Suzanne Jacob Translations from Poèmes I - Mouvances Francophones

 
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        Mouvances Francophones

       Volume 6,   Issue-numéro 2         2021
            Francophonies canadiennes,
         héritages & questions de langues
           dans l’écriture (post-)coloniale
             Dir. Servanne Woodward

          Suzanne Jacob
     Translations from Poèmes I
                 Wilson Baldridge
           Wilson.Baldridge@wichita.edu
                 Jeanine Hathaway
         Jeaninehathaway1945@gmail.com

DOI: 10.5206/mf.v6i2.14105
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                                                 Suzanne Jacob
                                                 from Poems I1
                                                                               Trans. Jeanine Hathaway and Wilson Baldridge

Exergue
Je n’ai jamais remonté de rivière. Ni la Ouesse, ni aucune autre. Je n’ai pas de mémoire. Je n’ai jamais
appris l’histoire des humains. Il n’y avait pas d’histoire des hommes, là où je suis née. Nous étions les
premiers, moi et mon père. Nous sommes entrés à l’hôtel, et les draps n’avaient encore jamais servi.
Les phrases qu’on utilisait entre les hommes n’avaient pas servi souvent non plus. On inventait les
mots à mesure et nous n’avions pas à en inventer tous les jours ni tous les mois, car les réalités
étaient peu nombreuses. De plus, ces réalités-là portaient davantage à se taire qu’à parler. Sur le
perron de l’hôtel, à partir de trois heures quinze, le samedi, des hommes s’alignaient et ils regardaient
au-dessus du monde. J’ignorais l’existence de toutes les autres espèces d’humains. Oui, je croyais que
nous étions seuls parmi la terre et ses animaux, et cela ne me donnait pas le sentiment de la solitude.

Je n’ai pas le sens de l’histoire. Je n’en souffre pas. Le sens de l’histoire m’apparaît comme le virus
d’une époque acharnée à faire la preuve qu’il y a déjà eu, sur la terre, des humains. Non. Sur la terre,
il n’y a jamais eu que moi et mon père, circulant devant un hôtel où des hommes alignés regardent
au-dessus du monde.
     — Comment sont-ils là ? ai-je demandé à mon père.
     — Il est sans doute passé trois heures quinze.
Cela ne me donnait pas le sentiment de la solitude.

Je n’avais pas de mère ; je n’en avais jamais eue. Personne, là où je suis née, n’a jamais eu de mère. Il
y avait bien des femmes, oui, et elles étaient méprisantes. Elles crachaient par terre en circulant
devant les hommes alignés qui regardaient au-dessus du monde.
    — Pourquoi crachent-elles ? ai-je demandé un jour à mon père.
    — Parce qu’elles croient à Dieu.
    — D’où vient Dieu ?
    — Dieu vient du crachat et c’est une histoire qui ne nous concerne pas.

Mon père et moi, nous dormions ensemble. Puis, un matin, il n’a plus été vivant, mon père. Les
hommes alignés m’ont aidée à le mettre dans la terre comme un noyau. Ensuite, les femmes sont
montées et elles ont forcé la porte de ma chambre. Elles m’ont contrainte à me laver le corps. Elles
m’ont rasé les aisselles, les jambes, et le sexe. Elles ont craché sur moi, et elles ont étalé avec leurs
doigts leurs crachats sur mon corps. Puis l’une d’elles m’a conduite dans sa maison. Chez elle, nous
ne jouions jamais. Nous crachions. J’apprenais à cracher. Un matin, la femme a dit :
    — Je dois te renseigner au sujet de l’existence des autres espèces d’humains.
Nous sommes parties. C’était une marche très longue car nous avons dû nous arrêter plusieurs fois
chez des marchands pour acheter de nouvelles chaussures. Nous avons marché ainsi pendant une
longue période, pendant toute une époque de jours et de nuits. Enfin, elle a dit :

1Suzanne Jacob, Poèmes I : Gémellaires, Le Chemin de Damas. Montréal : Le Biocreux / Poésie, 1980. Choix de poèmes fait
par les traducteurs avec l’accord de l’auteure, qui possède tous les droits d’édition (NDLR).
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   — Nous y sommes.
Et me voilà. Me voilà parmi vous, pendant que mon père est un noyau dans la terre foulée par les
hommes alignés.

