L'AMOPA - oulages avec ierre

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L'AMOPA - oulages avec ierre
Revue de
               SEPTEMBRE 2020
                JUILLET - AO T

                                 L’AMOPA
          n° 229

                                 ASSOCIATION DES MEMBRES DE L’ORDRE DES PALMES ACADÉMIQUES

                                                                  RENCONTRE

                                                            avec   ierre
                                                                oulages

COUVERTURE N°229.indd 1                                                                      22/09/2020 11:08
L'AMOPA - oulages avec ierre
Sommaire

                          Éditorial                              Musique
                 1        Jean Pierre Polvent               41
                                                                                        …
                          Rencontre avec
                 2        « Pierre Soulages,                     par François Ragot

                          par Benoît Decron avec la              Littérature
                          collaboration de Michèle Dujany   43
                                                                 par Jean Chalvin
                          Arts visuels
                 4                               R               Arts visuels
                                                            47
                          par Benoît Decron                      par Jean Tongio

                          Littérature                            Littérature
                 7        André Gide revisited              49      R

                          par Peter Schnyder                     par Jean Chalvin

                          Arts visuels                           Arts et science
                 14       Henri Winkler                     50
                          par Marie Laure Nicolaon               par Jean-Paul Lesueur, en collaboration
                                                                 avec M. Roger Stanchina et
                          Littérature et théâtre                 madame Evelyne Dolbet
                 20
                                                                 Langue française
                          par Maria Tronea                  52
                          Musique                                par Jean Pruvost
                 25                    …
                          par Thierry Benetoux                   Concours nationaux
                                                            53
                          Littérature
                 29
                          de Jean Giono                          par Marie-Hélène Reynaud

                          par Katia Thomas-Montésinos       54   Le saviez-vous ?

                          Arts visuels                           La vie des sections
                 34                                         55
                          au Street Art                          par Marie-Hélène Reynaud
                          par Jean Tongio
                                                            57   Visite du président national,
                          Littérature
                 39                                              par Robert Lopez
                          dans le Surrey, en Angleterre
                          par David King                         Les partenaires
                                                                 de l’AMOPA
                                                                 ADOSOM

COUVERTURE N°229.indd 2                                                                                    22/09/2020 11:08
L'AMOPA - oulages avec ierre
Éditorial

                                                    Les Arts et les Lettres à l’AMOPA

                                         Chers amis,

                                          Pierre Soulages vous accueille en première de couverture de la Revue
        par
        JEAN PIERRE POLVENT           avec une photographie en noir et blanc naturellement. L’artiste de renommée
        Président national            mondiale s’est prêté à l’entretien qui ouvre les pages de ce numéro. Compte
        de l’Amopa                    tenu du contexte actuel, l’entretien a pris toutefois un tour particulier avec le
                                      relais éclairé d’un homme qui connaît parfaitement le peintre et s’est fait son
                                      porte-parole, Benoît Decron, conservateur en chef du musée Soulages de Rodez.
                                      Nous les remercions d’avoir accepté spontanément et avec enthousiasme, de
                                      s’adresser à nos lecteurs.

                                         Les articles qui suivent sont aussi talentueux. Ils offrent de nouveaux
                                      regards sur des hommes de lettres que l’on croit bien connaître : André Gide,
                                      Eugène Ionesco, Jean Giono, Émile Zola, Gustave Flaubert et François de la
                                      Rochefoucauld. Ils nous emmènent aussi à la découverte d’un sculpteur sur verre,
                                      d’une école de peinture, de l’art dans la rue, de l’accordéon. Vous retrouverez
                                      comme à l’habitude la chronique toujours attendue de Jean Pruvost.
                                         Trois visites vous sont proposées, le musée Soulages de Rodez, la ferme
                                      de la montagne à Liancourt, le carrefour des arts de La Louvesc ainsi qu’une
                                      escapade romaine avec Athéna.
                                         Bref, vous avez de quoi faire une belle randonnée à votre rythme. Bien
                                      entendu n’oubliez pas de vous arrêter à la page de notre concours national
                                      « Plaisir d’écrire ». Vous verrez que le talent n’a pas d’âge et que les jeunes ont
                                      toute leur place dans la Revue.
                                         Enfin, il faut souligner par les temps qui courent, la performance de notre
                                      équipe de rédaction qui a réussi à sortir sans encombre les trois derniers
                                      numéros de la Revue. Cette équipe s’est surpassée, son enthousiasme et son
                                      professionnalisme ont permis de surmonter toutes les difficultés.

