La Lettre De Penthes - Trésors arméniens - POLITIQUE ÉTRANGÈRE

 
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La Lettre De Penthes - Trésors arméniens - POLITIQUE ÉTRANGÈRE
La Lettre
De Penthes
Le magazine du Domaine de Penthes – Numéro 25, printemps 2015

POLITIQUE
ÉTRANGÈRE
Enfant mal-aimé
des Suisses ?

LYON
ET SES SUISSES

EXCLUSIVITÉ :
NOTICES
AUTO-BIOGRAPHIQUES
de Charles Aznavour

Trésors arméniens
à Penthes
La Lettre De Penthes - Trésors arméniens - POLITIQUE ÉTRANGÈRE
La Lettre De Penthes - Trésors arméniens - POLITIQUE ÉTRANGÈRE
| SOMMAIRE

                                                              La Paix en Musique, peinture sur toile,
                                                              Peggy Hinaekian

Penthes est à vous                        2   Mot du Directeur57

Politique étrangère                            Rencontre des Clubs Suisse à Penthes58
enfant mal-aimé des Suisses ?             5
                                               Trésors arméniens à Penthes60
Une loi pour les Suisses de l’étranger   10
                                               Notices auto-biographiques
Vivre la coopération                           de Charles Aznavour64
internationale : défis et passion        12
                                               Bernard Challandes, sélectionneur suisse
Profession : avocat-conseil              17   de l’équipe de football d’Arménie68

Les Suisses de Rhône-Alpes               20   Le marché aux fromages
                                               de Nueva Helvecia70
Lyon et ses Suisses23
                                               Comment devenir cheffe
L’âge d’or des barons du fromage         27   d’entreprise dans les Caraïbes …72

Edmond Boissier (1864-1952) :                  Ceux qui ont compté pour Penthes...
pionnier de la coopération                     René Burri74
transfrontalière31
                                               Aujourd’hui : Jérémie Pauzié (1716-1779)76
Bruno Manser –
un Suisse pas comme les autres36              Andreï Gratchev analyse
                                               le passé récent russe à Penthes78
Le Domaine de Penthes en devenir40
Jean-Victor II de Besenval (1671-1736) :       Une station à saute-frontière
officier et diplomate42                       sur le Bassin Lémanique81

Livres à lire44                               Le Chili en exposition
                                               au Restaurant de Penthes82
Les Amis de Penthes55
                                               La Suisse redessinée.
                                               De Napoléon au Congrès de Vienne83

                                                                                                 La Lettre de Penthes   |1
La Lettre De Penthes - Trésors arméniens - POLITIQUE ÉTRANGÈRE
| ÉDITORIAL

                                           Penthes
Rodolphe S. Imhoof                         est à vous
                       T
                               el est le titre de notre campagne de communica-      d’intégration et de notre capacité à déployer une large
                               tion auprès des citoyens genevois et de vous tous,   solidarité envers autrui. Enfin, c’est aussi le sens aigu du
                               chers lecteurs de ce numéro spécial de la « Lettre   travail bien fait et la volonté d’assumer nos choix et le
                       de Penthes », campagne initiée par la Fondation pour         sens des responsabilités qui ont forgé l’image que nous
                       l’Histoire des Suisses dans le Monde, avec le soutien du     avons dans le monde. Les contributions qui provien-
                       Président du Conseil d’Etat de la République et Canton       nent d’auteurs aux horizons si différents, qui font la
                       de Genève. Ce titre reflète le fait que la Fondation a pu    spécificité de ce numéro jubilaire, sont une illustration
                       s’assurer, pour les années qui viennent, de son établisse-   de ces spécificités bien helvétiques.
                       ment sur le Domaine de Penthes. Elle pourra ainsi
                       poursuivre la réalisation de son rêve de toujours, au          Je tiens ici tout particulièrement à rendre hommage
                       cœur même de la Genève internationale : représenter,         à mon prédécesseur à la tête de la Fondation, l’ancien
                       par ses activités multiples, l’apport indéniable des         ambassadeur Bénédict de Tscharner, qui par ses nom-
                       Suisses dans le monde, et des amis de la Suisse qui à        breux écrits a illustré l’apport des Suisses dans le monde.
                       l’étranger ont assuré et véhiculé l’image d’ouverture, de    Pendant toutes ces années, également en tant que ré-
                       stabilité et de fiabilité de notre pays.                     dacteur en chef de la Lettre de Penthes, il a su faire les
                                                                                    choix les plus judicieux quant à la diversité des contri-
                          La Suisse est au cœur de l’Europe. La Suisse est aux      butions et aux talents des auteurs. Qu’il en soit spéciale-
                       carrefours du monde. La Suisse s’est faite, et se fera au    ment remercié à l’occasion de ce numéro jubilaire.
                       contact des autres. La Fondation, grâce à son Musée et
                       ses expositions, son Institut et ses archives, mais aussi       Vous nous avez suivis et soutenus fidèlement tout au
                       son Restaurant, lieux de rencontres et de dialogue par       long de ces années. Vous nous avez apporté de nom-
                       excellence, va vous surprendre dans les mois et les an-      breux témoignages que vous appréciez notre contribu-
                       nées qui viennent par de nouvelles offres culturelles.       tion à la vision d’une Suisse ouverte sur le monde. Vous
                                                                                    répondrez certainement avec enthousiasme à notre
                          Vous avez démontré par votre régularité à vous            nouvel appel. Car grâce à votre soutien, intellectuel et
                       promener dans le parc, votre assiduité au restaurant et      financier, nous allons pouvoir réaliser ce pour quoi
                       ses annexes, au musée surtout, où en deux ans le nom-        nous nous sommes engagés : faire de Penthes un écrin
                       bre des visiteurs a quasiment triplé, passant de 3800        qui puisse abriter à long terme les joyaux culturels de ce
                       en 2012 à 10 850 en 2014, que vous saviez apprécier la       qui fait la spécificité de Genève et de la Suisse. C’est
                       nouvelle orientation de la Fondation : devenir la vit-       pourquoi je vous demande de soutenir notre action cul-
                       rine culturelle d’une Suisse ouverte sur le monde, qui       turelle en faveur de l’image de Genève et de la Suisse
                       documente les principes de l’engagement de la Suisse         dans le monde en vous portant acquéreur d’une parcelle
                       et de la Genève internationale dans le monde.                virtuelle du Domaine de Penthes, grâce au lien indiqué
                                                                                    sur www.penthes.ch.
                          L’histoire de ce peuple que Denis de Rougemont a
                       qualifié d’heureux ne s’est construite que par notre cu-       Votre domaine est entre vos mains, Penthes est à vous !
                       riosité envers l’autre, notre acceptation des diversités
                       culturelles qui régissent le monde dans lequel nous vi-
                       vons, notre ferme conviction que seuls l’indépendance,
                       la démocratie, le fédéralisme, le respect de l’autre et de
                       ses droits et libertés favorisent la paix et la stabilité.
                       Cette dernière est fortement tributaire de notre volonté

