Les Nouvelles d'AFGHANISTAN - La campagne électorale Le radicalisme à Hérat Les lithographies britanniques pendant le Grand Jeu - AFRANE

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Les Nouvelles
                                          Trente-neuvième année
                                                  N°163
                                           Décembre 2018
                                                (4ème trimestre)

                 d’AFGHANISTAN
                                                         6 Euros

                           La campagne électorale
                            Le radicalisme à Hérat
                    Les lithographies britanniques
ISSN 0249-0072

                              pendant le Grand Jeu
Editorial                                                                              Les Nouvelles
                                                                                           d’Afghanistan
                                                                                                 SOMMAIRE N°163
Terre de chaos
ou d’espoir ?
                                                                                            POLITIQUE

U
                                                                                            - Le radicalisme, la face cachée de Hérat
          n séjour en Afghanistan, fût-il court, est une bonne leçon. Tout d’abord,
                                                                                            par Zaher DIVANTCHEGUI                    3
          disons que la peur ne vous étreint pas. Même si la guerre reste tou-
                                                                                            - La campagne électorale à Kaboul
          jours aussi vive dans de nombreuses provinces, même si les attentats,             par Etienne GILLE                         6
souvent dramatiques, secouent périodiquement Kaboul, même si les habitants
                                                                                            - Témoignages sur les élections           8
sont constamment sur le qui-vive, la vie continue avec ses embouteillages, ses
cohortes d’écoliers et d’écolières allant étudier, ses distractions et ses engoue-          ENSEIGNEMENT
ments sportifs.                                                                             - Rêves de jeunes filles
     Lors de mon dernier séjour, la préparation des élections donnait lieu à des            propos recueills par Charline FERRAND
spectacles surréalistes. Une débauche de candidats et de candidates avec                    et Frozan AFZALI                     13
leurs posters, leurs professions de foi, leurs conférences électorales contras-             DOCUMENTATION
tait avec l’état d’abattement et de crainte qu’on pouvait imaginer prévaloir en             - Le Centre de l’Afghanistan à l’Université
Afghanistan et mettait en évidence le désir démocratique persistant de la po-               de Kaboul (ACKU)
pulation, malgré les désillusions passées. Malheur à ceux qui le décevraient à              par Asef MEHRY                          16
nouveau !
                                                                                            HISTOIRE
     Les élections elles-mêmes n’ont pas donné lieu aux scènes de « chaos »                 - Les lithographies britanniques
que beaucoup de journalistes se complaisent à mettre en avant à longueur de                 de l’Afghanistan durant le Grand Jeu
chroniques. Quand ce numéro des Nouvelles paraîtra, les résultats en auront                 par Geoffroy SCHOLLAERT                       19
probablement été publiés, avec tous les risques de contestations, justifiées ou             - Joseph Ahckin, 1939-1940
non, que l’on peut présumer. Espérons que globalement la nouvelle assemblée                 par Gilles ROSSIGNOL                          23
nationale reflètera suffisamment la diversité afghane et comportera des leaders
soucieux du bien commun.
     Ce serait certainement un pas vers la paix. Des conversations internatio-              DERNIERES NOUVELLES
nales ont lieu pour trouver une issue au conflit afghan. Les Russes, les Améri-             Chronologie, brèves, publications             28
cains bien sûr, les Chinois, tous veulent parler avec les Tâlebân. Leur désinté-
ressement dans l’affaire n’est pas évident. Qu’importe, s’ils sont intéressés à la
                                                                                            «Ne laissons pas tomber d’Afghanistan»
paix. Il faudra bien trouver une issue. La population afghane elle-même peut-
                                                                                            tribune                               36
elle rester à l’écart de ces consultations ? Les crimes commis à Djaghori, mais
aussi dans beaucoup d’autres endroits, rendent difficile toute réconciliation.
Mais on le verra aussi dans les pages suivantes, les jeunes élèves que nous
rencontrons aspirent profondément à la paix. Oui, il est possible de construire
quelque chose de beau à partir de l’innocence créative dont nous sommes
témoins lors des journées de la paix organisées par AFRANE dans les écoles
de son réseau.
     Messieurs nos dirigeants, oui, comme vous le demandent tous les amis de
ce peuple souffrant, n’oubliez pas l’Afghanistan. Une paix et un avenir meilleur
                                                                                           Photo de couverture : Palais de Chah Cho-
y sont possibles.                                                                          dja, lithographie de James Rattray, 19ème
                                                                                           siècle, (voir article p. 19).

Etienne GILLE
16 septembre                                                                                      Les Nouvelles d’Afghanistan
                                                                                                 bénéficient d’une aide financière
En écrivant cet éditorial, je ne peux m’empêcher de penser à Kamal Naghchband,              de l’ambassade de France en Afghanistan
assassiné à Strasbourg, jeudi dernier. Originaire d’Afghanistan, il avait cru trouver en                    Adresse E-mail
France un abri sûr et une vie paisible. Nous assurons sa famille de nos sentiments de                afrane.paris@gmail.com
grande tristesse et de profonde sympathie.
                                                                                            Les Nouvelles d’Afghanistan
                  Site internet : www.afrane.org                                               16, passage de la Main d’Or -75011 Paris

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POLITIQUE

Vue générale de Hérat. Photo DR

                                Le radicalisme,
                           la face cachée de Hérat
                                                  par Zaher DIVANTCHEGUI *

Auréolée de son passé culturel prestigieux, Hérat est la plus grande ville de
l’ouest de l’Afghanistan. Avec une frontière commune avec l’Iran et le Turk-
ménistan et avec un site industriel important Hérat est devenue le plus grand
centre commercial du pays. S’y opposent différents courants idéologiques dont
plusieurs sont fondamentalistes.