                                         Seule la place réservée aux manifestations dans les sections n’a pu prendre
                                      aujourd’hui toute sa dimension. Chacun comprendra que les exigences sanitaires
                                      sont passées par là. Les présidents ont porté toute leur attention aux adhérents
                                      avec un soutien pour chacun. Ils ont fait un travail remarquable.

                                         Je vous souhaite une belle lecture.

                                                                                                     Amopa n° 229               1

AMOPA N°229 (septembre 2020).indb 1                                                                                         22/09/2020 11:20
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Rencontre avec

                               « Pierre Soulages,
                   une poétique de la lumière »
                   PROPOS RECUEILLIS PAR BENOÎT DECRON
                   Conservateur en chef du Musée Soulages de Rodez
                   AVEC LA COLLABORATION DE MICHÈLE DUJANY
                   Secrétaire générale de l’AMOPA

                 B
                          enoît Decron, conservateur en chef du Musée Soulages de Rodez, répond,
                          en plein accord avec Pierre Soulages, aux questions qui avaient été
                          envoyées au créateur d’une œuvre immense que l’on ne peut réduire
                   à la recherche de l’Outrenoir, qui n’a malheureusement pas pu nous recevoir
                   compte tenu du contexte actuel.

                       Vous êtes mondiale-                                                              critiques d’art des années
                   ment connu et célébré                                                                1950 ont pu parler d’œuvres
                   comme le concepteur                                                                  abstraites mais les artistes
                   de l’Outrenoir. Le noir                                                              de l’époque comme lui,
                   est-il pour vous une                                                                 évoquent plutôt un art non
                   couleur ou un concept                                                                figuratif, un « art autre ».
                   aux pouvoirs particuliers ?
                   L’abstraction résume-t-                                                                 Vous avez affirmé :
                   elle votre œuvre ?                                                                   « Lorsque j’ai eu 14 ans,
                      Pierre Soulages a large-                                                          c’est devant l’abbaye de
                   ment utilisé les couleurs                                                            Conques que j’ai décidé
                   comme le jaune, le rouge,                                                            que, seul, l’Art m’inté-
                   le bleu et le vert avant                                                             resserait dans la vie. »
                   qu’on ne le définisse en                                                             Cette détermination
                   1979 comme le peintre du                                                             précoce n’a-t-elle jamais
                   noir. Pour lui, le noir est                                                          vacillé ?
                   une couleur qui peut être                                                               Très tôt, Pierre Soulages
                   vue comme la somme de                                                               a collectionné des manuels
                   toutes les couleurs mélan-                                                          scolaires qui proposaient
                   gées. Chez lui, le noir est          Pierre Soulages, lithographie n°4, 1957.       des reproductions d’œuvres
                   monopigmentaire mais pas               donation ierre et Colette Soulages,          d’art moderne. S’il va à
                                                        musée Soulages ode . Cliché . stadieu
                   monochrome. Il n’a aucun                                                            Conques, c’est que l’art
                   caractère de dramatisation                                                          roman exprime pour lui
                   mais un rapport particulier                                                         une forme de modernité de
                   avec la lumière et constitue une forme de rigueur. Au      même que l’art préhistorique, la peinture primitive
                   fond d’une grotte, la lumière prend toute sa valeur.       et les gravures des statues menhirs du Rouergue.
                      Pierre Soulages a toujours affirmé son                      À 14 ans, sa vie bascule vers l’âge adulte et il se
                   détachement à l’égard des terminologies. Les               convainc qu’il « ne va pas la perdre à la gagner ».

      2            Amopa n° 229

AMOPA N°229 (septembre 2020).indb 2                                                                                                     22/09/2020 11:20
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Rencontre avec

              Ainsi, il a toujours eu le sentiment qu’il n’avait
              jamais travaillé et que sa passion pour l’Art a
              rempli sa vie ; elles prendront fin ensemble
              comme deux élans naturels.

