircir. Dans ces périodes où l’individualisme grandissant mène FRONTIERE : La chasse aux sans-papiers, c’est reparti … 9 au repli sur soi, elle fait la nique à la morosité et REGARDS : LA ZAD de NDDL Notre-Dame-des-Landes. ZAD malgé tout … 11 à l’immobilisme. Les armes de l’ordre … 11 Nous, Marmottes, comme chacun sait, sommes EAU SECOURS ! : VEOLIA, le géant de la soif … 12 des bestioles sociables et facétieuses. Quand la ACTU : Tunnel de Tende : la montagne se rebelle … 13 prairie est dégagée des prédateurs, l’herbe COURRIER DES LECTEURS : … 14 grasse et l’eau du lac plus fraîche qu’une bière EN IMAGES : “Un peu d’amour” … 14 de frigo, mues par une force indicible, nous PRATIQUE : nous regroupons pour, joyeusement, siffler, Fabriquer un chauffage à air solaire (les fiches du Prof.) … 15 jouer, rouler par terre, partager nos repas, en ACTU (suite) : En attendant Limone … 16 imaginant un monde meilleur… Venez festoyer ALERTE TRAIN ! … 16 avec nous ! ACTUALITÉS & ÉVÈNEMENTS EN ROYA - BEVERA …16 Publication autogérée par des habitants de la vallée de la Roya - www.la-marmotte-deroutee.fr - contact@la-marmotte-deroutee.fr - 07 68 05 65 34
PAROLE DE MARMOTTE Nº16 DOSSIER : Déroutée par sa crainte des bouleversements irréversibles que lui annoncent les travaux au col de Tende, la « petite reine des tunnels », une marmotte des alpages de la Haute Roya, quitte son terrier et part découvrir le vaste monde à la recherche d’une solution. « Parole de Marmotte » est son journal de bord. Elle y retrace sa quête et ses apprent- issages du monde des Humains. Pour retrouver les précédents épisodes, lisez les pages 2 des anciens numéros. CALÉIDOSCOPE D'UN TEMPS QUI COURT Vous vous en souvenez ? Il y a deux épiso- La n° 3, regard plus enflammé encore, extériorise brusque- des, sur un malentendu, le bus-(col)labo- ment sa débordante énergie en s’élançant vers la portière du mobile chargé de chaparder les rêves de la Marmotte s’est bus. Au passage, elle bouscule le jeune gendarme qui manque fait arrêter par les gendarmes au check-point de Fanghetto. de s'écrouler sur le volant. Le vieux gendarme, aux réflexes De son côté, la Marmotte endormie faisait objet d’intenses affûtés, lève immédiatement son lanceur de flash-ball, pointant recherches par deux personnes en noir-à-capuche, pendant le cylindre sur elle. Le n° 4, encore plus vif, le pousse pour que le stagiaire responsable de son endormissement cuvait faire dévier la trajectoire du projectile tout en se propulsant son génépi. Relisez Parole(s) de Marmotte n° 13 et 14 si be- aussi à l’extérieur du bus et exhortant la n° 3 devant lui : soin de vous rafraîchir la mémoire. On continue ? « Cours, cours, plus vite ; là, sur la gauche, un passage, réfléchis Voici ce qui se passe au check-point de Fanghetto, installé à pas, deviens mouvement ! » la frontière franco-italienne dans la vallée de la Roya, sur Sans réfléchir, elle se voit enjamber la rambarde métallique une pittoresque route qui sinue, pour le moment encore, à bordant la route et dévaler le talus en direction du fleuve. l’ombre des villages perchés (grâce aux pouvoirs magiques « Ça passe, cours. Calme, respire, garde ton souffle. des entreprises de BTP italiennes, puissantes au point de - Chef, j’envoie une lacrymo ? Première sommation ? savoir faire des murs avec des crachats et faire jaillir des tor- rents de la montagne en tube). - Dernière, petit con ! Et cours surtout, il faut les rattraper ! - Respire! Là, derrière le rocher, vite. « Descendez, votre véhicule va être saisi. - POP'... PSIUUUUUUUUU.... - Mais vous êtes dingues ? » (À en juger par la couleur de ses - À couvert ! » joues, la stagiaire n° 3 fait l’expérience d’une violente remon- Une grenade retentit au-dessus de leurs têtes, en projetant sa tée sanguine.) pluie de palets fumants. La n° 3 sursaute et laisse échapper un « Laisse, ça doit être un malentendu, ça ne va pas durer. » (Le cri. Tout en la tirant en arrière, le n° 4 pousse du pied, vers stagiaire n° 2 est, par nature, conciliant ; lui, son truc, ce sont l'eau, les deux fumeroles qui tombent près d'eux : « Respire les signes non-équivoques d’apaisement, si possible avant dans un tissu. À droite, là, le sentier, en bas à gauche. » même qu’il y en ait besoin.) *** Le plus jeune des gendarmes saisit la carte d’identité tendue Quelques heures plus tard, sur la route de Berghe, les deux par le coopératif n° 2, puis se tourne vers le n° 4 : « Vos pa- personnes en noir-à-capuche restent sur leur faim. piers, Monsieur, s'il vous plaît ! » « Sa voiture est là... » Le n° 4 (le conducteur du car, le seul à être rémunéré et à vivre Elles se rapprochent, non sans jeter des coups d'œil derrière dans la vallée) ne répond pas. elles pour s'assurer qu'elles ne sont pas suivies. Elles regar- « Non, mais ça va pas ? » (La n° 3 au n° 2 :) « Tu es en train de dent par la fenêtre, sur la banquette arrière, sur la banquette mettre en danger notre mission, toi et ces branquignols qui nous avant, dans le coffre dont le vide les désole à travers la plage prennent pour des terroristes ! » (Puis, se tournant vers les deux arrière ouverte. Aucune trace de sac de sport. Aucune Marmo- hommes en bleu :) « Vous manquez sacrement d'éducation à la tte des Alpes. gendarmerie, vous n’êtes même pas capables de faire la dis- « Merde de merde... tinction entre une mission scientifique sérieuse et les 'tits cons qui jouent à foutre la merde ! - Eh-oh ! vous l'avez ? » (Une voix, sur leur droite, les fait sur- sauter.) - Chef, j'ajoute outrage à l'agent ? « Tu m'as fait peur ! » (L'un des encapuchonnés donne une ac- -Oui, mets aussi port d'arme, lâche le vieux gendarme en mon- colade au n° 4 quand celui-ci finit d'émerger au-dessus du pa- trant du doigt l'Opinel planté dans un bout de saucisson posé à rapet. La n° 3, en sueur, peau striée de griffures, ne tarde pas à côté de l'écran : La fête est finie, on les boucle. apparaître derrière.) - Menottes, chef ? » « Non. Je crois que nous avons un gros souci... » Le n° 2 tend les bras et ferme les yeux, anticipant l’inconfort. *** Quelque part sur la planète Terre si nos informations sont fiables… : « Les drogues auraient, sur l'organisme, des effets à la fois délé- tères et rédempteurs. Ce sont les Humains qui le disent. Je ne sais pas très bien ce qu'ils m'ont donné, quand ils m'ont endor- mie, mais depuis qu'ils l'ont fait, je n'arrive plus à atterrir dans la réalité. Je crois que je n'arrive pas à atterrir tout court. Je flotte dans un étrange ailleurs. Quand j'ouvre les yeux, je me heurte contre une toile beige, tout près, juste devant, qui m'empêche de voir en-dehors. Alors, trop faible pour bouger, je me conten- te de l'en-dedans, et je me délecte d'une débauche des rêves d'éclats de verre et de fracas, de quelque chose qui fourmille, et qui gronde. » La petite reine des tunnels endormie Page 2 La Marmotte déroutée
