Le littoral picard et le changement climatique - N 23 - LPBS
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Le littoral picard et le changement climatique N° 23 Mars 2011
p. 01 L’écologie n’échappe pas à la crise Éditorial de Jacques Mortier p. 03 Le changement climatique : une réalité de l’ère « anthropocène » Jacques Mortier p. 06 Changement climatique : changement de paysages ? Jacques Mortier p. 09 Émergence de la notion de vulnérabilité dans la politique de prévention des risques naturels Jacques Mortier p. 10 La côte picarde concernée par « l’adaptabilité » au changement du climat p. 12 Le désensablement de la baie de Somme en question… Vincent Bawedin p. 18 Les journées de la mer à Saint-Valery-sur-Somme Jean-Marc Hoeblich p. 20 Stratégie nationale pour la mer et les océans Jacques Mortier p. 22 Le schéma régional de cohérence écologique Jacques Mortier, Jean-Marc Hoeblich p. 26 En bref p. 27 L’évolution du tourisme sur la côte picarde : un révélateur d’une dérive préoccupante ? Yves Le Diascorn p. 30 Témoignage d’un pêcheur de la baie sur l’évolution de quelques espèces de poissons Gérard Montassine p. 33 Vers une deuxième colonie de phoques en baie de Somme. Le phoque gris s’installe Philippe Thiéry p. 38 Les directives régionales d’aménagement s’élaborent Jacques Mortier p. 39 Qu’est devenu le développement durable aujourd’hui ? Jacques Mortier Bulletin de l’Association pour le littoral picard et la baie de Somme. ISBN 978-2-913583-139 Site internet : http://www.lpbs.net/ Directeur de la publication : Jacques Mortier. Réalisation : centre régional de documentation pédagogique de l’académie d’Amiens.
É ditorial L’écologie n’échappe pas à la crise Jacques Mortier S i, pour la société française, le de l’adaptation au changement climatique Grenelle de l’Environnement a et déclinera un ensemble de mesures à été un progrès, une réussite, et ce prendre aux différents niveaux de décision malgré les obstacles dressés par les lob- visant à diminuer notre vulnérabilité. bies et nombre de parlementaires, depuis Dans le cadre du réchauffement atmos- 2007 l’image de ce qui était annoncé phérique, la décision de « faire entrer l’adap- comme le « new deal écologique » s’est tation dans toutes les décisions publiques » affaiblie, s’est brouillée. Avec l’aban- montre bien que le manque d’un véritable don de promesses, les renoncements, la intérêt des politiques face à ce problème crise… ressurgit la vision obsolète qui crucial nous amène, maintenant, à subir veut faire croire que l’écologie a seule- un réchauffement inéluctable. On sait ment un coût et que vouloir se passer aujourd’hui, que, quoi qu’on fasse, d’ici de la croissance nécessite de se passer de 40 ans, la température augmentera en l’écologie. Les problèmes d’environne- France entre 0,8° et 1,8 °C et peut-être ment sont relégués de nouveau au second plus et, si l’on continue à ne rien faire, plan ; l’écologie n’a pas résisté au rejet du de 1,5 à 4 °C d’ici 2100. ministre de l’Économie toujours très Mais on ne peut s’adapter que si l’on hostile à la dynamique du Grenelle de sait où l’on va. Or nous sommes dans l’Environnementqui s’est vidé peu à peu un contexte d’incertitudes quant aux de sa substance. événements climatiques à venir. Même Quelles seront les marges de manœuvre si la recherche peut parfois accroître ces d’un ministère de l’Écologie qui a perdu incertitudes et non les réduire, les études son statut de ministère d’État et qui a été et les observations sont plus que jamais amputé de toute compétence sur la Mer, nécessaires pour connaître les menaces l’Aménagement du territoire, l’Urbanisme, possibles et évaluer à la fois leur probabilité les Technologies vertes et surtout l’Énergie ? d’occurrence et l’ampleur des dommages Notre nouvelle ministre, Nathalie encourus pour ne pas céder à l’angoisse Kosciusko-Morizet, dès son arrivée, a et au désarroi de celui qui navigue à vue. annoncé que dans six mois la France aura Il faut que soient établis les scénarios cli- son « plan d’adaptation au changement matiques régionaux qui permettront de climatique ». Des « mesures concrètes, proposer des projections d’actions et surtout opérationnelles et chiffrées » devront être d’informer le citoyen sur les possibles « immédiatement mises en œuvre ». Le événements climatiques à venir. document exprimera le point de vue de L’action des pouvoirs publics ne doit l’État sur la manière d’aborder la question plus se limiter aux situations de crise.
2 Pour le littoral picard et la baie de Somme – no 23 Une réf lexion doit être engagée sur le critiques seront peut-être des situations long terme et il est indispensable de créer, normales demain. Il est impératif, en revi- au plus vite, une vision largement parta- sitant les plans de prévention des risques gée grâce à une meilleure information et d’inondation (PPRI) et en s’appuyant sur concertation à tous les niveaux. la réglementation existante, de prendre en L’émergence de la notion de vulnérabi- compte les événements que nous réserve lité dans la politique de gestion des risques le futur. naturels (page 9) oblige à concilier « La France sera un des premiers pays responsabilité, socialisation et prévention. à avoir élaboré un plan d’adaptation » La recherche d’un point d’équilibre entre dit-on, mais attention, dans un pays de responsabilité de l’administration et celle « grands diseux mais de tchots foeseux 1 », comme des citoyens doit se faire collectivement. disent les Picards, de ne pas rechuter sur Le littoral picard, Cayeux en particulier, le plan écologique ! n’échappe pas à cette nouvelle gestion du territoire (page 10). Sachant que des 1. Se dit de personnes qui parlent beaucoup mais situations regardées aujourd’hui comme agissent peu.
