Stefan Schweizer, "La deuxième révolution des jardins. La réforme de l'art du jardin autour de 1900", traduction de l'allemand et
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Stefan Schweizer, ”La deuxième révolution des jardins. La réforme de l’art du jardin autour de 1900”, traduction de l’allemand et introduction Camille Lesouef To cite this version: Camille Lesouef. Stefan Schweizer, ”La deuxième révolution des jardins. La réforme de l’art du jardin autour de 1900”, traduction de l’allemand et introduction. 2021. �hal-03523008� HAL Id: hal-03523008 https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-03523008 Submitted on 28 Feb 2022 HAL is a multi-disciplinary open access L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est archive for the deposit and dissemination of sci- destinée au dépôt et à la diffusion de documents entific research documents, whether they are pub- scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, lished or not. The documents may come from émanant des établissements d’enseignement et de teaching and research institutions in France or recherche français ou étrangers, des laboratoires abroad, or from public or private research centers. publics ou privés. Copyright
profils 2 - 2020 Te m p o r a l i t é s e t m i c ro - c h ro n o l o g i e d e l ’ a rc h i t e c t u re numéro conçu et dirigé par Émilie d’Orgeix et Pascal Dubourg-Glatigny Association d’histoire de l’architecture Profi_2-Juin.indd 1 22/06/2021 09:36
SOMMAIRE 5. Éditorial par Guy Lambert et Catherine Blain DOSSIER : TEMPORALITÉS ET MICRO-CHRONOLOGIE DE L’ARCHITECTURE 7. Introduction par Émilie d’Orgeix et Pascal Dubourg-Glatigny 13. Antoine Baudry, L’évolution de la restauration de la collégiale Notre-Dame de Dinant au XIXe siècle à l’aune des acteurs et des contraintes du chantier ; 27. Samuel Drapeau, Le chantier du clocher Saint-Michel de Bordeaux (1857-1869) : de la restitution à la rénovation ; 39. Renée Leulier, Démolitions et constructions à Saint-André de Bordeaux au cours du XIXe siècle ; 55. Élise Koering et Bénédicte Gandini, Une vie. Le temps long de la villa Le Lac de Le Corbusier et Pierre Jeanneret ; 69. Églantine Pasquier, John D. Rockefeller Jr. et la Maison internationale de la Cité universitaire de Paris : la place du mécène dans la conception et la mise en œuvre d’un projet architectural. DOCUMENTS 81. Stefan Scheweizer, La deuxième révolution des jardins. La réforme de l’art du jardin autour de 1900, traduction de l‘allemand et introduction par Camille Lesouef POSITIONS DE THÈSES 99. Chloé Demonet, Quand Giuliano da Sangallo « misura a punto » : relever et dessiner l’architecture à la Renaissance ; 103. Franck Delorme, Édouard Bauhain et Raymond Barbaud, parcours croisés de deux architectes, de la Belle Époque à l’Entre-deux-guerres ; 109. Claire Rosset, Imaginaire du passé et pensée du monde moderne. Processus de médiatisation chez Albert Laprade, architecte. COMPTES-RENDUS 115. Grégoire Binois, Le Mont Saint-Michel au musée des Plans-reliefs : une exposition visuelle ; Béatrice Gaillard, L’art du chantier, construire et démolir du XVIe au XXe siècle ; Jean-Philippe Garric, L’Architecture de la voie. Histoire et théorie 121. THÈSES SOUTENUES du 1er juin 2017 au 31 août 2019 129. RÉSUMÉS - LES AUTEURS Profi_2-Juin.indd 3 22/06/2021 09:36
La deuxième révolution des jardins. La réforme de l’art du jardin autour de 1900 Stefan Schweizer Traduction et introduction par Camille Lesouef INTRODUCTION L’article « La deuxième révolution des jardins » a été écrit par Stefan Schweizer 1. Au sujet du rôle d’Hermann Muthe- en 2017 pour un catalogue d’exposition consacré au thème de la Gartenreform*. sius dans le mouvement de l’art des jardins à cette période, voir Uwe Cette appellation désigne le mouvement de transformation de l’art des jardins SCHNEIDER, « Hermann Muthesius en Allemagne entre 1900 et 1914 qui accompagne les bouleversements sociaux, and the Introduction of the English économiques et artistiques faisant suite à l’industrialisation. Cette réforme a été Arts & Crafts Garden to Germany », initiée par des architectes protagonistes du Deutscher Werkbund, comme Hermann Garden History, numéro spécial : « Reviewing the Twentieth Century Muthesius1, et par des membres de l’Association des jardinistes allemands, dont Landscape », vol. 28, n°1, été 2000, les manifestations et les publications rendent compte des débats durant cette p. 57-72. période2. 2. Au sujet des protagonistes et de la La nouveauté de cet article réside dans les thèses qu’il développe et qui éclairent un description des débats de la Garten- reform, voir Uwe SCHNEIDER, Her- certain nombre des hypothèses de recherche engagées sur le même sujet en France. mann Muthesius und die Reformdis- Son principe directeur est d’identifier le mouvement de la Gartenreform comme kussion in der Gartenarchitektur des une révolution artistique, en la désignant comme une « deuxième révolution des frühen 20. Jahrhunderts, coll. « Grüne jardins3 ». Stefan Schweizer développe l’idée que l’on n’assiste pas à une évolution Reihe », Worms, Wernersche, 2000. 