                 Vous avez dit : « C’est ce que je fais
              qui m’apprend ce que je cherche ». Que
              cherchez-vous ? Que voulez-vous faire
              partager en exposant vos œuvres ?
                  On a fait dire à Picasso : « Je ne cherche pas,
              je trouve. » Pour cette génération de peintres,
              l’artiste est un démiurge, un dieu créateur de
              son œuvre propre ; il n’a pas besoin de sources
              d’inspiration. Pour Pierre Soulages, la création
              est liée au hasard, à l’outil, à la main et la part
              de sérendipité de l’œuvre est source de poésie.
              Elle ne naît pas d’un travail préparatoire. Le
              peintre entame directement sa toile.
                  Pierre Soulages cherche à faire partager son
              plaisir, la réalisation de l’œuvre et sa poésie.
              La peinture, c’est toujours la poétisation du
              monde. Il considère sa peinture comme une
              interaction entre le peintre, l’œuvre et celui             Pierre Soulages, peinture 202 x 159 cm, 5 juillet 1966.
                                                                          onation ierre et Colette Soulages, musée Soulages ode .
              qui la regarde.                                             hoto . estadieu.

                                                                           Quel regard portez-vous sur l’enseignement
                                                                           artistique tel qu’il est pratiqué en France dans
                                                                           le système scolaire ou dans les Écoles supé-
                                                                           rieures d’art ? Quels conseils donneriez-vous
                                                                           à un jeune de 14 ans qui veut consacrer sa
                                                                           vie à la peinture ?
                                                                               Pierre Soulages a participé à des entretiens
                                                                           avec des étudiants des Beaux-arts de Montpellier.
                                                                           Mais c’est un maître sans élève et lui-même était
                                                                           sans maître. Plus exactement, c’est un autodi-
                                                                           dacte qui n’a pas suivi une longue formation
                                                                           académique. En 1938, il a brièvement suivi à
                                                                           Paris un apprentissage au professorat de dessin
                                                                           et une préparation au concours national des
                                                                           Beaux-arts puis en 1942 à Montpellier. En fait,
                                                                           il pense que toute formation est sclérosante, ce
                                                                           qui n’exclut pas une grande fascination pour les
                                                                           personnes de vaste culture.
                                                                               Pierre Soulages est libre, indépendant et
                                                                           autonome. Il aura bientôt 101 ans. À un jeune de
                                                                           14 ans, il lui dirait certainement : « Fais comme
              Pierre Soulages, Brou de noix sur papier 32,3 x 25,6 cm,
              1949. Collection musée Soulages ode . onation ierre          moi, suis ta route. »
              et Colette Soulages. Cliché C. Bousquet

                                                                                                             Amopa n° 229               3

AMOPA N°229 (septembre 2020).indb 3                                                                                                 22/09/2020 11:20
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Arts visuels

                           Le musée Soulages,
                                      R

                   PAR BENOÎT DECRON
                   Conservateur en chef du patrimoine, directeur du musée Soulages, Rodez

                 E
                         n 2005,
                         Pierre et
                         Colette
                   Soulages ont
                   donné un
                   ensemble majeur
                   d’œuvres du
                   peintre afin de
                   constituer la
                   collection d’un
                   musée en projet
                   à Rodez.

