Un ictère inhabituel - Swiss Medical Forum
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QUEL EST VOTRE DIAGNOSTIC? PEER REVIEW ED ARTICLE | 459 Le long chemin vers le diagnostic Un ictère inhabituel Sara Kubatzki a , médecin diplômée; Carlos Marinho Lourenço a , médecin diplômé; Dr méd. Ignaz Good a,b ; Dr méd. D aniel R ibeiro a Spital Walenstadt: a Departement Innere Medizin; b Gastroenterologie Présentation du cas En présence de douleurs au niveau du sternum et de l’abdomen supérieur ainsi que de facteurs de risque, Un patient âgé de 70 ans s’est présenté à notre service il convient, lors de l’évaluation initiale au service des des urgences avec des douleurs oppressantes dans la urgences, de considérer la possibilité d’une genèse co- région inférieure du sternum. Cette symptomatique ronarienne. En présence d’un électrocardiogramme et douloureuse était déjà apparue la veille et avait ré- d’un taux de troponine normaux ainsi qu’un début gressé spontanément. Un nouvel épisode est désor- antérieur de la symptomatique, celle-ci semble plutôt mais survenu. Par ailleurs, il souffrait depuis quelques improbable, et cela n’expliquerait pas non plus les va- jours de problèmes de reflux qui ne correspondaient leurs hépatiques. pas à la pression douloureuse. Il ne présentait ni Le reflux gastro-œsophagien connu du patient ainsi dyspnée, ni nausée, ni vomissement. Une symptoma- que des maladies gastriques associées telles qu’un ul- tique B a également été niée. cère pourraient certes éventuellement expliquer la L’unique maladie préexistante était une hypertension symptomatique clinique, mais, tout comme une cause artérielle, pour laquelle il prenait régulièrement un musculosquelettique, ne seraient toutefois pas une rai- inhibiteur de l’ECA. A part cela, il avait été fumeur de son expliquant l’augmentation des transaminases. La nombreuses années auparavant (25 paquets-année). formation de calculs ou une inflammation au niveau Le patient se trouvait dans un bon état général au mo- des voies biliaires peuvent être envisagées en présence ment de l’admission. Globalement, les paramètres vi- de douleurs épigastriques et d’une élévation des para- taux étaient normaux. L’abdomen était souple avec des mètres de la cholestase. Toutefois, en l’absence de bruits intestinaux réguliers et une douleur à la pres- fièvre et en présence de paramètres de l’inflammation sion dans l’épigastre, le reste de l’examen ne présentait bas, une cholécystite ainsi qu’une cholangite semblent aucune anomalie. moins probables à ce moment. Ainsi, la cholécysto- A l’électrocardiogramme, le rythme sinusal était nor- lithiase/cholédocholithiase reste le diagnostic le plus mocarde sans trouble de la repolarisation. Les analyses probable, d’une part en raison de la symptomatique et biochimiques ont indiqué un taux de troponine en d’autre part au vu de la fréquence. dessous de la valeur limite. Le taux de bilirubine totale L’échographie de l’abdomen a mis en évidence le foie s’est par ailleurs révélé accru, avec une valeur de avec un parenchyme hyperéchogène comme signe 86 µmol/l. A ce moment, le patient ne présentait aucun d’une hépatite stéatosique. La vésicule biliaire appa- ictère cutané ni scléral. En outre, le taux de transami- raissait globalement floue et contractée avec une paroi nases était accru avec une valeur de l’ASAT à 216 U/l et accentuée. Les voies biliaires intra-hépatiques et extra- de l’ALAT à 239 U/l, le taux de protéine réactive C (CRP) hépatiques n’étaient pas bloquées. De même, aucun s’élevait à 31 mg/l. concrément n’a pu être représenté. Le pancréas était Une médication analgésique et un inhibiteur de la difficilement visible. Ainsi, l’échographie n’était pas pompe à protons ont été administrés au patient. Cela a concluante pour le diagnostic. déjà permis une bonne réduction de la symptomatique Le soir du même jour, le patient a développé une fièvre douloureuse sans qu’aucun diagnostic n’ait encore été de 38,9 °C (auriculaire) et