Exergue
I have never gone back upstream. Neither the Ouesse, nor any other river. I have no memory. I have
never learned the history of humankind. There was no human history where I was born. My father
and I were the first ones. We entered the hotel; the sheets had never been used before. The phrases
men uttered amongst themselves had not been used very often either. They invented words as they
went along, and we did not have to invent others every day or month because realities were few.
Besides, these realities led one to be quiet rather than to speak. On the hotel steps, Saturdays around
three-fifteen, men lined up and looked out over the world. I was unaware any other kinds of humans
existed. Yes, I thought we were alone among the earth’s creatures; that did not give me a feeling of
loneliness.
I do not have a sense of history. I do not suffer from this. The sense of history seems to me the virus
of an era intent upon proving there have already been humans on earth. No. There has never been
anyone on earth but my father and me, moving about before a hotel where men in a line look out over
the world.
    — How did they get there? I asked my father.
    — Surely it is after three-fifteen.
That did not give me a sense of loneliness.
I had no mother; I never did have one. Where I was born, no one had a mother, ever. Of course there
were women and prone to despise, yes. They spat on the ground while moving about before the men
in a line looking out over the world.
    — Why are they spitting? I asked my father one day.
    — Because they believe in God.
    — Where does God come from?
    — God comes from spittle, and it is a matter that does not concern us.
My father and I slept together. Then, one morning, he was no longer alive, my father. The men in a
line helped me put him in the ground like a stone. Then, the women came up and forced open the
door to my room. They made me wash all over. They shaved my armpits, legs, and sex. They spat on
me and smeared the spittle all over my body with their fingers. Then one of them took me to her
house. We never played at her place; we spat. I learned to spit. One morning, the woman said:
    — I must inform you about the existence of other kinds of humans.
We left. It was a very long walk as we had to stop a few times at stores to buy new shoes. So, we
walked for a long while, an entire era of days and nights. Finally, she said to me:
     — We are there.
And here I am. Here I am among you, while my father is a stone in the earth trampled by men in a
line.
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Gémellaire I
Pendant qu’un grand ailé poursuit son vol
dans l’interminable couloir du sud,
un débris de paysage englouti fait surface.
Le noyé oublie le cerisier sauvage qu’il chérissait.
Les fables perdent du sang,
je transpire un métal transparent,
ma naissance m’a donné soif
et mon frère me refuse sa mamelle dorée.

Une volée d’outardes a traversé le ventre de ma mère
et ma naissance m’a donné soif.

La mer couve ses œufs dans la baie de Gaspé.
Ne répète pas le nom de ta soif.
Les sauveteurs dorment la tête sur les bouées,
les sirènes sont étouffées par les glaciers de laine.
Ne répète pas le nom de ta soif et viens,
Continuons à couler dans le sablier.

Les saules bruissent et reluisent
dans une soirée de mil neuf cent cinquante.
Les pères suivaient les phares et comprenaient les sémaphores.
Un train nous passe dans le visage.
L’hiver n’a pas cassé les hélianthes.

Des guitares désâmées descendent l’Harricana.
Pourquoi veux-tu te vendre à la ferraille ?
Ne répète pas le nom de ta soif.
Rompues les chaînes de nos bicyclettes,
il faut saler les sangsues froides, viens.
Laissons-nous couler dans le sablier.
Le beau chanoine n’a que des mains de cire.
Ma naissance m’a donné soif.
Laisse-moi voir ta mamelle dorée, mon frère.
Regarde, j’ai acheté un bidon d’essence,
Mon frère ô mon frère
Va décrocher les deux poulies de la corde à linge
et couche-les dans les églantiers.

Regarde ! j’ai acheté un bidon d’essence.
Laisse venir la mèche dans le sablier
Pourquoi veux-tu emporter la boussole de l’homme qui crie
Pourquoi veux-tu emporter ses passeports périmés
Écoute encore, viens.
Ma naissance m’a donné soif.
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Mon frère sue à son tour un métal transparent
et il garde une main sur sa mamelle dorée
pendant que des anges trébuchent dans le sablier.

Pourquoi payer un homme pour sonner le glas
Pourquoi parles-tu d’acheter des pierres tombales ?
Elles ne sauraient nous servir de repères.
Reviens, mon frère, mon amour, mon frère,
Ma naissance m’a donné soif.

