LA TRADUCTION GÉNÉRALE : UNE SPÉCIALITÉ - LE MAGAZINE D'INFORMATION DES LANGAGIERS - BANQ
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LE MAGAZINE D’INFORMATION DES LANGAGIERS Numéro 110 • Hiver 2011 www.ottiaq.org LA TRADUCTION GÉNÉRALE : UNE SPÉCIALITÉ Envoi de publication canadienne convention numéro 1537393
POUR COMMENCER Changement et relève : Circuit se renouvelle N O 110 HIVER 2011 Sur le vif 4 Le Congrès de l’OTTIAQ ; la saison des prix ; dixième colloque du Réseau des traducteurs et Yolande Amzallag, trad. a. traductrices en éducation. Échappées sur le futur. C ircuit commence l’année sous le signe du renouveau. Comme vous le constaterez dès les premières pages, nous avons quelque peu remanié le format de la revue pour accueillir une nouvelle chronique. À l’ordre du jour À l’ordre du jour 6 est une tribune de réflexion et d’analyse sur les enjeux de nos professions. La Pour inaugurer cette nouvelle chronique inaugurale résume d’emblée les grandes lignes du plan stratégique chronique, une entrevue avec le président de l’OTTIAQ, qui incite de l’OTTIAQ dans une entrevue que le président de l’Ordre, François Abraham, a accordée à les traducteurs à « prendre leur Anne-Marie Mesa. Le rôle des langagiers, leur place sur le marché, la reconnaissance de leurs place ». compétences et la formation de la relève sont autant d’enjeux qui influent sur nos modes de pratique, mais sur lesquels nous pouvons aussi exercer une influence. Au lieu de subir le changement, il s’agit de reconnaître que nous en sommes les principaux acteurs et de prendre Notes et contrenotes 8 la place qui nous revient. Les impondérables de la langue. Le thème de ce premier numéro de 2011 peut paraître paradoxal, mais comme vous le découvrirez à la lecture du dossier, la question mérite d’être posée, à savoir : faut-il considérer la traduction générale comme un domaine de spécialité ou comme une compétence de base ? Dossier 9 La notion de « traduction générale » recouvre autant de réalités qu’elle soulève de questions. En cette ère de spécialisation, À tel point que, pour mieux la cerner, les copilotes de ce dossier, Philippe Caignon et Éric qu’advient-il de la traduction Poirier, ont mené une enquête auprès des écoles et départements de traduction canadiens générale ? Circuit a constaté qu’elle est bien en vie et qu’elle pour déterminer la place qu’occupe la traduction générale dans les cursus actuels. Il s’avère est là pour rester. que, malgré les pressions du marché dans le sens de la spécialisation, la traduction générale conserve sa « légitimité théorique » en tant que discipline de base incontournable, en particulier dans le contexte de la mondialisation du savoir. Ce qui n’exclut pas, comme le montrent nos auteurs, qu’on en fasse une spécialité à part entière. Les lecteurs de Circuit Des livres 21 “The Best Job in the World”. seront nombreux à se reconnaître dans les portraits que brossent les collaborateurs à ce Les nouveautés. dossier. Pour ma part, j’en conclus que la tâche complexe du traducteur échappe aux définitions restrictives et au cloisonnement qu’imposent les technologies. Fort heureusement, le facteur humain règne encore dans nos professions, et la traduction générale peut se concevoir à la fois comme une compétence transversale et comme une spécialité. Des techniques 23 La technologie évolue sans cesse. Fidèles au rendez-vous trimestriel, nos chroniqueurs nous ouvrent des fenêtres sur le Que nous réserve l’avenir virtuel ? vaste univers de notre pratique et n’hésitent pas à en dépasser les limites pour nous Réflexions d’un spécialiste de la divertir, nous dépayser et nous inspirer. Au menu de ce numéro, des nourritures riches et linguistique informatique. variées, qui alimentent… justement… notre culture générale. Enfin, le vent du changement souffle aussi dans ma vie et me pousse à renoncer à la direction de Circuit pour me consacrer à d’autres projets personnels. Le présent numéro Des mots 24 marque la fin de mon mandat et c’est sous la conduite de Betty Cohen que Circuit poursuivra Partonymie, holonymie, méronymie, sa destinée. Je tiens à remercier ici tous les membres du comité de rédaction de leur subsomption… quelques relations peu usitées. généreuse collaboration à Circuit, et de la confiance qu’ils m’ont témoignée tout au long de mon mandat. Je remercie aussi de leur confiance les dirigeants bénévoles et professionnels de l’OTTIAQ, ainsi que les membres de la permanence pour leur solide soutien à la publication de Circuit. Pages d’histoire 25 Je vous souhaite à tous une année de croissance et d’épanouissement, sur tous les plans. Rafael Pombo, grande force de la littérature enfantine colombienne, était également reconnu pour la qualité de ses traductions.
