Suzanne Jacob Translations from Poèmes I - Mouvances Francophones
←
→
Transcription du contenu de la page
Si votre navigateur ne rend pas la page correctement, lisez s'il vous plaît le contenu de la page ci-dessous
1 Mouvances Francophones Volume 6, Issue-numéro 2 2021 Francophonies canadiennes, héritages & questions de langues dans l’écriture (post-)coloniale Dir. Servanne Woodward Suzanne Jacob Translations from Poèmes I Wilson Baldridge Wilson.Baldridge@wichita.edu Jeanine Hathaway Jeaninehathaway1945@gmail.com DOI: 10.5206/mf.v6i2.14105
2 Suzanne Jacob from Poems I1 Trans. Jeanine Hathaway and Wilson Baldridge Exergue Je n’ai jamais remonté de rivière. Ni la Ouesse, ni aucune autre. Je n’ai pas de mémoire. Je n’ai jamais appris l’histoire des humains. Il n’y avait pas d’histoire des hommes, là où je suis née. Nous étions les premiers, moi et mon père. Nous sommes entrés à l’hôtel, et les draps n’avaient encore jamais servi. Les phrases qu’on utilisait entre les hommes n’avaient pas servi souvent non plus. On inventait les mots à mesure et nous n’avions pas à en inventer tous les jours ni tous les mois, car les réalités étaient peu nombreuses. De plus, ces réalités-là portaient davantage à se taire qu’à parler. Sur le perron de l’hôtel, à partir de trois heures quinze, le samedi, des hommes s’alignaient et ils regardaient au-dessus du monde. J’ignorais l’existence de toutes les autres espèces d’humains. Oui, je croyais que nous étions seuls parmi la terre et ses animaux, et cela ne me donnait pas le sentiment de la solitude. Je n’ai pas le sens de l’histoire. Je n’en souffre pas. Le sens de l’histoire m’apparaît comme le virus d’une époque acharnée à faire la preuve qu’il y a déjà eu, sur la terre, des humains. Non. Sur la terre, il n’y a jamais eu que moi et mon père, circulant devant un hôtel où des hommes alignés regardent au-dessus du monde. — Comment sont-ils là ? ai-je demandé à mon père. — Il est sans doute passé trois heures quinze. Cela ne me donnait pas le sentiment de la solitude. Je n’avais pas de mère ; je n’en avais jamais eue. Personne, là où je suis née, n’a jamais eu de mère. Il y avait bien des femmes, oui, et elles étaient méprisantes. Elles crachaient par terre en circulant devant les hommes alignés qui regardaient au-dessus du monde. — Pourquoi crachent-elles ? ai-je demandé un jour à mon père. — Parce qu’elles croient à Dieu. — D’où vient Dieu ? — Dieu vient du crachat et c’est une histoire qui ne nous concerne pas. Mon père et moi, nous dormions ensemble. Puis, un matin, il n’a plus été vivant, mon père. Les hommes alignés m’ont aidée à le mettre dans la terre comme un noyau. Ensuite, les femmes sont montées et elles ont forcé la porte de ma chambre. Elles m’ont contrainte à me laver le corps. Elles m’ont rasé les aisselles, les jambes, et le sexe. Elles ont craché sur moi, et elles ont étalé avec leurs doigts leurs crachats sur mon corps. Puis l’une d’elles m’a conduite dans sa maison. Chez elle, nous ne jouions jamais. Nous crachions. J’apprenais à cracher. Un matin, la femme a dit : — Je dois te renseigner au sujet de l’existence des autres espèces d’humains. Nous sommes parties. C’était une marche très longue car nous avons dû nous arrêter plusieurs fois chez des marchands pour acheter de nouvelles chaussures. Nous avons marché ainsi pendant une longue période, pendant toute une époque de jours et de nuits. Enfin, elle a dit : 1Suzanne Jacob, Poèmes I : Gémellaires, Le Chemin de Damas. Montréal : Le Biocreux / Poésie, 1980. Choix de poèmes fait par les traducteurs avec l’accord de l’auteure, qui possède tous les droits d’édition (NDLR).