3 Le changement climatique : une réalité de l’ère « anthropocène 1 » Jacques Mortier Depuis le début du xxe siècle, les activités des sociétés humaines changent notre environnement. L es activités humaines modifient la dominantes. L’émergence de cette nou- composition chimique de l’atmos- velle ère est la conséquence essentielle du phère 2, favorisent l’érosion de sur- conf lit entre la croissance sans limite de faces importantes qui deviennent des la civilisation industrielle et la finitude déserts, rejettent des déchets radioactifs de notre planète, conf lit qui rompt des qui irradieront pendant des millénaires équilibres naturels, d’une manière brutale. et accumulent des milliards de tonnes de Les bouleversements climatiques détritus plus ou moins toxiques que l’on dominent aujourd’hui très fortement retrouve souvent dans les zones produc- toutes les perturbations anthropiques tives des océans, introduisent des poisons et posent à tous les niveaux de décision dans les chaînes alimentaires, provoquent politique des problèmes difficiles à régler directement ou non la baisse de la biodi- parce qu’inédits et urgents. Pour lutter versité… Tous ces traumatismes envi- contre le changement climatique, tous les ronnementaux vont s’accompagner des politiques ont une responsabilité énorme, conséquences inconnues de manipula- à l’instar de ceux qui se sont trouvés face tions biologiques imposées ou encore de à l’imminence d’une guerre. l’intrusion des nanoparticules. L’humanité est l’acteur majeur L’ère anthropocène de la crise climatique Nous sommes entrés ainsi depuis Si la pollution de l’air était déjà d’actua- quelques siècles dans ce que certains scien- lité dans les villes dès l’Antiquité, elle s’est tifiques appellent l’« ère anthropocène », depuis accentuée. Ainsi l’air londonien en époque géologique nouvelle 3 où l’impact 1808 « est un mélange de brume marécageuse, de l’homme sur le système terrestre est de fumée de cheminée, de particules de charbon devenu majeur devant toutes les autres et de crottin de cheval pulvérisé » ; « l’enfer est forces géologiques et naturelles jusqu’alors une ville qui ressemble beaucoup à Londres ». À cette époque les conséquences de ces 1. Terme employé par Crutzen et Stromer (2000, pollutions étaient locales. Aujourd’hui Geological Society of London Geological Society of London, la situation est différente car l’humanité 2008). dans son ensemble, tout au moins les 2. La modification de l’atmosphère n’est pas nouvelle, mais comme pour la biodiversité, ce qui est nouveau pays industrialisés, est devenue l’acteur c’est la vitesse avec laquelle elle s’effectue aujourd’hui. majeur de la crise climatique globale de 3. Selon les auteurs le début de cette période qui ferait la planète par les gaz à effet de serre et suite à l’holocène commencerait avec l’apparition de l’agriculture, soit il y a environ 10 000 ans, ou avec c’est la totalité des populations qui en l’Antiquité… est la victime.
4 Pour le littoral picard et la baie de Somme – no 23 – La consolidation de la perception scien- tiquement acceptables s’accélère et nous tifique de cette catastrophe annoncée malgré allons être obligés de prendre sur le court quelques soubresauts chez certains en mal terme des décisions majeures pour le long de notoriété, semble confirmée. Mais les terme. La précipitation dans la peur peut choses sont moins claires en ce qui concerne mener à des dérives. les actions entreprises ou à entreprendre Faut-il rappeler que si nous tardons face à ce défi, sur les plans international, à prendre des résolutions dans le cadre national, régional, local. Il est vrai que la d’une « révolution douce », la démocratie modélisation dont les limites sont liées à ne pourra s’adapter faute de temps, de l’accumulation de facteurs d’incertitude concertations, et de débat ? La situation tels que l’effet « papillon », le rôle des risque d’entraîner un glissement vers des océans… rend l’élaboration de scénarios méthodes totalitaires. futurs fort délicate. Toutefois, même si De même, l’apprentissage par la peur de nombreuses incertitudes persistent dans le processus de sensibilisation au quant à l’amplitude des phénomènes, un changement climatique (heuristique de certain niveau de changement climatique la peur) peut mener aux états d’excep- est désormais inévitable et réclame, au tion. Le discours catastrophique est une plus vite, que des actions soient prises préparation à la soumission anticipée et à pour s’y adapter, comme cela se fait déjà l’adhésion à la puissance bureaucratique aux Pays-Bas. qui affirmerait assurer la survie collective par la contrainte. Le politique n’a pas pris en compte La situation impose l’émergence l’ampleur du problème d’accords consensuels en matière de poli- Depuis le rapport du sénateur Marcel tique. Le changement climatique qui Deneux (2002) et celui de Nathalie rend caduc le clivage moderne jusqu’alors Kosciusko-Morizet (2006), depuis que imposé entre société et nature, devrait Lionel Jospin et Jean-Pierre Raffarin être une opportunité politique menant ont solennellement engagé notre pays les sociétés à surmonter leurs divergences dans la voie du « facteur 4 1 », seules des pour promouvoir leurs intérêts communs. modifications de détail ont été proposées. Malheureusement, la réaction du poli- Nous sommes encore dans une phase de tique a beaucoup tardé et traîne encore, mesurettes essentiellement prises, d’ailleurs, du sommet de la Terre à Rio en 1992 à dans le cadre d’économies d’énergie ou du celui de Cancun en 2010 (16e réunion qui développement des sources énergétiques a peut-être « sauvé le processus mais pas le renouvelables. Le politique semble n’avoir climat »). Les décisions demeurent pour pris conscience, ni de l’urgence, ni de l’essentiel normatives et restent tributaires l’ampleur du problème, ni du fait que la d’une logique de marché ; de plus les actes révolution à accomplir doit se faire en ne suivent pas les paroles. une génération. La réduction du temps Si une gouvernance mondiale (agir pour élaborer des dispositions démocra- globalement) s’impose compte tenu que c’est l’humanité tout entière qui est menacée 1. D’ici 2050, diviser par 4 l’émission nationale du et que c’est à ce niveau que doit se mettre niveau 1990 des gaz à effet de serre dioxyde de car- en place le principe de « la responsabilité bone, méthane, protoxyde d’azote essentiellement. À noter que la vapeur d’eau, l’ozone, de nombreux gaz d’origine industrielle qui ne sont pas pris en compte.