Regarde, la mèche prend feu dans le col du sablier
Tu as peur mon amour ?
Écoute, notre mère joue la Toccate et Fugue
Une volée d’outardes lui traverse le ventre.

Coupés les crins de l’archet noir,
Fendu l’abat-jour de la salle à manger,
Éclatée la vitrine du vaisselier,
Ta mère n’aura pas de mal,
Tu sais déjà qu’elle ne va pas crier.

Ma naissance m’a donné soif
et mon frère me refuse sa mamelle dorée.
Va dévisser l’étau qui écrasait la chair blanche des pacanes.
Si tu trouves la lettre d’amour, ne la lis pas.
Laissons-nous couler dans le sablier.

La haie basse à fleurs pourpres s’estompe dans la rétine.
Mon frère, c’était dans une année des années cinquante
et des béquilles quêtaient leurs boiteux à la grande porte
de la cathédrale.
Tu étais enfin sorti du confessionnal.
Nous nous sommes laissés couler dans le sablier.
La mèche a pris feu
Nous n’avons pas eu peur.
La deuxième avenue a été déchiquetée.
De grandes fleurs tristes ont flambé sur nos fronts.

Nous avons transpiré un métal transparent.
Une pluie d’ailes a caressé nos épaules
Je me suis mise à boire
J’avais soif depuis ma naissance
Mon frère ne m’a pas refusé sa mamelle dorée.
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Geminations I

While a great alar thing pursues its flight
in the interminable southern corridor,
a scrap of engulfed landscape resurfaces.
The drowned man forgets the wild cherry he cherished.
Fables are spilling blood,
I am sweating a transparent metal,
my birth made me thirsty
and my brother refuses me his golden breast.

A flock of geese swept across my mother’s womb
and my birth made me thirsty.

The sea broods her eggs in Gaspé Bay.
Do not repeat the name of your thirst.
Lifeguards sleep with their heads on buoys,
woolen glaciers muffle the sirens.
Do not repeat the name of your thirst and come,
Let’s keep gliding through the hourglass.

The willows rustle and glisten
one evening in nineteen-fifty.
Fathers followed the beacons and understood the semaphores.
A train goes by our faces.
Winter has not broken the sunflowers.

Dispirited guitars go down the Harricana.
Why do you want to sell yourself to scrap-iron?
Do not repeat the name of your thirst.
Our bicycle chains are broken,
we must salt the cold leeches, come.
Let’s glide through the hourglass.
The good-looking chaplain has only hands of wax.
My birth made me thirsty.
Let me see your golden breast, my brother.
Look, I bought a gasoline can,
My brother oh my brother
Go unhook the two clothesline pulleys
and lay them in the sweetbriars.

Look! I bought a gasoline can. Slip the wick into the hourglass
Why do you want to carry off the compass
of the man who shouts
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Why do you want to carry off his expired passports
Listen again, come.
My birth made me thirsty.
My brother in turn is sweating a transparent metal
and he keeps a hand on his golden breast
while angels are tripping in the hourglass.

Why pay a man to sound the knell
Why do you talk about buying gravestones?
They would be of no use to us as landmarks. Come back,
my brother, my love, my brother,
My birth made me thirsty.

Look, the wick is catching fire in the neck of the hourglass
My love, are you afraid?
Listen, our mother is playing the Toccata and Fugue
A flock of geese sweeps across her womb.

The horsehairs of the black bow are cut,
The dining room lampshade ripped,
The glass doors of the china cabinet shattered,
Your mother shall feel no pain,
You already know she will not scream.

My birth made me thirsty
and my brother refuses me his golden breast.
Go unscrew the vise that crushed the white flesh of pecans.
If you find the love-letter, do not read it.
Let’s glide through the hourglass.
The low, purple-flowered hedge blurs in the retina.
My brother, it was one year in the fifties,
and crutches sought their hobblers at the great door of the cathedral.
You had finally come out of the confessional.
We let ourselves glide through the hourglass.
The wick caught fire
We were not afraid.
Second Avenue was torn to shreds.
Large sad flowers blazed on our foreheads.

We sweat a transparent metal.
A rain of feathers caressed our shoulders
I started to drink
I had been thirsty ever since my birth
My brother did not refuse me his golden breast.
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Gémellaire II

L’acrobate muait sous le regard habitué des tigresses.
Par la lucarne de l’océan,
je la voyais fêler patiemment ses porcelaines.
Elle promenait une tristesse poreuse sur des plages de minerai.
Ses épaules faisaient la moue en se détournant vers un siècle antérieur.

