ENTRE COLLECTIONS ET PUBLICS : DANS L'EXPOSITION LE RÉCIT - Confluences 41 - ICOM France

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ENTRE COLLECTIONS ET PUBLICS : DANS L'EXPOSITION LE RÉCIT - Confluences 41 - ICOM France
Journée professionnelle
2017 au musée des

41
Confluences

La lettre du
Comité national
français de l’ICOM

                              ENTRE
                          COLLECTIONS
                           ET PUBLICS :
                              LE RÉCIT
                          DANS L’EXPOSITION
ENTRE COLLECTIONS ET PUBLICS : DANS L'EXPOSITION LE RÉCIT - Confluences 41 - ICOM France
ENTRE COLLECTIONS ET PUBLICS : DANS L'EXPOSITION LE RÉCIT - Confluences 41 - ICOM France
ENTRE
    COLLECTIONS
     ET PUBLICS :
         LE RÉCIT
     DANS L’EXPOSITION

     29 SEPTEMBRE 2017
MUSÉE DES CONFLUENCES, LYON
ENTRE COLLECTIONS ET PUBLICS : DANS L'EXPOSITION LE RÉCIT - Confluences 41 - ICOM France
41 - ENTRE COLLECTIONS ET PUBLICS : LE RÉCIT DANS L’EXPOSITION

      Sommaire
      Editorial.  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  . p.5
      Juliette Raoul-Duval, présidente d’ICOM France

      OUVERTURES OFFICIELLES .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  . p.7
      Loïc Graber, adjoint au maire de Lyon, délégué à la Culture
      Marie-Christine Labourdette, directrice chargée des musées de France, Ministère de la Culture

      CONFÉRENCE INAUGURALE.  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  . p.13
      Le musée, un hyper-lieu ? Michel Lussault, géographe

      SESSION 1 - ARTICULATION CONTENU / CONTENANT. .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  . p.21

      Le récit du musée, le récit au musée.  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  . p.22
      Dominique de Font-Réaulx, directrice du musée national Eugène-Delacroix

      Le nouveau musée de Pont-Aven : un récit revisité dans un équipement modernisé.  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  . p.26
      Estelle Guille des Buttes, directrice du musée de Pont-Aven

      Une architecture de la diversité culturelle ? .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  . p.30
      Roger Mayou, directeur du musée international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge - Genève

      SESSION 2 - L’ÉVÉNEMENT EST DANS LE PERMANENT. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p.35

      Le Musée d’arts de Nantes.  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  . p.36
      Sophie Lévy, directrice du Musée d’arts de Nantes

      Numérique et musées : médiation et évolution des pratiques.  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  . p.42
      Christophe Courtin, responsable du service des projets numériques du château des ducs de Bretagne - musée
      d’histoire de Nantes

      Le nouveau musée national Picasso-Paris :
      un « musée-moviment » à l’image de la création picassienne.  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  . p.48
      Laurent Le Bon, président du musée national Picasso-Paris
ENTRE COLLECTIONS ET PUBLICS : DANS L'EXPOSITION LE RÉCIT - Confluences 41 - ICOM France
SESSION 3 - LE RÉCIT DANS L’EXPOSITION, ENTRE COLLECTIONS ET PUBLICS. . . . . . . . . . . . . . . p.51

Le récit dans un environnement pluridisciplinaire

Le musée des Confluences : du récit au public .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  . p.52
Hélène Lafont-Couturier, directrice du musée des Confluences

La question du récit dans la conception des expositions des musées de la Ville de Paris .  .  .  .  .  .  .  .  . p.58
Delphine Lévy, directrice générale de Paris Musées

Avec ou sans objet, le récit porteur d’échanges entre le visiteur, le médiateur et le commissaire

Le récit et l’objet dans les musées .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  . p.64
Hélène Orain, directrice générale de l’Etablissement public du Palais de la Porte Dorée, Musée national de
l’histoire de l’immigration - Aquarium tropical

Entre collections et publics : le récit dans l’exposition.  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  . p.68
Bruno Maquart, président d’Universcience

Par le récit, apprivoiser la complexité du monde sensoriel, contemporain et international du visiteur

La musique et les beaux-arts. Quelle scène au musée ? .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  . p.72
Nathalie Bondil, directrice-générale et conservateur en chef du Musée des beaux-arts de Montréal et
Eric de Visscher, Andrew W. Mellon Visiting Professor au Victoria & Albert Museum de Londres, ancien directeur
du Musée de la musique à Paris

Présentation des intervenants. .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  . p.76

Informations pratiques .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  . p.78
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41 - ENTRE COLLECTIONS ET PUBLICS : LE RÉCIT DANS L’EXPOSITION