« La fête a toujours été l’élément médiateur, la consécration de l’espace comme propriété commune. LA FÊTE Elle est le temps des retrouvailles, irruption du sacré, rupture de la quotidienneté et du temps a-historique par ses retours cy- cliques. Pendant la fête les hommes se réapproprient l’espace et le temps (non plus soumis aux rythmes du travail), les parta- gent comme ils partagent les victuailles sous forme de festin, comme ils usent et abusent, dépensent et se dépensent sans comp- ter en opposition à ce qui fonde la pratique bourgeoise et capitaliste : le thésauriser et la valeur d’échange. Ce qu’on échange pendant la fête, ce ne sont plus des marchandises mais des paroles, des désirs, soi-même ; la fête est don, offrande ; transgres- sion autorisée de l’ordre établi, elle a toujours dérangé, c’est pourquoi elle fut régulièrement compartimentée, réglementée, parcellarisée. Devenue spectacle, confisquée comme l’espace, elle est à présent objet de consommation, production quanti- fiée. » Jacquou per Zou Mai Tiré du texte « Pour un Mani-Feste ». Zou Mai était un collectif de personnes réunies autour d’une certaine idée de “vivre la ville”, Nice (zacloud.chez-alice.fr/zoo%20mai.htm). Le Carnaval apprivoisé AVIS DE RECHERCHE Nom : Esprit de Fête Signes distinctifs : grotesque, provocant, inventif, débraillé et envoûtant Se cache quelque part dans les Alpes-Maritimes ; peut ressurgir de façon imprévisible partout où les barrières tombent et les gens se rencontrent ; présente un danger évident pour la morosité ambiante et l’individualisme. Si vous l’apercevez, merci de ne pas le signaler aux autorités. Pendant ce pratiques codées, s’inscrit dans une tradition immémoriale de temps, rituels de communion qu’on retrouve de tout temps et partout quelque part à sur la planète. Le cadre offert par Carnaval et le déguisement porté offrent une marge de liberté, de défoulement. La fonc- Nice... tion sociale du Carnaval est la même que celle qui était re- La place est en- cherchée lors des transes de cérémonies rituelles ances- vahie de gradins trales. Pendant un temps défini et accepté par tous, nous en ferraille, les rues sont palissées de barrières, les accès sommes autorisés à n’être plus nous-mêmes mais un autre et sont surveillés, contrôlés. L’entrée est gratuite pour les gens nous nous servons de cet autre pour exprimer ce qu’habituel- costumés, mais encore faut-il savoir ce qu’est un « bon » cos- lement nous ne pouvons vivre ou dire car les codes de la so- tume. Les gens sont assis, dociles, entassés et regardent pas- ciété le prohibent. Nous exorcisons nos désirs, nous ridiculi- ser le cortège des « professionnels », ces athlètes du sourire sons nos peurs, nous ritualisons l’inacceptable [1], et disons- plastifié et leurs géants inconnus. Le cortège est passé, on a le, cela nous permet de ne pas devenir fous. mangé, on a bu, les enfants ont gloussé en recevant les con- Parce qu’il tente d’exprimer l’indicible, de transfigurer le réel fettis, puis on est rentré. Le spectacle est remis sous vide, pour le faire accoucher de vérités cachées, le Carnaval est pour une meilleure conservation. On le ressortira l’année pro- une forme d’art mais un art concret de la communion, de la chaine. D’ailleurs tout est déjà prévu, l’année prochaine on communication, une torsion volontaire et violente de l’imagi- fait pareil avec peut-être un peu plus de sécurité car pour ça naire collectif, un acte partagé de sauvagerie et de résistance. on débloque les budgets facilement. En mille mots comme en deux, nous retombons sur nos « Malheur ! », mais qu’a-t-on fait au « Paure Carnaval » occi- pattes : voilà que s’approche l’Esprit Pantaï ! tan… ? Sérieusement, peut-on encore appeler fête populaire un rassemblement où l’on n’attend rien d’autre des gens que L’esprit Pantaï à la rescousse leur présence anonyme, leurs sous et leurs applaudisse- Les années 70, à Nice et dans sa région, ont vu l’émergence ments ? Qu’a-t-on négligé, laissé de côté pour que le Carna- de l’esprit Pantaï, inspiré du nissart pantaier, mot chargé de val, symbole même de l’expression populaire et de la libéra- paradoxes qui signifie rêver ou cauchemarder, fantasmer, tion des esprits et des corps devienne ce qu’il est là, un spec- délirer, inventer... Le Pantaï fut, pour plusieurs collectifs d’ar- tacle payant et sans âme ? Mais surtout, pourquoi avons-nous tistes et d’habitants [2] une « dynamique créatrice de sens et besoin qu’il renaisse ? génératrice d’action » [3] qui s’est imposée face à la nécessité de repenser la fête, de la redéfinir pour mieux la défendre. Vous reprendrez bien un peu de transe ? Révulsé par les fêtes apprivoisées et commerciales, le Pantaï La tradition du Carnaval occitan remonte au Moyen-âge, lors- permet la réappropriation de la fête par les habitants, le re- que l’Église, ayant échoué à condamner les traditions carna- tour au « sauvage » et à la liberté de création… Mais pour se valesques héritées des saturnales romaines, les récupéra. Le réapproprier la fête, il faut d’abord reconquérir des espaces Carnaval est un des rares survivants des nombreuses « fêtes à de liberté dans la ville, dans les quartiers, dans les villages. l’envers » païennes, où l’on vivait le renversement de l’ordre « Le choix du cadre de notre action : la rue, la place ; espaces établi. Christianisé, le Carnaval qui est un mot tiré de l’italien devenus quasiment vacants où toute vie n’est plus que de pas- « carnelevare » signifiant ôter la viande, marque le début du sage et fonctionnelle. C’est ainsi que nos manifestations répon- Carême. Une période d’excès et de provocations avant 40 dent à la nécessité d’une pratique autre de la ville, une occupa- jours de privations. Mais le Carnaval occitan tel que nous le tion autre de l’espace qui sont contingentés par la seule idéolo- connaissons, avec son cortège de symboles, de chants, de gie désormais existante, celle du marché, celle de la séparation (Mai) - juin - juillet 2018, nº16 Page 3
