RAPPORT D'ÉTONNEMENT 2 ÉDITION - SOCIAL DEMAIN 2021
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2 n n n n INTRODUCTION Inspiration, aspiration, respiration, Philippe CAMPINCHI / Denis MAILLARD Page 3 n n n n PRÉFACE Un regard frais et nécessaire sur les enjeux du social, David MAHÉ, Page 4 n n n n 6 MOIS D’ATELIERS ET DE RENCONTRES Page 5 n L’ENGAGEMENT, ENTRE SENS ET CONFIANCE Page 7 ◊ Lina ARNAUD : Vertige de l’engagement ◊ Maxime BLONDEAU, Dorian DREUIL : Assos, syndicats, élus politiques – croiser les regards ◊ Margot LE GUEN, Emilie SCHMITT : La société de la défiance ◊ Régis GUILLEN : Penser la reconversion professionnelle ◊ Claudine LECLERC : Quel «sens» au travail ? ◊ Për-Erwan LESCOP : Essence/quête de sens ◊ Mathilde DESPAX : La démesure de l’hybris ◊ Alexia TRONEL : Pour une mode responsable n « EN PROMOTION » Page 29 ◊ Antonin VALLS : Qu’est devenue la question sociale ? Témoignage ◊ Floriane MAILLET : Planète mère Témoignage ◊ Afi AFFOYA : Sécurité financière, préoccupations socio-écologiques : sœurs ennemies ? ◊ Jama LACHKAR : Français (si affinités) n VIEILLES QUESTIONS, NOUVEAUX ENJEUX Page 40 ◊ Camille ALLEX, Mathilde DESPAX, François DOS SANTOS : Le syndicalisme – la citoyenneté en entreprise ? ◊ Guillaume DEDIEU, Chloé GRENOUILLEAU, Alexandre ORTS : Retour sur une «séquence» syndicale ◊ Mathilde PANHALEUX : Un syndicalisme d’avenir ◊ Maxime BERGONSO : Travailler pour le rural ◊ Aurélien CADIOU : L’engagement des apprentis ◊ Antoine REYDELLET : Repeupler les villages ◊ Edouard BERNASSE : La liberté contrainte ◊ Julian GUERIN, Quentin PANISSOD, Caroline SPAN : Quelle Tech pour demain ? ◊ Sofia KRIEM : Congé menstruel – déterminisme biologique ou mesure d’inclusion ? n L’ENTREPRISE, FRONTIÈRE DU SOCIAL Page 68 ◊ Antoine AMIEL : Les cols gris ◊ Jordan CALMARD : Les RH après la crise sanitaire Témoignage ◊ Yann-Maël LARHER : Où sont les chercheurs dans les entreprises françaises ? ◊ Dylan MONCHAUX : Un PSE signé en temps de crise sanitaire ◊ Laure SQUARCIONI : Transposer une expertise dans des milieux professionnels différents ◊ François PERRIN : Socialdemain et après ? n n n n TROMBINOSCOPE DE LA 2èmePROMO Page 85
2 ème édition 2021 Rapport d’étonnement INSPIRATION, ASPIRATION, RESPIRATION La deuxième Promo’ Social Demain périence ou une approche différentes véritable esprit Social demain qui per- a confirmé le succès d’une initiative de ce qu’ils connaissent : l’entreprise, le dure au-delà du temps du programme, qui a vu le jour comme un pari, fin dialogue social, le syndicalisme, la poli- de favoriser l’intérêt mutuel et l’envie 2019, et s’est installée depuis comme tique, l’engagement dans la société ci- de réfléchir ensemble pour bâtir un une évidence dans le paysage de la vile et beaucoup d’autres choses encore. objet tel ce rapport d’étonnement que réflexion sur le social. nous proposons à votre curiosité. n La crise sanitaire n’a évidemment pas facilité un tel programme. Pourtant, Ce dispositif n’aurait pas été possible comme l’ensemble des Français, Social sans le soutien de partenaires bienveil- Demain s’est adapté à la contrainte lants et d’un jury engagé, présidé par pour chercher à mettre en place une or- Claire Guichet, ancienne présidente de ganisation qui facilite, malgré tout, les la FAGE, et Pierre Ferracci, président du échanges. Désormais, chaque rencontre groupe Alpha, mais également de tous « inspirante » avec une personnalité est ces jeunes qui ont joué le jeu de la can- systématiquement tenue en visioconfé- didature et de la Promo’. rence et enregistrée puis mise à disposi- tion sur l’intranet de Social Demain : de Qu’est-ce que ces lauréats attendent cette manière, on rétablit une véritable d’un tel programme ? De l’inspiration égalité de traitement entre membres d’abord, ce que leur offrent les ren- de la Promo’ sur l’ensemble du terri- contres avec toutes ces personnalités toire, voire avec des personnes se trou- du social qui acceptent de se présenter vant à l’étranger ou en outre-mer ; une à eux dans une démarche de transmis- égalité également entre celles et ceux sion ; de l’aspiration ensuite, que consti- qui disposent d’une souplesse d’orga- tuent les échanges – organisés ou spon- nisation et d’autres jonglant entre les tanés – qu’ils nourrissent entre eux ; de horaires de travail ou familiaux. En re- la respiration enfin que représentent vanche, et dans la mesure du possible, tous ces moments au cours desquels ils les échanges entre membres de la Pro- acceptent de se confronter avec ce qui mo’ se tiennent physiquement. C’est la n’est pas eux, c’est-à-dire avec une ex- garantie de construire dans la durée un Merci à Claire Guichet, Pierre Ferracci et à toutes les personnalités et partenaires qui soutiennent Social Demain ! Philippe CAMPINCHI et Denis MAILLARD Fondateurs de Temps Commun et de Social Demain. www.socialdemain.fr
2 ème édition 2021 Rapport d’étonnement UN REGARD FRAIS ET NÉCESSAIRE SUR LES ENJEUX DU SOCIAL Offrir un espace d’échanges et de Construire ensemble un monde du tra- partage à la génération des lea- vail inclusif, responsable et serein, c’est ders de demain sur les questions la raison d’être de Human & Work. sociales, telle est la belle ambition de Social Demain depuis sa création Partenaires de Social Demain, nous il y a trois ans. C’est aussi l’oppor- sommes tous heureux de voir arriver tunité de confronter la vision et une nouvelle génération de penseurs les réflexions de la génération des et d’acteurs du social, pour apporter un moins de 35 ans avec celles des plus regard « frais », voire impertinent sur « ancien.nes » d’entre nous, celles les questions qui secouent la société et ceux qui naviguent parmi les pro- aujourd’hui et qui nous occupent au blématiques des relations sociales, quotidien. Comment prendre soin des des enjeux de RSE, d’inclusion ou de gens ? Comment garantir le bien-être au santé publique depuis un certain