Focus sur le revenu de base inconditionnel - DOSSIER LE PAPE FRANÇOIS BANANE COMEDY CLUB - L'auditoire
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L’aud LE JOURNAL DES ÉTUDIANTS DE LAUSANNE DEPUIS 1982 itoire SOCIÉTÉ CAMPUS CULTURE LE PAPE BANANE LE PRINTEMPS FRANÇOIS COMEDY CLUB DE la poésie DOSSIER Focus sur le revenu de base inconditionnel Julie Collet édité L’auditoire No 231 // Mars 2016 Retours L’auditoire – FAE // Anthropole – Bureau 1190 // 1015 Lausanne par la
Sommaire MARS 2016 2 SPORT 16 Double-page DOSSIER Handicap et Sport Pour son premier numéro de l’année élections de juin prochain. Utopie 2016, L’auditoire s’est penché sur la naïve, fausse bonne idée ou véritable question du revenu de base incondi- projet d’avenir? Quoiqu’il en soit, le tionnel. En Suisse, le sujet est par débat s’inscrit dans une probléma- ailleurs d’actualité. En effet, l’initia- tique bien plus large, celle de savoir tive «Pour un revenu de base incon- à quoi ressemblera la société de ditionnel» sera l’un des objets sou- demain. mis au vote populaire lors des 04 08 FAE BUREAU 1190, BÂTIMENT anthropole bien), le bouillon de légumes, les que quand même), quentin d’être la clairette mais Ça compte pas), poésie (ou des poètes on sait pas l’alcool pour son absence (sauf vingt likes sur facebook (parce séverine d’être venue bouffer, Interviews de Sergio Rossi Réforme du système strepsils et les prétuval, nos franÇois, le printemps de la et Romain Felli social suisse 18 E redaction@auditoire.ch passé nous dire bonjour, PARUTION 6 FOIS L ’AN Journée de l’égalité 06 09 ophélie bienvenue. www.auditoire.ch remerciements C’est quoi le RBI? Micro-trottoir 1015 LAUSANNE T 021 692 25 90 L ’ AUDITOIRE ÉDITEUR FAE Le RBI de pas d’chez nous 10 N° 231 Du côté des étudiants 07 L’initiative en question BOSSY, diane blanchard, MATTEO GORGONI, ADRIEN michel, antoine schaub, frédéric henry, ADRIANE MAXIME FILLIAU, thibaud ducret, audrey bovEy, VOLLENWEIDER, VIRGINIE bertoncini, valentine SECRÉTAIRE ADMINISTRATIf ET COMPTABLE fanny utiger, lauréane badoux, OPHéLIE LE GAUFFEY, XAVIER CRéPON, BRIAN FAVRE, SCHaeRER, julie collet, , EMMANUELLE centre d’impression des ronquoz ONT PARTICIPÉ À CE NUMÉRO CULTURE emmanuelle Flauraud, 20 grégoire gonin MATTEO KNOBEL Collectif transversal corrections IMPRIMERIE L’OrchestreQuiPasseParLà SOCIéTé CAMPUS 21 Le printemps de la poésie 11 14 Le syndrome de Des étudiants de l’Unil 22 l’imposteur à l’UEFA Youth League Nos chroniques Chronique satirique PolyJapan: focus sur une association de l’EPFL thibaud ducret, Maxime Filliau 12 19 Le pape François, sur la 15 AGENDA COMITÉ DE REDACTION voie du changement Banane Comedy Club RÉDACTION EN CHEF CAMPUS ET SPORT 23 lauréane badoux OPHéLIE SCHärer 13 Projet Abaka : le futur visage CULTURE EN VRAC olia marincek Audrey bovey fanny utiger JULIE COLLET GRAPHISME La réforme orthographique de la Banane CULTURE DOSSIER SOCIÉTÉ 24 FAE Tsépakoi CHIEN MéCHANT
éDITO MARS 2016 3 A la poursuite de demain Edito «C Dr. ela peut paraître curieux à dire, mais il se souvenait du futur.» Ainsi Tessa Dick résume-t-elle l’œuvre littéraire de son défunt mari. Pilier de la science-fiction, auteur de nom- breux romans et nouvelles ayant ins- pirés quantité de succès hollywoo- diens ( Blade Runner , Total Recall , Minority Report). Philip K. Dick suc- combait brutalement à une attaque il y a trente-quatre ans, un 2 mars. Ce mois-ci, plusieurs projets ont vu le jour dans le but de lui rendre hom- mage, notamment chez Arte, qui a concocté pour l’occasion un jeu vidéo ainsi qu’un film en réalité virtuelle. L’occasion de se rappeler à quel point l’écrivain avait vu juste. Tom Cruise manipulant l’avenir dans Minority Report. Prédictions Paranoïaque et victime d’hallucina- algorithme qui transforme des statis- médecine pour des simulations et tions fréquentes dues à son penchant tiques d’anciennes infractions en des opérations risquées. On ne pour l’amphétamine, Dick s’attache calculs de probabilités permettant de prend pas en compte les résultats naturellement à travailler une ques- prédire les délits dans certaines probants du programme PredPol, de tion fondamentale: qu’est-ce que la zones. Enfin, lui qui questionnait la même que ses différences capitales réalité? Altérée par la technologie, frontière entre humain et machine, avec le Précrime de Minority Report l’usage de drogues ou un simple Dick s’est récemment vu «ressuscité» (ici, on ne désigne pas de coupable à mode de pensée, la perception du dans un projet d’androïde à son effigie l’avance et l’on intervient au moment monde environnant est, chez l’écri- et doté d’une «personnalité» censée du crime). On omet enfin les réelles vain, sans cesse mise en doute. A lui correspondre. précautions prises dans le dévelop- une époque où l’on célébrait le pement de l’intelligence artificielle. triomphe de la technologie, ses uni- Perceptions vers mettaient déjà en garde contre Comme souvent lorsque la réalité Décider l’avenir une science qui modifie notre rapport commence à rejoindre une fiction Evidemment, il ne s’agit pas de nier au réel et, poussée à l’extrême, peut pessimiste, on se persuade immédia- les risques, réels, évoqués précé- se révéler dangereuse. Déconsidéré tement que l’avenir se dirige précisé- demment. Mais avant tout de rappe- de son vivant, Dick apparaît aujourd’hui ment vers cette concrétisation peu ler la véritable question au centre de comme un visionnaire. L’anniversaire réjouissante. On s’inquiète des dan- ces problématiques: plus qu’un de sa disparition est ainsi prétexte à gers de la réalité virtuelle, que l’on constat catastrophiste sur le devenir relever à quel point, avec une exacti- voit déjà faire perdre à ses utilisateurs de la société machinisée, l’œuvre de tude terrifiante, ses projections tout repère avec le monde concret. Dick se pose en une mise en garde semblent se