DOSSIER : « L’utopie est une nécessité ; pas de volonté d’agir, de faire, et de la division […] Rendre à cet espace sa fonc- tion de lieu de rencontres, d’échanges non mer- cantiles, de pratique ludique, de vie en somme, n’est-ce pas ce à quoi nous tendons ? » [4] Pendant quelques décennies, l’agitation est re- venue dans les rues, les fêtes de quartier, repas populaires, carnavals indépendants et néo- traditions poussaient infatigablement entre les pavés, comme de la mauvaise herbe, réunissant parfois quelques milliers de personnes pour un évènement improvisé. Mais depuis plusieurs années, la « dynamique créatrice » s’essouffle. Les lieux de rencontres ferment successivement sous les contraintes finan- cières ou administratives des politiques qui voient d’un œil- mauvais ces espaces « hors-cadre », les énergies s’éparpillent et ne se renouvellent pas toujours. La tendance est la même dans les facs niçoises où les foyers d’étudiants, menacés chaque année de fermeture, se sont vidés et ont perdu leur sens. C’est à l’usure que l’espace de la rue et de la fête se referme petit à petit. Mais rien n’est dit, rien n’est fait et l’esprit chahuteur s’agite encore… D’ailleurs, la Santa Capelina [5], joyeuse et insolente héritière de ces mouvements alternatifs, caressée par le Mistral du quai de Rauba Capeu, rassemble chaque année pour sa procession du 1er mai une troupe nombreuse et bruyante d’indéboulonnables à chapeaux. C’est toi le concitoyen ! Faire vivre un univers créatif dans son lieu de vie, créer une vraie « culture » festive commune où chacun est conscient de la dimen- sion politique et sociale des moments partagés demande « une construction lente, un investissement bien en amont de la fête en elle-même » confie à la Marmotte un grand pratiquant du Pantaï. « Pour sortir de l’entre-soi, il faut mener une action de terrain, toute l’année. Réaliser des ateliers dans les facs, avec les enfants, investir les fêtes de quartier, s’investir pour une concitoyenneté, recréer des repères que les habitants s’approprient hors des cadres où l’on tôt ou tard de nouveau sur nos terres. En attendant, nous dicte comment agir, essayer de réunir les gens qui sont tou- chantons… chés par ce genre de fêtes et qui le déploieront à leur tour dans leur cercle social… faire tache d’huile ! » Et de conserver l’utopie, la pensée et les valeurs de la fête populaire car « L’utopie est une Amusa-vous, gauda-la vous nécessité ; pas de volonté d’agir, de faire, sans vision utopique, sans désir, pas d’action sans imaginaire, pas de liberté sans union » [6]. Amusez-vous, prenez du bon temps Mais l’esprit du Carnaval est à deux pas ! Le carnaval de la Plaine, Et siguès toujoù countènt. à Marseille, initié il y a plusieurs années par un émigré niçois, a Et soyez toujours contents ! réuni spontanément, cette année, des milliers de personnes dans Luèn dòu tabus en anas vous, une explosion de musique, de créativité, de chars tarabiscotés, de fêtes de quar- Loin du tracas allez-vous en, tier. L’inspiration, Noun vous faguès de sanc bulhent. c’est comme les Ne vous faites pas de mauvais sang ! [7] graines, ça voyage et elle s’éparpillera Lulutte la Turlutte [1] Analyse et sémantique inspirées du livre « Le non-dit des émotions » de Claude Olievenstein [2] Pour en savoir plus, lire « L’esprit Pantaï ou comment réanimer le carnaval de Ni- ce » de Christian Rinaudo (Cairn.info). [3] Tiré du texte « Pour un Mani-Feste » de Jacquou per Zou Mai, ancien collectif d’ac- tion culturelle. [4] Ibid. [5] La fête de la Santa Capelina existe depuis 1995, elle est un « moment emblémati- que de la résistance à la définition touristique de la ville » (Christian Rinaudo, ref. 1), elle est la fête de « la dérision, de l’absurde » et des « travailleurs du chapeau » où les participants n’ont que deux impératifs : venir avec un poisson pour une soupe collecti- ve et un chapeau confectionné par eux-mêmes. [6] Voir ref. 3 [7] Paroles d'Adiéu paure Carneval (version niçoise) une chanson populaire connue dans toute l'Occitanie. (Mai) - juin - juillet 2018, nº16 Page 4
…. sans vision utopique, sans désir, pas d’action sans imaginaire » LA FÊTE Petite bafouille de Pantaï Pour dire un mot sur Espèce de manifestation qui s’exprime par la rencontre d’un l’article voisin, ml jeté degun pantaillant avec l’énergie spontanée d’un groupe de deguns du pailhassou est un pantailleurs. événement important dans le carnaval nissart Ceux-ci subliment le pantai, en créativité poétique, lui donnant (pas que). Je dirais des formes, dépassant le pantaillant. essentiel, c’est vraiment très fort, c’est à la fois Qui se retrouve propulsé tel un pailhassou (pantin qu’on projette le bouffon que l’on en l’air à l’aide d’un tissus lors des fêtes populaires) parmi les moque étoiles où il pantaille avec les autres. Carnavalus androgynus erectus. et celui que l’on a en soi. Quoiqu’il en soit (anchois) le pantai reste subversif Bon là je prends mon dico lacanien et je me jette au Paillon pour seul ou en groupe voir si je flotte. le pantai ça groupe o santa o santa Piero Depuis des années, de nombreuses per- sonnes s’activent pour que la Roya ne soit pas (que) un long fleuve tranquille. Voici FÊTONS le lendemain matin, retour au bercail avec son per- mis… Trinquer avec un verre d’eau ou de jus de fruits est tout aussi convivial qu’avec une bière! J’y un témoignage d’une d’entre elles. Des ai passé des nuits entières, avec d’autres qui ne bu- fêtes, elle en a écumé ! Et en a fait vivre plein. Un retour