Publié quatre fois l’an par l’Ordre des traducteurs, SUR LE VIF terminologues et interprètes agréés du Québec CHRONIQUE DIRIGÉE PAR EVE RENAUD Congrès 2010 de l’OTTIAQ – 2021, avenue Union, bureau 1108 Un congrès résolument tourné vers l’avenir Montréal (Québec) H3A 2S9 Tél. : 514 845-4411, Téléc. : 514 845-9903 Courriel : circuit@ottiaq.org Si des mots comme Facebook, Twitter, Flickr et jugement du professionnel, la plus-value de Site Web : www.ottiaq.org LinkedIn vous sont inconnus, vous êtes dé- celui qui sait. Vice-présidente, Communications — OTTIAQ passé. C’est en tout cas l’impression que cer- Tout de même, comment répondre à tous Betty Cohen Directrice tains participants au dernier congrès de les besoins, traiter les volumes de plus en plus Yolande Amzallag l’Ordre ont probablement eue dès la confé- grands et les contrats de plus en plus gros ? Rédactrice en chef rence d’ouverture. Placé sous le thème Ten- À cela nos conférenciers ont répondu « l’union Gloria Kearns dances, perspectives, stratégies, le congrès fait la force ». Si notre profession se prête par- Rédaction Philippe Caignon (Des mots), Pierre Cloutier ne pouvait en effet ignorer les médias sociaux, ticulièrement bien à l’exercice en solitaire, (Pages d’histoire), Lucille Cohen (secrétaire), qui prennent une place de plus en plus grande jusqu’ici en tout cas, le jour viendra où, pour Marie-Pierre Hétu (Des techniques), Didier Lafond (Curiosités), Solange Lapierre (Des livres), Nils Lovgren, dans notre vie. Les médias sociaux, certes, concurrencer les multinationales de la tra- Barbara McClintock, Éric Poirier, Eve Renaud (Sur le mais pas n’importe lesquels. Et il semble que duction, il nous faudra nous regrouper et en- vif ), Sébastien Stavrinidis (Des revues) LinkedIn soit celui qui conviendrait le mieux trer à notre tour dans la bataille, en faisant va- Dossier Barbara McClintock et Solange Lapierre aux professionnels qui désirent étendre leur loir, justement, notre statut de professionnel. Ont collaboré à ce numéro réseau et accroître leur clientèle par le bouche Et pourquoi ne pas avoir le meilleur des deux Stéphanie Beaulieu, Christian C. Després, à oreille… ou le clavier à écran ! mondes en exploitant le virtuel pour créer des Robert Dubuc, Marco A. Fiola, Grant Hamilton, Margaret Jackson, Lisanne Lawton, Danièle Marcoux, Mais en dehors du virtuel, que nous réserve regroupements ? Tout est possible à condition Anne-Marie Mesa, Paula Andrea Montoya Arango, l’avenir… de bien concret cette fois ? Soyons de choisir la bonne structure juridique. Steve Pettigrew rassurés, notre profession n’est pas près de Pour répondre à la demande, il faut aussi Direction artistique, éditique, prépresse et impression Mardigrafe disparaître. La demande, au contraire, ne former la relève. Pour cela, les deux extrémi- Publicité cesse de croître. Selon certaines statistiques, tés d’une carrière doivent se rejoindre. À sa- Catherine Guillemette-Bédard, OTTIAQ la profession ne peut répondre, à l’échelle voir, que les chevronnés, avant de prendre Tél. : 514 845-4411, poste 225 • Téléc. : 514 845-9903 mondiale, qu’à une infime partie des besoins leur retraite, planifient la transition et pré- Droits de reproduction Toutes les demandes de reproduction doivent être de traduction. Et si les mémoires et autres ou- parent soigneusement la suite pour leur acheminées à Copibec (reproduction papier). tils permettent de traiter le tout-venant et clientèle s’ils veulent tirer le fruit de leur Tél. : 514 288-1664 • 1 800 717-2022 licenses@copibec.qc.ca l’existant, il reste que le savoir de l’humanité longues années de labeur ; et que les jeunes Avis de la rédaction ne cesse de s’étendre et que, d’Aristote à diplômés acquièrent toutes les connais- La rédaction est responsable du choix des textes Einstein, les grands savants n’auraient jamais sances et aptitudes requises pour prendre publiés, mais les opinions exprimées n’engagent que les auteurs. L’éditeur n’assume aucune responsabilité dépassé les frontières sans la traduction. cet avenir à pleines mains et y mordre à en ce qui concerne les annonces paraissant dans Circuit. Est-ce à dire que l’avenir du traducteur profes- pleines dents. Et si les uns prennent la peine © OTTIAQ Dépôt légal - 4e trimestre 2010 sionnel est en haut de la pyramide du savoir, de transmettre leur savoir, ils permettront Bibliothèque et Archives nationales du Québec Bibliothèque et Archives Canada car c’est là que ses compétences seront le plus aux autres de prendre la place qu’ils méri- ISSN 0821-1876 utiles ? Oui. Mieux encore, il devrait se placer tent, en plein milieu — et plutôt vers le som- Tarif d’abonnement au centre de cette pyramide, de façon à bien met — de la pyramide. Membres de l’OTTIAQ : abonnement gratuit Non-membres : 1 an, 40,26 $ ; 2 ans, 74,77 $. Étudiants remplir son rôle de passeur, en apportant le Betty Cohen, trad. a. inscrits à l’OTTIAQ : 28,76 $. À l’extérieur du Canada : 1 an, 46,01 $ ; 2 ans, 86,27 $. Toutes les taxes sont comprises. Chèque ou mandat-poste à l’ordre de « Circuit OTTIAQ » (voir adresse ci-dessus). Cartes de crédit American Express, MasterCard, Visa : www.ottiaq.org/publications/ circuit_fr.php Dixième colloque du Réseau des traducteurs Deux fois lauréat du Prix de la meilleure publication nationale en traduction de la et traductrices en éducation Fédération internationale des traducteurs. Du 21 au 23 octobre 2010, le Réseau Il vise à harmoniser la terminologie des traducteurs et traductrices en de l’éducation dans les deux langues éducation (RTE) a tenu son dixième officielles du pays « dans le respect colloque à Cornwall et en a profité de la diversité et de la complexité de pour célébrer ses 25 ans d’existence. ses systèmes éducatifs et de leur hé- C i r c u i t • H i ve r 2 0 1 1 Ce réseau est formé de langagiers ritage linguistique1 ». 100 % PC travaillant soit pour des employeurs Les colloques du RTE ont lieu en Imprimé sur papier recyclé 30 % postconsommation (couverture) privés ou publics, soit à leur compte. moyenne tous les deux ans et le À vérifier prochain numéro et 100 % postconsommation (pages intérieures), fabriqué avec des fibres désencrées sans chlore, à partir d’une énergie récupérée, le biogaz. 4