3. En identifiant ce mouvement comme progressive de l’art du jardin mais bien à une véritable rupture, qui s’appuie sur une « Zweite Gartenrevolution », un ensemble de phénomènes conduisant à un changement de paradigme autour de l’auteur établit un lien de parenté avec 1900. Il insiste sur l’importance de considérer tant les évolutions stylistiques de le siècle des Lumières qu’il identifie cette période que ses autres facettes : celle des techniques, de la profession, de la comme la première révolution de l’art du jardin, alors qu’avait été inventé et pratique, des lieux, des moyens de diffusion, etc. Ce point de vue sur la réforme mis au point le modèle de jardin pay- induit donc une vision plus large du champ de l’art du jardin et invite à poursuivre sager qui s’est ensuite répandu partout les travaux en ce sens. en Europe et a été reproduit de manière Dès lors, l’article développe une autre hypothèse essentielle pour la recherche plus ou moins littérale jusqu’à la fin du XIXe siècle, aussi bien dans les parcs sur l’art des jardins du début du XXe siècle et montre comment ce mouvement publics que les jardins privés. s’appuie sur un renouvellement des références qui permettent de justifier les changements stylistiques qu’il propose. En effet, les jardinistes multiplient les * Stefan Schweizer, « Die Zweite Gartenrevolution », dans Stefan SCHWEIZER, Martin FASS (éd.), Neue Gärten! Gartenkünst zwischen Jugdenstil & Moderne [Nouveaux jardins ! L’art des jardins entre Art nouveau et Modernité], cat. expo., Düsseldorf, Museum für Gartenkunst der Stiftung Schloss und Park Benrath, 24 septembre 2017-14 janvier 2018, Berlin, Liebermann-Villa am Wannsee, 25 février-29 mai 2018, Koeln, Wienand Verlag, 2017. 81 Profi_2-Juin.indd 81 22/06/2021 09:36
profils 2 - 2020 Documents 4. À titre d’exemple, nous nous emprunts aux jardins de la Renaissance4 et du XVIIe siècle5, et l’auteur associe ce reporterons à l’une des publications phénomène à celui de révolution artistique. Attribuer un caractère révolutionnaire emblématiques de cette période : Reginald BLOMFIELD, The aux bouleversements jardinistes du début du XXe siècle semble adapté au cas Formal Garden in England, allemand, puisque cela permet de nuancer la conception très répandue de London, MacMillan & Co, 1892. l’apparition de la Gartenreform uniquement comme la conséquence d’une L’auteur défend une conception du lassitude ressentie face à l’hégémonie du jardin paysager à la fin du XIXe siècle. jardin privé adoptant les principes architectoniques et géométriques Plus largement, l’article de Stefan Schweizer propose une mise en contexte de l’architecture domestique, en inédite de la Gartenreform dans la société allemande du début du XXe siècle. Le s’inspirant des jardins formels de premier phénomène évoqué est celui de l’industrialisation et ses conséquences, l’ère élisabéthaine (deuxième moitié tels l’accroissement de l’urbanisation et son implication dans les changements de du XVIe siècle) dans laquelle il puise un grand nombre des références qui l’habitat domestique ou encore l’apparition des préoccupations d’hygiène sociale. parsèment l’ouvrage. Il est question ensuite du basculement du quotidien vers un mode de vie moderne, 5. Les jardins du XVIIe siècle sont qui s’exprime notamment en Allemagne par la réforme des modes de vie qui surtout cités par les auteurs allemands engage un nouveau rapport de l’homme à la nature, une nouvelle considération du et français qui les désignent comme jardins baroques ou à la française. Ces corps et de l’activité physique, des loisirs, mais aussi de l’environnement et de la différentes appellations désignent un nutrition6. Enfin, l’auteur examine les changements artistiques de « l’Art Nouveau corpus de jardins dont les plans suivent à la modernité7 » et surtout de l’architecture, intimement liés aux évolutions de l’art des principes similaires de régularité et du jardin portées notamment par les réalisations et les publications d’Hermann de géométrie. 6. Au sujet de la Lebensreform, voir Muthesius, Joseph Maria Olbrich et de Peter Behrens8. Schweizer replace ainsi l’ouvrage de Bernd WEDEMEYER- cette réforme dans un contexte socio-artistico-culturel large, mettant en valeur KOLWE, Aufbruch! Die Lebensreform la nature des liens entre ces différents bouleversements. Si le renouvellement de in Deutschland, Darmstadt, Philip von l’art du jardin n’est pas toujours lié de façon évidente aux autres basculements, Zabern, 2017. 7. Il s’agit du sous-titre de l’exposition il en est toujours proche, et l’article le présente comme l’une des expressions des et de son catalogue : « Gartenkunst changements alors en cours en Allemagne. zwischen Jugendstil & Moderne. ». Ce texte synthétise donc les recherches sur le mouvement jardiniste allemand 8. Au sujet du rôle de Peter Behrens du début de siècle tout en offrant des clés de compréhension de cette réforme et Joseph Maria Olbrich dans la modernisation de l’art des jardins en que l’on pourrait qualifier d’européenne, puisqu’elle touche, durant un court Allemagne, voir Barry Bergdoll, « The laps de temps, l’Angleterre, l’Allemagne, l’Autriche, la France et la Belgique9. Nature of Mies’s Space », dans Barry En France, le mouvement se développe entre 1910 et 1914, quelques années BERGDOLL, Terence RILEY, Mies in après l’Allemagne dont l’auteur identifie les années clés autour de 1904-1906. Berlin, cat. expo., New York, Museum of Modern Art, New York, 21 juin-11 La modernisation des modes de vie est alors déjà avancée, et s’exprime dans septembre 2001, New York, Museum l’habitat privé comme dans les autres domaines de la création artistique. En of Modern Art, Distributed by H.N. outre, le contexte de tension politique des années précédant la Première Guerre Abrams, 2001, p. 67-105. mondiale induit un développement différent de l’art du jardin par son inscription 9. Au sujet de la simultanéité de ces ré- formes en Europe, voir Elsa VONAU, dans la recherche d’un nouveau style national pour les arts affichant une ambition La fabrique de l’urbanisme : Les cités- très éloignée de celle du Deutscher Werkbund10. Le caractère révolutionnaire du jardins, entre France et Allemagne mouvement allemand se dissout donc dans des questionnements artistiques liés 1900-1924, nouvelle édition [en ligne], notamment au concept d’identité nationale, en raison du décalage chronologique Villeneuve d’Ascq, Presses universi- taires du Septentrion, 2014, consulté et de la différence de contexte. Les textes de référence de l’art du jardin privé parus le 10 janvier 2019. URL : http://books. au cours des années 1910 en France, par exemple Les Jardins de l’intelligence de openedition.org/septentrion/4030. Lucien Corpechot11 ou Le Nouveau jardin d’André Vera12, défendent un modèle 10. Voir André VERA, « Le Nouveau de jardin à la française modernisé et épuré. On pourrait ainsi dire que l’on assiste style », L’Art décoratif, 5 janvier 1912. 11. Lucien CORPECHOT, Les Jardins alors en France à une véritable Gartenreform. de l’intelligence, Paris, Émile-Paul frères, 1912. 12. André VERA, Le Nouveau jardin, Paris, Émile-Paul frères, 1912. 82 Profi_2-Juin.indd 82 22/06/2021 09:36