                       Cette donation sera
                   complétée par deux
                   autres en 2012 et en                                          © C     musée Soulages ode    Cliché .   era illes
                   2020, cette dernière
                   constituée de 4 grandes
                   toiles emblématiques de 1949 à 2000, d’un ensemble           Sans la générosité du couple Soulages, le musée
                   de 18 peintures sur papier (dont les célèbres Brous      n’existerait pas, exemple quasi unique en France
                   de noix, dès 1946) et du vase de Sèvres réalisé avec     d’un lieu dédié à un artiste en activité.
                   les ateliers de la Manufacture en 2000 : le président        Le musée Soulages dispose d’une collection
                   Chirac avait demandé à Pierre Soulages de faire          permanente forte de près de 500 pièces, la plus
                   un trophée pour le tournoi de sumo de Nagoya. Le         importante au monde sur le peintre. Seuls le
                   peintre y a ajouté last but not least un Outrenoir       musée national d’art moderne, le musée Fabre de
                   monumental de 2019 (près de 4 m de haut) ; il            Montpellier et la Bibliothèque nationale de France
                   n’aura échappé à personne que le 24 décembre             possèdent des ensembles conséquents. À Rodez, le
                   2019 Pierre Soulages atteignait sa centième année        visiteur verra des œuvres de 1934 (huiles figuratives,
                   et que le musée du Louvre lui réserva une exposition     l’apprentissage) à 2019, des toiles, des peintures sur
                   personnelle dans le Salon Carré. C’était la troisième    papier (de 1946 à 2003), l’œuvre gravé (eaux-fortes,
                   fois qu’il était exposé dans le saint des saints, dans   lithographies, sérigraphies, papiers formés), des
                   ce musée qu’il a si souvent parcouru.                    bronzes, de la porcelaine, les cartons préparatoires

      4            Amopa n° 229

AMOPA N°229 (septembre 2020).indb 4                                                                                                   22/09/2020 11:20
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Arts visuels

              aux vitraux de Conques, des films, des photogra-             il dispose aussi d’une vaste salle d’exposition, les
              phies, des livres…                                           expositions temporaires qui vont de Pablo Picasso
                  L’expérience de Conques (1986-1994) a préparé            à Alexander Calder, des Japonais de Gutai à Yves
              la naissance du musée, car la commande publique              Klein, quatorze expositions depuis 2014. Les valeurs
              des vitraux, au-delà du témoignage du peintre dans           de la connaissance et de l’initiation au goût, en
              son pays natal, favorisera le développement d’un             somme la curiosité, ne doivent pas se réduire à
              projet ambitieux, brossant un panorama complet               Paris et aux métropoles.
              de l’œuvre, en parcourant les sentiers de la création            Pierre Soulages qui affirmait en 1956 « Je ne
              donc les choix techniques : la peinture, les outils, les     crois apprendre ce que je cherche qu’en peignant »
              papiers, les pigments, le verre inventé, les matrices        aime les courants du hasard, l’art rapproché de la
              en cuivre des eaux-fortes, etc.                              technique, les ondes des œuvres immémoriales et
                  Au bord d’un parc arboré, le musée Soulages est          anonymes telles les peintures préhistoriques, les
              un vaisseau allongé sur lequel se dressent des paral-        statues de rois en diorite d’Assur ou de Sumer, les
              lélépipèdes, ceux-ci bardés de plaques d’acier Corten,       fresques romanes. Les musées servent à ça.
              couvertes de rouille ; on en a accéléré l’attaque arti-          Les problèmes de la peinture, et donc les solu-
              ficiellement pour obtenir comme une moire, du roux           tions, procèdent de l’œuvre elle-même, de son
              au brun, rappelant les effets picturaux des Brous de         avancement. Le visiteur parcourt les salles du musée,
              noix. Des architectes catalans ont été choisis parmi         1 400 mètres carrés, sans l’autorité d’un circuit
              98 candidats, Pierre et Colette Soulages étant du            définitif. « On ne demande rien au spectateur : on
              jury présidé par Paul Chemetov : les RCR arqui-              lui propose une peinture qu’il voit à la fois en toute
              tectes, à savoir Ramon Vilalta, Carme Pigem, Rafael          liberté et nécessité ». Humanisation et poétisation
              Aranda - Gilles Trégouet qui ont obtenu en 2017 le           du monde, telle apparaît sa peinture.
              Pritzer Prize, Prix Nobel de l’architecture contem-              Le musée Soulages, porté avec détermina-
              poraine. L’extérieur, avec les parois métalliques, les       tion par la communauté de communes de Rodez,
              terrasses, l’insertion dans le paysage, se prolonge à        55 000 habitants, a été inauguré le 30 mai 2014 en
              l’intérieur par une césure nord/sud : au nord une            présence du président Hollande. En juillet 2019,
              lumière d’atelier, étale, pour les toiles ; au sud beau-     le musée devient un EPCC établissement public à
              coup plus protégé, une lumière économe (45 lux),             quatre partenaires, l’État-Ministère de la Culture,
              pour les papiers, peintures et                                                       la Région Occitanie, le
              estampes. La circulation dans                                                        Département de l’Aveyron
              le musée s’établit sur la base                                                       et Rodez agglomération,
              de passages de la lumière à                                                          sous la présidence d’Alfred
              l’obscurité des salles, comme                                                        Pacquement, ancien direc-
              Soulages le fait dans sa pein-                                                       teur du musée national d’art
              ture quand le noir ne saurait                                                        moderne. L’EPCC permet une
              exister sans la lumière qui                                                          agilité de fonctionnement,
              porte les couleurs. Murs                                                             tout en affichant des ambi-
              et sols sont constitués de                                                           tions claires tant en termes
              lames et de plaques de                                                               culturels – conservation,
              métal noirci. Le musée, ses                                                          recherches, enrichissements
              collections permanentes, se                                                          des collections, expositions –
              conçoivent comme une expo-                                                           que ceux de l’exploitation
              sition temporaire pouvant                                                            économique d’un tel équi-
              sans cesse être modifiée.                                                            pement : par exemple, 2020
              Pierre Soulages fut consulté,                                                        nous a permis d’optimiser
              attentif aux côtés de l’équipe                                                       notre service aux publics
              lors de l’accrochage et des                                                          sous la forme de média-
              choix techniques. Le musée                                                           tions approfondies, de visites
              Soulages est certes celui d’un               © C     musée Soulages ode .
                                                                                                   conférences à la carte. Le
              artiste, monographique, mais                      Cliché . era illes                 musée Soulages, a plus de