    2 | La Lettre de Penthes
La Lettre De Penthes - Trésors arméniens - POLITIQUE ÉTRANGÈRE
La Lettre de Penthes   |3
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                  la suisse
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                                                     DOMAINE DE PENTHES - CHEMIN DE L’IMPÉRATRICE 18
                                                                 1 2 92 P R EG N Y- C H A M B É SY
La Lettre De Penthes - Trésors arméniens - POLITIQUE ÉTRANGÈRE
ARTICLE    |

Politique
étrangère –
enfant mal-aimé
des Suisses ?
                                                                   Entretien avec le conseiller fédéral Didier Burkhalter,
                                                             chef du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE)

VOUS FAITES PARTIE DU CONSEIL FÉDÉRAL DE-
PUIS 2009 ET VOUS DIRIGEZ NOTRE DIPLOMATIE
DEPUIS 2012. COMMENT PERCEVEZ-VOUS LA
PLACE DES RELATIONS EXTÉRIEURES DANS LA VIE
NATIONALE EN SUISSE ? EXISTE-T-IL VRAIMENT,
DANS CE PAYS, UNE SORTE DE MÉFIANCE ENVERS
TOUT CE QUI A TRAIT À L’ÉTRANGER ? PEUT-ÊTRE
DE LA MÉFIANCE À L’ÉGARD DE LA POLITIQUE
ÉTRANGÈRE, VOIRE LES DIPLOMATES ?

   Non, je ne ressens pas une telle méfiance, mais une
forte volonté des Suisses de se reconnaître dans les va-
leurs de l’action suisse à l’étranger. Et au fond, c’est
normal ! Cela dit, la Suisse est en fait ouverte au
monde. Elle se trouve au milieu d’un continent et en-
tretient de bonnes relations avec ses voisins. Plus lar-
gement, elle mène une politique universelle et a des
relations avec tous les pays de la planète. La Suisse ne
peut vivre en autarcie et cela les citoyens de ce pays le      Notre rôle est d’entendre cela et d’apporter des ré-
comprennent bien. Nous entretenons des relations            ponses qui permettent de maintenir notre prospérité et
avec les autres, qu’elles soient de type commercial, fi-    notre sécurité. Pour cela, la Suisse a besoin des autres.
nancier, scientifique, culturel.                            Les solutions se trouvent souvent dans les mises en
                                                            commun des efforts de la communauté internationale.
   Ce qui se passe dans le monde nous concerne direc-       Le rôle de la politique étrangère suisse peut être impor-
tement. Or ce monde qui nous entoure ne cesse de            tant à ce niveau. Notre diplomatie permet de mettre en
bouger et ceci de plus en plus rapidement. Je pense         exergue ces questions dans différentes enceintes –
notamment aux nouveaux moyens de communica-                 l’ONU, l’OSCE dont la Suisse a assuré la présidence en
tion. Des événements violents se passent parfois            2014 ou le Conseil de l’Europe – en apportant des pro-
jusqu’à nos portes – les attaques qui ont touché Paris      positions de solutions communes. Comme c’est le cas
ce début janvier par exemple – et suscitent des ques-       en ce qui concerne la lutte contre le terrorisme, domaine
tions, des peurs chez nos concitoyens. Et les souf-         dans lequel la Suisse est très active, œuvrant à ce que ce
frances en Afrique, en Ukraine ou au Moyen-Orient           fléau soit combattu avec détermination tout en respec-
ne sont pas loin non plus.                                  tant les droits de l’homme et le droit international.

                                                                                                                      La Lettre de Penthes   |5
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| ARTICLE

                      La diplomatie helvétique est reconnue et permet de          La Suisse doit donc établir des ponts solides et des re-
                   construire des ponts. Les bons offices de la Suisse ont     lations stables avec d’autres Etats. Là où le besoin s’en fait
                   une longue tradition et sont une constante de notre         sentir, elle doit les consolider et les renouveler. Enfin, j’ai
                   politique étrangère. Grâce à ses bons offices, la Suisse    grande confiance dans les jeunes générations de ce pays
                   prend une part active dans différents processus de          qui occuperont demain des responsabilités pour aller de
                   paix en cours au niveau international, ce qui est aussi     l’avant, continuer à défendre notre pays, son modèle, sa
                   dans son intérêt. Nous allons donc continuer à mettre       prospérité, son développement tout en participant au
                   à disposition notre savoir-faire en matière de média-       concert des nations et en agissant pour que nos valeurs
                   tion, de recherche de compromis et de promotion de          de démocratie, de respect et de tolérance soient partagées
                   la paix. Le monde en a besoin.                              par le plus grand nombre.

                   COMMENT FAIRE POUR MIEUX INTÉGRER LES AF-                   LE DFAE N’EST PAS UN « ACTEUR SOLITAIRE » ; SON
                   FAIRES EXTÉRIEURES DANS LA VIE NATIONALE ?                  RÔLE CONSISTE ÉGALEMENT À COORDONNER L’AC-
                   COMMENT MIEUX EXPLIQUER AUX CITOYENS                        TION D’AUTRES INTERVENANTS ET D’ÉVITER QUE
                   POURQUOI IL FAUT SOIGNER ET DÉVELOPPER LES                  CHAQUE DÉPARTEMENT ET CHAQUE OFFICE FÉDÉ-
                   RELATIONS INTERNATIONALES ?                                 RAL – OU ENCORE CHAQUE CANTON – MÈNE SA
                                                                               PROPRE POLITIQUE ÉTRANGÈRE. EST-CE QUE CELA
                      En fait, la politique étrangère est comprise en Suisse   POSE DES PROBLÈMES ?
                   par ses valeurs. Lorsque la Suisse s’engage pour la paix,
                   personne en Suisse ne trouve cela « étranger ». Au             Ce n’est pas un problème, mais une culture, parfois
                   contraire, nous avons tous l’impression que c’est natu-     même un art. Dans un pays fédéraliste comme la Suisse,
                   rel, quasiment génétique. Il n’y a pas de politique plus    la coordination fait partie de la vie. Du fait de notre sys-
                   suisse que la politique de paix et de sécurité. Il s’agit   tème politique, elle constitue presque une seconde nature
                   donc de faire résonner en Suisse l’engagement typi-         allant de pair avec l’habitude de la consultation, de la
                   quement suisse qui se fait à l’étranger.                    concordance et de la recherche de solutions négociées.