travail, prévenir les risques psycho-so- nombre d’années déjà. ciaux, traiter au mieux les situations de harcèlement ? Mais aussi comment Cette volonté de pousser une nouvelle améliorer l’employabilité de tous, des génération à nous bousculer par son plus jeunes aux seniors, comment favo- regard différent et indispensable sur les riser l’inclusion et l’égalité profession- enjeux de société d’aujourd’hui, nous y nelle ? Comment accompagner les ma- avons adhéré immédiatement au sein nagers confrontés aux transformations de Human & Work. Tellement, d’ail- du travail ? Enfin, comment renouveler leurs, que nous avons été ravis que deux les relations sociales, en engageant l’en- de nos collaboratrices se présentent semble des parties prenantes de l’entre- parmi les candidat.es des deux pre- prise, internes comme externes, dans mières promotions de Social Demain. un dialogue social élargi ? La nécessité de faire émerger ce regard La crise sanitaire que nous vivons de- nouveau, d’encourager la jeune géné- puis deux ans bientôt a fait émerger ration à s’engager sur les enjeux du ces questions de façon plus prégnante, « care », de l’attention portée à l’Humain dans les entreprises comme dans l’en- au sein des entreprises, c’est aussi une semble de la société. J’ai confiance dans conviction profonde qui nous anime la nouvelle génération pour apporter chez Human & Work. Nous essayons des réponses différentes à ces ques- David MAHÉ de la mettre en œuvre au quotidien tions. Et nous sommes là pour encou- Président du dans nos pratiques, nos organisations rager les leaders de demain à partager groupe Human & Work et notre gouvernance, en associant leur vision du social le plus largement nos équipes au futur de notre groupe. possible. n www.socialdemain.fr
2 ème édition 2021 La Promo’ des 50 6 mois d’ateliers et de rencontres... DÉCEMBRE n 15/12/2020 : pense donc j’agis... avec Phi- rée. n 04/03/2021 : Atelier de Révélation de la Promo’ en lonomist avec Anne-Sophie la Promo’ n°2. n 09/03/2021: présence du Jury présidé par MOREAU, rédactrice en chef Masterclasse avec Véronique Claire GUICHET et Pierre de Philonomist et membre BARLA, ancienne respon- FERRACCI. de la Prmo’ social Demain sable de l’analyse sociale 2020. n 10/02/2021 : Retour à EDF. Comment mesurer le JANVIER n 07/01/2021 : Zoom d’expérience Comment peut- climat social et analyser les si- Promo’n°1. n 08/01/2021 : on être ministre du Travail ? gnaux faibles ? n 11/03/2021: Les coulisses d’un média RH avec Myriam EL KHOMRI. Retour d’expérience avec avec Laurent PILLIET et Fa- n 17/02/2021 : Groupe de lec- Isabelle MOREAU, direc- bien CLAIRE, dirigeants de ture animé par Anousheh trice de la rédaction du pôle News Tank RH. n 12/01/2021 : KARVAR, Déléguée du Gou- RH-Protection sociale de Zoom Promo’n°2. n vernement français auprès l’AEF, ancienne présidente 14/01/2021 : Zoom Promo’n°3. de l’OIT autour de l’ouvrage de l’Association des journa- n 19/01/2021 : Zoom Pro- de de Sandel Michael J., Ce listes de l’information so- mo’n°4. n 21/01/2021 : Zoom que l’argent ne saurait acheter ciale. n 15/03/2021 : Retour Promo’n°5. n 22/01/2021 : : les limites morales du marché d’expérience avec Claude Forum Social Demain avec n 18/02/2021: Masterclasse Evin, ancien ministre de la Raphaël LLORCA Le monde avec Laetitia VITAUD Ce que Santé : forces et les faiblesses d’après : l’entreprise-provi- le virus à fait au travail : sept du politique devant des lob- dence ? n 25/01/2021 : Ciné So- tendances du future of work. n bys puissants. n 16 /03/2021 : cial Club En guerre avec Jean 24/02/2021 : Retour d’expé- .Lecture au Faubourg avec GROSSET, ancien numéro 2 rience avec Benjamin RAI- Jérôme SAINTE-MARIE au- de l’Unsa, directeur de l’Ob- GNEAU, ancien DRH de la tour de Bloc contre bloc : La servatoire du dialogue social SNCF et membre de la Promo’ dynamique du Macronisme, de la Fondation Jean-Jaurès. Social Demain 2020 : DRH de Paris, éditions du Cerf, 2019. n 26/01/2021: .Lecture au Fau- la SNCF à moins de 35 ans. n n 17/03/2021 : Masterclasse bourg avec Didier LESCHI, 25/02/2021 : Ciné Social Club avec Dominique LIBAULT, Préfet et Directeur de l’Office Ressources humaines avec directeur de l’École Natio- français de l’immigration Thomas XANTIPPE secré- nale Supérieure de Sécurité et de l‘intégration (OFII) et taire général des Assises du Sociale (EN3S) : Les défis de la auteur Ce grand dérangement droit social et Promo’ Social protection sociale au XXIème L’immigration en face Ed. Gal- Demain 2020 n 26/02/2021 siècle. n 22/03/2021 : Ciné So- limard 2020. n 28/01/2021 : : Forum Social Demain avec cial Club Corporate ave Mi- Atelier de la Promo’ n°1 Por- Olivier TIRMARCHE Le nou- chaël PRIEUX inspecteur du trait de Groupe. vel horizon de la productivité En travail à Rouen et Laurent finir avec le surtravail. ZYLBERBERG ancien Direc- FEVRIER n 02/02/2021 : Re- teur des relations sociales tour d’expérience Le ma- MARS n 01/03/2021 : Retour chez Orange. n 25/03/2021 : nagement de la sûreté avec d’expérience avec Laurent Ciné Social Club Mr. Smith Jean-Philippe BAINIER GRANDGUILLAUME, ancien au Sénat avec Antoine SIRE, ancien dirigeant de sites député de la Côte-d’Or, pré- directeur de l’engagement de production d’électrici- sident bénévole de l’associa- de BNP-Paribas et Sacha té d’origine nucléaire. n tion nationale Territoires HOULLIE, député LREM de 04/02/2021 : Masterclasse Je zéro chômeur de longue du- la Vienne, membre de la pre- www.socialdemain.fr