réaliser une à une. On imagine de même une justice nous enjoignant à remettre en cause A l’heure actuelle, la réalité virtuelle mécanisée qui fera fi de la présomp- notre réalité et réfléchir sur notre rap- n’est plus un fantasme mais une tion d’innocence. On craint enfin de port à la technologie. L’anniversaire de technologie bien concrète en pleine se voir dépasser par une intelligence sa disparition permet de se souvenir expansion: après l’Oculus Rift, Sony artificielle qui évoluera au point de que nous nous trouvons à un point et Microsoft développent actuelle- nous échapper. tournant: c’est dès maintenant qu’il ment leurs propres casques de vision «L’outil basique pour la manipulation nous faut décider si nous voulons voir en trois dimensions. Le système à de la réalité est la manipulation des ces prédictions se concrétiser ou si l’œuvre dans Minority Report, qui per- mots, disait Dick. Si vous contrôlez le nous préférons choisir un avenir alter- met de prévoir les crimes avant qu’ils sens des mots, vous contrôlez les natif. Encore une fois, tout est une n’aient lieu, semble lui aussi sur le gens qui les utilisent.» Ainsi, on en question d’appréhension du réel. • point de se concrétiser: aux Etats- oublie que la réalité virtuelle n’est pas Unis, le programme PredPol (pour l’apanage du jeu vidéo mais est éga- «Predictive Policing») emploie un lement utilisée par la NASA ou en Thibaud Ducret
Dossier REVENU DE BASE INCONDITIONNEL MARS 2016 4 «Le système actuel n’est plus viable à long terme» Interview avec Sergio Rossi INTERVIEW • Chaque individu devrait pouvoir obtenir une partie du résultat de l’activité économique du pays dans lequel il vit. Non pas pour des raisons humanitaires ou morales, mais pour des raisons d’équité et d’égalité des chances. Il est temps de renverser la vapeur pour remettre l’économie au service de l’homme. C’est en tout cas l’avis de Sergio Rossi, fervent défenseur du revenu inconditionnel de base. Rencontre. Audrey Bovey Vous êtes professeur ordinaire à dynamiser la société et l’économie, l’Université de Fribourg, où vous not amment avec l’éclosion de dirigez la chaire de macroéconomie micro-projets. et d’économie monétaire. La plu- part de vos recherches portent sur Sauf erreur, le RBI n’a cependant l’analyse macroéconomique, et jamais été introduit à l’échelle à plus spécifiquement sur des ques- laquelle il serait mis en place en tions d’ordre monétaire et finan- Suisse. On parle notamment d’un cier. Quand avez-vous commencé à RBI estimé à 2500 francs mensuels vous intéresser à la problématique pour tout citoyen adulte. du revenu de base inconditionnel Effectivement, il y a une part d’in- et pourquoi? connu qui comporte des risques. En 2013, j’ai été contacté par Bernard Mais nous nous trouvons à une Kundig et son frère Ralph, qui sont époque charnière: le modèle du siècle respectivement vice-président et pré- passé ne fonctionne plus. L’Etat provi- sident du mouvement BIEN-Suisse. dence est dépassé. En définitive, je Ils voulaient me rencontrer pour dis- crois qu’il s’agit surtout d’une ques- cuter de cette initiative et avaient tion de société; il ne faudrait pas tout besoin d’une expertise scientifique. réduire à une vision purement Selon eux, il était nécessaire de chan- économiciste. ger radicalement de paradigme en Suisse en ce qui concerne le système Quels sont les enjeux concrets de Sergio Rossi: «Nous sommes à une époque charnière. L’Etat providence est dépassé.» des assurances sociales. Une vision l’initiative selon vous? que je partage: il est nécessaire de J’en vois trois. En premier lieu, il est fondamentaux. Dans ce cas, il s’agit que mène la gauche sur ce front n’est mettre de l’ordre dans un système nécessaire de définir qui pourrait de reconnaître à chacun le droit de pas dépassé par les événements. Le désormais lourd, archaïque, humiliant, bénéficier du RBI. Les autochtones? pouvoir mener une vie digne par le constat est clair et il faut se rendre à inefficace en termes économiques et Les étrangers de seconde généra- biais de l’introduction d’un revenu de l’évidence: il n’y aura pas suffisam- de surcroît toujours plus difficile à tion? Les enfants? Deuxièmement, base inconditionnel. Le montant du ment d’emplois pour occuper toutes financer. quel serait le montant de ce RBI? Il RBI n’est pas fixé, et ne peut pas être les personnes qui souhaitent et doit être suffisamment élevé pour fixé dans la Constitution, puisqu’il est peuvent travailler. Les conventions Les plus grosses craintes concernent permettre à la population de mener appelé à évoluer au fil du temps. Quoi collectives ou autres solutions juri- principalement la question du finan- une vie digne, mais pas trop élevé car qu’il en soit, l’initiative a entamé le diques n’y changeront rien. Le pro- cement d’une telle réforme. Le cela pourrait l’inciter à réduire ses débat, même si sa mise en œuvre par blème est structurel. Il est donc Conseil fédéral et EconomieSuisse efforts. Et finalement, comment le un parlement majoritairement de nécessaire de mettre les choses à dressent des scénarios apocalyp- financer? Plusieurs propositions de droite, en dénaturant l’esprit de l’ini- plat, de réfléchir à un problème social tiques. Que répondez-vous à ces financement viables ont été faites, tiative, risquerait finalement de péjo- qui n’est pas nouveau mais qui, de derniers? notamment par les initiants. rer la situation. par sa nature, a évolué et qui Je ne suis pas étonné. Il en va sou- demande aujourd’hui des solutions vent de même pour tout objet soumis Ces enjeux ne sont pas réglés par Le paysage politique traditionnel neuves. La question est finalement au vote populaire: les opposants l’initiative, qui demeure extrême- est bouleversé face à l’enjeu du de savoir quelle société nous voulons peignent le diable sur la muraille et ment vague. Certains craignent RBI. La gauche ne