                      De plus, le succès du modèle suisse repose pour une         En matière de politique extérieure, le DFAE assume
                   bonne part sur les ponts construits vers l’extérieur. La    effectivement un rôle directeur, en coordination étroite
                   prospérité de notre pays exige, à côté de notre cohé-       avec les différents départements et offices fédéraux, ainsi
                   sion nationale, une politique d’ouverture raisonnable       qu’avec les cantons, dont les besoins et les rapports avec
                   et responsable face au contexte international.              les pays voisins sont conditionnés par leur situation géo-
                                                                               graphique et économique.
                     La Suisse est l’un des pays les plus avancés dans la
                   mondialisation. Notre économie dépend de marchés               Les grands axes de la politique extérieure de la Suisse
                   d’exportation et de production à l’étranger. Les            sont définis dans la Stratégie de politique étrangère 2012-
                   Suisses forment également un peuple de voyageurs.           2015, qui a été approuvée par le Conseil fédéral. Celle-ci
                   En 2012, ils ont entrepris quelque neuf millions de         prévoit qu’à l’exemple de la stratégie adoptée ces dernières
                   voyages à l’étranger, où vivent d’ailleurs plus de          années dans le domaine de la politique étrangère de san-
                   700 000 de nos concitoyens.                                 té, les départements fédéraux élaborent davantage de
                                                                               stratégies communes de défense des intérêts afin de ren-
                                                                               forcer la coordination des politiques du Conseil fédéral à
                                                                               l’égard de l’étranger.
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La Lettre De Penthes - Trésors arméniens - POLITIQUE ÉTRANGÈRE
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AU COURS DE VOTRE ANNÉE PRÉSIDENTIELLE,                        COMPARÉE À D’AUTRES PAYS, LA SUISSE FAIT DES
VOUS AVEZ BEAUCOUP VOYAGÉ ; LES SUISSES                        EFFORTS LOUABLES POUR SOUTENIR SES CI-
COMPRENNENT-ILS CETTE NÉCESSITÉ ? CES                          TOYENS ÉTABLIS OU SÉJOURNANT À L’ÉTRANGER ;
VOYAGES NE SONT-ILS PAS PARFOIS UN PEU TROP                    NÉANMOINS, EN SUIVANT LES TRAVAUX DE L’OR-
MÉDIATISÉS, AU POINT OÙ, FINALEMENT, SEUL UN                   GANISATION DES SUISSES L’ÉTRANGER (OSE), ON A
CONTACT AU NIVEAU « MINISTÉRIEL » EST CONSI-                   L’IMPRESSION QU’IL RESTE, ICI ET LÀ, QUELQUES
DÉRÉ COMME VRAIMENT UTILE, PEUT-ÊTRE MÊME                      POINTS DE DISCORDE OU DE DÉCEPTION : LENTEUR
PARFOIS AU DÉTRIMENT DU TRAVAIL DE NOS RE-                     DE L’INTRODUCTION DU VOTE ÉLECTRONIQUE,
PRÉSENTANTS DANS L’ENSEMBLE DU MONDE ?                         SOUTIEN TROP MODESTE À L’INFORMATION DES
                                                               SUISSES DE L’ÉTRANGER, RESSERREMENT DU RÉ-
   Je pense que tous ces efforts s’additionnent et ne se       SEAU DES REPRÉSENTATIONS CONSULAIRES, MO-
font pas au détriment de l’un ou de l’autre. La médiati-       DESTIE DE L’AIDE AUX ÉCOLES SUISSES À L’ÉTRAN-
sation est bonne lorsqu’elle sert l’intérêt général. Et elle   GER, IMPACT NÉFASTE DES NÉGOCIATIONS SUR LA
peut aussi permettre de mieux faire connaître la poli-         FISCALITÉ ET LA SÉCURITÉ SOCIALE SUR LES
tique étrangère de la Suisse aux Suisses eux-mêmes.            SUISSES DE L’ÉTRANGER, ETC. – QUEL EST VOTRE
Certes, il y a des risques, mais il y a aussi la chance        POINT DE VUE ?
d’être fier de ce qui est fait au nom de notre pays !
                                                                  L’Organisation des Suisses de l’étranger (OSE) est
   En 2014, la double présidence de la Suisse et de            une fondation de droit privé qui a pour but de représen-
l’Organisation pour la sécurité et la coopération en           ter, en Suisse, les intérêts de nos concitoyens à l’étran-
Europe (OSCE) s’est traduite par de nombreux                   ger. L’une de ses tâches consiste à informer la commu-
voyages. Ceux dictés par l’évolution de la crise ukrai-        nauté des Suisses de l’étranger au sujet de l’actualité
nienne se sont ajoutés aux voyages plus réguliers dans         politique et culturelle suisse qui les concerne. Bien que
le cadre de la présidence de l’OSCE, dans les Balkans,         le tiers du budget de l’OSE soit financé par le DFAE,
l’Asie centrale ou le Caucase du Sud par exemple, ain-         son point de vue est indépendant. Compte tenu de son
si qu’aux voyages effectués en tant que président de la        rôle et de son statut, il est normal que l’OSE mette
Confédération pour des visites d’Etat, des visites offi-       l’accent sur des points qui pourraient être améliorés en
cielles ou des sommets internationaux.                         faveur des Suisses de l’étranger. Nous sommes à l’écoute
                                                               de cela afin d’apporter des corrections là où cela est
   Dans le contexte de la crise en Ukraine comme               nécessaire et possible.
dans celui des relations bilatérales, rien ne remplace
l’approche humaine. Les contacts personnels – quel                Une loi a par ailleurs été élaborée pour les Suisses de
que soit le « niveau » auquel ils se produisent – sont         l’étranger (LSEtr). Elle entrera en vigueur le 1er no-
indispensables pour tenter de progresser, pour pro-            vembre 2015. Ainsi, les efforts du DFAE pour satisfaire
mouvoir les valeurs suisses, aborder des questions             les besoins de la communauté suisse établie à l’étranger
délicates ou tout simplement garantir un échange               sont importants. Dans ce contexte, la notion de respon-
régulier avec nos voisins proches comme avec des               sabilité individuelle mentionnée dans la loi a toute son
pays plus lointains.                                           importance : les Suisses qui partent à l’étranger doivent
                                                               être conscients, d’une part, des risques qu’ils prennent
                                                               en voulant s’expatrier et, d’autre part, que les conditions
                                                               de vie à l’étranger sont souvent différentes de celles que
                                                               nous connaissons en Suisse.
                                                                                                                      La Lettre de Penthes   |7
La Lettre De Penthes - Trésors arméniens - POLITIQUE ÉTRANGÈRE
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                   LES GENEVOIS PERÇOIVENT BIEN QUE LA BERNE                   diale. Trente organisations internationales et plus de
                   FÉDÉRALE SOUTIENT LA GENÈVE INTERNATIO-                     300 ONG ont leur siège à Genève, où 173 Etats
                   NALE ; ON SAIT QUE LES EFFORTS FINANCIERS – À               membres des Nations Unies sont représentés. Plus de
                   TRAVERS LA FLPOL, ESSENTIELLEMENT – SONT                    2700 réunions diplomatiques y ont lieu chaque an-
                   LOIN D’ÊTRE NÉGLIGEABLES. DEUX QUESTIONS                    née auxquelles se rendent plus de 220 000 délégués.
                   FONDAMENTALES SE POSENT : LA POLITIQUE MUL-                 Genève, qui abrite le siège européen des Nations
                   TINATIONALE TELLE QU’ELLE FUT CONÇUE DU                     Unies au Palais des Nations, est ainsi un pilier essen-
                   TEMPS DE LA SOCIÉTÉ DES NATIONS EST-ELLE EN-                tiel de la scène multilatérale. Cette concentration
                   CORE ADAPTÉE AUX BESOINS DU MONDE D’AU-                     unique sur un petit territoire, d’acteurs internatio-
                   JOURD’HUI ? QUELLES SONT LES CHANCES POUR                   naux qui travaillent quotidiennement à trouver des
                   GENÈVE DE RESTER UN DES CENTRES OPÉRATION-                  solutions aux problèmes du monde offre un potentiel
                   NELS MAJEURS DE LA VIE INTERNATIONALE ?                     de synergie extraordinaire.