2 ème édition 2021 La Promo’ des 50 6 mois d’ateliers et de rencontres... mière Promo’ Social Demain. avec Olivier PASTOR, Co-fon- 27/05/2021 : Ciné Social Club n 26/03/2021 : Forum Social dateur de l’Université du Dark Waters avec Claire GUI- Demain avec Yann-Maël Nous, expert en gouvernance CHET co-présidente du Jury LARHER - avocat et membre partagée : Outils et Postures Social Demain. de la deuxième Promo’ Social de la Gouvernance Partagée. JUIN n 02/06/2021 Rencontre Demain - pour son ouvrage n 22/04/2021 : Masterclasse Promo’. n 03/06/2021 : ES- Le droit du travail à l’heure avec Claude Emmanuel Sisation et ESS politique avec du numérique. n 30/03/2021 TRIOMPHE sur le thème En- Erwan TISON directeur des : Groupe de lecture animé gagements sociaux d’hier et études de l’Institut Sapiens par Thierry ROCHEFORT d’aujourd’hui. n 27/04/2021 : et Nicolas HAZARD pré- responsable du DU Manage- Masterclasse avec François sident fondateur d’INCO. n ment de la qualité de vie au MATTENS, co-fondateur d’un 08/06/2021 Rencontre Pro- travail et santé de l’IAE de accélérateur de start-up et di- mo’ n 23/06/2021 Rencontre Lyon, autour de l’ouvrage On recteur des affaires publiques Promo’. n 25/06/2021 : Fo- ne change pas l’entreprise par et de l’innovation dans le sec- rum Social Demain Les struc- décret de François DUPUY. n teur industriel L’intelligence tures de l’ESS, proposent-elles 31/03/2021 : Masterclasse avec situationnelle, une compétence (vraiment) des modèles de Alain BAUER, criminologue pour réussir dans un monde in- travail plus durable : le mythe : Tout le monde déteste-t-il la certain. n 30/04/2021 : Forum et la réalité avec Camille police ? Violence et maintien de Social Demain : L’entreprise DORIVAL consultante chez l’ordre : un problème de mana- doit-elle être woke ? avec Be- Coopaname (ex-directtrice gement ? noît LOZE, directeur du plan- générale d’Alternative éco- ning stratégique d’Havas. nomique) et Céline JULIEN AVRIL n 08/04/2021 : Mas- coach et formatrice (Ex- terclasse avec Elise DEBIES MAI n 04/05/2021: .Lecture DRH d’Emmaüs France). n Directrice de l’Institut des au Faubourg avec Julien 26/06/2021 Rencontre Pro- hautes études de protection DAMON Professeur associé mo’. n 29/06/2021 Rencontre sociale : La data surveillance à Sciences Po, Conseiller Promo’. n 30/06/2021 Ren- en temps de crise sanitaire. scientifique de l’Ecole Na- contre Promo’. n 12/04/2021 : Rencontre tionale Supérieure de Sécu- autour de la question du tra- rité Sociale (En3s), Chroni- JUILLET 2021 vail avec Laurent BERGER queur aux Échos et au Point. n 06/07/2021 : Atelier de la Secrétaire général de la n 06/05/2021 : Atelier de la Promo’ n°4. CFDT et Philippe MARTI- Promo’ n°3. n 11/05/2021 : NEZ Secrétaire général de la Groupe de lecture animé CGT. n 15/04/2021 : Retour par François-Xavier PETIT, d’expérience avec Sebastien directeur général de Ma- MOREAU autour de la candi- trice, autour de l’ouvrage dature de Paris aux Jeux Olym- Robert CASTEL Les Métamor- piques. n 19/04/2021 : Master- phoses de la question sociale : classe avec Céline JULIEN, Une chronique du salariat. n ancienne DRH d’Emmaus et 25/05/2021: Masterclasse Les coach : la quête de sens au tra- travailleurs détachés avec vail, entre mythe et besoin, com- Christophe TEISSIER, Asso- ment ne pas en faire un dogme ? ciation Travail, Emploi, Eu- n 20/04/2021 : Masterclasse rope, Société (ASTREES). n RAPPORT D’ÉTONNEMENT 1° ÉDITION SOCIAL DEMAIN 2021 www.socialdemain.fr
L’ENGAGEMENT, ENTRE SENS ET CONFIANCE Pourquoi s’engager ? Comment s’enga- rait alors sur le reste de l’existence comme ger ? Et jusqu’où ? Mais aussi comment un surcroît d’âme, et la confiance dont achever dans de bonnes conditions des il faut aussi s’armer pour se glisser dans années d’engagement associatif, syndical, des appartenances plus grande que soi. politique ou tout simplement profession- Fondées sur des expériences personnelles nel ?... ou des réflexions plus académiques, voire des interventions au style plus libre, ces Les textes réunis dans ce chapitre ques- contributions donnent une idée de la soif tionnent tous la question de l’engage- d’action qui anime les membres de Social ment « entre sens et confiance ». Car tels Demain. apparaissent, au fil de la lecture, les deux pôles de l’action collective : le sens dont serait porteur l’engagement et qui rejailli- RAPPORT D’ÉTONNEMENT 2° ÉDITION SOCIAL DEMAIN 2021
8 sens et confiance L’engagement, entre VERTIGE DE L’ENGAGEMENT Très impliquée, dès le plus jeune âge, dans des structures associatives et militantes – jusqu’à devenir vice-Présidente de la FAGE - Lina Arnaud, étudiante en santé publique, revient ici, en expérience et métaphores, sur les réalités de l’engagement aujourd’hui. « Engage-toi, ça fera une bonne ligne sur le CV », « Rentre dans une asso étudiante, ça nourrira ton futur réseau professionnel »… Beaucoup de nos parents et profes- seurs formulent régulièrement de tels arguments pour nous pousser dans les voies de l’engagement. Au demeu- rant, je ne suis pas certaine que notre génération ait besoin de trouver des raisons parallèles pour choisir de devenir bénévole, tant prendre part à un projet associatif semble tout simplement constituer le langage que nous avons choisi pour nous exprimer, et réagir à ce qui compose le monde qui nous entoure. L’engagement, c’est évident Restons tout de même réalistes : même si beaucoup de jeunes engagés qui gravitent dans les milieux bénévoles sont plutôt sensibilisés à l’importance d’aller voter, il semble que nous soyons fatalement déjà convaincus que nos projets locaux changeront davantage notre société qu’un papier glissé dans une urne. C’est d’ailleurs mûs par cet élan un peu candide que beaucoup de jeunes (près de 20% des 15-34 en 2020) poussent la porte du fameux monde des engagés. D’expérience, pour eux, deux itinéraires se dessinent en- Lina ARNAUD Étudiante en santé publique, suite, dans cette aventure. Concernant le bénévole soumis ex-vice-Présidente de la au trio des ultimatums financier, familial et académique, FAGE (2019). Coordinatrice il empruntera par défaut la 2 voies à 90 km/h. Une voie au jeunesse de la campagne de rythme tendu, plutôt risquée dans la mesure où les obsta- Cédric Villani. Responsable d’unité Scouts et guides de cles arrivent de face, imposant une vigilance permanente France (SGDF). pour garantir un équilibre entre vie personnelle et vie