3 — Nous y sommes. Et me voilà. Me voilà parmi vous, pendant que mon père est un noyau dans la terre foulée par les hommes alignés. Exergue I have never gone back upstream. Neither the Ouesse, nor any other river. I have no memory. I have never learned the history of humankind. There was no human history where I was born. My father and I were the first ones. We entered the hotel; the sheets had never been used before. The phrases men uttered amongst themselves had not been used very often either. They invented words as they went along, and we did not have to invent others every day or month because realities were few. Besides, these realities led one to be quiet rather than to speak. On the hotel steps, Saturdays around three-fifteen, men lined up and looked out over the world. I was unaware any other kinds of humans existed. Yes, I thought we were alone among the earth’s creatures; that did not give me a feeling of loneliness. I do not have a sense of history. I do not suffer from this. The sense of history seems to me the virus of an era intent upon proving there have already been humans on earth. No. There has never been anyone on earth but my father and me, moving about before a hotel where men in a line look out over the world. — How did they get there? I asked my father. — Surely it is after three-fifteen. That did not give me a sense of loneliness. I had no mother; I never did have one. Where I was born, no one had a mother, ever. Of course there were women and prone to despise, yes. They spat on the ground while moving about before the men in a line looking out over the world. — Why are they spitting? I asked my father one day. — Because they believe in God. — Where does God come from? — God comes from spittle, and it is a matter that does not concern us. My father and I slept together. Then, one morning, he was no longer alive, my father. The men in a line helped me put him in the ground like a stone. Then, the women came up and forced open the door to my room. They made me wash all over. They shaved my armpits, legs, and sex. They spat on me and smeared the spittle all over my body with their fingers. Then one of them took me to her house. We never played at her place; we spat. I learned to spit. One morning, the woman said: — I must inform you about the existence of other kinds of humans. We left. It was a very long walk as we had to stop a few times at stores to buy new shoes. So, we walked for a long while, an entire era of days and nights. Finally, she said to me: — We are there. And here I am. Here I am among you, while my father is a stone in the earth trampled by men in a line.
4 Gémellaire I Pendant qu’un grand ailé poursuit son vol dans l’interminable couloir du sud, un débris de paysage englouti fait surface. Le noyé oublie le cerisier sauvage qu’il chérissait. Les fables perdent du sang, je transpire un métal transparent, ma naissance m’a donné soif et mon frère me refuse sa mamelle dorée. Une volée d’outardes a traversé le ventre de ma mère et ma naissance m’a donné soif. La mer couve ses œufs dans la baie de Gaspé. Ne répète pas le nom de ta soif. Les sauveteurs dorment la tête sur les bouées, les sirènes sont étouffées par les glaciers de laine. Ne répète pas le nom de ta soif et viens, Continuons à couler dans le sablier. Les saules bruissent et reluisent dans une soirée de mil neuf cent cinquante. Les pères suivaient les phares et comprenaient les sémaphores. Un train nous passe dans le visage. L’hiver n’a pas cassé les hélianthes. Des guitares désâmées descendent l’Harricana. Pourquoi veux-tu te vendre à la ferraille ? Ne répète pas le nom de ta soif. Rompues les chaînes de nos bicyclettes, il faut saler les sangsues froides, viens. Laissons-nous couler dans le sablier. Le beau chanoine n’a que des mains de cire. Ma naissance m’a donné soif. Laisse-moi voir ta mamelle dorée, mon frère. Regarde, j’ai acheté un bidon d’essence, Mon frère ô mon frère Va décrocher les deux poulies de la corde à linge et couche-les dans les églantiers. Regarde ! j’ai acheté un bidon d’essence. Laisse venir la mèche dans le sablier Pourquoi veux-tu emporter la boussole de l’homme qui crie Pourquoi veux-tu emporter ses passeports périmés Écoute encore, viens. Ma naissance m’a donné soif.