    — À la soupe ! À la soupe !
Personne ne se ruait aux gamelles. Toi non plus. On n’avait plus faim.
    — Quel drame !
Les atrocités font sourire à présent. Elles rassurent.

L’acrobate s’était volatilisée. Il pleuvait lentement des mauvais sorts pas sorcier pour deux sous. Un
nain roux s’agitait et faisait appel à la police parce que tu t’étais mise à courir et ta gorge saignait
abondamment. Tu es entrée dans l’écurie mauve que nous avions achetée au prix du mirage absolu.
Tu t’es assise dans la paille et tu as compté tes médailles. Tu avais retiré ton scapulaire, tu jouais avec
tes orteils, tu mettais tes doigts dans tes oreilles. Tu délirais des balbutiements, tu chantonnais des
mots intimes, tu radotais, tu marmonnais :

                          « J’ponds une fois par mois
                          Ça m’donne des migraines
                          Si j’pondais dans de la laine
                          J’aurais dix fois moins froid. »

    — Les chevaux attendent que tu les selles.
    — Quelle importance ?
    Tu songes à ta poupée de coton. Tu trembles quand le capitaine te ravage la mémoire. Tu
    boudes tes triptyques. Tu les échanges contre des psychés fendillées.
    — Je t’ai vue grimacer dans le rétroviseur. À quoi bon. Je roule toujours à cent milles à l’heure.
       Il gèle à pierre fendre.
    — Ah !
    Tout le monde est d’accord parce que tout le monde s’en fout.

    Alors elle monte sur le terre-plein encombré de landaus et de bicyclettes et elle parle en
    sémaphore avec ses beaux bras blancs d’alouette. Je l’aime. Elle nourrit ses dauphins luisants de
    poissons semés dans des bocaux de terre cuite. Elle va vers la falaise interdite.
    — Et après ? disent les hommes en bâillant et en rotant.
    — C’est l’appareil digestif, s’excuse un homosexuel en frottant sa gourmette sur la flanelle de
        son costume.
    Un inconnu expose ses tapisseries sous l’arc-en-ciel. Elle a les yeux qui lui brûlent. Un autre œuf
    s’écrase sur le trottoir.
    — Bof ! et un grand amour !
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   Avec une lame de rasoir, elle fait les gazons des propriétaires. Ils la couchent, ils la mangent,
   mais ils ne l’exploitent pas. Elle est sans race connue. Son œil est velu. Elle se prend pour une
   noix du Brésil, elle se coince la tête dans le casse-noisettes.

   Tu es nue sur les rails de nulle part.
   Ton sexe est comme un poing fermé qui dort.
   Je verse de l’eau dans des passoires brillantes.
   Nous n’avions consommé que l’acide légal que les parents mettent sur la table.
   Tu es nue sur les rails de nulle part.
   Ton sexe est comme un œil éteint et mort.
   Je répands l’air préservé dans nos outres.

   Nous ferons un festin. Tu mangeras du bison.
   Tu en as grand besoin.

Geminations II

The acrobat molted beneath the inured gaze of the tigresses.
Through the ocean’s skylight,
I saw her patiently crack her china.
She was walking a porous sadness along beaches of ore.
Her shoulders pouted as they turned back toward a former century.

      —To the soup! To the soup!
No one flung themselves at the bowls. You either. Nobody was hungry anymore.
      —What a scene!
Now the atrocities make us smile. They reassure.

The acrobat vanished into thin air. It was raining little two-bit spells without wizardry. A redheaded
dwarf was bustling about and called the police because you had started to run, and your throat was
bleeding profusely. You entered the mauve stable that we had bought at the cost of the absolute
mirage. You sat down on the straw, and you counted your medals. You took off your scapular, you
were playing with your toes, you were putting your fingers in your ears. You stuttered as you raved,
you were humming intimate words, you were talking nonsense, you were mumbling:
                         “I produce once a month
                         It gives me headaches
                         If I could lay my eggs in wool
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                    I’d be ten times warmer.”

