NO310 - JANVIER/FÉVRIER 2021 - Inter-Environnement Bruxelles
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Bimestriel, Paraît 6 fois par an Bureau de dépôt : Bruxelles X P 302402 PÉR IODIQUE ÉDITÉ PAR INTER-ENVIRONNEMENT-BRUXELLES, FÉDÉRATION DE COMITÉS DE QUARTIER ET GROUPES D’HABITANTS N O 310 – JANVIER/FÉVRIER 2021 POLIS – POLICE
2 / POLIS – POLICE Bruxelles en mouvements 310 – janvier/février 2021 INTRODUCTION LA POLICE ET LA VILLE La police occupe désormais une place considérable dans le débat public, chose dont cette institution se serait sans Ce principe et ses implications ont fait l’objet d’un doute bien passée. De dérapage en bavure, la confiance travail académique ici vulgarisé. Lire p. 12-13 Pour diverses raisons, certain·es refusent de en les forces de l'ordre est mise à mal auprès d'un nombre jouer le jeu de la manifestation déclarée, ce fut le croissant de personnes et de nombreuses voix s'élèvent cas cet été à Saint-Gilles à la suite d’une violente agression sexiste sur deux jeunes femmes. Le aujourd'hui pour dénoncer un problème structurel et systé- Collecti.e.f 8 maars revient sur cet événement, mique. La dénonciation des « pommes pourries » ne suffit ainsi que sur le sexisme inhérent au maintien d’un ordre, sexiste lui aussi. Lire p. 14-16 plus. À travers ce dossier, notre volonté est notamment Dans l’urbanisme aussi le poliçage se déploie : sur les places, sur les murs, dans les de relier ces faits au territoire sur lequel ils se déroulent. réverbères… les technologies de la surveillance et l’intégration des conceptions sécuritaires Sarah De Laet & Andreas Stathopoulos, Inter-environnement Bruxelles dans l’espace public s’inscrivent dans nos villes jusque dans les moindres détails. La police, main ➪ dans la main avec la technopolice… Lire p. 18-19 & 20-22 Nous sommes en février 2021, nous BRUXELLES, VILLE POLICÉE Retour à Cureghem, près du parc de la bouclons un journal sur le lien entre Une grande partie des articles que nous vous pro- Rosée, à deux pas des bureaux d’IEB. C’est sur la ville et la police. « Mais quel rap- posons s’intéresse particulièrement aux quar- le témoignage de travailleur·euses sociaux qui port avec l’environnement ? », se demanderont tiers populaires de Bruxelles. Des espaces dans connaissaient bien Ibrahima que s’achève ce sans doute certain·es. Pourquoi une fédération lesquels les actions de la police, et la surveillance numéro de Bruxelles en mouvements. Ils resituent de comités et de groupes d’habitant·es comme en général, révèlent un classisme, un racisme et dans leur quotidien professionnel ce deux poids- la nôtre éditerait un numéro de sa publication un sexisme structurels. deux mesures auquel il et elle font face au quo- sur un tel sujet ? L’environnement, comme nous À Cureghem, après les émeutes des années tidien. De l’arbitraire, une collection de petites l’entendons chez IEB, est à la fois social, écolo- 1990, la vision de quartiers populaires dange- et grandes agressions qui rappellent à certain·es gique, économique, politique, culturel, urbanis- reux – devant être tenus – s’est traduite par la mise que la ville n’est pas pour eux. Lire p. 23 tique… L’environnement, ce sont aussi les per- en en place de politiques policières répressives Les violences policières existent depuis sonnes qui y habitent, et leurs corps. Des corps et de politiques urbanistiques qui de facto visent longtemps, elles semblent désormais s’invi- marqués par une violence institutionnelle, sys- et s’exercent aux dépens des jeunes issus des ter aussi dans la vie des personnes blanches et témique, qui semble s’amplifier. Des corps qui milieux populaires. Lire p. 4-7 issues de la classe moyenne qui sont ainsi ame- se déplacent dans un environnement sécurisé, À quelques kilomètres de là, à Saint-Gilles, nées à découvrir ce que les habitant·es des quar- contrôlé, filmé. Latifa du Collectif des madres nous fait prendre tiers populaires subissent depuis longtemps. Lorsque nous avons commencé ce projet, conscience des impacts psychologiques et Adil était décédé quelques mois plus tôt, et nous sociaux de ces politiques et comportements poli- MAINTENIR LE ( DÉS) ORDRE venions d’assister à l’action violente de la police ciers. Lire p. 8-9 Nous aurions pu traiter encore de nombreux sujets à la fin de la manifestation du 13 septembre Le rôle de la police, dans une ville comme au sein de ce journal, qui n’est en rien exhaustif, organisée par la Santé en lutte. Cela prend du Bruxelles, dans un centre-ville touristique et simplement notre pierre à l’édifice d’un travail temps de faire un journal, le temps qu’Ibrahima des quartiers en gentrification, c’est aussi faire critique dans lequel d’autres sont engagé·es de et Ylies meurent eux aussi, et respecter une impression d’ordre, tout cœur et de tout corps, une manière de tisser que d’autres manifestations aient lieu et soient elles aussi « Que fait la police de garantir une certaine paix aux nouveaux habitant·es et de des liens entre différentes pratiques. Tous ces sujets nous auraient probablement réprimées. La question que en ville ? Que fait nouveaux usages avec lesquels renvoyés à ce constat : la police maintient l’ordre nous nous sommes posée et la présence de sans-abri, mais existant, son action est à l’image de celui-ci. En que nous avons posée aux per- la police à la ville ? » aussi des sans-papiers, colle corollaire, la répression vise les manifestations sonnes qui ont collaboré à ce mal. Pour dégager ces indési- des « problèmes sociaux », pas leur cause. À l’ère Bruxelles en mouvements pourrait être naïvement rables, les règlements mis en œuvre à l’ère Covid du néolibéralisme, d’un accroissement de la pau- résumée comme telle : « Que fait la police en semblent particulièrement utiles. Une habi- vreté et d’une réduction continue des redistri- ville ? Que fait la police à la ville ? » tante qui a pris la défense d’un sans-abri raconte butions sociales (sous forme de services publics Ce numéro s’appuie sur des apports exté- l’absurde machine judiciaire dans laquelle elle notamment), il n’y a sans doute rien d’étonnant rieurs à IEB, des personnes dont les actions et se trouve désormais. Lire p. 10 & 11 à les voir se multiplier. ♦ les questionnements voisinent les nôtres et se En dépit du droit de manifester, la police complètent. s’assure également que les événements dans l’es- pace public se déroulent en toute sécurité, selon le principe de « Gestion négociée de l’espace public ».