                      La gouvernance mondiale a beaucoup évolué au fil            Par ailleurs, il faut relever que la Suisse offre des
                   du temps. A l’époque de la Société des Nations, les Etats   conditions-cadres d’excellente qualité : stabilité poli-
                   étaient les principaux acteurs des relations internatio-    tique, sécurité juridique, qualité de vie et haut niveau
                   nales. Aujourd’hui, on assiste à une multiplication d’en-   d’infrastructures et des services offerts. Pour garantir
                   tités (ONG, secteur privé, milieu académique, etc.). Les    la compétitivité et l’attrait de la Genève internatio-
                   problématiques sont en outre beaucoup plus complexes,       nale, le Conseil fédéral a adopté en novembre passé un
                   transversales et interdépendantes qu’au début du XXe        message relatif aux mesures à mettre en œuvre pour
                   siècle (p.ex. climat, commerce).                            renforcer le rôle d’Etat hôte de la Suisse, désormais
                                                                               transmis au Parlement pour approbation en 2015. Les
                      Dans le contexte de la mondialisation, il est cru-       mesures prévues et les moyens financiers supplémen-
                   cial que la communauté internationale dispose de            taires demandés permettront de consolider le disposi-
                   lieux de rencontre, de concertation et de discussion        tif d’accueil et ainsi de renforcer la place de la Genève
                   sur les thèmes touchant l’ensemble des pays du              internationale dans le monde. Afin que Genève conti-
                   monde. La Suisse, grâce à la Genève internationale,         nue d’être cette extraordinaire chance pour la Suisse
                   est l’un des principaux centres de gouvernance mon-         et pour le monde.

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                         Une loi pour
                         les Suisses
 Peter Zimmerli
                         de l’étranger
                        B
          Délégué
aux relations avec               ien que la migration soit un thème actuel très          La politique que mène « Berne » dans ce domaine
        les Suisses              discuté qui soulève les passions, il n’est de loin   s’appuie sur une base constitutionnelle, introduite en
    de l’étranger,
         Direction
                                 pas nouveau. Depuis que la Suisse existe, ses        1966 et actualisée lors de la révision totale de la
consulaire, DFAE         citoyens ont migré. Si la soif d’aventure, la guerre ou      Constitution en 1999, qui stipule que la Confédéra-
                         la pauvreté les ont précédemment poussés à quitter le        tion contribue à renforcer les liens qui unissent les
                         pays, ce sont aujourd’hui souvent des personnes hau-         Suisses résidant à l’étranger entre eux et à la Suisse.
                         tement qualifiées qui répondent à l’appel du grand           Cette base constitutionnelle autorise les autorités à
                         large. Dans une mouvance de croissante mobilité et de        soutenir des organisations qui poursuivent ce but et à
                         globalisation, le visage de la diaspora suisse a changé.     légiférer sur les droits et devoirs des Suisses concernés,
                         Les temps de l’émigration définitive sont révolus. Un        notamment en matière de droits politiques, d’aide so-
                         nombre croissant de Suisses s’établissent pour une pé-       ciale et de la sécurité sociale.
                         riode limitée dans un pays étranger avant de revenir
                         en Suisse ou de partir vers une autre destination.              Avant l’introduction de cette base constitutionnelle,
                                                                                      la Constitution de 1874 comportait simplement un ar-
                            La mobilité transnationale des individus a accentué       ticle relatif aux agences d’émigration. Pourtant, une loi
                         la diversité du phénomène migratoire et engendré des         sur les Suisses de l’étranger constitue une demande de
                         besoins complexes. Cette situation influence le travail      nos concitoyens concernés depuis le début du XXe
                         des représentations suisses à l’étranger et demande          siècle. Déjà lors du quatrième congrès des Suisses de
                         une attention particulière de la part de notre gouver-       l’étranger organisé en 1921 par leur organisation, les
                         nement. Fin 2014, plus de 746 000 concitoyens se sont        délégués ont accepté un postulat en faveur d’une loi et
                         inscrits dans les registres des ambassades et consulats      notamment exigé le droit de vote pour les Suisses de
                         à l’étranger. Ce chiffre représente près des 11% de ci-      l’étranger. Entre 1926 et 1950, on ne compte pas moins
                         toyens suisses, à peu près l’ensemble des habitants du       de six interventions au sein du Conseil des Suisses de
                         canton de Vaud. Afin de tenir compte du nombre tou-          l’étranger allant dans le même sens.
                         jours croissant non seulement des Suisses établis à
                         l’étranger, mais aussi des touristes, des hommes d’af-          En 1954, le conseiller national zurichois William
                         faires ou des « globe-trotters » suisses, le DFAE a aug-     Vontobel réussit à faire accepter un postulat qui abou-
                         menté ses ressources ces dernières années. Cela s’est        tira, en 1966, à l’introduction de l’article constitu-
                         traduit notamment par la modernisation et la spécia-         tionnel susmentionné. Ainsi, selon le message du
                         lisation des prestations consulaires. Les solutions pro-     Conseil fédéral, la Confédération reconnaît l’impor-
                         posées par l’e-government en sont un bon exemple.            tance de la « cinquième Suisse » du point de vue histo-
                         Avec la toute nouvelle Loi sur les personnes et insti-       rique, politique et économique. Avant l’attribution
                         tutions suisses à l’étranger, la Confédération a sou-        des droits politiques, les Suisses de l’étranger devront
                         haité mettre à disposition de la communauté suisse           cependant attendre encore plus de dix ans. La Loi sur
                         dans le monde un instrument moderne qui définisse            les droits politiques de 1977 leur donnera – et entre-
                         de façon simple et cohérente ses relations avec la           temps aussi aux Suissesses – la possibilité de participer
                         Confédération, ainsi que les droits et devoirs de ses        aux décisions au niveau fédéral. Pour exercer leur droit
                         membres.                                                     de vote, cependant, ces citoyennes et citoyens disper-
                                                                                      sés dans le monde devaient, alors, se déplacer en Suisse
                                                                                      afin d’y déposer leur bulletin dans les urnes. Ce n’est
                                                                                      qu’en 1992 que sera introduit le vote par correspon-
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Le Palais du Parlement

