La Lettre De Penthes - Trésors arméniens - POLITIQUE ÉTRANGÈRE
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La Lettre De Penthes Le magazine du Domaine de Penthes – Numéro 25, printemps 2015 POLITIQUE ÉTRANGÈRE Enfant mal-aimé des Suisses ? LYON ET SES SUISSES EXCLUSIVITÉ : NOTICES AUTO-BIOGRAPHIQUES de Charles Aznavour Trésors arméniens à Penthes
| SOMMAIRE La Paix en Musique, peinture sur toile, Peggy Hinaekian Penthes est à vous 2 Mot du Directeur57 Politique étrangère Rencontre des Clubs Suisse à Penthes58 enfant mal-aimé des Suisses ? 5 Trésors arméniens à Penthes60 Une loi pour les Suisses de l’étranger 10 Notices auto-biographiques Vivre la coopération de Charles Aznavour64 internationale : défis et passion 12 Bernard Challandes, sélectionneur suisse Profession : avocat-conseil 17 de l’équipe de football d’Arménie68 Les Suisses de Rhône-Alpes 20 Le marché aux fromages de Nueva Helvecia70 Lyon et ses Suisses23 Comment devenir cheffe L’âge d’or des barons du fromage 27 d’entreprise dans les Caraïbes …72 Edmond Boissier (1864-1952) : Ceux qui ont compté pour Penthes... pionnier de la coopération René Burri74 transfrontalière31 Aujourd’hui : Jérémie Pauzié (1716-1779)76 Bruno Manser – un Suisse pas comme les autres36 Andreï Gratchev analyse le passé récent russe à Penthes78 Le Domaine de Penthes en devenir40 Jean-Victor II de Besenval (1671-1736) : Une station à saute-frontière officier et diplomate42 sur le Bassin Lémanique81 Livres à lire44 Le Chili en exposition au Restaurant de Penthes82 Les Amis de Penthes55 La Suisse redessinée. De Napoléon au Congrès de Vienne83 La Lettre de Penthes |1
| ÉDITORIAL Penthes Rodolphe S. Imhoof est à vous T el est le titre de notre campagne de communica- d’intégration et de notre capacité à déployer une large tion auprès des citoyens genevois et de vous tous, solidarité envers autrui. Enfin, c’est aussi le sens aigu du chers lecteurs de ce numéro spécial de la « Lettre travail bien fait et la volonté d’assumer nos choix et le de Penthes », campagne initiée par la Fondation pour sens des responsabilités qui ont forgé l’image que nous l’Histoire des Suisses dans le Monde, avec le soutien du avons dans le monde. Les contributions qui provien- Président du Conseil d’Etat de la République et Canton nent d’auteurs aux horizons si différents, qui font la de Genève. Ce titre reflète le fait que la Fondation a pu spécificité de ce numéro jubilaire, sont une illustration s’assurer, pour les années qui viennent, de son établisse- de ces spécificités bien helvétiques. ment sur le Domaine de Penthes. Elle pourra ainsi poursuivre la réalisation de son rêve de toujours, au Je tiens ici tout particulièrement à rendre hommage cœur même de la Genève internationale : représenter, à mon prédécesseur à la tête de la Fondation, l’ancien par ses activités multiples, l’apport indéniable des ambassadeur Bénédict de Tscharner, qui par ses nom- Suisses dans le monde, et des amis de la Suisse qui à breux écrits a illustré l’apport des Suisses dans le monde. l’étranger ont assuré et véhiculé l’image d’ouverture, de Pendant toutes ces années, également en tant que ré- stabilité et de fiabilité de notre pays. dacteur en chef de la Lettre de Penthes, il a su faire les choix les plus judicieux quant à la diversité des contri- La Suisse est au cœur de l’Europe. La Suisse est aux butions et aux talents des auteurs. Qu’il en soit spéciale- carrefours du monde. La Suisse s’est faite, et se fera au ment remercié à l’occasion de ce numéro jubilaire. contact des autres. La Fondation, grâce à son Musée et ses expositions, son Institut et ses archives, mais aussi Vous nous avez suivis et soutenus fidèlement tout au son Restaurant, lieux de rencontres et de dialogue par long de ces années. Vous nous avez apporté de nom- excellence, va vous surprendre dans les mois et les an- breux témoignages que vous appréciez notre contribu- nées qui viennent par de nouvelles offres culturelles. tion à la vision d’une Suisse ouverte sur le monde. Vous répondrez certainement avec enthousiasme à notre Vous avez démontré par votre régularité à vous nouvel appel. Car grâce à votre soutien, intellectuel et promener dans le parc, votre assiduité au restaurant et financier, nous allons pouvoir réaliser ce pour quoi ses annexes, au musée surtout, où en deux ans le nom- nous nous sommes engagés : faire de Penthes un écrin bre des visiteurs a quasiment triplé, passant de 3800 qui puisse abriter à long terme les joyaux culturels de ce en 2012 à 10 850 en 2014, que vous saviez apprécier la qui fait la spécificité de Genève et de la Suisse. C’est nouvelle orientation de la Fondation : devenir la vit- pourquoi je vous demande de soutenir notre action cul- rine culturelle d’une Suisse ouverte sur le monde, qui turelle en faveur de l’image de Genève et de la Suisse documente les principes de l’engagement de la Suisse dans le monde en vous portant acquéreur d’une parcelle et de la Genève internationale dans le monde. virtuelle du Domaine de Penthes, grâce au lien indiqué sur www.penthes.ch. L’histoire de ce peuple que Denis de Rougemont a qualifié d’heureux ne s’est construite que par notre cu- Votre domaine est entre vos mains, Penthes est à vous ! riosité envers l’autre, notre acceptation des diversités culturelles qui régissent le monde dans lequel nous vi- vons, notre ferme conviction que seuls l’indépendance, la démocratie, le fédéralisme, le respect de l’autre et de ses droits et libertés favorisent la paix et la stabilité. Cette dernière est fortement tributaire de notre volonté 2 | La Lettre de Penthes