d’expérience. EN vaient certes pas de l’eau, et ce sont des souvenirs inoubliables ! Est-ce une synthèse de l’énergie de la fête en elle-même, de celle des potes alcoolisés et La fête, les fêtards, les regards CHOEUR de celle émanant du plaisir des rencontres et des liens crées ? En tout cas, ça marche !!! Avez-vous remarqué que ce J’ai même ouï dire qu’il s’organise de n’est pas pareil d’aller à la fête plus en plus souvent des fêtes sans ou d’aller faire la fête, bien alcool très réussies. que souvent quand on y est, on se rend vite compte qu’on va La fête, ça ne tombe pas du ciel la faire ? La qualité d’une fête dépend vraiment de ce que chacun y apporte, le mouve- Avec ou sans substances, une bonne ment, la danse, le rire. Parfois, fête, ça vous requinque ! Ça vous certains regardent simplement donne la patate et la banane !!! Rien les autres. Même s’ils ne bou- n’est plus réjouissant que le sourire gent pas, leur joie est palpable épanoui de celle ou celui qui vient de comme une vague positive se vivre de si bons moments ! C’est la conjuguant avec celles des juste récompense pour celles et ceux danseurs, des musiciens. D’au- qui se sont donné(e)s pour que la fête tres se comportent en voyeurs ait eu lieu. Les musiciens/ciennes ou et leur regard empreint de jugement n’apporte rien. Au-delà les théâtreux/treuses y puisent l’énergie pour créer encore. de la gestuelle et du paraître, c’est une combinaison de toutes Les bénévoles organisateurs/trices, techniciens/ciennes, les énergies en présence qui donne à l’événement sa force, celle de continuer, même si c’est parfois difficile. Il y a bien cette énergie qui elle-même va se communiquer à tous sous souvent peu ou pas de reconnaissance, cette attention qui, forme de ressourcement euphorisant. sans être un objectif, est bien agréable à recevoir pour celles et ceux qui ont donnés beaucoup d’elles/eux pour que la si- tuation festive soit possible. D’autant qu’ils doivent donner Tu bois, moi non plus ! encore beaucoup de temps et d’énergie pour achever l’his- toire, quand les autres ont déjà rejoint leur lit ou leur « after ». Ce sont également elles/eux qui se retrouvent confronté(e)s C’est sûrement aussi cette énergie qui stimule les fêtards qui aux bris de matériel, aux problèmes liés aux excès de bruit ou s’abstiennent d’avoir recours à diverses substances! C’est un au défaut de ménage... C’est une des raisons pour lesquelles lieu commun que de dire qu’un « bon fêtard » est celui qui sait il est important que les rôles tournent, que les bénévoles boire ! L’alcool l’aide à dépasser ses blocages, à délier sa soient toujours plus nombreux à se relayer pour faire que la langue et son humour, parfois un peu lourd certes, fait entrer fête existe, pour faire la fête sans en être uniquement consom- dans une transe qui donne des ailes ! Et pourtant, bien que mateur. Une bonne fête ne se consomme pas, elle se vit ! cela soit encore mal vu, de plus en plus de fêtards avertis le Chaque « fêtard » peut participer à alléger la sauce, un p’tit sont sans recours à d’autre dopage que celui de la synergie geste par-ci, un p’tit geste par-là. Mais faites – fêtes - donc festive ! Les avantages sont nombreux : pas de conséquences mon ami !!! sur la santé, peu de probabilité d’accident, pas de déborde- ment involontaire dus au trop d’ivresse, pas de gueule de bois La Belette Page 5 La Marmotte déroutée
DOSSIER : Faites la fête en Roya/Bevera Quand Fête Où Détail Souper Festival (fête Breil-sur- Février Concours de soupes, soupe collective et autres ateliers, animations festives et concerts de la soupe) Roya Fête traditionnelle païenne puis catholique. Déambulation dans les rues, déguisements, le Mars-Avril Carnaval Partout jour où on inverse les rôles, où le serf fait le seigneur Foire des métiers Breil-sur- Avril Foire et expositions d’arts Roya Nouvelle fête traditionnelle. Déambulations pantaï, soupe de poisson, musique. Fête de la Santa Cape- 1er mai Nice-Nissa La Santa Capelina, sainte du Chapeau, a pris une teinte royasque par les nombreux partici- lina pants à la fête descendus des montagnes ... Nouvelle fête traditionnelle, souvent mémorable dans la vallée, si riches en musiciens. 21 juin Fête de la musique Partout Faites de la musique partout ! Fête traditionnelle catholique Juin, Première fête patronale (des voyageurs, alchimistes, cavaliers, maisons de retraite, tan- week-end Saint Festin St Jean Libre neurs, drapiers, théologiens…) sur le calendrier de la vallée de la Roya. On saute par- Jean (ou suivant) dessus le feu de la Saint Jean Juin, fin automne Fête de l'Olive Roya-Bevera Fête rurale avec marché paysan et parfois spectacles et concerts Fin juin, début Saint-Dalmas Fête patronale (traditionnelle catholique) Festin juillet de Tende Juillet (tous les 4 ans) Baroquiales Roya-Bevera Festival baroque (concerts d’orgue, animations variées…) 2e sem. juillet Festin Tende Fête patronale (traditionnelle catholique) 14 juillet 14 juillet Nationale C'est la fête de la prise de la Bastille. Feux d'artifices et bal Grande fête patronale (traditionnelle) des muletiers, orfèvres, maréchaux, forgerons, charrons, vétérinaires, selliers, couteliers, chaudronniers, mineurs, serruriers, horlogers, 2e weekend juillet St Eloi Tende carrossiers, batteurs d'or, taillandiers, monnayeurs, ferblantiers, doreurs, cochers, fer- miers, maquignons, valets de ferme et laboureurs . Nombreux spectacles et animations Juillet Festin St Jaques Morignole Fête patronale (traditionnelle) 3e sem. juillet Fête médiévale La Brigue Grande fête folklorique, spectacles autour du Moyen Age Fête patronale (traditionnelle catholique) 3e sem.de juillet Festin St Jaques La Brigue des voyageurs, alchimistes, cavaliers, laboureurs, forgerons, tanneurs, drapiers, marins, militaires… Festival des épouvan- Juillet-aout Sospel Fête traditionnelle et folklorique tails er 1 week-end d'août Festin Fontan Fête patronale (traditionnelle catholique) 2e week-end d'août Festin Berghe sup. Fête patronale (traditionnelle catholique) Hors des vil- Fête de la nature, occasion de profiter de la voie lactée et de se délecter de l'immensité du Autour du 14 août Nuit(s) des étoiles lages ciel. A vos vœux ! Fête patronale (traditionnelle) 15 aout Festin St Roch Tende des bergers, des paveurs, des chirurgiens... 