La deuxième révolution des jardins La deuxième révolution des jardins. La réforme de l’art du jardin autour de 1900 Le renouvellement de l’aménagement des jardins et des parcs vers 1900, illustré par l’exposition Neue Gärten! Gartenkunst zwischen Jugenstil und Moderne, participe d’un changement radical du cadre de vie européen (ill. 1). Ce passage à l’ère moderne est une réaction à l’industrialisation croissante ainsi qu’à l’urbanisation qui en résulte, entraînant une nouvelle différenciation sociale ainsi qu’une sécularisation croissante, et affectant de manière extrêmement variée tous les domaines de la vie. C’est surtout dans le domaine des arts qu’un profond changement s’opère, allant de la peinture et la sculpture à l’architecture et à l’urbanisme, de la danse à la musique en passant par le théâtre. La réforme de l’art des jardins1, déjà qualifiée ainsi par les auteurs contemporains, s’inscrit donc en partie dans un bouleversement social qui, au début de la Première Guerre mondiale, se conclut par une crise dramatique2. 1. Parmi beaucoup d’autres, il est fait référence à l’utilisation du terme “réforme” à titre d’exemple dans : Wilhelm BOGLER, Reform der Gartenkunst, Leipzig, Hachmeister & Thal, 1905 ; Reinhold HOEMANN, « Neuzeitliche Bestrebungen auf dem Febieter der Gartengestaltung », Die Gartenkunst, vol. 8, n°11, 1906, p. 207-210 ; Ludwig F. FUCHS, « Die Reform der Gartenkunst und die Tradition », Die Gartenkunst, vol. 9, n°3, 1907, p. 41-43. 2. Pour une description de l’ensemble de la situation en 1914, voir : Philipp BLOM, Der taumelnde Kontinent. Europa 1900-1914, 7e éd., München, Dt. Taschenbuch-Verl., 2015. Les changements dans le domaine de l’art des jardins reposent aussi sur des 1 – Mixed-border de Gertrude causes propres à ce domaine et des intentions spécifiques, qui n’ont au départ pas Jekyll, Barrington Court, Somerset, 2016. © Stefan Schweizer, 2017 grand-chose en commun avec les changements « externes » ou qu’il faut plutôt considérer comme une conséquence indirecte des transformations dans d’autres domaines. La réforme du jardin se caractérise donc également par un degré élevé d’autonomie, réagissant au manque d’innovation qui l’a précédée. Dès le milieu du XIXe siècle, on relève de plus en plus de critiques concernant les modèles de jardins paysagers. Les formes autrefois novatrices d’idéaux paysagers proches de la nature – larges pelouses structurées spatialement par des arbres solitaires, groupes d’arbres ou d’arbustes, transitions douces vers le 83 Profi_2-Juin.indd 83 22/06/2021 09:36
profils 2 - 2020 Documents paysage environnant, chemins courbes et points de vue mis en scène – sont depuis longtemps devenues des modèles interchangeables. Lorsqu’en 1887 l’Association des jardinistes allemands (Verein Deutscher Gartenkünstler) élève l’aménagement paysager des jardins privés, des parcs publics et des cimetières au rang de canons de l’art des jardins, suivant l’exemple du Lehrbuch der schönen Gartenkunst de Gustave Meyer (1860)3, le changement a depuis longtemps commencé dans la pratique. Meyer lui-même ainsi que de célèbres protagonistes comme Eduard Petzold et Hermann Jäger plaident pour l’intégration de parties régulières dans les grands parcs, comme Willhelm Benque l’a également fait au Bürgerpark de Brême. Les bosquets plantés symétriquement, mais surtout l’environnement immédiat de bâtiments exposés à la vue tels que les maisons de campagne, les chapelles, les restaurants en terrasse, etc. ont été dès le début du XIXe siècle de plus en plus souvent entourés de plantations régulières et de parterres symétriques ou centraux. Nombreuses ont été les formes hybrides oscillant entre aménagement paysager et plan géométrique ou conception architecturale que l’on appelait « zoning » dans le jargon du XXe siècle. […] Les jardinistes ont pleinement reconnu la nécessité de changements, notamment en termes d’urbanisation et d’hygiène sociale, mais la mise en œuvre de ces concepts a été difficile. Les problématiques modernes sont discutées pour la première fois lors de la 13e assemblée générale de l’Association des jardinistes allemands en 1900 à Halle an der Saale. Le point de départ en est l’intervention de F. Wilhelm Cordes4, directeur des cimetières d’Hambourg, dont la présentation 3. Uwe SCHNEIDER, Hermann s’intitule : « Les conditions de vie moderne et les modifications des villes qui Muthesius und die Reformdiskussion en dépendent5 ». Dès la deuxième partie de son exposé, « L’art du jardin est- in der Gartenarchitektur des frühen il impliqué, a-t-il un rôle et l’a-t-il rempli ? La composition des monuments 20. Jahrhunderts, Worms, Wernersche Verlagsgesellschaft, 2000, p. 254-270. funéraires et leur emplacement », il apparaît clairement qu’il s’agit encore et 4. Sur F. Wilhelm Cordes, voir Gert toujours de lieux embellis, de bordures funéraires décoratives ou de fonctions GRÖNING, Joachim