des frissons. Les douleurs ab- établi. dominales étaient persistantes, les paramètres vitaux stables. Le lendemain, une coloration jaune de la peau Question 1: Quel diagnostic est le plus probable au vu des résultats jusqu’à présent disponibles? et des sclères sont apparus. Il a par ailleurs rapporté que ses selles étaient désormais claires et son urine a) Reflux gastro-œsophagien d’une couleur foncée. b) Infarctus du myocarde sans élévation du segment ST Les analyses biochimiques ont indiqué une nouvelle (NSTEMI) c) Cholécystolithiase/cholédocholithiase augmentation du taux de bilirubine à 162 µmol/l, les d) Cholécystite/cholangite transaminases étaient toujours aussi élevées. La lipase Sara Kubatzki e) Douleurs musculosquelettiques et l’amylase se trouvaient encore dans les normes. En SWISS MEDICAL FORUM – FORUM MÉDICAL SUISSE 2020;20(31–34):459– 462 Published under the copyright license “Attribution – Non-Commercial – NoDerivatives 4.0”. No commercial reuse without permission. See: http://emh.ch/en/services/permissions.html
Quel est votre diagnostic? 460 outre, les paramètres de l’inflammation étaient désor- disponible dans l’hôpital régional du cas décrit. Dans mais nettement accrus avec une CRP de 118 mg/l et un les lignes directrices actuelles, les deux méthodes taux de leucocytes de 14,3 G/l. d’examen sont considérées comme équivalentes [7]. La CPRM met en évidence par IRM la totalité des voies Question 2: Quel est désormais le diagnostic le plus biliaires et pancréatiques, c’est-à-dire la région où se probable? trouve supposément la pathologie sous-jacente. a) Cholangite en présence de concréments du canal cholé- Contrairement à la CPRE, la CPRM est non invasive et doque s’accompagne ainsi d’un taux inférieur de complica- b) Cholangite en présence de carcinome de la tête du pancréas tions pour une sensibilité et une spécificité compa- c) Pancréatite rables, elle est donc purement diagnostique. En règle d) Hépatite générale, la CPRE thérapeutique fait suite à l’établis e) Hémolyse sement du diagnostic, en particulier en présence de Au vu du tableau clinique désormais accentué avec concréments. En cas d’urgence, comme par exemple de fièvre, frissons et ictère ainsi que des paramètres de cholangiosepticémie, la CPRM ou l’échographie endo la cholestase et de l’inflammation en hausse, il conve- scopique ne doivent pas retarder la CPRE au risque de nait désormais d’envisager en premier lieu un foyer dégrader le pronostic. Même lorsqu’une cholédocho- infectieux dans les voies biliaires. Les concréments lithiase a déjà été mise en évidence par échographie, la obstruant les voies biliaires sont la cause la plus fré- quente – entre 28 et 70% selon les ouvrages de réfé- rence – de la cholangite cholestatique. En présence d’une symptomatique survenue de manière relative- ment aiguë, une genèse maligne semblait moins pro- bable [1]. La pancréatite survient certes souvent en association avec des concréments des voies biliaires, mais était ici moins probable en présence de valeurs de lipase normales et d’une présentation clinique aty- pique. Au vu des résultats biochimiques et du tableau clinique, une hépatite virale aiguë semblait certes pos- sible, mais une telle augmentation de la CRP serait en revanche trop élevée. Les analyses sérologiques de l’hépatite réalisées ensuite étaient négatives. Une hémolyse peut théoriquement aussi être la cause d’un ictère, mais n’est toutefois guère probable en asso- Figure 1: CPRM coupe frontale, 1) le canal hépatique commun ciation avec la symptomatique décrite par le patient et et 2) le canal cystique (provenant de la vésicule biliaire) se les composants infectieux. rejoignent pour former 3) le canal hépato-cholédoque (DHC) Après prélèvement de cultures sanguines, un traite- qui a été déplacé dans son ensemble en raison du diverticule ment antibiotique par ceftriaxone et métronidazole a duodénal (flèche). 