15 aout Festin de Medj’August La Brigue Fête patronale (traditionnelle) montagnarde Festin de la Autour du 15 août Breil Fête traditionnelle catholique Medj’Agoust Quelques jours Fête de la Cruella Breil Fête traditionnelle catholique suivant le 15 août Week-end suivant Nouvelle fête traditionnelle. Animations folkloriques, groupes français et italiens, chants Fête du vieux Tende Tende le 15 août régionaux, animations pour les enfants Breil-sur- Fête traditionnelle agricole célébrant le retour des pluies, déambulations en musique et Fin aout Fête de l’eau Roya arrosages er 1 dimanche de Festin Vievola Fête traditionnelle catholique : messe et animations musicales juillet Août Festival baroque Sospel Festival de musique baroque Autour du 19 août Fête du four Morignole Fête traditionnelle du four de Morignole. 20 aout Festin St Bernard Moulinet Fête patronale des montagnards, apiculteurs… (traditionnelle catholique) 3e sem. d'août Festin Berghe inf. Fête patronale (traditionnelle catholique) sur 3/4 jours 3e sem. d'août Festin St Roch Saorge Fête patronale (traditionnelle catholique) des bergers, paveurs, chirurgiens... sur 3/4 jours Dernier week-end Festin Saint Bernard Breil Fête patronale des montagnards, apiculteurs… (traditionnelle catholique) d'août Grand marché traditionnel et animations autour du patron des tonneliers, des chapeliers, Fin septembre Foire St Michel Sospel des escrimeurs, des merciers, des fabricants de gaufres et d'oublies, des épiciers et des étuvistes. Fête patronale (traditionnelle catholique) des tonneliers, boulangers, etc. attirant autrefois 29 Septembre Festin St Michel Pigna beaucoup de saorgiens à pied Fête de la brebis bri- Octobre La Brigue Grande feria paysanne avec animations et concert gasque Fin octobre Fête des châtaignes Moulinet Baletti, dégustations Mi novembre Fête des châtaignes Saorge Musique, apéro et dégustation Marchés de noël dans toute la vallée, crèches vivantes. Fêtes de fin d’année Noel (St Nicolas : patron des bateliers, des pêcheurs, des débardeurs et des marins, des Décembre National chrétiennes tonneliers et des brasseurs): fête chrétienne popularisée, en famille ou élargie, animations et pèlerinages, Nouvel an Les chorales, fanfare et autres musiciens, artistes de la vallée et d’ailleurs, associa- tions culturelles, le micro ouvert à Saorge… Chaque semaine, toute l'année et lors de Esprit festif et convi- Toute l'année Roya-Bevera divers occasions, des nombreux/ses habitant/es de la vallée se réunissent pour chanter ou vial jouer de la musique ensemble, manger, faire du théâtre, des spectacles et animations di- verses ... Liste non exhaustive, notamment pour les fêtes religieuses (toutes confessions confondues) : n’hésitez pas à nous envoyer vos infos !
LA FÊTE Dystopie La Stacada 2096 En se réveillant, M. Bousarel sut tout de suite A STACADA est une fête traditionnelle et ancestrale breil- que c’était encore un jour de fête. Les écrans ho- loquantics de ses murs et du plafond affichaient loise qui a lieu tous les quatre ans. Emblématique un soleil dispersant une palette de rouge aurore des protestations des habitants de Breil-sur-Roya contre sur les flancs de l’Arpète. Des vidéo-messages de toutes les formes de servitude, elle évoque la révolte des serfs contre les seigneurs du pays. Parmi toutes les vi- tous ses amis commençaient à faire gémir sa cissitudes subies, l'exercice du droit de cuissage, pratiqué Linkbox©, et des avatars de promotion com- en particulier par les bayles (seigneurs), est resté le thème mençaient à envahir les flancs de l’Arpète sous central, autour duquel se déroule la fête actuelle. Au son forme de petits anges voletant délicatement en des fifres et avec costumes d’époque, le fête se déplace surplace et susurrant qu’il lui restait encore partout dans le village et remémore des événements histo- 3 heures pour profiter de 50 % de promotion sur riques : rassemblement des révoltés, arri- les offres du festin de la Stacada 2096. vée du Seigneur, sa fuite et sa capture, jugement et décapi- Il l’avait oubliée, celle-là ! C’est vrai, elle n’avait tation, liesse populaire et danses traditionnelles. Belle re- lieu que tous les 4 ans et était spécifique à la zone constitution dont les acteurs-rices sont tou-te-s des gens du où il vivait. Par curiosité, il regarda quelle fête village, cette fête mobilise de nombreux-ses Breillois-es. La nationale avait lieu aujourd’hui, c’était la Saint- prochaine, décalée d’un an, aura lieu en juillet 2019 ! Macron ! Dommage, il aurait bien acheté un nou- veau drapeau bleu-blanc-rouge, il avait vu sur sa caméra de la réalité que le sien flottait lamenta- blement laminé par la dernière tempête de parti- pendant les événements migratoires. Mais déjà lors de la cules lourdes. Les pluies acides qui avaient suivi construction du grand mur de la paix, il y a longtemps qu’il avaient rongé jusqu’à la trame l’étendard ! Mais il choisit la ne restait plus rien du village. Stacada. Avec tous ses amis, ils participèrent aux défilés. Pendant la À peine les pieds sur le plancher, son décor se transforma en décapitation, M. Bousarel s’amusa sincèrement, même si par- salle à manger, et son frigocuiseur lui servit son petit déjeu- fois il se rendait compte qu’il était seul dans son dôme hyper ner en affichant sur sa plateforme toutes les SMV (pour « Short protégé et que tout ce qu’il voyait n’était qu’illusion numéri- Message Video ») de la matinée. La fête organisée par Bigda- que. Arriva le moment de la danse, M. Bousarel fut chanceux, ta avait commencé, et il était invité à rejoindre la plateforme Mme Costolordo, une habitante de sa zone qu’il ne connais- des festivités. Tous ses amis de Tweetface et son groupe de sait que de nom, accepta son invitation. Elle était déguisée en googlefriends y étaient déjà. Il savait que la reconstitution gitane et pendant la danse sa robe laissa apparaître un corps traditionnelle du village à l’authentique