WOLSCHKE- traditionnelles du même genre, mais Cordes exprime également un certain malaise BULMAH, 1887-1987. Ein Rüblick face à l’ignorance des urbanistes à l’égard des moyens artistiques à mettre en auf 100 Jahre Deutsche Gesellschaft für Gartenkunst (DGGL), Berlin, œuvre dans les jardins. Boskett, 1987, p. 64. Le fait que l’assemblée générale de l’Association des jardinistes allemands soit 5. F. Wilhelm CORDES, « Die à nouveau consacrée, l’année suivante, aux nouveaux défis urbains, illustre modernen Lebensbedingungen und l’attention accrue accordée à la modernisation. […] die davon abhängigen Abänderungen der Städte », Die Gartenkunst, 1900, Même la guilde des jardiniers plutôt conservatrice a reconnu les nouveaux supplément, p. 12-15. défis. Le terme contemporain de réforme éclipse cependant le fait que la césure 6. Voir le dernier ouvrage très instruc- stylistique et fonctionnelle s’est déroulée essentiellement après 1900. Si l’on tient tif sur le sujet : Bernd WEDEMEYER- compte de la rupture délibérée avec la tradition, du changement fondamental de KOLWE, Aufbruch. Die Lebensreform in Deutschland, Darmstadt, Verlag l’usage social des jardins et de l’émergence de la culture des plantes vivaces, il Philipp von Zabern GmbH, 2017. convient de décrire ce mouvement comme une seconde révolution des jardins. Au 7. Ibid., p.20. cours du siècle des Lumières, les innovations en matière d’art du jardin paysager 8. Jost Hermand, « Die Lebensreform- se sont déjà révélées être des changements révolutionnaires. Près de deux siècles bewegung um 1900 – Wegbereiter einer naturgemäßen Daseinsform plus tard, cette deuxième révolution des jardins a rendu obsolète l’art du jardin oder Vorboten Hitlers? », dans Marc paysager prétendument naturel utilisé pour presque tous les types de jardins – CLUET, Catherine GILLMANN-RE- ceux des maisons de campagne et de ville, les parcs urbains, les places publiques, PUSSARD (dir.), « Lebensreform ». les cimetières, les promenades. Néanmoins, il faut continuer d’utiliser le terme Die soziale Dynamik der politischen Ohnmacht/La dynamique sociale de de Gartenreform, d’autant qu’il est contemporain. Son principe, cependant, n’est l’impuissance politique, Tübingen, pas le changement progressif ou l’évolution continue, mais bien la rupture et Francke, 2013, p. 51-62. l’apparition d’un nouveau contexte de justification historique. […] 84 Profi_2-Juin.indd 84 22/06/2021 09:36
La deuxième révolution des jardins La réforme des modes de vie Afin de pouvoir apprécier à sa juste valeur la modernité de l’aménagement des jardins, il est nécessaire d’étudier ses références. Pour cela, il faut tout d’abord prendre en compte le mouvement déjà considéré par les contemporains comme une réforme des modes de vie6. Depuis les années 1880, des efforts ont été faits pour changer en profondeur la vie quotidienne ainsi que les pratiques sociales individuelles et collectives. Les nouveaux projets, hétérogènes et parfois contradictoires, ont reconsidéré les sujets les plus divers : depuis l’habillement, la nutrition, l’hygiène, la naturopathie et l’entraînement physique, jusqu’à l’érotisme et l’organisation collective des loisirs, en passant par l’habitat. Leur dénominateur commun est un malaise face aux conditions de vie modernes, particulièrement en ville. Bernd Wedemeyer-Kolwe nous donne une définition de ce mouvement : « La réforme des modes de vie était à ses origines un mouvement de réforme sociale de la fin du XIXe siècle, qui – dans le cadre d’un intérêt profond pour la nature – aspirait à un changement de la société industrielle considérée comme négative, et voulait parvenir à une réforme sociale en passant par une “auto-réforme”. [...]. Le végétarisme, la naturopathie, la culture physique et les activités en rapport avec le développement de l’habitat étaient au centre des pratiques liées à la réforme des modes de vie 7». Le rapport entre cet éventail de sujets et la réforme des jardins apparaît clairement vague, mais s’avère dans le même temps fondamental pour l’idée d’une nouvelle relation homme-nature. Ainsi, bien qu’il n’y ait pas de lien direct entre les enseignements nutritionnels de ce mouvement et les thèmes de la réforme des jardins, la naturopathie a joué un certain rôle : elle a encouragé les bains de soleil et de lumière qui ont été facilités par l’aménagement de grandes prairies dans les parcs publics – d’autant que l’importance de la lumière et de l’air frais pour la population urbaine a rapidement été reconnue par l’ensemble de la société. L’importance de la culture physique encouragée par le mouvement de la réforme des modes de vie trouve également un écho dans les fonctions socio- hygiéniques du nouvel art des jardins. L’activité physique et le sport sont ainsi devenus des pratiques sociales privilégiées dans les parcs publics comme dans les jardins privés. […] Mais il ne faut pas se méprendre sur les tentatives de réformes autour de 1900 : elles représentent des positions minoritaires qui n’auraient pas pu sérieusement ébranler les fondements de la société de masse moderne. Par manque de temps, elles n’ont tout simplement pas pu se développer et elles ont pris fin avec le début de la Première Guerre mondiale ou, pour celles qui sont socialement viables, ont été institutionnalisées. Ainsi, de nombreuses innovations de cette période sont restées inachevées, d’autres ont prospéré durant la République de Weimar, d’autres encore ont été adaptées par les idéologies totalitaires montantes, surtout par le mouvement national-socialiste8. […] il s’est agi principalement de pratiques propres à un mouvement bourgeois dont les discussions ont porté sur des phénomènes de luxe. Celui-ci s’est ainsi très vite attiré le mépris des nationaux-socialistes, mais aussi des mouvements égalitaires de gauche. Cela est important pour l’art des jardins précisément, car les paramètres qui ont changé à partir de 1900 ne concernent pas seulement le parc urbain public, qui continue à être connoté comme bourgeois, mais aussi la maison bourgeoise et, plus raffinée encore, la maison de campagne, résidence d’été des citadins fortunés. 85 Profi_2-Juin.indd 85 22/06/2021 09:36