5 Mon frère sue à son tour un métal transparent et il garde une main sur sa mamelle dorée pendant que des anges trébuchent dans le sablier. Pourquoi payer un homme pour sonner le glas Pourquoi parles-tu d’acheter des pierres tombales ? Elles ne sauraient nous servir de repères. Reviens, mon frère, mon amour, mon frère, Ma naissance m’a donné soif. Regarde, la mèche prend feu dans le col du sablier Tu as peur mon amour ? Écoute, notre mère joue la Toccate et Fugue Une volée d’outardes lui traverse le ventre. Coupés les crins de l’archet noir, Fendu l’abat-jour de la salle à manger, Éclatée la vitrine du vaisselier, Ta mère n’aura pas de mal, Tu sais déjà qu’elle ne va pas crier. Ma naissance m’a donné soif et mon frère me refuse sa mamelle dorée. Va dévisser l’étau qui écrasait la chair blanche des pacanes. Si tu trouves la lettre d’amour, ne la lis pas. Laissons-nous couler dans le sablier. La haie basse à fleurs pourpres s’estompe dans la rétine. Mon frère, c’était dans une année des années cinquante et des béquilles quêtaient leurs boiteux à la grande porte de la cathédrale. Tu étais enfin sorti du confessionnal. Nous nous sommes laissés couler dans le sablier. La mèche a pris feu Nous n’avons pas eu peur. La deuxième avenue a été déchiquetée. De grandes fleurs tristes ont flambé sur nos fronts. Nous avons transpiré un métal transparent. Une pluie d’ailes a caressé nos épaules Je me suis mise à boire J’avais soif depuis ma naissance Mon frère ne m’a pas refusé sa mamelle dorée.
6 Geminations I While a great alar thing pursues its flight in the interminable southern corridor, a scrap of engulfed landscape resurfaces. The drowned man forgets the wild cherry he cherished. Fables are spilling blood, I am sweating a transparent metal, my birth made me thirsty and my brother refuses me his golden breast. A flock of geese swept across my mother’s womb and my birth made me thirsty. The sea broods her eggs in Gaspé Bay. Do not repeat the name of your thirst. Lifeguards sleep with their heads on buoys, woolen glaciers muffle the sirens. Do not repeat the name of your thirst and come, Let’s keep gliding through the hourglass. The willows rustle and glisten one evening in nineteen-fifty. Fathers followed the beacons and understood the semaphores. A train goes by our faces. Winter has not broken the sunflowers. Dispirited guitars go down the Harricana. Why do you want to sell yourself to scrap-iron? Do not repeat the name of your thirst. Our bicycle chains are broken, we must salt the cold leeches, come. Let’s glide through the hourglass. The good-looking chaplain has only hands of wax. My birth made me thirsty. Let me see your golden breast, my brother. Look, I bought a gasoline can, My brother oh my brother Go unhook the two clothesline pulleys and lay them in the sweetbriars. Look! I bought a gasoline can. Slip the wick into the hourglass Why do you want to carry off the compass of the man who shouts
7 Why do you want to carry off his expired passports Listen again, come. My birth made me thirsty. My brother in turn is sweating a transparent metal and he keeps a hand on his golden breast while angels are tripping in the hourglass. Why pay a man to sound the knell Why do you talk about buying gravestones? They would be of no use to us as landmarks. Come back, my brother, my love, my brother, My birth made me thirsty. Look, the wick is catching fire in the neck of the hourglass My love, are you afraid? Listen, our mother is playing the Toccata and Fugue A flock of geese sweeps across her womb. The horsehairs of the black bow are cut, The dining room lampshade ripped, The glass doors of the china cabinet shattered, Your mother shall feel no pain, You already know she will not scream. My birth made me thirsty and my brother refuses me his golden breast. Go unscrew the vise that crushed the white flesh of pecans. If you find the love-letter, do not read it. Let’s glide through the hourglass. The low, purple-flowered hedge blurs in the retina. My brother, it was one year in the fifties, and crutches sought their hobblers at the great door of the cathedral. You had finally come out of the confessional. We let ourselves glide through the hourglass. The wick caught fire We were not afraid. Second Avenue was torn to shreds. Large sad flowers blazed on our foreheads. We sweat a transparent metal. A rain of feathers caressed our shoulders I started to drink I had been thirsty ever since my birth My brother did not refuse me his golden breast.