dance depuis l’étranger. Avant cela, la Loi fédérale sur   Cela signifie qu’il est attendu de ces personnes qu’elles
l’aide sociale et les prêts alloués aux ressortissants     s’efforcent, par des choix judicieux, d’éviter les risques
suisses à l’étranger entra en vigueur en 1974.             et de surmonter les difficultés par leurs propres
                                                           moyens. La responsabilité individuelle inclut aussi le
   La nouvelle Loi, qui est issue d’une initiative par-    fait que les personnes qui voyagent ou résident à
lementaire du Conseiller aux Etats tessinois Filippo       l’étranger doivent s’informer sur la législation en vi-
Lombardi, a été acceptée par le Parlement le 26 sep-       gueur dans le pays d’accueil ou de passage et la respec-
tembre 2014 ; elle rassemble dans un seul texte les        ter. Dans ce sens, la Suisse ne doit intervenir que de
dispositions les plus importantes pour les Suisses de      façon subsidiaire, notamment dans les domaines de
l’étranger, dispositions qui étaient auparavant dis-       l’aide sociale et de la protection consulaire. La loi dé-
persées dans plusieurs lois, ordonnances ou règle-         finit aussi la notion de « guichet unique » ; cet instru-
ments ; elle intègre les normes sur les droits poli-       ment permet d’atteindre l’objectif de cohérence et
tiques, l’aide sociale, la protection consulaire ainsi     d’unité de la politique menée par la Confédération
que sur les prestations consulaires. La loi exprime        dans ce domaine. En effet, ce guichet est le centre
aussi la possibilité d’introduire le vote électronique     d’accueil vers lequel sont dirigées toutes les questions
pour les votations et élections fédérales ; le Conseil     relatives aux Suisses de l’étranger ; grâce à lui, le DFAE
fédéral peut ainsi prendre des mesures pour faciliter      assure un service public efficace répondant aux be-
et encourager l’exercice des droits politiques de nos      soins des citoyens.
concitoyens à l’étranger.
                                                              La Loi sur les Suisses de l’étranger doit entrer en
   Bien que la Loi n’introduise pas de nouveaux droits     vigueur avec son ordonnance – actuellement en voie
ou devoirs pour les membres de la communauté suisse        d’élaboration – le 1er novembre 2015. A cette date, et
à l’étranger, elle modernise néanmoins le droit actuel     cela près de cent ans après la première intervention du
et promeut quelques nouveaux principes. A ce titre,        Conseil des Suisses de l’étranger, sera exaucé un sou-
elle stipule que les Suisses qui résident ou voyagent à    hait cher à nos compatriotes. Disons que, dans ce do-
l’étranger engagent leur responsabilité individuelle.      maine comme dans d’autres, la patience paie !

                                                                                                                La Lettre de Penthes   | 11
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                                          Vivre la coopération
                                          internationale :
                                          défis et passion
                                          Les organisations internationales paraissent à beaucoup comme des ins-
                                          titutions abstraites, éloignées des réalités et peu transparentes. Elles sont
                                          pourtant au cœur de la vie contemporaine, et elles participent à l’effort
                       Gérard Viatte      de gestion de la « mondialisation ». Consacrer une grande partie de sa vie
                    ancien directeur à
                     l’OCDE (Paris),      professionnelle aux organisations internationales requiert un engage-
                     ancien conseiller
                   spécial auprès de la
                                          ment fort pour des thématiques innovantes et une vraie « passion » pour
                         FAO (Rome)       la coopération internationale.

                   INNOVATION DANS L’ANALYSE ET L’ORIENTA-
                   TION DES POLITIQUES

                  L
                          a capacité d’innover en termes d’analyse et de
                          recommandations politiques est précisément
                          l’une des caractéristiques de l’OCDE (Organisa-
                   tion de coopération et de développement écono-
                   miques), basée à Paris. Un nombre relativement limité
                   de pays (aujourd’hui 34, plus des pays « partenaires »)
                   partageant des valeurs communes permet de mener
                   les activités d’une manière relativement efficace et
                   transparente. La force de l’OCDE réside dans sa capa-
                   cité de couvrir pratiquement tous les secteurs et pro-
                   blématiques économiques et sociaux, de la macro-éco-
                   nomie à la fiscalité, de l’énergie à l’éducation et à
                   l’emploi, pour ne citer que quelques exemples. L’im-
                   portant n’est pas seulement de couvrir plusieurs sec-
                   teurs, mais de saisir leurs interrelations pour faire face
                   à la complexité des économies et des sociétés contem-          Gérard Viatte
                   poraines. C’est grâce à cette approche intersectorielle,
                   et à l’articulation de l’analyse scientifique, à des dis-
                   cussions multilatérales (« examens par les pairs ») et des      En tant que directeur responsable des secteurs de
                   recommandations politiques ou « standards » que              l’alimentation, de l’agriculture et des pêcheries, j’ai
                   l’OCDE joue un rôle « d’éclaireur » sur le plan inter-       considéré que les problèmes essentiels n’étaient pas
                   national et aide les pays membres à réformer leurs po-       « internes » à ces secteurs, mais concernaient leurs re-
                   litiques et à les harmoniser sur le plan international.      lations avec les problématiques plus globales de la
                   Ce sont aussi les raisons qui ont justifié mon long en-      croissance économique et de l’emploi, du développe-
                   gagement personnel dans cette organisation – que             ment, de l’environnement, des échanges internatio-
                   j’avais rejointe au départ avec un congé de trois ans de     naux ou de la technologie et de la santé. Je n’en citerai
                   l’administration fédérale…                                   ici que deux exemples.
12 | La Lettre de Penthes
ARTICLE     |

INTRODUIRE L’AGRICULTURE                                    globale qui a abouti à l’accord dit de Marrakech de
DANS LES NÉGOCIATIONS COMMERCIALES                          1994, qui a créé l’OMC.