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ARTICLE | Politique étrangère – enfant mal-aimé des Suisses ? Entretien avec le conseiller fédéral Didier Burkhalter, chef du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) VOUS FAITES PARTIE DU CONSEIL FÉDÉRAL DE- PUIS 2009 ET VOUS DIRIGEZ NOTRE DIPLOMATIE DEPUIS 2012. COMMENT PERCEVEZ-VOUS LA PLACE DES RELATIONS EXTÉRIEURES DANS LA VIE NATIONALE EN SUISSE ? EXISTE-T-IL VRAIMENT, DANS CE PAYS, UNE SORTE DE MÉFIANCE ENVERS TOUT CE QUI A TRAIT À L’ÉTRANGER ? PEUT-ÊTRE DE LA MÉFIANCE À L’ÉGARD DE LA POLITIQUE ÉTRANGÈRE, VOIRE LES DIPLOMATES ? Non, je ne ressens pas une telle méfiance, mais une forte volonté des Suisses de se reconnaître dans les va- leurs de l’action suisse à l’étranger. Et au fond, c’est normal ! Cela dit, la Suisse est en fait ouverte au monde. Elle se trouve au milieu d’un continent et en- tretient de bonnes relations avec ses voisins. Plus lar- gement, elle mène une politique universelle et a des relations avec tous les pays de la planète. La Suisse ne peut vivre en autarcie et cela les citoyens de ce pays le Notre rôle est d’entendre cela et d’apporter des ré- comprennent bien. Nous entretenons des relations ponses qui permettent de maintenir notre prospérité et avec les autres, qu’elles soient de type commercial, fi- notre sécurité. Pour cela, la Suisse a besoin des autres. nancier, scientifique, culturel. Les solutions se trouvent souvent dans les mises en commun des efforts de la communauté internationale. Ce qui se passe dans le monde nous concerne direc- Le rôle de la politique étrangère suisse peut être impor- tement. Or ce monde qui nous entoure ne cesse de tant à ce niveau. Notre diplomatie permet de mettre en bouger et ceci de plus en plus rapidement. Je pense exergue ces questions dans différentes enceintes – notamment aux nouveaux moyens de communica- l’ONU, l’OSCE dont la Suisse a assuré la présidence en tion. Des événements violents se passent parfois 2014 ou le Conseil de l’Europe – en apportant des pro- jusqu’à nos portes – les attaques qui ont touché Paris positions de solutions communes. Comme c’est le cas ce début janvier par exemple – et suscitent des ques- en ce qui concerne la lutte contre le terrorisme, domaine tions, des peurs chez nos concitoyens. Et les souf- dans lequel la Suisse est très active, œuvrant à ce que ce frances en Afrique, en Ukraine ou au Moyen-Orient fléau soit combattu avec détermination tout en respec- ne sont pas loin non plus. tant les droits de l’homme et le droit international. La Lettre de Penthes |5
| ARTICLE La diplomatie helvétique est reconnue et permet de La Suisse doit donc établir des ponts solides et des re- construire des ponts. Les bons offices de la Suisse ont lations stables avec d’autres Etats. Là où le besoin s’en fait une longue tradition et sont une constante de notre sentir, elle doit les consolider et les renouveler. Enfin, j’ai politique étrangère. Grâce à ses bons offices, la Suisse grande confiance dans les jeunes générations de ce pays prend une part active dans différents processus de qui occuperont demain des responsabilités pour aller de paix en cours au niveau international, ce qui est aussi l’avant, continuer à défendre notre pays, son modèle, sa dans son intérêt. Nous allons donc continuer à mettre prospérité, son développement tout en participant au à disposition notre savoir-faire en matière de média- concert des nations et en agissant pour que nos valeurs tion, de recherche de compromis et de promotion de de démocratie, de respect et de tolérance soient partagées la paix. Le monde en a besoin. par le plus grand nombre. COMMENT FAIRE POUR MIEUX INTÉGRER LES AF- LE DFAE N’EST PAS UN « ACTEUR SOLITAIRE » ; SON FAIRES EXTÉRIEURES DANS LA VIE NATIONALE ? RÔLE CONSISTE ÉGALEMENT À COORDONNER L’AC- COMMENT MIEUX EXPLIQUER AUX CITOYENS TION D’AUTRES INTERVENANTS ET D’ÉVITER QUE POURQUOI IL FAUT SOIGNER ET DÉVELOPPER LES CHAQUE DÉPARTEMENT ET CHAQUE OFFICE FÉDÉ- RELATIONS INTERNATIONALES ? RAL – OU ENCORE CHAQUE CANTON – MÈNE SA PROPRE POLITIQUE ÉTRANGÈRE. EST-CE QUE CELA En fait, la politique étrangère est comprise en Suisse POSE DES PROBLÈMES ? par ses valeurs. Lorsque la Suisse s’engage pour la paix, personne en Suisse ne trouve cela « étranger ». Au Ce n’est pas un problème, mais une culture, parfois contraire, nous avons tous l’impression que c’est natu- même un art. Dans un pays fédéraliste comme la Suisse, rel, quasiment génétique. Il n’y a pas de politique plus la coordination fait partie de la vie. Du fait de notre sys- suisse que la politique de paix et de sécurité. Il s’agit tème politique, elle constitue presque une seconde nature donc de faire résonner en Suisse l’engagement typi- allant de pair avec l’habitude de la consultation, de la quement suisse qui se fait à l’étranger. concordance et de la recherche de solutions négociées. De plus, le succès du modèle suisse repose pour une En matière de politique extérieure, le DFAE assume bonne part sur les ponts construits vers l’extérieur. La effectivement un rôle directeur, en coordination étroite prospérité de notre pays exige, à côté de notre cohé- avec les différents départements et offices fédéraux, ainsi sion nationale, une politique d’ouverture raisonnable qu’avec les cantons, dont les besoins et les rapports avec et responsable face au contexte international. les pays voisins sont conditionnés par leur situation géo- graphique et économique. La Suisse est l’un des pays les plus avancés dans la mondialisation. Notre économie dépend de marchés Les grands axes de la politique extérieure de la Suisse d’exportation et de production à l’étranger. Les sont définis dans la Stratégie de politique étrangère 2012- Suisses forment également un peuple de voyageurs. 2015, qui a été approuvée par le Conseil fédéral. Celle-ci En 2012, ils ont entrepris quelque neuf millions de prévoit qu’à l’exemple de la stratégie adoptée ces dernières voyages à l’étranger, où vivent d’ailleurs plus de années dans le domaine de la politique étrangère de san- 700 000 de nos concitoyens. té, les départements fédéraux élaborent davantage de stratégies communes de défense des intérêts afin de ren- forcer la coordination des politiques du Conseil fédéral à l’égard de l’étranger. 6 | La Lettre de Penthes