8 Gémellaire II L’acrobate muait sous le regard habitué des tigresses. Par la lucarne de l’océan, je la voyais fêler patiemment ses porcelaines. Elle promenait une tristesse poreuse sur des plages de minerai. Ses épaules faisaient la moue en se détournant vers un siècle antérieur. — À la soupe ! À la soupe ! Personne ne se ruait aux gamelles. Toi non plus. On n’avait plus faim. — Quel drame ! Les atrocités font sourire à présent. Elles rassurent. L’acrobate s’était volatilisée. Il pleuvait lentement des mauvais sorts pas sorcier pour deux sous. Un nain roux s’agitait et faisait appel à la police parce que tu t’étais mise à courir et ta gorge saignait abondamment. Tu es entrée dans l’écurie mauve que nous avions achetée au prix du mirage absolu. Tu t’es assise dans la paille et tu as compté tes médailles. Tu avais retiré ton scapulaire, tu jouais avec tes orteils, tu mettais tes doigts dans tes oreilles. Tu délirais des balbutiements, tu chantonnais des mots intimes, tu radotais, tu marmonnais : « J’ponds une fois par mois Ça m’donne des migraines Si j’pondais dans de la laine J’aurais dix fois moins froid. » — Les chevaux attendent que tu les selles. — Quelle importance ? Tu songes à ta poupée de coton. Tu trembles quand le capitaine te ravage la mémoire. Tu boudes tes triptyques. Tu les échanges contre des psychés fendillées. — Je t’ai vue grimacer dans le rétroviseur. À quoi bon. Je roule toujours à cent milles à l’heure. Il gèle à pierre fendre. — Ah ! Tout le monde est d’accord parce que tout le monde s’en fout. Alors elle monte sur le terre-plein encombré de landaus et de bicyclettes et elle parle en sémaphore avec ses beaux bras blancs d’alouette. Je l’aime. Elle nourrit ses dauphins luisants de poissons semés dans des bocaux de terre cuite. Elle va vers la falaise interdite. — Et après ? disent les hommes en bâillant et en rotant. — C’est l’appareil digestif, s’excuse un homosexuel en frottant sa gourmette sur la flanelle de son costume. Un inconnu expose ses tapisseries sous l’arc-en-ciel. Elle a les yeux qui lui brûlent. Un autre œuf s’écrase sur le trottoir. — Bof ! et un grand amour !
9 Avec une lame de rasoir, elle fait les gazons des propriétaires. Ils la couchent, ils la mangent, mais ils ne l’exploitent pas. Elle est sans race connue. Son œil est velu. Elle se prend pour une noix du Brésil, elle se coince la tête dans le casse-noisettes. Tu es nue sur les rails de nulle part. Ton sexe est comme un poing fermé qui dort. Je verse de l’eau dans des passoires brillantes. Nous n’avions consommé que l’acide légal que les parents mettent sur la table. Tu es nue sur les rails de nulle part. Ton sexe est comme un œil éteint et mort. Je répands l’air préservé dans nos outres. Nous ferons un festin. Tu mangeras du bison. Tu en as grand besoin. Geminations II The acrobat molted beneath the inured gaze of the tigresses. Through the ocean’s skylight, I saw her patiently crack her china. She was walking a porous sadness along beaches of ore. Her shoulders pouted as they turned back toward a former century. —To the soup! To the soup! No one flung themselves at the bowls. You either. Nobody was hungry anymore. —What a scene! Now the atrocities make us smile. They reassure. The acrobat vanished into thin air. It was raining little two-bit spells without wizardry. A redheaded dwarf was bustling about and called the police because you had started to run, and your throat was bleeding profusely. You entered the mauve stable that we had bought at the cost of the absolute mirage. You sat down on the straw, and you counted your medals. You took off your scapular, you were playing with your toes, you were putting your fingers in your ears. You stuttered as you raved, you were humming intimate words, you were talking nonsense, you were mumbling: “I produce once a month It gives me headaches If I could lay my eggs in wool