Edito
Juliette Raoul-Duval, présidente d’ICOM France

A
                  près une année de débats riches          de onze responsables ou directeurs de grands
                  et denses sur le « musée du XXIe         musées français et étrangers. Au nom de l’équipe
                  siècle », très largement consa-          d’ICOM France, je les en remercie, ainsi que les
                  crés à la question des publics,          trois modérateurs, responsables de musées et
                  arrêtons-nous un temps sur les           administrateurs d’ICOM France.
                  collections et ce qui fait lien
entre collections et publics.                              Déjà en 2016, lors de la journée professionnelle
                                                           organisée au Sénat, il était frappant de constater
Comment rendre les collections des musées aussi            que nos membres attendaient de nos rencontres
vivantes et attractives que les événements qui             qu’elles soient des espaces de réflexion. En répon-
les entourent ? Comment « animer » l’objet et le           dant nombreux à nos invitations tout au long de
rendre familier et intelligible à tous ? La narration      l’année 2017, les membres d’ICOM France ont
rend vivant et accessible l’objet dans ses murs, et        ainsi manifesté leur aspiration à participer au débat
elle interagit avec les connaissances et le profil         sur le devenir de leurs métiers, de leurs institutions
du visiteur. Le récit, spectacle changeant dans un         et d’intervenir sur d’importantes transformations
parcours durable, estompe le clivage entre événe-          en cours dans les musées. Les adhérents d’ICOM
mentiel et permanent qu’il actualise et désacra-           France sont issus de tous les corps de métier
lise. À tout moment, il peut s’adapter aux publics         des musées, de toutes les strates hiérarchiques
dans leur diversité d’âge, de langue, d’origine            et d’établissements de toutes tailles répartis sur
géographique ou sociale... et s’enrichir au rythme         l’ensemble du territoire. C’est une incontestable
des connaissances scientifiques nouvelles. En              représentativité et c’est en leur nom à tous que
cela, l’approche par le récit est une réponse à la         nous avons participé, en décembre 2017, à l’invi-
recherche de démocratisation du musée, à l’opposé          tation du ministère de la Culture aux Assises des
d’une vision d’élitisme et d’immobilisme qu’on             métiers des musées.
lui prête parfois.
                                                           L’ICOM est un réseau de musées répartis dans
Ce thème, que l’on a choisi de débattre lors de            136 pays dont ICOM France est un des tous
la journée professionnelle 2017 d’ICOM France,             premiers contributeurs ; cela légitime une fierté,
ne pouvait mieux trouver sa place qu’au musée              mais surtout cela nous oblige. Avec cette journée
des Confluences à Lyon, qui s’attache à raconter           professionnelle, nous contribuons ensemble à
la « vibration du monde ». Parce qu’il rassemble           tracer les contours du musée que nous voulons
des collections issues de multiples provenances,           pour demain.
le musée des Confluences devait construire entre
elles un cheminement lisible, en faire l’histoire et
permettre au visiteur d’avancer dans un parcours
créatif avec des clés de lecture accessibles.
Construire ce récit a inspiré le projet architectural et
a déterminé son cahier des charges. L’architecture
du bâtiment et son emplacement entre deux eaux
contribuent à ce récit, le musée des Confluences
s’inscrivant ainsi dans un « paysage culturel »
qu’il participe à transformer.

L’attractivité de cette journée ne s’est pas
démentie : 420 inscrits, attirés par la pertinence
du thème mais aussi par l’exceptionnel panel

                                                                  5
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OUVERTURES
OFFICIELLES
ENTRE COLLECTIONS ET PUBLICS : DANS L'EXPOSITION LE RÉCIT - Confluences 41 - ICOM France
41 - ENTRE COLLECTIONS ET PUBLICS : LE RÉCIT DANS L’EXPOSITION

        Loïc Graber, adjoint au maire de Lyon, délégué à
        la Culture

                            C’
                                                 est un honneur pour moi               Nous avons eu l’honneur de recevoir cet hiver
                                                 d’accueillir à Lyon la Journée        Mme la Ministre de la Culture, au Musée des
                                                 professionnelle et l’assemblée        Beaux-Arts, à l’occasion de la remise du rapport
                                                 générale de l’ICOM France.            de la mission « Musées du XXIe siècle ». Ce fut
                                                 Au nom de M. Georges                  pour nous une belle expression de la reconnais-
                                                 Képénékian, maire de Lyon et          sance de l’engagement de notre ville en faveur du
                             président du musée des Confluences, et de M. David        monde muséal. Les musées jouent un rôle déter-
                             Kimelfeld, président de la Métropole, je vous             minant dans notre cité et dans notre métropole,
                             remercie d’avoir organisé ici cette manifestation.        avec une forte volonté d’innovation, d’excel-
                                                                                       lence scientifique, d’écoute des attentes du public
                             J’ai connu l’ICOM il y a une quinzaine d’années.          et de modernisation de leur projet. Nos musées
                             Pour l’étudiant dans le domaine du patrimoine             agissent en direction des publics les plus divers,
                             culturel que j’étais alors, l’ICOM représentait le        en liaison avec les associations locales ; ils ont
                             réseau professionnel par excellence ; c’est pour          lancé des programmes numériques innovants ; ils
                             moi une fierté d’être parmi vous ce matin.                s’exportent en Chine, au Japon, aux États-Unis,
                                                                                       au Mexique, et le Musée des Beaux-Arts, où
                             C’est une ville riche de ses professionnels de la         vous serez ce soir, accueillera à la fin de l’année
                             culture qui vous accueille aujourd’hui, une ville         une exposition exceptionnelle, Los Modernos,
                             dont les nombreux musées, portés par la municipa-         construite avec nos amis mexicains.
                             lité et la métropole, retracent l’histoire de la cité –
                             le monde gallo-romain, l’histoire de l’imprimerie,        Nos musées savent aussi innover dans leurs
                             de l’automobile, du cinéma, de la Résistance…             relations au monde de l’entreprise. Le rapport
                             La richesse de ses institutions culturelles n’est         consacré aux « Musées du XXIe siècle » souligne
                             pas moindre : je pense au Musée des Beaux-Arts,           toutes les pistes d’ouverture : musée collabo-
                             au Musée d’Art Contemporain, et, ici-même, aux            ratif, musée numérique, musée « agora » : les
                             collections relatives aux sociétés, aux sciences et       thèmes sont nombreux. Nous avons besoin de
                             aux techniques.                                           nos musées, qui portent en eux l’histoire de notre
                                                                                       identité, de la cité et, plus largement, de nos
                             Notre ville, très fière de ses musées, apporte un         sociétés. Mais si la culture est un héritage, c’est
                             soutien substantiel à leur fonctionnement, au             aussi un projet. Nous devons donc penser l’évo-
                             développement de leurs collections et à leur              lution de nos institutions tout en rappelant leur
                             rayonnement : la ville et la métropole de Lyon leur       rôle majeur au sein de la cité. Les contraintes
                             consacrent chaque année plusieurs dizaines de             budgétaires ne sont pas le seul phénomène
                             millions d’euros et se félicitent des succès publics      qui provoque des évolutions : nous travail-
                             constatés. Ainsi le Musée des Beaux-Arts de Lyon          lons à de nouveaux modes d’organisation, de
                             a été classé premier musée des métropoles par le          nouveaux projets d’établissement, de nouvelles
                             Journal des Arts ; on notera encore l’exception-          dynamiques partenariales. C’est pourquoi nous
                             nelle fréquentation du Musée des Confluences,             avons notamment œuvré au rapprochement de
                             aujourd’hui premier musée de France en dehors             nos trois musées d’histoire et c’est pourquoi
                             de Paris.                                                 nous travaillons à des partenariats nouveaux