   Le premier exemple est le travail analytique et les        Cette avancée technique et politique exigea un travail
calculs très complexes que l’OCDE a entrepris pour          de titan en collaboration étroite avec les autorités natio-
que l’agriculture puisse être incluse pour la première      nales qui ont validé les calculs (non sans de longues né-
fois dans les négociations commerciales internatio-         gociations !) et l’aide d’universitaires. Je veux tirer de cette
nales du GATT dans les années 1980. Alors que l’in-         expérience quelques conclusions personnelles.
dustrie est protégée principalement par des droits de
douane dont la réduction est techniquement assez fa-           Même si la finalité de ce travail était liée à un ac-
cile à négocier, l’agriculture est soutenue par un grand    cord commercial international, il fut politiquement
nombre de mesures (droits de douane, contingents,           possible parce que, au même moment, les pays
calendrier d’importation, soutien des prix intérieurs,      membres de l’OCDE qui protégeaient fortement leur
stockage, etc.), qui sont trop nombreuses et trop dif-      agriculture, notamment la Suisse et l’Union euro-
férentes entre pays pour faire l’objet d’une négociation    péenne, étaient convaincus de la nécessité de réformer
de réduction pour chacune d’entre elles séparément. A       leur politique agricole pour des raisons internes, éco-
la demande des pays membres, l’OCDE a calculé,              nomiques (coût) et sociétales (nouvelles priorités).
pour chaque pays et chaque grand produit, le montant        C’est ainsi que le nouvel article sur l’agriculture (art.
global de subventions que toutes ces mesures repré-         104) de la Constitution fédérale suisse fut adopté par
sentent, tout en distinguant celles qui n’ont pas d’effet   le peuple en 1996, renforçant le rôle des paiements
de distorsion sur les échanges (« boîte verte », par        directs. Le fonctionnaire international doit être
exemple les dépenses de formation ou de protection de       conscient de la nécessité d’articuler négociations inter-
l’environnement). Sur cette base, le GATT a pu éta-         nationales et réformes des politiques nationales.
blir le « montant de soutien » dont la réduction a été      L’OCDE est bien armée pour cela comme on le voit
négociée dans le cadre de la négociation commerciale        aujourd’hui dans le domaine fiscal…
                                                                                                                      La Lettre de Penthes   | 13
| ARTICLE

                      La coopération entre diverses organisations interna-      des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture
                   tionales, même si elles ont chacune leurs propres objec-     (FAO) qui produisent ensemble plusieurs études, par
                   tifs et méthodes de travail, est indispensable. Dans ce      exemple sur les perspectives à moyen terme des mar-
                   cas particulier, la coopération pragmatique entre les        chés agricoles. Sur un plan plus politique, le rapport
                   secrétariats de l’OCDE, qui a mené l’analyse de base, et     contenant des propositions d’action demandées par le
                   le GATT qui l’a « traduite » en termes de négociation        G-20 après la crise alimentaire de 2008 a été piloté par
                   proprement dite, a permis de surmonter les obstacles         ces deux organisations, en liaison avec toutes les autres
                   politiques résultant de la nature et de la couverture géo-   organisations compétentes.
                   graphique différentes des deux organisations. Je me
                   dois ici de rendre hommage à la mémoire de deux per-            Cela dit, malgré les progrès accomplis, le dossier
                   sonnalités suisses dont je fus très proche : Arthur Dun-     agricole demeure politiquement très sensible sur le plan
                   kel, qui a dirigé le GATT à cette époque décisive (et qui    international ; ainsi le « cycle de Doha » de l’Organisa-
                   avait été l’un de mes « mentors » lorsque j’ai commencé      tion mondiale pour le commerce (OMC), lancé en
                   mon activité professionnelle à Berne), et David de           2001, n’a pu être conclu qu’à fin 2014 en surmontant
                   Pury, brillant négociateur et notamment président du         un dernier problème avec l’Inde sur sa politique de ré-
                   Comité des échanges de l’OCDE.                               serves alimentaires subventionnées. Et cela est aussi vrai
                                                                                sur le plan national comme le montrent bien les initia-
                      Je constate avec satisfaction que cette coopération se    tives actuellement en cours de lancement en Suisse. Les
                   renforce, notamment entre l’OCDE et l’Organisation           « négociateurs agricoles » ne sont jamais au chômage !
14 | La Lettre de Penthes
ARTICLE     |