La saison des prix L’automne est la saison qui braque les pro- Du français à l’anglais, Linda Gaboriau est numéro 99 de Circuit. Mme Simon a par ailleurs jecteurs sur les travailleurs de l’ombre que récompensée pour sa traduction de Forêts, signé un ouvrage intitulé Traverser Montréal. nous sommes et sur toutes les personnes qui pièce de Wajdi Mouawad devenue en anglais Une histoire culturelle par la traduction, qui a font rayonner leur langue. Encore une fois Forests, publiée par Playwrights Canada Press. été l’objet d’une critique dans le numéro 104. cette année, Circuit félicite les lauréats ! Détails au www.canadacouncil.ca/nouvelles/ On trouvera aussi dans le numéro 100 un ar- communiques/2010/lx129310227358016415.htm ticle de Mme Simon intitulé « Frank Scott et Prix littéraires du Gouverneur général Anne Hébert : convergences et divergences de Le Conseil des Arts du Canada et le gouverneur Prix de traduction des Amis de McGill la lettre et de l’esprit ». général ont créé ces prix en 1936 pour rendre Ce prix, « remis annuellement à l’étudiant ou Prix du Québec hommage à la littérature canadienne. Le volet à l’étudiante ayant obtenu les meilleurs résul- Décernés depuis 1977, les Prix du Québec ré- traduction a été ajouté en 1987. tats pour l’ensemble du certificat offert dans le compensent des acteurs de la scène culturelle Alors que chez les auteurs, de grands noms cadre du programme de traduction », a ré- et du monde scientifique. comme Marie-Claire Blais et Dany Laferrière compensé en juin dernier Emily Salmins, Cette année, le Prix Georges-Émile-Lapalme, étaient en lice, en traduction, des habitués sont d’abord assistante juridique, rédactrice, en- « accordé à une personne ayant contribué de revenus au tableau d’honneur des finalistes. seignante et désormais traductrice du français façon exceptionnelle, tout au cours de sa car- Lori Saint-Martin, trad. a., et Paul Gagné à l’anglais. rière, à la qualité et au rayonnement de la étaient de nouveau en nomination, cette fois Tous les détails au http://francais.mcgill.ca/ langue française parlée ou écrite au Québec2 » pour Filthy Lucre : Economics for People Who channels/announcements/?channels=translation a été remis à Lise Bissonnette, fondatrice de la Hate Capitalism, de Joseph Heath, présenté en _studies Grande Bibliothèque du Québec (aujourd’hui français sous le titre Sale argent : petit traité Bibliothèque et Archives nationales du Québec). d’économie à l’intention des détracteurs du ca- Prix Acfas – André Laurendeau En entrevue avec Le Devoir, Mme Bissonnette pitalisme aux Éditions Logiques, ainsi que pour Le prix Acfas – André Laurendeau a été créé en s’est dite enchantée de ce prix associé au rayon- Les Troutman volants, traduction publiée chez 1986, en l’honneur d’André Laurendeau, grand nement de la langue française, qui est « le com- Boréal et acclamée par le jury de ce roman que éditorialiste et humaniste. Il récompense une bat de sa vie ». Mme Bissonnette fait partie Miriam Toews a fait paraître sous le titre The personne travaillant dans le domaine des d’un jury littéraire, tient une chronique à la radio Flying Troutmans. sciences humaines. et tente de terminer un doctorat en lettres à En lice également : Claudine Vivier, pour sa Le prix 2010 a été décerné à Sherry Simon, l’Université de Montréal3. traduction du roman Wolf Rider (L’exode des professeure titulaire au Département d’études loups), de Sharon Stewart, et Sophie Voillot, françaises de l’Université Concordia et auteure Prix de la Quebec Writers’ Federation déjà plusieurs fois finaliste, cette année pour de plusieurs ouvrages sur la traduction, disci- La QWF a institué ses premiers prix en 1988 et Le Cafard (Boréal), qui traduit Cockroach, de pline dont elle a fait « un élément essentiel du ajouté un prix de traduction dix ans plus tard, Rawi Hage. C’est Sophie Voillot qui a remporté domaine des études culturelles1 ». Pierre pour un total de six catégories : œuvre d’ima- la palme. Cloutier nous a présenté Mme Simon dans le gination, œuvre non romanesque, premier ouvrage, poésie, traduction et littérature jeu- nesse. Les prix, de 2000 $ chacun, sont remis Précision Clarification en novembre. Cette année, le prix de traduction, L’article de Liedewij Hawke mentionné Liedewij Hawke’s article mentioned in financé par la Cole Foundation, a récompensé dans l’introduction du dossier du Barbara McClintock’s introduction to Paule Champoux, pour sa traduction, sous le numéro 109 de Circuit sera publié No. 109 will be published in an titre Québec, ville du patrimoine mondial, de ultérieurement. upcoming issue of Circuit. Quebec, World Heritage City, de David Mendel. Prix John-Glassco L’Association des traducteurs et traductrices programme élaboré par le Comité Édith Masson et par Hubert Mansion, littéraires du Canada (ATTLC) décerne chaque organisateur est toujours pertinent. ainsi que la table ronde sur les recti- année le prix John-Glassco à l’auteur d’une pre- Ainsi, les ateliers de formation sur la fications orthographiques à laquelle mière traduction littéraire publiée sous forme stylistique comparée et sur l’utilisa- ont participé Clara Fox, Dolores Tam de livre. En 2010, le prix a été remis à Louis tion d’Antidote HD, donnés respecti- et Michèle Péloquin étaient intéres- Bouchard et Marie-Élisabeth Morf pour vement par Maurice Rouleau de sants, instructifs et clairs. En D’ailleurs (Héliotrope), leur traduction fran- Magistrad et par Dolores Tam de somme, le colloque était une belle çaise de Fremdschläfer, roman écrit en alle- Druide informatique, les confé- réussite. mand par Verena Stefan. rences traitant du dictionnaire qué- Philippe Caignon, term. a., trad. a. Pour en savoir plus : www.attlc-ltac.org C i r c u i t • H i ve r 2 0 1 1 bécois Franqus et du français d’Amé- Eve Renaud, trad. a. rique, présentées respectivement par 1. Source : www.acfas.ca/prix/2010/pages/simon_sherry.html 1. Tiré du site du RTE à l’adresse suivante : 2. www.prixduquebec.gouv.qc.ca/prix-culturels/index.html? Hélène Cajolet-Laganière et Chantal- www.rte-nte.ca/ index.fr.stm. prixquebec 3. Source de la citation et de l’information : Le Devoir, 14 novembre 2010, page F3. 5