10 I’d be ten times warmer.” ―The horses are waiting for you to saddle them up. ―Who cares? You’re daydreaming about your cotton doll. You tremble when the captain plays havoc with your memory. You shy away from your triptychs. You exchange them for cracked swivel mirrors. ―I’ve seen you make faces in the rear-view mirror. What’s the use? I always drive at a hundred miles an hour. There’s a hard frost. ―Ah! Everyone agrees because no one could care less. So, she drives up to the lot crowded with landaus and bicycles and she speaks in semaphore with her beautiful white arms of a meadowlark. I love her. She feeds her shining dolphins with fish scattered in terra cotta fish tanks. She is going toward the forbidden cliff. ―So what? say the men, yawning and burping. ―It’s the digestive system, says a homosexual excusing himself as he rubs his bracelet against the flannel of his suit. A stranger exhibits his tapestries beneath the rainbow. Her eyes are burning. Another egg crashes on the sidewalk. ―Oh well! and a great love. With a razor blade, she did the landlord’s lawns. They lay her down, they eat her, but they don’t exploit her. She is of an unknown race. Her eye is hairy. She takes herself to be a Brazil nut, she wedges her head into the nutcracker. You are naked on the rails to nowhere. Your genitals are like a clenched fist that sleeps. I pour water into shiny sieves. We have consumed only the legal acid that our parents put on the table. You are naked on the rails to nowhere. Your genitals are like a dull, dead eye. I disperse the air preserved in our wineskins. We’ll have a feast. You’ll eat buffalo meat. You really need it.
11 Gémellaire III je ne crois pas que ce soit par une porte ni par fente par fissure non plus ni non plus par déchirure non mais par ailleurs et je crois même que tu n’as pas eu à entrer et je crois même que toute cette histoire nous avait précédés dans l’ailleurs nous n’y sommes pour rien disposés et disponibles seulement et donc nous avons été hissés et soulevés dans l’image et promenés à la suite des astres affranchis de lourdeur le ventre et ses poils liquéfiés le vent soufflait dans nos os des chants ultimes pendant que les violons reposaient dans l’enclos des vacances nous n’y sommes pour rien disposés et disponibles seulement hissés et soulevés par l’image mouvante et fuyante elle pourrait nous abandonner à la chute elle pourrait vouloir nous emporter plus mortels et plus loin elle pourrait tout vouloir nous n’y sommes pour rien disposés et disponibles seulement et sans nous cette image est néant dans le chaos si elle peut tout vouloir sans nous rien d’elle ne subsiste et c’est ainsi que parfois en ton absence je n’entends plus le chant ultime et c’est ainsi qu’à ton retour et dans l’étreinte de nos ventres d’oiseaux je voudrais que tu meures pour ne jamais vivre dans l’oubli morne des corps pesants soudés à leurs yeux aveugles
12 Geminations III I don’t believe it’s through a door nor a cleft or a crack either nor either through a slit no but from somewhere else and I even believe you didn’t have to come in and I even believe this whole story came before us in the other place we have nothing to do with it inclined and receptive only and so we have been roused and lifted in the image and trailed in pursuit of stars freed from weight the belly and its hair liquified in our bones the wind whispered the final songs while the violins rested in the enclosure of vacations we have nothing to do with it inclined and receptive only roused and lifted by the image moving and elusive it could abandon us to the fall it could want to sweep us away more mortal and farther it could want everything we have nothing to do with it inclined and receptive only and without us this image is nothingness in chaos though it can want everything without us nothing of it remains and thus it is that sometimes in your absence I no longer hear the final song and thus it is that upon your return and in the embrace of our birdlike bellies I would want you to die so as never to live in the bleak oblivion of cumbrous bodies joined to their blind eyes
13 Car je voulais te voir en toute cécité — à ce point je passais du temps à te prêter mon visage et c’est dans ces jeux de miroir qu’au-delà l’impossible je t’ai incarné. Et voyez la tournure de l’astre dans l’impeccable agave. Because, in utter blindness, I wanted to see you—to the point I used to spend time lending you my face and beyond the inconceivable in this play of mirrors I gave you flesh. And see the turn taken by the star in the perfect agave.