LA « MULTIFONCTIONNALITÉ »                                       Cet exemple montre que la rigueur de l’analyse est
DE L’AGRICULTURE                                             le meilleur moyen de faire avancer les discussions po-
                                                             litiques et de sortir des impasses. Un véritable accord
   Le deuxième exemple est l’activité que l’OCDE a           ne résulte pas de compromis sur le langage, mais de la
consacrée à la « multifonctionnalité » de l’agriculture,     force de conviction d’une analyse. A cet égard, la re-
à la fin des années 1990. Derrière ce terme technique        cherche académique peut jouer un rôle important,
se cache une réalité et une problématique politique          mais elle doit être relayée et traduite sur le plan poli-
très importantes. Si l’objectif principal de l’agriculture   tique, ce que l’OCDE sait faire. Une autre condition
a toujours été de produire des aliments, les autres ser-     de succès réside dans la collaboration permanente
vices qu’elle rend à la société prennent de plus en plus     entre le secrétariat d’une organisation internationale
d’importance, notamment dans le domaine de l’envi-           et les pays membres tout au long du processus. Ce
ronnement, de la gestion des ressources naturelles et        dialogue permanent est par moments frustrant, mais
de l’équilibre territorial. Au niveau international, les     finalement enrichissant et « payant ».
pays européens, notamment la Suisse, la Norvège et
les pays méditerranéens, ainsi que le Japon ou la Co-           Au-delà des aspects économiques et politiques, la
rée, ont mis en avant la « multifonctionnalité » de          « multifonctionnalité » prend une dimension sociétale,
l’agriculture pour justifier leur politique agricole et le   et donne à l’agriculteur un rôle encore plus important ;
maintien de certaines formes de soutien à l’agricultu-       en effet, la crainte que celui-ci soit « relégué » en « jardi-
re, alors que les pays exportateurs d’Amérique du            ner du paysage » est infondée. Cela est vrai aussi dans
Nord et d’Océanie refusaient ce concept, considérant         les pays en développement. Ayant pris ma retraite de
qu’il n’était qu’une couverture pour le maintien du          l’OCDE après avoir terminé la supervision de l’étude
protectionnisme agricole. Ce débat paralysait les dis-       sur la multifonctionnalité, j’ai eu la chance de participer
cussions internationales sur l’agriculture.                  pendant plusieurs années à une activité assez proche
                                                             dans une équipe multidisciplinaire au sein de la FAO,
   Pour sortir de l’impasse, l’OCDE a été chargée de         sous le titre « Rôles de l’agriculture », portant
mener une étude économique et politique de ce concept.       sur les pays en développement. Les fonctions environ-
Sans entrer dans les détails de cette analyse complexe       nementales, sociales, territoriales, culturelles de l’agri-
qui m’a passionné, je mentionnerai seulement sa conclu-      culture sont aussi évidentes dans ces pays, souvent
sion politique (en termes simplifiés !) : si l’agriculture   encore plus que dans les pays développés. Je ne citerai
contribue aussi à d’autres objectifs que la production       qu’un des exemples sur lequel j’ai travaillé, celui des
alimentaire, le soutien public doit être octroyé par des     régions de montagnes du Maroc, où la lutte contre
moyens spécifiques ciblés, adaptés à ces objectifs, et non   l’érosion, la gestion des eaux, le développement des
pas par des moyens généraux de soutien des prix ou de        zones sylvopastorales, le frein à l’exode rural ou le
protection à la frontière. Les paiements directs, notam-     maintien des cultures locales sont des fonctions essen-
ment les paiements pour les « services écologiques »,        tielles des agriculteurs. Ceux-ci sont aidés par un volet
trouvent ainsi leur justification, mais en liaison avec la   spécifique récent de la politique agricole marocaine,
réduction du soutien des prix et de la protection à la       mais ils sont aussi rémunérés par le marché (produits
frontière – une voie sur laquelle la Suisse, comme l’UE,     de niche, tourisme rural). L’agriculture se trouve ainsi
se sont engagées. Cette étude sur la multifonctionnalité     au centre du développement économique et social et
a été officiellement approuvée par tous les pays membres     de la gestion des ressources naturelles – une théma-
de l’OCDE, y compris les pays exportateurs, ce qui lui       tique que je continue à traiter dans divers contextes, et
a donné un poids politique considérable.                     avec le même intérêt…
                                                                                                                     La Lettre de Penthes   | 15
| ARTICLE

                   LA COOPÉRATION INTERNATIONALE :                                et non seulement avec les ministères : « le travail de ter-
                   UNE « PASSION »                                                rain » est indispensable et enrichissant, même si les or-
                                                                                  ganisations professionnelles ont souvent des positions
                      Dès le titre de cet article, j’ai introduit ce mot          tranchées ! Je suis « entré en agriculture » sans y être pré-
                   « passion ». Est-il exagéré ? Je ne le pense pas, car la       destiné, mais parce que « Berne » avait besoin de juristes
                   coopération internationale exige une conviction qui            et d’économistes pour les négociations internationales
                   seule permet de surmonter les inévitables frustra-             dans ce secteur sensible, où la Suisse était souvent en
                   tions – les nuits de négociation sur des textes de com-        position d’accusé ! Je n’ai jamais regretté cette orienta-
                   muniqués et d’accords ou sur des conclusions                   tion tout en veillant à ne pas être enfermé dans une
                   d’études par pays en sont un des exemples les plus             approche sectorielle. Expérience bilatérale et expérience
                   évidents ! L’activité dans une organisation internatio-        multilatérale sont complémentaires et il est judicieux de
                   nale permet de participer à l’histoire, même modes-            les combiner, ce que les représentants de la Suisse savent
                   tement. Un exemple marquant fut, immédiatement                 bien faire, comme j’ai pu le constater à Paris où les am-
                   après la chute du Mur de Berlin, l’ouverture de l’OC-          bassadeurs de Suisse en France et auprès de l’OCDE
                   DE aux pays d’Europe centrale et orientale, y com-             avaient des contacts étroits.
                   pris en recrutant des ressortissants de ces pays, qui
                   sont vite devenus des amis et dont beaucoup sont                  Je n’ai volontairement pas abordé la question de sa-
                   restés fidèles à l’Organisation. Cette nouvelle orien-         voir si la nationalité suisse est un avantage ou un han-
                   tation, comme le développement du dialogue et des              dicap pour une carrière internationale. Y répondre
                   activités communes avec des pays non membres, no-              nécessiterait de confronter plusieurs expériences pour
                   tamment la Chine, furent très motivants.                       éviter des jugements subjectifs. Dans tous les cas, ma
                                                                                  conclusion est d’encourager les jeunes Suisses à s’enga-
                      Cela m’amène à souligner l’enrichissement personnel         ger dans les institutions internationales, même si cela
                   que représentent l’animation d’une équipe multicultu-          comporte des risques. « Les Suisses dans le monde »,
                   relle et multidisciplinaire, et les contacts permanents avec   dont Penthes illustre l’histoire, ont su sortir de leurs
                   les pays membres, autorités et acteurs professionnels.         frontières et prendre des risques…
                   Traiter de l’alimentation et de l’agriculture exige des
                   contacts personnels avec tous les acteurs professionnels
16 | La Lettre de Penthes
ARTICLE     |

 Profession :
 avocat-conseil
                     Jean Russotto, né à Montreux, avocat et docteur en droit de l’Universi-
                     té de Lausanne, est diplômé du Collège d’Europe à Bruges et de la
                     Harvard Law School ; il a débuté sa carrière professionnelle au Dépar-
                     tement de justice du Canton de Vaud et l’a poursuivie en tant que
                     conseiller juridique au siège principal de Nestlé à Vevey. Depuis 1972,
                     Jean Russotto est établi en Belgique, où il compte parmi les personna-
                     lités les plus en vue de la petite communauté des Suisses qui ont fait des
                     relations entre la Suisse et l’Union européenne leur spécialité. Associé
                     dans la grande étude d’avocats américaine Steptoe & Johnson LLP, Me
                     Russotto représente, entre autres, l’Association suisse des banquiers au-
    Entretien avec
Me Jean Russotto,
                     près des institutions européennes. Il signe régulièrement des articles
         Bruxelles   dans la presse suisse sur les relations de la Suisse avec « Bruxelles ».