profils 2 - 2020 Documents Évolution du logement et de la construction : le mouvement Heimatschutz et l’association Werkbund comme forces motrices En mettant l’accent sur les réformes de l’architecture, des jardins, du logement et du développement urbain, cette exposition répond clairement à la question de la nature de la réforme : il s’agit d’un mouvement moderniste (ill. 2). […] En quelques années, des dizaines de livres sont publiés sur les immeubles d’habitation et le logement, où l’on traite des moyens de modernisation9. La 9. Wolfgang PEHNT, Deutsche Architektur seit 1900, München, Deutsche Verlags-Anstalt, 2005, p. 38-47. 10. Walter MÜLLER-WULCKOW, Architektur 1900 – 1920 in Deutsch- land, Reprint und Materialien zur Entstebung, t. 2 : Wohnbauten und Siedlungen, Königsstein im Taunus, Köster, 1999, p. 5. 11. Sigrid HOFER, Reformarchitektur 1900-1918. Deutsche Baukünstler auf der Suche nach dem nationalem Stil, Stuttgart, Menges, 2005, p. 27-55. 12. Hermann MUTHESIUS, Das englische Haus. Entwicklung, Bedin- gung, Anlage, Aufbau, Einrichtung und Innenraum, 3 t., München, Wasmuth, 1904/05. 13. Fedor ROTH, Hermann Muthesius und die Idee der harmonischen Kultur. Kultur als Einheit des künstlerischen Stils in alle Lebensäußerungen eines discussion concerne la maison de ville isolée ainsi que la maison de campagne Volkes, Berlin, Gebr. Mann Verlag, d’été et à fortiori les maisons du mouvement des cités-jardins, et plus tard les 2001, p. 106-135. 14. NDT : La Heimat est une notion logements locatifs et les grands ensembles résidentiels. Jusqu’en 1914, les allemande liée au « chez soi », évo- programmes d’immeubles d’habitation s’adressent encore principalement à une quant l’attachement et la nostalgie de clientèle aisée de la classe moyenne supérieure ayant des domestiques et des la terre natale ou de l’enfance et que revendications de représentation sociale […]. Progressivement – de plus en plus l’on traduit parfois par « petite patrie » (Jean Jaurès). après 1918 – le personnel de service disparaît dans la classe moyenne supérieure, 15. Paul MEBES (éd.), Um 1800 – d’une part sous l’effet de la diminution de la taille des terrains et des surfaces Architektur und Handwerk im letzten habitables, et d’autre part grâce à des innovations techniques telles que les Jahrhundert ihrer traditionellen En- chauffe-eau et l’électricité qui facilitent la vie quotidienne. twicklung, 2 t., München, Bruckmann, 1908 ; Paul SCHULTZE-NAUM- Dans un ouvrage de 1925, Walter Müller-Wulckow établit déjà un lien entre BURG, Kulturarbeiten, t. 2 : Gärten, l’évolution des formes architecturales des immeubles d’habitation et l’éthique München, G. D. W. Callwey, 1905. sociale moderne : « Le caractère mensonger des fioritures sur les façades de 86 Profi_2-Juin.indd 86 22/06/2021 09:36
La deuxième révolution des jardins l’époque wilhelminienne n’est perçu que par ceux qui ont également reconnu la vacuité de la morale sociale10 ». Néanmoins, avant la réduction ornementale des façades au sens d’Adolf Loos, ce sont les questions d’identité locale, régionale et nationale qui animent les discussions autour des formes des nouveaux immeubles d’habitation11. L’impulsion vient d’Angleterre, où Hermann Muthesius a intensivement étudié les édifices et les a mieux fait connaître en Allemagne à partir de 1903, par des conférences et son traité en trois volumes sur la maison anglaise12 (ill. 3). 2 – Joseph Maria Olbrich, Das Muthesius a pour objectif d’encourager une nouvelle culture de l’habitat en Arbeiterhaus der Firma Opel in der Arbeiterseidlung, Entwurf für Allemagne, orientée vers des considérations fonctionnelles – « factuelles » die Hessische Landesausstellung (sachlichen) – allant de l’architecture au jardin en passant par l’agencement für freie und angewandte Kunst, intérieur et l’ameublement13. Au même moment, Paul Mebes et son volume Um Mathildenhöhe Darmstadt, 1908. Crayon, aquarelle et peinture sur 1800 et Paul Schultze-Naumburg dans son ouvrage Kulturarbeiten évoquent papier, 31,7 x 21,1 cm. Hessisches ouvertement de nouveaux modèles remontant au début du XIXe siècle et, par leur Landesmuseum Darmstadt, Inv.-Nr. regard rétrospectif, établissent les idéaux de protection de la Heimat14 que sont HZ 6050 © Wolfgang Fuhrmannek l’identité locale et régionale15. Les protagonistes mentionnés regardent donc vers 3 – Hermann Muthesius, Das le passé à la recherche de nouvelles idées architecturales, s’orientant eux-mêmes Englische Haus, t. 2 : Anlage und vers des modèles historiques (qu’ils se trouvent en Allemagne ou en Angleterre) Aufbau, Ernst Wasmuth, Berlin 1904/05. Stiftung Schloss und et discutent tous de la maison avec ou en relation étroite avec le jardin. Dans Park Benrath, Inv.-Nr. GKM-BB- les formes architecturales du passé, les modernistes trouvent ce qu’ils cherchent 2001/33a-c. 87 Profi_2-Juin.indd 87 22/06/2021 09:36