4 / POLIS – POLICE Bruxelles en mouvements 310 – janvier/février 2021 LES HABITANTS DE CUREGHEM CONFINÉS ENTRE POLITIQUES SÉCURITAIRES, REVITALISATION URBAINE ET CIBLAGES POLICIERS Le 10 avril 2020, Adil, un adolescent de Cureghem obtenu la nationalité belge à l’occasion de l’assou- plissement des règles d’acquisition de celle-ci, il perd la vie à la suite d’une course-poursuite avec faudra attendre 2006 pour que les résidents étran- un véhicule de police qui le percute. Il est évident que gers aient accès au droit de vote lors des élections communales, ce qui aura pour effet de modifier le lieu du drame n’est pas anodin et que les mêmes la stratégie des partis, qui vont intégrer des can- didats issus de ces quartiers ou de ces groupes faits n’auraient probablement pas eu la même issue sociaux sur les listes électorales. Cet état de fait tragique s’ils s’étaient déroulés sur le territoire d’une explique pour partie que l’impulsion pour réno- ver Cureghem viendra, dans les années 1990, commune aisée de la seconde couronne bruxelloise. plus des instances fédérales et régionales que de la commune 2. Retour sur des politiques qui ciblent des quartiers au détriment de leurs populations. UN CIBLAGE DES QUARTIERS ET DES INDÉSIRABLES Muriel Sacco, ULB–Germe, & Claire Scohier, IEB Alors qu’on assiste en 1997 au premier contrat de quartier Cureghem-Rosée et à la mise en place ➪ du programme Sécureghem, Saïd Charki, un Ce drame nous interpelle d’autant quartiers passe à court terme par la transfor- habitant de Cureghem de 24 ans, est abattu le plus qu’il survient vingt-trois ans mation de l’environnement physique afin que 7 novembre par la gendarmerie en plein cœur après une situation similaire dans le le cycle des dégradations urbaines et de l’insé- du quartier. S’ensuivent trois jours de manifes- quartier et que des explications similaires sont curité soit endigué. Les mesures qui découlent tations mêlant des habitants, des associations mobilisées pour les expliquer, montrant ainsi de cette théorie de la vitre cassée désignent les anti-racistes, des militants. Le bourgmestre que les leçons du décès de ces jeunes n’ont pas habitants comme responsables des dégrada- ordonne de boucler le quartier et de procéder à réellement été tirées tant du côté policier que du tions du quartier. Voir aussi p. 20-22 Il s’agit dès lors des arrestations massives 3. Le ministre de l’In- côté politique. de rendre le quartier plus attractif pour attirer térieur, Johan Vande Lanotte, annonce des plans une nouvelle population plus « civilisée ». On musclés et une politique de tolérance zéro pour ENDIGUER L’INSÉCURITÉ retrouve ce paradigme de la rénovation un peu ramener la rue à la raison, confirmant l’adhésion des MAIS PAS LES INÉGALITÉS partout en Europe, marquant le progressif réin- partis de la gauche traditionnelle aux doctrines Depuis trente ans, les logiques sécuritaires et vestissement des centres-villes en tant que lieux de sécurité urbaine. les pratiques policières se superposent à des de résidence en les rendant plus attractifs pour Sur la base d’un ciblage géographique, politiques d’aménagement qui ciblent des terri- les classes moyennes et hautement qualifiées 1. la commune se voit octroyer de gros montants toires dits difficiles, produisant par là-même plus Jusque-là, la politique à l’œuvre à Cureghem pour acheter des caméras de surveillance afin d’inégalités sociales qu’elles n’en résorbent. était celle du laisser-faire et du désinvestisse- de « pacifier » la rue. Ce qui permettra à la com- Les années 1990 constituent en Région bruxel- ment. Dans l’optique de mune d’affecter 4 millions loise une période charnière où l’on assiste aux raser une partie de ce quar- Le ciblage des quartiers d'euros à des équipements prémisses du mariage entre politique de pré- tier, la commune d’Ander- sécuritaires servant à vention sécuritaire et pratiques de rénovation lecht tournait le dos à ce populaires met l’accent réduire en théorie les acti- urbaine : contrats de sécurité, « politique des grandes villes », contrats de quartier, développe- territoire d’accueil des populations migrantes, sur les conséquences vités délictueuses. On assiste ainsi à la construc- ment de fonctions de proximité ou des nouvelles les privant d’investisse- plutôt que sur les causes tion de grandes palis- technologies visant à surveiller l’espace public ments publics et renfor- sades métalliques, dites (agents de sécurité et de prévention, îlotage çant ainsi la marginali- des inégalités sociales les palplanches, autour policier, vidéosurveillance…). Cette approche sation des habitants du de la place Lemmens pour s’inspire de la théorie de la vitre cassée (dévelop- quartier notamment en termes d’accès à des empêcher les dealers de s’enfuir. Tout comme pée à New York dans les années 1980 avec une équipements collectifs et d’entretien des espaces le quartier de la Rosée, le quartier Albert Ier, politique de tolérance zéro) : la pacification des publics. Bien qu’une partie des habitants ait celui d’Adil, bénéficie d’un « mur de Berlin »