du 20e siècle serait de rêve. M. Bousarel crut discerner un doux parfum émanant formidable, et que le clone du prince Fondepenzion jouerait de sa partenaire et une congestion sanguine à la conjonction le rôle du seigneur ! Ce sera exceptionnel, les avatars de de ses deux cuisses se produisit lorsqu’à la fin de la danse. Bousarel n’avaient jamais côtoyé une personnalité de ce rang. Abandonnant toute prudence, Mme Costolordo lui bluetusa son numéro de dôme ! M. Bousarel était sur un nuage. Accom- Pour moins de 2 centimes-minute, il pouvait avoir l’avatar du pagné de sa gitane, il écouta le discours du clone de Fonde- bourreau ou celui du porte-drapeau. Le pack comprenait le penzion qui flottait au-dessus de la tour de la Cruella et tout le droit de faire danser son avatar sur une bourrée pendant trois monde percevait clairement les mots du seigneur. Dans son minutes avec un avatar féminin, les deux repas à l’ancienne et immense bonté, il appelait chacun par son prénom et les en- les boissons étaient comprises, la livraison serait faite à domi- courageait à travailler pour toujours pour pouvoir consommer cile par Dronecontact, le livreur miracle. Il n’hésita pas et de la fête chaque jour. Quand le clone s’envola, un immense d’un battement de cil confirma sa participation pour être feu d’artifice déchira la nuit et les montagnes de Breil s’illu- bourreau. Aussitôt il se retrouva sur la place Rouge avec tous minèrent d’un arc-en-ciel qui retomba en une neige de péta- les avatars de ses nombreux amis. Son frigo avait déjà reçu les de rose et de particules d’or sur tous les avatars réunis. les boissons et lui servit un verre d’hydromel offert gra- M. Bousarel quitta son avatar et se retrouva tout seul avec son cieusement par Bigdata ! Il reconnut les avatars de ses amis frigocuiseur. Sur son agenda clignotait le numéro de sa voi- grâce à leur nom qui s’affichaient quand l’un deux s’appro- sine. Déjà des promotions sur les offres de mariage, les logi- chaient de lui, les déguisements étaient tellement réalistes ciels de sexualité et tous les avantages à faire un enfant s’affi- que personne ne savait qui était qui. Lui-même portait une chait autour du numéro ! C’était tentant de l’appeler mais te- chasuble rouge écarlate et un masque à tête de mort, il avait llement risqué d’aller la rencontrer : il lui faudrait sortir, tra- une hache gigantesque à la main et tout le monde s’écartait verser la zone de résidence dans sa capsule de protection et sur son passage. D’après les capteurs sensoriels, M. Bousarel découvrir son vrai visage, son vrai regard. Et si elle était lai- semblait vraiment s’amuser. de ? M. Bousarel appréciait la vue du lac avec son église semblant Il préféra ne pas gâcher sa fête. Il alluma ses consoles de tra- flotter sur les eaux. Il savait qu’après l’effondrement géologi- vail et décida de travailler dur pour pouvoir s’en payer d’au- que du village, seule l’église n’avait pas été engloutie et ce tres. fut une attraction numérique pour le village pendant des années jusqu’à ce qu’un drone de combat s’écrase dessus Zézé (Mai) - juin - juillet 2018, nº16 Page 7
DOSSIER : DOSSIER Fête de la musique Créée sur une idée de Joel Cohen reprise par Jack Lang en 1982, puis étendue dans plus de cent pays, la fête de la musique a longtemps eu pour particularité d'être exemptée de toute demande d'autorisation. Elle donnait donc à tous la possibilité de créer l’événement festif par excellence, gratuit et sans contrainte. Des fêtes de la musique, il y en a eu de belles en Roya ! Emploi du passé car les temps changent. La « sécurité avant tout », la loi de limitation des décibels et la restriction des horaires réduisent, comme bien d’autres, cet espace de liberté, rendant la fête de la musique de plus en plus banale. Mais, tant qu’il y a des musiciens, nous aurons toujours des belles suprises ? Le Carnaval de Saint-Roch (Extrait) « 2005, on fait un autre carnaval, plus intime, avec en majorité des Le carnaval du quartier Saint-Roch a surgi à un moment où gens qu’on connaît. On fait toujours nos chansons, nos danses il y avait un vide, un vide politique à Nice. C’était à la fin des qu’on a inventées, et on va de Saint-Roch à la mer. années 90, la fin de l’ère Méde- cin [1] – qui était un peu notre Pendant un temps, il y a eu les deux carnavals Ceaușescu à nous. Nous qui étions en même temps. Mais ces dernières années du quartier, nous ressentions avec TAZ (ou Zone Autonome Tem- celui de Saint-Roch a fini en affrontements acuité la pression immobilière qui poraire) avec la police. Maintenant, il y a une interdic- pesait sur toute la ville. Ici la chose Une TAZ occupe provisoirement un territoire, tion de la municipalité sur ce carnaval. Le lien que l’on sait le mieux faire, c’est avec le quartier a peu à peu disparu. Nous, on dans l’espace, le temps ou l’imaginaire, et se virer le Niçois et le remplacer par avait juste ouvert un espace de liberté ; peut- dissout dès lors qu’elle est répertoriée. La des voitures ou des terrasses. Il est être que la forme que lui ont donnée nos suc- TAZ fuit les TAZs affichées, les espaces difficile d’obtenir un lieu, même cesseurs dans une ambiance très techno né- “concédés” à la liberté : elle prend d’assaut, et pour simplement fêter un anniver- cessitait une autre logistique. En tout cas, retourne à l’invisible. Elle est une “ insurrec- saire ; partout des terrasses et un c’est une logique d’organisation qu’on n’a tion” hors le Temps et l’Histoire, une tactique immobilier hors de prix. Alors on a jamais voulu faire nôtre. On lui substitue de la disparition. (Hakim Bey, TAZ, quatrième occupé un hangar dans Saint-Roch, beaucoup d’envie, et d’attention. On n’a ja- on pourrait l’appeler squat, mais, et de couverture, L’éclat, 1997, cité par Mauvaise mais oublié que Carnaval c’est une fête que c’est tout à notre honneur, on est un troupe) l’on fait pour nous. » des seuls endroits de ce type qui a aussi porté la culture et la langue Extrait de : « Carnaval de quartier, Entretien niçoise. Il y en a qui voulaient copier Berlin ou l’Angleterre, faire avec un initiateur du carnaval de