parvient pas à se pour l’avenir, tout en étant conscient imaginent les pires scénarios. Mais ni même pour les acquis de l’Etat mettre d’accord, et aucun parti ne des problèmes actuels, auxquels il eux ni les autres ne peuvent savoir de social suisse, qui pourraient bien soutient l’initiative de manière faudra trouver des solutions. Pour quoi sera fait l’avenir, car celui-ci est être remis en cause en cas de mise officielle. moi, un changement de paradigme par définition incertain. Au niveau en œuvre du texte des initiants par En théorie, la gauche cherche à est nécessaire. Et ce changement, je empirique, que ce soit au Canada ou un parlement majoritairement de défendre les intérêts des travailleurs, le perçois en faveur du RBI. • dans d’autres pays où une forme de droite… pour qu’ils puissent travailler avec des RBI a été expérimentée ou est en Les initiants font justement remar- conditions salariales correctes et train d’être mise sur pied, on constate quer que la Constitution fédérale dignes. Je le comprends. Cependant, Propos recueillis par que cela fonctionne et permet de énonce uniquement les principes on peut se demander si le combat Audrey Bovey
Dossier REVENU DE BASE INCONDITIONNEL MARS 2016 5 «Le peuple ne sait pas réellement sur quoi il va voter» Interview avec Romain Felli INTERVIEW • Et si l’initiative en faveur de l’introduction d’un RBI se révélait finalement n’être qu’une fausse bonne idée? Certains de ses pourfendeurs avancent en effet que le texte n’a pas suffisamment été pensé et comporte de ce fait de nombreux risques. Romain Felli, membre du Parti socialiste lausannois, chargé de cours à l’Unil et collaborateur scientifique à l’Université de Genève, donne son point de vue à L’auditoire. Vous vous dites plutôt opposé au structure des assurances sociales et probable compte tenu du rapport de Par rapport à l’idée d’un RBI en revenu de base inconditionnel, du autres formes de protection de la force politique en Suisse. Ou alors Suisse, le débat invoque, dans une moins tel que présenté par l’initia- société. sur sa destruction assurée, si l’on perspective internationale, des expé- tive sur laquelle le peuple suisse prend au sérieux le fait que le RBI riences menées dans d’autres pays. votera en juin prochain. Que lui Sur la question du financement, est destiné à remplacer les assu- Ces exemples sont-ils inspirants reprochez-vous précisément? plusieurs modèles ont pourtant été rances sociales existantes. Il est poli- pour la Suisse? En premier lieu, je tiens à préciser proposés, dont certains par les ini- tiquement dangereux de proposer Je pense que les exemples qui sont que je partage avec les initiants l’idée tiants eux-mêmes. une idée sans préciser les tenants généralement choisis sont complète- selon laquelle il est nécessaire que Oui, mais chacun de ces modèles de sa concrétisation, car c’est préci- ment farfelus, voire ridicules. On cite chaque être humain puisse mener représente une vision particulière de sément cette concrétisation qui en des expérimentations menées dans une vie digne, indépendamment de la forme que pourrait prendre le définit le contenu. des pays du Sud, où il n’existe aucune ses capacités à travailler et de son revenu de base inconditionnel. En protection sociale, aucune forme de revenu sur le marché. Quand on a un choisissant de ne pas s’étendre sur L’un des arguments motivant le ser vice public ou très peu. En point de vue progressiste, je pense ces points, les initiants fournissent un lancement de l’initiative est que le Namibie, un revenu de transfert d’en- qu’on ne peut qu’être d’accord avec blanc-seing au parlement, qui, si le système social actuel n’est plus viron 8 dollars par mois a été introduit, ce fondement. L’initiative proposée se peuple venait à se prononcer en viable à long terme. Il n’y aurait certes. Mais on ne peut pas comparer limite cependant à énoncer les prin- faveur du RBI, disposerait d’une plus assez de travail pour l’en- des pays dont les systèmes de pro- cipes d’un revenu de base incondi- grande liberté pour la mise en place semble de la population, en cause tection sociale sont extrêmement tionnel. Elle ne donne aucun détail d’un modèle particulier de finance- notamment les phénomènes d’au- développés avec des pays dans les- sur la forme que cette allocation pour- ment. Le résultat pourrait alors s’avé- tomatisation, de mondialisation quels il n’y en a aucun. Concernant le rait revêtir, ni sur ses potentiels rer progressiste, mais également ou de délocalisation. Cette analyse Canada ou l’Alaska, pays dont le fonc- mécanismes de financement. Or, le régressif. Finalement, le peuple ne vous semble-t-elle pertinente? tionnement est davantage similaire à diable se cache dans les détails. Telle sait pas sur quoi il vote. Sur une aug- Ça me paraît être une réflexion com- celui de la Suisse, il s’agit de revenus que rédigée, l’initiative représente mentation massive de la protection plètement fausse. Tout le monde a-t- accordés en contrepartie d’une rente une menace potentielle pour la sociale, ce qui est extrêmement peu il toujours eu sa place sur le marché minière ou d’une rente pétrolière. Ce du travail? L’idée est fantaisiste. qui, à nouveau, n’a rien à voir avec les Maxime Filliau Nous évoluons dans des économies propositions qui nous sont faites en capitalistes. Par définition, tout le Suisse. monde n’a donc pas sa place sur le marché du travail. Progressivement, Les initiants sont plutôt pessimistes des droits sociaux ont été conquis et quant aux chances de succès de l’ini- ont permis de mieux protéger l’em- tiative. Ils se félicitent cependant ploi et les salariés. Mais la dyna- d’avoir lancé le débat autour du prin- mique d’un système qui demeure cipe du revenu de base incondition- néanmoins capitaliste est précisé- nel. Qu’en pensez-vous? ment celle de réduire en perma- Au contraire, cela a plutôt tué