Le changement climatique : une réalité de l’ère anthropocène 5 commune différenciée 1 », les États ont un L’État doit sortir de sa crise d’identité rôle important à jouer dans la mesure où et arrêter de se désengager petit à petit de c’est au niveau national que s’élaborent toute responsabilité. les lois et que se trouvent les moyens La mise en place d’une véritable gou- d’assurer la sécurité de la population. vernance demande un changement de Mais c’est au niveau local (agir localement) comportement des hommes politiques que va revenir l’essentiel de l’exécution qui doivent : des transformations indispensables. Et – être responsables et rester sourds la démocratie participative est ici le seul aux intérêts collectifs des lobbies ; espace où il peut y avoir espoir de décisions – être capables d’avoir une approche d’actions efficaces et appliquées grâce à la holistique et d’abandonner toute myopie ; montée en puissance de l’implication de – accepter une réelle concertation la société civile. Les actions doivent être et le rôle important que peut jouer la issues de la délibération collective et non société civile ; résulter de la clairvoyance de quelques- – comprendre que les décisions issues uns. Les propositions réclament un débat de débats très larges et collectifs sont celles très large, éthique, politique et citoyen. qui sont les mieux appliquées. Les politiques dans le cadre de la lutte Une révolution contre le changement climatique, doivent dans les choix publics renoncer à tout dogme et idéologie et se Le rôle de l’État n’est évidemment préoccuper uniquement du devenir de pas nié, mais l’indispensable cohérence l’homme. des décisions à prendre face à ce pro- Le rôle de l’État n’est évidemment blème global oblige une révolution dans pas nié, mais l’indispensable cohérence les grands choix publics. Il faut admettre des décisions à prendre face à ce pro- que toutes les interactions d’ordre éco- blème global oblige une révolution dans nomique, industriel, sociétal, financier, les grands choix publics. Il faut admettre énergétique… que génère ce problème, que toutes les interactions d’ordre éco- imposent une transformation globale des nomique, industriel, sociétal, financier, politiques et de l’organisation de la société. énergétique… que génère ce problème, Le changement climatique porte en lui imposent une transformation globale des les grandes transformations politiques politiques et de l’organisation de la société. du début du x xi e siècle auxquelles les Le changement climatique porte en lui élites technico-administrative restent les grandes transformations politiques hermétiques. L’État doit transformer ses du début du x xi e siècle auxquelles les références, modifier ses valeurs, ses visions élites technico-administrative restent de l’avenir… Il s’agit d’un problème cultu- hermétiques. L’État doit transformer ses rel. Or actuellement l’État dérive vers un références, modifier ses valeurs, ses visions comportement généralisé de renoncement de l’avenir… Il s’agit d’un problème cultu- à toute ambition stratégique. rel. Or actuellement l’État dérive vers un comportement généralisé de renoncement 1. Chaque pays n’a pas le même degré de responsabi- à toute ambition stratégique. lité dans le changement climatique, il ne doit donc pas L’État doit sortir de sa crise d’identité avoir les mêmes contraintes quant aux émissions de gaz à effet de serre (distinction entre pays développés et arrêter de se désengager petit à petit de et pays en voie de développement). toute responsabilité.