À L’ O R D R E DU JOUR CHRONIQUE DIRIGÉE PAR BETTY COHEN Prendre sa place Dire que notre profession évolue sans cesse devient une rengaine. Mais comment réagissons-nous et que fait l’OTTIAQ pour y répondre? C’est à ces questions que tâchera de répondre cette toute nouvelle chronique de Circuit que vous retrouverez désormais dans chaque numéro. Pour l’inaugurer, nous avons voulu brosser un tableau des grandes préoccupations de l’heure et des moyens envisagés pour y répondre. Nous sommes donc allés aux sources. Dans une entrevue accordée à Anne-Marie Mesa, François Abraham présente les principaux axes du plan stratégique de l’OTTIAQ et l’objectif ultime : prendre sa place et donner la leur aux professionnels qui le composent. Par Anne-Marie Mesa, trad. a. P rendre sa place, c’est le titre du plan straté- gique 2009-2012 de l’OTTIAQ et c’est aussi le message que martèle son président, François l’OTTIAQ, présentée lors de la journée de forma- tion continue jumelée au congrès 2009. « L’inté- de la confidentialité d’un bout à l’autre du projet », déclare le président, qui considère ces gration du traducteur au cycle de la production, outils comme un avantage concurrentiel pour Abraham, trad. a. Selon lui, les membres doivent les recommandations de modifications au texte les membres. prendre leur place, c’est-à-dire faire connaître de départ découlant de l’analyse préalable à la leur valeur ajoutée, s’affirmer comme des profes- traduction, l’uniformisation de la terminologie Conscient des pressions exercées par les grands sionnels à part entière, jouer pleinement leur rôle des documents originaux et traduits ainsi que acteurs de l’industrie, dont le Bureau de la de partenaire linguistique et d’affaires et partici- l’adaptation de la traduction au traduction, pour inciter les four- per à la valorisation de leur profession. Pour les public cible sont des exemples nisseurs à se regrouper et ainsi soutenir, l’OTTIAQ continue à enrichir son volet du rôle-conseil qu’exerce le tra- La notion de rôle-conseil diminuer le nombre de sous- services aux membres, suit de près les travaux ducteur agréé et de sa valeur est fondamentale traitants, l’OTTIAQ a demandé à entourant la Norme sur les services de traduc- ajoutée », précise M. Paquette1. et devrait être inculquée ce même groupe de travail tion, rencontre les universités afin d’influer sur le d’étudier les diverses formes ju- aux étudiants dès le début contenu de la formation de la relève et poursuit Le président croit que la notion ridiques de regroupements qui de leur formation. ses négociations avec l’Office des professions du de rôle-conseil est fondamentale permettraient notamment aux Québec concernant les actes réservés et la pro- et devrait être inculquée aux étu- traducteurs autonomes d’accep- fession d’interprète en milieu social. diants dès le début de leur forma- ter des mandats plus volumi- tion. Il a d’ailleurs demandé au Comité de la neux et de partager des ressources tout en Se positionner formation de préparer un argumentaire afin de conservant leur autonomie. promouvoir ce rôle auprès des universités. De comme professionnel plus, il a l’intention de rencontrer les directeurs Ces outils de soutien à la pratique s’inscrivent Pour le président de l’Ordre, « le propre d’une des départements de traduction pour discuter dans le volet service aux membres qui est cher bonne traduction c’est d’être invisible, mais ce de l’intégration de cette notion dans tous les à François Abraham : « L’OTTIAQ est le plus n’est pas une raison pour que le traducteur le programmes. important regroupement de traducteurs au soit. S’il ne montre pas qu’il est un spécialiste Canada. Il nous représente, il doit avoir une de la langue et de la communication écrite, per- Des outils pour mieux composante associative. Ce n’est pas du tout in- sonne ne va le faire pour lui. Le membre doit compatible avec notre mission première qui est porter fièrement son titre, se positionner comme prendre sa place la protection du public. Au contraire, aider les professionnel auprès de ses clients, exercer un Selon François Abraham, le mandat de protec- membres à améliorer leur pratique profession- rôle de conseiller et de partenaire linguistique et tion du public passe entre autres par le soutien nelle et d’affaires, c’est aussi ça protéger faire connaître ses services. Le traducteur n’est aux membres dans l’exercice de leur profession. le public. » pas qu’un simple exécutant. Son rôle ne se C’est pourquoi il a créé le Groupe de travail sur C i r c u i t • H i ve r 2 0 1 1 limite pas au transfert linguistique. » le développement d’outils de soutien aux membres, qui se penche notamment sur les mé- L’importance de la formation François Abraham fait notamment référence à la canismes de sécurisation de la transmission de La qualité de la pratique repose notamment sur réflexion amorcée par Réal Paquette, trad. a. et données et de protection des données sauvegar- la formation initiale et sur la formation continue. vice-président aux affaires professionnelles de dées. « Être professionnel, c’est aussi se soucier Or, les employeurs se plaignent du fait qu’au 6