profils 2 - 2020 Documents à apporter à leurs propres projets : la commodité, la pertinence fonctionnelle, matérielle et sociale, la prise en compte du site et de ses traditions. Le mouvement Heimatschutz, dont l’architecte Paul Schultze-Naumburg est devenu le représentant le plus important, devient une référence de l’époque moderne. Une deuxième référence, qui cependant s’est avérée globalement moins importante pour la construction des immeubles d’habitation, est l’Antiquité, par exemple dans les bâtiments de Peter Behrens16. 16. Sigrid HOFER, op. cit., p. 36-40. 17. Hermann MUTHESIUS, Die Werkbund-Arbeit der Zukunft und Aus- sprache darüber, Jena, Verlegt bei E. Diederichs, 1914, p. 42. 18. Reinhold HOEMANN, op. cit., p. 207. 19. Marie Luise GOTHEIN, Ges- chichte der Gartenkunst, Jena, Eugen Diederichs, 1914. 20. L’essentiel sur ce point dans Uwe Schneider, op. cit. 21. Reinhold HOEMANN, op. cit. 22. Alfred LICHTWARK, Makart- bouquet und Blumenstrauß, Hamburg, s.e., 1892, (2e éd. Berlin 1905). 23. Alfred LICHTWARK, Die Grun- dlagen der künstlerischen Bildung, t. 14, Park und Gartenstudien. Die Prob- leme des Hamburger Stadtparks. Der Enfin, la référence architecturale fondamentale de la réforme des jardins est Heidergarten, Berlin, Cassirer, 1909. le Deutscher Werkbund, une association extrêmement influente d’architectes, 24. Reinhold HOEMANN, op. cit., p. 208. designers, artistes, hommes politiques de la culture et artisans, fondée à Munich 25. Stefanie Hennecke, « Der deutsche en 1907. Une fois encore, l’impulsion est donnée par Hermann Muthesius que Volkspark zwischen individueller l’on peut également considérer comme un catalyseur essentiel pour la réforme des Bedürfnisbefriedigung und gan- zheitlicher Gesellschaftsreform. Die jardins. Dans un discours prononcé devant les membres du Werkbund en 1914, il Diskussion eines gartenkünstlerischen décrit le contexte général pluridisciplinaire de la réforme moderniste soutenue par Reformprojekts im frühen 20. Jahr- le Werkbund : « Aujourd’hui nous sommes au milieu d’un mouvement artistique hundert », dans Stefan SCHWEIZER (dir.), Gärten und Parks als Lebens- de caractère très général, nous avons commencé à réformer notre appartement, und Elebnisraum: Funktions- und notre maison et notre jardin, les idées de réforme artistique ont envahi nos Nutzungsgeschichtliche Aspekte der théâtres où la danse, les décors, les costumes subissent une transformation, les Gartenkunst in Früher Neuzeit und Moderne, Worms, Wernersche Ver- nouvelles aspirations artistiques ont influencé le livre, l’affiche, la vitrine, la rue, lagsgesellschft mbH, 2008, p. 151- le cimetière, des localités et des villes entières sont créées selon des principes 156 ; Friedrich BAUER, « Erläuter- artistiques purifiés17 » (ill. 4). ungsbericht zum Entwurf ‘Freude schöner Göterfunken’ », Die Garten- welt, vol. 12, n°39, 1908, p. 463-465. La réforme de l’art des jardins 26. Voir Silke Tofahrn, « Vom Märch- On pourrait citer de nombreuses références montrant que les contemporains enwald zum Wohngarten. Der Wet- tbewerbe der Zeitschrift Die Woche », considèrent les innovations stylistiques et fonctionnelles dans le domaine de dans Stefan SCHWEIZER, Martin l’art du jardin comme faisant partie d’un éveil social. La sensibilité et la volonté FASS (éd.), Neue Gärten! Gartenkünst de changement des protagonistes contemporains expriment le profond hiatus et zwischen Jugdenstil & Moderne, cat. exp., Düsseldorf, Museum für Garten- l’optimisme face au progrès résultant de la rupture avec le passé : « Comme dans kunst der Stiftung Schloss und Park tous les domaines de l’art et de l’artisanat, un mouvement de réforme a également Benrath, 24 septembre-14 janvier 2018, commencé ces dernières années dans l’art des jardins, dont le but est d’éliminer Berlin, Liebermann-Villa am Wannsee, 25 février-29 mai 2018, Koeln, Wien- ce qui est rétrograde en le remplaçant par quelque chose de bon, de nouveau et de and Verlag, 2017, p. 121-137. complètement valide18 ». Cette citation de l’architecte des jardins de Düsseldorf 88 Profi_2-Juin.indd 88 22/06/2021 09:36
La deuxième révolution des jardins Reinhold Hoemann introduit un texte sur les « Aspirations modernes dans le domaine de l’art des jardins », dans lequel l’auteur présente les protagonistes de la réforme. Le canon établi par Hoemann trouve un écho quelques années plus tard dans l’Histoire de l’art du jardin de Marie Luise Gothein19 et l’on considère encore aujourd’hui cette analyse d’une série d’influences et d’impulsions comme plus ou moins valide20. Hoemann place en premier Paul Schultze-Naumburg, dont les Kulturarbeiten invitent à considérer « l’aménagement d’un jardin […] comme une tâche architecturale21 ». Il place à ses côtés Alfred Lichtwark, directeur de la 4 – Fritz Schumacher, Vom Hamburger Kunsthalle, qui dès 1892 attire l’attention dans une publication sur werdenden Stadtpark, Persiehl, Hamburg, 1914. Stiftung Schloss la structure simple et la splendeur florale des jardins paysans22. Avec une autre und Park Benrath, Inv.-Nr. GKM- publication, Lichtwark devient ensuite une source importante d’idées pour les BB-2016/1. parcs publics en général et pour le parc de la ville de Hambourg en particulier23. En conclusion, Hoemann fait référence à l’influence d’architectes de renom tels 5 – Joseph Maria Olbrich, Maison Hochstrasser, Kronberg/Taunus, que Hermann Muthesius, Peter Behrens et Josef Maria Olbrich, qui jouent un rôle Schönbergerfeld 9, 1901/02. fondamental dans la réforme. En tant que participant direct aux conflits autour du Crayon et aquarelle, rehaussés rôle et des formes de l’art du jardin, Hoemann se réfère également aux positions de blanc sur papier, 31,8 x 48,1 des jardinistes à l’égard de la réforme (ill. 5). Il décrit comme un « pionnier24 » cm. Hessisches Landesmuseum Darmstadt, Inv.-Nr. HZ 6084 © l’architecte paysagiste Friedrich Bauer qui travaille principalement à Magdebourg Wolfgang Fuhrmannek. et qui a construit l’un des premiers parcs populaires innovants, le Schillerpark à Berlin. Dans un style sobre et régulier, Bauer a aménagé deux prairies accessibles aux promeneurs et un complexe de terrasses, orientant les entrées et sorties vers les rues existantes25. En matière de jardins privés, Bauer joue également un rôle remarquable, tant dans le domaine de la publication que dans le domaine pratique : il est récompensé pour son jardin privé lors de l’exposition de Düsseldorf en 1904 et pour son esquisse pour le concours du magazine Die Woche26. Les célèbres jardinistes Camillo Schneider et Fritz Encke sont également considérés comme des réformateurs par Hoemann, qui fait même preuve de compréhension à l’égard du directeur des jardins Willy Lange, rejetant dans une large mesure 89 Profi_2-Juin.indd 89 22/06/2021 09:37