6 Pour le littoral picard et la baie de Somme – no 23 – La mise en place d’une véritable gou- – comprendre que les décisions issues vernance demande un changement de de débats très larges et collectifs sont celles comportement des hommes politiques qui sont les mieux appliquées. qui doivent : Les politiques dans le cadre de la lutte – être responsables et rester sourds contre le changement climatique, doivent aux intérêts collectifs des lobbies ; renoncer à tout dogme et idéologie et se – être capables d’avoir une approche préoccuper uniquement du devenir de holistique et d’abandonner toute myopie ; l’homme. – accepter la réelle concertation et le rôle important que peut jouer la société civile ; Changement climatique : changement de paysages ? Jacques Mortier Malgré trente années d’études, les conséquences du changement climatique sont encore très incertaines en ce qui concerne les phénomènes et leur amplitude. S i l’on stabilisait la concentration les décennies à venir est inéluctable, de en dioxyde de carbone de l’atmos- conjecturer certains événements pour phère aux valeurs actuelles (hypo- notre région. thèse irréaliste !), le réchauffement ne L’élévation du niveau de la mer estimée s’arrêterait pas du jour au lendemain, entre 28 et 43 centimètres d’ici 2100, mais la température n’augmenterait (sans compter que la hausse du niveau des que de 0,3 à 0,9 degré d’ici 2100. Les océans a été supérieure aux estimations réponses ne sont pas instantanées, elles de 2001, soit 3,3 mm/an au lieu de 1 mm/ interviennent avec un temps de décalage an), aura des effets sur le trait de côte, de l’ordre d’un à deux siècles voire plus. le f leuve Somme et les zones humides L’élévation du niveau de la mer due à la arrière-littorales. fonte des glaces, la dilatation de l’eau, la Des phénomènes d’immersion marine baisse de l’albédo en Arctique, le déga- se posent déjà actuellement lors de fortes gement de méthane lors du dégel des sols tempêtes associées à certaines conditions de la toundra, reste une inconnue et sera météorologiques. Il est à peu près certain différente selon les régions. Ce problème que ces situations vont se banaliser, voire engendrera des modifications environ- s’amplifier. Rappelons que les Bas-champs nementales. de Cayeux se situent à 4 mètres seulement Il est possible cependant, sachant que au-dessus du niveau 0 de la mer et que l’augmentation de la température dans l’on enregistre actuellement un marnage
Changement climatique : changement de paysages ? 7 d’environ 11 mètres face à Onival. Sera- nant une modification de la f lore et de t-il possible d’empêcher l’entrée définitive la faune du sol. de la mer dans le Hable d’Ault ? Les modifications saisonnières favo- • La surface immergée de la baie de riseront une remontée vers le nord des Somme, lors de chaque marée haute, va parasites de plantes cultivées et obligeront augmenter. peut-être à cultiver d’autres variétés. • Le f leuve Somme va réajuster pro- • L’évolution est déjà visible à travers gressivement son profil et il y aura donc l’expansion géographique de certaines accroissement des surfaces de marais, espèces. surtout dans la partie aval. La Pyrale du maïs remonte vers le • De fortes modifications du trait de nord et augmente son nombre de géné- côte sont à envisager avec immersion de rations annuelles (3 cycles). On constate certains secteurs qui devront être aban- le même phénomène chez le Carpocapse donnés à la mer. des pommiers et poiriers. Les contraintes • En ce qui concerne nos forêts, climatiques qui bloquaient le dévelop- l’élévation de la température va éliminer pement de la chenille processionnaire certaines essences qui seront remplacées (premier défoliateur forestier) sont peu par d’autres. à peu levées et sa remontée vers le nord Une augmentation de la croissance progresse d’environ cinq kilomètres par an, chez certains arbres est enregistrée depuis « les colonies atteindront Paris en 2025 ». quelque temps, chez les conifères en parti- Les observations concernent également culier et déjà certaines essences montrent les pucerons. « Si leur abondance n’a pas des signes d’affaiblissement qui annoncent progressé, c’est que peut-être leurs enne- leur disparition. Les forestiers font des mis naturels se sont eux aussi adaptés aux choix d’essences à préconiser pour leur nouvelles conditions » mais « c’est surtout remplacement : ainsi, le chêne pédonculé une augmentation de leur diversité qui est est remplacé par le chêne sessile. constatée » (169 espèces en 1982 contre Le hêtre, qui nécessite une atmos- 211 aujourd’hui). phère humide, supportera mal ou pas des La biodiversité va évoluer. Il y aura périodes de sécheresse, or nous avons de une modification de la composition f lo- superbes hêtraies dans notre région. Il ristique et faunistique. Une augmentation faut dès maintenant réf léchir à la forêt de 2 °C correspond à une remontée, d’ici picarde dans cent ans et choisir les espèces 2015, des aires de répartition des orga- à privilégier. nismes vivants de 300 à 400 kilomètres • L’agriculture elle aussi sera concer- (comme si on trouvait Bordeaux au niveau née. La modification des volumes et des de Paris). Si, pour les animaux, cela ne rythmes de pluviosité, l’augmentation de semble pas insurmontable, les plantes l’agressivité des chutes de pluie entraî- n’auront pas suffisamment de temps (la neront de graves phénomènes d’éro- vitesse de déplacement de la plupart des sion. Les phénomènes pluvieux de plus plantes est trop faible) pour répondre à en plus fréquents et violents pourront ces changements rapides. Même avec les endommager les cultures. Avec l’aug- trames vertes ! Pour les plantes aquatiques mentation de la température moyenne il y a moins de craintes. du profil cultural, la matière organique • En ce qui touche aux oiseaux, on va se dégrader plus rapidement, entraî- note déjà que de nombreuses espèces sont