Saint-Roch (Nice) », dans Cons- de l’underground. Moi je leur disais : « On n’a jamais été sous tellations, Trajectoires révolutionnaires du jeune 21è siècle, terre ici. » Ensuite, on a voulu sortir de ce hangar pour partager l’Éclat, mai 2014. Parcourir le sommaire de "Fêtes sauvages" quelque chose dans le quartier avec les gens. Nous étions un ainsi que tout le livre. certain nombre à en être originaires, à y avoir nos parents, nos grands-parents, à y avoir grandi. Ce qui nous est apparu le plus [1] Jacques Médecin, maire de Nice de 1966 à 1990, fils de Jean évident, c’était le carnaval. On ne pouvait pas nous l’interdire et Médecin, maire de Nice de 1928 à 1943 puis de 1947 à 1965. ça faisait partie d’une tradition, d’un imaginaire que les gens connaissaient. C’était un biais qui nous permettait à nous d’ame- ner quelque chose à ce quartier excentré et de gauche, pour lequel la ville n’avait jamais rien fait. Encore aujourd’hui, on est un des quartiers les plus peuplés de Nice et il n’y a quasiment aucun équipement. Ni lieu pour les jeunes, ni crèche, rien. Se réapproprier l’espace urbain, c’est le point de départ de cette fête. Bien sûr, on n’a jamais demandé d’autorisation, pour carna- val il n’y a rien à demander, c’est une fête traditionnelle, si on la fait intelligemment. À l’époque, au tout début, en plus du hangar, il restait quand même quelques lieux au quartier. Un clos de boule, notamment (L’Auberge de la tranquillité). Ces espaces, on les a mis à dispo- sition des gens, chacun préparait son costume, les chars. Par la suite, certains groupes qui sont venus pour le carnaval se sont installés et ont pris de nouveaux lieux dans le quartier. De fil en aiguille, ce carnaval a instauré une dynamique sur toute la ville. D’autres lieux se montaient en résonance, chacun faisant les choses à sa manière. D’autres carnavals sont ainsi nés au port, à l’Ariane… Le carnaval officiel a même fini par nous proposer de venir ! On a dit non, bien sûr. Puis, quand on a commencé à atteindre deux mille personnes, que ça nous dépassait complètement, on s’est retiré. C’était en 2000-2001, il y avait déjà beaucoup de monde qui venait juste comme ça en spectateur, nous on perdait le plaisir à faire la fête. On s’est dit : maintenant on va faire autre chose. Et depuis Page 8 La Marmotte déroutée
LA FÊTE Audit citoyen sur le milieu alternatif niçois : « Nice je ne t'aime plus : des squats à la Roya, la côte à lire d'Azur alternative » Nice et ses environs, patrie de Ciotti & Estrosi, est aussi la terre de nombreux artistes. Véritable laboratoire de la droite et du FN depuis des décennies, la ville a vu apparaître un réseau alternatif spécifique, construit autour d’une notion cardinale : le pantaï (voir « Le Carnaval apprivoisé » pages 3 et 4). Extrait : […] Saint-Jean-d’Angely devient […] un haut lieu de la vie culturelle niçoise : « Pendant 15 ans, c’était un lieu qui rassemblait assez de monde pour qu'il puisse y avoir un discours, quelque chose de politique, avec des idées, et qui agit sur la ville. » […] L’état d’es- prit qui les animait [est résumé] en anecdote qui se déroule à Tou- louse et met en scène les acteurs de la scène alternative occitane. Celle-ci, désirant créer un carnaval, demande conseil aux Niçois : « Bon alors, vous les Niçois, qu'est-ce que vous avez à nous dire ? Par- ce que le Carnaval c'est votre truc... », et se voit répondre, en toute simplicité : « Écoutez, voilà. Vous voulez faire le carnaval ? … Faites- le, quoi. Tu te déguises, tu sors dans la rue, tu fais de la musique, et voilà » Eureka ! […] À chercher dans les lieux « alternatifs » du 06 et sur Internet : https://blogs.mediapart.fr/macko-dragan/blog/100418/nice-je-ne- taime-plus-des-squats-la-roya-la-cote-dazur-alternative FRONTIÈRE CHASSE AUX SANS-PAPIERS, C’EST REPARTI… « Le Briançonnais vient de connaître la première mort d'une migrante découlant directement de la stratégie policière du guet-apens déployée dans ces vallées. Elle était nigériane, 21 ans. Pendant ce temps, les identitaires continuent à parader en ville et sur le trait de frontière avec leurs doudounes bleues imitant des uniformes, sans être inquiétés par le procureur local. Voilà la "nation française" de Macron.» (www.leparisien.fr) Avec le printemps, les oiseaux de passage reprennent de plus belle leurs tentatives de glaner un peu de liberté dans ce monde de brutes. Et voilà que, sur nos routes, les marcheuses et marcheurs réapparaissent, les lieux de passage connus se remplissent de nouveau et le ba- llet absurde des accompagnements par train de Breil à Nice reprend sous les yeux faussement placides des au- torités. Et au décompte macabre de poursuivre de nous insensibiliser. Serions-nous devenus des robots pour ne rien trouver à redire à la situation que nous vivons : iso- lement et dérives sécuritaires anti-migrant.es qui nous fermés, c'est continuer de s'insensibiliser. Peut-être qu’à rabaissent et rendent nos quotidiens plus abjects ; ce rythme l’intelligence artificielle, une fois celle-ci bien harcèlement juridique sans fin des personnes solidaires ; programmée, finira par avoir plus d’empathie que les hommes, femmes et enfants ayant eu la malchance de ne humain.es… Ne devrions-nous pas garder en mémoire pas naître aux endroits où le passeport permet de voya- les personnes qui se noient dans nos rivières, qui meu- ger sans encombre presque partout sur Terre, qui ten- rent sur nos autoroutes, dans nos montagnes ? Il est peut- tent l’aventure. Une aventure porteuse d’espoir et de être temps de rencontrer pour de bon celles et ceux que changement, pour un avenir meilleur. Qui peut les trop d’institutions isolent et qui ne sont trop souvent défi- blâmer d’avoir ce désir, cette volonté ? Garder les yeux ni.es que par leur mouvement. Norbert Lecolvert Page 9 La Marmotte déroutée