POLIS – POLICE / Bruxelles en mouvements 310 – janvier/février 2021 5 composé de plaques métalliques de 4,5 mètres En juin 2020, le même bourgmestre est Ainsi, le développement du parc de la Sennette à de haut destinées à protéger hypothétiquement interpellé à la suite d’une descente du ministre Cureghem dans le quartier Heyvaert, programmé les appartements de retraités, principalement de l’Intérieur Pieter De Crem à Cureghem le mois dans le cadre du contrat de rénovation urbaine belges. La présence policière renforcée s’exerce précédent pour « ramener l’ordre à Anderlecht ». (CRU), mange une bonne partie du budget du notamment sous forme de contrôles d’identité Le bourgmestre la justifie par la nécessité d’ac- contrat et nécessite l’expropriation de 23 par- quotidiens qui se soldent le plus souvent par une croître les effectifs policiers d’une vingtaine de celles accueillant des activités économiques qui interpellation, ce qui exacerbe inévitablement le personnes en provenance de la police fédérale. Le marchent et font vivre de nombreuses personnes sentiment d’exclusion et de discrimination que 27 novembre, un rassemblement se tient, dans peu diplômées. ces jeunes vivent déjà dans le monde scolaire ou le calme, place du Conseil pour faire part de l’in- On est passé du désinvestissement à un de l’emploi. Anderlecht est aussi parmi les pre- compréhension face à la décision de non-lieu du surinvestissement urbanistique, mais en pas- mières communes à mettre en place un système parquet à l’égard de la police. En guise de réponse, sant toujours à côté de la question sociale. de vidéosurveillance à Bruxelles, avec une pre- le bourgmestre envoie, ou à Depuis 2010, la commune mière génération de 50 caméras installées dont tout le moins assume l’in- La fameuse mixité d’Anderlecht s’investit plus beaucoup furent rapidement inutilisables 4. tervention de 150 officiers activement au côté de la Cette focalisation des politiques sécuri- de police, l’usage de canons sociale produit sur- Région dans les politiques taires sur certains quartiers conduit à penser à eau et de fumigènes ainsi de revitalisation, lesquelles que l’insécurité est le fait d’une population pro- que l’arrestation d’environ tout des trajectoires sont devenues in fine plus blématique présentant certaines origines eth- niques concentrée dans ces quartiers plus qu’ail- 80 personnes sur la centaine rassemblée. Voir aussi p. 12-13 qui ne se croisent pas. efficaces que les politiques sécuritaires et de tolérance leurs. Le ciblage des quartiers populaires n’est Voilà pour les réponses sécuritaires. Mais zéro (même si celles-ci n’ont pas disparu) pour pas neutre politiquement, il met l’accent sur les que se passe-t-il du côté des politiques sociales éjecter les plus précaires de leur lieu de vie sans conséquences, les tensions et le délabrement, du quartier ? pour autant éradiquer la pauvreté. Menées au plutôt que sur les causes des inégalités sociales nom de la mixité sociale, elles provoquent essen- (transformation du marché de l’emploi, hausse UNE REVITALISATION EXOGÈNE tiellement l’éviction de celles et ceux qui ne des qualifications requises, discriminations La gentrification 7 était peu visible lors de l’in- parviennent plus à payer un loyer qui ne cesse raciales à l’œuvre dans l’ensemble des sphères troduction des politiques de rénovation dans les d’augmenter. L’Observatoire des loyers 2016 de la société…). Les stratégies de survie incluent années 1990. Les quartiers étaient tellement déla- montrait que c’est dans les quartiers centraux nécessairement un recours à la débrouille et à la brés que les acteurs privés ne se bousculaient pas que les loyers ont augmenté le plus rapidement, marginalité. au portillon. Ce sont bien les politiques publiques dans l’espace dit de Développement renforcé du Vingt-trois ans après la mort de Saïd Charki, de rénovation des quartiers populaires bruxellois logement et de la rénovation (EDRLR) qui béné- pratiquement rien n’a changé. Loin de tirer les qui, notamment en améliorant les qualités esthé- ficie d’une dynamique de rénovation impulsée leçons de l’histoire, forces de l’ordre, bourgmestre tiques des espaces publics, sans chercher à cadrer par les pouvoirs publics. L’Observatoire constate et ministre fédéral gèrent les suites de la mort le marché immobilier et la spéculation, ont attiré que l’amélioration de la qualité des logements d’Adil de la même manière. Les représentations l’attention des investisseurs privés. Tant et si bien s’accompagne d’une réduction de leur taille et négatives des habitants de ces quartiers sont tou- qu’il serait malhonnête aujourd’hui de réfuter d’une augmentation des loyers qui laissent les jours bien présentes parmi les élites, y compris une gentrification avérée dans plusieurs quartiers familles nombreuses à la rue ou priées de quitter à gauche, montrant l’abandon dont ces groupes centraux de Bruxelles. Conjointement aux actions Bruxelles. Les demandes, martelées depuis de sociaux font l’objet de la part des partis sociaux- de rénovation urbaine, des politiques sécuritaires nombreuses années par les habitants et associa- démocrates 5. Le bourgmestre ont contribué à réduire la pré- tions du quartier dans le cadre des différents pro- d’Anderlecht, évoquant les sou- lèvements dans sa commune On est passé du sence des indésirables (sans- abri, sans-papiers, jeunes d’ori- jets de planification, pour des logements acces- sibles et des équipements correspondant à des au lendemain du décès d’Adil, désinvestissement gine immigrée, prostitué·es…) besoins sociaux collectivement partagés (accueil déclare : « Ils sont venus pour dans ces espaces « pacifiés » et à de la petite enfance, écoles de devoir, aide médi- casser » 6, alimentant ainsi le à un surinvestisse- attirer de nouveaux habitants cale urgente, déchetterie…) ne sont nullement fameux mythe du « casseur » dont le seul objectif serait de ment urbanistique, issus des classes moyennes. Si la population précaire est tou- rencontrées dans les programmes