Prospère, aux yeux de la plupart des Afghans, la région            des centaines de personnes visitent quotidiennement,
de Hérat est une des régions les plus sûres de l’Afgha-            a pris le feu. Les enquêteurs ont évoqué l’imprudence
nistan. Si Hérat se porte mieux que la plupart des villes          d’un commerçant comme étant l’origine de l’incendie.
du pays, il n‘empêche qu’elle appartient à un pays en              Cet évènement tragique a été commenté par les gens.
guerre. L’insécurité, les attentats des kamikazes et bien          Certaines versions reflétaient l’influence des partis ra-
d’autres thèmes sociétaux font partie du quotidien des             dicaux. Ainsi, un jeune garçon de douze ans vendant
Hératis. Lors de mon voyage en aout 2018 à Hérat, par-             des dragées prétendait que l’incendie était dû au non-
mi tous les thèmes que j’ai abordés avec les personnes             respect du hidjab par les femmes. Un jeune étudiant a
rencontrées j’ai été particulièrement attentif à celui de          contesté ses propos : « C’était une imprudence et l’in-
la radicalisation.                                                 cendie n’a rien à voir avec la religion». Il a ajouté : ces
    Hérat porte en elle-même un antagonisme perma-                 propos sont propagés par les courants radicalisés et la
nent. D’un côté une société prospère où il y a beaucoup            population les répète naïvement.
d’activités commerciales, culturelles, politiques, avec
une jeunesse ouverte au progrès et qui veut avancer. De
l’autre, le poids lourd de la tradition et la religion qui se
manifeste parfois d’une manière radicale.                          Beaucoup
    Lors de mon séjour le « Market » Ferdowsi, le plus             d’instituts fondamentalistes
grand marché du textile et de l’habillement à Herat, que           Nous avons observé de nombreux établissements re-
                                                                   ligieux non enregistrés, financés par l’extérieur. Selon
*Président de l’Association Culturelle des Afghans de Strasbourg   Aziza K. (une femme active de la société civile), dans la

Les Nouvelles d’Afghanistan n°163                                                                                           3
POLITIQUE
région ouest du pays plus de mille dispositifs religieux      stade, lieu du
non enregistrés sont recensés par les militants de la so-     concert.
ciété civile. Les étudiants avec qui nous avons abordé            Si les mé-
ce sujet montrent du doigt l’Arabie Saoudite, le Pakis-       thodes d’en-
tan, l’Iran, le Qatar et bien d’autres. Ces établissements    seignement
donnent un enseignement radicalisé et diffusent une           de l’époque
idéologie traditionnelle et, aux yeux de certains, hai-       des      Tâle-
neuse.                                                        bân ont bien
    Plus largement, il existe des partis et des groupes       été écartées
avec des pensées radicalisées aussi bien au sein des uni-     des écoles
versités que des écoles ou autres institutions publiques      afghanes,
ou privées comme l’université Djami.                          certains es-
    Ces partis sont bien présents sur la scène sociopo-       saient de les M.     Erzaz, le responsable du comité régional de l’Institut d’Etudes
                                                                                Stratégiques. Photo Z. Divantchégui
litique de la ville. Non seulement nous avons observé         ressusciter
leurs tracts, affiches, banderoles mais ils ont aussi leurs   par différents moyens. Par ailleurs, « pour séduire des
propres médias : télé, radio, journaux. Comme exemples        Tâlebân, le ministère de l’enseignement supérieur pré-
les étudiants m’ont cité les télévisions Eslah, Alghiyas      conise des classes séparées filles et garçons pour six
et Taban, les radios Coran et Emam Ghazali. Ces radios        mille étudiantes et étudiants » déplore une jeune fille.
sont les plus écoutées par les chauffeurs de taxi.                La pression des Tâlebân est sensible dans les alen-
                                                              tours de Hérat. Ils recrutent grâce à leur propagande
                                                              mais aussi grâce aux soldes qu’ils proposent et qui sont
                                                              bien supérieures aux salaires ordinaires.
Pressions tous azimuts                                            En ce qui concerne les partis extrémistes qui jouent
Selon Hedayat, un travailleur social, ces groupes ont         un rôle important, nous pouvons en citer deux exemples.
trop de pouvoir et défient même le gouvernement. Par              - Le Hezb ut-Tahrir est un parti international très
exemple, début 2018, un terroriste recherché par la po-       actif en Afghanistan. Il est basé essentiellement à Ka-
lice s’est réfugié dans la mosquée Masdjed Ghudal de          boul, mais sa branche ouest est très développée à Hé-
la madrassa Darolulum Ahli Herat, au centre-ville. La         rat. Lors d’une réunion du conseil ministériel, Abdullah
police s’est rendue dans cette mosquée pour l’arrêter.        Abdullah, chef de l’exécutif du gouvernement afghan,
Les imams et leurs disciples ont manifesté : « Nous           a qualifié le Hezb ut-Tahrir de plate-forme pour la pro-
condamnons l’incursion du gouvernement dans les               pagation du terrorisme.
lieux sacrés ».                                                   Ce parti aurait des activités terroristes auprès des
    Hedayat dit que ces imams sans scrupules s’oppo-          jeunes et dans les milieux universitaires1. Il préconise
sent ouvertement à la musique, au port de certains vête-      un calife dans le monde musulman. Chaque pays serait
ments par les jeunes, au rasage qu’ils qualifient de bar-     un gouvernorat provincial de ce califat. Ce parti aurait
bares. Ils protestent en permanence contre les médias         été fondé par un religieux arabe Cheikh Taqi al-Din, en
qui jouent pourtant un rôle précieux dans ce pays. Ils        1953. Selon Aziza K. Le Hezb ut-Tahrir ne figure pas
sont contre la télévision et même contre la prise de pho-     dans le registre des partis politiques afghans mais il est
tos. Paradoxalement, ils ont leur télé et d’autres médias.    pourtant bien organisé. Selon elle, ce parti est un parti
    Malgré la protection de la police, le jeune Abdul         illégal qui a des agissements bien structurés.
Wahed Dadchani qui avait lancé ses chaussures sur                 - Le Djamiat Eslah est basé à Kaboul, mais il est
Golboddin Hekmatyar (le chef du Parti Islamique) a            actif dans toutes les grandes villes du pays. A Hérat sa
été menacé en permanence. L’université privée a refusé        branche Akhlaq wa Marefat (Éthique & Sagesse) est
son inscription. Il ne pouvait plus se rendre dans son        très active. Elle organise des conférences, des cours
village. Sa famille a été sous la pression des islamistes.    de religion, des rencontres, des débats et bien d’autres
Finalement il a dû quitter le pays.                           activités. La plupart de ses adhérents sont des intellec-
    Un autre jeune diplômé cite un exemple : bien que         tuels musulmans et des cadres comme des médecins,
Hérat ait été la terre de la musique et du chant, il y a      des enseignants, des ingénieurs, ou encore des hommes
quelques temps des imams avec une centaine de sym-            d’affaires qui financent ce parti.
pathisants se sont rassemblés devant le grand stade de
football, lieu d’un concert de Chafiq Morid, chanteur et
artiste renommé qui voulait chanter pour les citoyens
de la province. Ils ont réussi à faire annuler le concert.    L’Institut d’Etudes Stratégiques
Deux ans auparavant, les imams s’étaient opposés à un         Avec trois personnes, nous sommes allés voir M. Erfan
concert de Farhad Darya, célèbre chanteur afghan. En          Erzaz, le responsable du comité régional de l’Institut
guise de contestation une bombe avait explosé devant le       d’Etudes Stratégiques d’Afghanistan. Par le biais d’en-