4) Canal pancréatique. été initié. Question 3: Quel examen doit désormais être réalisé pour établir le diagnostic? a) Analyses biochimiques approfondies b) Echographie de contraste / «contrast-enhanced ultrasound» (CEUS) c) Cholangio-pancréatographie par résonance magnétique (CPRM) d) Biopsie du foie e) Cholangio-pancréatographie rétrograde endoscopique (CPRE) L’examen indiqué à ce moment-là serait une CPRM pour rechercher des concréments dans le canal cholé- Figure 2: CPRM coupe transversale, 1) duodénum avec diver- doque ou des masses dans le système des voies bi- ticule duodénal avoisinant (flèche). 2) Tête du pancréas avec liaires ou à proximité de la papille, ou encore une canal pancréatique. Papille (*) directement située au niveau échographie endoscopique. Cette dernière n’est pas du diverticule. SWISS MEDICAL FORUM – FORUM MÉDICAL SUISSE 2020;20(31–34):459– 462 Published under the copyright license “Attribution – Non-Commercial – NoDerivatives 4.0”. No commercial reuse without permission. See: http://emh.ch/en/services/permissions.html
Quel est votre diagnostic? 461 CPRE est l’intervention de premier choix car elle per- compressif, il contenait des résidus alimentaires em- met une approche thérapeutique directe [7]. prisonnés qui ont pu être évacués. De manière conco- Une biopsie du foie ne serait actuellement pas pertinente mitante, une gastrite érosive a été détectée ainsi que car le problème peut parfaitement être extra-hépatique; des varices œsophagiennes (fig. 3, 4). de même, des analyses biochimiques approfondies ne Dès le lendemain, les paramètres de l’inflammation et sont pas nécessaires avant l’imagerie. Une échographie de la cholestase avaient nettement diminué. L’ictère de contraste est utilisée pour caractériser avec précision cutané et scléral avait régressé, de même que les selles les masses intra-hépatiques, mais n’est pas pertinente et l’urine avaient retrouvé une couleur normale. dans notre cas. La CPRM (fig. 1, 2) a permis de visualiser Par la suite, un Fibroscan a été réalisé, révélant une en particulier un diverticule duodénal de dimensions fibrose modérée. Aucune biopsie n’a jusqu’à présent été 5,7 × 3,4 × 3,4 cm se situant directement au niveau de la pratiquée. papille duodénale majeure, recouvrant ainsi celle-ci. Les voies biliaires à proprement parler étaient fines et Discussion normales. Elles ne présentaient aucun concrément, ni aucune masse à suspicion tumorale. Les cultures san- La recherche du diagnostic s’est avérée être une entre- guines ont par la suite révélé des E. coli pansensibles. prise délicate. Quelques signes cliniques déterminants Une représentation endoscopique de la situation a en- ne se sont développés qu’en cours d’évolution. L’exa- suite été réalisée. Le gros diverticule se trouvait direc- men diagnostique initial d’urgence n’a fourni aucun ré- tement au niveau de la papille et entraînait un effet sultat concluant. La genèse exacte de l’infection, présu- mée par la suite, des voies biliaires bel et bien obstruées était d’abord incertaine. A ce moment-là, une cholédo- cholithiase semblait la plus probable, même si elle n’a pas pu être mise en évidence à l’échographie. La constel- lation globale semblait trop aiguë pour une affection tumorale. La CPRM a finalement pu établir le diagnostic d’un diverticule duodénal juxta-papillaire. Mais comment expliquer la symptomatique aiguë? Il est probable que le diverticule ait existé depuis longtemps et que sa taille ait progressivement augmenté. Les rési- dus alimentaires emprisonnés ainsi que l’œdème dû à l’inflammation ont supposément entraîné le recouvre- ment de la papille ainsi qu’une cholangite ascendante secondaire. Lors de la CPRM, les voies biliaires n’étaient plus obstruées et l’endoscopie a révélé une situation qui Figure 3: Gastro-duodénoscopie, vue dans le diverticule n’était plus que peu inflammatoire. A ce moment-là, le duodénal rempli de résidus alimentaires. patient recevait toutefois déjà un traitement antibio- tique depuis plusieurs jours. Cela permet de postuler que, d’une part, le