9 sens et confiance L’engagement, entre associative. A l’arrivée, il pourra parfois rejoindre une ciatifs constitue un phénomène assez emblématique route de campagne, ou une avenue mieux implantée de ce malaise. Même la façon dont on s’exprime n’est dans l’espace urbain, sans avoir perdu complètement plus la même : nos phrases, inspirantes autrefois, se li- ses repères. Son mandat associatif aura marqué son mitent désormais à des éléments de langage dédiés à cheminement, mais se sera développé au même titre des thématiques que très peu de personnes, a fortiori que tous les autres aspects qui dessinent un parcours les jeunes générations, ne maîtrisent ni n’éprouvent le de vie. En un sens, on pourra dire que ce jeune aura souhait d’aborder. vacillé dans une sorte de “zone proximale d’engage- ment”. Les enquêtes actuelles dénoncent souvent l’obsoles- cence programmée des outils que nous manipulons. Ce bénévole, qui deviendra le futur cadre permanent J’ai un peu, parfois, l’impression que le rêve associatif, d’une structure, s’embarque lui, d’entrée, sur l’auto- pour les jeunes qui le vivent, porte dans son ADN le route. Une voie encore plus rapide, où les sorties ne même goût d’une confrontation inéluctable au monde sont envisageables qu’à certains moments bien mar- dit “réel”. Dans laquelle il reste peu envisageable de qués, mais qui confère plusieurs avantages : un cadre l’emporter. Car sortis de nos mandats, nous vivons un protecteur, pour des militants bien protégés par les vrai choc, une prise de conscience nécessaire, au mo- barrières de sécurité de leur structure d’engagement, ment de valoriser nos compétences auprès du monde lancés sur un axe droit et continu. Ce serait folie, alors, universitaire ou professionnel : si l’expérience que de stopper net sur une bande d’arrêt d’urgence, pour nous nous faisons du monde est très enrichie, nourrie risquer de tout perdre ! Ainsi, pour lui, les années uni- d’acquis qui ont forgé des personnalités pleines de versitaires passent, les prises de responsabilité s’en- ressources, cette vision ne peut se traduire dans l’im- chaînent, les nuits se raccourcissent sans cesse, pour médiat. concilier validation des examens et conduite des pro- jets. C’est un peu comme le négatif d’une photo bien ca- drée. En ce sens, nous sommes prématurément en Et quand la part d’engagement devient plus impor- mesure de décrypter les codes du monde politique et tante que les impératifs académiques, impossible managérial, auquel il nous reste impossible d’accéder de savoir qui de la poule ou de l’œuf nous pousse à directement sans nous placer en situation d’insécu- continuer l’aventure : délaissons-nous nos études rité. En effet, accepter directement en sortie de man- pour mieux nous engager, ou nous engageons-nous dat un poste à responsabilités, dans un conseil ou un pour mieux fuir nos études ? Impossible (et inutile) de groupe politique, semble évident – mais le fruit est chercher une vraie réponse à cette question, tant elle empoisonné : dans ce nouveau monde, rien ne garantit interrogerait ce que nous ne souhaitons pas question- l’emploi permanent sur toute une carrière, si ce n’est la ner – surtout quand on est impliqué à 200% dans des confiance en des promesses qui seront sûrement vite actions. oubliées. Un jour, notre talent sera forcément rempla- cé par celui d’un autre, les idées du groupe que nous L’ivresse, liée au caractère imprévisible de cette route, défendons ne seront peut-être plus en accord avec nos nous fait vivre dans un espace-temps parallèle. Et sans idées, ou alors s’imposera la simple envie de quitter ce doute parce que finalement, ce monde-là demeure as- milieu engagé. sez restreint, nous formons peu à peu notre promotion de jeunes engagés – qui ne portent le logo d’aucune Mais alors, quel sera notre passeport pour rebondir ? grande école mais accèdent pourtant à des sphères de Car l’engagement associatif doit compléter un par- décisions qui les dépassent quotidiennement. cours qui sécurise notre devenir (contrairement à ses parents, la génération Z doit absolument assurer son embauche par le diplôme). Dans notre cas, le diplôme Désenchantement programmé doit nous permettre d’accéder… aux mêmes responsa- bilités que celles de notre précédent mandat, en “re- Ainsi, la permanence de notre statut associatif fait de partant de zéro” en quelque sorte. nous les équipiers polyvalents du monde politique, absolument inadaptés aux contraintes du monde qui Si le système de l’enseignement supérieur promet au- nous entoure : famille, diplôme, vie sociale, salaire, lo- jourd’hui la reconnaissance d’une certaine forme d’en- gement… Les moines-soldats que nous sommes deve- gagement, il n’offre absolument pas la possibilité de nus ne savent généralement plus trop comment se pré- convertir ce dernier en validation d’acquis théoriques – senter. Notre identité personnelle, en effet, a presque ni même, parfois, pratiques. Cette transition peut alors intégralement fusionné avec le projet que nous avons être vécue comme une forme de sanction, le diplôme incarné. A ce titre, la conversion de nos CV en CV-asso- qu’il faut décrocher devant traduire dans un langage
10 sens et confiance L’engagement, entre universel quels professionnels nous sommes devenus. conseiller aux jeunes qui souhaitent se lancer dans le Même si, bien sûr, nier les apports nécessaires offerts “grand bain” associatif. Stricto sensu, elle ne peut se par les formations universitaires serait faire preuve vivre sans inviter à la table une forme de démesure (au d’une coupable désinvolture. même titre qu’il est impossible de rouler à 90 km/h sur l’autoroute). Mais si l’observation rétrospective des Certes, la fin d’une aventure associative passe souvent parcours des “retraités associatifs” nous enseigne une par une fracture dans notre parcours, une forme de chose, c’est qu’il faut ensuite apprendre à déconstruire deuil à surmonter. Mais cette introspection m’apparaît l’ubris que le monde syndical ou associatif façonne en finalement salvatrice, tant elle ouvre la voie à d’autres nous, et à admettre lucidement que notre avenir doit parcours de réussite. Au final, je ne saurais quoi se construire… sur des fondations diversifiées. n