le débat. nence les emplois. En ce sens, il est Précisément parce que, si le but était illusoire de croire que tout le monde d’ouvrir un débat politique de fond, il trouvait autrefois sa place sur le mar- fallait le faire dans différentes organisa- ché et que les changements techno- tions, dans les partis politiques, au sein logiques sont à l’origine du fait qu’il y des syndicats, afin de proposer un ait de moins en moins de travail. Je modèle qui ait une chance d’obtenir ne conteste pas qu’il y ait des répar- une majorité importante devant le titions différentes de la charge de peuple. Là, c’est plutôt un groupe de travail au sein de la société. Des iné- personnes qui lance une initiative sortie galités font que certains sont obligés de nulle part, tout seul de son côté. • de travailler de plus en plus alors que d’autres sont empêchés d’accès à un travail salarié. Propos recueillis par Romain Felli: «Tout le monde a-t-il toujours eu sa place sur le marché du travail?» Audrey Bovey et Thibaud Ducret
Dossier REVENU DE BASE INCONDITIONNEL MARS 2016 6 C’est quoi le RBI? MISE AU POINT • Le revenu inconditionnel de base (RBI), une utopie naïve ou un projet tourné vers l’avenir? Avant de s’intéresser à de telles considérations, il s’agit en premier lieu de savoir de quoi l’on parle. Eclairage. L e principe ne date pas d’hier. L’allocation universelle serait en effet à attribuer à Thomas Paine, révo- l’association «s’engage pour une nou- velle approche de la politique sociale, susceptible de remplacer partielle- économiste belge et co-fondateur de BIEN-International, le RBI revêt un caractère triplement incondition- En Suisse, la question est d’actua- lité puisque l’initiative fédérale «Pour un revenu de base incondi- lutionnaire et idéologue de la fin du ment le système existant d’assu- nel. Il s’agit d’un montant versé tionnel» sera l’un des objets sur XVIIIe siècle. Depuis, l’idée a fait son rance et d’aide sociale par un modèle individuellement à chaque citoyen lesquels le peuple se prononcera chemin. L’année 1986 marque la créa- adapté à l’évolution de l’économie et indépendamment de sa situation lors des votations du 5 juin pro- tion du réseau international BIEN – du marché de l’emploi». familiale, sans tenir compte de sa chain. Considéré par ses défen- Basic Income European Network richesse, ni exiger de travail en seurs comme un droit de l’homme dans le but d’établir un lien entre dif- Des enjeux sociaux et économiques retour. Concernant l’application pra- universel et fondamental, le revenu férents organes intéressés par la pro- Egalement appelé allocation univer- tique du revenu inconditionnel de de base inconditionnel s’inscrit fina- blématique du revenu de base incon- selle ou revenu d’existence, le revenu base, la déclinaison est à géométrie lement dans une question bien plus ditionnel. En 2004, BIEN est étendu à de base inconditionnel est défini par variable de par le monde. Différents générale, celle de savoir ce que l’échelle mondiale et devient ainsi le l’antenne internationale de BIEN modèles sont envisageables en nous voulons réellement pour la Basic Income Earth Network, com- comme un «versement mensuel fonction de critères géographiques, société de demain. Reste à savoir posé aujourd’hui de 23 sections natio- par une caisse publique, à chaque sociaux, politiques ou économiques premièrement si l’instauration d’un nales s’efforçant chacune de promou- individu, d’une somme d’argent suf- propres à chaque pays. La motiva- RBI en Suisse est techniquement voir l’idée du revenu de base fisante pour couvrir les besoins de tion initiale demeure cependant possible, et, par dessus tout, si elle inconditionnel. Au niveau helvétique, base et permettre la participation à identique aux quatre coins du est véritablement souhaitable. • BIEN-Suisse voit le jour en 2001 à la vie sociale, comme une rente à globe: «rendre la justice sociale Genève. Selon les informations dispo- vie». Selon les mots de Philippe Van c o m p a t i b l e ave c l ’ e ff i c a c i t é nibles sur son site internet officiel, Parjis, sociologue, philosophe, économique». Audrey Bovey Le RBI de pas d’chez nous International • Si, en Suisse, le RBI est amené comme un projet de société à part entière, ce n’est pas le cas partout dans le monde. Coup d’œil sur ce qu’il se fait à l’extérieur de nos frontières. I l n’existe pas une forme de RBI, ni une manière de le mettre en œuvre Comment alors comparer l’impact d’un mois (pour un salaire mensuel mini- mum de 330 dollars). Malgré tout, le cas de l’Iran passe – similaire au modèle iranien. Si cette manne est un produit de choix pour financer un RBI et s’assurer qu’une par- un grand optimisme sur le sujet, mais peu de sources interrogent la faisabilité de la mise en œuvre du RBI dans des revenu de base versé à un pêcheur étrangement – sous les radars. Rares tie des bénéfices parvienne au peuple, contextes nationaux. namibien, un adolescent au Canada, un sont les médias et/ou «experts» qui elle est toutefois fortement dépen- Il faut dire que le Basic Income attire boulanger en Iran et un barman hollan- relaient cette mise en œuvre, proba- dante du prix du pétrole sur le marché pour son aspect incitatif à une intégra- dais? L’allocation universelle ne peut blement parce qu’elle va à l’encontre international (actuellement à un niveau tion sociale pour tous et sa simplifica- être vue que localement et dans son de la vision idéaliste défendue par les très bas) et s’avère fortement liée à la tion administrative. Ces raisons contexte large. militants pro-RBI comme Basic disponibilité des ressources naturelles. expliquent les expérimentations qui ont Income Earth Network (BIEN). Ici, pas vu le jour ou sont actuellement prévues L’Eldorado pétrolier de projet de société ou de vision mili- Comparer l’incomparable (la Finlande et les Pays-Bas se penchent Iran, décembre 