prévus par les divers dispositifs urbanistiques en cours. détruire, peu importe la rai- mais en passant jours en place, ses conditions Le dernier de ces dispositifs en cours son. Une façon de dépolitiser de vie ne s’améliorent pas ou d’adoption est le Plan d’aménagement directeur les modes d’expression et de toujours à côté de peu. La mixité sociale est exo- (PAD) Heyvaert, lequel envisage la construction criminaliser les individus. la question sociale. gène et renforce la hiérarchie spatiale 8. Par la revalorisation, d’environ 1 800 logements supplémentaires dans le quartier. Un travail de cartographie à les anciens espaces centraux de relégation sont partir de la liste des candidats locataires de l’AI- devenus des espaces convoités. Ces processus ne SAC (Agence immobilière sociale de Cureghem) sont pas naturels et s’exercent parfois de façon montre qu’il y a effectivement une demande violente, par exemple en expropriant l’existant. très importante dans le quartier pour des loge- ments mais pas pour n’importe quel type de logement : pour des logements bon marché. En effet, si les loyers sont 20 % moins cher que la moyenne de la Région bruxelloise, le quartier ne compte que 2 % de logements sociaux. Alors que les pouvoirs publics envisagent d’y acquérir plusieurs parcelles, le PAD ne prévoit aucune règle pour leur imposer un pourcentage de loge- ments sociaux, tant et si bien qu’il pourrait s’agir essentiellement de logements acquisitifs produits par Citydev, à l’instar des centaines de logements qui ont fleuri à Cureghem sur les quinze dernières années 9, lesquels sont bien souvent inaccessibles pour des bourses faibles qui ne peuvent accéder à l’emprunt. Or, avant même que le quartier se densifie en nouveaux logements, les études font part d’un déficit de places dans les écoles fondamentales du quar- tier 10. La situation est encore plus critique au niveau de l’offre en crèches : « Alors que le nombre total de places en milieu d’accueil par enfant est de 0,36 pour la moyenne régionale, le quartier de Cureghem- Rosée n’offre que 0,06 place par enfant ». Cette †
6 / POLIS – POLICE Bruxelles en mouvements 310 – janvier/février 2021 carence en équipements collectifs faisait claire- Vouloir résoudre les problèmes sociaux en Avec le confinement, la présence policière et ment partie des préoccupations émises par les croyant les canaliser dans des formes urbaines les dispositifs de dissuasion ont été renforcés. Les habitants et les acteurs associatifs lors des ate- sécuritaires est voué à l’échec en l’absence d’un interventions ont été plus nombreuses dans cer- liers préalables à l’élaboration du PAD. questionnement plus profond sur ce qui est à tains quartiers que dans d’autres, ce qui renforce La situation n’est pas plus enviable pour les l’origine des demandes de sécurité, souvent liées le vécu d’une surveillance policière sélective Voir équipements culturels et sportifs. Le diagnos- à l’insécurité de l’existence. Si les lieux ont véri- aussi p. 10-11 . Selon l’enquête réalisée par la Ligue des tic du CRU Heyvaert pointait déjà des carences tablement changé et que les images de délabre- droits humains, plus de 70 % des abus dénoncés importantes en équipements dans le quartier : ment d’antan ont disparu, les conditions de vie dans le cadre de contrôles policiers durant le confi- « le quartier Heyvaert et les abords des Abattoirs sont bien de nombreux habitants restent « confinées ». En nement ont eu lieu dans les quartiers du croissant plus pauvres en aménagements ludiques » que ne l’est effet, dans ces quartiers, l’impression d’enferme- pauvre de Bruxelles, dont 15 % à Cureghem 18. le territoire situé au nord. Les auteurs consta- ment précède le confinement, qui n’a fait qu’ac- taient qu’au cœur du quartier Heyvaert, « un vide centuer un phénomène préexistant de ségréga- UN CONTRÔLE SÉLECTIF d’équipements sportifs est notable ». Or le manque de tion socio-spatiale. Cette dernière se caractérise QUI SUSCITE LA PEUR moyens n’est pas seul en cause puisque de 2000 par l’exiguïté et l’inconfort des habitations, La comparaison des témoignages des jeunes des à 2018 la commune a bénéficié d’un financement la promiscuité liée à la densité de l’habitat, le années 1990 et des jeunes d’aujourd’hui est frap- conséquent dans le cadre de la « Politique des manque d’espaces verts et publics au regard du pante par la similarité des descriptions des inte- grandes villes » avec pour objectif notamment de nombre d’habitants ou encore le manque de ractions entre les jeunes et les policiers dans ces remédier au manque d’infrastructures sportives ressources financières pour accéder à certaines quartiers. Les contrôles au faciès et le profilage dans le quartier de Cureghem 11.Or rien dans le aménités. En contraignant les habitants à rester ethnique, la familiarité avec laquelle les jeunes PAD ne garantit la réalisation de ce type d’équi- chez eux et en limitant davantage encore l’accès sont abordés par les policiers, l’usage excessif de pements malgré l’accroissement conséquent du à l’espace public, le confinement lié à la pandé- la force ou encore le manque de respect des droits nombre de logements annoncés. Il est vrai que mie a encore renforcé la pénibilité des conditions civiques des jeunes sont quelques-unes des expé- les populations visées par ces politiques de revi- de vie dans un espace déjà inadapté 13. riences vécues de façon régulière par ces jeunes. talisation sont plus mobiles et choisissent rare- En une vingtaine d’années, les pratiques poli- ment les