14 Quand je te dis Quand je te dis que je te possède, je dis que ton existence possède son espace à l’intérieur de moi. Je te dis que ton existence à l’extérieur de moi m’est parvenue et que te voilà double. Ton double ne partira pas en mer jeudi. Si tu ne reviens pas de la mer, toi, c’est ton double qui va se charger de ton existence, et pour longtemps. When I Tell You When I tell you I possess you, I’m saying your existence possesses its own space within me. I tell you that your existence outside of me has reached me and here you are double. Your double will not go to sea Thursday. Should you yourself not return from the sea, your double will look after your existence, and for a long time.
15 Dans la lande dans la lande dans la nuit tu es venu me rejoindre j’ai léché ta main salée de naissance tu m’as expliqué que d’autres galaxies roulaient au-delà de notre histoire je te croyais c’est la raison pour laquelle je voulais compter une fois encore tes cheveux un à un. On the Moor on the moor in the night you came to meet me I licked your hand salty from birth you explained that other galaxies were spinning beyond our history I believed you that’s the reason I wanted to count one more time your hairs one by one
16 Chamois du givre étalé en fougères dans la lueur ahurie par les tendresses du bison triste. Corps retrouvés dans les neiges incendiées. Papyrus enfoui dans le désert chauve du passé. Poissons échoués dans le cou de l’été prédateurs des plumages éblouis. Millésime inscrit dans l’aisselle parfumée des sources interdites. Chevauchées échevelées des aurores recluses. Rachat à rabais d’un serment galvaudé. Le veilleur brûle, éclaboussé par les sciures dorées d’un platane unique abattu par la foudre de l’insomnie. Le plâtre émietté de la madone haïe a été dispersé par les vents veloutés. Au creux des pores, ces cendres poussiéreuses. Il joue sans fin au fond de mes eaux sablonneuses pendant que je sors de l’horizon pour respirer.
17 Chamois of frost spread out in ferns in the glimmer stunned by the sad bison’s tenderness. Bodies retrieved in the blazing snow. Papyrus buried in the stark desert of the past. Fish marooned in the neck of summer feathered predators bedazzled. Vintage inscribed in the sweetened underarm of forbidden springs. Disheveled cavalcades of reclusive dawns. Discount redemption of a tarnished oath. The watchman burns, splattered by sawdust gold of a unique sycamore felled by the lightning of insomnia. Crumbled plaster of the despised Madonna was dispersed by velvet winds. In pores’ hollows, powdery ash. He plays endlessly in the depths of sandy waters while I leave the horizon to breathe.
18 Chamade Chamade de mascarades nues Havre des hamacs éperdus Ribambelle infinie de délires sans grimace sans fard Yo-yo des gares lumineuses Sarcelle égarée dans les couloirs rutilants du plaisir Iode essentiel des égratignures Ancre à voiles ancre à vapeur Ancre réactée La soif nous a buriné la mémoire Gîte gisant d’après-marée Abeille alourdie par le voyage Univers de coquille et de colimaçon Nègre velu des plages nocturnes Talisman d’entre-jambes Hélianthe ravie par la brise entêtée Écluse fermée des démences assouvies Respire Il existe. Cris de la locomotive à vapeur. Hier, j’avais envie de la torture rare et les reins gelés, j’avais la déveine bariolée du barbare. Je me renseignais : Avez-vous rencontré les hommes à cigares Sortis d’une cale sèche car l’oasis est volatile Titubés sur des terre-pleins de plumes Innocentés par leurs bracelets-couleuvres Noyés cent fois dans l’étang des oreilles ? Garnison éparpillée dans la vapeur Avez-vous entendu grincer la hanche de la toupie, uniforme de tôle ? Les pôles de l’équilibre tuent au poignard, harcèlent les lames repues. Cris de la locomotive à vapeur. Inespérée, une heure en surplus au cadran-métronome écarte les paravents de l’entonnoir fou. Respire, il existe.