11 sens et confiance L’engagement, entre ASSOS, SYNDICATS, ÉLUS POLITIQUES : CROISER LES REGARDS Ancien Secrétaire général d’Action contre la faim, Dorian Dreuil vient, entre mai et juin dernier, de créer l’association A Voté et de rejoindre la Fondation Jean Jaurès. De son côté, Maxime Blondeau, récent cofondateur d’une coopérative de voyage en voiliers, Sailcoop, a lancé début 2020 le Printemps écologique, le premier éco- syndicat. Entretien croisé, sur la mobilisation citoyenne et les modes d’action, au moment où Maxime BLONDEAU Enseignant, cofondateur et le premier vient d’accepter de rejoindre le CA du porte-parole du Printemps écologique, premier éco- syndicat créé par le second. syndicat, créé en 2002, qui milite pour inscrire l’impératif écologique dans le Code du Travail. Quel état des lieux de l’action collective, et de sa perception dans la population, êtes-vous en mesure de dresser, au- jourd’hui ? Dorian Dreuil : Ma motivation, quand j’ai créé A Voté, avec un collectif de citoyens engagés, était de répondre à deux paradoxes particulièrement prégnants depuis 2014 – et en particulier 2017, quand où on nous a annoncé le “grand big bang du renouveau démocratique”. D’abord, le point commun de toutes les mobili- sations collectives depuis lors, malgré des sociologies d’action et des moteurs d’indignation différents, est le sentiment que le ci- Dorian DREUIL toyen n’a plus de pouvoir, qu’il n’a pas droit de cité. Cette volonté Consultant en communication individuelle des citoyens de disposer de canaux, pour exprimer et en mobilisation citoyenne, des choses, n’est plus seulement du ressort de quelques bénévoles co-Président de A Voté, membre de l’Observatoire de associatifs. la vie politique de la Fondation Ensuite, alors que nous sommes indéniablement dans une so- Jean Jaurès, ancien Secrétaire général d’Action contre la ciété de l’engagement – avec une myriade de gens qui se mobi- faim, auteur du livre Plaidoyer lisent -, il apparaît que les combats se structurent moins autour pour l’engagement citoyen d’organisations que de causes, avec une soif de concret, une vo- (VA Editions, 2019). lonté d’avoir un impact à petite échelle plutôt qu’au sein d’une
12 sens et confiance L’engagement, entre énorme structure qui proposerait de “changer la vie”. Un DD : Je suis d’accord avec Maxime, en particulier sur la dé- phénomène qu’il est intéressant de corréler avec la baisse de territorialisation, alors même que pendant le premier confi- participation électorale. Il apparaît, à tort ou à raison, que nement, il y a eu beaucoup d’actes de solidarité en proximité. la politique telle qu’on la connaît n’a plus le monopole du Car ce ré-ancrage territorial n’a à mon avis pas duré au-delà changement effectif – ce changement est aussi porté, plus de la période de crise. Aujourd’hui, l’énergie associative se que jamais, par des associations, des syndicats, des ONG, des concentre beaucoup plus sur des causes et des enjeux. structures de l’ESS… Sur la dimension intergénérationnelle, je constate que cela Dans ces deux paradoxes, le point commun n’est-il pas dépend beaucoup de la structure du groupe dirigeant des la question de la représentation ? structures concernées. Pour certaines de ces dernières, cette question constitue un enjeu d’avenir ; d’autres, en revanche, DD : Oui. Qu’est-ce qu’on fait pendant les cinq ans qui sé- jouent au contraire pleinement la fracture. Mais il reste in- parent deux élections de représentants politiques ? A ce titre, téressant de constater que de plus en plus d’espaces existent Maxime constitue un bon exemple : quand on ne trouve pas désormais, qui permettent aux leaders d’organisations de sa place dans une organisation qui existe depuis 50 ou 60 croiser les regards. ans, on n’hésite plus aujourd’hui à créer sa propre organisa- tion. Faut-il y voir une tentative de “refaire” société civile, dans un paysage, justement, décrit comme très fractu- Maxime Blondeau : Mon ressenti, qui n’est pas basé sur ré ? une analyse profonde ni une batterie de chiffres, c’est que l’on trouve, d’un côté, un affaiblissement d’une forme d’en- DD : On remarque en effet, depuis 3/4 ans, une forme de gagement collectif, lié à un affaissement de la transmis- retour de la société civile, après que cette expression a été sion d’un certain nombre de cadres d’action collective qui un peu usée, dans tous les sens du terme, en 2017. Toute la furent extrêmement structurants pour la société des 80 sémantique marketing développée alors a vidé le concept dernières années. Il y a cinquante ans, si l’on naissait dans de son sens, au point que l’on a assisté ensuite à un retour une famille engagée dans le socialisme, ou dans un univers de la société civile, qui n’acceptait plus que l’on parle en son chrétien démocrate, dans 90% des cas on reprenait, à peine nom. On a donc vu ce retour du corps intermédiaire – mais majeur, le flambeau. Et si son grand-père était syndicaliste d’un corps intermédiaire en phase de réinvention -, après un dans l’usine du coin, on avait de grandes chances de le de- temps où il a été effacé, où tout était très “descendant”. Ce venir à son tour. qui a démontré, aussi, l’importance des capteurs d’opinion, des relais de transmission entre les dirigeants politiques et Mais au même moment, tout un éventail de nouvelles mo- les citoyens. dalités d’action collective, formes de mobilisation, lieux d’expression s’est développé. A titre personnel, je regrette MB : J’ai personnellement un problème avec le concept de que ces derniers espaces et formes d’engagement soient “société