sortir de l’université, les étudiants ne sont pas teur incontournable. Dans mes rencontres avec l’interprétation de conférence, judiciaire et com- prêts à intégrer le marché du travail. « Ce sont l’AILIA, j’insiste sur le fait que les travailleurs au- munautaire, en réservant les titres correspon- de futurs praticiens, leur formation doit être plus tonomes sont un élément essentiel de l’industrie dants ; 3) d’accorder aux membres une réserve axée sur la pratique. Cela ne peut qu’améliorer de la langue », déclare le président. d’actes pour la certification des traductions offi- leur employabilité. Nous devons nous asseoir cielles2. L’OPQ a demandé à l’OTTIAQ d’étoffer le avec nos partenaires universitaires et voir ce qui Toutefois, l’influence de l’OTTIAQ serait plus dossier, notamment parce qu’il souhaite en étu- peut être fait en ce sens », affirme le président grande si sa représentativité était meilleure. Au- dier les conséquences avant de statuer. Pour ce de l’Ordre. jourd’hui, 6 000 personnes déclarent exercer le qui est de la reconnaissance des interprètes en métier de traducteur au Québec, mais seule- milieu social, l’OPQ voudrait que l’OTTIAQ déter- Quant à la formation continue, il n’exclut pas ment environ 2 000 sont agréées. « L’union fait mine clairement la formation nécessaire à l’exer- l’idée de la rendre obligatoire, comme l’ont fait la force, nous invitons donc les traducteurs non cice de cette profession. Le groupe de travail d’autres ordres. « Les traducteurs, terminologues membres à déposer une demande d’agrément. responsable de la rédaction du mémoire s’est et interprètes doivent se tenir à jour et sans Ensemble, nous pourrons influer sur nos condi- donc remis au travail afin d’approfondir les cesse élargir leurs connaissances. Nous sommes tions de travail », soutient-il. points qui posent problème. prêts à diversifier l’offre de cours pour tenir compte des besoins de nos membres. N’hésitez Impossible de parler de conditions de travail pas à nous indiquer ce qui vous intéresse », sans aborder la question de la stagnation des La relève déclare François Abraham. Plusieurs formations tarifs dans certains cas. « Une partie de la solu- La relève est un autre grand enjeu auquel pourraient donner lieu à des crédits, même si tion consiste à se positionner comme profes- l’OTTIAQ est confronté. « Notre défi, c’est de ne elles sont offertes par d’autres organismes. sionnel, à jouer son rôle de conseiller et de pas perdre les étudiants entre le moment où ils L’OTTIAQ envisage aussi d’établir des partena- partenaire linguistique. Les clients sont prêts à reçoivent leur diplôme et celui où ils obtiennent riats avec certains ordres professionnels pour payer s’ils ont l’impression d’en avoir pour leur l’agrément. S’ils ne passent pas par le mentorat, qu’ils offrent des cours spécialisés dans leur do- argent. Il faut expliquer notre valeur commer- ils doivent attendre deux ans avant de pouvoir maine. François Abraham estime qu’un membre ciale, valoriser notre profession », insiste Fran- présenter une demande. L’Ordre va devoir ren- qui diversifie ses connaissances et qui les tient à çois Abraham. C’est l’objectif du Groupe de forcer sa présence auprès d’eux. Nos ambassa- jour est mieux armé pour faire face à l’évolution travail sur la valorisation des professions qui est deurs ont un rôle important à jouer, ils peuvent de sa profession. chargé d’élaborer des recommandations. Le notamment nous donner de la rétroaction sur la groupe fera le lien avec le Comité des communi- perception que les étudiants ont de nous. » S’adapter à la réalité cations. « La priorité de l’OTTIAQ, c’est les com- munications. Il faut se faire connaître pour se De la rétroaction, le président de l’OTTIAQ en du marché faire reconnaître. Nous sommes des profession- réclame haut et fort : « Nous sommes à votre Le président considère qu’un des rôles de nels ; nous devons le faire savoir au grand écoute. Non seulement nous n’avons pas la pré- l’OTTIAQ est d’aider ses membres à s’adapter à public, aux médias et aux donneurs d’ouvrage », tention de tout savoir, mais vos idées enrichissent la réalité du marché. et il a donc l’intention de affirme le président. notre travail. Communiquez avec nous, participez suivre de près les travaux de l’Association de l’in- à la vie de l’Ordre, nous avons besoin de béné- dustrie de la langue (AILIA) relatifs à la Norme voles, prenez votre place ! », conclut-il. CAN/CGSB-131.10-2008 sur les services de tra- Le titre et la réserve d’actes duction. « Une des raisons pour lesquelles nous Par ailleurs, en mars 2009, l’OTTIAQ présentait C i r c u i t • H i ve r 2 0 1 1 avons décidé de participer aux discussions en- un mémoire à l’Office des professions du 1 . Le r ô l e - c o n s e i l d u t ra d u c t e u r : c o n t ra i n t e o u va - l e u r a j o u t é e ? A c c e s s i b l e d a n s l a Fo r m a t h è q u e tourant l’élaboration de la Norme, c’est pour Québec (OPQ) dans lequel il demandait : 1) de w w w. o t t i a q . o rg / f o r m a t i o n _ c o n t i n u e / d e t a i l s Fo r- nous assurer que l’agrément ferait partie des réserver les titres de traducteur, terminologue et m a t i o n _ f r. p h p ? i d = 1 9 2 2 . D e m a n d e d e m o d i f i c a t i o n d e s t a t u t e t d e r é s e r ve conditions de la certification. Il nous semblait es- interprète aux seuls membres de l’Ordre ; 2) de d ’ a c t e s p ro f e s s i o n n e l s p r é s e n t é e l e 5 m a r s 2 0 0 9 sentiel de nous positionner comme un interlocu- reconnaître les trois types d’interprétation, soit à l ’ O f f i c e d e s p ro f e s s i o n s d u Q u é b e c , p. 2 1 7