ARTICLE | AU COURS DE VOTRE ANNÉE PRÉSIDENTIELLE, COMPARÉE À D’AUTRES PAYS, LA SUISSE FAIT DES VOUS AVEZ BEAUCOUP VOYAGÉ ; LES SUISSES EFFORTS LOUABLES POUR SOUTENIR SES CI- COMPRENNENT-ILS CETTE NÉCESSITÉ ? CES TOYENS ÉTABLIS OU SÉJOURNANT À L’ÉTRANGER ; VOYAGES NE SONT-ILS PAS PARFOIS UN PEU TROP NÉANMOINS, EN SUIVANT LES TRAVAUX DE L’OR- MÉDIATISÉS, AU POINT OÙ, FINALEMENT, SEUL UN GANISATION DES SUISSES L’ÉTRANGER (OSE), ON A CONTACT AU NIVEAU « MINISTÉRIEL » EST CONSI- L’IMPRESSION QU’IL RESTE, ICI ET LÀ, QUELQUES DÉRÉ COMME VRAIMENT UTILE, PEUT-ÊTRE MÊME POINTS DE DISCORDE OU DE DÉCEPTION : LENTEUR PARFOIS AU DÉTRIMENT DU TRAVAIL DE NOS RE- DE L’INTRODUCTION DU VOTE ÉLECTRONIQUE, PRÉSENTANTS DANS L’ENSEMBLE DU MONDE ? SOUTIEN TROP MODESTE À L’INFORMATION DES SUISSES DE L’ÉTRANGER, RESSERREMENT DU RÉ- Je pense que tous ces efforts s’additionnent et ne se SEAU DES REPRÉSENTATIONS CONSULAIRES, MO- font pas au détriment de l’un ou de l’autre. La médiati- DESTIE DE L’AIDE AUX ÉCOLES SUISSES À L’ÉTRAN- sation est bonne lorsqu’elle sert l’intérêt général. Et elle GER, IMPACT NÉFASTE DES NÉGOCIATIONS SUR LA peut aussi permettre de mieux faire connaître la poli- FISCALITÉ ET LA SÉCURITÉ SOCIALE SUR LES tique étrangère de la Suisse aux Suisses eux-mêmes. SUISSES DE L’ÉTRANGER, ETC. – QUEL EST VOTRE Certes, il y a des risques, mais il y a aussi la chance POINT DE VUE ? d’être fier de ce qui est fait au nom de notre pays ! L’Organisation des Suisses de l’étranger (OSE) est En 2014, la double présidence de la Suisse et de une fondation de droit privé qui a pour but de représen- l’Organisation pour la sécurité et la coopération en ter, en Suisse, les intérêts de nos concitoyens à l’étran- Europe (OSCE) s’est traduite par de nombreux ger. L’une de ses tâches consiste à informer la commu- voyages. Ceux dictés par l’évolution de la crise ukrai- nauté des Suisses de l’étranger au sujet de l’actualité nienne se sont ajoutés aux voyages plus réguliers dans politique et culturelle suisse qui les concerne. Bien que le cadre de la présidence de l’OSCE, dans les Balkans, le tiers du budget de l’OSE soit financé par le DFAE, l’Asie centrale ou le Caucase du Sud par exemple, ain- son point de vue est indépendant. Compte tenu de son si qu’aux voyages effectués en tant que président de la rôle et de son statut, il est normal que l’OSE mette Confédération pour des visites d’Etat, des visites offi- l’accent sur des points qui pourraient être améliorés en cielles ou des sommets internationaux. faveur des Suisses de l’étranger. Nous sommes à l’écoute de cela afin d’apporter des corrections là où cela est Dans le contexte de la crise en Ukraine comme nécessaire et possible. dans celui des relations bilatérales, rien ne remplace l’approche humaine. Les contacts personnels – quel Une loi a par ailleurs été élaborée pour les Suisses de que soit le « niveau » auquel ils se produisent – sont l’étranger (LSEtr). Elle entrera en vigueur le 1er no- indispensables pour tenter de progresser, pour pro- vembre 2015. Ainsi, les efforts du DFAE pour satisfaire mouvoir les valeurs suisses, aborder des questions les besoins de la communauté suisse établie à l’étranger délicates ou tout simplement garantir un échange sont importants. Dans ce contexte, la notion de respon- régulier avec nos voisins proches comme avec des sabilité individuelle mentionnée dans la loi a toute son pays plus lointains. importance : les Suisses qui partent à l’étranger doivent être conscients, d’une part, des risques qu’ils prennent en voulant s’expatrier et, d’autre part, que les conditions de vie à l’étranger sont souvent différentes de celles que nous connaissons en Suisse. La Lettre de Penthes |7
| ARTICLE LES GENEVOIS PERÇOIVENT BIEN QUE LA BERNE diale. Trente organisations internationales et plus de FÉDÉRALE SOUTIENT LA GENÈVE INTERNATIO- 300 ONG ont leur siège à Genève, où 173 Etats NALE ; ON SAIT QUE LES EFFORTS FINANCIERS – À membres des Nations Unies sont représentés. Plus de TRAVERS LA FLPOL, ESSENTIELLEMENT – SONT 2700 réunions diplomatiques y ont lieu chaque an- LOIN D’ÊTRE NÉGLIGEABLES. DEUX QUESTIONS née auxquelles se rendent plus de 220 000 délégués. FONDAMENTALES SE POSENT : LA POLITIQUE MUL- Genève, qui abrite le siège européen des Nations TINATIONALE TELLE QU’ELLE FUT CONÇUE DU Unies au Palais des Nations, est ainsi un pilier essen- TEMPS DE LA SOCIÉTÉ DES NATIONS EST-ELLE EN- tiel de la scène multilatérale. Cette concentration CORE ADAPTÉE AUX BESOINS DU MONDE D’AU- unique sur un petit territoire, d’acteurs internatio- JOURD’HUI ? QUELLES SONT LES CHANCES POUR naux qui travaillent quotidiennement à trouver des GENÈVE DE RESTER UN DES CENTRES OPÉRATION- solutions aux problèmes du monde offre un potentiel NELS MAJEURS DE LA VIE INTERNATIONALE ? de synergie extraordinaire. La gouvernance mondiale a beaucoup évolué au fil Par ailleurs, il faut relever que la Suisse offre des du temps. A l’époque de la Société des Nations, les Etats conditions-cadres d’excellente qualité : stabilité poli- étaient les principaux acteurs des relations internatio- tique, sécurité