Les Nouvelles d'AFGHANISTAN - La campagne électorale Le radicalisme à Hérat Les lithographies britanniques pendant le Grand Jeu - AFRANE
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Les Nouvelles Trente-neuvième année N°163 Décembre 2018 (4ème trimestre) d’AFGHANISTAN 6 Euros La campagne électorale Le radicalisme à Hérat Les lithographies britanniques ISSN 0249-0072 pendant le Grand Jeu
Editorial Les Nouvelles d’Afghanistan SOMMAIRE N°163 Terre de chaos ou d’espoir ? POLITIQUE U - Le radicalisme, la face cachée de Hérat n séjour en Afghanistan, fût-il court, est une bonne leçon. Tout d’abord, par Zaher DIVANTCHEGUI 3 disons que la peur ne vous étreint pas. Même si la guerre reste tou- - La campagne électorale à Kaboul jours aussi vive dans de nombreuses provinces, même si les attentats, par Etienne GILLE 6 souvent dramatiques, secouent périodiquement Kaboul, même si les habitants - Témoignages sur les élections 8 sont constamment sur le qui-vive, la vie continue avec ses embouteillages, ses cohortes d’écoliers et d’écolières allant étudier, ses distractions et ses engoue- ENSEIGNEMENT ments sportifs. - Rêves de jeunes filles Lors de mon dernier séjour, la préparation des élections donnait lieu à des propos recueills par Charline FERRAND spectacles surréalistes. Une débauche de candidats et de candidates avec et Frozan AFZALI 13 leurs posters, leurs professions de foi, leurs conférences électorales contras- DOCUMENTATION tait avec l’état d’abattement et de crainte qu’on pouvait imaginer prévaloir en - Le Centre de l’Afghanistan à l’Université Afghanistan et mettait en évidence le désir démocratique persistant de la po- de Kaboul (ACKU) pulation, malgré les désillusions passées. Malheur à ceux qui le décevraient à par Asef MEHRY 16 nouveau ! HISTOIRE Les élections elles-mêmes n’ont pas donné lieu aux scènes de « chaos » - Les lithographies britanniques que beaucoup de journalistes se complaisent à mettre en avant à longueur de de l’Afghanistan durant le Grand Jeu chroniques. Quand ce numéro des Nouvelles paraîtra, les résultats en auront par Geoffroy SCHOLLAERT 19 probablement été publiés, avec tous les risques de contestations, justifiées ou - Joseph Ahckin, 1939-1940 non, que l’on peut présumer. Espérons que globalement la nouvelle assemblée par Gilles ROSSIGNOL 23 nationale reflètera suffisamment la diversité afghane et comportera des leaders soucieux du bien commun. Ce serait certainement un pas vers la paix. Des conversations internatio- DERNIERES NOUVELLES nales ont lieu pour trouver une issue au conflit afghan. Les Russes, les Améri- Chronologie, brèves, publications 28 cains bien sûr, les Chinois, tous veulent parler avec les Tâlebân. Leur désinté- ressement dans l’affaire n’est pas évident. Qu’importe, s’ils sont intéressés à la «Ne laissons pas tomber d’Afghanistan» paix. Il faudra bien trouver une issue. La population afghane elle-même peut- tribune 36 elle rester à l’écart de ces consultations ? Les crimes commis à Djaghori, mais aussi dans beaucoup d’autres endroits, rendent difficile toute réconciliation. Mais on le verra aussi dans les pages suivantes, les jeunes élèves que nous rencontrons aspirent profondément à la paix. Oui, il est possible de construire quelque chose de beau à partir de l’innocence créative dont nous sommes témoins lors des journées de la paix organisées par AFRANE dans les écoles de son réseau. Messieurs nos dirigeants, oui, comme vous le demandent tous les amis de ce peuple souffrant, n’oubliez pas l’Afghanistan. Une paix et un avenir meilleur Photo de couverture : Palais de Chah Cho- y sont possibles. dja, lithographie de James Rattray, 19ème siècle, (voir article p. 19). Etienne GILLE 16 septembre Les Nouvelles d’Afghanistan bénéficient d’une aide financière En écrivant cet éditorial, je ne peux m’empêcher de penser à Kamal Naghchband, de l’ambassade de France en Afghanistan assassiné à Strasbourg, jeudi dernier. Originaire d’Afghanistan, il avait cru trouver en Adresse E-mail France un abri sûr et une vie paisible. Nous assurons sa famille de nos sentiments de afrane.paris@gmail.com grande tristesse et de profonde sympathie. Les Nouvelles d’Afghanistan Site internet : www.afrane.org 16, passage de la Main d’Or -75011 Paris 2 Les Nouvelles d’Afghanistan n°163
POLITIQUE Vue générale de Hérat. Photo DR Le radicalisme, la face cachée de Hérat par Zaher DIVANTCHEGUI * Auréolée de son passé culturel prestigieux, Hérat est la plus grande ville de l’ouest de l’Afghanistan. Avec une frontière commune avec l’Iran et le Turk- ménistan et avec un site industriel important Hérat est devenue le plus grand centre commercial du pays. S’y opposent différents courants idéologiques dont plusieurs sont fondamentalistes. Prospère, aux yeux de la plupart des Afghans, la région des centaines de personnes visitent quotidiennement, de Hérat est une des régions les plus sûres de l’Afgha- a pris le feu. Les enquêteurs ont évoqué l’imprudence nistan. Si Hérat se porte mieux que la plupart des villes d’un commerçant comme étant l’origine de l’incendie. du pays, il n‘empêche qu’elle appartient à un pays en Cet évènement tragique a été commenté par les gens. guerre. L’insécurité, les attentats des kamikazes et bien Certaines versions reflétaient l’influence des partis ra- d’autres thèmes sociétaux font partie du quotidien des dicaux. Ainsi, un jeune garçon de douze ans vendant Hératis. Lors de mon voyage en aout 2018 à Hérat, par- des dragées prétendait que l’incendie était dû au non- mi tous les thèmes que j’ai abordés avec les personnes respect du hidjab par les femmes. Un jeune étudiant a rencontrées j’ai été particulièrement attentif à celui de contesté ses propos : « C’était une imprudence et l’in- la radicalisation. cendie n’a rien à voir avec la religion». Il a ajouté : ces Hérat porte en elle-même un antagonisme perma- propos sont propagés par les courants radicalisés et la nent. D’un côté une société prospère où il y a beaucoup population les répète naïvement. d’activités commerciales, culturelles, politiques, avec une jeunesse ouverte au progrès et qui veut avancer. De l’autre, le poids lourd de la tradition et la religion qui se manifeste parfois d’une manière radicale. Beaucoup Lors de mon séjour le « Market » Ferdowsi, le plus d’instituts fondamentalistes grand marché du textile et de l’habillement à Herat, que Nous avons observé de nombreux établissements re- ligieux non enregistrés, financés par l’extérieur. Selon *Président de l’Association Culturelle des Afghans de Strasbourg Aziza K. (une femme active de la société civile), dans la Les Nouvelles d’Afghanistan n°163 3