                                                                              8
entre les musées et le monde de l’entreprise,           du deuxième forum culturel franco-chinois –
qui ne concernent pas uniquement le mécénat.            recevant une délégation chinoise forte de plus
Le musée, comme d’autres structures cultu-              de 300 personnes – et du sommet franco-ita-
relles, doit être ouvert à tous les acteurs de la       lien, en présence du président de la République
cité, et ces passerelles sont de réelles pistes         française et des membres des gouvernements des
d’innovation.                                           deux pays. La qualité de l’accueil, unanimement
                                                        saluée, traduit le professionnalisme des équipes
Il nous faut répondre aux attentes actuelles et         et la capacité des institutions à faire rayonner
futures des publics et être à la hauteur de l’héri-     notre ville et notre métropole. Je les en remercie.
tage qui nous a été confié mais aussi prendre
la mesure de l’évolution du monde et de la              À vous, je souhaite de fructueux échanges.
compétition internationale entre les musées et
entre les métropoles. Tout en restant fidèle aux
missions premières des musées, nous devons
avoir le courage de réfléchir différemment car
il n’est plus ni grande ville ni grande métropole
sans politique muséale forte et repensée, sans
initiatives nouvelles, sans mobilisation quoti-
dienne des musées de la cité au plus près des
habitants, et sans projets internationaux impor-
tants et dynamiques. Ces considérations sont au
cœur de vos préoccupations et je salue la perti-
nence de vos Journées professionnelles, temps
d’échanges, de retours d’expériences et de prise
de recul sur les pratiques.

Puisque votre venue à Lyon a lieu pendant la 14ème
édition de la Biennale d’art contemporain, vous
constaterez ce qui fait une des forces de notre
ville : la mobilisation de tous les acteurs désireux
de travailler ensemble autour de l’art contempo-
rain – je parle des musées bien sûr, mais aussi
des galeries, des écoles d’art et de l’Institut d’Art
Contemporain – et la réalisation de programmes
au plus près des habitants, Veduta par exemple.

Je ne saurais conclure sans remercier l’équipe
de Mme la Directrice et celle du Musée des
Confluences qui vous accueille aujourd’hui
après avoir été le théâtre, en une semaine,

                                                           9
41 - ENTRE COLLECTIONS ET PUBLICS : LE RÉCIT DANS L’EXPOSITION

        Marie-Christine Labourdette, directrice chargée des
        musées de France, Ministère de la Culture

                             J
                                          e suis heureuse d’être parmi vous cet        et réalité, il faut pouvoir retravailler ces éléments.
                                          après-midi, après avoir été empêchée
                                          de participer à vos travaux pendant une      Notre réflexion se poursuivra jusqu’à la fin de
                                          matinée que je sais avoir été passion-       l’année, en 2018 encore, et au-delà. Les musées
                                          nante. Il faut dire que vous aviez           sont au nombre des institutions les plus présentes
                                          mis la barre très haut, chère Hélène         sur notre sol ; alors que Mme Françoise Nyssen,
                             Lafont-Couturier, chère Juliette Raoul-Duval, en          notre nouvelle Ministre, a annoncé avoir pour
                             conviant nombre de remarquables professionnels            priorité de développer la culture au plus près des
                             à se prononcer sur un sujet essentiel, le récit dans      territoires, les musées sont, avec les bibliothèques,
                             les collections, qui pourrait être la bonne manière       le réseau le plus signifiant, le plus porteur pour qui
                             de régler la complexe dialectique des collections         veut développer sens et compréhension dans nos
                             permanentes et des expositions temporaires.               sociétés.
                             Une exposition temporaire raconte toujours une
                             histoire ; les collections permanentes en racontent       Les musées n’existent aussi que grâce à vous,
                             d’autres, sous-jacentes et donc moins visibles. On        professionnels. Je salue tous les adhérents du
                             se rend compte que l’on peut, par le récit, traiter       Comité national français d’ICOM, section remar-
                             des nombreuses questions que pose un musée :              quablement active et dynamique de l’ICOM. Il
                             celle du bâtiment proprement dit, qui raconte             est extrêmement important pour nous de pouvoir
                             lui-même une histoire, et celles du public qui            compter sur la qualité de votre réflexion, sur votre
                             vient chercher des récits différents et des manières      éthique et votre engagement.
                             nouvelles d’appréhender le monde.
                                                                                       Dans le droit fil de l’une des conclusions du
                             Je ne doute pas que vous avez tous pris connais-          rapport consacré aux musées du XXIe siècle, nous
                             sance des quatre pages du supplément consacré             organiserons du 18 au 20 décembre prochain, des
                             aux musées dans le journal Le Monde paru hier.            rencontres pendant trois jours consacrées aux
                             Vous y aurez lu de beaux articles sur les musées          professionnels des musées, entendus au sens large.
                             que vous représentez et que vous incarnez. Je             De l’image quelque peu caricaturale associant
                             remercie tous ceux qui, personnellement ou par            au XIXème siècle, conservateurs et gardiens de
                             leurs contributions, ont participé à la réflexion du      musée, on est passé à un écosystème d’une grande
                             ministère sur les musées du XXIe siècle, et je salue      complexité qui entrecroisent les compétences
                             la qualité de la contribution du Comité national          de grands professionnels dans la conservation,
                             français d’ICOM. Ces neuf mois d’échanges et de           la valorisation et la restauration des collections
                             dialogues avec 700 professionnels nous ont permis         mais aussi celles des métiers de la médiation, de
                             de mieux comprendre quels sont les publics des            l’interface et de l’articulation avec la société et
                             musées, quelles sont leurs attentes et quelle image       de la production des ressources propres indispen-
                             ils ont et espèrent pour une institution qui a traversé   sables à nos musées. Les « Assises des métiers
                             deux siècles d’histoire de France. La mission des         des musées » seront consacrées à ces différents
                             musées du XXIe siècle a exprimé aussi l’appé-             aspects. Un élément important en sera le dialogue
                             tence de nos contemporains pour des récits vrais          entre les différents statuts des professionnels
                             et réels. Les musées croisant en permanence vérité        de musée – fonction publique d’État, fonction

                                                                              10
publique territoriale, contractuels, chargés de
mission de droit privé. Je remercie le Comité
national français d’ICOM, qui animera les
travaux pendant une demi-journée, de s’être
mobilisé à ce sujet. Nous espérons tirer de ces
réflexions, des conclusions opérationnelles qui
nous permettront de tracer une feuille de route à
proposer à la Ministre dans le futur.