4                                                                                                        Les Nouvelles d’Afghanistan n°163
POLITIQUE

                                                                                   A gauche de la photo: M. Erzaz, lors d’une conférence de l’Institut d’Etudes Stratégiques.
                                                                                   Photo Z. Divantchégui
Conférence au comité régional de l’Institut d’Etudes Stratégiques d’Afghanistan.
Photo Z. Divantchégui
                                                                                   hadiths. Le reste selon lui est une invention des respon-
                                                                                   sables religieux. Abû Hanîfa disait entre autres : « Si
quêtes et d’autres recherches l’Institut a fait des travaux
                                                                                   une fille a envie d’aller à l’école, ses parents n’ont pas
remarquables. Dès l’abord, il nous émeut en rappelant
                                                                                   le droit de l’en priver ». Ces propos dérangent les sala-
qu’il y trois ans un étudiant de l’université d’Hérat avait
                                                                                   fistes qui sont en principe contre l’éducation des filles
rejoint les rangs de l’État Islamique (Daech) en Irak et
                                                                                   par l’école laïque.
qu’il a été tué dans les combats. « Le poids de radica-
                                                                                       Le radicalisme en Afghanistan est inspiré par le sa-
lisme inquiète tout le monde » dit-il.
                                                                                   lafisme qui est monnaie courante dans les écoles pa-
    M. Erzaz précise : dans un travail de recherche l’Ins-
                                                                                   kistanaises. Ces écoles influencent certains milieux is-
titut d’études stratégiques d’Afghanistan a démontré
                                                                                   lamiques. La dérive radicale en Afghanistan peut être
que les courants radicalisés ont bien infiltré les univer-
                                                                                   ainsi la conséquence de ces influences pakistanaises.
sités, les établissements scolaires, les réseaux sociaux
                                                                                       Dans l’éducation laïque, il y a en principe des
et même les rangs des forces de police.
                                                                                   échanges entre professeurs et élèves. Dans les écoles
    Dans les décrets du ministère de l’Education, nous
                                                                                   religieuses l’apprentissage est vertical. Tout ce que le
lisons que l’Education nationale est censée construire
                                                                                   maître dit est irréversible et incontestable. La contesta-
quatre écoles religieuses par an. Cela empêcherait que
                                                                                   tion est interdite.
les jeunes étudiants en théologie prennent le chemin
                                                                                       Les prêcheurs des idées radicalisées s’opposent ou-
des écoles extrémistes et surtout cela encouragerait des
                                                                                   vertement à la modernité et à la démocratie. « Mais ils
Tâlebân à éviter les écoles radicalisées pakistanaises.
                                                                                   utilisent tous ces moyens pour arriver à leurs fins ».
    En 2015 selon un travail de recherche, à Hérat il y
                                                                                   Certains groupes catalogués radicaux continuent leurs
avait 29 écoles religieuses officielles et plus de mille
                                                                                   manœuvres sous d’autre nom. La liberté d’expression
non officielles. Ces écoles non officielles sont en crois-
                                                                                   est ainsi au service des intégristes.
sance régulière. Car il y a un exode de réfugiés vers
                                                                                       Dans les rencontres que nous avons eues, ont été
Hérat et leurs enfants prennent le chemin de ces écoles.
                                                                                   évoqués les éléments suivants favorisant le radica-
Les jeunes des régions en crise viennent à Hérat où ils
                                                                                   lisme :
trouvent plus de confort et moins de tensions. Un de ces
                                                                                       - L’illettrisme. Malgré une petite amélioration, 71%
centres est Darolulum Ahli Herat. Il appartient à Mao-
                                                                                   (le taux pour les femmes atteint 86%) de la population
lawi Djalilollah Maolawizadah, ancien juge suprême
                                                                                   reste illettrée. C’est un terrain favorable pour semer des
des Tâlebân. Ses enseignements sont indépendants de
                                                                                   propagandes haineuses.
ceux de l’Education nationale. L’Etat n’intervient pas
                                                                                       - La pauvreté. C’est un fléau qui a des conséquences
dans ses affaires. « Pire encore, il ne peut pas interve-
                                                                                   graves. Selon les donnés de la Banque mondiale, 36,3%
nir ».
                                                                                   de la population afghane vit en dessous du seuil de pau-
    Un étudiant de l’université nous dit que des profes-
                                                                                   vreté. 45,7% des Afghans sont au chômage. Les cou-
seurs des universités publiques tiennent un discours ra-
                                                                                   rants radicaux recrutent souvent parmi des gens vulné-
dicalisé. Il y a une différence entre ce qui est dans le
                                                                                   rables et désespérés.
programme scolaire et ce qu’ils disent aux étudiants.
                                                                                       - Les ingérences. Beaucoup d’Afghans disent que
Il se souvient d’un professeur de tendance salafiste qui
                                                                                   le radicalisme est financé tant par la production et le
a tenu ouvertement des propos injurieux envers Abû
                                                                                   commerce de la drogue que par des pays comme le Pa-
Hanîfa (fondateur au 8ème siècle de l’école hanafite
                                                                                   kistan, l’Arabie Saoudite et les pays du Golfe.
de droit musulman). Or les Afghans sunnites sont ha-
néfites. Abû Hanîfa est connu pour ses positions juri-                             1- Ce parti ne préconiserait cependant pas la violence, selon Wikipédia
diques ouvertes : il ne reconnaît qu’un nombre limité de                           (NDLR)

Les Nouvelles d’Afghanistan n°163                                                                                                                                           5
POLITIQUE