infrastructures collectives des quar- PRATIQUES POLICIÈRES cières ne semblent pas avoir évolué. Les réactions tiers populaires où elles atterrissent, préférant EN MILIEUX CONFINÉS Voir aussi p. 8-9 politiques sont d’ailleurs assez faibles lorsqu’il les choisir en fonction de leur réputation ou de Aux conditions matérielles qui rendent la vie s’agit de dénoncer ces violences. leur localisation sur les trajets entre le domi- dans ces quartiers difficile et peu attractive, Pourtant, les connaissances scientifiques cile et le travail, signe que la fameuse mixité il faut ajouter la surveillance policière et les sur ces quartiers sont désormais disponibles en sociale produit surtout des trajectoires qui ne se contrôles fréquents auxquels est soumise la grand nombre, notamment grâce aux finance- croisent pas 12. population 14. Si la sécurité est devenue ces der- ments régionaux. Elles attestent du contexte nières décennies une modalité fondamentale de difficile dans lequel ces jeunes vivent et de L’INSÉCURITÉ DE L’EXISTENCE production de l’espace urbain contemporain, les leur rapport délicat à l’autorité et aux institu- Souvent désigné comme un ghetto, Cureghem pratiques policières, notamment au travers des tions sociales résultant de leur expérience sco- se caractérise pourtant par son hétérogénéité contrôles d’identité, contribuent à configurer laire, du racisme et du blocage de l’ascenseur (plus de cent vingt nationalités). Par contre, il l’espace de vie 15. social. Elles ont également démontré les effets est vrai que la diversité de ces quartiers peut être Déjà en temps normal, les jeunes res- délétères des démêlés avec la police sur leurs un facteur explicatif des tensions sociales et des sentent en particulier une difficulté à se mou- trajectoires. Cette inertie des pratiques et leur incidents qui s’y déclenchent, puisqu’elle met voir en dehors de leur quartier en raison de la absence de prise en compte des besoins des habi- en contact et en compétition des populations méfiance qui pèse sur eux et de la stigmatisa- tants démontrent une stratégie qui construit qui se différencient fortement non pas tant sous tion. Voir aussi p. 8-9 Rappelons que c’est dans ce quar- une citoyenneté de second ordre. Si les émeutes l’angle ethnique ou culturel tier que les deux policières affolent les médias, ceux-ci occultent la peur que sur le plan de leur tra- L’ennemi devient le récemment épinglées par bien réelle que suscitent les pratiques poli- jectoire sociale (ascendante une vidéo circulaient à bord cières chez les jeunes. Leurs rapports quotidiens ou descendante, rapide voisin alors que ce de leur véhicule en tenant aux forces de police sont en réalité remplis de ou bloquée), de leur mode d’appropriation de l’espace sont les carences des publiquement des pos foncièrement racistes pro- crainte comme le rapporte ce témoignage d’un jeune du quartier : « Et quand on demande pourquoi et des ressources collectives politiques menées qui tels que « Lemmens, tous des on nous contrôle, on nous dit outrage. Nous, on demande et de leur capacité de mobi- macaques ». Ils sont ainsi sou- juste le pourquoi. Soit, si tu parles, ils vont hausser le ton, lisation. Le manque d’équi- mettent les habitants mis à des formes d’assigna- soit tu ramasses. » Un autre jeune répond : « Ça on pements collectifs dans tion spatiale 16. Celle-ci est n’ose pas demander. » Ces rapports quotidiens et le quartier, notamment en concurrence sur des fortement intériorisée, au la lourdeur économique des amendes infligées d’espaces verts, peut deve- nir un facteur de tension. espaces restreints. point que certains jeunes ne sortent pas de leur quar- pour des populations précarisées permettent de comprendre la rationalité de comportements de Ainsi, les dernières années, le parc de la Rosée tier. Certains ne savent pas se rendre à la Bourse, fuite à la vue des forces de l’ordre. a été surinvesti par les habitants et les derniers située pourtant à quelques centaines de mètres arrivés, la population syrienne, est montrée du du quartier 17. doigt comme confisquant l’espace à son profit. L’ennemi devient le voisin alors que ce sont les Au sujet de la mobilisation des jeunes de Cureghem, un éducateur constate que les jeunes 70 % des abus dénon- carences des politiques menées qui mettent les de la place Lemmens se sont peu mobilisés au cés dans le cadre de habitants en concurrence sur des espaces res- moment du décès d’Adil contre les violences poli- treints. On monte les populations migrantes les cières car Adil vivait selon eux dans un autre contrôles policiers unes contre les autres, et les classes sociales les unes contre les autres, alors que si les besoins quartier: « On appelle cela Cureghem, mais Cureghem, ça n’existe pas pour nous. Il y a Lemmens, Clemenceau, durant le confinement étaient rencontrés, elles ne chercheraient pas de Goujons, c’est beaucoup plus vaste que ça. Quand je te par- ont eu lieu dans les bouc-émissaire. lais de la mort d’Adil, les jeunes se sentaient concernés, mais Adil, il n’était pas de leur quartier, il est de là-bas. Tu as quartiers du croissant l’axe à Clemenceau, la rue devant l’Abattoir. Cet axe, c’est la frontière, c’est une frontière. » Il y a ainsi une forme de pauvre de Bruxelles, rétrécissement de l’espace du quartier dans leur dont 15 % à Cureghem. représentation. Ils sont en outre contraints dans leur mobilité et dans leur présence au sein des espaces publics de leur quartier par les contrôles d’identité réguliers, qui rendent leur présence illégitime et problématique.