POLITIQUE région ouest du pays plus de mille dispositifs religieux stade, lieu du non enregistrés sont recensés par les militants de la so- concert. ciété civile. Les étudiants avec qui nous avons abordé Si les mé- ce sujet montrent du doigt l’Arabie Saoudite, le Pakis- thodes d’en- tan, l’Iran, le Qatar et bien d’autres. Ces établissements seignement donnent un enseignement radicalisé et diffusent une de l’époque idéologie traditionnelle et, aux yeux de certains, hai- des Tâle- neuse. bân ont bien Plus largement, il existe des partis et des groupes été écartées avec des pensées radicalisées aussi bien au sein des uni- des écoles versités que des écoles ou autres institutions publiques afghanes, ou privées comme l’université Djami. certains es- Ces partis sont bien présents sur la scène sociopo- saient de les M. Erzaz, le responsable du comité régional de l’Institut d’Etudes Stratégiques. Photo Z. Divantchégui litique de la ville. Non seulement nous avons observé ressusciter leurs tracts, affiches, banderoles mais ils ont aussi leurs par différents moyens. Par ailleurs, « pour séduire des propres médias : télé, radio, journaux. Comme exemples Tâlebân, le ministère de l’enseignement supérieur pré- les étudiants m’ont cité les télévisions Eslah, Alghiyas conise des classes séparées filles et garçons pour six et Taban, les radios Coran et Emam Ghazali. Ces radios mille étudiantes et étudiants » déplore une jeune fille. sont les plus écoutées par les chauffeurs de taxi. La pression des Tâlebân est sensible dans les alen- tours de Hérat. Ils recrutent grâce à leur propagande mais aussi grâce aux soldes qu’ils proposent et qui sont bien supérieures aux salaires ordinaires. Pressions tous azimuts En ce qui concerne les partis extrémistes qui jouent Selon Hedayat, un travailleur social, ces groupes ont un rôle important, nous pouvons en citer deux exemples. trop de pouvoir et défient même le gouvernement. Par - Le Hezb ut-Tahrir est un parti international très exemple, début 2018, un terroriste recherché par la po- actif en Afghanistan. Il est basé essentiellement à Ka- lice s’est réfugié dans la mosquée Masdjed Ghudal de boul, mais sa branche ouest est très développée à Hé- la madrassa Darolulum Ahli Herat, au centre-ville. La rat. Lors d’une réunion du conseil ministériel, Abdullah police s’est rendue dans cette mosquée pour l’arrêter. Abdullah, chef de l’exécutif du gouvernement afghan, Les imams et leurs disciples ont manifesté : « Nous a qualifié le Hezb ut-Tahrir de plate-forme pour la pro- condamnons l’incursion du gouvernement dans les pagation du terrorisme. lieux sacrés ». Ce parti aurait des activités terroristes auprès des Hedayat dit que ces imams sans scrupules s’oppo- jeunes et dans les milieux universitaires1. Il préconise sent ouvertement à la musique, au port de certains vête- un calife dans le monde musulman. Chaque pays serait ments par les jeunes, au rasage qu’ils qualifient de bar- un gouvernorat provincial de ce califat. Ce parti aurait bares. Ils protestent en permanence contre les médias été fondé par un religieux arabe Cheikh Taqi al-Din, en qui jouent pourtant un rôle précieux dans ce pays. Ils 1953. Selon Aziza K. Le Hezb ut-Tahrir ne figure pas sont contre la télévision et même contre la prise de pho- dans le registre des partis politiques afghans mais il est tos. Paradoxalement, ils ont leur télé et d’autres médias. pourtant bien organisé. Selon elle, ce parti est un parti Malgré la protection de la police, le jeune Abdul illégal qui a des agissements bien structurés. Wahed Dadchani qui avait lancé ses chaussures sur - Le Djamiat Eslah est basé à Kaboul, mais il est Golboddin Hekmatyar (le chef du Parti Islamique) a actif dans toutes les grandes villes du pays. A Hérat sa été menacé en permanence. L’université privée a refusé branche Akhlaq wa Marefat (Éthique & Sagesse) est son inscription. Il ne pouvait plus se rendre dans son très active. Elle organise des conférences, des cours village. Sa famille a été sous la pression des islamistes. de religion, des rencontres, des débats et bien d’autres Finalement il a dû quitter le pays. activités. La plupart de ses adhérents sont des intellec- Un autre jeune diplômé cite un exemple : bien que tuels musulmans et des cadres comme des médecins, Hérat ait été la terre de la musique et du chant, il y a des enseignants, des ingénieurs, ou encore des hommes quelques temps des imams avec une centaine de sym- d’affaires qui financent ce parti. pathisants se sont rassemblés devant le grand stade de football, lieu d’un concert de Chafiq Morid, chanteur et artiste renommé qui voulait chanter pour les citoyens de la province. Ils ont réussi à faire annuler le concert. L’Institut d’Etudes Stratégiques Deux ans auparavant, les imams s’étaient opposés à un Avec trois personnes, nous sommes allés voir M. Erfan concert de Farhad Darya, célèbre chanteur afghan. En Erzaz, le responsable du comité régional de l’Institut guise de contestation une bombe avait explosé devant le d’Etudes Stratégiques d’Afghanistan. Par le biais d’en- 4 Les Nouvelles d’Afghanistan n°163