NOTES ET CONTRENOTES CHRONIQUE DIRIGÉE PAR EVE RENAUD Les impondérables de la langue Eve Renaud, trad. a. (Canada) Q ue vous parliez du bout des lèvres ou de la langue, entre vos dents, sans mâcher vos mots une autre, surtout si les mouve- ments musculaires nécessaires sont trop différents. ou « à travers votre chapeau », Le « th » anglais est un exemple comme seuls peuvent le faire les bien connu. Le « r » roulé — terme anglophones1 ; que vous parliez af- qui déjà se prononce très difficile- faires, chiffons ou politique ; ment pour peu qu’on roule, juste- afrikaans, chinois ou polonais, ment — en est un autre. Si vous le vous exercez pour ce faire les dix- maîtrisez, voici une méthode très sept muscles de la langue. Vous simple pour aider un ami moins avez bien lu : dix-sept muscles doué. Il suffit de lui expliquer que le s’activent pour nous aider à déglu- « r » roulé (qui s’oppose comme tir, mastiquer et parler. chacun sait au « r » uvulaire, lequel Si la déglutition est une suite de est produit par l’action de la luette mouvements naturels et pratique- contre le dos de la langue) est une ment inconscients, la parole est en consonne alvéolaire (c’est-à-dire s’échappe que par la bouche), cen- par le locuteur après deux occlu- revanche une série de manipula- articulée en plaçant la pointe de la trale (puisque l’air passe au-dessus sions et une raréfaction d’air. tions linguales apprises. C’est langue contre la crête alvéolaire du milieu de la langue plutôt que par Mais ce n’est pas tout : une pourquoi un adulte qui n’a parlé des dents), voisée (puisque les les côtés), que l’on prononce grâce à même langue peut utiliser vingt clics qu’une seule langue pendant cordes vocales vibrent pendant l’ar- un flux d’air égressif pulmonaire différents ! Pour une belle démon- longtemps aura du mal à en parler ticulation), orale (parce que l’air ne (puisqu’on l’articule en poussant l’air stration, voyez http://videos.lefi par les poumons et à travers le con- garo.fr/video/iLyROoafIkJp.html (il duit vocal plutôt qu’au moyen de la vous faudra patienter un peu pen- glotte et de la bouche). Si votre ami dant la publicité préalable). On peut n’y arrive toujours pas, changez de aussi entendre quelques clics de la 䡬 Échappées sur le futur fréquentation : il est de mauvaise foi. langue xhosa dans le film Les Dieux Il existe par ailleurs des idiomes sont tombés sur la tête. 8 – 10 mars 2011, La Havane (Cuba) — VIIe Colloque sur la qui sollicitent la langue de manière Qui sait si cette gymnastique traduction, l’interprétation et la terminologie : « La traduction : très différente. Ce sont les fasci- linguale ne provoque pas une inci- un monde en constante évolution ». www.ottiaq.org/email/PDF/ nantes langues à clics qui, contraire- dence anormalement élevée de inscription_cuba2010.pdf. ment à ce qu’on pourrait croire, ne luxations, claquages, ou contrac- sont pas parlées par les souris. On les tures des muscles de la langue. 8 – 10 mars 2011, Moncton (Nouveau-Brunswick, Canada) — entendra en Afrique, sauf une, en Toute cette musculature est in- Translation in Contexts of Official Multilingualism. Pour infor- Australie, qui n’est plus utilisée que nervée par deux nerfs appelés mation : Gillian Lane-Mercier, Gillian.lane-mercier@mcgill.ca et pour des cérémonies rituelles. Les grands hypoglosses. Ceux-ci se Denise Merkle, denise.merkle@umoncton.ca clics sont des consonnes produites retrouvent chez les oiseaux (qui leur 8-9 avril 2011, Monterey (Californie, É.-U.) — Monterey par la formation d’un appel d’air vers doivent leur chant), chez les pois- Forum 2011, Innovations in Translator, Interpreter and Localizer le conduit vocal, au contraire de nos sons et chez les mammifères. Chez Education. http://go.miis.edu/montereyforum consonnes à air expulsé, « dont l’humain, les grands hypoglosses l’émission se caractérise par une dou- doivent activer une toute petite 12 – 14 août 2011, Catskill Mountains (Maplecrest, New York) — ble occlusion […]. La première occlu- langue d’environ 60 g. Songez à « Style in Translation » Training Conference. Pour traducteurs sion est formée soit par les lèvres, ceux de la baleine bleue, qui doivent anglais-français ou français-anglais. http://translateinthecatskills. soit par le contact établi entre la agiter quelque 2 700 kilos de wordpress.com. langue et les dents ou le palais dur ; langue ! Heureusement, la brave 26 – 29 octobre 2011, Boston (Massachusetts, É.-U.) — la seconde occlusion est réalisée par bête s’exprime autrement. Je ne Annual Conference of the American Translators Association (ATA), l’élévation de la langue vers le voile voudrais pas être dans les parages www.atanet.org/conferencesandseminars/future_sites.php du palais. La détente articulatoire, qui pendant la phase égressive s’il fal- succède à la raréfaction de l’air se lait qu’elle roule ses r ! C i r c u i t • H i ve r 2 0 1 1 27 – 29 octobre 2011, Bordeaux (France) — XXXVIIe Congrès produisant entre les deux occlusions, de la Société française de littérature générale et comparée 1 . Pa rc e q u e l ’ e x p re s s i o n e s t u n a n g l i - engendre un bruit de claquement c i s m e , b i e n s û r e t n o n p a rc e q u e l e s (SFLGC) : Traduction et partages : que pensons-nous devoir trans- caractéristique2. » a n g l o p h o n e s s o n t p a r t i c u l i è re m e n t mettre ? www2.tolk.su.se/1107-12.html#27_okt_Bordeaux p o r t é s à l e f a i re ! J’imagine sans peine, en effet, la 2. Grand Larousse Universel, 1995, « détente articulatoire » éprouvée tome 4, sous « clic ». 8
DOSSIER LA TRADUCTION GÉNÉRALE : UNE SPÉCIALITÉ La traduction générale, qu’est-ce au juste ? E n cette ère de grande spécialisation, voire d’hyperspécia- lisation, à laquelle n’échappe pas la traduction, Circuit a voulu examiner la situation de la traduction générale. La pratique-t-on de nos jours sous une forme ou sous une autre ? Le cas échéant, s’agit-il d’un véritable créneau ou plutôt d’une fonction moribonde à laquelle s’adonnent encore quelques illu- minés isolés ? La vérité, comme c’est souvent le cas, se situe quelque part entre ces extrêmes. Plus concrètement, comment la pratique-t-on encore en cabinet et en entreprise ? Y a-t-il des ressources utiles en ce domaine ? Plutôt que d’assister, impuissants, aux derniers soupirs d’une vieille garde en mal d’action et de défis, force est de constater que la traduction générale est bien en vie et qu’elle est là pour rester dans les multiples facettes et pratiques de la tra- duction. Son dynamisme étonne, sa légitimité théorique nous instruit et nous ne pouvons qu’applaudir ceux et celles qui la font vivre, qui en