2010. L’inflation galo- tante comme fer de lance du projet, Imaginée comme une forme de par- actuellement sur la question). Si les dif- pante et l’inefficacité des subventions mais plutôt une succession d’erreurs tage démocratique des revenus des férents projets menés dans le monde poussent le gouvernement à dévelop- politiques et un contexte fragile qui ont ressources pétrolières, cette version du montrent qu’il est impossible de pen- per par mégarde un RBI, faisant de mené à une adaptation du système. RBI n’est pas majoritaire. D’autres ser le RBI séparément de la société celui-ci le premier pays au monde à Sur le plan des résultats, la République pays, comme le Canada, l’Inde et la dans laquelle il est mis en place, et de mettre en pratique cette vieille utopie. Islamique d’Iran, bien que fragile éco- Namibie, ont lancé des expérimenta- ses logiques propres, on ne peut que La création de ce revenu se produit à nomiquement, est le seul Etat déve- tions de programmes sociaux, sur des constater qu’aucun d’entre eux n’est la suite d’une succession d’erreurs loppé au monde a avoir mis en place périodes allant de quelques mois à l’aboutissement d’un projet de change- politiques et administratives dans la une ébauche de RBI au niveau quelques années. Toutes les analyses, ment sociétal. A chaque fois, il est création d’un nouveau système de national. menées sur les effets immédiats et cependant un outil au fort potentiel de compensations sociales. De fil en Le pays n’est pas la seule puissance directs, se sont avérées positives. Ces remise en cause de la société aiguille, 97% des habitants du pays pétrolière à s’être lancée dans l’aven- rapports enrichissent la littérature inter- actuelle. • reçoivent un nouveau subside équiva- ture du RBI. L’Alaska, à un niveau nationale existante (transitant majoritai- lent à 45 dollars par personne et par moindre, dispose d’un système rement par le réseau BIEN) qui affiche Maxime Filliau
Dossier REVENU DE BASE INCONDITIONNEL MARS 2016 7 Au peuple de choisir INITIATIVE FéDéRALE • Lancée par un groupe hétéroclite de citoyens indépendants de tout parti ou groupement politique, l’initiative «Pour un revenu de base inconditionnel» passera la délicate épreuve de la votation populaire le 5 juin prochain. Présentation d’un objet aux enjeux controversés. Source: http://initiative-revenudebase.ch / Julie Collet LES AVANTAGES DU RBI SELON LES INITIANTS Lancée par un groupe de citoyens indépendants de tout parti Eradiquer la pauvreté politique, confession religieuse, lobby ou autre groupe d’influence Encourager la création d’entreprises Démocratiser la formation Aboutissement formel le 4 octobre 2013 avec 126’000 signatures Donner l’avantage à un travail choisi plutôt que subi valides Simplifier et améliorer l’Etat social suisse SOUMISE AU VOTE POPULAIRE LE 5 JUIN 2016 Développer la créativité et le soutien à la vie culturelle et artistique «V ivre en dignité est un droit f o n d a m e n t a l q u i n’ e s t aujourd’hui pas correctement mis Vote de principe Mais concrètement, sur quoi le peuple se prononcera-t-il? L’hypothétique futur «Nous avons établi une liste de plu- sieurs possibilités de financement, cha- cune comportant des avantages et des s’avère divisé sur la question. Parmi les opposants, on retrouve notamment Avenir Suisse, think tank spécialisé en œuvre, et l’initiative "Pour un texte de loi ne fixe pas le montant de la désavantages, et nous laisserons la dans l’économie et le développement revenu de base inconditionnel" per- rente mensuelle. Ce dernier se limite à liberté au parlement de choisir.» Selon social. Selon Lukas Rühli, membre de la m e tt r a i t d e r e c t i f i e r l e t i r. » trois alinéas qui assurent à l’ensemble Gabriel Barta, toujours dans le cas où le fondation, un revenu de base incondi- Lorsqu’on lui demande pourquoi de la population un revenu de base per- texte de loi serait adopté, «ce serait une tionnel est inutile: «Le revenu de base cette initiative lui tient tant à cœur, mettant «de mener une existence bataille gauche-droite programmée, cha- inconditionnel n’aiderait en rien ceux qui Gabriel Barta, membre du comité digne et de participer à la vie publique». cun ayant à gagner ou à perdre selon la sont dans le besoin, car ces personnes d’initiative et vice-président de Gabriel Barta s’explique sur la simplicité méthode de financement privilégiée». ont déjà aujourd’hui un revenu de base BIEN-CH, association qui milite en de ce texte: «La somme nécessaire Quoi qu’il en soit, si le peuple et les can- assuré. Il viendrait en aide à ceux qui faveur de l’instauration d’un revenu pour vivre dignement dans un endroit tons approuvaient ce texte le 5 juin pro- sont en capacité de travailler, mais qui de base inconditionnel en Suisse, en particulier est facilement calculable» chain, il faudrait immanquablement être n’ont aucune envie de continuer leur n’hésite pas une seconde. «Mais ( c’est ce que fait notamment la patient avant que le revenu de base activité.» Il craint aussi une perte de pour la majorité de mes collègues Conférence suisse des institutions d’ac- inconditionnel ne soit réellement effec- vitesse de l’économie: «Les calculs de de l’association, c’est l’argument tion sociale, qui établit les normes sur tif. «On peut imaginer commencer petit modélisations d’EconomieSuisse ont de la liberté individuelle qui prime, lesquelles se base l’aide sociale, ndlr). à petit, avec un revenu inconditionnel montré que l’instauration d’un revenu c’est-à-dire la possibilité pour l’indi- Et de continuer: «Il n’aurait pas été per- dont le montant augmente graduelle- de base provoquerait une baisse de vidu de faire le travail qu’il veut, à tinent d’en inscrire un dans la ment, comme cela avait été le cas pour 17% du PIB. L’argent ne vient pas de sa guise, sans être forcé ou décou- Constitution. Nous nous sommes can- l’instauration