POLITIQUE A gauche de la photo: M. Erzaz, lors d’une conférence de l’Institut d’Etudes Stratégiques. Photo Z. Divantchégui Conférence au comité régional de l’Institut d’Etudes Stratégiques d’Afghanistan. Photo Z. Divantchégui hadiths. Le reste selon lui est une invention des respon- sables religieux. Abû Hanîfa disait entre autres : « Si quêtes et d’autres recherches l’Institut a fait des travaux une fille a envie d’aller à l’école, ses parents n’ont pas remarquables. Dès l’abord, il nous émeut en rappelant le droit de l’en priver ». Ces propos dérangent les sala- qu’il y trois ans un étudiant de l’université d’Hérat avait fistes qui sont en principe contre l’éducation des filles rejoint les rangs de l’État Islamique (Daech) en Irak et par l’école laïque. qu’il a été tué dans les combats. « Le poids de radica- Le radicalisme en Afghanistan est inspiré par le sa- lisme inquiète tout le monde » dit-il. lafisme qui est monnaie courante dans les écoles pa- M. Erzaz précise : dans un travail de recherche l’Ins- kistanaises. Ces écoles influencent certains milieux is- titut d’études stratégiques d’Afghanistan a démontré lamiques. La dérive radicale en Afghanistan peut être que les courants radicalisés ont bien infiltré les univer- ainsi la conséquence de ces influences pakistanaises. sités, les établissements scolaires, les réseaux sociaux Dans l’éducation laïque, il y a en principe des et même les rangs des forces de police. échanges entre professeurs et élèves. Dans les écoles Dans les décrets du ministère de l’Education, nous religieuses l’apprentissage est vertical. Tout ce que le lisons que l’Education nationale est censée construire maître dit est irréversible et incontestable. La contesta- quatre écoles religieuses par an. Cela empêcherait que tion est interdite. les jeunes étudiants en théologie prennent le chemin Les prêcheurs des idées radicalisées s’opposent ou- des écoles extrémistes et surtout cela encouragerait des vertement à la modernité et à la démocratie. « Mais ils Tâlebân à éviter les écoles radicalisées pakistanaises. utilisent tous ces moyens pour arriver à leurs fins ». En 2015 selon un travail de recherche, à Hérat il y Certains groupes catalogués radicaux continuent leurs avait 29 écoles religieuses officielles et plus de mille manœuvres sous d’autre nom. La liberté d’expression non officielles. Ces écoles non officielles sont en crois- est ainsi au service des intégristes. sance régulière. Car il y a un exode de réfugiés vers Dans les rencontres que nous avons eues, ont été Hérat et leurs enfants prennent le chemin de ces écoles. évoqués les éléments suivants favorisant le radica- Les jeunes des régions en crise viennent à Hérat où ils lisme : trouvent plus de confort et moins de tensions. Un de ces - L’illettrisme. Malgré une petite amélioration, 71% centres est Darolulum Ahli Herat. Il appartient à Mao- (le taux pour les femmes atteint 86%) de la population lawi Djalilollah Maolawizadah, ancien juge suprême reste illettrée. C’est un terrain favorable pour semer des des Tâlebân. Ses enseignements sont indépendants de propagandes haineuses. ceux de l’Education nationale. L’Etat n’intervient pas - La pauvreté. C’est un fléau qui a des conséquences dans ses affaires. « Pire encore, il ne peut pas interve- graves. Selon les donnés de la Banque mondiale, 36,3% nir ». de la population afghane vit en dessous du seuil de pau- Un étudiant de l’université nous dit que des profes- vreté. 45,7% des Afghans sont au chômage. Les cou- seurs des universités publiques tiennent un discours ra- rants radicaux recrutent souvent parmi des gens vulné- dicalisé. Il y a une différence entre ce qui est dans le rables et désespérés. programme scolaire et ce qu’ils disent aux étudiants. - Les ingérences. Beaucoup d’Afghans disent que Il se souvient d’un professeur de tendance salafiste qui le radicalisme est financé tant par la production et le a tenu ouvertement des propos injurieux envers Abû commerce de la drogue que par des pays comme le Pa- Hanîfa (fondateur au 8ème siècle de l’école hanafite kistan, l’Arabie Saoudite et les pays du Golfe. de droit musulman). Or les Afghans sunnites sont ha- néfites. Abû Hanîfa est connu pour ses positions juri- 1- Ce parti ne préconiserait cependant pas la violence, selon Wikipédia diques ouvertes : il ne reconnaît qu’un nombre limité de (NDLR) Les Nouvelles d’Afghanistan n°163 5
POLITIQUE La campagne électorale à Kaboul par Etienne GILLE Rue de Kaboul : débauche d’affiches électorales. Photo Afrane Après plusieurs années de report, les élections législatives ont pu finalement se dérouler le 20 octobre. La campagne électorale a montré qu’elles représen- taient quelque chose d’important pour la population. Etienne Gille, présent en Afghanistan avant ces élections, apporte son témoignage. Ce qui frappe quand on arrive à Kaboul, c’est l’in- il fallait soit conserver sa place, soit en conquérir une vraisemblable floraison de portraits de candidats de pour le revitaliser. Les intimidations des Tâlebân n’ont toutes sortes dans les avenues de Kaboul. Il y a en effet pas réussi à étouffer le désir démocratique. 