8 Pour le littoral picard et la baie de Somme – no 23 – en déclin à cause du réchauffement : le volumes d’eau des nappes souterraines Pouillot fitis, le Bruant des roseaux, le resteraient suffisants, mais cela dépend Bouvreuil pivoine, la Mésange nonnette, de la pluviosité et surtout des quantités les Grives de Finlande, les Merles alle- de pluies efficaces. mands hibernent de moins en moins en • Sur le plan de la santé, le chan France. En revanche, le Bruant méla- gement climatique favoriserait l’appa- nocéphale qui niche en Turquie et en rition de nouveaux animaux vecteurs Grèce vient dans le sud de la France. de maladies localisées actuellement plus • La synchronisation entre les orga- au sud. nismes vivants et leur environnement Sans être alarmiste on peut dire que va être parfois bouleversée et le vivant les événements climatiques vont se mul- déboussolé. Normalement, au début du tiplier et que leurs conséquences vont printemps, l’apparition des chenilles de avoir un impact d’une façon variable et la Phalène brumeuse se fait au moment durable sur notre environnement. Mais du débourrement des feuilles du chêne les chercheurs misent sur une élévation dont elles se nourrissent et de la naissance de la température de 2 °C ; au-delà, la des oisillons de la Mésange charbonnière crainte d’un emballement de la machine qui mangent des chenilles. Tout cela s’est climatique n’est pas exclue. « Il y a 125 000 ajusté dans la nature durant des milliers ans la température moyenne était de 3 à 5° d’années. Désormais les chenilles appa- plus élevée qu’au xx e siècle et le niveau des raissent de plus en plus tôt : les feuilles de mers probablement de 4 à 6 mètres au-dessus chêne n’ont pas eu le temps de pousser et du niveau actuel. » les oisillons de naître. Les chenilles n’ont Les variations climatiques ne seront pas pas de feuilles à croquer et les oisillons similaires sur tout le territoire national. arrivent trop tard pour le festin. C’est ce Chaque région aura à penser son adaptabi- que le dérèglement saisonnier risque de lité en fonction d’événements climatiques provoquer dans les écosystèmes. spécifiques et de leurs conséquences qu’il Enfin le réchauffement pourrait favori- faut imaginer ; c’est le principe de précau- ser le développement d’organismes invasifs. tion qui doit être appliqué. • Les problèmes liés à l’eau sont plus hypothétiques. Il semblerait que les
9 Émergence de la notion de vulnérabilité dans la politique de prévention des risques naturels Jacques Mortier On parle de vulnérabilité pour une personne, un bien ou un système qui devient sensible, fragile, faible à la moindre atteinte, blessure ou attaque. Ce concept est utilisé en psychiatrie, économie, informatique, sociologie, anthropologie, géographie… D e pu i s 19 9 0 l a v u l né r a bi l it é rités publiques inséparable de celle de la s’impose progressivement comme préservation de l’ordre public. thème central de la politique de Le ministère de l’Écologie et du gestion des risques. En 1994, à Yokoama, Développement durable a souligné l’intérêt l’IDNDR (International Decade for Natural d’élaborer la cartographie des risques en se Disaters Reduction) confirme son rôle cen- fondant sur l’étude d’aléas, mais aussi sur tral au sein des recherches sur les catas- l’analyse de la vulnérabilité des territoires. trophes naturelles. Ceci va dans le sens d’une approche globale La notion de vulnérabilité rappelle qu’il multidimensionnelle du risque, de ses est difficile de limiter à la seule analyse conséquences, du territoire exposé, de ses de l’aléa la prévention d’un risque. Elle particularités géographiques, historiques implique la relation avec le territoire et et sociales. L’objectif est d’asseoir une oblige à prendre en compte la fragilité politique de gestion des risques naturels des enjeux, leurs faiblesses, leurs caracté- sur la réduction de la vulnérabilité, facteur ristiques propres, mais aussi les éléments d’aggravation des risques, même si ce fac- contextuels qui les rendent particulière- teur semble subjectif car il s’appuie sur des ment sensibles. caractérisations qualitatives qui peuvent La gestion des risques naturels repose engendrer des incertitudes, des erreurs. sur le constat d’une fragilité présumée La « territorialisation » du risque par- qui justifie un régime de prévention et ticipe à l’appropriation de la prévention de protection renforcée de manière à ce du risque naturel par tous les acteurs. que les entités vulnérables que sont les Elle sous-entend la responsabilisation personnes, les biens et les territoires, ne de la population, sa capacité à apporter subissent pas de dommage ou en subissent une réponse collective à la définition du de moindre. La vulnérabilité serait un risque acceptable et accepté et à définir critère d’intervention de la puissance le seuil en dessous duquel l’état de vul- publique au regard de la fragilité envisagée nérabilité relèverait de la responsabilité à l’échelle « macro » d’un territoire dans de chaque citoyen. Un certain nombre son ensemble et non plus à l’échelle de de mesures permet déjà de responsabiliser chaque individu ou groupe d’individus. les administrés et de les faire participer à Dans une société où l’aversion au risque la prise de décision (information, procé- est affichée, agir contre la vulnérabilité dures d’association, concertation, projet apparaît comme une mission des auto-