                             La campagne électorale
                                   à Kaboul

                             par Etienne GILLE
Rue de Kaboul : débauche d’affiches électorales. Photo Afrane

Après plusieurs années de report, les élections législatives ont pu finalement
se dérouler le 20 octobre. La campagne électorale a montré qu’elles représen-
taient quelque chose d’important pour la population. Etienne Gille, présent en
Afghanistan avant ces élections, apporte son témoignage.
   Ce qui frappe quand on arrive à Kaboul, c’est l’in-          il fallait soit conserver sa place, soit en conquérir une
vraisemblable floraison de portraits de candidats de            pour le revitaliser. Les intimidations des Tâlebân n’ont
toutes sortes dans les avenues de Kaboul. Il y a en effet       pas réussi à étouffer le désir démocratique.
800 candidats pour 33 sièges, et chacun veut se faire               La vigueur de la campagne est étonnante. En reve-
connaître de tous.                                              nant un jour de Dacht-e Bartchi, l’immense faubourg
    Cette floraison scandalise certains qui trouvent que        hazâra de Kaboul, j’ai recueilli pas moins de trois tracts
cet argent aurait pu être mieux utilisé en étant distribué      de personnalités différentes distribués par des militants.
aux pauvres. Ramazan Bachardoust (qui est un oppo-              Des caravanes de candidats de toutes sortes sillonnaient
sant notoire au sein du Parlement) en a pris le contre-         la ville et il suffisait de tendre le bras pour avoir une
pied en étant totalement absent de l’affichage, mais il         profession de foi.
distribue des tracts et des bons de soutien.
   Quoi qu’il en soit, beaucoup de personnes ont ma-
nifestement pensé qu’elles avaient une opportunité à            Les modalités du scrutin
saisir en se présentant aux élections. Et que le Parle-             Il s’agit d’un scrutin à un tour. Seront élus les can-
ment, aussi discrédité soit-il, était un lieu de pouvoir où     didats ayant obtenu le plus grand nombre de voix. Ce
                                                                système est critiquable, mais n’est pas non plus sans
« 800 candidats pour 33 sièges ». Photo DR
                                                                intérêt. Dans une grosse circonscription comme celle
                                                                de Kaboul elle favorise la présence de candidats très
                                                                divers dont certains, peu connus, ont malgré tout leurs
                                                                chances. Mais le mode de scrutin n’encourage pas la
                                                                constitution de listes de candidats qui auraient un pro-
                                                                gramme national.
                                                                    Le système conduit à un processus de vote assez
                                                                burlesque. J’ai oublié de noter le nombre de pages que
                                                                comporte un bulletin, mais il est de plusieurs dizaines,
                                                                si bien que chaque affiche, chaque tract comporte le nu-
                                                                méro du candidat, son logo (attribué par tirage au sort)
                                                                et la page du bulletin où on peut le trouver.

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POLITIQUE
                                                                                     a un sikh.
                                                                                        Ramazan Bachardost a mené sa campagne de ma-
                                                                                     nière très personnelle. Dans un mail qu’il a adressé à
                                                                                     son fichier et il aurait dit la même chose à la télévi-
                                                                                     sion, il a écrit : « prenez l’argent qu’ils distribuent ;
                                                                                     mangez les palao qu’ils vous préparent, mais votez
                                                                                     pour moi. » Les réunions électorales accompagnées
                                                                                     d’un repas sont en effet fréquentes.

                                                                                     Qui vote pour qui ?
                                                                                                      A Dacht-e Bartchi, il est frappant de constater qu’une
                                                                                                      fois franchi le rond-point de Kaboul qui y conduit,
                                                                                                      soudain toutes les figures changent et on ne voit plus
                                                                                                      guère que des affiches de candidats hazaras. Pourtant
                                                                                                      la province de Kaboul ne constitue qu’une unique
                                                                                                      circonscription, mais les candidats hazaras ont ma-
Tract d’un candidat. Le recto est en pachtou et le verso en persan. En bas, de droite à gauche, la    nifestement centré leur campagne sur les lieux de
page du bulletin de vote où se trouve le candidat, puis son numéro d’ordre (447), puis sa photo
puis son logo (tiré au sort).                                                                         résidence hazara.
                                                                                                          Il y a donc un vote ethnique, mais pas seulement.
      Personne ne croyait il y a quelques mois que les                                             Des   membres   de la classe moyenne m’ont dit vouloir
élections, reportées à plusieurs reprises, pourraient                                              voter pour Ramazan Bachardost, car il est intègre. Evi-
avoir lieu. Un diplomate d’une ambassade européenne                                                demment la réputation d’intégrité des candidats joue
confiait d’ailleurs il y a quelque temps, qu’au fond, vu                                           un rôle déterminant dans le vote, plus que les aspects
le travail que faisait le Parlement, son renouvellement                                            idéologiques.
n’était pas une priorité. Le phénomène actuel n’en est                                                Un chauffeur, Pachtoun brut de décoffrage, m’a dit
que plus remarquable.                                                                              qu’il voterait pour une femme. Beaucoup votent pour
                                                                                                   quelqu’un de leur entourage qu’ils connaissent. Les ré-
                                                                                                   sultats des élections sont donc largement imprévisibles,
Les craintes sécuritaires                                                                          surtout à la marge, car les résultats autour de la 30 ème
                                                                                                   place (en ce qui concerne Kaboul) seront sans doute
On s’est d’ailleurs demandé jusqu’au bout si les élec-                                             serrés. Personne ne se hasarde à prévoir la constitution
tions pourraient se tenir. Les Tâlebân ont mené des                                                du prochain Parlement.
campagnes d’intimidation. Quelques jours avant le
scrutin un dixième candidat a été tué dans un attentat.
Des écoles abritant des centres d’inscription et de vote
ont été attaquées. Pour minimiser les risques, les écoles
                                                                                  Qui ne vote pas ?
ont été mises en congé dès le lundi précédant les élec-                                            Evidemment tout le monde ne vote pas. Un certain
tions.                                                                                             nombre de gens ne se sont pas inscrits sur les listes élec-
      Certaines personnes ont préféré voter en fin de jour-                                        torales, soit par peur des représailles annoncées par les
née, une fois passés les risques d’attentat.                                                       Tâlebân, soit parce qu’ils se sont sentis floués lorsque,
                                                                                                   lors des dernières présidentielles, les résultats ont été
                                                                                                   redressés, conduisant à la victoire de Ghani.
Qui est candidat ?                                                                                     Beaucoup, inscrits ou non-inscrits, sont cependant
                                                                                                   conscients que le fait de voter est un signe pour montrer
Les candidatures sont très diverses. Il y a les anciens                                            qu’on n’est pas d’accord avec les Tâlebân.
candidats qui se représentent (mais tous les députés ne
se sont pas représentés). Il y a des hommes d’affaires.
Selon certains, cela pourrait conduire à un assouplisse-
ment des lois concernant l’économie en diminuant les
                                                                                  En province
contraintes bureaucratiques (et la corruption qui y est                                            Pas grand-chose à dire sur la province. A Bamyân
liée). Il y a des hommes politiques ou des fils d’hommes                                           même, on a vu des réunions électorales, regroupant
politiques, comme le fils de Golbuddin Hekmatyar. Il y                                             parfois un petit nombre d’hommes. J’ai assisté aussi
a des jeunes. Il y a des femmes qui n’ont pas hésité à                                             dans un hôtel de la ville au début d’une réunion électo-
afficher leur portrait en grand, et même parfois en très                                           rale tenue par une candidate femme et regroupant 200
grand. Il y a des progressistes et des réactionnaires. Il                                          hommes. Il y avait un dispositif de sécurité mais relati-
y a beaucoup de gens affichant leur qualité d’hadji. Il y                                          vement modeste.