800 candidats pour 33 sièges, et chacun veut se faire La vigueur de la campagne est étonnante. En reve- connaître de tous. nant un jour de Dacht-e Bartchi, l’immense faubourg Cette floraison scandalise certains qui trouvent que hazâra de Kaboul, j’ai recueilli pas moins de trois tracts cet argent aurait pu être mieux utilisé en étant distribué de personnalités différentes distribués par des militants. aux pauvres. Ramazan Bachardoust (qui est un oppo- Des caravanes de candidats de toutes sortes sillonnaient sant notoire au sein du Parlement) en a pris le contre- la ville et il suffisait de tendre le bras pour avoir une pied en étant totalement absent de l’affichage, mais il profession de foi. distribue des tracts et des bons de soutien. Quoi qu’il en soit, beaucoup de personnes ont ma- nifestement pensé qu’elles avaient une opportunité à Les modalités du scrutin saisir en se présentant aux élections. Et que le Parle- Il s’agit d’un scrutin à un tour. Seront élus les can- ment, aussi discrédité soit-il, était un lieu de pouvoir où didats ayant obtenu le plus grand nombre de voix. Ce système est critiquable, mais n’est pas non plus sans « 800 candidats pour 33 sièges ». Photo DR intérêt. Dans une grosse circonscription comme celle de Kaboul elle favorise la présence de candidats très divers dont certains, peu connus, ont malgré tout leurs chances. Mais le mode de scrutin n’encourage pas la constitution de listes de candidats qui auraient un pro- gramme national. Le système conduit à un processus de vote assez burlesque. J’ai oublié de noter le nombre de pages que comporte un bulletin, mais il est de plusieurs dizaines, si bien que chaque affiche, chaque tract comporte le nu- méro du candidat, son logo (attribué par tirage au sort) et la page du bulletin où on peut le trouver. 6 Les Nouvelles d’Afghanistan n°163
POLITIQUE a un sikh. Ramazan Bachardost a mené sa campagne de ma- nière très personnelle. Dans un mail qu’il a adressé à son fichier et il aurait dit la même chose à la télévi- sion, il a écrit : « prenez l’argent qu’ils distribuent ; mangez les palao qu’ils vous préparent, mais votez pour moi. » Les réunions électorales accompagnées d’un repas sont en effet fréquentes. Qui vote pour qui ? A Dacht-e Bartchi, il est frappant de constater qu’une fois franchi le rond-point de Kaboul qui y conduit, soudain toutes les figures changent et on ne voit plus guère que des affiches de candidats hazaras. Pourtant la province de Kaboul ne constitue qu’une unique circonscription, mais les candidats hazaras ont ma- Tract d’un candidat. Le recto est en pachtou et le verso en persan. En bas, de droite à gauche, la nifestement centré leur campagne sur les lieux de page du bulletin de vote où se trouve le candidat, puis son numéro d’ordre (447), puis sa photo puis son logo (tiré au sort). résidence hazara. Il y a donc un vote ethnique, mais pas seulement. Personne ne croyait il y a quelques mois que les Des membres de la classe moyenne m’ont dit vouloir élections, reportées à plusieurs reprises, pourraient voter pour Ramazan Bachardost, car il est intègre. Evi- avoir lieu. Un diplomate d’une ambassade européenne demment la réputation d’intégrité des candidats joue confiait d’ailleurs il y a quelque temps, qu’au fond, vu un rôle déterminant dans le vote, plus que les aspects le travail que faisait le Parlement, son renouvellement idéologiques. n’était pas une priorité. Le phénomène actuel n’en est Un chauffeur, Pachtoun brut de décoffrage, m’a dit que plus remarquable. qu’il voterait pour une femme. Beaucoup votent pour quelqu’un de leur entourage qu’ils connaissent. Les ré- sultats des élections sont donc largement imprévisibles, Les craintes sécuritaires surtout à la marge, car les résultats autour de la 30 ème place (en ce qui concerne Kaboul) seront sans doute On s’est d’ailleurs demandé jusqu’au bout si les élec- serrés. Personne ne se hasarde à prévoir la constitution tions pourraient se tenir. Les Tâlebân ont mené des du prochain Parlement. campagnes d’intimidation. Quelques jours avant le scrutin un dixième candidat a été tué dans un attentat. Des écoles abritant des centres d’inscription et de vote ont été attaquées. Pour minimiser les risques, les écoles Qui ne vote pas ? ont été mises en congé dès le lundi précédant les élec- Evidemment tout le monde ne vote pas. Un certain tions. nombre de gens ne se sont pas inscrits sur les listes élec- Certaines personnes ont préféré voter en fin de jour- torales, soit par peur des représailles annoncées par les née, une fois passés les risques d’attentat. Tâlebân, soit parce qu’ils se sont sentis floués lorsque, lors des dernières présidentielles, les résultats ont été redressés, conduisant à la victoire de Ghani. Qui est candidat ? Beaucoup, inscrits ou non-inscrits, sont cependant conscients que le fait de voter est un signe pour montrer Les candidatures sont très diverses. Il y a les anciens qu’on n’est pas d’accord avec les Tâlebân. candidats qui se représentent (mais tous les députés ne se sont pas représentés). Il y a des hommes d’affaires. Selon certains, cela pourrait conduire à un assouplisse- ment des lois concernant l’économie en diminuant les En province contraintes bureaucratiques (et la corruption qui y est Pas grand-chose à dire sur la province. A Bamyân liée). Il y a des hommes politiques ou des fils d’hommes même, on a vu des réunions électorales, regroupant politiques, comme le fils de Golbuddin Hekmatyar. Il y parfois un petit nombre d’hommes. J’ai assisté aussi a des jeunes. Il y a des femmes qui n’ont pas hésité à dans un hôtel de la ville au début d’une réunion électo- afficher leur portrait en grand, et même parfois en très rale tenue par une candidate femme et regroupant 200 grand. Il y a des progressistes et des réactionnaires. Il hommes. Il y avait un dispositif de sécurité mais relati- y a beaucoup de gens affichant leur qualité d’hadji. Il y vement modeste. Les Nouvelles d’Afghanistan n°163 7