juridique, qualité de vie et haut niveau nales. Aujourd’hui, on assiste à une multiplication d’en- d’infrastructures et des services offerts. Pour garantir tités (ONG, secteur privé, milieu académique, etc.). Les la compétitivité et l’attrait de la Genève internatio- problématiques sont en outre beaucoup plus complexes, nale, le Conseil fédéral a adopté en novembre passé un transversales et interdépendantes qu’au début du XXe message relatif aux mesures à mettre en œuvre pour siècle (p.ex. climat, commerce). renforcer le rôle d’Etat hôte de la Suisse, désormais transmis au Parlement pour approbation en 2015. Les Dans le contexte de la mondialisation, il est cru- mesures prévues et les moyens financiers supplémen- cial que la communauté internationale dispose de taires demandés permettront de consolider le disposi- lieux de rencontre, de concertation et de discussion tif d’accueil et ainsi de renforcer la place de la Genève sur les thèmes touchant l’ensemble des pays du internationale dans le monde. Afin que Genève conti- monde. La Suisse, grâce à la Genève internationale, nue d’être cette extraordinaire chance pour la Suisse est l’un des principaux centres de gouvernance mon- et pour le monde. 8 | La Lettre de Penthes
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| ARTICLE Une loi pour les Suisses Peter Zimmerli de l’étranger B Délégué aux relations avec ien que la migration soit un thème actuel très La politique que mène « Berne » dans ce domaine les Suisses discuté qui soulève les passions, il n’est de loin s’appuie sur une base constitutionnelle, introduite en de l’étranger, Direction pas nouveau. Depuis que la Suisse existe, ses 1966 et actualisée lors de la révision totale de la consulaire, DFAE citoyens ont migré. Si la soif d’aventure, la guerre ou Constitution en 1999, qui stipule que la Confédéra- la pauvreté les ont précédemment poussés à quitter le tion contribue à renforcer les liens qui unissent les pays, ce sont aujourd’hui souvent des personnes hau- Suisses résidant à l’étranger entre eux et à la Suisse. tement qualifiées qui répondent à l’appel du grand Cette base constitutionnelle autorise les autorités à large. Dans une mouvance de croissante mobilité et de soutenir des organisations qui poursuivent ce but et à globalisation, le visage de la diaspora suisse a changé. légiférer sur les droits et devoirs des Suisses concernés, Les temps de l’émigration définitive sont révolus. Un notamment en matière de droits politiques, d’aide so- nombre croissant de Suisses s’établissent pour une pé- ciale et de la sécurité sociale. riode limitée dans un pays étranger avant de revenir en Suisse ou de partir vers une autre destination. Avant l’introduction de cette base constitutionnelle, la Constitution de 1874 comportait simplement un ar- La mobilité transnationale des individus a accentué ticle relatif aux agences d’émigration. Pourtant, une loi la diversité du phénomène migratoire et engendré des sur les Suisses de l’étranger constitue une demande de besoins complexes. Cette situation influence le travail nos concitoyens concernés depuis le début du XXe des représentations suisses à l’étranger et demande siècle. Déjà lors du quatrième congrès des Suisses de une attention particulière de la part de notre gouver- l’étranger organisé en 1921 par leur organisation, les nement. Fin 2014, plus de 746 000 concitoyens se sont délégués ont accepté un postulat en faveur d’une loi et inscrits dans les registres des ambassades et consulats notamment exigé le droit de vote pour les Suisses de à l’étranger. Ce chiffre représente près des 11% de ci- l’étranger. Entre 1926 et 1950, on ne compte pas moins toyens suisses, à peu près l’ensemble des habitants du de six interventions au sein du Conseil des Suisses de canton de Vaud. Afin de tenir compte du nombre tou- l’étranger allant dans le même sens. jours croissant non seulement des Suisses établis à l’étranger, mais aussi des touristes, des hommes d’af- En 1954, le conseiller national zurichois William faires ou des « globe-trotters » suisses, le DFAE a aug- Vontobel réussit à faire accepter un postulat qui abou- menté ses ressources ces dernières années. Cela s’est tira, en 1966, à l’introduction de l’article constitu- traduit notamment par la modernisation et la spécia- tionnel susmentionné. Ainsi, selon le message du lisation des prestations consulaires. Les solutions pro- Conseil fédéral, la Confédération reconnaît l’impor- posées par l’e-government en sont un bon exemple. tance de la « cinquième Suisse » du point de vue histo- Avec la toute nouvelle Loi sur les personnes et insti- rique, politique et économique. Avant l’attribution tutions suisses à l’étranger, la Confédération a sou- des droits politiques, les Suisses de l’étranger devront haité mettre à disposition de la communauté suisse cependant attendre encore plus de dix ans. La Loi sur dans le monde un instrument moderne qui définisse les droits politiques de 1977 leur donnera – et entre- de façon simple et cohérente ses relations avec la temps aussi aux Suissesses – la possibilité de participer Confédération, ainsi que les droits et devoirs de ses aux décisions au niveau fédéral. Pour exercer leur droit membres. de vote, cependant, ces citoyennes et citoyens disper- sés dans le monde devaient, alors, se déplacer en Suisse afin d’y déposer leur bulletin dans les urnes. Ce n’est qu’en 1992 que sera introduit le vote par correspon- 10 | La Lettre de Penthes