de l’AVS», conclut-il. nulle part, il doit forcément être généré ragé. Cela est aussi très impor- tonnés au point principal, et nous avons par quelqu’un.» Fondées ou non, les tant.» Face à une évolution du mar- laissé tous les autres ouverts.» Si l’initia- Un grand front d’opposition inquiétudes des opposants sont nom- ché du travail où le plein emploi ne tive était acceptée, le parlement dispo- Du côté des opposants, on commence breuses, et celles-ci pourraient bien sera plus nécessairement garanti, serait ainsi d’une grande marge de à s’organiser, et le front sera pour le avoir raison du projet de Gabriel Barta et cette initiative permet quoi qu’il en manœuvre pour la mettre en place, moins imposant: lorsque le parlement a de ses associés. • soit de s’interroger sur la valeur notamment en ce qui concerne les dû s’exprimer sur le sort de l’initiative, actuelle du travail et d’ouvrir le points cruciaux que sont le montant du aucun parti ne s‘est prononcé en sa débat sur la société de demain. revenu et le moyen de son financement. faveur, pas même le Parti socialiste, qui Antoine Schaub
Dossier REVENU DE BASE INCONDITIONNEL MARS 2016 8 Remise en question du système social suisse RéFORME • En Suisse, le système social tel que nous le connaissons ne correspond plus aux besoins de la population. Les proposi- tions de réformes s’accumulent, sans pour autant que le résultat soit pleinement au rendez-vous. Le RBI pourrait-il constituer une réponse adéquate? René Knüsel, politologue et professeur ordinaire à l’Unil, propose son éclairage. E Herji n Suisse il est de mise que «les ménages comprenant des per- sonnes en âge de travailler doivent pourvoir à leurs propres besoins», comme mentionné dans le message publié par le Conseil fédéral au sujet de l’initiative en faveur de l’instaura- tion d’un RBI. Le système de sécurité social helvétique est donc établi afin de prévenir les risques qui empêche- raient l’accomplissement de ce postu- lat. Basé sur le principe de l’assurance et du partage collectif des risques indi- viduels, ce système a pour fonction d’assurer une garantie financière suffi- sante pour mener une vie digne ou de pallier une insuffisance temporaire de revenu dans le but de favoriser une réinsertion sur le marché de l’emploi et au sein de la société. Au niveau fédéral, on parle donc de l’assurance vieillesse et survivants (AVS), du 2e pilier, de l’as- surance invalidité (AI), de l’assurance chômage (AC), de l’assurance maladie et accidents, du régime des alloca- tions pour perte de gain ou encore des allocations familiales. Ces prestations «ne sont versées que lorsqu’un évé- nement assuré se produit» et leur décision lourde de conséquences que les propositions de réforme font René Knüsel, plus qu’une révolution, financement est quant à lui variable. financièrement parlant: «Aujourd’hui toujours l’objet d’une foule de négo- «le RBI est avant tout une simplification avoir un enfant coûte environ un mil- ciations et de compromis qui radicale des institutions sociales»: les Avoir une famille? Peu enviable lion.» Un salaire moyen par famille entraînent une complexification des personnes n’auront plus besoin de solli- Pour René Knüsel, politologue et pro- n’est plus suffisant. Finalement, selon mécanismes et retardent leur mise en citer une aide ou d’apporter des fesseur ordinaire à l’Unil, le constat est le politologue, la principale faiblesse œuvre. preuves de leurs besoins pour bénéfi- clair. De plus en plus de personnes du système social suisse est qu’il cier d’une aide étatique de compensa- vivent dans des situations précaires et n’est plus adapté à la représentation «Le système a tion. Chaque citoyen étant assuré d’un r e c o u r e n t a u x a i d e s s o c i a l e s . moderne de la famille: non seulement, revenu régulier lui permettant de vivre Automatisation, mondialisation et dans la majorité des foyers, les deux besoin d’un dignement, plus personne ne devrait délocalisation riment avec augmenta- parents travaillent, mais le nombre de réagencement basculer dans une situation précaire tion sensible de chômage et autres foyers monoparentaux est de plus en ou ne finirait du jour au lendemain «à formes d’éloignement de l’emploi. plus important, sans parler des couples total» la rue». La plupart des institutions Faute de volonté politique, l’assurance non mariés. Les allocations familiales sociales seraient conservées et pour- chômage ne prévoit pas de mesure telles que pensées à l’origine ne par- Aussi, les solutions adoptées tendent raient davantage concentrer leur pour couvrir l’ensemble des cas, viennent plus à compenser les à cibler les populations bénéficiaires à action sur «le social» à proprement notamment en raison du coût particu- besoins de la famille. l’extrême. Elles visent des cas particu- parler, soit l’aide à la réinsertion, les lier du chômage de longue durée. Les liers au lieu d’aborder le problème formations complémentaires de type jeunes sont aussi concernés. Face à Des solutions, pas de changement dans son ensemble. «Le système remise à niveau ou encore l’accompa- un marché du travail de plus en plus Les responsables politiques en sont social a besoin d’un réagencement gnement personnel. Le RBI est peut- sélectif, ils se voient contraints d’ac- bien conscients. Les tentatives de total, plus que de petites modifica- être une solution difficile à imaginer, quérir des formations toujours plus réforme s’enchaînent, sans grand suc- tions à certains niveaux», affirme le mais un changement est primordial. poussées et d’accumuler les stages cès cependant. Dernière en date, la professeur en charge des cours de En effet, si le chômage continue à aug- non payés dans l’espoir de se forger «réforme Berset» sur la prévoyance politique sociale à l’Unil. menter, les cotisations servant à finan- une expérience. Les coûts engendrés vieillesse qui a pour but de réformer cer les prestations sociales ne seront sont alors à assumer par les familles, l’AVS afin d’assurer son financement La révolution du RBI plus suffisantes, alors même que qui doivent jongler avec des dépenses jusqu’en 2030. Il est notamment ques- Face à ce bilan, certains affirment que davantage de personnes en auront toujours plus lourdes. René Knüsel tion d’élever l’âge de la retraite à le revenu de base inconditionnel pour- fondamentalement besoin. • relève par ailleurs que, de nos jours, 65 ans pour les femmes. A l’exemple rait constituer une réponse à l’essouf- décider de fonder une famille est une de ce projet, René Knüsel explique flement du système actuel. Selon Virginie Bertoncini