vivent et qui nous livrent ici leur témoignage honnête et poignant. C’est donc avec plaisir que nous vous offrons ce dossier. Les auteurs — administrateurs, universitaires et praticiens — s’unissent pour partager leur point de vue, leurs connaissances et leur expérience. Ainsi, Marco A. Fiola propose une réponse aux questions « qu’est-ce que la traduction générale ? » et « qu’est-ce qu’un traducteur généraliste ? ». Danièle Marcoux pré- Par Éric Poirier, trad. a. et Philippe Caignon, trad. a., term. a. sente les résultats d’une enquête de Circuit sur la place de la formation générale à l’université. Christian Després montre la façon dont la traduction générale permet d’éviter certains écueils de la spécialisation. En comparant les traductions produites par Google Translate et par un généraliste, Grant Hamilton explique la raison pour laquelle le généraliste est supérieur à la machine. Stéphanie Beaulieu témoigne du quotidien d’une généraliste travaillant en cabinet et nous présente une partie de son carnet d’adresses. Lisanne Lawton fait la démonstration de l’importance de la culture générale et, enfin, Robert Dubuc précise le rôle que joue le termino- C i r c u i t • H i ve r 2 0 1 1 logue auprès des traducteurs généralistes. N’hésitez pas à nous faire part, vous aussi, de votre expérience, et à nous donner votre avis sur la question et sur le dossier. Bonne lecture… et bonne réflexion ! 9
DOSSIER LA TRADUCTION GÉNÉRALE : UNE SPÉCIALITÉ La traduction générale n’est pas ce qu’on pense… en général G énéralement, qui dit « traduction générale » dit « traduction bas de gamme », c’est-à-dire tra- duction à moindre coût, comme en témoignent les générale, il y a vraiment autant de bonnes traductions possibles que de traducteurs. La traduction générale s’oppose à la traduction L’auteur tente de tarifs souvent inférieurs de cette typologie de textes, spécialisée et les textes qui la caractérisent sont soit démêler l’écheveau comparativement aux textes dits spécialisés, tech- des textes de vulgarisation (d’expert à non-experts), niques ou scientifiques. Mais est-il juste d’associer soit des textes par lesquels des non-experts commu- terminologique qui ainsi la traduction générale à une pratique moins niquent entre eux. caractérise encore exigeante ? Pour tenter de répondre à cette question, voyons en quoi consiste la traduction générale. notre profession et la formation des L Qu’est-ce que la traduction générale ? e généraliste, c’est le traducteurs. Il essaie traducteur chevronné Pour définir le concept, il faut se pencher sur la no- de départager deux tion de traduction, sachant que lorsqu’on parle de tra- qui passera d’un domaine appellations qui duction, il peut s’agir de la profession, de l’opération à un autre avec aisance. ou du résultat de cette opération. Or, lorsqu’il est peuvent porter à question de traduction générale, on ne parle ni de la Ses connaissances des confusion. profession, ni de la méthode, mais bien de la nature domaines de spécialité des textes de départ et d’arrivée, plus précisément du se caractérisent par lectorat. En effet, le texte général peut porter sur des sujets de pointe, mais parce qu’il s’adresse à un lec- leur envergure plutôt torat de non-spécialistes, donc à un lectorat général, que par leur profondeur. il est rédigé à l’aide d’un vocabulaire et d’une phra- séologie non spécialisés, ou encore d’un vocabulaire spécialisé accompagné de notes explicatives. Il ne faut pas croire pour autant que les textes qui intéressent le public en général sont dénués de tout sujet : ils portent tous sur quelque chose. Toutefois, étant donné que le texte général ne s’adresse pas à par Marco A. Fiola un lectorat spécialisé, il tend à être moins dense sur Même si le contenu cognitif du texte général se le plan terminologique, c’est-à-dire qu’il est plus près veut abordable pour tous, le travail de traduction n’est de la langue générale que le texte spécialisé, donc pas pour autant aisé, car la forme du texte général est, plus facile à appréhender d’emblée. C’est cette ca- à sa façon, conventionnée et contraignante. Certains ractéristique qui fait qu’on le trouve souvent au menu membres de l’OTTIAQ se souviendront de la nature des des cours d’initiation à la traduction, et c’est ce qui fait textes généraux utilisés par le Conseil des traducteurs, qu’on a souvent tendance à croire qu’il s’agit d’une terminologues et interprètes du Canada pour les exa- forme de traduction facile. Or, si l’on enseigne d’abord mens d’agrément. En effet, chaque genre textuel, qu’il la traduction générale dans les écoles de traduction, s’agisse d’un article journalistique ou d’une lettre, ce n’est pas qu’on la considère comme étant inférieure comporte sa part de formules attendues dans la à la traduction spécialisée : on procède ainsi parce langue d’arrivée. Par exemple, mentionnons la ten- que cette approche permet à l’étudiant de s’appro- dance des anglophones à remercier deux fois les prier progressivement une méthode de travail, et que destinataires de leurs lettres de remerciement, une la traduction générale a ceci de particulier qu’elle première fois au début, et une seconde avant la for- C i r c u i t • H i ve r 2 0 1 1 laisse l’étudiant se concentrer sur l’appréhension du mule de salutation. Cette façon de faire est étrangère sens, sans devoir pour autant produire un texte au protocole épistolaire français. Un bon traducteur de répondant aux exigences d’une forme textuelle parti- textes généraux veillera à ce que le destinataire n’y culièrement contraignante. Contrairement à ce qui voie que du feu et ne soupçonne nullement la pré- se passe en traduction spécialisée, en traduction existence d’un original anglais. 10 M a r c o A . F i o l a e s t p ro f e s s e u r a g r é g é e t d i re c t e u r d u D é p a r t e m e n t d e f ra n ç a i s e t d ’ e s p a g n o l d e l ’ U n i ve r s i t é Rye r s o n d e To ro n t o , o ù i l e n s e i g n e l a t ra d u c t i o n .