ARTICLE | Le Palais du Parlement dance depuis l’étranger. Avant cela, la Loi fédérale sur Cela signifie qu’il est attendu de ces personnes qu’elles l’aide sociale et les prêts alloués aux ressortissants s’efforcent, par des choix judicieux, d’éviter les risques suisses à l’étranger entra en vigueur en 1974. et de surmonter les difficultés par leurs propres moyens. La responsabilité individuelle inclut aussi le La nouvelle Loi, qui est issue d’une initiative par- fait que les personnes qui voyagent ou résident à lementaire du Conseiller aux Etats tessinois Filippo l’étranger doivent s’informer sur la législation en vi- Lombardi, a été acceptée par le Parlement le 26 sep- gueur dans le pays d’accueil ou de passage et la respec- tembre 2014 ; elle rassemble dans un seul texte les ter. Dans ce sens, la Suisse ne doit intervenir que de dispositions les plus importantes pour les Suisses de façon subsidiaire, notamment dans les domaines de l’étranger, dispositions qui étaient auparavant dis- l’aide sociale et de la protection consulaire. La loi dé- persées dans plusieurs lois, ordonnances ou règle- finit aussi la notion de « guichet unique » ; cet instru- ments ; elle intègre les normes sur les droits poli- ment permet d’atteindre l’objectif de cohérence et tiques, l’aide sociale, la protection consulaire ainsi d’unité de la politique menée par la Confédération que sur les prestations consulaires. La loi exprime dans ce domaine. En effet, ce guichet est le centre aussi la possibilité d’introduire le vote électronique d’accueil vers lequel sont dirigées toutes les questions pour les votations et élections fédérales ; le Conseil relatives aux Suisses de l’étranger ; grâce à lui, le DFAE fédéral peut ainsi prendre des mesures pour faciliter assure un service public efficace répondant aux be- et encourager l’exercice des droits politiques de nos soins des citoyens. concitoyens à l’étranger. La Loi sur les Suisses de l’étranger doit entrer en Bien que la Loi n’introduise pas de nouveaux droits vigueur avec son ordonnance – actuellement en voie ou devoirs pour les membres de la communauté suisse d’élaboration – le 1er novembre 2015. A cette date, et à l’étranger, elle modernise néanmoins le droit actuel cela près de cent ans après la première intervention du et promeut quelques nouveaux principes. A ce titre, Conseil des Suisses de l’étranger, sera exaucé un sou- elle stipule que les Suisses qui résident ou voyagent à hait cher à nos compatriotes. Disons que, dans ce do- l’étranger engagent leur responsabilité individuelle. maine comme dans d’autres, la patience paie ! La Lettre de Penthes | 11
| ARTICLE Vivre la coopération internationale : défis et passion Les organisations internationales paraissent à beaucoup comme des ins- titutions abstraites, éloignées des réalités et peu transparentes. Elles sont pourtant au cœur de la vie contemporaine, et elles participent à l’effort Gérard Viatte de gestion de la « mondialisation ». Consacrer une grande partie de sa vie ancien directeur à l’OCDE (Paris), professionnelle aux organisations internationales requiert un engage- ancien conseiller spécial auprès de la ment fort pour des thématiques innovantes et une vraie « passion » pour FAO (Rome) la coopération internationale. INNOVATION DANS L’ANALYSE ET L’ORIENTA- TION DES POLITIQUES L a capacité d’innover en termes d’analyse et de recommandations politiques est précisément l’une des caractéristiques de l’OCDE (Organisa- tion de coopération et de développement écono- miques), basée à Paris. Un nombre relativement limité de pays (aujourd’hui 34, plus des pays « partenaires ») partageant des valeurs communes permet de mener les activités d’une manière relativement efficace et transparente. La force de l’OCDE réside dans sa capa- cité de couvrir pratiquement tous les secteurs et pro- blématiques économiques et sociaux, de la macro-éco- nomie à la fiscalité, de l’énergie à l’éducation et à l’emploi, pour ne citer que quelques exemples. L’im- portant n’est pas seulement de couvrir plusieurs sec- teurs, mais de saisir leurs interrelations pour faire face à la complexité des économies et des sociétés contem- Gérard Viatte poraines. C’est grâce à cette approche intersectorielle, et à l’articulation de l’analyse scientifique, à des dis- cussions multilatérales (« examens par les pairs ») et des En tant que directeur responsable des secteurs de recommandations politiques ou « standards » que l’alimentation, de l’agriculture et des pêcheries, j’ai l’OCDE joue un rôle « d’éclaireur » sur le plan inter- considéré que les problèmes essentiels n’étaient pas national et aide les pays membres à réformer leurs po- « internes » à ces secteurs, mais concernaient leurs re- litiques et à les harmoniser sur le plan international. lations avec les problématiques plus globales de la Ce sont aussi les raisons qui ont justifié mon long en- croissance économique et de l’emploi, du développe- gagement personnel dans cette organisation – que ment, de l’environnement, des échanges internatio- j’avais rejointe au départ avec un congé de trois ans de naux ou de la technologie et de la santé. Je n’en citerai l’administration fédérale… ici que deux exemples. 12 | La Lettre de Penthes