Dossier REVENU DE BASE INCONDITIONNEL MARS 2016 9 Et vous, pour ou contre? MICRO-TROTTOIR • Le revenu de base inconditionnel, objet sur lequel le peuple suisse se prononcera en juin, ne fait pas l’unanimité. Certains pencheraient plutôt pour une réponse positive. On pense par exemple aux femmes au foyer ou aux étudiants. D’autres, en revanche, considèrent que verser une rente à toute la population et sans condition relève du domaine de l’utopie. L’auditoire a demandé l’avis des passants des rues de Lausanne, voici leurs réponses. A. Bossy et F. Henry Christophe, 26 ans, étudiant en Alberto, 71 ans, professeur hono- données en Suisse, et cette solution droit raire en HEC les aiderait bien. Mais je ne sais pas «Je suis assez indécis. Je comprends «Je suis à la fois pour et contre. D’un du tout si ça va passer...» l’avantage que ça pourrait avoir: comme côté, ça permettrait que beaucoup de A. Bossy et F. Henry on l’a entendu au World Economic gens puissent bénéficier d’une bonne Forum, tout un pan des emplois risque- qualité de vie. Ça amènerait égale- rait de disparaître avec les progrès tech- ment les entreprises à améliorer leurs nologiques et l’automatisation. techniques de production pour s’adapter et à introduire un progrès A. Bossy et F. Henry technique qui n’aurait pas existé s’il n’y avait pas eu cette contrainte. Mais d’une autre côté, j’ai l’impression qu’en Suisse ce salaire de base est pratiquement atteint par tout le monde, donc je ne sais pas vraiment ce Marie, 17 ans, gymnasienne que ça apporterait de supplémentaire.» «Je ne connaissais pas cette proposi- Jean-Baptiste, 29 ans, chargé de A. Bossy et F. Henry tion, mais à première vue, je serais cours à l’Unil plutôt pour. Je trouve bien que tout le «Je suis plutôt pour, mais je sais que monde ait un minimum d’argent pour c’est un sujet assez ambigu, qui pro- vivre correctement. Je vis chez mes voque pas mal de débats au sein de parents, et je ne gagne pas de salaire, la gauche, parce qu’il est à la fois mais je pense qu’un montant entre défendu par des ultra-libéraux très à 2’000 et 3’000 CHF serait approprié.» droite, mais aussi par une frange de On pourrait justifier le RBI sur cette la gauche radicale. Tout dépend de la A. Bossy et F. Henry base-là. Mais d’un autre côté, il y hauteur de ce revenu de base incon- aussi la perspective économique: si ditionnel. Ce sera un débat intéres- on fixe un montant tous les mois sant. A priori, je voterai oui, mais je pour chaque habitant, quel est l’im- pense que ça n’a aucune chance de pact sur l’inflation, et sur l’évolution passer. Mais au moins ça aura provo- de la monnaie? Et plus loin, si on qué le débat.» regarde l’effet que pourrait avoir ce A. Bossy et F. Henry revenu, est-ce qu’on ne créerait pas Nadine, 68 ans, femme de ménage deux classes de citoyens: ceux qui «J’ai 68 ans, et j’ai élevé trois enfants touchent le RBI parce qu’ils n’ont pas toute seule. J’ai dû me débrouiller en de formation, et dont les emplois faisant des boulots à gauche et à sont remplacés par des machines, et droite, et je n’ai jamais pu mettre de d’autre part les universitaires ou les l’argent de côté: donc je travaille spécialistes, qui ont un emploi et encore, parce qu’avec 1’805 CHF «valent plus» que les autres qui n’ont Lisa, 62 ans, infirmière à la retraite d’AVS, je ne peux pas m’en sortir! Les pas les compétences pour travailler?» «J’ai entendu ça aux nouvelles il y a autres peuvent y arriver aussi. Je deux mois. Je suis pour – d’après ce pense voter non, parce que je ne vois Catherine, 40 ans, responsable que j’en ai entendu jusqu’ici. Je vou- pas pourquoi on donnerait un revenu Marie, 32 ans d’une cantine dans une école drais bien toucher 2’000 CHF! (rires)» de base aux gens. J’entends parler «Je dirais plutôt non: ça me paraît «C’est utopiste. Bien sûr que ce de distribuer de l’argent à tout le étonnant comme idée. Normalement, A. Bossy et F. Henry serait l’idéal, mais ça ne donnerait monde, mais qui va payer? On dit chacun a un travail qui lui permet de pas envie aux gens d’aller bosser. Il qu’il ne faudrait laisser personne sur vivre, et après, il y a des subsides faut être réaliste. Pour certains, le carreau, mais il y en a qui le cantonaux qui prennent déjà en comme les femmes au foyer, ce méritent: ils n’ont qu’à se bouger. » charge les besoins des personnes en serait bien, parce qu’elles ont un bou- difficulté. Je n’y avais jamais vraiment lot à part entière qui n’est pas Olivia, 36 ans, vendeuse réfléchi, mais pour les étudiants, je reconnu; rester à la maison pour éle- «Je suis pour. Je trouve bien que tout suppose que c’est intéressant d’avoir ver les enfants, c’est important, et le monde soit à égalité et touche un minimum de revenus pour pouvoir remplacer les allocations familiales quelque chose, sans avoir à se justi- poursuivre leurs études.» • par un revenu, je serais pour. Mais fier pour ça. Je pense notamment pour les autres, les ados, je ne crois aux femmes qui ont des enfants et pas. En plus les chômeurs ne seraient s’en occupent, et qui ne peuvent pas Propos recueillis par plus motivés à chercher un emploi.» aller travailler: les gardes ne sont pas Adriane Bossy et Frédéric Henry