Les Nouvelles d’Afghanistan n°163                                                                                                                          7
POLITIQUE

       Témoignages sur les élections
Les élections d’octobre ont donné lieu à des articles de presse qui, en France
du moins, en ont surtout relevé les dysfonctionnements. Nous avons demandé à
un certain nombre de connaissances comment cela s’était passé pour eux. Voici
leurs témoignages bruts. Par discrétion nous n’avons indiqué que l’initiale du
prénom de leurs auteurs. Si la plupart des points de vue expriment une certaine
satisfaction, le plus dur reste à venir : la proclamation des résultats, qui ne
manqueront pas d‘être contestés.

    Les témoignages recueillis1 n’ont aucune valeur           candidats jeunes et engagés était plus grand. De plus
statistique. Le nombre des personnes interrogées est          le nombre des candidats ayant fait des études, comme
faible, leur origine sociale, quoique variée, n’est pas re-   des professeurs d’Université, était remarquable. Quant
présentative de la population, enfin seulement trois pro-     aux candidates, même si leur nombre n’était pas de
vinces sont concernées. Il n’en reste pas moins que ces       même importance que celui des candidats, leur mince
points de vue témoignent de la motivation de beaucoup         présence a empêché la domination absolue des chefs. Il
d’électeurs.                                                  y a même eu un candidat de la minorité sikhe. De mon
                                                              point de vue, la candidature de personnes de différents
                                                              groupes ethniques, races, religions, genres, et langues
A Kaboul (Dacht-e Bartchi)                                    peut rapprocher l’Afghanistan de l’unité nationale et
 Il s’agit d’un quartier hazara de Kaboul.                    aider à la diffusion des valeurs démocratiques.
    Témoignage en persan. Traduction : « Heureuse-               Mais d’autre part, malheureusement, un certain
ment, cette année, les élections comme les années pas-        nombre d’individus riches et fils de chefs de guerre se
sées se sont passées très bien et tout le monde a pu vo-      sont aussi portés candidats. J’espère que de telles per-
ter pour le candidat de son choix. De même, dans ma           sonnes ne pourront pas entrer au Parlement. La com-
famille tout le monde a pu participer aux élections et        mission des élections n’étant pas indépendante comme
voter pour le candidat préféré. En outre, le nombre des
votants, contrairement à ce que                                                Une longue file d’attente devant un bureau de vote Photo DR
j’attendais, a été remarquable.
Dans notre quartier la sécurité
des bureaux de vote a été assurée
par les forces gouvernementales
et par les forces et les gens du
lieu. Heureusement, le jour des
élections il n’y a pas eu d’inci-
dent sécuritaire à déplorer et les
gens ont participé en toute tran-
quillité à cet événement impor-
tant.
    Pour les élections législa-
tives de cette année le nombre de

8                                                                                               Les Nouvelles d’Afghanistan n°163
POLITIQUE
 « On a pris mes empreintes digitales et photo-
   graphiées deux faces de la carte d’identité »
                                      Photo DR

elle devrait l’être, la probabi-
lité qu’il y ait des fraudes est
grande. Les riches et les chefs
de guerre du djehad peuvent
avec de leur argent et leur
pouvoir politique s’impo-
ser comme étant élus par les
gens.
    Malgré toutes les difficul-
tés, je suis optimiste en ce qui
concerne l’avenir. J’accueille
positivement les élections car
les élections éclairent l’esprit
des gens relativement à leur avenir politique et exercent
les gens à la démocratie. A mon avis, les élections ne        A Djalalabad
sont pas seulement un événement politique mais sont           Témoignage en persan. Traduction : « A Djalalabad, les
aussi un événement culturel car les élections entraînent      élections se sont bien passées. Les gens ont voté pour
l’implantation de la culture démocratique dans la so-         leur candidat. Ce fut un peu difficile, mais cela s’est
ciété. » (A)                                                  bien passé. Moi aussi j’ai voté, pour un docteur. C’est
                                                              quelqu’un de bien. On verra ce qui sortira des élections.
                                                              Dans la province de Djalalabad, les gens, hommes
A Djalalabad                                                  comme femmes, ont voté pour leur candidat. La diffi-
« Les élections se sont très bien passées. J’étais prési-     culté principale qui s’est présentée dans ces élections
dent de site mais je vais partager mes réflexions en tant     est que le nom de certains électeurs n’était pas inscrit
que public.                                                   sur les listes et les gens ont été ennuyés. Les élections
    Je pense que les élections étaient très sûres et anti-    ont duré deux jours et ces jours ont été des jours de
corruption car personne ne pouvait voter deux fois. Les       congé. » (N)
mobiles biométriques étaient une très bonne idée.
    La sécurité était meilleure que ce à quoi nous pen-
sions. Je pense que 90% des centres de vote étaient sé-       A Bâmyân
curisés.                                                      « Ici, à Bâmyân, malgré toutes les difficultés techniques
    On peut donc dire que les élections de 2018 ont été       et logistiques, l’élection législative s’est bien passée.
les plus sûres de l’histoire de l’Afghanistan. Nous espé-     Mais moi-même, comme je n’étais pas enregistré pour
rons un bon résultat. » (F)                                   l’élection, je n’ai pas pu voter. En général, à Bâmyân la
                                                              situation électorale n’était pas mal.» (N)

A Bâmyân
Témoignage en persan. Traduction : « Nous avons par-          A Kaboul
ticipé aux élections ainsi qu’un grand nombre de per-         « Le samedi, 21 septembre, jour des élections, était dé-
sonnes. J’étais à Bamyan et là beaucoup de gens ont           claré jour férié par le gouvernement pour que l’on puisse
voté. Il y avait sécurité et calme. A Chinia-e Takht (un      voter dans les meilleures conditions de sécurité. Vers
district éloigné), tout le monde a participé et les centres   dix heures du matin je me suis rendu au Lycée Alfath,
de vote étaient calmes et la sécurité était complète. »       le bureau de vote où je m’étais fait inscrire. Quelques
(M)                                                           minutes auparavant on avait entendu un bruit d’explo-
                                                              sion. A l’entrée de l’école un policier, plutôt timide, m’a
                                                              demandé si je voulais bien me laisser fouiller. Une for-
A Kaboul                                                      malité toute simple. Les listes électorales avaient été
« Nous n’avons participé, ni moi ni mon mari. Nous            établies par ordre alphabétique. Les lettres de l’alphabet
n’avons pas trouvé de personne fiable pour qui voter. »       avaient été réparties entre quatre classes. La file où je
(F)                                                           me suis inséré était de loin la plus longue. Un jeune