―The horses are waiting for you to saddle them up.
―Who cares?
You’re daydreaming about your cotton doll. You tremble when the captain plays havoc with
your memory. You shy away from your triptychs. You exchange them for cracked swivel
mirrors.
―I’ve seen you make faces in the rear-view mirror.
What’s the use? I always drive at a hundred miles an hour. There’s a hard frost.
―Ah!
Everyone agrees because no one could care less.
So, she drives up to the lot crowded with landaus and bicycles and she speaks in semaphore
with her beautiful white arms of a meadowlark. I love her. She feeds her shining dolphins with
fish scattered in terra cotta fish tanks. She is going toward the forbidden cliff.
―So what? say the men, yawning and burping.
―It’s the digestive system, says a homosexual excusing himself as he rubs his bracelet against
the flannel of his suit.
A stranger exhibits his tapestries beneath the rainbow. Her eyes are burning. Another egg
crashes on the sidewalk.
―Oh well! and a great love.
With a razor blade, she did the landlord’s lawns. They lay her down, they eat her, but they don’t
exploit her. She is of an unknown race. Her eye is hairy. She takes herself to be a Brazil nut, she
wedges her head into the nutcracker.

You are naked on the rails to nowhere.
Your genitals are like a clenched fist that sleeps.
I pour water into shiny sieves.
We have consumed only the legal acid that our parents put on the table.
You are naked on the rails to nowhere.
Your genitals are like a dull, dead eye.
I disperse the air preserved in our wineskins.

We’ll have a feast. You’ll eat buffalo meat.
You really need it.
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Gémellaire III
                             je ne crois pas que ce soit par une porte
                                 ni par fente par fissure non plus
                                     ni non plus par déchirure
                                                non
                                          mais par ailleurs
                            et je crois même que tu n’as pas eu à entrer
                 et je crois même que toute cette histoire nous avait précédés
                                           dans l’ailleurs

                                  nous n’y sommes pour rien
                                    disposés et disponibles
                                          seulement

                et donc nous avons été hissés et soulevés dans l’image
                            et promenés à la suite des astres
                                 affranchis de lourdeur
                             le ventre et ses poils liquéfiés
                    le vent soufflait dans nos os des chants ultimes
             pendant que les violons reposaient dans l’enclos des vacances

                                  nous n’y sommes pour rien
                                    disposés et disponibles
                                          seulement

                                  hissés et soulevés par l’image
                                       mouvante et fuyante
                                           elle pourrait
                                  nous abandonner à la chute
                       elle pourrait vouloir nous emporter plus mortels
                                           et plus loin
                                    elle pourrait tout vouloir

                                  nous n’y sommes pour rien
                                    disposés et disponibles
                                          seulement

                       et sans nous cette image est néant dans le chaos
                                       si elle peut tout vouloir
                                 sans nous rien d’elle ne subsiste
                            et c’est ainsi que parfois en ton absence
                                 je n’entends plus le chant ultime
                     et c’est ainsi qu’à ton retour et dans l’étreinte de nos
                                           ventres d’oiseaux
                                     je voudrais que tu meures
                            pour ne jamais vivre dans l’oubli morne
                        des corps pesants soudés à leurs yeux aveugles
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Geminations III
                            I don’t believe it’s through a door
                                nor a cleft or a crack either
                                  nor either through a slit
                                             no
                                 but from somewhere else
                         and I even believe you didn’t have to come in
                    and I even believe this whole story came before us
                                     in the other place

                              we have nothing to do with it
                                 inclined and receptive
                                          only

                   and so we have been roused and lifted in the image
                               and trailed in pursuit of stars
                                     freed from weight
                               the belly and its hair liquified
                    in our bones the wind whispered the final songs
                   while the violins rested in the enclosure of vacations

                              we have nothing to do with it
                                 inclined and receptive
                                          only

                               roused and lifted by the image
                                     moving and elusive
                                           it could
                                    abandon us to the fall
                       it could want to sweep us away more mortal
                                         and farther
                                  it could want everything

                              we have nothing to do with it
                                 inclined and receptive
                                          only

                    and without us this image is nothingness in chaos
                                though it can want everything
                              without us nothing of it remains
                       and thus it is that sometimes in your absence
                               I no longer hear the final song
                  and thus it is that upon your return and in the embrace
                                     of our birdlike bellies
                                   I would want you to die
                          so as never to live in the bleak oblivion
                       of cumbrous bodies joined to their blind eyes
13

Car je voulais te voir
en toute cécité — à ce point
je passais du temps à te prêter mon visage
et c’est dans ces jeux de miroir
qu’au-delà l’impossible
je t’ai incarné.
Et voyez la tournure de l’astre
dans l’impeccable agave.