profils 2 - 2020 Documents la réforme27. En fin de compte, Hoemann plaide en faveur d’une utilisation des moyens d’aménagement en adéquation avec la fonction. Il ne disqualifie pas en bloc les modèles paysagers, mais reconnaît leur place dans l’histoire des jardins en prenant l’exemple du Jardin de la Cour de Düsseldorf. La présentation par Hoemann des « Aspirations modernes dans le domaine de l’art du jardin » s’appuie sur une conférence donnée en août 1906 lors de l’assemblée générale de la Société allemande pour l’art du jardin (Deutsche Gesellschaft 27. Stefan Schweizer, « “Konquista- doren des neuen Gartenlandes” Die Konkurrenz zwischen Architekten und Gartenkünstlern », dans Stefan für Gartenkunst) à Nuremberg. Sa publication immédiate dans la revue Die SCHWEIZER, Martin FASS (éd.), op. Gartenkunst – bien que dans la section « Questions actuelles et controverses » cit., p. 138-153. – officialise d’une certaine manière la perspective de l’auteur. Il n’est donc pas 28. Stefan Schweizer, « “Dem ar- chitektonishcen wieder zu seinem surprenant que la classification historiographique de la réforme dans l’Histoire verlorenen Rechte zu verhelfen” Neue de l’art du jardin de Marie Luise Gothein reprenne plus ou moins les mêmes Vorstellungen von Gartengeschichte », protagonistes28. dans Stefan SCHWEIZER, Martin En effet, l’abandon des modèles traditionalistes du paysagisme dans le domaine FASS (éd.), op. cit., p. 111-119. 29. Hans PIETZNER, Landschaftliche du jardin privé comme dans celui des places ou parcs urbains peut être délimité Friedhöfe, ihre Anlage, Verwaltung und de façon relativement nette dans le temps. Des protagonistes tels que Julius Trip, Unterhaltung, Leipzig, Carl Scholze, Reinhold Hoemann ou Erwin Barth ont conçu et réalisé jusque vers 1903-1904 des 1904. aménagements qui n’ont pas été affectés par les nouveaux concepts importés en 30. Max HESDÖRFFER, « Der archi- tektonische Garten aus der Sicht eines partie d’Angleterre. Pourtant, beaucoup de ces sujets semblent être déjà discutés Königlichen Landbauinspektors », Die en Allemagne, comme par exemple dans Kulturarbeiten de Schultze-Naumburg Gartenwelt, vol. 8, n°24, 1903/04, p. dont le deuxième volume publié en 1902 est consacré aux jardins, mais sans être 286-288. encore mis en pratique. 31. Stefan Schweizer, Eva-Maria Gru- ben, « Gartenausstellungen als Kataly- Les discussions controversées deviennent tangibles pour la première fois en sator der Reform. Düsseldorf 1904, 1903 lorsque les magazines de jardinage rendent compte des conférences de Darmstadt 1905, Köln 1906, Mannheim Hermann Muthesius consacrées à la maison anglaise et au jardin privé anglais. La 1907 », dans Stefan SCHWEIZER, conférence de Dresde est considérablement raccourcie en 1904 dans le numéro Martin FASS (éd.), op. cit., p. 91-109. 32. Wilhelm BOGLER, Reform der de janvier de Gartenkunst et ainsi paraphrasée de manière percutante29 ; tandis Gartenkunst, Leipzig, Hachmeister & que la revue Gartenwelt se consacre à la conférence de Breslau30. La position de Thal, 1905. Muthesius, qui n’est pas familier du sujet, fait l’objet d’une discussion et donne 90 Profi_2-Juin.indd 90 22/06/2021 09:37
La deuxième révolution des jardins lieu à plusieurs réponses dans les magazines et les journaux – une sorte d’amorce de débat. Alors que les critiques ayant une attitude négative s’expriment les premiers, on peut identifier une période relativement courte, entre 1904 et 1906, où la discussion autour de la réforme de l’art des jardins bascule. La rupture se manifeste à trois niveaux : d’abord, on peut l’observer au niveau de la pratique artistique, en particulier dans les jardins d’exposition entièrement architecturaux présentés entre autres par Peter Behrens pour la « Internationale Kunstausstellung 6 – Photographie tirée de Erinne- und Große Gartenbauausstellung » à Düsseldorf en 1904 et Joseph Maria Olbrich rungsblätter an die Gartenbau- – avec ses jardins colorés – pour la « Allgemeine Gartenbau-Ausstellung » Ausstellung Darmstadt, préfacée par Hans Dieter Leipheimer, en 1905 au jardin de l’orangerie de Darmstadt (ill. 6 et 7)31. Sur le mode des Darmstadt 1905. Der rote Garten jardins d’exposition temporaires, les innovations des architectes trouvent écho von Professor J. M. Olbrich. auprès d’un large public, parfois mitigé. Ensuite, le changement dans l’art du Institut Mathildenhöhe, Städtische jardin s’exprime de manière perceptible dans un grand nombre de publications Kunstsammlung Darmstadt, Inv.- Nr. 3824/11 AR. novatrices accompagnant les jardins d’exposition, qui donnent des impulsions importantes pour le changement de style et de fonction. La première est le traité de 7 – Joseph Maria Olbrich (projet)/ Hermann Muthesius sur la Englisches Landhaus, publié en 1904 dans sa première Vereinigte Kunstdruckereien Metz édition et dont le deuxième volume est entièrement consacré aux jardins privés. & Lautz, Darmstadt (exécution) Der blaue Garten. Phototypie des Également écrit par un architecte travaillant dans le domaine de l’aménagement jardins colorés de Joseph Maria des jardins, Joseph Maria Olbrich, Neue Gärten paraît en 1905. Olbrich y expose Olbrich à l’exposition horticole de son concept de jardin coloré qu’il avait réalisé à Darmstadt. On peut placer au Darmstadt, 1905. Lithographie même niveau l’écrit plutôt inconnu de Wilhelm Bogler, qui – comme le livre couleur sur carton, 9 x 14 cm. Institut Mathildenhöhe, Städtische d’Olbrich – annonce dès son titre une volonté de changement : Réforme de l’art Kunstsammlung Darmstadt, Inv.