Les Nouvelles d’Afghanistan n°163                                                                                      9
POLITIQUE
                                                                        Kaboul. Poster électoral d’un candidat
                                                                        qui s’affiche avec le portrait de Nadjibullah.
                                                                        Photo Afrane

                                                                         cent quatre candidats. J’ai plongé mon doigt
                                                                         dans l’encrier disposé à cet effet et j’ai reçu
                                                                         mon carnet de vote plié. Je me suis dirigé vers
                                                                         l’isoloir et après avoir coché la case voulue
                                                                         j’ai glissé le bulletin dans l’urne. L’opération
                                                                         de vote proprement dite a duré cinq minutes
                                                                         au lieu des quarante secondes annoncées par
                                                                         le porte-parole de la commission électorale.
                                                                             Les opérations de vote ne se sont pas dé-
                                                                         roulées aussi bien dans tous les bureaux. Il
                                                                         y a eu des problèmes qui ont obligé la com-
                                                                         mission de prolonger les élections un jour de
                                                                         plus. Il y avait du mécontentement qui s’est
homme entretenait son copain de l’imbécilité de cette         exprimé avec véhémence comme il se doit dans ce
méthode de classement. Les noms qui commencent par            pays. Mais la plupart des commentateurs estiment que
M et N sont de loin les plus nombreux. Or les stickers        ces élections ont été de loin les plus régulières jamais
collés sur les cartes d’identité qui tenaient lieu de carte   réalisées en Afghanistan.
électorale portaient des numéros. Cela aurait été telle-          Il est à prévoir que les 2260 candidats perdants et
ment plus judicieux de répartir les votants par numéro        les partis politiques dont la plupart n’avaient pas osé
d’ordre des stickers. Un peu plus loin, un autre se plai-     présenter des candidats sous leur propre étiquette vont
gnait à haute voix de la lenteur des opérations. Si une       crier au voleur. On peut s’attendre à ce qu’il y ait des
bombe explosait dans une file aussi longue ce serait          compromis et des compromissions divers lors de la
un véritable carnage. L’explosion qu’on venait d’en-          proclamation des résultats, mais une chose est certaine.
tendre était une petite mine magnétique qui avait sauté       L’exercice de la démocratie est désormais une réalité en
à la porte d’une école voisine. Il n’y avait que deux ou      Afghanistan. » (N)
trois blessés légers. Un peu plus loin dans la file : deux
jeunes gens discutaient des élections indiennes. Là-bas
le système est tellement bien fait que même les sans-
abri des rues de Mumbai pouvaient voter sans problème
                                                              A Kaboul (Dacht-e Bartchi)
et il n’y avait aucune fraude. Après cinquante minutes        Témoignage en persan. Traduction : « J’ai voté dans
d’attente je suis entré dans la phase réelle du vote. Une     un des bureaux de vote de Dacht-e Bartchi. Dans ce bu-
personne scrutait ma carte d’identité et le sticker qui y     reau, plus de 6000 personnes s’étaient inscrites. Le jour
était apposé et un autre cherchait mon nom sur la liste.      de l’élection il y a eu le rassemblement de beaucoup
Après vérification d’identité et de la validité du sticker,   de monde, mais les gens, dont moi-même, ont réussi à
je suis passé à la table suivante où on a pris mes em-        utiliser leur vote.» (H)
preintes digitales et photographié les deux faces de la
carte d’identité. Puis on m’a photographié. Sur la table      A Kaboul
voisine un autre préposé a plié le carnet de vote avec        Témoignage en anglais. Traduction : « Finalement, j’ai
les nom, photo, numéro d’inscription et logo des huit         pu voter vers 7 h 30 du soir. Comme le matériel électo-
                                                              ral manquait, notre bureau n’a commencé qu’à 10 h du
Kaboul. Pléthore d’affiches électorales. Photo DR
                                                              matin. Un grand nombre de votants attendait depuis 7 h
                                                              du matin. Par ailleurs, il n’y avait pas assez de person-
                                                              nel électoral pour effectuer le processus biométrique.
                                                              Dans certains endroits, les élections ont été prolongées
                                                              un deuxième jour.
                                                                  En fait à Kaboul, il n’y a pas eu d’incidents sérieux
                                                              empêchant la tenue de l’élection. Hommes et femmes
                                                              sont allés voter avec un moral élevé et un esprit réso-
                                                              lu. » (Ch)
                                                                 « J’ai voté pour un bon candidat. La sécurité n’était

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POLITIQUE
                                                                            Des Sikhs attendent leur tout pour voter.
                                                                            Photo DR