Because, in utter blindness,
I wanted to see you—to the point
I used to spend time lending you my face
and beyond the inconceivable
in this play of mirrors
I gave you flesh.
And see the turn taken by the star
in the perfect agave.
14

Quand je te dis

Quand je te dis que je te possède,
je dis que ton existence possède son espace
à l’intérieur de moi.
Je te dis que ton existence à l’extérieur de moi
m’est parvenue
et que te voilà double.
Ton double ne partira pas en mer jeudi.
Si tu ne reviens pas de la mer, toi,
c’est ton double qui va se charger de ton existence,
et pour longtemps.

When I Tell You

When I tell you I possess you,
I’m saying your existence possesses
its own space within me.
I tell you that your existence outside of me
has reached me
and here you are double.
Your double will not go to sea Thursday.
Should you yourself not return
from the sea, your double will look after your existence,
and for a long time.
15

Dans la lande

dans la lande    dans la nuit
tu es venu me rejoindre
j’ai léché ta main
salée de naissance
tu m’as expliqué que d’autres galaxies
roulaient au-delà de notre histoire
je te croyais
c’est la raison pour laquelle je voulais
compter une fois encore
tes cheveux un à un.

                                           On the Moor
                                           on the moor in the night
                                           you came to meet me
                                           I licked your hand
                                           salty from birth
                                           you explained that other galaxies
                                           were spinning beyond our history
                                           I believed you
                                           that’s the reason I wanted
                                           to count one more time
                                           your hairs one by one
16

Chamois du givre étalé en fougères
dans la lueur ahurie par les tendresses du bison triste.
Corps retrouvés dans les neiges incendiées.
Papyrus enfoui dans le désert chauve du passé.
Poissons échoués dans le cou de l’été
prédateurs des plumages éblouis.
Millésime inscrit dans l’aisselle parfumée
des sources interdites.
Chevauchées échevelées des aurores recluses.

Rachat à rabais d’un serment galvaudé.
Le veilleur brûle, éclaboussé par les sciures
dorées d’un platane unique
abattu par la foudre de l’insomnie.
Le plâtre émietté de la madone haïe
a été dispersé par les vents veloutés.
Au creux des pores, ces cendres poussiéreuses.

Il joue sans fin au fond de mes eaux sablonneuses
pendant que je sors de l’horizon pour respirer.
17

Chamois of frost spread out in ferns
in the glimmer stunned by the sad bison’s tenderness.
Bodies retrieved in the blazing snow.
Papyrus buried in the stark desert of the past.
Fish marooned in the neck of summer
feathered predators bedazzled.
Vintage inscribed in the sweetened underarm
of forbidden springs.
Disheveled cavalcades of reclusive dawns.

Discount redemption of a tarnished oath.
The watchman burns, splattered by sawdust
gold of a unique sycamore
felled by the lightning of insomnia.
Crumbled plaster of the despised Madonna
was dispersed by velvet winds.
In pores’ hollows, powdery ash.

He plays endlessly in the depths of sandy waters
while I leave the horizon to breathe.
18

Chamade
Chamade de mascarades nues
Havre des hamacs éperdus
Ribambelle infinie de délires
sans grimace sans fard
Yo-yo des gares lumineuses
Sarcelle égarée dans les couloirs rutilants du plaisir
Iode essentiel des égratignures
Ancre à voiles      ancre à vapeur
Ancre réactée
La soif nous a buriné la mémoire

Gîte gisant d’après-marée
Abeille alourdie par le voyage
Univers de coquille et de colimaçon
Nègre velu des plages nocturnes
Talisman d’entre-jambes
Hélianthe ravie par la brise entêtée
Écluse fermée des démences assouvies

Respire
Il existe.

Cris de la locomotive à vapeur.
Hier, j’avais envie de la torture rare
et les reins gelés,
j’avais la déveine bariolée du barbare.

Je me renseignais :
Avez-vous rencontré les hommes à cigares
Sortis d’une cale sèche car l’oasis est volatile
Titubés sur des terre-pleins de plumes
Innocentés par leurs bracelets-couleuvres
Noyés cent fois dans l’étang des oreilles ?