POLITIQUE Témoignages sur les élections Les élections d’octobre ont donné lieu à des articles de presse qui, en France du moins, en ont surtout relevé les dysfonctionnements. Nous avons demandé à un certain nombre de connaissances comment cela s’était passé pour eux. Voici leurs témoignages bruts. Par discrétion nous n’avons indiqué que l’initiale du prénom de leurs auteurs. Si la plupart des points de vue expriment une certaine satisfaction, le plus dur reste à venir : la proclamation des résultats, qui ne manqueront pas d‘être contestés. Les témoignages recueillis1 n’ont aucune valeur candidats jeunes et engagés était plus grand. De plus statistique. Le nombre des personnes interrogées est le nombre des candidats ayant fait des études, comme faible, leur origine sociale, quoique variée, n’est pas re- des professeurs d’Université, était remarquable. Quant présentative de la population, enfin seulement trois pro- aux candidates, même si leur nombre n’était pas de vinces sont concernées. Il n’en reste pas moins que ces même importance que celui des candidats, leur mince points de vue témoignent de la motivation de beaucoup présence a empêché la domination absolue des chefs. Il d’électeurs. y a même eu un candidat de la minorité sikhe. De mon point de vue, la candidature de personnes de différents groupes ethniques, races, religions, genres, et langues A Kaboul (Dacht-e Bartchi) peut rapprocher l’Afghanistan de l’unité nationale et Il s’agit d’un quartier hazara de Kaboul. aider à la diffusion des valeurs démocratiques. Témoignage en persan. Traduction : « Heureuse- Mais d’autre part, malheureusement, un certain ment, cette année, les élections comme les années pas- nombre d’individus riches et fils de chefs de guerre se sées se sont passées très bien et tout le monde a pu vo- sont aussi portés candidats. J’espère que de telles per- ter pour le candidat de son choix. De même, dans ma sonnes ne pourront pas entrer au Parlement. La com- famille tout le monde a pu participer aux élections et mission des élections n’étant pas indépendante comme voter pour le candidat préféré. En outre, le nombre des votants, contrairement à ce que Une longue file d’attente devant un bureau de vote Photo DR j’attendais, a été remarquable. Dans notre quartier la sécurité des bureaux de vote a été assurée par les forces gouvernementales et par les forces et les gens du lieu. Heureusement, le jour des élections il n’y a pas eu d’inci- dent sécuritaire à déplorer et les gens ont participé en toute tran- quillité à cet événement impor- tant. Pour les élections législa- tives de cette année le nombre de 8 Les Nouvelles d’Afghanistan n°163
POLITIQUE « On a pris mes empreintes digitales et photo- graphiées deux faces de la carte d’identité » Photo DR elle devrait l’être, la probabi- lité qu’il y ait des fraudes est grande. Les riches et les chefs de guerre du djehad peuvent avec de leur argent et leur pouvoir politique s’impo- ser comme étant élus par les gens. Malgré toutes les difficul- tés, je suis optimiste en ce qui concerne l’avenir. J’accueille positivement les élections car les élections éclairent l’esprit des gens relativement à leur avenir politique et exercent les gens à la démocratie. A mon avis, les élections ne A Djalalabad sont pas seulement un événement politique mais sont Témoignage en persan. Traduction : « A Djalalabad, les aussi un événement culturel car les élections entraînent élections se sont bien passées. Les gens ont voté pour l’implantation de la culture démocratique dans la so- leur candidat. Ce fut un peu difficile, mais cela s’est ciété. » (A) bien passé. Moi aussi j’ai voté, pour un docteur. C’est quelqu’un de bien. On verra ce qui sortira des élections. Dans la province de Djalalabad, les gens, hommes A Djalalabad comme femmes, ont voté pour leur candidat. La diffi- « Les élections se sont très bien passées. J’étais prési- culté principale qui s’est présentée dans ces élections dent de site mais je vais partager mes réflexions en tant est que le nom de certains électeurs n’était pas inscrit que public. sur les listes et les gens ont été ennuyés. Les élections Je pense que les élections étaient très sûres et anti- ont duré deux jours et ces jours ont été des jours de corruption car personne ne pouvait voter deux fois. Les congé. » (N) mobiles biométriques étaient une très bonne idée. La sécurité était meilleure que ce à quoi nous pen- sions. Je pense que 90% des centres de vote étaient sé- A Bâmyân curisés. « Ici, à Bâmyân, malgré toutes les difficultés techniques On peut donc dire que les élections de 2018 ont été et logistiques, l’élection législative s’est bien passée. les plus sûres de l’histoire de l’Afghanistan. Nous espé- Mais moi-même, comme je n’étais pas enregistré pour rons un bon résultat. » (F) l’élection, je n’ai pas pu voter. En général, à Bâmyân la situation électorale n’était pas mal.» (N) A Bâmyân Témoignage en persan. Traduction : « Nous avons par- A Kaboul ticipé aux élections ainsi qu’un grand nombre de per- « Le samedi, 21 septembre, jour des élections, était dé- sonnes. J’étais à Bamyan et là beaucoup de gens ont claré jour férié par le gouvernement pour que l’on puisse voté. Il y avait sécurité et calme. A Chinia-e Takht (un voter dans les meilleures conditions de sécurité. Vers district éloigné), tout le monde a participé et les centres dix heures du matin je me suis rendu au Lycée Alfath, de vote étaient calmes et la sécurité était complète. » le bureau de vote où je m’étais fait inscrire. Quelques (M) minutes auparavant on avait entendu un bruit d’explo- sion. A l’entrée de l’école un policier, plutôt timide, m’a demandé si je voulais bien me laisser fouiller. Une for- A Kaboul malité toute simple. Les listes électorales avaient été « Nous n’avons participé, ni moi ni mon mari. Nous établies par ordre alphabétique. Les lettres de l’alphabet n’avons pas trouvé de personne fiable pour qui voter. » avaient été réparties entre quatre classes. La file où je (F) me suis inséré était de loin la plus longue. Un jeune Les Nouvelles d’Afghanistan n°163 9