civile”. L’ensemble des salariés adhérant à un syndi- essentiellement déterritorialisés : ils ne vont plus concer- cat en font-ils partie ? Juridiquement, non. On accole souvent ner le voisin, le lieu de travail, la ville de résidence mais de l’expression à ce qui n’est pas “les partis politiques”… La dé- grandes causes nationales, européennes voire mondiales finition du périmètre de société civile, en somme, m’apparaît – comme l’écologie. La nouvelle génération explore ainsi très floue, ce qui contribue à mon avis à consolider la barrière de nouveaux territoires de mobilisation, avec une envie au entre les politiques et le reste de la population, à accroître le moins équivalente à celle des plus anciennes de changer le fossé entre l’action publique et l’engagement citoyen. Et ce, monde. Ce qui induit, depuis deux décennies, une reconfi- alors même que la défiance croissante à l’égard du monde guration complète des structures de l’action collective avec, politique, des médias et des syndicats n’est plus un secret comme toujours dans ces cas-là, des choses que l’on perd et pour personne. Pour le reste, je rejoins pleinement l’analyse d’autres que l’on gagne. de Dorian : juste après l’élection d’Emmanuel Macron, la population a repris espoir dans le politique, l’action du gou- Faut-il donc prendre acte d’un schisme irréversible vernement. Ensuite, la confrontation avec la réalité a provo- entre les générations ? qué une déception si grande que le corps politique ne trouve désormais plus grâce aux yeux de personne. MB : Non. Sur mon terrain de militantisme, en Bretagne, je constate au quotidien qu’il y a vraiment de tout. De nouvelles DD : De mon côté, quand je parle de société civile, j’y inclus initiatives suscitent l’intérêt de personnes de 60 ans ou plus, tout ce qui relève de la démocratie contributive, de l’enga- tandis que certains jeunes de 25 ans sont englués dans des gement en-dehors du champ électoral ou partisan. Mais schémas plus traditionnels, des prolongements du XXème je partage la réserve de Maxime : tandis que 2017 devait siècle. Je ne dis pas que cette reconfiguration contribue à un constituer l’apogée de la recherche d’acteurs non issus du schisme intergénérationnel, mais à un schisme culturel. champ politique classique (pour renouveler ce dernier), il
13 sens et confiance L’engagement, entre faut désormais aller encore plus loin pour renouveler le per- associatif n’a jamais été aussi forte. Je pense que ce phéno- sonnel politique. mène de distanciation vis-à-vis du territoire ou de la réalité sociale, ce comportement un peu “hors sol” des mobilisations Vit-on une période de transition, qui attend d’être or- de certains – y compris des plus virulents – naît également ganisée pour sortir d’un apparent “fouillis” ? de cette crainte paradoxale de l’exposition. Il s’agit pour moi d’un sujet-clé quand on parle d’action collective. MB : Pour créer une transformation de structure paradig- matique au sein d’un système aussi complexe que le nôtre, DD : Quand on essaie de prendre une photographie du il faut agir à trois niveaux : enseignement (à destination des monde des corps intermédiaires, on trouve effectivement nouvelles générations), action politique (pour changer le au moins le même niveau de défiance à l’égard du monde cadre législatif) et proposition d’alternative (pour remplacer politique que chez les citoyens à l’échelle individuelle. Par un système obsolète). J’essaie de le faire, en tant qu’ensei- conséquent, vouloir être à la fois engagé associativement et gnant, que porteur d’initiatives alternatives et que candidat politiquement apparaît immédiatement comme suspect : on politique - aux élections départementales de Vannes. prête instantanément des intentions coupables à celui qui voudrait s’y essayer. « Gare à ne pas franchir le Rubicon ! », Sur mon territoire, le tissu associatif climat et alimentation semblent intimer les acteurs associatif, qui par conséquent rassemble 200 à 250 associations, face à des élus locaux qui induisent une dichotomie susceptible de pétrifier les candi- disposent de plusieurs centaines de milliers d’euros de sub- dats à une telle “hérésie”. ventions à accorder. Or, alors que les personnels politiques de droite ont toujours mené un travail main dans la main avec Ce qui m’a d’ailleurs empêché, jusqu’ici, de cocher la case le tissu associatif local, les représentants de ce collectif re- de l’action politique parmi les trois proposées par Maxime. chignent à se rapprocher des élus du territoire - ce qui me pa- Vouloir intervenir en politique, ce serait, à en croire certains, raît très dommageable, et même dangereux tant pour notre perdre immédiatement la dimension désintéressée de l’ac- société que pour notre démocratie. Je milite au contraire, de tion associative. A terme, cette conception manichéenne mon côté, pour un renforcement du lien entre action poli- constitue un vrai danger pour l’engagement (en produisant tique, par le biais d’un mandat public, et société civile, pour une organisation en silos déconnectés ou de l’apathie démo- enclencher des transformations profondes. cratique). Au contraire, je pense que rien n’est incompatible, et qu’une démocratie qui fonctionne nécessite des croise- Comment expliquez-vous cette réticence ? ments de regards constructifs entre élus, acteurs associa- tifs et syndicaux. Il faut cultiver une forme de pragmatisme MB : Cela tient à mon avis à la notion de rapport au risque. d’impact dans son action, sous peine de ne jamais parvenir L’un des principaux freins à notre développement, en tant à transformer la société. A ce titre, l’aller-retour entre les que syndicalistes, est la crainte de l’exposition. On a du mal, mondes politique et associatif ne doit pas être systémati- aujourd’hui, à trouver des gens qui acceptent de prendre le quement perçu comme suspect, a fortiori au niveau des terri- risque personnel de devenir le visage d’une mobilisation, par toires : il faut l’encourager ! n exemple sur un lieu de travail. Ceci, aussi, parce que socia- lement, on ne valorise plus le rôle des corps intermédiaires, alors même que la confrontation entre mondes politique et