Garnison éparpillée dans la vapeur
Avez-vous entendu grincer la hanche de la toupie,
uniforme de tôle ?
Les pôles de l’équilibre tuent au poignard,
harcèlent les lames repues.

Cris de la locomotive à vapeur.
Inespérée, une heure en surplus au cadran-métronome
écarte les paravents de l’entonnoir fou.
Respire, il existe.
19

Throbbing
Throbbing of naked masquerades
Harbor of uncontrolled hammocks
Infinite swarm of frenzies
without grimace without make-up
Yo-yo of lighted docks
Teal astray in the bright red corridors
of pleasure
Essential iodine of scratches
Sail anchor Steam anchor
Nuclear anchor
Thirst etched our memories for us

Stranded vessel listing at low tide
Bee burdened by the voyage
Universe of mollusk and snail
Hairy shade of nocturnal beaches
Talisman of the loins
Sunflower ravished by the willful breeze
Closed lock of insanity appeased.

Breathe
He exists.

Shrieks of the steam engine.
Yesterday, I had a longing for rare torture
and loins frozen,
I had the barbarian’s garish bad luck.

I got informed:
Have you met the cigar-smoking men
Coming out of dry dock because the oasis is volatile
Teetering on terraces of feathers
Made innocent by their garter snakes
Drowned a hundred times in the ears’ pool?

A garrison scattered in the steam
Have you heard the top’s hip grinding
a sheet metal uniform?
The poles of the balance kill with a dagger,
harass the sated blades.

Shrieks of the steam engine.
Unhoped for, an extra hour on the metronome dial
parts the screens of the mad funnel.
Breathe, he exists
20

Penser comme eux

Câblogramme.
J’allai l’accueillir à l’aérogare.
De ce voyage, il rapportait
un petit revolver brillant.

Je contemplais l’arme.
Il dit : c’est allemand.
Il appuyait avec tendresse le métal
sur ma tempe indifférente.

Tout devint tiède et blanc.

Ma mémoire est intacte.
Nous avons traversé les salles
Nous avons croisé les foules.
Il ne vint à personne l’idée que je n’étais
pas coupable
et je me mis à penser comme eux.
21

To Think Like Them

Cablegram.
I went to meet him at the airport.
From this trip, he brought back
a shiny little revolver.

I contemplated the gun,
He said: it’s German.
He tenderly pressed the metal
against my indifferent temple.

Everything became tepid and white.

My memory is intact.
We crossed the halls
We passed the crowds.
The idea that I was not guilty
came to no one
and I began to think like them.
22

J’ignore

Tu habites cette exacte dimension
toujours certain de l’espace
sûr et sans écart
de la mesure apprise.
Tu sais.

Tandis que j’erre à l’intérieur de l’œuf
et que j’aperçois
par la fissure de la coquille bleue
une soif inconnue qui m’observe
minuscule ou immense
j’ignore.

                                           I Know Not
                                           You inhabit this exact dimension
                                           ever certain of the acquired measure’s
                                           sure, undeviating space.
                                           You know.

                                           Whereas I rove within the egg
                                           and notice
                                           through the crack in the blue shell
                                           an unknown thirst that observes me
                                           miniscule or immense
                                           I know not.
23

J’y étais

J’y étais
C’était l’heure désolée quand les hommes
appuyés au mur de l’usine
gardent la tête basse
C’était l’heure navrante quand les hommes inquiets
ne sont pas volubiles en tirant le tabac.
C’était l’heure quand les longues aiguilles tristes
des horloges
se serrent les unes contre les autres.
Il y avait des bruits de machines
et il y avait Dolorès devant la glace
dans la salle de repos des dames
qui passait et repassait sur ses lèvres
le bâton rouge
qu’Antoine lui avait offert pour ses seize ans.
24

I Was There

I was there.
It was the desolate hour when men
leaning against the factory wall
hang their heads
It was the distressing hour when uneasy men
aren’t talkative as they drag on tobacco.
It was the hour when the long sad hands
of the clocks
press close to one another.
There were noises of machinery
and there was Dolores before the glass
in the ladies’ restroom
who passed and passed again across her lips
the red stick
Anthony gave her when she turned sixteen.
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