POLITIQUE Kaboul. Poster électoral d’un candidat qui s’affiche avec le portrait de Nadjibullah. Photo Afrane cent quatre candidats. J’ai plongé mon doigt dans l’encrier disposé à cet effet et j’ai reçu mon carnet de vote plié. Je me suis dirigé vers l’isoloir et après avoir coché la case voulue j’ai glissé le bulletin dans l’urne. L’opération de vote proprement dite a duré cinq minutes au lieu des quarante secondes annoncées par le porte-parole de la commission électorale. Les opérations de vote ne se sont pas dé- roulées aussi bien dans tous les bureaux. Il y a eu des problèmes qui ont obligé la com- mission de prolonger les élections un jour de plus. Il y avait du mécontentement qui s’est homme entretenait son copain de l’imbécilité de cette exprimé avec véhémence comme il se doit dans ce méthode de classement. Les noms qui commencent par pays. Mais la plupart des commentateurs estiment que M et N sont de loin les plus nombreux. Or les stickers ces élections ont été de loin les plus régulières jamais collés sur les cartes d’identité qui tenaient lieu de carte réalisées en Afghanistan. électorale portaient des numéros. Cela aurait été telle- Il est à prévoir que les 2260 candidats perdants et ment plus judicieux de répartir les votants par numéro les partis politiques dont la plupart n’avaient pas osé d’ordre des stickers. Un peu plus loin, un autre se plai- présenter des candidats sous leur propre étiquette vont gnait à haute voix de la lenteur des opérations. Si une crier au voleur. On peut s’attendre à ce qu’il y ait des bombe explosait dans une file aussi longue ce serait compromis et des compromissions divers lors de la un véritable carnage. L’explosion qu’on venait d’en- proclamation des résultats, mais une chose est certaine. tendre était une petite mine magnétique qui avait sauté L’exercice de la démocratie est désormais une réalité en à la porte d’une école voisine. Il n’y avait que deux ou Afghanistan. » (N) trois blessés légers. Un peu plus loin dans la file : deux jeunes gens discutaient des élections indiennes. Là-bas le système est tellement bien fait que même les sans- abri des rues de Mumbai pouvaient voter sans problème A Kaboul (Dacht-e Bartchi) et il n’y avait aucune fraude. Après cinquante minutes Témoignage en persan. Traduction : « J’ai voté dans d’attente je suis entré dans la phase réelle du vote. Une un des bureaux de vote de Dacht-e Bartchi. Dans ce bu- personne scrutait ma carte d’identité et le sticker qui y reau, plus de 6000 personnes s’étaient inscrites. Le jour était apposé et un autre cherchait mon nom sur la liste. de l’élection il y a eu le rassemblement de beaucoup Après vérification d’identité et de la validité du sticker, de monde, mais les gens, dont moi-même, ont réussi à je suis passé à la table suivante où on a pris mes em- utiliser leur vote.» (H) preintes digitales et photographié les deux faces de la carte d’identité. Puis on m’a photographié. Sur la table A Kaboul voisine un autre préposé a plié le carnet de vote avec Témoignage en anglais. Traduction : « Finalement, j’ai les nom, photo, numéro d’inscription et logo des huit pu voter vers 7 h 30 du soir. Comme le matériel électo- ral manquait, notre bureau n’a commencé qu’à 10 h du Kaboul. Pléthore d’affiches électorales. Photo DR matin. Un grand nombre de votants attendait depuis 7 h du matin. Par ailleurs, il n’y avait pas assez de person- nel électoral pour effectuer le processus biométrique. Dans certains endroits, les élections ont été prolongées un deuxième jour. En fait à Kaboul, il n’y a pas eu d’incidents sérieux empêchant la tenue de l’élection. Hommes et femmes sont allés voter avec un moral élevé et un esprit réso- lu. » (Ch) « J’ai voté pour un bon candidat. La sécurité n’était 10 Les Nouvelles d’Afghanistan n°163
POLITIQUE Des Sikhs attendent leur tout pour voter. Photo DR chose. Alors, j’ai attendu et je l’ai appelé une heure plus tard et toutes les heures. Tou- jours la même histoire, 100 à 150 personnes en attente. Je regardais la télé, voyais les re- portages et quelques incidents d’insécurité aussi. Vers 3h30 alors que je m’apprêtais enfin à y aller et que la file d’attente était toujours aussi longue, la Commission a an- noncé le prolongement jusqu’à 20 h. Du coup, je me suis dit j’y vais avant la tombée pas bonne au début : les gens rentraient dans la foule de la nuit. Et même là quand j’y suis allé, j’ai attendu sans être fouillés. Le centre a été ouvert une heure en 45 minutes en file d’attente. Ce n’était pas désagréable. retard. Les élections se sont prolongées un deuxième Il y avait des gens qui avait attendu 3 heures dans la jour chez nous aussi. Si dans tous les centres ça s’est matinée. L’inscription biométrique n’a pris qu’une mi- passé comme chez nous, on peut dire qu’il n’y a pas eu nute. Ce que je retiens, c’est que les gens ont osé malgré beaucoup de problèmes. » (H) les incidents de sécurité. Dans la file d’attente, avant moi, il y avait un copain qui bossait pour le ministère de « J’habite à Kaboul. J’ai voté pour les élections par- l’Intérieur. Lui, il avait accès à toutes les données des lementaires de l’Afghanistan qui ont eu lieu le 20 oc- incidents. Mais il avait attendu pendant deux heures le tobre. Le bureau de vote était très proche de chez nous. matin pour voter et pendant 45 minutes le soir. Je pense Quand je me suis levé, je suis sorti pour voir s’il y avait que les gens ont voté avant tout contre les Tâlebân. » quelqu’un devant le bureau de vote. Lorsque je suis ar- (Y) rivé devant le bureau, j’ai vu une longue queue. Tout d’abord, je suis resté dans la queue pour une heure mal- gré ma peur. Malheureusement, le bureau était fermé. Certaines personnes ont insulté le gouvernement. Je me Un témoignage divergent suis fatigué, je suis retourné chez moi. Mais avec beau- « J’ai quitté Kaboul lundi dernier, j’ai donc raté ces coup de difficulté, j’ai voté vers 19 h 30. Après le vote, élections. J’avais pourtant tellement envie de voter. je me sentais bien. » (N) J’ai suivi de près l’actualité et j’étais excitée les pre- « Malheureusement, je n’ai pas voté car j’avais ou- mières heures du matin en voyant les images sur les blié de faire mettre un autocollant sur ma tazkira (carte chaînes de télévision, les lignes d’attente devant les bu- d’identité). » (M) reaux de vote, dans les rues… Je croyais que