10 Pour le littoral picard et la baie de Somme – no 23 – d’aménagement et de développement juridique n’est pas clairement établie, durable dans les SCOT 1 et les PLU 2…). oblige à concilier responsabilité, socia- L’émergence de la notion de vulné- lisation et prévention. La recherche d’un rabilité dans la politique de gestion des point d’équilibre, en particulier entre risques naturels, même si sa traduction responsabilité de l’administration et celle des citoyens, relève avant tout d’un choix 1. SCOT : Schéma de cohérence territoriale. collectif. 2. PLU : Plan local d’urbanisme. La côte picarde concernée par « l’adaptabilité » au changement du climat Si tout le territoire picard est concerné par le changement climatique, le littoral picard, compte tenu de la proximité de la mer sera fortement affecté par l’élévation des températures et particulièrement exposé aux aléas. L es difficultés à identifier les effets – protéger les personnes et les biens indirects possibles, dues aux mécon- en prenant en compte la sécurité et la naissances des mécanismes naturels santé publique ; et de leur fonctionnement systémique, – se préoccuper des aspects sociaux nous renvoient au principe de précau- et éviter les inégalités devant les risques ; tion, dans le sens où les décisions à venir – limiter les coûts et tirer parti des risquent d’être provisoires et sujettes avantages ; à réévaluations en cas de nouvelles – préserver les ressources et le patri- connaissances. L’expertise scientifique moine naturels. n’est plus de la « science » quant à son Les décisions technocratiques impo- interprétation dans les zones d’incerti- sées ne sont plus envisageables. Les choix tudes et on assiste à une instrumentali- ne pourront se faire que par la concer- sation du droit de l’environnement pour tation ; les décisions ne peuvent plus se masquer l’incertitude scientif ique. Le prendre aujourd’hui dans l’isolement, elles droit cherche souvent, en effet, à lever les devront être élaborées collectivement. Si incertitudes naturelles en réglementant l’on souhaite construire une approche les risques naturels ou majeurs. Il nous démocratique, surtout dans l’incertitude faut changer totalement notre approche, du savoir, Il est donc essentiel d’organiser nos méthodes et nos outils de gestion un processus permettant la participation du territoire pour orienter au mieux les responsable de tous. Aussi est-il indis- actions d‘adaptation qui auront à : pensable dès maintenant d’informer le citoyen, sans faire de catastrophisme, afin
La côte picarde concernée par l’« adaptabilité » au changement du climat 11 de le responsabiliser, de le préparer à une qui nous concerne, ou d’un emballement concertation réelle dans le cadre d’une du cycle du carbone par la libération du plateforme d’aide à la prise de décision méthane emprisonné dans les glaces et respectant la démocratie représentative les sols gelés (une élévation de la tempé- en vigueur aujourd’hui. rature de 4° C. aurait des conséquences Les scénarios décrivant les événe- incomparables avec celles « bénignes » ments climatiques possibles à l’échelle d’une augmentation de 2° C. retenue locale, développés par Météo France en jusqu’alors). Mais nous devons néanmoins, particulier 1, doivent être, au plutôt, lar- dès demain, agir en nous appuyant sur les gement diffusés à tous, sous des formes connaissances d’aujourd’hui, sachant que compréhensibles par le public. Les éléments l’objectif du « risque nul » est chimérique. concernant la vulnérabilité et l’adaptation Les décisions vont s’appuyer sur les dépendent, en effet, essentiellement de actions possibles d’un point de vue « béné- ces études sur la variabilité climatique fice/coût » appréhendé au-delà de sa seule de fond mais aussi de ses extrêmes. Une signification monétaire. meilleure connaissance des événements, L’adaptabilité imposera de repenser de leur impact et de leurs conséquences est les choix récents en fonction de la nou- vitale pour comprendre notre vulnérabilité velle donne climatique, en évitant toute localement et répondre à un futur qui va confusion entre l’urgence et le long terme : évoluer rapidement. Il serait également choix qui devront prendre en compte intéressant de connaître les réf lexions dans le cadre des PPR 2 et des PAPPI 3*, stratégiques du Conservatoire du littoral. le recul du trait de côte, l’ouverture du Ne nous faisons guère d’illusions : les Hable d’Ault, la protection des zones contraintes financières et techniques seront urbanisées. telles que l’adaptation devra se traduire Il sera judicieux, d’ailleurs, de profiter dans certains cas par la nécessité d’un de ces aménagements pour tirer parti de recul stratégique, d’une soustraction de bénéfices potentiels et favoriser ainsi la parties du bord de mer à l’urbanisation et revitalisation locale du territoire. aux aménagements en dur, de l’abandon Bien sûr le concept de développement de territoire à la mer : zones devenant durable sera sollicité comme principe fon- inconstructibles, lieux habités parfois damental ; mais il ne faut pas oublier qu’il abandonnés – comme en Hollande –, s’agit d’un critère standard de jugement nécessité d’adapter les constructions en et que son contenu est à élaborer chaque les surélevant par exemple comme cela fois qu’on s’y réf ère. Il n’apporte pas de se fait déjà en Bretagne. Il est certain que solutions toutes faites mais oblige, au cours l’on ne pourra anticiper tous les risques de débats, si l’on souhaite l’acceptabilité possibles, même en occultant les impacts des différentes actions envisageables, à par exemple d’un affaiblissement du Gulf une réf lexion menant à des décisions Stream, de sa dérive nord-atlantique en ce raisonnables plutôt que rationnelles. 1. Institut Pierre Simon-Laplace (IPSL) ; Centre Européen de recherches et de formation avancée sur le calcul scientifique (Cerfacs)… Programmes de recherches européens Eclat, Prudence, Ensemble… 2. PPR : Plan de prévention des risques. Gestion et Impacts du changement climatique (Gicc). 3. PAPPI : Programme d’actions de prévention contre Voir aussi le site Internet de l’Onerc… les inondations (lancé en 2002).