                                                                             chose. Alors, j’ai attendu et je l’ai appelé
                                                                             une heure plus tard et toutes les heures. Tou-
                                                                             jours la même histoire, 100 à 150 personnes
                                                                             en attente. Je regardais la télé, voyais les re-
                                                                             portages et quelques incidents d’insécurité
                                                                             aussi. Vers 3h30 alors que je m’apprêtais
                                                                             enfin à y aller et que la file d’attente était
                                                                             toujours aussi longue, la Commission a an-
                                                                             noncé le prolongement jusqu’à 20 h. Du
                                                                             coup, je me suis dit j’y vais avant la tombée
pas bonne au début : les gens rentraient dans la foule          de la nuit. Et même là quand j’y suis allé, j’ai attendu
sans être fouillés. Le centre a été ouvert une heure en         45 minutes en file d’attente. Ce n’était pas désagréable.
retard. Les élections se sont prolongées un deuxième            Il y avait des gens qui avait attendu 3 heures dans la
jour chez nous aussi. Si dans tous les centres ça s’est         matinée. L’inscription biométrique n’a pris qu’une mi-
passé comme chez nous, on peut dire qu’il n’y a pas eu          nute. Ce que je retiens, c’est que les gens ont osé malgré
beaucoup de problèmes. » (H)                                    les incidents de sécurité. Dans la file d’attente, avant
                                                                moi, il y avait un copain qui bossait pour le ministère de
   « J’habite à Kaboul. J’ai voté pour les élections par-       l’Intérieur. Lui, il avait accès à toutes les données des
lementaires de l’Afghanistan qui ont eu lieu le 20 oc-          incidents. Mais il avait attendu pendant deux heures le
tobre. Le bureau de vote était très proche de chez nous.        matin pour voter et pendant 45 minutes le soir. Je pense
Quand je me suis levé, je suis sorti pour voir s’il y avait     que les gens ont voté avant tout contre les Tâlebân. »
quelqu’un devant le bureau de vote. Lorsque je suis ar-         (Y)
rivé devant le bureau, j’ai vu une longue queue. Tout
d’abord, je suis resté dans la queue pour une heure mal-
gré ma peur. Malheureusement, le bureau était fermé.
Certaines personnes ont insulté le gouvernement. Je me          Un témoignage divergent
suis fatigué, je suis retourné chez moi. Mais avec beau-        « J’ai quitté Kaboul lundi dernier, j’ai donc raté ces
coup de difficulté, j’ai voté vers 19 h 30. Après le vote,      élections. J’avais pourtant tellement envie de voter.
je me sentais bien. » (N)                                           J’ai suivi de près l’actualité et j’étais excitée les pre-
    « Malheureusement, je n’ai pas voté car j’avais ou-         mières heures du matin en voyant les images sur les
blié de faire mettre un autocollant sur ma tazkira (carte       chaînes de télévision, les lignes d’attente devant les bu-
d’identité). » (M)                                              reaux de vote, dans les rues… Je croyais que les risques
                                                                en votant étaient tellement élevés qu’il ne fallait pas
    « Moi, je n’ai pas voté car j’ai passé toute la journée     attendre une grande participation. Mais non, ces deux
sur la route entre Takhar et Kaboul. Je suis arrivée à 11       jours d’élections ont bel et bien montré que les Afghans
h du soir. Dans un des bureaux de notre quartier il y a         sont plus persévérants et résistants que ce qu’on croit.
eu une explosion qui a fait 15 morts. F. m’a dit qu’elle        J’ai vu beaucoup de photos sur Facebook, prises et
a voté et que ça s’est bien passé. La procédure a mieux         diffusées par des connaissances à Kaboul ou dans les
fonctionné qu’à la dernière élection Par exemple, dans          provinces. Si vous me demandez mes impressions, tout
le bureau on cherchait le nom de la personne qui voulait        d’abord c’est la prosternation devant les Afghans, qui
voter sur la liste des inscrits. S’il n’y avait pas le nom de   sont sortis malgré toutes les menaces sécuritaires.
la personne sur la liste elle ne pouvait pas voter et il y a        Mais de l’autre côté, c’étaient les élections les plus
eu la machine à empreintes digitales aussi. » (Z)               ridicules qui ont jamais eu lieu en Afghanistan, c’est ce
   « Ce jour-là, j’ai commencé à recevoir les alertes           qu’on entend et lit ces jours-ci de la part des citoyens
sécurité dès le matin et quasiment toutes les cinq ou dix       afghans. Cela est dû à la gestion chaotique et imprégnée
minutes, il se passait quelque chose, souvent une explo-        de corruption du gouvernement et de la Commission
sion, dans un bureau de vote ou à côté. En même temps,          électorale, ce qui remet fondamentalement en question
je voulais voter. J’ai demandé à mon voisin, qui était          la légitimité de cet événement.
observateur de mon bureau de vote, s’il avait voté. Il              On trouve deux avis différents à propos du 20 oc-
venait de rentrer, m’a montré son doigt2 et m’a dit qu’il       tobre : 1) Les dirigeants afghans et les personnes appar-
y avait trop de monde. Il avait utilisé un contact pour         tenant à la classe gouvernante qui parlent avec un grand
ne pas faire la queue. Je ne pouvais pas faire la même          enthousiasme de la participation du peuple et la perçoi-

Les Nouvelles d’Afghanistan n°163                                                                                               11
POLITIQUE
vent comme un signe de l’instauration de la démocratie                                                         les bureaux de vote de deux écoles Mohammadiya et
et une garantie pour l’avenir du pays. 2) Les électeurs                                                        Zaynab Kobra du 13ème district de Kaboul, des per-
qui critiquent l’organisation et les insuffisances de ces                                                      sonnes liées aux quatre candidats puissants (les fils de
élections. La Commission des plaintes électorales a                                                            deux leaders modjahed, un parlementaire actuel et un
reçu des milliers de plaintes à propos des fraudes et                                                          homme d’affaire puissant) ont fermé les bureaux de
d’autres problèmes concernant le vote.                                                                         vote et ne laissaient pas entrer les observateurs d’autres
    Premier problème : l’ouverture tardive des bureaux                                                         candidats. Mon mari témoigne lui-même que des ob-
de vote. De nombreux centres de vote sont restés fermés                                                        servateurs n’ont pas pu entrer dans un bureau de vote à
jusqu’à 10h, ou 11h et dans certains centres jusqu’à 1h                                                        Karté 3 et qu’ils se plaignaient de la violence de la po-
de l’après-midi, d’après les rapports de l’agence Tolo,                                                        lice à leur égard. f) le mauvais fonctionnement des ap-
les témoignages des journalistes locaux (alors que le                                                          pareils d’enregistrement biométrique dans une grande
scrutin devait commencer à 7h du matin). Ce qui a pro-                                                         partie des bureaux de vote. Au lycée Rabia Balkhi à
voqué de longues files d’attente dans les rues et la frus-                                                     Karté 4 cet appareil ne fonctionnait pas du tout. A la
tration de la population. Farahnaz Foroutan, reporter de                                                       mosquée Baqir-ol Olum, cet appareil fonctionnait mal,
Tolo, a fait un reportage sur l’état des bureaux de vote                                                       ce qui allongeait la procédure de vote.
dans l’ouest de Kaboul : aucun centre n’a été ouvert à                                                             Du fait de ces dysfonctionnements, de nombreux ci-
temps ou avec un peu de retard. Elle s’est rendue dans                                                         toyens n’ont pas pu voter. Un ami qui habite à Bahador
un bureau de vote d’un quartier lointain mais peuplé de                                                        Khan, à l’ouest de Kaboul a écrit à 4h de l’après-midi
Bartchi. Il y a des dizaines d’habitants en attente mais                                                       sur sa page facebook qu’après s’être rendu quatre fois
à 11h du matin, parmi les 33 employés de la Commis-                                                            au bureau de vote, il est retourné chez lui sans avoir pu
sion électorale, seulement l’un d’entre eux était présent.                                                     voter. (…) Mon mari qui devait voter à la mosquée Mo-
Pour cette raison ce bureau est resté fermé le premier                                                         hammadiya à Karté 3, s’y rend à 11h. du matin. Il quitte
jour !                                                                                                         le lieu après 20 minutes d’attente en voyant le désordre
    Ce n’est malheureusement pas tout. Les problèmes                                                           et la longue file d’attente dans la rue. A 13h30, il s’y
les plus importants : a) le manque de bulletins de vote                                                        rend une deuxième fois en espérant que la situation sera
(…) b) l’envoi erroné des listes électorales. L’un des                                                         plus ordonnée, mais quitte le lieu sans pouvoir voter.
amis qui devait voter au quartier 3, se rend compte que                                                        Une autre amie de moi, réussit à voter au bureau de vote
la liste présente dans ce bureau de vote appartient à un                                                       de l’Université de Kaboul après quatre déplacements
centre de vote de la province de Paktya ! Dans certains                                                        entre 8h du matin et 18h.
bureaux de vote on a attendu la liste des inscrits pen-                                                            Tout ceci concerne la capitale. Imaginez la situation
dant des heures. c). la discordance entre la liste élec-                                                       dans les provinces. (…)
torale et la liste des personnes inscrites. Beaucoup de                                                            Ces élections m’ont déçue. Peu de personnes peu-
gens n’ont pas trouvé leur nom dans la liste électorale                                                        vent faire confiance aux résultats de telles élections. »
de leur bureau de vote, alors qu’ils avaient sur l’envers                                                      (B)
de leur tazkera l’étiquette officielle de leur inscription.
C’est le cas d’une de mes amies. d) Le désordre dans                                                           1- Les témoignages sont dans l’ordre inverse de leur réception. Les premiers
                                                                                                               reçus sont donc en fin d’article.
les lieux de vote. e) l’absence d’observateurs dans cer-
                                                                                                               2- Quand on vote, on trempe son doigt dans de l’encre indélébile.
tains bureaux de vote : un citoyen témoigne que dans