les risques en votant étaient tellement élevés qu’il ne fallait pas « Moi, je n’ai pas voté car j’ai passé toute la journée attendre une grande participation. Mais non, ces deux sur la route entre Takhar et Kaboul. Je suis arrivée à 11 jours d’élections ont bel et bien montré que les Afghans h du soir. Dans un des bureaux de notre quartier il y a sont plus persévérants et résistants que ce qu’on croit. eu une explosion qui a fait 15 morts. F. m’a dit qu’elle J’ai vu beaucoup de photos sur Facebook, prises et a voté et que ça s’est bien passé. La procédure a mieux diffusées par des connaissances à Kaboul ou dans les fonctionné qu’à la dernière élection Par exemple, dans provinces. Si vous me demandez mes impressions, tout le bureau on cherchait le nom de la personne qui voulait d’abord c’est la prosternation devant les Afghans, qui voter sur la liste des inscrits. S’il n’y avait pas le nom de sont sortis malgré toutes les menaces sécuritaires. la personne sur la liste elle ne pouvait pas voter et il y a Mais de l’autre côté, c’étaient les élections les plus eu la machine à empreintes digitales aussi. » (Z) ridicules qui ont jamais eu lieu en Afghanistan, c’est ce « Ce jour-là, j’ai commencé à recevoir les alertes qu’on entend et lit ces jours-ci de la part des citoyens sécurité dès le matin et quasiment toutes les cinq ou dix afghans. Cela est dû à la gestion chaotique et imprégnée minutes, il se passait quelque chose, souvent une explo- de corruption du gouvernement et de la Commission sion, dans un bureau de vote ou à côté. En même temps, électorale, ce qui remet fondamentalement en question je voulais voter. J’ai demandé à mon voisin, qui était la légitimité de cet événement. observateur de mon bureau de vote, s’il avait voté. Il On trouve deux avis différents à propos du 20 oc- venait de rentrer, m’a montré son doigt2 et m’a dit qu’il tobre : 1) Les dirigeants afghans et les personnes appar- y avait trop de monde. Il avait utilisé un contact pour tenant à la classe gouvernante qui parlent avec un grand ne pas faire la queue. Je ne pouvais pas faire la même enthousiasme de la participation du peuple et la perçoi- Les Nouvelles d’Afghanistan n°163 11
POLITIQUE vent comme un signe de l’instauration de la démocratie les bureaux de vote de deux écoles Mohammadiya et et une garantie pour l’avenir du pays. 2) Les électeurs Zaynab Kobra du 13ème district de Kaboul, des per- qui critiquent l’organisation et les insuffisances de ces sonnes liées aux quatre candidats puissants (les fils de élections. La Commission des plaintes électorales a deux leaders modjahed, un parlementaire actuel et un reçu des milliers de plaintes à propos des fraudes et homme d’affaire puissant) ont fermé les bureaux de d’autres problèmes concernant le vote. vote et ne laissaient pas entrer les observateurs d’autres Premier problème : l’ouverture tardive des bureaux candidats. Mon mari témoigne lui-même que des ob- de vote. De nombreux centres de vote sont restés fermés servateurs n’ont pas pu entrer dans un bureau de vote à jusqu’à 10h, ou 11h et dans certains centres jusqu’à 1h Karté 3 et qu’ils se plaignaient de la violence de la po- de l’après-midi, d’après les rapports de l’agence Tolo, lice à leur égard. f) le mauvais fonctionnement des ap- les témoignages des journalistes locaux (alors que le pareils d’enregistrement biométrique dans une grande scrutin devait commencer à 7h du matin). Ce qui a pro- partie des bureaux de vote. Au lycée Rabia Balkhi à voqué de longues files d’attente dans les rues et la frus- Karté 4 cet appareil ne fonctionnait pas du tout. A la tration de la population. Farahnaz Foroutan, reporter de mosquée Baqir-ol Olum, cet appareil fonctionnait mal, Tolo, a fait un reportage sur l’état des bureaux de vote ce qui allongeait la procédure de vote. dans l’ouest de Kaboul : aucun centre n’a été ouvert à Du fait de ces dysfonctionnements, de nombreux ci- temps ou avec un peu de retard. Elle s’est rendue dans toyens n’ont pas pu voter. Un ami qui habite à Bahador un bureau de vote d’un quartier lointain mais peuplé de Khan, à l’ouest de Kaboul a écrit à 4h de l’après-midi Bartchi. Il y a des dizaines d’habitants en attente mais sur sa page facebook qu’après s’être rendu quatre fois à 11h du matin, parmi les 33 employés de la Commis- au bureau de vote, il est retourné chez lui sans avoir pu sion électorale, seulement l’un d’entre eux était présent. voter. (…) Mon mari qui devait voter à la mosquée Mo- Pour cette raison ce bureau est resté fermé le premier hammadiya à Karté 3, s’y rend à 11h. du matin. Il quitte jour ! le lieu après 20 minutes d’attente en voyant le désordre Ce n’est malheureusement pas tout. Les problèmes et la longue file d’attente dans la rue. A 13h30, il s’y les plus importants : a) le manque de bulletins de vote rend une deuxième fois en espérant que la situation sera (…) b) l’envoi erroné des listes électorales. L’un des plus ordonnée, mais quitte le lieu sans pouvoir voter. amis qui devait voter au quartier 3, se rend compte que Une autre amie de moi, réussit à voter au bureau de vote la liste présente dans ce bureau de vote appartient à un de l’Université de Kaboul après quatre déplacements centre de vote de la province de Paktya ! Dans certains entre 8h du matin et 18h. bureaux de vote on a attendu la liste des inscrits pen- Tout ceci concerne la capitale. Imaginez la situation dant des heures. c). la discordance entre la liste élec- dans les provinces. (…) torale et la liste des personnes inscrites. Beaucoup de Ces élections m’ont déçue. Peu de personnes peu- gens n’ont pas trouvé leur nom dans la liste électorale vent faire confiance aux résultats de telles élections. » de leur bureau de vote, alors qu’ils avaient sur l’envers (B) de leur tazkera l’étiquette officielle de leur inscription. C’est le cas d’une de mes amies. d) Le désordre dans 1- Les