Dossier REVENU DE BASE INCONDITIONNEL MARS 2016 10 Des études accessibles à tous: oui, mais… FINANCEMENT • Parmi les catégories de la population dont l’introduction du RBI modifierait le plus la situation actuelle, on trouve les étudiants. Alors qu’en 2013, l’OFS avançait le chiffre de 24% d’abandon d’études faute de moyens financiers, les débats autour du revenu de base remettent sur le tapis la notion d’égalité d’accès aux hautes écoles. L’ Lorenza Antognini un des arguments avancés par le leur accès par le biais d’examens comité d’initiative en faveur d’entrée. Alors oui, une place sur d’un revenu de base inconditionnel les bancs universitaires ne serait est qu’il encouragerait les études, plus déterminée par les moyens ainsi que la formation continue, que financiers de l’individu, mais par les coûts et les contrats de travail ses capacités. Reste à savoir si l’ob- rendent difficilement accessibles. tention des fameux sésames En effet, un revenu de base permet- dépendrait uniquement de qualités trait à chacun d’entamer des études requises ou si leur objectif premier à n’importe quel moment de sa vie, serait de faire le plus grand ménage et de les poursuivre aussi long- possible parmi les candidats. En ce temps qu’il le désire, sans risquer qui concerne la question d’une de sombrer dans la pauvreté ou la durée prolongée et indéterminée précarité. Quitter son emploi pour des études, l’argument des oppo- poursuivre sa formation ne deman- sants au RBI n’est pas difficile à derait plus nécessairement l’accu- deviner. Ah, ces étudiants pares- mulation préalable d’un capital éco- seux qui enchaînent master sur nomique suffisant, ni le soutien master, sans jamais s’intégrer au financier d’un pair. L’idéal mis en marché du travail et prouver leur uti- avant est celui d’un Etat permettant lité à la société… à ses citoyens d’évoluer constam- m e n t , d e s e d éve l o p p e r p o u r Tout travail mérite salaire s’adapter à un environnement qui, Pour les universitaires, une solution lui aussi, change perpétuellement. alternative au revenu de base serait le dit «salaire étudiant». Déjà en Bourses, subsides et prêts place au Danemark et en Suède, il Actuellement, les étudiants suisses s’agit d’une allocation mensuelle en situation de précarité peuvent L’argent ne tombe pas du ciel. Pour que les étudiants puissent se consacrer pleinement versée aux étudiants pendant leur réclamer, entre autres, une bourse, à leurs études, à qui incombe la question du financement? cursus, à rembourser une fois celui- dont le montant et les conditions ci achevé. d’octroi varient selon le canton de 2013, selon le dernier rapport de Plus d’étudiants, plus longtemps domicile ( voir L’auditoire n°224 ). l’OFS à ce sujet. La majorité béné- Lorsque le RBI a été expérimenté Relancer le débat L’Unil propose quant à elle d’autres ficie partiellement d’un soutien chez nos voisins plus ou moins éloi- a i d e s , plu s p onctuelles, telles financier de la part de sa famille gnés, on aurait observé une double sur le coût des qu’une dispense partielle des frais (87%) et trois quarts des étudiants augmentation dans l’univers univer- études d’inscription ou un subside lors de suisses concilient leur cursus uni- sitaire: plus d’étudiants, qui font frais médicaux. versitaire avec une activité rému- des études plus longues. Selon les universitaires nérée. Cette dernière, pour une partisans de l’initiative, les effets En France, certains syndicats sou- «I» comme majorité, ne constituerait pas une positifs seraient multiples, à la fois tiennent le principe de «l’allocation mise en péril de la réussite acadé- pour les individus, pour l’économie, d’autonomie», financée par la col- inconditionnel mique. En Finlande, où l’accès aux et pour la société tout entière. Mais lectivité par le biais de cotisations, Le point commun entre ces soutiens études supérieures est gratuit et une vague d’étudiants supplémen- reprenant le principe de la retraite financiers, ce sont les conditions où chacun peut réclamer une aide taires demande nécessairement ou du chômage: les futurs actifs strictes que le demandeur doit rem- financière inconditionnelle, la plu- l’adapt ation, voire la remise en sont soutenus par les travailleurs, plir, qui signifient souvent un travail part des étudiants travaillent égale- question totale des infrastructures p o u r u n j o u r l e u r r e nvoye r l a de paperasse long, laborieux, et ment en marge de leurs études, universitaires en place. pareille. Dans une société qui gra- pour certains, décourageant. Dans arguant que le montant versé n’est vite autour du travail, qu’on le RBI, le «I» signifie inconditionnel. pas suffisant. Ce qui serait proba- Ces étudiants considère comme utopique ou non, Ainsi, la différenciation entre étu- blement aussi le cas en Suisse si le RBI a le mérite de relancer le diants ayant le droit ou non à un l’initiative en faveur de l’instaura- paresseux qui débat sur le coût des études univer- soutien financier s’évanouirait. La tion du RBI venait à être acceptée. enchaînent mas- sitaires, qui, après tout, ne forment notion même de soutien n’aurait A questionner également, le sort pas que des futurs chômeurs. • plus réellement lieu d’être, chacun du soutien familial, si largement ter sur master se trouvant sur un pied d’égalité. répandu aujourd’hui, en cas de oui: Dans l’état actuel des choses, sous le D’ailleurs, la proportion des étu- il perdrait sans doute de sa perti- credo de l’économie et des coupes diants suisses finançant leur for- nence. Cela signifierait-il néan- budgétaires, il semble probable que mation uniquement grâce à une moins plus d’indépendance pour les universités suisses, plutôt que bourse ne s’élevait qu’à 1% en les jeunes aux études? de choisir la croissance, limiteraient Ophélie Schaerer
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