Vos travaux d’aujourd’hui sont donc essentiels.
Notre droit établit les deux grands principes que
sont l’inaliénabilité des œuvres d’art des musées
de France et l’imprescriptibilité de leur propriété.
De ce fait, les collections muséales doivent en
permanence être réinterrogées au regard du
contemporain : les récits que nous en faisons
aujourd’hui ne sont pas ceux d’hier et diffèrent
de ce qu’ils seront demain. Cette exigence de
l’actualité du regard sur l’éternité des collections
qualifie les musées dans le rapport au présent et
au monde.

Je vous remercie tous pour le travail que vous
accomplissez. Je remercie nos partenaires, et je
remercie le Comité français de l’ICOM d’avoir
choisi un aussi beau thème de réflexion et de
mener les travaux de manière aussi exigeante.
Je lirai les actes de cette journée avec un grand
intérêt.

                                                       11
CONFÉRENCE
INAUGURALE
41 - ENTRE COLLECTIONS ET PUBLICS : LE RÉCIT DANS L’EXPOSITION

    Le musée,
    un hyper-lieu ?*

    Michel Lussault, géographe, professeur à l’Université
    de Lyon, membre du laboratoire de recherche Environ-
    nement, villes, sociétés (UMR 5600 CNRS/université
    de Lyon), directeur de l’École urbaine de Lyon

                                  J
                                             e vous remercie de m’avoir invité          Grasset et qui développe une hypothèse posée
                                             à introduire votre journée profes-         dans L’Homme spatial), forme un ensemble
                                             sionnelle. Je traiterai du thème que       cohérent dans lequel je me suis appliqué à forger
                                             vous avez choisi à travers le prisme       mes propres concepts à partir de mes analyses.
                                             de la recherche du géographe – un          Lecteur du livre Qu’est-ce que la Philosophie de
                                             géographe qui, depuis un peu plus          Gilles Deleuze et Félix Guattari (publié en 1991
                                  de vingt-cinq ans, travaille à des questions          aux éditions de Minuit), je suis en effet convaincu
                                  qui peuvent paraître assez éloignées de vos           que pratiquer les sciences sociales, à l’instar de
                                  préoccupations mais qui s’efforcera de montrer        ce que nos auteurs disaient de la philosophie,
                                  que l’on peut mettre en perspective le musée          consiste à produire des concepts ; je m’y attache
                                  contemporain à partir de propositions issues de       donc et je m’efforce de créer des mots aussi
                                  la géographie politique, sociale et culturelle.       précis que possible pour parler de mon travail.
                                                                                        Pour ne pas déroger à cet exercice conceptuel, je
                                  Je tente depuis le début des années 2000 de           proposerai une définition rapide de la mondiali-
                                  comprendre l’évolution des espaces des sociétés       sation avant de chercher à déterminer si le monde
                                  mondiales en réfléchissant à la relation entre les    est ou n’est pas de plus en plus uniforme, puis je
                                  êtres humains et leurs nouveaux cadres maté-          cernerai le concept d’hyper-lieu pour apprécier si
                                  riels et idéels de vie. Cette réflexion s’est maté-   le musée est un hyper-lieu.
                                  rialisée par une suite de trois ouvrages publiés
                                  aux éditions du Seuil : L’Homme spatial en            Sans doute parce que je suis francophone, je fais
                                  2007, L’Avènement du Monde en 2013 et Les             partie des chercheurs qui refusent d’assimiler
                                  Hyper-lieux en 2017. L’Homme spatial, traite          mondialisation et globalisation – cela pose un
                                  de la question à l’échelle de l’individu ; L’Avè-     problème aux anglophones puisque ces deux mots
                                  nement du Monde s’attache à comprendre la             se traduisent par le même terme en anglais alors
                                  contemporanéité en partant d’une hypothèse que        que, selon moi, les notions diffèrent. La globali-
                                  je rappellerai succinctement ; enfin, dans Les        sation – souvent décrite comme la mondialisation,
              (*)
                 Ce texte est     Hyper-lieux, je traite des nouvelles géographies      ce qui est selon moi une erreur – est un processus
           une transcription      de la mondialisation à l’échelon intermédiaire        d’évolution des systèmes de production de valeur
           de l’intervention      entre le Monde et l’individu. Ce millier de pages,    économique à l’échelle de la planète. En vérité, la
          du 29 septembre,        (auquel on peut ajouter un texte, De la lutte des     mondialisation est un processus plus ample, dont
        vérifiée par l’auteur     classes à la lutte des places, paru en 2009 chez      la temporalité historique et géographique est diffé-