témoignages sont dans l’ordre inverse de leur réception. Les premiers reçus sont donc en fin d’article. les lieux de vote. e) l’absence d’observateurs dans cer- 2- Quand on vote, on trempe son doigt dans de l’encre indélébile. tains bureaux de vote : un citoyen témoigne que dans Les Nouvelles Afrane d’Afghanistan Permanence: 16 passage de la Main d’Or -75011 Paris Tel. : (33) 01.43.55.63.50 La revue LES NOUVELLES D’AFGHANISTAN est une revue trimes- L’association Amitié Franco-Afghane (Afrane) a été fondée au début trielle éditée par AFRANE (Amitié Franco-Afghane). Les opinions de 1980, en réponse à l’occupation militaire de l’Afghanistan par les émises dans les articles n’engagent que leurs auteurs. Titres et sous- Soviétiques. Organisme d’aide humanitaire, Afrane ne souhaite qu’ai- titres sont de la responsabilité de la rédaction. der les Afghans et ne se situe dans la mouvance d’aucun parti poli- tique. Elle soutient à présent prinicipalement des projets éducatifs. Abonnement France et U.E. - 4 numéros ............................. 22 € Adhésion avec abonnement à la revue Abonnement de soutien France et U.E. - 4 numéros ............ 40 € Les Nouvelles d’Afghanistan .................................................. 48 € Abonnement France et U.E. - 8 numéros ............................. 42 € Adhésion de soutien (avec abonnement) à partir de ............... 60 € Autres pays -4 numéros ....................................................... 32 € Adhésion seule (sans abonnement) ......................................... 28 € Autres pays -8 numéros ........................................................ 60 € DON (déductible de l’impôt dans les limites prévues par la loi) (un reçu sera adressé sur demande) .......................................... € NOM .......................................... Prénom........................................... Adresse................................................................................................ NOM .......................................... Prénom........................................... .....................................................Tél ou email.................................... Adresse................................................................................................ .....................................................Tél ou email.................................... Tout règlement à l’ordre d’AFRANE, merci. 12 Les Nouvelles d’Afghanistan n°163
ENSEIGNEMENT Rêves de jeunes filles Propos recueillis par Charline FERRAND et Frozan AFZALI * L’équipe d’AFRANE à Kaboul a rencontré un groupe d’adolescentes de deux écoles de Tcharikar à 70 kilomètres au nord de Kaboul. Elles ont parlé libre- ment et confié quelles étaient leurs difficultés et leurs aspirations. Loin d’être abattues par l’adversité, elles conjuguent innocence et détermination. Et elles sont très attachées à leur culture. Un mardi matin de novembre, dans une classe de fran- L’assemblée comptait aussi de futurs professeurs (« Je çais de 9ème année, à Tcharikar. Accueillies par des veux être une bonne professeure, pour enseigner dans jeunes filles d’une quinzaine d’années nous lançant un les provinces isolées car toutes les filles doivent avoir appuyé « Bonjour !!! Comment ça va ? », presque sans accès à l’éducation »). aucun accent – presque –, nous prenons place. Large Deux d’entre elles rêvent de devenir médecin « pour sourire aux lèvres, concentrées et attentives aux ques- résoudre les problèmes des gens », « créer un hôpital tions que nous sommes venues leur poser, elles échan- en l’honneur de mon grand-père mais je le sais c’est gent quelques regards furtifs avec leurs professeures, un chemin difficile qui demande beaucoup de travail ». avant que ne débute le jeu des questions/réponses en Enfin, parmi les rêves évoqués, celui de devenir français et dari. Complicité évidente entre elles. Am- présidente d’Afghanistan : « Je travaillerais beaucoup biance apaisée et chaleureuse. pour promouvoir les femmes, empêcher la fuite des cer- veaux, la migration et donner des facilités pour les gens Alors, à quoi rêvent-elles ces jeunes filles d’ici. Je créerais des universités pour supprimer le chô- de Tcharikar, en 2018 ? mage ! ». Un beau programme ! « Moi, je veux être dentiste parce que j’adore ! Mais… tu n’as pas peur du dentiste ? Non, non, je n’ai pas peur, j’adore aller chez le dentiste ! » et toi ? « -Moi Vos rêves, désirs pour l’avenir sont divers je voudrais être professeure de langue française car je et tous très ambitieux ! Comment alors agirez- voudrais aller à Paris ». vous en faveur de la paix dans votre pays ? Une autre de ces jeunes élèves voudrait devenir Là encore, les réponses fusent : « J’aime la paix, je avocate pour défendre les droits des femmes ici, en n’aime pas la guerre car nous sommes fatiguées de la Afghanistan (« L’Islam a donné des droits, une égalité guerre », « Moi je crois qu’il faut travailler à l’unité, à aux femmes et aux hommes mais en vrai, elles n’ont la solidarité dans mon pays, car comme cela, personne aucun droit, il n’y a aucun respect pour elles. Dans ne pourra nous attaquer ». La place des femmes est beaucoup de provinces, les femmes sont considérées évidemment interrogée : « On doit aussi travailler en- comme inférieures »). Pour certaines, ce sont des rêves semble pour apporter l’égalité entre les hommes et les de journalisme qui les habitent, pour communiquer « à femmes ». Certaines – les plus militantes – proposent tout le monde » sur ce qu’il se passe en Afghanistan. d’agir immédiatement : « On pourrait créer une cam- pagne de sensibilisation en direction des élèves dans tous les lycées de Tcharikar pour transmettre cette idée 1- Membres de l’équipe d’AFRANE à Kaboul. de paix aux parents et aux familles ! » Les Nouvelles d’Afghanistan n°163 13
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