12 Pour le littoral picard et la baie de Somme – no 23 – Le désensablement de la baie de Somme en question… Vincent Bawedin La question du désensablement de la baie de Somme préoccupe les hommes depuis longtemps. Les solutions avancées aujourd’hui pour lutter contre l’ensablement ne doivent pas se faire à n’importe quel prix. L e titre de cet article n’est pas sans submersible de Saint-Valery entre 1841 rappeler, ce n’est pas un hasard, et 1965. l’intitulé du colloque organisé Tout au plus pouvons-nous ralentir en novembre 1998 par notre associa- le comblement de la baie de Somme afin tion, avec le concours de l’université d’en maintenir le caractère maritime, qui de Picardie Jules-Verne : « La baie de devra, pour être effectif, ne pas se limiter Somme en question ». Il en avait d’ail- au simple maintien d’accès aux ports. leurs résulté des actes qui ont connu un C’est ce qu’ont fait les pouvoirs publics succès certain car ils apportaient déjà depuis plus de 150 ans, avec la création de nombreuses réponses aux interroga- de bassins de chasses, dont le premier, tions liées à l’ensablement de la baie de d’une superficie de 2 hectares, vit le jour Somme. au Hourdel en 1837 et fut opérationnel Une douzaine d’années plus tard, le jusqu’en 1930. C’est dans la seconde moitié comblement de la baie perdure. C’est du xix e siècle qu’est également créé le précisément ce qui était envisageable bassin de chasses du Crotoy, d’une capacité puisque la baie de Somme, comme tous bien supérieure avec ses 62 hectares. Ces les estuaires à l’échelle du globe, est en initiatives, qui montrent au passage que le voie de colmatage, ce qui constitue un comblement de la baie n’est pas une affaire phénomène naturel et inéluctable pour si récente, n’ont cependant pas permis lequel il est illusoire d’espérer inverser d’empêcher le colmatage des principaux voire arrêter le processus, ce sur quoi chenaux de l’estuaire. Aujourd’hui, les s’accordent les scientifiques. mollières du fond d’estuaire, caractérisées Ce colmatage, certes naturel, n’en a par une expansion des plantes halophiles du pas moins été « aidé » par l’intervention schorre, se trouvent à une altitude supé- de l’homme. La réduction des surfaces rieure à celle du delta sous-marin situé au atteintes par les marées hautes résulte large et composé de nombreux bancs de également des divers endiguements, de la canalisation de la Somme commencée en Halophile : qui se développe 1786 et des poldérisations successives, de en milieu salé. la construction de l’estacade (voie ferrée Schorre : partie haute de l’estran de Saint-Valery à Noyelles-sur-Mer), composée de sédiments accumulés commencée en 1854 et remplacée, en par l’apport des marées et couverte 1911, par un remblai, ou encore, sans d’une végétation halophile. être exhaustif, de la création de la digue
Le désensablement de la baie de Somme en question… 13 sables. C’est ce delta que certains envisage- Connaître la provenance du sable raient de draguer, si l’on en croit un projet et le fonctionnement du delta sous- qui a eu un certain retentissement dans la marin presse, dont on peut regretter qu’elle ne soit C’est donc des bancs sableux du delta pas plus avide d’explications rationnelles sous-marin qu’arrivent, à chaque marée, et scientifiques. Mais au moins cela aura les sédiments qui se déposent dans la baie, permis le débat, premier pas vers une entraînant un exhaussement général du prise de conscience nécessaire pour agir. fond de l’estuaire, y compris des che- Mais pas à n’importe quel prix, et surtout naux (environ 1,6 centimètre par an), et pas au risque d’actions aventureuses qui le dépôt annuel de 700 000 mètres cube risqueraient de mettre en péril le fragile de sédiments qui contribue à obstruer la équilibre environnemental et socio-éco- passe d’entrée de la baie. nomique qui subsiste aujourd’hui en baie Ce stock sédimentaire situé au large de Somme. constitue « le plancher » de la baie de Somme. Il se trouve à l’avant côte, carac- térisée par la présence d’un delta sous- marin (Dolique, op. cit.). Les sables qui proviennent de la Manche représentent Figure 1. Localisation des bancs de sable 85 % de ce stock (Beauchamps, 1994), au large des estuaires picards. les 15 % restant étant composés de débris Nord Pas-de-Calais Bancs de sable du delta sous-marin Somme CRDP Amiens, d’après IFREMER.
14 Pour le littoral picard et la baie de Somme – no 23 – récents de coquillages et de la désagré- phénomène serait d’autant plus renforcé gation des galets de silex. que les estuaires macrotidaux à fort marnage Ce delta sableux n’est pas fossile, (11 mètres dans le cas de la Somme) se contrairement à d’autres stocks sédimen- caractérisent par l’absence de contre delta taires situés, par exemple, au large des côtes et présentent des bancs sableux alignés en normandes et constitués de sédiments plus aval dans le sens du courant. grossiers (cailloutis, galets), rendant leur de ce fait, ce serait, d’un point de vue exploitation possible. De plus, il y a un hydrodynamique, pire que mieux ! Il faut différentiel d’altitude entre ce delta et le y ajouter le risque de déstabilisation des fond de l’estuaire, situé plus haut, c’est-à- cordons tant de galets au sud de l’estuaire dire au sommet d’une pente contrariant que sableux au nord, puisqu’ils reposent l’accès du f lot. Entamer une extraction sur le socle avec lequel ces bancs sont de ces bancs du delta pourrait renforcer directement en rapport, ce point étant ce différentiel d’altitude, ce qui ne serait plus accentué en ce qui concerne le lit- pas sans conséquence sur les potentialités toral du Marquenterre. L’ensemble du d’accès du f lot. Autrement dit, il vaudrait delta sous-marin de la baie de Somme mieux, si dragage il devait y avoir, que a maigri au cours des 150 dernières celui-ci se fasse dans l’estuaire et non pas dans le delta de marée. Le dragage du sable au large entraînerait également Marnage : différence de hauteur l’éparpillement des sédiments sableux qui, entre le niveau de marée haute et le immanquablement, étant donné les f lots niveau de marée basse et courants de marées, se déposeraient en Macrotidal : qualifie un littoral qui fond d’estuaire, obstruant les chenaux subie des amplitudes de marées importantes (> à 5 mètres : déjà en voie d’exhaussement, dont ceux voir marnage). permettant encore d’accéder aux ports. Ce Figure 2. Système d’échanges sédimentaires dans un estuaire macrotidal (d’après Pethick 1997 in Salomon, 2008).