ARTICLE | INTRODUIRE L’AGRICULTURE globale qui a abouti à l’accord dit de Marrakech de DANS LES NÉGOCIATIONS COMMERCIALES 1994, qui a créé l’OMC. Le premier exemple est le travail analytique et les Cette avancée technique et politique exigea un travail calculs très complexes que l’OCDE a entrepris pour de titan en collaboration étroite avec les autorités natio- que l’agriculture puisse être incluse pour la première nales qui ont validé les calculs (non sans de longues né- fois dans les négociations commerciales internatio- gociations !) et l’aide d’universitaires. Je veux tirer de cette nales du GATT dans les années 1980. Alors que l’in- expérience quelques conclusions personnelles. dustrie est protégée principalement par des droits de douane dont la réduction est techniquement assez fa- Même si la finalité de ce travail était liée à un ac- cile à négocier, l’agriculture est soutenue par un grand cord commercial international, il fut politiquement nombre de mesures (droits de douane, contingents, possible parce que, au même moment, les pays calendrier d’importation, soutien des prix intérieurs, membres de l’OCDE qui protégeaient fortement leur stockage, etc.), qui sont trop nombreuses et trop dif- agriculture, notamment la Suisse et l’Union euro- férentes entre pays pour faire l’objet d’une négociation péenne, étaient convaincus de la nécessité de réformer de réduction pour chacune d’entre elles séparément. A leur politique agricole pour des raisons internes, éco- la demande des pays membres, l’OCDE a calculé, nomiques (coût) et sociétales (nouvelles priorités). pour chaque pays et chaque grand produit, le montant C’est ainsi que le nouvel article sur l’agriculture (art. global de subventions que toutes ces mesures repré- 104) de la Constitution fédérale suisse fut adopté par sentent, tout en distinguant celles qui n’ont pas d’effet le peuple en 1996, renforçant le rôle des paiements de distorsion sur les échanges (« boîte verte », par directs. Le fonctionnaire international doit être exemple les dépenses de formation ou de protection de conscient de la nécessité d’articuler négociations inter- l’environnement). Sur cette base, le GATT a pu éta- nationales et réformes des politiques nationales. blir le « montant de soutien » dont la réduction a été L’OCDE est bien armée pour cela comme on le voit négociée dans le cadre de la négociation commerciale aujourd’hui dans le domaine fiscal… La Lettre de Penthes | 13
| ARTICLE La coopération entre diverses organisations interna- des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture tionales, même si elles ont chacune leurs propres objec- (FAO) qui produisent ensemble plusieurs études, par tifs et méthodes de travail, est indispensable. Dans ce exemple sur les perspectives à moyen terme des mar- cas particulier, la coopération pragmatique entre les chés agricoles. Sur un plan plus politique, le rapport secrétariats de l’OCDE, qui a mené l’analyse de base, et contenant des propositions d’action demandées par le le GATT qui l’a « traduite » en termes de négociation G-20 après la crise alimentaire de 2008 a été piloté par proprement dite, a permis de surmonter les obstacles ces deux organisations, en liaison avec toutes les autres politiques résultant de la nature et de la couverture géo- organisations compétentes. graphique différentes des deux organisations. Je me dois ici de rendre hommage à la mémoire de deux per- Cela dit, malgré les progrès accomplis, le dossier sonnalités suisses dont je fus très proche : Arthur Dun- agricole demeure politiquement très sensible sur le plan kel, qui a dirigé le GATT à cette époque décisive (et qui international ; ainsi le « cycle de Doha » de l’Organisa- avait été l’un de mes « mentors » lorsque j’ai commencé tion mondiale pour le commerce (OMC), lancé en mon activité professionnelle à Berne), et David de 2001, n’a pu être conclu qu’à fin 2014 en surmontant Pury, brillant négociateur et notamment président du un dernier problème avec l’Inde sur sa politique de ré- Comité des échanges de l’OCDE. serves alimentaires subventionnées. Et cela est aussi vrai sur le plan national comme le montrent bien les initia- Je constate avec satisfaction que cette coopération se tives actuellement en cours de lancement en Suisse. Les renforce, notamment entre l’OCDE et l’Organisation « négociateurs agricoles » ne sont jamais au chômage ! 14 | La Lettre de Penthes
ARTICLE | LA « MULTIFONCTIONNALITÉ » Cet exemple montre que la rigueur de l’analyse est DE L’AGRICULTURE le meilleur moyen de faire avancer les discussions po- litiques et de sortir des impasses. Un véritable accord Le deuxième exemple est l’activité que l’OCDE a ne résulte pas de compromis sur le langage, mais de la consacrée à la « multifonctionnalité » de l’agriculture, force de conviction d’une analyse. A cet égard, la re- à la fin des années 1990. Derrière ce terme technique cherche académique peut jouer un rôle important, se cache une réalité et une problématique politique mais elle doit être relayée et traduite sur le plan poli- très importantes. Si l’objectif principal de l’agriculture tique, ce que l’OCDE sait faire. Une autre condition a toujours été de produire des aliments, les autres ser- de succès réside dans la collaboration permanente vices qu’elle rend à la société prennent de plus en plus entre le secrétariat d’une organisation internationale d’importance, notamment dans le domaine de l’envi- et les pays membres tout au long du processus. Ce ronnement, de la gestion des ressources naturelles et dialogue permanent est par moments frustrant, mais de l’équilibre territorial. Au niveau international, les finalement enrichissant et « payant ». pays européens, notamment la Suisse, la Norvège et les pays méditerranéens, ainsi que le Japon ou la Co- Au-delà des aspects économiques et politiques, la rée, ont mis en avant la « multifonctionnalité » de « multifonctionnalité » prend une dimension sociétale, l’agriculture pour justifier leur politique agricole et le et donne à l’agriculteur un rôle encore plus important ; maintien de certaines formes de soutien à l’agricultu- en effet, la crainte que celui-ci soit « relégué » en « jardi- re, alors que les pays exportateurs d’Amérique du ner du paysage » est infondée. Cela