POLIS – POLICE / Bruxelles en mouvements 310 – janvier/février 2021 7 LE LEURRE DE LA PROXIMITÉ de proximité d’Anderlecht. Dans les faits, les certains quartiers des centres urbains faisant suite à des politiques publiques et privées Lorsque les troubles et la colère traversent la effectifs de ces unités de police dites « de proxi- de mixité sociale et de rénovation de ces vie de quartiers tels que Cureghem, ce sont les mité » sont composés de policiers provinciaux quartiers. forces de police qui sont déployées en premier. attirés à Bruxelles par des primes. Or l’étude 8. A. GERMAIN et PH. ESTÈBE, « Présentation : Le territoire, instrument providentiel de l’État Les élus se tiennent souvent à l’écart, ce qui de Sarah Van Praet sur la sélectivité policière 19 social », in Lien social et politiques-RIAC, 2004, confirme le déni dont ces jeunes font l’objet. Une montre qu’une bonne connaissance du quartier n° 52, pp. 5-10. telle réponse politique montre le gouffre entre améliore les relations entre la police et les habi- 9. Lire à ce sujet C. SCOHIER, « Le mirage des logements sociaux à Cureghem », https:// la classe politique locale et la population. Même tants. Par ailleurs, diverses études mettent en www.ieb.be/Le-mirage-des-logements- si l’échelon communal est censé être vecteur de lumière que les formations de la police sur les sociaux-a-Cureghem, mars 2017. proximité, les relations quotidiennes avec ces matières sociales et les questions de discrimina- 10. Voir le « Rapport sur les incidences environnementales du PAD Heyvaert », mai populations ont été déléguées de facto de longue tion ethnique ne sont pas mises en place ou se 2019, p. 105. date aux acteurs associatifs et à la police. L’accès donnent face à des chaises vides 20. 11. Voir le procès-verbal du conseil communal aux élus est difficile pour ces populations, Néanmoins, la commune dispose d’un cer- d’Anderlecht du 25 juin 2020. même au niveau communal. Accompagnées tain nombre de leviers en matière d’aménage- 12. Lire E. LENEL, « Vivre au milieu des voitures. Ressorts et tensions socio-spatiales d’une rhétorique de valorisation du local, ces ment du territoire. Or elle les utilise aujourd’hui, d’une alliance de propriétaires pour un politiques publiques ciblant les quartiers n’ont avec le soutien de la Région, essentiellement au quartier habitable », in Uzance, vol. 4, 2015. pas construit ou restauré la proximité dans ces profit de la revitalisation de ces quartiers popu- 13. M. SACCO, Pratiques policières et réactions communales, 15 mai 2020. espaces locaux. laires, et ce, au nom d’une mixité sociale non 14. V. MATHIEU et al., Vers une image chiffrée Il est possible que ces politiques publiques redistributive qui laisse sur le carreau de nom- de la délinquance enregistrée des jeunes en n’aient pas forcément été mises en œuvre avec breux habitant·es dont une jeunesse stigmatisée Région de Bruxelles-Capitale, 2015. 15. M. GERMES, « Sécurité et production des objectifs convergents ou très clairement avec une ligne d’horizon obstruée. Ils ont bien de l’espace urbain », in Villes contestées, définis mais leur commodité, par un opportu- plus besoin d’un plan d’investissement dans les 2014, p. 200. nisme de situation, a justifié leur prolongation. politiques sociales que d’une revitalisation de 16. P. DEVLEESCHOUWER, « Attachement au local et ancrage territorial, un prisme trop Leur convergence s’est construite par la pra- façade à coup de contrôles d’identité ! ♦ restreint pour comprendre le rapport à la tique, sans autre questionnement. Certaines ville des jeunes bruxellois », in Bruxelles, ville prises de conscience se font toutefois jour 1. P. LE GALÈS, Le Retour des villes mozaïque, PUB, 2015. européennes. Sociétés urbaines, 17. M. DE KOKER, Venons-en aux faits. aujourd’hui. Ainsi, dans son accord de majorité mondialisation, gouvernement et gouvernance, Historiettes de nos quartiers, Bruxelles, 2018. 2018-2024, la commune d’Anderlecht a prévu Paris, Presses de Sciences po, 2003. 18. « Abus policiers et confinement », in d’« éviter les contrôles d’identité intempestifs et de dési- 2. Sur cette évolution, lire M. SACCO, Rapport Police Watch 2020, p. 11. « Cureghem : de la démolition à la 19. S. VAN PRAET, Identifier et affronter des gner un référent anti-discrimination au sein de la zone de revitalisation », Brusselsstudies, n° 43, 25 problèmes et abus dans la sélectivité policière, police pour permettre à toute victime d’actes discrimina- octobre 2010. INCC, juillet 2020, p. 61. toires de porter plainte ». De telles mesures vont évi- 3. A. PREGNOLATO, « Les rébellions 20. Lire notamment M. VANDEMEULEBROUCKE, à Cureghem. Une contestation des « La formation contre les préjugés au sein de demment dans le bon sens mais semblent rester discriminations et des violences des forces la police ? Juste un Dafalgan », in Alter Écho, pour le moment à l’état de vœux pieux au vu des de l’ordre », in La Mauvaise Herbe « Cureghem novembre 2020, n° 488. derniers événements et des prises de position Criminelle », UPA, pp. 14-21. 4. C. DEBAILLEUL et P. DE KEERSMAECKER, publiques de la commune. Il est vrai que celle- Towards the panoptic city, 4cities Euromaster ci est loin d’avoir tous les leviers du change- in urban studies, 2014, p. 60. ment dans les mains et que la gouvernance de la 5. G. PINSON, Gouverner la ville par projet. police fédérale reste très défaillante. Les modes Urbanisme et gouvernance dans les villes européennes, Paris, Presses de Sciences Po, de fonctionnement de l’institution policière 2009. ne valorisent pas forcément la proximité dans 6. « Le bourgmestre d’Anderlecht condamne l’attribution des postes et promotions. Le jeune ceux qui ont attaqué les policiers: ’Ils sont venus pour casser’ », in Le Soir, 11 avril 2020. Adil a trouvé la mort à la suite d’une interven- 7. On peut résumer la gentrification comme un tion de deux agents du « koban Virtus », la police processus d’éviction des classes populaires de