 M. RUSSOTTO, NOUS N’ALLONS PAS – UNE FOIS                    COMME POUR LES DIPLOMATES, CE TRAVAIL A
 N’EST PAS COUTUME – DISCUTER DES HEURTS ET                   DONC UNE DOUBLE FACE : « COMPRENDRE ET
 MALHEURS DES RELATIONS ENTRE LA SUISSE ET                    FAIRE COMPRENDRE », ÉCOUTER ET PARLER. AU
 L’UNION EUROPÉENNE, MAIS DE VOTRE TRAVAIL                    VOLET DE L’ÉCOUTE ET DE L’ANALYSE, LA RÉCOLTE
 DE REPRÉSENTANT D’IMPORTANTES SOCIÉTÉS                       D’INFORMATIONS AUPRÈS DES SERVICES DE
 SUISSES AUPRÈS DES INSTITUTIONS EURO -                       L’UNION RESTE-T-ELLE DIFFICILE ?
 PÉENNES À BRUXELLES. APRÈS UNE LONGUE CAR-
 RIÈRE SOUS LA BANNIÈRE D’AVOCAT-CONSEIL,                        En effet, ce métier a deux facettes : obtenir l’infor-
 QUELLE EST DONC L’ESSENCE DE VOTRE TRAVAIL ?                 mation des services compétents est souvent malaisé.
                                                              L’administration européenne est vaste et les responsa-
    Tout d’abord : comprendre, en détail, les activités       bilités sont réparties parmi un grand nombre d’ac-
 des sociétés qui nous consultent et les objectifs qu’elles   teurs. Parfois, la transparence n’est pas immédiate ;
 visent auprès des institutions européennes. C’est es-        d’où la difficulté de tracer, par exemple, les contours
 sentiellement un travail de défrichage et parfois de         et l’état présent d’une proposition législative qui peut
 décryptage ; il est suivi de la rédaction d’un document      affecter une société cliente.
 sur la nature du problème et les objectifs à atteindre,
 document auquel le client peut donner son accord. Il
 s’agit ensuite de présenter l’essentiel, juridiquement et
 souvent économiquement, aux instances européennes :
 Commission, Conseil, Parlement.

                                                                                                                  La Lettre de Penthes   | 17
| ARTICLE

                   À CE MÊME VOLET S’AJOUTE UNE TÂCHE DIDAC-                    COMMENT UN AVOCAT-CONSEIL TRAVAILLE-T-IL
                   TIQUE VIS-À-VIS DE CEUX QUI VOUS DONNENT UN                  AU PARLEMENT EUROPÉEN ?
                   MANDAT : VOS CLIENTS VOUS LISENT-ILS, VOUS
                   ÉCOUTENT-ILS, AGISSENT-ILS CONFORMÉMENT À                       Côtoyer un parlementaire européen doit se faire
                   VOS CONSEILS ?                                               dans le même esprit. Souvent, avant même d’aborder
                                                                                « politiquement » un dossier, certaines questions qui se
                      Le client est traditionnellement pressé et dispose        présentent au client doivent être abordées avec l’assis-
                   d’un temps limité pour s’entretenir avec son conseiller.     tant du député. Certes, le parlementaire a, par défini-
                   Il aime recevoir une analyse succincte, toujours ac-         tion, un rôle politique ; mais en tant qu’organe législa-
                   compagnée de recommandations concrètes. Le client            tif, le Parlement européen doit aussi aborder et
                   ne s’embarrasse pas de la recherche juridique ou du          maîtriser de nombreux aspects très techniques.
                   détail des contacts pris, car il part de l’idée que ce
                   travail a été accompli de manière professionnelle ; ce       SOUVENT, DE TRÈS GRANDES ENTREPRISES MULTI-
                   qui lui importe, c’est la logique de fond. Et il n’est pas   NATIONALES PRÉFÈRENT ORGANISER LA DÉFENSE
                   rare que le client, pour des raisons commerciales et/ou      DE LEURS INTÉRÊTS EN SOLO ; DE PLUS PETITES
                   tactiques, décide de choisir finalement une autre voie       UTILISENT PLUS VOLONTIERS LES SERVICES DE
                   que celle recommandée…                                       L’ASSOCIATION FAÎTIÈRE NATIONALE, VOIRE EURO-
                                                                                PÉENNE DE LEUR BRANCHE ; QU’EST-CE QUI EST LE
                   VENONS-EN AU VOLET DE LA DÉFENSE D’INTÉRÊTS                  PLUS EFFICACE ?
                   – QUI S’APPARENTE AU LOBBYISME ET QUI PEUT,
                   DANS L’ESPRIT DE BEAUCOUP DE GENS, PRÉSEN-                      Les deux approches sont valables. Il faut toujours
                   TER UNE CERTAINE AMBIGUÏTÉ. CE TRAVAIL SE                    vérifier si, en l’espèce, l’adage qui veut qu’on ne soit
                   FAIT-IL, COMME LE VEUT LE CLICHÉ, AU RESTAU-                 jamais mieux servi que par soi-même est applicable ; il
                   RANT – BRUXELLES EN CONNAÎT D’EXCELLENTS ! –                 y a de nombreux exemples où la société doit s’effacer
                   SUR LE TERRAIN DE GOLF, OU PLUTÔT DANS LES                   et laisser parler d’autres interlocuteurs, telle une asso-
                   BUREAUX DES COMMISSAIRES OU FONCTION-                        ciation européenne ou encore un cabinet externe.
                   NAIRES SPÉCIALISÉS ?
                                                                                QUELLES SONT LES RELATIONS ENTRE LE REPRÉ-
                      Un avocat spécialisé en droit européen se doit de         SENTANT D’INTÉRÊTS PRIVÉS ET LA MISSION
                   connaître personnellement un grand nombre de res-            SUISSE AUPRÈS DE L’UNION EUROPÉENNE QUI RE-
                   ponsables à tous les niveaux afin de s’assurer que tous      PRÉSENTE LE CONSEIL FÉDÉRAL ?
                   les aspects d’un dossier ont été couverts. La tradition
                   qui voudrait qu’un dossier soit conclu dans le confort          Les sociétés suisses abordent la Mission suisse à
                   d’un restaurant est, en effet, plus un cliché que le re-     Bruxelles avec confiance. Elles savent que nos diplo-
                   flet de la réalité. Par ailleurs, le fonctionnaire euro-     mates sont efficaces, sérieux et soucieux d’écouter les
                   péen est tenu par des engagements éthiques, qui l’em-        entreprises, notamment quand celles-ci rencontrent
                   pêchent parfois de déjeuner, voire même de rencontrer        des difficultés. Toutefois, logiquement, les diplomates
                   un consultant sur l’un ou l’autre dossier. Sur le long       ne peuvent pas assurer la représentation du secteur
                   terme, la clé de la réussite réside toujours dans la qua-    privé. Les diplomates conseillent et éclairent le débat ;
                   lité du travail accompli au sein même du cabinet de          les experts externes, dont l’avocat-conseil, incarnent
                   l’avocat-conseil.                                            en revanche des intérêts particuliers et assurent la mise
                                                                                en œuvre d’une stratégie.

18 | La Lettre de Penthes
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