est vrai aussi dans Nord et d’Océanie refusaient ce concept, considérant les pays en développement. Ayant pris ma retraite de qu’il n’était qu’une couverture pour le maintien du l’OCDE après avoir terminé la supervision de l’étude protectionnisme agricole. Ce débat paralysait les dis- sur la multifonctionnalité, j’ai eu la chance de participer cussions internationales sur l’agriculture. pendant plusieurs années à une activité assez proche dans une équipe multidisciplinaire au sein de la FAO, Pour sortir de l’impasse, l’OCDE a été chargée de sous le titre « Rôles de l’agriculture », portant mener une étude économique et politique de ce concept. sur les pays en développement. Les fonctions environ- Sans entrer dans les détails de cette analyse complexe nementales, sociales, territoriales, culturelles de l’agri- qui m’a passionné, je mentionnerai seulement sa conclu- culture sont aussi évidentes dans ces pays, souvent sion politique (en termes simplifiés !) : si l’agriculture encore plus que dans les pays développés. Je ne citerai contribue aussi à d’autres objectifs que la production qu’un des exemples sur lequel j’ai travaillé, celui des alimentaire, le soutien public doit être octroyé par des régions de montagnes du Maroc, où la lutte contre moyens spécifiques ciblés, adaptés à ces objectifs, et non l’érosion, la gestion des eaux, le développement des pas par des moyens généraux de soutien des prix ou de zones sylvopastorales, le frein à l’exode rural ou le protection à la frontière. Les paiements directs, notam- maintien des cultures locales sont des fonctions essen- ment les paiements pour les « services écologiques », tielles des agriculteurs. Ceux-ci sont aidés par un volet trouvent ainsi leur justification, mais en liaison avec la spécifique récent de la politique agricole marocaine, réduction du soutien des prix et de la protection à la mais ils sont aussi rémunérés par le marché (produits frontière – une voie sur laquelle la Suisse, comme l’UE, de niche, tourisme rural). L’agriculture se trouve ainsi se sont engagées. Cette étude sur la multifonctionnalité au centre du développement économique et social et a été officiellement approuvée par tous les pays membres de la gestion des ressources naturelles – une théma- de l’OCDE, y compris les pays exportateurs, ce qui lui tique que je continue à traiter dans divers contextes, et a donné un poids politique considérable. avec le même intérêt… La Lettre de Penthes | 15
| ARTICLE LA COOPÉRATION INTERNATIONALE : et non seulement avec les ministères : « le travail de ter- UNE « PASSION » rain » est indispensable et enrichissant, même si les or- ganisations professionnelles ont souvent des positions Dès le titre de cet article, j’ai introduit ce mot tranchées ! Je suis « entré en agriculture » sans y être pré- « passion ». Est-il exagéré ? Je ne le pense pas, car la destiné, mais parce que « Berne » avait besoin de juristes coopération internationale exige une conviction qui et d’économistes pour les négociations internationales seule permet de surmonter les inévitables frustra- dans ce secteur sensible, où la Suisse était souvent en tions – les nuits de négociation sur des textes de com- position d’accusé ! Je n’ai jamais regretté cette orienta- muniqués et d’accords ou sur des conclusions tion tout en veillant à ne pas être enfermé dans une d’études par pays en sont un des exemples les plus approche sectorielle. Expérience bilatérale et expérience évidents ! L’activité dans une organisation internatio- multilatérale sont complémentaires et il est judicieux de nale permet de participer à l’histoire, même modes- les combiner, ce que les représentants de la Suisse savent tement. Un exemple marquant fut, immédiatement bien faire, comme j’ai pu le constater à Paris où les am- après la chute du Mur de Berlin, l’ouverture de l’OC- bassadeurs de Suisse en France et auprès de l’OCDE DE aux pays d’Europe centrale et orientale, y com- avaient des contacts étroits. pris en recrutant des ressortissants de ces pays, qui sont vite devenus des amis et dont beaucoup sont Je n’ai volontairement pas abordé la question de sa- restés fidèles à l’Organisation. Cette nouvelle orien- voir si la nationalité suisse est un avantage ou un han- tation, comme le développement du dialogue et des dicap pour une carrière internationale. Y répondre activités communes avec des pays non membres, no- nécessiterait de confronter plusieurs expériences pour tamment la Chine, furent très motivants. éviter des jugements subjectifs. Dans tous les cas, ma conclusion est d’encourager les jeunes Suisses à s’enga- Cela m’amène à souligner l’enrichissement personnel ger dans les institutions internationales, même si cela que représentent l’animation d’une équipe multicultu- comporte des risques. « Les Suisses dans le monde », relle et multidisciplinaire, et les contacts permanents avec dont Penthes illustre l’histoire, ont su sortir de leurs les pays membres, autorités et acteurs professionnels. frontières et prendre des risques… Traiter de l’alimentation et de l’agriculture exige des contacts personnels avec tous les acteurs professionnels 16 | La Lettre de Penthes