                                                                            14
rente ; elle procède de l’urbanisation généralisée        phase de fin de l’urbanisation planétaire mais, en
des sociétés. Mon hypothèse est que ce que nous           un siècle à peine – de 1950 à 2050 – l’histoire de
appelons « mondialisation » consiste en l’urbanisa-       l’humanité aura connu une mutation prodigieuse.
tion généralisée de toutes les sociétés, à toutes leurs
échelles de fonctionnement, depuis celle de l’indi-       En effet, pendant des millénaires, l’histoire de
vidu - et même infra-individuelle : j’ai ainsi étudié     l’habitation humaine de la planète a été l’histoire
dans L’Homme spatial, le virus du SRAS comme              d’une habitation discrète, légère et rurale. Des
acteur spatial mondial, jusqu’à l’échelle globale         dizaines de millénaires se sont écoulés avant qu’il
— au moins celle de la planète anthropisée. L’urba-       y ait un milliard d’êtres humains sur Terre, aux
nisation transforme les individus et les sociétés de      alentours de 1800 ? En 1900, la planète compte
fond en comble. Cette mutation touche tout et tout        1,6 milliard d’habitants, dont environ 250 millions
le monde. Elle n’est pas plus réductible à la seule       d’urbains. En 2050, il y aura dix milliards de
transformation économique qu’à la seule transfor-         Terriens, soit six fois plus qu’en 1900, dont près
mation des espaces et des paysages. L’urbanisation        de sept milliards d’urbains, un nombre multiplié
a pour caractéristique de trans-                                              par presque 35.
former les « formes de vie », si
bien que l’on peut être un urbain
mondialisé même quand on a le             La « mondia-                         Cette révolution anthropolo-
                                                                               gique majeure est si vaste et
sentiment d’habiter un espace
présentant les aspects extérieurs           lisation »                         d’une brutalité telle qu’elle
                                                                               devrait être le préambule à
de la campagne ou/et de la
nature.                                    consiste en                         toutes nos réflexions. Certains
                                                                               de nos collègues américains
                                                                               considèrent la « révolu-
Si l’on considère les choses             l’urbanisation                        tion urbaine » comme aussi
sérieusement, on se rend                                                       importante que le furent la
compte que le système-Monde                généralisée                         révolution néolithique et la
urbain ne laisse pratiquement                                                  révolution industrielle – si
plus un espace planétaire dans            de toutes les                        ce n’est qu’elle se déroule de
un angle mort. Mieux encore,                                                   manière synchrone et systé-
ce système spatial mondial                  sociétés.                          mique dans tous les espaces
dépasse aujourd’hui la planète                                                 et avec une ampleur que nul
— le « global » humanisé qui                                                   n’avait pressentie. Souli-
nous entoure est plus grand que la Terre : les            gnons-le au passage, il est extrêmement compliqué
satellites en orbite à 30 000 kilomètres de la Terre      de « faire monde » à sept et bientôt dix milliards
font partie du système-monde, et les êtres humains        d’êtres humains, dont sept milliards vivront dans
ont réussi à composer un écoumène (terme qui              des ensembles urbains. La problématique de l’an-
dénote l’espace habité par l’Homme) dépassant             thropocène ne dit pas autre chose, soulignant les
les limites de la planète d’origine. Nous n’avions        conséquences de cette situation en termes d’orga-
nullement été amenés à penser cette situation qui         nisation des espaces et des sociétés, et de réflexion
modifie la manière de considérer les choses.              sur les ressources que l’on peut découvrir et
                                                          affecter à cette organisation.
Les statistiques montrent la puissance, la rapidité
et l’ampleur de la mondialisation urbaine depuis          En résumé, je vous propose de définir la mondia-
1950, date de ce que je considère, un peu arbi-           lisation comme l’urbanisation généralisée
trairement, lancer le processus de construction           de toutes les sociétés humaines, à toutes les
du Monde – la capitale initiale au mot « Monde »          échelles en même temps, de l’individu à l’écou-
n’étant pas une coquetterie typographique mais la         mène global. Tous les continents s’urbanisent,
traduction d’un statut conceptuel. Entre 2005 et          mais j’insiste sur le fait que, au cours des trente
2010, on passe le seuil au-delà duquel la moitié          prochaines années, c’est sur le continent africain
de la population de la planète devient urbaine. Ce        que le phénomène sera le plus marqué. En 2050,
mouvement, qui se poursuit de manière accélérée,          il y aura deux milliards d’habitants en Afrique –
conduira à ce qu’en 2050 environ 70 % de la popu-         c’est le continent qui connaît la plus forte expan-
lation mondiale seront statistiquement urbanisés,         sion démographique –, dont plus d’un milliard
si bien que 100 % de la population du Monde sera          d’urbains. Nous devons tenir compte dès mainte-
de facto insérée dans des fonctionnements et des          nant de cette donnée, trop peu mise en avant dans
dynamiques urbaines. Nous sommes donc dans la             les discussions.