14 sens et confiance L’engagement, entre LA SOCIÉTÉ DE LA DÉFIANCE Partageant un même constat sur le climat de violence et de défiance qui règne en France, Margot Le Guen et Emilie Schmitt tentent ici de comprendre d’où il provient, d’en comprendre et d’en cerner les conséquences… voire les remèdes. Leur postulat : au-delà du mécontentement général, la société française souffre d’une défiance profonde, aux multiples aspects, qui menace l’adhésion commune au socle des valeurs républicaines. I l est facile de s’accorder, tous bords politiques confon- dus, sur le fait qu’il existe aujourd’hui un sentiment général de ras-le-bol, de clivages insolubles ; un climat de violence. Les enquêtes sur cette ambiance générale sont nombreuses, ainsi que les faits politiques associés (théo- ries complotistes, fake news, crise des Gilets jaunes, mani- festations “anti-pass” sanitaire). Tout porte à penser que Margot LE GUEN notre système social et politique est trop essoufflé pour Co-fondatrice de CliMates, ex- autoriser espoir et optimisme. Il est bien moins aisé, en Secrétaire du CSE et référente «Harcèlement sexuel» revanche, d’attribuer des contours précis à l’hypothétique (Total Eren). Responsable source de ces fractures. «Investissements, Transition écologique & Energétique» à la Caisse des Depôts. Confiance, défiance : définitions En mars 2020, l’analyse du Baromètre de la confiance poli- tique (Fondapol, Institut Montaigne, Fondation Jean Jaurès) par le politologue Bruno Cautrès pointait « une logique de descente aux Enfers en matière de perception par les Français du système démocratique et du personnel politique. » De fait, mal- gré les recompositions partisanes depuis 2017, et malgré une apparente remontée avant la crise sanitaire, l’image Emilie SCHMITT des hommes et femmes politiques, celle des institutions Co-fondatrice et directrice à tous les niveaux semblent marquées par un prisme né- de l’association Activ’Action gatif. (insertion professionnelle). Ancienne Service civique Unis-Cités en partenariat avec Mais de quoi parle-t-on réellement ? Le sociologue Niklas le Défenseur des droits. Luhman définit la confiance comme « un simplificateur de
15 sens et confiance L’engagement, entre la complexité humaine », quand François Dress parle des agressions d’élus, violence verbale ad hominem d’un « sentiment de faire partie d’une société juste dans la amplifiée sur les réseaux sociaux… Selon Bruno Cau- durée. » Plus prosaïquement, on peut considérer l’acte très, le Baromètre de la confiance politique rapporte une de confiance comme une démarche visant à se fier image dominante de politiques « peu empathiques, voire à quelqu’un ou quelque chose, qui autorise des sen- corrompus, loin des préoccupations des Français, parlant de timents de stabilité, tranquillité voire certitude sur manière trop abstraite. » Ce sentiment, ajouté à celui des l’avenir. « promesses non tenues » et à la multiplication des “af- faires” ont poussé Emmanuel Macron à lancer le chan- La confiance implique l’engagement envers et avec tier de la «moralisation de la vie publique» – devenue autrui, la réciprocité et la solidarité. Le langage com- entretemps… «loi sur la confiance publique». mun nous invite d’ailleurs à la décliner sur trois ni- veaux : personnel (confiance en soi), interpersonnel D’autres figures d’autorité ou institutions font par (confiance en quelqu’un) et collectif (confiance en ailleurs l’objet de défiance depuis plusieurs années : l’avenir). Dans tous les cas, elle insinue une harmonie institution médicale (voir la perception actuelle de collective heureuse, qui s’impose durablement sur les l’industrie pharmaceutique ou de la parole de l’expert formidables diversités qui constituent toute forme de scientifique après la crise du Covid) ; école ; justice ; société. Ainsi, le contrat social ne serait-il pas une émo- forces policières ; sans même parler des partis poli- tion plus ou moins conscientisée ? tiques, syndicats ou médias… Quand on aborde le manque de confiance – notam- ment politique -, le terme de “défiance” s’impose Une défiance sociale multiforme souvent. S’agit-il donc du parfait antonyme de la “confiance” ? Rien de moins sûr. Etymologiquement, François Dress s’intéresse également au concept de sémantiquement, c’est la “méfiance” qui conviendrait “défiance sociale”, pointant les chiffres sur les inéga- mieux. La défiance, elle, sous-entend une réserve, voire lités croissantes pour justifier la défiance des moins une désapprobation plus forte, plus affirmée qu’un riches envers les élites économiques et culturelles. La simple “manque” de confiance. C’est en tout cas cette dénonciation de la “fracture sociale” n’est pas nou- définition que nous choisissons ici d’interroger. velle pourtant, et a fait l’objet de nombreuses ana- lyses (voire de discours de campagne politique...). En 1985, Marcel Gauchet écrivait, dans son Désenchante- Etat des lieux ment du Monde : « Un mur s’est dressé entre les élites et les populations, entre une France officielle, avouable, qui Dans La société de la défiance – Comment le modèle Fran- se pique de ses nobles sentiments, et un pays de marges, çais s’autodétruit, Yann Algan et Pierre Cahuc rappro- renvoyé dans l’ignoble, qui puise dans le déni opposé à chaient en 2007 la défiance (entre concitoyens, mais ses difficultés d’existence l’aliment de sa rancœur. » Et en aussi plus générale) et l’incivisme, et en dénonçaient 2010, Christophe Guilluy décrivait, dans sa France pé- le coût élevé pour la société (réduction d’emploi, de riphérique, le « gouffre idéologique et culturel » séparant croissance, et surtout d’aptitude au bonheur). De métropolitains multiculturels