- du jardin32. Nr. D 65/3 DG © Gregor Schuster Enfin, la rupture stylistique a également conduit à un changement dans l’image de soi institutionnelle des jardinistes, comme en témoignent les divisions déjà évoquées au sein de l’Association des jardinistes allemands et de la fondation de la Société pour l’art du jardin, encline à des réformes. Cette dernière évolution montre en outre que des jardinistes qui, comme Walter von Engelhardt, Fritz Encke, 91 Profi_2-Juin.indd 91 22/06/2021 09:37
profils 2 - 2020 Documents Jacob Ochs ou Leberecht Migge, appartiennent au Werkbund et connaissent donc de très près les exigences de fonctionnalité dans l’art et l’architecture, occupent désormais une place proéminente. Berlin et Hambourg ainsi que les deux grandes villes rhénanes, Cologne et Düsseldorf, sont alors devenues des centres. Caractéristiques stylistiques et fonctionnelles La nouvelle compréhension architecturale des jardins n’est pas en soi une fin stylistique et ne se borne pas exclusivement à se détourner du style paysager : elle vise également à répondre aux nouvelles exigences de promenade dans les parcs et les jardins. Beaucoup de jardiniers et de jardinistes ne voient pas de problème dans le fait que l’architecture s’impose comme un principe directeur dans cette démarche. Bogler a caractérisé ce principe comme « l’affiliation de l’art du jardin à l’architecture33 ». Cette référence à l’architecture nécessitait inévitablement une nouvelle nomenclature des espaces verts, de nouveaux concepts de délimitation et de séparation interne. C’était vrai aussi bien pour le jardin privé que pour le parc public. L’idée de transitions spatiales fluides entre l’appartement et l’extérieur, entre la maison et le jardin et vice versa s’installe dans le cas du jardin privé. Souvent, des terrasses ou des plans en gradins sont nécessaires pour l’harmonisation et la connexion spatiale entre la maison et le jardin, favorisant une mise en architecture de ce dernier (ill. 8). 33. Ibid., p. 11. La densité spatiale des villes suggère d’établir des démarcations physiques 34. Ibid., p. 12. plus nettes entre propriétés voisines, de sorte que l’on a recours à des haies, des 92 Profi_2-Juin.indd 92 22/06/2021 09:37
La deuxième révolution des jardins treillages ou des murs végétaux denses pour délimiter l’espace du jardin. Il reste peu de place pour les artifices vides de sens tels que les grottes, les collines ou les plans d’eau naturels, de même que les jardins ne sont plus adaptés aux longues promenades. Ils s’adaptent désormais aux nouvelles dimensions des maisons individuelles et le nombre d’intéressés potentiels augmente au fur et à mesure que la surface des parcelles se réduit. En effet, la diminution du personnel de service, même dans les maisons les plus riches, oblige propriétaires et résidents à faire eux-mêmes leur jardin. Le nouvel enthousiasme pour les fleurs et notamment pour 8 – Friedrich Ostendorf, isométrie les plantes vivaces exige la présence de structures de parterres intégrées dans des du jardin en pente de la Villa Krehl à Heidelberg, Haus und Garten, réseaux de cheminement orthogonaux rationnels, sans qu’elles soient assimilées Wilhelm Ernst & Sohn, Berlin à des espaces devant attirer le regard. Dans la nouvelle culture florale, Bogler 1923 (3e éd.). Stiftung Schloss reconnaît une façon de briser l’architecture régulière : « L’utilisation correcte des und Park Benrath, Inv.-Nr. GKM- nombreuses plantes vivaces que nous avons maintenant est rendue possible par un BB-2016/28. regroupement riche et pittoresque, même sans palmiers et autres plantes exotiques. 9 – Max Laueger, jardin de la mai- Et si l’on pense aux roses et aux plantes grimpantes qui, combinées avec des son Haefely à Bâle, vers 1922. Vue balustrades, des vases, des bancs en pierre et d’autres décorations architecturales, d’une partie du jardin avec haies, produisent de charmants effets, il doit sembler incompréhensible que les parterres pergolas et niche. Encre de Chine, aquarelle sur papier transparent. rigides prédominent encore avec leurs formes ennuyeuses et démodées34 ». Karlsruhe, Badische Landesbi- En Angleterre, on a développé le long des allées un système de bordures, dans bliothek, K 2943, C 16 (Nachlass lesquelles les plantes à tubercule et à bulbe alternent avec les plantes vivaces Max Laeuger). et offrent toute l’année un spectacle de couleurs sans cesse renouvelé. Le matériau de base en est fourni par des pépinières spécialisées en plantes vivaces, parmi lesquelles il faut mentionner entre autres Georg Arends en Allemagne. Développées par William Robinson et diffusées et perfectionnées par Gertrude Jekyll, ces bordures accompagnent les chemins et se combinent facilement avec des ajouts architecturaux, comme par exemple des contre-murets, en raison de leur végétation étagée. Au cours de la réforme du jardin, on a eu une nouvelle fois recours à un mobilier très connu, modernisé dans ses formes, mais toujours avec la même volonté de créer ou d’accentuer la sensation d’espace et d’améliorer la qualité des promenades par des bancs, abris de jardin, pergolas en treillis, espaliers, vases et autres sculptures (ill. 9). 93 Profi_2-Juin.indd 93 22/06/2021 09:37
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