                                                            15
41 - ENTRE COLLECTIONS ET PUBLICS : LE RÉCIT DANS L’EXPOSITION

                                   Comment caractériser le processus d’urbanisa-            de musées que vous êtes sont évidemment
                                   tion généralisée en cours ? Un des débats les plus       confrontés à cette question, puisque depuis au
                                   fréquents, outre celui sur l’impact de ce processus      moins une quarantaine d’années, les musées
                                   sur l’environnement, porte sur la question de savoir     participent pleinement eux aussi du fonction-
                                   si la mondialisation urbaine uniformise et standar-      nement de ce que certains appellent la « star-
                                   dise la planète. L’Américain Thomas Friedman a           architecture », ce qui fait que le musée devient en
                                   écrit à ce sujet un ouvrage au titre explicite, large-   soi un enjeu en termes de formes architecturales.
                                   ment commenté dans les milieux intellectuels             Certains musées sont d’ailleurs entraînés prati-
                                   aux États-Unis : The World is flat (La Terre est         quement contre leur gré dans un débat qui les
                                   plate)1. Il traite de « l’aplatissement du monde »       dépasse. L’anthropologue et architecte Franco La
                                   et de tous les processus qui y contribuent, les          Cecla, dans son livre Contro l’architettura2, décrit
                                   « forces d’aplanissement », flatteners en anglais.       comment, avec ce système, le contenu et le projet
                                   Ce concept est aussi une métaphore : aplatir             (muséographique ou quel qu’il soit) deviennent
                                   le monde, c’est le lisser, araser les différences        seconds, voire secondaires, par rapport à l’affir-
                                   géographiques, historiques, sociales et culturelles.     mation architecturale du bâtiment.
                                   Aplatir le monde, c’est faire de l’espace habité une
                                   étendue homogène maîtrisée par les acteurs de            Pour Thomas Friedman, l’urbanisation généra-
                                   délocalisation de la production de la valeur écono-      lisée tend donc à aplatir le monde. Á mon sens,
                                   mique et de la logistique.                               cette idée est exacte mais insuffisante. Des facteurs
                                   En effet, la grande mutation de l’économie               très puissants de standardisation et d’uniformisa-
                                   globalisée, c’est la délocalisation : la production      tion du monde existent incontestablement, qui
                                   de valeur n’est plus forcément assignée au local         concernent les organisations, les systèmes et les
                                   comme elle l’était à l’époque industrielle, dans le      modes de pilotage politique. Ah, le New public
                                   cadre du développement de l’usine. Le dégrou-            management ! Ah, les indicateurs ! Ah, certaines
                                   page des systèmes productifs permet aux entre-           conceptions des ressources humaines ! De tout
                                   preneurs de choisir où localiser la production           cela, universitaires et spécialistes des musées
                                   de valeur indépendamment des caractéristiques            pourraient parler savamment… Mais il y a aussi
                                   propres à un lieu, exception faite du coût de            des standardisations des pratiques individuelles
                                   production et de la connexion de l’endroit choisi        et même des pratiques culturelles. Ainsi, aller au
                                   à une logistique indispensable au fonctionnement         musée est également devenu une pratique urbaine
                                   de l’économie globalisée.                                mondialisée portée par des groupes sociaux qui
                                                                                            ont été les vecteurs de l’aplanissement ou, en tout
                                   Voilà qui explique la grande désinvolture des            cas, des véhicules des forces d’aplanissement. Je
                                   entreprises à l’égard de leur environnement              ne suis pas critique mais constatif : je fais partie
                                   local. Quand une usine ferme et que les ouvriers         de ces groupes et j’en jouis, comme beaucoup,
                                   clament que l’on y produisait depuis 50, 60, voire       mais cela ne doit pas empêcher l’analyse.
                                   100 ou 120 ans, deux narrations s’opposent : un
                                   récit d’historicisation d’un lieu et un récit de         Standardisation et uniformisation sont incon-
                                   spatialisation immédiate de la nécessité produc-         testables. Mais si Thomas Friedman a en
                                   tive qui fait que l’on peut se délier du « lien au       quelque sorte porté témoignage de l’évolution
                                   lieu » que l’économie de production industrielle         due au succès du thatchérisme, du reaganisme,
                                   entretenait jadis. Il faut garder cela à l’esprit        du néolibéralisme financiers et des politiques
                                   quand on réfléchit au rôle que le musée peut jouer       d’ajustement structurel prônées et soutenues par
                                   en certaines de ces circonstances, puisqu’il peut        le FMI et les banques centrales, le géographe que
                                   être appelé en renfort pour continuer d’arrimer          je suis constate aussi un regain d’intérêt pour la
      Thomas L Friedman,
        (1)
                                   un récit à une histoire productive locale, à un lieu     différentiation des lieux, manifeste depuis une
 The World is Flat. A Brief        déserté par le système de production.                    quinzaine d’années. Partout, les lieux font retour
     History of the Twenty                                                                  et dressent des singularités, des saillances dans
 First Century, New York,          On peut aussi mettre en avant, au nombre des             la géographie mondiale. Mes recherches et les
 Picador/Farrar, Straus and        grands aplanisseurs du monde, les dispositifs            observations que j’en ai tirées m’ont conduit à
   Giroux, 2007 (première          numériques (que Friedman étudie précisément),            essayer de montrer qu’il ne convient toutefois pas
             édition 2005)         mais aussi, au demeurant (ce que Friedman pour           d’opposer standardisation et différentiation par
                                   le coup ne signale pas assez), tous les métiers,         la localisation. Il faut s’extraire de ce mode de
  (2)
        Traduction en Français,    procédures et technologies de la maîtrise                penser binaire et s’attacher plutôt à comprendre
          Contre l’architecture,   d’œuvre et de la maîtrise d’ouvrage qui imposent         les mécanismes existants entre ces deux mouve-
              Paris, Arlea, 2010   des formes architecturales et paysagères standar-        ments qui font système car ils sont en tension —
            (éd. italienne 2008)   disées, partout dans le Monde. Les responsables          au sens énergétique du terme.

                                                                                 16
Cette approche est d’ailleurs celle des anthropolo-    savoir que c’est le lieu le plus fréquenté au monde
gues de la culture mondialisée, dont le savoir n’est   par les touristes, mais c’est ainsi. Vous reconnaî-
sans doute pas suffisamment utilisé dans le milieu     trez aussi l’aéroport de Roissy Charles-de-Gaulle,
des musées en France. Il l’est bien davantage dans     l’aéroport constituant un genre d’hyper-lieu
les pays anglophones et germanophones – ce qui         emblématique. Une autre photo montre la sortie
s’explique : ces chercheurs sont pratiquement tous     de la gare de Shibuya, à Tokyo, où se trouve le
anglophones. Homi Bhabha et Arjun Appadurai            passage piéton le plus emprunté au monde ; qui ne
par exemple convergent vers l’idée du philo-           l’a pas vu ignore ce qu’est la fascination pour une
sophe Kwame Anthony Appiah, que je reprends            foule urbaine ! Les gares, les aéroports, les Shop-
à mon compte, selon laquelle la mondialisa-            ping Malls sont des hyper-lieux ubiquitaires parti-
tion peut être cause d’homogénéité mais qu’elle        culièrement saisissants. Mais j’ai aussi analysé le
est aussi une menace pour                                               « campement éphémère » de la
cette homogénéité. Oui ! les                                            Puerta del Sol à Madrid installé
musées participent, dans une         La mondia-                         par le mouvement des Indignados
certaine mesure, de l’homo-                                             en 2011, la Jungle de Calais ou
généisation du monde : on
peut être un touriste inter-
                                    lisation peut                       encore la ZAD de Notre-Dame-
                                                                        des-Landes.
national ou un travailleur
mobile en allant de musée
                                      être cause                         Mais j’en viens maintenant, pour
en musée, d’aéroport en
aéroport, de plage en plage,
                                  d’homogénéité                          entrer dans mon propos plus en
                                                                         profondeur, à la photographie de
de resort en resort, de shop-
ping mall en shopping mall,
                                       mais elle                         Times Square que vous avez sous
                                                                         les yeux. Les traditionnelles festi-
de réunion en réunion, d’uni-
versité en université… Mais,
                                       est aussi                         vités du Nouvel an battent leur
                                                                         plein, le feu d’artifice commence
dans le même temps, vos
musées font souvent lieu, et        une menace                           minuit sonné, les confetti tombent
                                                                         et une foule de quelques deux
de manière décisive. Comme
les autres espaces que je viens       pour cette                         millions de personnes se presse sur
                                                                         la place et ses alentours. Il est inté-
d’évoquer, ils sont à la fois                                            ressant de constater que la place,
ubiquitaires et génériques         homogénéité.                          assez ramassée, est très banale sur
(on les retrouve partout et ils                                          le plan architectural ; elle n’a rien de
se ressemblent) et spécifiques et distinguables.       monumental, hormis les écrans géants qui montent
                                                       jusqu’au vingtième étage des immeubles. Á partir
Une fois ce constat établi de la mise en tension       du cas d’école qu’est Times Square, j’ai formalisé ce
de l’homogénéisation et de la différentiation,         qu’est l’hyper-lieu et j’en ai défini les cinq caracté-
j’ai donc formulé l’hypothèse que cette tension        ristiques – dont chacune peut s’appliquer au moins
s’observait au mieux dans ce que je nomme des          en partie aux musées, ce dont je vais tenter de vous
hypers-lieux, qui constituent des points d’obser-      convaincre en quelques minutes.
vation privilégiés de la dynamique de l’urbani-
sation mondialisé et mondialisante où l’on peut        Les hyper-lieux ont pour première caractéristique
en particulier saisir ce qu’il en est de la relation   l’intensité urbaine, due à la variété des réalités
spatialisée des individus au Monde. J’ai tenté de      sociales assemblées et à la nature et au nombre
dépeindre les hyper-lieux dans toute leur variété,     des interactions entre elles. C’est particulièrement
en usant pour cela d’une description « épaisse »       net dans les grands lieux urbains ubiquitaires et à
ou « dense » – thick description, selon les mots       Time Square, mais les musées sont, à leur manière,
de l’anthropologue de la culture Clifford Geertz,      souvent des lieux d’intensité à la fois absolue et
et je me suis attaché à trouver les critères me        relative. L’intensité ne sera pas la même selon que
permettant de proposer un concept solide d’hy-         l’on est dans un petit musée situé dans un espace
per-lieu. Les quelques photos qui figurent dans le     peu métropolisé ou au centre du Louvre le jour du
diaporama que vous voyez actuellement montrent         vernissage d’une grande exposition ; néanmoins,
quelques hyper-lieux que j’étudie dans mon livre.      le musée sera souvent un espace d’intensité des
Le premier cliché montre le lieu le plus visité du     pratiques et des interactions relativement à l’es-
monde, qui n’est pas un musée mais le centre           pace où il se trouve.
commercial (shopping Mall) de Dubaï. Il reçoit
plus de 90 millions de personnes par an ; je ne        Deuxième caractéristique : les hyper-lieux
sais pas s’il est particulièrement encourageant de     n’existent que parce qu’ils sont connectés