et ruraux/périurbains nombreuses études, quant à elles, s’accordent pour de souche, relégués. déplorer une défiance croissante à l’égard des pou- voirs publics, vus comme personne morale. Défiance Sur ce point, le dernier essai de Pierre Rosanvallon, s’illustrant tout particulièrement au travers du vote, Les épreuves de la vie : Comprendre autrement les Français, via une abstention croissante sur tous les scrutins vient nous fournir une clé d’analyse plus originale. Sa autres que le présidentiel, ou via la montée des ex- réflexion s’attache justement à ce qui nous intéresse trêmes. La remise en cause des principes républicains ici - la nature de la colère et des peurs -, en creusant (laïcité, égalité hommes/femmes) révèle aussi une les expériences négatives vécues ou perçues par nos forme de défiance morale, de rejet, “désalignant” les concitoyens. Expériences susceptibles de déborder fondations d’un système commun. Algan et Cahuc largement les classements sociologiques, démogra- expliquent en partie ce phénomène par des raisons phiques ou même géographiques traditionnels, et structurelles à une France jugée corporatiste (droits qu’il organise en trois catégories expliquant indirec- sociaux dépendant du statut socio-professionnel) et tement cette défiance multiforme : épreuves de l’in- hiérarchique (omniprésence de l’Etat-arbitre, frac- dividualité ou de la dignité (harcèlement, burn-out, tionnement vertical de la société). violences sexuelles) ; crises du lien social (inégalités sociales, injustices) ; et incertitudes sur l’avenir (chan- Mais si les pouvoirs publics sont décriés, les person- gement climatique, crises sanitaires). Cette dernière nalités politiques ne sont pas en reste : multiplication catégorie s’avère d’autant plus intéressante qu’elle
16 sens et confiance L’engagement, entre s’inscrit dans un cercle vicieux : si la figure d’autorité tions politiques et sociales, mais aussi dans la décen- suprême (l’Etat) est discréditée, comment parvenir à tralisation, des moyens efficaces d’apprendre la vie en se rassurer ? communauté, pour garantir dans la durée l’égalité et la liberté. Or des associations, entrepreneurs sociaux Inverser la tendance et d’autres agents de la société civile ont depuis long- temps développé des innovations sociales pour favori- La défiance tend donc à s’installer dans notre paysage ser la rencontre entre CSP, combattre les stéréotypes, français, menaçant notre système démocratique et so- ouvrir des espaces pour exprimer sa solidarité, sur- cial. Est-ce une fatalité ? On ne peut s’y résigner. Et si, monter les épreuves de la vie grâce au soutien de ses en 2020, 84,6% des Suisses déclaraient avoir confiance pairs… Sans oublier les expérimentations de gouver- en leur gouvernement (contre 41% des Français), cela nance partagée, dans le secteur privé, qui accordent démontre qu’il n’est pas impossible de (re)créer de la plus de pouvoir – et donc plus de responsabilités – à confiance entre les citoyens et le pouvoir politique. l’ensemble des parties prenantes. Pourquoi ne pas va- Mais comment ? loriser ces initiatives ? A coup sûr, cette défiance reculera une fois que des Pour souligner le paradoxe entre un pays « berceau de la solutions systémiques auront été mises en œuvre, philosophie des Lumières » et une propension hexagonale pour s’attaquer aux problèmes pris individuellement : à craindre l’ouverture et le changement, le sociologue exemplarité des dirigeants politiques, réforme de Philippe d’Iribarne parle d’une « étrangeté française ». l’école et de la justice, redistribution plus équitable Si l’on souhaite la dépasser, tout particulièrement en des richesses… Mais au-delà de ces décisions poli- temps de crise(s), il nous paraît primordial de redéfi- tiques fortes, il faut s’attaquer au sous-jacent profond nir les valeurs communes qui nous relient. Par-delà les de la crise politique et sociale actuelle. Pour ce faire, différences (visibles et invisibles) entre les individus l’OCDE nous propose plusieurs pistes d’actions pour qui composent notre société plurielle, il est indispen- restaurer la confiance : en premier lieu, créer des po- sable de revaloriser l’importance du lien social, du dia- litiques publiques basées sur la compétence et les logue et de la confiance interpersonnelle : « Alors que valeurs. Un gouvernement compétent doit en effet, les sociétés traditionnelles peuvent survivre même si on ne selon elle, « minimiser l’insécurité dans l’environnement fait confiance qu’à ceux que l’on connaît personnellement, économique, social et politique de ses citoyens », promou- la société moderne, elle, ne peut fonctionner que si les gens voir « l’intégrité par l’alignement des institutions publiques partent du principe qu’un inconnu n’est pas un ennemi a avec des normes de conduite plus larges », mais encore priori. » « s’engager à protéger l’intérêt public, atténuer la corruption et s’efforcer de garantir l’équité autant dans les processus Le moment est-il venu d’investir dans la vie en commu- que les résultats des politiques publiques. » En outre, « un nauté pour garantir dans la durée l’égalité et la liberté gouvernement basé sur des valeurs fera également preuve de chacun et chacune, comme le préconisait Tocque- d’un degré élevé de transparence et d’inclusivité. » ville ? D’investir dans des systèmes d’organisation so- ciale qui favorisent la confiance en soi, dans les autres Mais choisir des représentants compétents ne résou- et en l’avenir, pour arriver collectivement, un jour, à dra pas tous les problèmes. Il convient aussi, urgem- incarner concrètement nos valeurs républicaines ? A ment, de responsabiliser les citoyens, de redonner un n’en pas douter. n sens plein à la démocratie. Théorisées par Tocqueville, les « écoles de la démocratie » constituent à ce titre une piste à explorer. Ce dernier voyait dans les associa-
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