ARTICLE | Profession : avocat-conseil Jean Russotto, né à Montreux, avocat et docteur en droit de l’Universi- té de Lausanne, est diplômé du Collège d’Europe à Bruges et de la Harvard Law School ; il a débuté sa carrière professionnelle au Dépar- tement de justice du Canton de Vaud et l’a poursuivie en tant que conseiller juridique au siège principal de Nestlé à Vevey. Depuis 1972, Jean Russotto est établi en Belgique, où il compte parmi les personna- lités les plus en vue de la petite communauté des Suisses qui ont fait des relations entre la Suisse et l’Union européenne leur spécialité. Associé dans la grande étude d’avocats américaine Steptoe & Johnson LLP, Me Russotto représente, entre autres, l’Association suisse des banquiers au- Entretien avec Me Jean Russotto, près des institutions européennes. Il signe régulièrement des articles Bruxelles dans la presse suisse sur les relations de la Suisse avec « Bruxelles ». M. RUSSOTTO, NOUS N’ALLONS PAS – UNE FOIS COMME POUR LES DIPLOMATES, CE TRAVAIL A N’EST PAS COUTUME – DISCUTER DES HEURTS ET DONC UNE DOUBLE FACE : « COMPRENDRE ET MALHEURS DES RELATIONS ENTRE LA SUISSE ET FAIRE COMPRENDRE », ÉCOUTER ET PARLER. AU L’UNION EUROPÉENNE, MAIS DE VOTRE TRAVAIL VOLET DE L’ÉCOUTE ET DE L’ANALYSE, LA RÉCOLTE DE REPRÉSENTANT D’IMPORTANTES SOCIÉTÉS D’INFORMATIONS AUPRÈS DES SERVICES DE SUISSES AUPRÈS DES INSTITUTIONS EURO - L’UNION RESTE-T-ELLE DIFFICILE ? PÉENNES À BRUXELLES. APRÈS UNE LONGUE CAR- RIÈRE SOUS LA BANNIÈRE D’AVOCAT-CONSEIL, En effet, ce métier a deux facettes : obtenir l’infor- QUELLE EST DONC L’ESSENCE DE VOTRE TRAVAIL ? mation des services compétents est souvent malaisé. L’administration européenne est vaste et les responsa- Tout d’abord : comprendre, en détail, les activités bilités sont réparties parmi un grand nombre d’ac- des sociétés qui nous consultent et les objectifs qu’elles teurs. Parfois, la transparence n’est pas immédiate ; visent auprès des institutions européennes. C’est es- d’où la difficulté de tracer, par exemple, les contours sentiellement un travail de défrichage et parfois de et l’état présent d’une proposition législative qui peut décryptage ; il est suivi de la rédaction d’un document affecter une société cliente. sur la nature du problème et les objectifs à atteindre, document auquel le client peut donner son accord. Il s’agit ensuite de présenter l’essentiel, juridiquement et souvent économiquement, aux instances européennes : Commission, Conseil, Parlement. La Lettre de Penthes | 17
| ARTICLE À CE MÊME VOLET S’AJOUTE UNE TÂCHE DIDAC- COMMENT UN AVOCAT-CONSEIL TRAVAILLE-T-IL TIQUE VIS-À-VIS DE CEUX QUI VOUS DONNENT UN AU PARLEMENT EUROPÉEN ? MANDAT : VOS CLIENTS VOUS LISENT-ILS, VOUS ÉCOUTENT-ILS, AGISSENT-ILS CONFORMÉMENT À Côtoyer un parlementaire européen doit se faire VOS CONSEILS ? dans le même esprit. Souvent, avant même d’aborder « politiquement » un dossier, certaines questions qui se Le client est traditionnellement pressé et dispose présentent au client doivent être abordées avec l’assis- d’un temps limité pour s’entretenir avec son conseiller. tant du député. Certes, le parlementaire a, par défini- Il aime recevoir une analyse succincte, toujours ac- tion, un rôle politique ; mais en tant qu’organe législa- compagnée de recommandations concrètes. Le client tif, le Parlement européen doit aussi aborder et ne s’embarrasse pas de la recherche juridique ou du maîtriser de nombreux aspects très techniques. détail des contacts pris, car il part de l’idée que ce travail a été accompli de manière professionnelle ; ce SOUVENT, DE TRÈS GRANDES ENTREPRISES MULTI- qui lui importe, c’est la logique de fond. Et il n’est pas NATIONALES PRÉFÈRENT ORGANISER LA DÉFENSE rare que le client, pour des raisons commerciales et/ou DE LEURS INTÉRÊTS EN SOLO ; DE PLUS PETITES tactiques, décide de choisir finalement une autre voie UTILISENT PLUS VOLONTIERS LES SERVICES DE que celle recommandée… L’ASSOCIATION FAÎTIÈRE NATIONALE, VOIRE EURO- PÉENNE DE LEUR BRANCHE ; QU’EST-CE QUI EST LE VENONS-EN AU VOLET DE LA DÉFENSE D’INTÉRÊTS PLUS EFFICACE ? – QUI S’APPARENTE AU LOBBYISME ET QUI PEUT, DANS L’ESPRIT DE BEAUCOUP DE GENS, PRÉSEN- Les deux approches sont valables. Il faut toujours TER UNE CERTAINE AMBIGUÏTÉ. CE TRAVAIL SE vérifier si, en l’espèce, l’adage qui veut qu’on ne soit FAIT-IL, COMME LE VEUT LE CLICHÉ, AU RESTAU- jamais mieux servi que par soi-même est applicable ; il RANT – BRUXELLES EN CONNAÎT D’EXCELLENTS ! – y a de nombreux exemples où la société doit s’effacer SUR LE TERRAIN DE GOLF, OU PLUTÔT DANS LES et laisser parler d’autres interlocuteurs, telle une asso- BUREAUX DES COMMISSAIRES OU FONCTION- ciation européenne ou encore un cabinet externe. NAIRES SPÉCIALISÉS ? QUELLES SONT LES RELATIONS ENTRE LE REPRÉ- Un avocat spécialisé en droit européen se doit de SENTANT D’INTÉRÊTS PRIVÉS ET LA MISSION connaître personnellement un grand nombre de res- SUISSE AUPRÈS DE L’UNION EUROPÉENNE QUI RE- ponsables à tous les niveaux afin de s’assurer que tous PRÉSENTE LE CONSEIL FÉDÉRAL ? les aspects d’un dossier ont été couverts. La tradition qui voudrait qu’un dossier soit conclu dans le confort Les sociétés suisses abordent la Mission suisse à d’un restaurant est, en effet, plus un cliché que le re- Bruxelles avec confiance. Elles savent que nos diplo- flet de la réalité. Par ailleurs, le fonctionnaire euro- mates sont efficaces, sérieux et soucieux d’écouter les péen est tenu par des engagements éthiques, qui l’em- entreprises, notamment quand celles-ci rencontrent pêchent parfois de déjeuner, voire même de rencontrer des difficultés. Toutefois, logiquement, les diplomates un consultant sur l’un ou l’autre dossier. Sur le long ne peuvent pas assurer la représentation du secteur terme, la clé de la réussite réside toujours dans la qua- privé. Les diplomates conseillent et éclairent le débat ; lité du travail accompli au sein même du cabinet de les experts externes, dont l’avocat-conseil, incarnent l’avocat-conseil. en revanche des intérêts particuliers et assurent la mise en œuvre d’une stratégie. 18 | La Lettre de Penthes
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