traitement antibiotique et, d’autre part, le traitement endoscopique du gros diverticule étaient les deux composantes du traitement réussi. Il serait néanmoins envisageable qu’une cholédocho- lithiase ou une évacuation de calculs aient également eu lieu, même si cela n’était pas visible à la CPRM. En ef- fet, la sensibilité de la CPRM pour détecter une cholé- docholithiase est d’approximativement 90% [6]. Question 4: Comment est appelé le tableau clinique du diverticule duodénal juxta-papillaire obstructif? a) Syndrome de Mirizzi b) Syndrome de Lemmel Figure 4: Gastro-duodénoscopie, représentation du diverticule c) Syndrome d’Alagille après évacuation. La papille duodénale majeure (flèche) est d) Syndrome de Caroli visible en haut à droite. e) Syndrome de Summerskill-Walshe-Tygstrup SWISS MEDICAL FORUM – FORUM MÉDICAL SUISSE 2020;20(31–34):459– 462 Published under the copyright license “Attribution – Non-Commercial – NoDerivatives 4.0”. No commercial reuse without permission. See: http://emh.ch/en/services/permissions.html
Quel est votre diagnostic? 462 Dans la littérature, le tableau clinique d’un diverticule créatico-biliaires peuvent se manifester, par exemple duodénal juxta-papillaire entraînant un ictère obs- lorsque le diverticule s’infecte. Un ictère peut alors sur- tructif est appelé syndrome de Lemmel. Il a été décrit venir, même sans concrément obstructif. Un examen pour la première fois en 1934 par Gerhard Lemmel [5]. diagnostique approfondi est nécessaire. La tomodensi- Il présente généralement un tel diverticule duodénal tométrie ou la cholangio-pancréatographie par réso- dans la partie descendante du duodénum et, dans la nance magnétique conviennent à cet effet. mesure où il se trouve à proximité de la papille duo Le traitement optimal dépend toujours de la patho dénale majeure, est qualifié de diverticule duodénal genèse sous-jacente. Le cas échéant, un traitement juxta-papillaire. Ceux-ci sont généralement asympto- chirurgical peut même être requis. Il représente toute- matiques [2]. fois une grosse intervention avec un taux accru de Dans le cas du syndrome de Mirizzi, le canal hépatique complications. C’est pourquoi une approche conserva- commun est comprimé par un calcul biliaire impacté trice est privilégiée dans la mesure du possible [4]. dans le col vésiculaire ou dans le canal cystique. Le syndrome d’Alagille est un trouble autosomique do- Résumé minant caractérisé par des hypoplasies intra-hépa- Chez les patients présentant un ictère cutané et scléral, tiques des petites voies biliaires, la maladie se mani- des concréments biliaires ou des tumeurs sont souvent feste déjà durant l’enfance. Concernant le syndrome de d’abord envisagés comme déclencheurs. Toutefois, s’il Caroli, il s’agit d’une dilatation cystique des grandes n’existe aucun signe de ces deux maladies, le syn- voies biliaires intra-hépatiques, transmise selon le drome de Lemmel peut aussi être considéré – une mode d’hérédité autosomique récessif, accompagnée cause rare de l’ictère. par ailleurs d’une fibrose hépatique. Il survient des cholangites bactériennes récidivantes et le risque de Remerciement Les auteurs remercient Dr Angela Schönitz du département de radio- carcinome des voies biliaires est accru. logie de la région hospitalière Rheintal Werdenberg Sarganserland Le syndrome de Summerskill-Walshe-Tygstrup est une pour la mise à disposition des images radiologiques. pathologie bénigne présentant une cholestase intra- hépatique intermittente sans progression vers une lé- Disclosure statement Les auteurs n’ont pas déclaré des obligations financières ou person- sion hépatique. nelles en rapport avec l’article soumis. Question 5: Chez combien de patients environ des diverticules Références duodénaux sont-ils découverts lors d’examens de CPRE? 1 Kimura Y, Takada T, Strasberg SM, et al. TG13 current terminology, etiology, and epidemiology of acute cholangitis and cholecystitis. a)
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