Qu’est-ce qu’un traducteur phraséologie et le lexique spécialisés au besoin, et être familier de la forme habituelle des textes ana- généraliste ? logues, rédigés directement dans la langue du texte Le traducteur généraliste se définit en fonction de d’arrivée. sa capacité à travailler des textes issus d’une variété Qui dit « texte général » ne dit pas pour autant de domaines. Il s’oppose au traducteur spécialisé « texte facile ». En effet, il n’est pas rare que les textes pour qui il est possible, ou préférable, de travailler de vulgarisation regorgent de références faites à dans un éventail limité de domaines, voire dans une d’autres textes, de jeux de mots ou à de référents cul- seule spécialité. Le généraliste, c’est le traducteur turels qui nécessitent du traducteur une riche culture chevronné qui passera d’un domaine à un autre avec générale. En outre, il n’est pas certain qu’un traduc- aisance. Ses connaissances des domaines de spé- teur spécialisé soit le plus apte à traduire les textes de cialité se caractérisent par leur envergure plutôt que vulgarisation de son domaine de spécialité. Il a beau par leur profondeur. Pour faire une analogie, le pia- être expert de navigation maritime, s’il ne sait pas niste de concert est au traducteur spécialisé ce que reconnaître l’allusion littéraire de la phrase « Call me l’homme-orchestre est au traducteur généraliste. Ishmael », il est perdu. Chaque pratique fait appel à une virtuosité qui lui La traduction générale est-elle plus facile que la est propre. traduction spécialisée, donc mérite-t-elle une rému- nération inférieure ? À mon avis, tout comme la notion de qualité, celle de difficulté est toute relative. En rai- Et alors ? son de l’espace limité qui m’est accordé ici, je me Outre l’équivalence d’effet du contenu, c’est contenterai de soutenir qu’à mon avis « qualité » et dans la recherche des formes attendues que réside « difficulté » ont comme point de convergence la ges- la difficulté de la traduction. En effet, pour produire tion du risque et que l’on ne peut justifier la tarifica- une traduction de qualité, il faut à la fois connaître tion différentielle qu’en fonction de l’effort nécessaire le sujet dont il est question, pour pouvoir activer la au travail de traduction… en général. La qualité se traduit par Ernst & Young. Ernst & Young translates quality. Pierre Caron, Associé / Partner Services de traduction / Translation services pierre.caron@ca.ey.com ey.com/ca C i r c u i t • H i ve r 2 0 1 1 © 2010 Ernst & Young s.r.l./S.E.N.C.R.L. Tous droits réservés. © 2010 Ernst & Young LLP. All rights reserved. 11
DOSSIER LA TRADUCTION GÉNÉRALE : UNE SPÉCIALITÉ Generally speaking, it’s not that easy! “What could be hard about translating for the On the other hand, French-speaking tourists were general public,” thought the naïve young trans- unlikely to be enticed by a promise of experiencing lator. “I can do that. It’s not nuclear physics.” “small-town Québec.” Many of them probably already lived in a small town in Quebec. “Old town” was also Indeed. At our office we are generalists who trans- a miss for the same reason. late for the general public, and no text about nuclear The human translator realized these differences physics has ever come our way. We do “easy” stuff, and adjusted the text accordingly. He or she added like ads your mom might read. Coupons. Speeches. value by doing what no machine could ever do—think. Road closing notices. Public vaccination campaign an- Which brings us to a general conclusion about gener- nouncements. It’s so easy, a machine could probably alists and why it can be so hard to be one: they add by Grant Hamilton, C. Tr. do it… or could it? value as writing style specialists, not subject matter Let’s take a sentence and see. Here’s one I spotted specialists. in a promotional brochure for a town in the Laurentians: Generalists think and worry about how the mes- sage will be received. They ponder the tone, the style, A Arpentez la rue principale et découvrez la the connotation. They ask questions that computers nature amicale et chaleureuse des résidents. never ask: Do the words roll off the tongue? Is every- Sounds like a general sort of text, easy thing tight and crisp? Does the text say the right thing general conclusion to translate. This is what Google Translate for its audience? They even wonder about presenta- about generalists and suggests: tion: Should I suggest the use of bold, of italics? Their subject matter and audience may vary widely from why it can be so hard Stroll the main street and discover the warm text to text, but their focus is always on style and to be one: they add and friendly nature of residents. readability. value as writing style Pretty impressive, I’d say. That tough “ar- “Sounds challenging—and fun,” thought the in- pentez/stroll” match was quite the feat for a specialists, not subject trigued young translator, “but I’ll probably never machine. Google did, however, stick closely get the chance to show creativity like that.” matter specialists. to the form of the French sentence (“the warm and friendly nature of residents”) in- Not so fast! Opportunities to think and be creative stead of saying, for instance, how warm and arise in the most unlikely places, so these are great friendly the residents are, and it slipped up a skills to have, even for specialists. Here’s a quote that bit with its lack of definite article in front of proves it, from a dry-as-dust brief on the provision of residents (which ones are we talking about, municipal recreational services: the ones who live on the street or all residents every- where?), but overall it did very well. Les temps sont venus de privilégier un mode de ges- Now let’s take a look at what the actual living, tion des infrastructures innovant, basé d’une part sur breathing translator wrote: la connaissance, la planification, la performance et, d’autre part, sur la mobilisation, la concertation, le Soak up the cozy friendliness of small-town Québec partenariat. with a walk through the old town. It looks like something a translator could zip right through by writing: The time has come to favor an in- “Wow,” thought the suddenly pensive young novative infrastructure management mode based on translator, “I like that, but it doesn’t say quite the one hand on knowledge, planning, and perfor- the same thing as the French.” mance and on the other hand on mobilization, coop- Exactly. It’s not the same, and that’s the point. The eration, and partnership. Google Translate suggests living, breathing translator knew that English-speaking this: The time has come to favor a management in- visitors to the town were not quite the same as French- frastructure innovative, based in part on knowledge, speaking ones. They had different perspectives, dif- planning, performance and, secondly, on the mobi- ferent expectations. They noticed different things. So lization, policy dialogue, partnership. it made sense to say different things to them. They In reality, the quick-and-dirty first version and the C i r c u i t • H i ve r 2 0 1 1 would want to “soak up” the atmosphere—the unique Google version are not hugely different. Google put architecture, the quaint shops, the way everything “innovative” in the wrong spot, forgot the word looked and felt a little bit different. They would also “mode,” and struggled with the definite article (the probably appreciate strolling around the picturesque mobilization? which mobilization?), but these are “old town.” things that a post editor can rectify in a jiffy. 12 G ra n t H a m i l t o n i s t h e f o u n d e r a n d p re s i d e n t o f A n g l o c o m I n c . , a Q u e b e c C i t y t ra n s l a t i o n a n d c o p y w r i t i n g a g e n c y. T h e 2 0 0 9 w i n n e r o f ATA’s A l i c i a G o rd o n A w a rd f o r Wo rd A r t i s t r y i n Tra n s l a t i o n i s a p o p u l a r w o r k s h o p p re s e n t e r i n b o t h C a n a d a a n d t h e U n i t e d St a t e s .
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