8 / POLIS – POLICE Bruxelles en mouvements 310 – janvier/février 2021 sans feu. Que, s’ils courent, c’est qu’ils ont for- cément quelque chose à se reprocher. Et que si S’APPROPRIER les policiers les poursuivent et que cette pour- suite tourne mal… Eh bien, ils n’avaient qu’à pas courir. Latifa m’explique patiemment, me des- sine un quotidien en rue teinté de violence et de mépris, et de la peur que tout cela génère. « Tu comprends, les jeunes ils courent parce qu’ils ont peur de LES QUARTIERS la police, ils ont peur de se faire frapper, de passer la nuit au poste et de s’y faire tabasser, ils ont peur de mourir, même après un contrôle d’identité 2. » Ces contrôles, ils n’ont pas lieu au hasard, ils sont ciblés : « Tu sais, les contrôles ne sont pas réali- sés sur tous les jeunes, mais sur les jeunes issus de l’immi- gration. Ils le savent, ils le voient. Puis il y a les contrôles, DE FAÇON mais il y a également les insultes : “t’es encore là toi ? Mais ta place c’est en IPPJ/en hôpital psychiatrique”, “tu peux pas courir, évidemment, t’es trop gros”, “t’es en rue parce que t’es trop con pour aller à l’école”, “tu finiras en prison”. Ces phrases, elles sont dites à des gamins de 14 ans. » L’école est également excluante, rien de POLITIQUE neuf. Le système scolaire vient entériner les inégalités sociales, valorise le capital culturel de certain·es, et pas des autres 3. In fine, les jeunes issus de l’immigration et leurs parents font face à des institutions publiques qui toutes les dénigrent et rejettent. Comment vivre ce rejet autrement que comme un rejet par la société dans son ensemble ? « Ce qui est marquant aussi avec les violences poli- cières, c’est qu’elles ont lieu dans l’espace public. Le mes- Rencontre avec Latifa Elmcabeni du Collectif sage qui est envoyé est le suivant : “Tu vis dans une ville dans laquelle tu peux te faire dénigrer en rue, par l’ins- des madres. Ce groupe de femmes se mobilise titution qui est censée protéger les citoyen·nes.” Ce que renvoient ces policiers, c’est une conception générale de contre les violences policières subies par les comment on est perçus dans la société. […] jeunes – essentiellement d’origine immigrée – Par exemple, si un gamin d’origine marocaine est pris en rue à fumer du cannabis, c’est de “deal” qu’il va être à Saint-Gilles. suspecté. Tu comprends ? On ne peut pas êtres “comme tout le monde”, on ne peut pas être consommateur, on est Sarah De Laet, Inter-Environnement Bruxelles d’office “criminel”. […]. Parce que, tu vois, c’est pas une question de policier, mais de racisme institutionnel, c’est ➪ une question politique. » Je rejoins Latifa en bas de la Porte Latifa me raconte la création du collectif. À Saint-Gilles, depuis 2012, la brigade de Hal. On se connaît un peu, au « En 2017 on a créé le Collectif des madres pour parler et UNEUS (pour Union pour un environnement travers d’un film collectif qu’elle a lutter contre les discriminations. À l’école, sur le marché urbain sécurisé) a été mise en place. Voir encadré coréalisé et pour lequel j’étais intervenue comme du logement, au travail, etc. Puis, on s’est rendu compte UNEUS ? p. 15 Censée recréer une police de quartier « personne ressource » pour parler de gentrifica- qu’une partie de cette discrimination prenait comme et de proximité, elle n’a fait qu’aggraver le pro- tion et de géographie sociale. Cette fois-ci, on origine la lutte contre la délin- blème. Avec le rapporteur des inverse le rapport. C’est moi qui viens la trouver, pour qu’elle me raconte, qu’elle m’apprenne. quance. Et très vite, on a entendu parler des violences policières. « On investit des mil- Nations unies sur les droits de l’enfant, le Collectif des Nous marchons vers le parvis. En déambu- Mais on ne s’attend pas à cela, pas lions dans la répres- madres a réalisé un rapport lant, nous commentons les nouveaux cafés et comme ça. » édifiant sur les violences commerces. « Si je n’étais pas propriétaire, ça fait long- Elle poursuit : « C’est sion, IPPJ, caméras, policières subies par les temps que j’aurais dû quitter saint-Gilles. » Tout a telle- ment changé en effet. C’est ce que montre leur choquant, mais en fait, des gamins dès 12-13 ans sont violentés par la police, etc. Mais rien jeunes de Saint-Gilles, et spé- cifiquement du bas de Saint- film, Places Nettes 1. Après avoir parlé un peu en police à Saint-Gilles. Ce sont des ou si peu n’est fait Gilles 4. Une première inter- marchant, on s’assoit et on entre dans le vif du violences physiques, mais aussi des pellation communale a eu sujet. « Ça me fait plaisir de te voir, mais de quoi tu voulais violences psychologiques. Ça peut dans la prévention. » lieu sur base de ce rapport, en me parler ? » aller très loin, et l’impact psycho- 2018. J’y étais. Je me souviens logique, les traumatismes, on n’en parle pas du tout. Alors du mépris incroyable avec lequel les membres REJET ET VIOLENCE AU QUOTIDIEN que ça laisse des séquelles graves, et que ça participe à ce du collectif ont été traitées, de la violence de Je lui explique que nous préparons un numéro que les gamins sortent du système scolaire, se sentent non classe qu’elles ont subie. Des ricanements et du journal sur le lien Ville-Police et mon envie désirés. » du déni. Latifa aussi s’en souvient. Mais, lors qu’une interview de quelqu’une du Collectif des Dès le début de cette discussion, Latifa de la troisième interpellation, nous étions plus madres y ait sa place. « Ah oui, le lien il est évident si insiste, elle aimerait que j’arrive à faire pas- de 300 personnes devant la commune. Blanches tu veux, parce que c’est un système, que tout semble faire ser l’intensité et la gravité de ce qui se joue à pour la plupart, mais c’est un début. système pour discriminer une partie de la population, et ça travers ces contrôles policiers : la majorité de la a lieu ici en rue, en ville. » population n’a pas idée de « Il s’agit de faire ce qui est subi, quotidien- nement, et des préjudices comprendre pourquoi que cela engendre. « Il s’agit de faire comprendre pourquoi les les jeunes courent jeunes courent quand ils voient quand ils voient la police arriver. » On aurait en effet tendance à pen- la police arriver. » ser qu’il n’y a pas de fumée