                                                                                                             Amopa n° 229               5

AMOPA N°229 (septembre 2020).indb 5                                                                                                 22/09/2020 11:20
L'AMOPA - oulages avec ierre
Arts visuels                                                                                                                                             A

                   55 % d’autofinancement, atteindra son millionième           conventionnel : le chevalet, les tubes de peinture,
                   visiteur fin 2020, la fréquentation annuelle se             les châssis du commerce, les pinceaux délicats en
                   situant autour de 130 000 visiteurs. Le musée               poil de martre… Il leur préfère les spalters, brosses
                   abrite le Café Bras fondé dès l’ouverture par le            de peintre en bâtiment, les outils de sa fabrication
                   chef étoilé aveyronnais : associer la gastronomie           dont des racles et des peignes, de la peinture en pot
                   et l’art va de soi.                                         (du marchand de couleurs parisien Édouard Adam),
                       Pierre Soulages est né à Rodez, préfecture              des châssis et des toiles qu’il assemble lui-même. Sur
                   de l’Aveyron, dans la rue Combarel, dédiée aux              des châssis de plus en plus vastes Soulages peint sur
                   artisans ; son père Amans fabriquait des véhicules          le mur, il peint au sol, enjambe. Son acte technique
                   hippomobiles, vans, sulkies… Toujours, l’artiste            est mesuré, rien de gestuel, de psychologique. Les
                   respectera la science de la main, celle de l’assemblage,    pigments sont variés, du jaune, du bleu, du vert, du
                   l’usage de l’outil. Adolescent, il s’adonnait à la pêche    rouge de Mars, mais c’est le noir qui aura de plus
                   à la ligne, aux fouilles archéologiques, au rugby et…       en plus sa préférence. Noir tracé en traits épais,
                   à la peinture. Une visite scolaire dans l’abbatiale de      comme des poutres occupant l’espace, noir passé
                   Conques lui fit découvrir l’art roman, l’architecture       en formes incertaines. Certains auteurs évoquent
                   et la sculpture, décidant alors qu’il serait peintre,       des calligraphies : écritures signifiantes chez les
                   « qu’il ne perdrait pas sa vie en la gagnant ». Après       Japonais, ici elles s’enroulent à vide. Le blanc,
                   une première formation à Paris en 1938 dans l’atelier       donc la lumière, surgissant du fond du tableau
                   du sculpteur René Jaudon, il fit deux années de             marque comme une sorte d’équilibre. Soulages sait
                   beaux-arts à Montpellier dans des ateliers qu’il            quand une huile est finie, mais d’aucuns pensent
                   fréquentait avec sa future femme Colette Llaurens.          que sa peinture reste fondamentalement dans
                   Nous pourrions presque ranger Soulages parmi les            une pulsion d’inachevé. « Il faut savoir rejeter
                   autodidactes, dans le sens où il ignorait la protection     tout ce qui plaît trop. La vraie peinture c’est de
                   de maîtres. Il lisait ce qu’il pouvait trouver sur l’art    continuellement renoncer » dit-il à son ami le
                   et la peinture à Rodez Je définis Pierre Soulages           romancier Roger Vailland qui fit un reportage en
                   comme un créateur très indépendant, un autonome,            1961 sur sa journée de peintre, l’exécution d’une
                   un chercheur solitaire qui se soucie peu des écoles,        œuvre : Soulages déconcerte car il ajoute, retranche,
                   notamment celles des abstractions d’après-guerre,           crée des transparences jusqu’à la clarté de la toile.