                                                         17
41 - ENTRE COLLECTIONS ET PUBLICS : LE RÉCIT DANS L’EXPOSITION

                                 – j’appelle hyper-spatialité ce principe de        sager les dispositifs ou les processus de média-
                                 connexité généralisée qui installe une rela-       tion qui le permettent.
                                 tionnalité systématique entre un lieu et tous
                                 les autres. Ce sont des espaces de connexion       L’hyperscalarité est la troisième caractéristique
                                 matérielle, physique et aussi immatérielle.        des hyper-lieux, qui jouent à toutes les échelles
                                 J’évoque ici tant la connexion au réseau mobi-     de temps et d’espace en même temps. L’espace
                                 litaire, puisque l’accessibilité physique au       de Times Square est intégralement local : qui le
                                 lieu est indispensable à son existence, que        fréquente est pleinement « ici et maintenant »,
                                 la connexion au réseau communicationnel.           comme il est pleinement « ici et maintenant »
                                 Vous observerez qu’à Times Square un mur           dans un grand musée – sinon, c’est que quelque
                                 d’images fournit continument des informa-          chose est raté ! Mais Times Square est en
                                 tions, des films, des images                                            même temps un espace
                                 et des données de toutes                                                new-yorkais, américain et
                                 sortes. Plus encore, des          Si l’hyper-lieu                       global. C’est un des dix sites
                                 capteurs enregistrent tout                                              les plus connus au monde,
                                 ce qui se passe sur la place.   est un espace en                        dans une « Global City »
                                 La connexion au flux imma-                                              qui est elle-même embléma-
                                 tériel des données et des         tension entre                         tique de la mondialité – ce
                                 connaissances est évidente                                              n’est pas sans raison qu’à
                                 – y compris des connais-
                                 sances que l’on parvient
                                                                 homogénéisation                         quelques encablures de là
                                                                                                         on est venu, le 11 septembre
                                 mal à cerner en tant que
                                 passant lambda : puisque
                                                                    et différen-                         2001, faire tomber les tours
                                                                                                         du World Trade Center :
                                 l’on enregistre tout ce qui
                                 se passe, Times Square est
                                                                       ciation,                          ceux qui ont fait cela
                                                                                                         visaient un emblème de la
                                 un lieu de production de big
                                 data, de données urbaines
                                                                    les musées                           mondialité. Times Square
                                                                                                         fonctionne donc synchro-
                                 en nombre massif, qui sont
                                 ensuite traitées par des algo-
                                                                  contemporains                          niquement à toutes les
                                                                                                         échelles d’espaces ainsi
                                 rithmes pour déterminer le
                                 fonctionnement exact du             expriment                           liés par cette synchronicité
                                                                                                         systématique. Cet hyper-lieu
                                 lieu, sans que forcement
                                 nous le réalisions.             magnifiquement                          fonctionne aussi à toutes les
                                                                                                         échelles de temps, indivi-
                                 Par connexité généralisée,
                                 j’entends enfin la connexion      cette tension.                        duel et social. Le présent,
                                                                                                         certes, mais aussi le passé,
                                 aux imaginations et aux                                                 puisque si la place porte
                                 imaginaires. Qui pratique un lieu ne pratique      ce nom, c’est que le New York Times y avait
                                 pas simplement une forme architecturale et         installé son siège social à la fin du XIXe siècle
                                 urbaine, un cadre matériel, mais enclenche une     et que ce sont ses journalistes qui ont instauré,
                                 relation personnelle, par le biais de médiations   en 1904, la tradition de fêter là le passage au
                                 sémiologiques et symboliques, avec des imagi-      Nouvel an ; continuer de le faire, chaque année,
                                 nations et des imaginaires. En la matière, les     institue ipso facto un rapport à l’histoire. Times
                                 musées sont des cas particulièrement explicites    Square permet aussi un rapport à l’avenir par
                                 et vous, muséographes et conservateurs, ne me      le biais du très grand nombre d’images proje-
                                 démentirez pas, je pense, qui réfléchissez en      tées en permanence sur les écrans et qui traitent
                                 permanence à connecter par des médiations les      des enjeux du futur. Et cette temporalité est arti-
                                 visiteurs de vos établissements à des imagi-       culée à celle, biographique et idiosyncrasique,
                                 nations, des savoirs et des imaginaires. C’est     de chaque individu qui éprouve ce qu’il en est
                                 bien pourquoi vous vous posez la question de       de pratiquer Time Square.
                                 la narrativité, c’est-à-dire la capacité de vos
                                 musées à installer des dispositifs connectant      La double connexion entre des hyper-espaces
                                 l’individu à des imaginations sociales et des      et des hyper-temps – le fait que l’on soit à la
                                 « intrigues » possibles. Faire de l’individu un    fois local, national et global, que l’on soit, tous
                                 producteur de récit, c’est donner au musée la      ensemble et chacun singulièrement, à la fois ici
                                 possibilité lui-même d’être un embrayeur des       et maintenant, mais aussi hier et demain – me
                                 différents récits envisageables et c’est envi-     paraît être également caractéristique des musées.