POLIS – POLICE / Bruxelles en mouvements 310 – janvier/février 2021 9 Après cette énième action, en 2020, plu- sieurs décisions ont été entérinées par la com- mune concernant la brigade UNEUS : une éva- luation sera réalisée, leur formation sera revue, et un contrôle démocratique devrait être mis en place. Mais plus essentiellement, ce jour-là, l’existence des violences policières a été recon- nue. C’était l’évidence même pour le collectif, mais désormais c’est officiel. C’EST TOUT UN SYSTÈME QUI DOIT CHANGER Pour autant, Latifa ne place pas tous ses espoirs dans ces actions, il s’agit de moments de publi- cité, d’événements. Pour le Collectif des madres, c’est tout un système qui doit changer : depuis l’image que la société se fait des jeunes issus de l’immigration, à la politique de la ville, en pas- sant par la question de la prévention. « On investit des millions dans la répression, IPPJ, caméras, police, etc. Mais rien ou si peu n’est fait dans la prévention. Dans les quartiers populaires, les maisons de jeunes pour la plupart font de l’occupation, sans s’in- téresser aux désirs des jeunes. Il y a une idée de ce qu’ils veulent qui est plaquée sur eux : on ne leur demande pas s’ils ont envie de faire du théâtre ou de la cuisine. On va faire du sport. […] Puis, dans de nombreuses situations, ce qu’il faut également, c’est un suivi psychologique : il s’agit de gérer la haine et la colère. […] Si tu es rejeté par l’école, que tes parents croient les institutions scolaire et policière, que tu n’as aucune perspective, et que tu t’es fait humilier par la police, tu as de la colère. Ensuite, c’est difficile d’aller vers autre chose que la délinquance. Les causes sont sociales, elles nous concernent tous et toutes. » Je lui demande pourquoi commencer à Saint-Gilles puisque le problème est global, elle me répond que c’est un début, et qu’il s’agit d’une échelle sur laquelle on peut agir. « Pour moi il faut s’approprier les quartiers de façon politique, développer notre pouvoir de lutter ensemble, sans se divi- ser. […] Ça passe par plein de choses : aller voir les gens qui ne subissent pas de discrimination et leur expliquer ce qui se passe qu’ils ne voient pas. Aller voir les écoles, et les sensibiliser aux questions de traumatismes qui peuvent être vécus par les jeunes en rue. Amener les parents à par- ler avec leurs enfants, et à les croire. Du côté des jeunes, il faut aussi leur faire connaître leurs droits 5. Puis il ne faut pas oublier que le pouvoir c’est nous, que si on se met ensemble pour se défendre, quelle que soit Cette répression, elle te dit aussi ceci : “Ton fils a 1. Places nettes est un film réalisé dans le cadre des « Ateliers Urbains » du Centre Vidéo notre origine, on gagnera.[…] pris une claque, mais rien n’aura lieu ensuite.” Regarde les de Bruxelles, par J. BENI, P. CORBISIER, Saint-Gilles, c’est aussi une commune qui a beaucoup meurtres d’Adil et de Medhi, il n’y aura pas de justice. C’est ça X. DUPONT, L. ELMCABENI, N. ELMCABENI, changé. Moi, par exemple, si je suis encore à Saint-Gilles le problème, il n’y a pas de justice pour une partie de la popu- M. GIRAULT et J. VARD. 2. Depuis cette rencontre, deux personnes, c’est parce qu’on a acheté une maison dans les années 90. lation… Comment veux-tu qu’on soit une seule société ? » Ibrahima et Ilyes, sont décédées dans un On l’a achetée 100 000 euros. Maintenant elle en vaut À plusieurs reprises dans notre discussion, commissariat après une interpellation de la 700 000… Qui peut payer cela ? Qui peut payer un loyer de Latifa mentionne les amendes, elles s’accu- police. 3. J. GIRÈS et F. GHESQUIÈRE, L’école en 1 000 euros ? Pas un ouvrier. Donc c’est une commune dans mulent et grèvent le budget des familles. Les Belgique renforce les inégalités, à lire sur laquelle petit à petit on se sent et on est rejeté. De fait, une nouvelles règles liées aux confinements et au inegalites.be. certaine population est exclue. Les places sont rénovées, couvre-feu semblent avoir de graves répercussions 4. Le bas de Saint-Gilles étant encore tendanciellement plus pauvre en moyenne des caméras sont installées. Les commerces qui s’ouvrent ne financières. Et pour cause, ce qu’elles permettent que le haut. Voir le monitoring des quartiers sont pas pour nous, les loyers augmentent. Et puis, en plus de répréhender ce sont justement certains usages [https://monitoringdesquartiers.brussels/]. de cela, sur les jeunes tu as la répression policière. de l’espace public, pratiquement à la discrétion 5. Le collectif collabore à cette fin avec la Ligue des droits humains. des policiers 6, et touchant de fait différemment 6. Difficile de trouver une information fiable les personnes selon qu’elles ont ou non le choix de sur la répartition des amendes à l’intérieur réaliser ces usages dans le privé. Voir p. 10 de Bruxelles. Mais on se souviendra qu’en France, la Seine-Saint-Denis, particulièrement « C’est une commune QUELQUES MOTS, AVANT DE SE QUITTER populaire, comptabilisa au premier jour du confinement 10 % de toutes les amendes dans laquelle petit « – Tu sais, moi je parle de violence policière, mais je pourrais parler de logement, d’école, de santé, de travail. Tout ça c’est délivrées dans l’Hexagone. Nous attendons que la Région délivre des statistiques à petit on se sent et consolidées par lieu de résidence des la même chose. incriminé·es, à l’échelle du quartier. – Oui, c’est un système, moi je suis sur les questions de on est rejeté. De fait, logements, ça me semble aussi être une priorité. – Tout est prioritaire, mais on ne peut pas tout faire. Ce une certaine popula- qu’on peut faire, c’est se soutenir, être là quand les un·es et tion est exclue ». les autres en ont besoin. Tu viens à nos interpellations, je viens à ta manifestation. – Et à la fin, on gagne ? – D’accord. » ♦
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