19 Throbbing Throbbing of naked masquerades Harbor of uncontrolled hammocks Infinite swarm of frenzies without grimace without make-up Yo-yo of lighted docks Teal astray in the bright red corridors of pleasure Essential iodine of scratches Sail anchor Steam anchor Nuclear anchor Thirst etched our memories for us Stranded vessel listing at low tide Bee burdened by the voyage Universe of mollusk and snail Hairy shade of nocturnal beaches Talisman of the loins Sunflower ravished by the willful breeze Closed lock of insanity appeased. Breathe He exists. Shrieks of the steam engine. Yesterday, I had a longing for rare torture and loins frozen, I had the barbarian’s garish bad luck. I got informed: Have you met the cigar-smoking men Coming out of dry dock because the oasis is volatile Teetering on terraces of feathers Made innocent by their garter snakes Drowned a hundred times in the ears’ pool? A garrison scattered in the steam Have you heard the top’s hip grinding a sheet metal uniform? The poles of the balance kill with a dagger, harass the sated blades. Shrieks of the steam engine. Unhoped for, an extra hour on the metronome dial parts the screens of the mad funnel. Breathe, he exists
20 Penser comme eux Câblogramme. J’allai l’accueillir à l’aérogare. De ce voyage, il rapportait un petit revolver brillant. Je contemplais l’arme. Il dit : c’est allemand. Il appuyait avec tendresse le métal sur ma tempe indifférente. Tout devint tiède et blanc. Ma mémoire est intacte. Nous avons traversé les salles Nous avons croisé les foules. Il ne vint à personne l’idée que je n’étais pas coupable et je me mis à penser comme eux.
21 To Think Like Them Cablegram. I went to meet him at the airport. From this trip, he brought back a shiny little revolver. I contemplated the gun, He said: it’s German. He tenderly pressed the metal against my indifferent temple. Everything became tepid and white. My memory is intact. We crossed the halls We passed the crowds. The idea that I was not guilty came to no one and I began to think like them.
22 J’ignore Tu habites cette exacte dimension toujours certain de l’espace sûr et sans écart de la mesure apprise. Tu sais. Tandis que j’erre à l’intérieur de l’œuf et que j’aperçois par la fissure de la coquille bleue une soif inconnue qui m’observe minuscule ou immense j’ignore. I Know Not You inhabit this exact dimension ever certain of the acquired measure’s sure, undeviating space. You know. Whereas I rove within the egg and notice through the crack in the blue shell an unknown thirst that observes me miniscule or immense I know not.
23 J’y étais J’y étais C’était l’heure désolée quand les hommes appuyés au mur de l’usine gardent la tête basse C’était l’heure navrante quand les hommes inquiets ne sont pas volubiles en tirant le tabac. C’était l’heure quand les longues aiguilles tristes des horloges se serrent les unes contre les autres. Il y avait des bruits de machines et il y avait Dolorès devant la glace dans la salle de repos des dames qui passait et repassait sur ses lèvres le bâton rouge qu’Antoine lui avait offert pour ses seize ans.
24 I Was There I was there. It was the desolate hour when men leaning against the factory wall hang their heads It was the distressing hour when uneasy men aren’t talkative as they drag on tobacco. It was the hour when the long sad hands of the clocks press close to one another. There were noises of machinery and there was Dolores before the glass in the ladies’ restroom who passed and passed again across her lips the red stick Anthony gave her when she turned sixteen.
Vous pouvez aussi lire