                                                                          18
Sans doute le musée est-il même l’un des espaces         montrer quelque chose, avec une didactique assez
où la connexion entre les différentes échelles d’es-     élémentaire : il importait de transmettre de manière
pace et de temps est la plus sensible, sa dimension      linéaire et prescriptive un savoir, une connais-
patrimoniale donnant aux échelles de temps une           sance assertée par la communauté des savants. La
évidence beaucoup plus forte qu’à Times Square           logique désormais à l’œuvre est bien davantage
ou que dans un centre commercial ; dans l’hy-            de mise à disposition ouverte et d’appropriation
per-lieu muséal il est logique que vous, profession-     par des publics très variés que d’acquisition de
nels, réfléchissiez à la relation d’entremêlement        connaissance à l’ancienne ; le musée est ce qui rend
des métriques de temps et d’espaces.                     disponible pour une expérience affinitaire momen-
                                                         tanée des collections et des savoirs dont la valeur
L’hyper-lieu a pour quatrième caractéristique            est moins intrinsèque que liée à leur capacité de
d’être un espace d’expérience partagée. Il permet        faire lieu : c’est-à-dire, justement, d’installer des
de comprendre à quel point la vie humaine                conditions de possibilités effectives d’expérience
contemporaine mondialisée se pense en tant               partagée d’un laps de temps et d’une fraction
qu’expérience. Le mot expérience a ceci d’in-            d’espace. D’ailleurs, aussi importante soient-elle
téressant qu’il dénote à la fois l’expérimental et       toujours, vous n’êtes plus seulement préoccupés
l’expérientiel. Dans un hyper-lieu, on expérimente       par les activités de conservation du stock d’œuvres
des pratiques et on en retire une expérience – c’est     et de production de connaissance. Il me semble que
évidemment le cas dans un musée. Je me suis              la mise en scène des conditions de possibilité d’une
appuyé pour progresser dans cette analyse sur un         expérience « complète » du musée qui doit être à
ouvrage passionnant : L’expérience esthétique, du        la fois celle de chaque personne et des « publics »
philosophe Jean-Marie Schaeffer1, pour penser            considérés dans leur ensemble (car vous vivez aussi
l’expérience comme approche totalisante de la            dans la nécessité d’individualiser les propositions
pratique humaine, dans ses dimensions expéri-            tout en traitant les aspirations supposées et les
mentale et expérientielle, cognitive et sensible,        attentes des grands nombres et vous devez apporter
politique et individuelle.                               des solutions à cela en jouant des espaces-temps
                                                         à votre disposition) est devenue le cœur de vos
La dernière caractéristique des hyper-lieux est          pratiques professionnelles.
qu’ils sont des lieux affinitaires : on y est, on s’y
engage dans l’action et l’on partage alors une           Pour conclure, si l’hyper-lieu est un espace en
« affinité élective » avec ceux qui pratiquent la        tension entre homogénéisation et différenciation,
même expérience momentanée de l’hyper-lieu               dotés des caractéristiques susmentionnées, alors
que soi ; il se crée une sociabilité spécifique, une     les musées contemporains, dans toute leur variété
« familiarité » (pour retrouver l’étymologie du          (que je ne suis pas capable de prendre en compte),
mot affinité »). Pour les quelque deux millions          expriment magnifiquement cette tension. Un
de personnes réunies pour le Nouvel an à Times           musée peut ressembler à un autre, mais les dispo-
Square, comme pour les dizaines de milliers de           sitions sociales géographiques et historiques qui le
visiteurs quotidiens, un partage de l’expérience         contextualisent et les expériences qu’on y réalise
affinitaire du lieu, fût-ce sur le mode du lien          marqueront sa spécificité.
faible : on « co-existe » dans un moment de lieu.        Par ailleurs, je terminerai en ajoutant un dernier
Cela se retrouve, parfois, dans les musées – en tout     point : il me semble que dans les musées comme
cas, on peut l’espérer.                                  dans tous les autres hyper-lieux, on peut observer
                                                         mieux qu’ailleurs le tramage entre la relation de
Je crois en tout cas et je me permets, afin de contri-   soi à soi, de soi aux autres et de soi au monde – je
buer à la réflexion de vos journées profession-          me place là dans une perspective proche de ce que
nelles, de vous livrer cette intuition qui mériterait    Michel Foucault appelait la gouvernementalité – et
bien sûr d’être démontrée, que ces deux dernières        c’est aussi la raison pour laquelle j’ai formalisé ce
caractéristiques de l’hyper-lieu s’appliquent parti-     concept. Cela signifie que les hyper-lieux sont sans
culièrement au musée bien davantage que ce que           doute aussi des lieux politiques par excellence. Le
l’on pouvait observer d’il y a quelques décennies        musée, en tant qu’hyper-lieu, devrait donc être placé
dans le cadre du musée classique. Á cette époque,        au centre des préoccupations politiques puisqu’il
l’enjeu de médiation n’était pas le même car les         n’existe peut-être pas beaucoup d’autres espaces,
savoirs et leurs imaginations constituaient un stock     ou en tout cas pas beaucoup d’autres espaces aussi
stable, doté d’une forte légitimité « surplombante »,    puissants pour « faire société » et « co-habiter »      (3)
                                                                                                                     Jean-Marie Schaeffer,
« conservé » à l’abri de l’institution muséale, via      dans un monde qui en a plus que jamais besoin. Je       L’expérience esthétique,
les « collections » dans lequel on allait puiser pour    vous remercie de votre attention.                       Paris, Gallimard, 2015

                                                           19
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