  Les Nouvelles                                                                                                  Afrane
  d’Afghanistan                                                                                                  Permanence: 16 passage de la Main d’Or -75011 Paris
                                                                                                                 Tel. : (33) 01.43.55.63.50
     La revue LES NOUVELLES D’AFGHANISTAN est une revue trimes-                                                  L’association Amitié Franco-Afghane (Afrane) a été fondée au début
     trielle éditée par AFRANE (Amitié Franco-Afghane). Les opinions                                             de 1980, en réponse à l’occupation militaire de l’Afghanistan par les
     émises dans les articles n’engagent que leurs auteurs. Titres et sous-                                      Soviétiques. Organisme d’aide humanitaire, Afrane ne souhaite qu’ai-
     titres sont de la responsabilité de la rédaction.                                                           der les Afghans et ne se situe dans la mouvance d’aucun parti poli-
                                                                                                                 tique. Elle soutient à présent prinicipalement des projets éducatifs.
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ENSEIGNEMENT

                           Rêves de jeunes filles
                      Propos recueillis par Charline FERRAND et Frozan AFZALI *

L’équipe d’AFRANE à Kaboul a rencontré un groupe d’adolescentes de deux
écoles de Tcharikar à 70 kilomètres au nord de Kaboul. Elles ont parlé libre-
ment et confié quelles étaient leurs difficultés et leurs aspirations. Loin d’être
abattues par l’adversité, elles conjuguent innocence et détermination. Et elles
sont très attachées à leur culture.

Un mardi matin de novembre, dans une classe de fran-       L’assemblée comptait aussi de futurs professeurs (« Je
çais de 9ème année, à Tcharikar. Accueillies par des       veux être une bonne professeure, pour enseigner dans
jeunes filles d’une quinzaine d’années nous lançant un     les provinces isolées car toutes les filles doivent avoir
appuyé « Bonjour !!! Comment ça va ? », presque sans       accès à l’éducation »).
aucun accent – presque –, nous prenons place. Large            Deux d’entre elles rêvent de devenir médecin « pour
sourire aux lèvres, concentrées et attentives aux ques-    résoudre les problèmes des gens », « créer un hôpital
tions que nous sommes venues leur poser, elles échan-      en l’honneur de mon grand-père mais je le sais c’est
gent quelques regards furtifs avec leurs professeures,     un chemin difficile qui demande beaucoup de travail ».
avant que ne débute le jeu des questions/réponses en
                                                               Enfin, parmi les rêves évoqués, celui de devenir
français et dari. Complicité évidente entre elles. Am-
                                                           présidente d’Afghanistan : « Je travaillerais beaucoup
biance apaisée et chaleureuse.
                                                           pour promouvoir les femmes, empêcher la fuite des cer-
                                                           veaux, la migration et donner des facilités pour les gens
Alors, à quoi rêvent-elles ces jeunes filles               d’ici. Je créerais des universités pour supprimer le chô-
de Tcharikar, en 2018 ?                                    mage ! ». Un beau programme !
 « Moi, je veux être dentiste parce que j’adore ! Mais…
tu n’as pas peur du dentiste ? Non, non, je n’ai pas
peur, j’adore aller chez le dentiste ! » et toi ? « -Moi   Vos rêves, désirs pour l’avenir sont divers
je voudrais être professeure de langue française car je    et tous très ambitieux ! Comment alors agirez-
voudrais aller à Paris ».                                  vous en faveur de la paix dans votre pays ?
    Une autre de ces jeunes élèves voudrait devenir            Là encore, les réponses fusent : « J’aime la paix, je
avocate pour défendre les droits des femmes ici, en        n’aime pas la guerre car nous sommes fatiguées de la
Afghanistan (« L’Islam a donné des droits, une égalité     guerre », « Moi je crois qu’il faut travailler à l’unité, à
aux femmes et aux hommes mais en vrai, elles n’ont         la solidarité dans mon pays, car comme cela, personne
aucun droit, il n’y a aucun respect pour elles. Dans       ne pourra nous attaquer ». La place des femmes est
beaucoup de provinces, les femmes sont considérées         évidemment interrogée : « On doit aussi travailler en-
comme inférieures »). Pour certaines, ce sont des rêves    semble pour apporter l’égalité entre les hommes et les
de journalisme qui les habitent, pour communiquer « à      femmes ». Certaines – les plus militantes – proposent
tout le monde » sur ce qu’il se passe en Afghanistan.      d’agir immédiatement : « On pourrait créer une cam-
                                                           pagne de sensibilisation en direction des élèves dans
                                                           tous les lycées de Tcharikar pour transmettre cette idée
1- Membres de l’équipe d’AFRANE à Kaboul.                  de paix aux parents et aux familles ! »

Les Nouvelles d’Afghanistan n°163                                                                                   13
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