REGARDS [Notre-Dame-des-Landes] ZAD malgé tout Le texte qui suit avait été écrit, sur le vif, en avril 2018, à l’issue des deux premières semai- nes d’ expulsions sur la zad de NDDL. Pas telle- ment pour commenter la crapulerie des des- tructions. Pas pour pleurer, non plus, en repen- sant à tous ces lieux méconnaissables, littéra- lement effacés à coups de tractopelles et de camions-bennes. L’idée était plutôt de donner un ressenti, de raconter ce qui est sans doute plus difficile à concevoir quand on est loin : l’intensi- té d’une vie malgré tout, au milieu des débris et des jardins dé- vastés, sur les ruines d’une unité illusoire, par-devers des jeux d’intérêts et des logiques de pouvoir ; une force sur laquelle ils- elles – l’ordre, l’État, leurs soldat-e-s et leurs machines – n’ont pas de prise. Indestructible parce qu’insaisissable, parce qu’as- sumant l’éphémère sans anticiper la nostalgie, parce que l’in- tensité de chaque instant partagé s’inscrit en nous et qu’ils-elles n’y auront jamais accès. Parce que cela vaut pour soi et cela vaut plus que tout, sans devoir renvoyer à une raison ou à un but - comme le dit cette phrase sur le mur d’un des lieux de la zad pour le moment encore debout : le présent est l’avenir. La nuit est noire. Des gens, assis, debout, regardent l’écran au hargne. Rester vivant. Admettre l’éphémère. Défendre ce qui fond d’un grand hangar. Des images défilent. Aucune tête, sera perdu ; construire ce qui sera détruit ; déblayer ce qui a mais des corps, des mots, des gestes, des lieux. Des mains, été détruit sans pouvoir garder ce qu’on déblaye. Au diable des bras qui s’activent, et dans le film - « Demain s’entête » [1] les calculs coût-bénéfice et la logique du monde normal où -, construisent des maisons qui viennent d’être ravagées. À toute dépense est consciencieusement réfléchie ! Ne pas lais- l’heure où il n’en reste plus que des gravats, des tas de plan- ser son énergie se dissiper, en faire usage pour ne pas la per- ches et de verre cassés ; alors que, dès la semaine suivante, dre, pour la régénérer. Pour ne pas nous laisser imposer leur encore dans le futur, les camions-bennes en effaceront la moi- rythme. Faire, car ne pas faire, c’est les laisser gagner. ndre trace, cette mise en abyme fait revivre - dans le désordre C’était samedi 14 avril, à la clôture de la première semaine - ce que l’ordre a cru avoir annihilé. des expulsions : trois jours de destructions qui ont fait dispa- Nuit étoilée. Un air qui semble étrangement pur malgré les raître la quasi-intégralité de la zone non-motorisée et une bon- quantités dantesques de gaz dont il a été abreuvé. Même l’hé- ne partie de l’est de la zad, suivis de trois autres jours de dé- licoptère, qui filme la zone le jour et traque la nuit, fait taire ses blaiement des lieux détruits ; toute une semaine d’affronte- vrombissements et, aussitôt, le noir remplit l’espace libéré des ments après presque trois mois d’occupation militaire. A son faisceaux aveuglants qu’il projette. Le champ, là, juste derrière issue, lors de ce que le pouvoir et les médias ont dénommé « la le hangar, garde encore les traces d’une récente bataille, ab- trêve », les gendarmes sont restés, pour dégager les routes, surde et perdue sur fond de fumée noire des caravanes incen- pour contrôler, identifier, filmer tous celle-eux qui bougent. diées et des cumulonimbus lacrymogènes, quand des trac- Certain-e-s les affrontent : les barricades détruites chaque jour teurs faisaient des pirouettes pour éteindre leurs fumées au sont reconstruites chaque nuit, les routes se creusent de trous sol. Mais la nuit est si calme. et de tranchées. D’autres programment déjà : pour elles-eux, il Un four, des mains, font apparaître des pizzas qui atterrissent faudrait mettre au plus vite un terme à ce « syndrome barrica- dans l’estomac. Un peu plus loin, l’obscurité s’allume de ryth- dier » [3] qui crée du chaos sur zone, et, pour cela, il serait ur- mes bretono-balkano-occitans. Accordéon, darbouka, trompe- gent de « transmettre les enjeux » à tous ces « soutiens » ingénu tte, flûte traversière… Puis, leur succèdent des éclats de rire -es qui ne semblent pas capables de les comprendre seul-es. face à des mises en scène loufoques des événements de la se- Sauf que les gendarmes sont là, un tiers des lieux de vie n’exis- maine. « Les keufs sont là ! A tous les indicatifs… Vous m’enten- tent plus, et d’autres lieux sont menacés s’ils ne se plient pas dez ? Ils ne m’entendent pas » - « Mais gueule plus fort ! » - « Co- aux exigences de la préfecture : présenter un projet légalisa- pains-copines, vous êtes où ? ». Une benne remplie de gens qui ble, de préférence agricole, bien dans les clous et déposé à peinent à ne pas être hilares se renverse par terre. Elle repré- titre individuel [4]. En gros, rentrer dans les cadres de l’État. sente un blindé des gendarmes, ces chars bleus [2] qui ser- Certain-e-s se prêtent à ce jeu et l’imposent aux autres. vent à défoncer les barricades et qu’ils-elles font parader à Ce soir, comme d’autres soirs, le lendemain promet d’être chaque carrefour. Parfois, ils s’enlisent dans la boue ou dans riche en actions. Le dimanche 15, en plus de la grande manif des trous, comme c’est arrivé cette semaine. « Ici, permis blin- de reconstruction du Gourbi (le lieu du non-marché, détruit, dé pas cher », souriait une pancarte le lendemain. « Ils annon- puis reconstruit plusieurs fois, et à chaque fois détruit de nou- cent que l’opération est terminée », crie une personne à ses veau), décidée en AG, un appel fut lancé à reconstruire, de copain-e-s, puis tou-t-es fuient et titubent sous une averse de façon autogérée, les différentes cabanes détruites à l’Est. projectiles qui n’arrêtent pas de tomber, suivie d’une pluie Comme d’autres matins, ces plans sont chamboulés : les gen- d’applaudissements. L’accordéon sonne de nouveau, et, dans darmes quadrillent le Centre-Est, coupent les quartiers entre le noir, le cercle d’une gavotte donne le tournis aux musiciens. eux, rendent les routes quasi-infranchissables et les chemins La résistance en acte : cette part de nous qu’ils-elles ne peu- de traverse longs et hasardeux, empêchant la tenue de ces vent pas atteindre. La joie, le jeu, la fête, le rêve, l’amour, la chantiers. Seule la charpente du Gourbi se promènera dans les Page 10 La Marmotte déroutée Page 10
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