Le désensablement de la baie de Somme en question… 15 années. Cette évolution négative est en restaurateurs locaux et qu’une demande relation avec le colmatage progressif de d’AOP (Appellation d’origine protégée) l’intérieur de la baie, le lien entre les deux est en cours pour la salicorne. étant évident. Cela constitue un argument La productivité halieutique et benthique supplémentaire pour que l’on agisse là où de la baie constitue aussi une richesse le sable se dépose (fond de baie) plutôt à préserver. Les données disponibles que là d’où il provient (delta sous-marin). placent la baie de Somme comme l’un des premiers sites pour la production des La baie de Somme : une riche coques (Cerastoderma edule) avec 7 500 biomasse encore prometteuse tonnes récoltées les meilleures années, pour l’avenir telles que 1991 et 1992 et 4 000 pour Le dragage au large aurait également 2010. Cette biomasse constitue un réel d’autres conséquences importantes pour intérêt économique puisque la valeur la biodiversité du site, mais aussi pour de 7 500 tonnes de coques est estimée à les activités socio-économiques liées au 18 millions d’euros. milieu estuarien. La pêche embarquée représente quant La turbidité des eaux sera inéluctable à elle près de 130 emplois, dont plus de en cas de dragage de forte quantité de la moitié se trouve au Crotoy ; l’activité sable. Selon Bernard Latteux, consultant de pêche sur le littoral picard représente en ingénierie portuaire et côtière, « pour un chiffre d’affaires moyen de 6 millions inverser le processus de colmatage de la d’euros avec une production débarquée baie interne, il faudrait que le prélèvement oscillant de 1 300 à plus de 2 200 tonnes opéré à son débouché soit extrêmement selon les saisons. Le nombre de bateaux massif, très nettement supérieur au rythme de pêche des ports de la baie de Somme d’érosion actuel du delta 1 ». L’estuaire (Le Crotoy, Le Hourdel, Saint-Valery) demeure un site très productif, tant au a même augmenté récemment (+ 10 % niveau de la végétation que des coquillages entre 1995 et 2002). Les bateaux du Crotoy et des poissons. Une action d’une telle et de Saint-Valery ne sont-ils pas à quai ampleur nuirait aux coquillages filtreurs, au Tréport ? représentant ainsi une véritable menace pour les activités professionnelles qui en La hausse du niveau des mers : dépendent : pêche à pied ou élevage des une solution naturelle ? moules. C’est inenvisageable à l’heure où Le sujet de la hausse du niveau des mers d’importants fonds publics ont été investis fait consensus chez les scientifiques depuis au Crotoy dans un centre conchylicole. la fin des années 1990. Il est dommage qu’il Les risques de contrebalancer les poten- ne soit pas davantage pris en considération tialités de productivité de la baie sont donc à prendre sérieusement en compte. L’obione, l’aster maritime et la salicorne, Turbidité : teneur d’un liquide en entre autres, ont une productivité très matières qui le troublent. importante, à tel point que les deux der- Benthique : terme désignant nières sont aujourd’hui cueillies pour les la microflore et la microfaune vivant au fond des mers et des estuaires et à la base de nombreuses 1. Échanges épistolaires sur la question en date du chaînes alimentaires. 25 janvier 2011.
16 Pour le littoral picard et la baie de Somme – no 23 – lorsqu’on évoque le devenir de la baie de La question demeure de savoir ce qui Somme. C’est suite au lancement de satel- l’emportera entre l’apport de sédiments, lites d’altimétrie spatiale que des mesures ont rendu plus important si les flots de marées mis en évidence les interrelations complexe augmentent, et la capacité de chasse, aug- entre les océans et l’atmosphère et permis mentée mais vraisemblablement insuffi- d’avoir une idée précise sur l’élévation du sante pour inverser la dynamique actuelle. niveau des mers, appelé hausse eustatique En tout état de cause, cette « solution dans le vocabulaire scientifique. Le pre- naturelle » s’inscrit dans un accompagne- mier d’entre eux a été mis en orbite en ment des dynamiques côtières, à l’image 1992. Il s’agit du satellite franco-américain de ce qui se fait aujourd’hui en matière « Topex-Poséidon ». Deux autres, Jason de protection du trait de côte. Une forme I et Jason II, ont suivi respectivement de gouvernance plus humble vis-à-vis des en 2001 et 2008, permettant d’affiner éléments et moins coûteuse. En somme, une et d’actualiser les mesures sur l’anticipa- politique nouvelle, réaliste et respectueuse tion de l’élévation du niveau marin. Le vis-à-vis des concepts de développement consensus sur les valeurs de celle-ci offre durable et de gestion intégrée des zones une fourchette allant d’une hausse de 40 côtières (GIZC). à 60 centimètres pour 2100. Les travaux Notons enfin qu’à ce jour, aucun acteur plus récents du GIEC, prenant en compte économique ne s’est porté candidat pour la fonte accélérée des glaces, « tirent vers le un tel projet de dragage au large, peut-être haut » cette fourchette ( jusqu’à 1 mètre). conscient de son aspect irréaliste sur le La perspective d’une élévation du niveau plan juridique ou plus simplement de sa des mers, conjuguée aux travaux réalisés et/ non-rentabilité sur le plan économique. ou prévus de maintien du caractère maritime L’avenir confirmera ou infirmera cette de la baie (curage du bassin des chasses, hypothèse. Il importe cependant que le réestuarisation du Dien, dépoldérisation littoral picard reste un espace préservé, ce de l’enclos de La Caroline, réactivation qui constitue la meilleure garantie de la d’une zone marnante au Hourdel…), pérennité des activités professionnelles et permet d’envisager une couverture plus traditionnelles qui en font l’attrait ainsi que vaste et régulière de la baie, à minima lors de ses paysages préservés qui en constituent de marées de vives eaux, accentuant l’effet les atouts touristiques. de chasse. Le caractère maritime en sera incontestablement accentué. Eustatique : qui concerne le niveau des mers.
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