                   le non-figuratif : il rejetait l’École de Paris, une        Dès 1946, il peignait des compositions majeures
                   illusion des marchands.                                     sur papier au brou de noix, de la mixture d’ébéniste
                       En 1946, Pierre Soulages dont les critiques,            dont il aimait à la fois le velours et l’âpreté. Dès
                   bientôt les directeurs de galerie et les conserva-          1951, il défonçait des plaques de cuivre pour réaliser
                   teurs notent le caractère radical dans sa peinture,         des eaux-fortes sculpturales, gravées « jusqu’à la
                   monte à Paris. Le premier numéro de son catalogue           corde » : du temps confondu à l’espace.
                   raisonné concerne une œuvre de 1946… Cela fait                  En 1979, Pierre Soulages met au point le style
                   donc 74 ans que Soulages peint, ce qui lui confère          Outrenoir, du pigment noir passé à l’outil et à la
                   une place remarquable entre art moderne et art              brosse, une surface totalement couverte, comme
                   contemporain. Pierre Soulages a fréquenté Hartung           maçonnée, parfois à la limite du bas-relief. Le
                   De Staël, Poliakoff, Schneider, Atlan, Picabia, Klein…      passage de la lumière sur cette surface monopigmen-
                   Sa mémoire d’artiste est remarquable, tant à Paris          taire – différentes variétés et apparences du noir, à
                   que de par le monde (présent dans une centaine              ne pas confondre avec le monochrome, une égale
                   de musées). En 1949, Soulages exposait pour la              couleur partout – lui donne vie. C’est un passage
                   première fois à New York, en 1958 il était invité           fondamental qui n’a rien à voir avec la surenchère.
                   au Japon.                                                   Un Outrenoir se vit comme une expérience d’au-delà
                       Comment définir une œuvre de Soulages ?                 territorial : passant devant l’œuvre, le regardeur
                   Impossible de s’en défaire en quelques lignes. Le           éprouve la qualité de la lumière qui glisse et porte
                   peintre pense que la toile est le théâtre du sens qu’on     différentes couleurs, une présence comme un reflet.
                   lui prête, que le concret n’a rien à voir avec la réalité   Soulages a peint de très grands polyptyques qui sont
                   (la figuration si l’on préfère). Très rapidement,           autant de sentinelles quand ils sont accrochés sur
                   il se débarrasse de tout ce qui définit le peintre          des câbles au milieu des salles d’exposition.

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AMOPA N°229 (septembre 2020).indb 6                                                                                                     22/09/2020 11:20
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Littérature

                                              André Gide
                                               revisited
              A
                                                                         N
              PAR PETER SCHNYDER
              Professeur émérite de l’Université de Haute-Alsace
              Officier des Palmes académiques
              Membre de l’association AMOPA de Suisse

              «U
                                      ne pas assez constante pensée de la mort n’a pas donné assez de prix
                                      au plus petit instant de la vie. »
                                                                                   Les Nourritures terrestres, Second livre1

                             L’année 2019 a marqué celle du
                         cent-cinquantième anniversaire de la
                         naissance d’André Gide, Prix Nobel de
                         littérature (1947). Les événements et
                         les publications tout au long de cette
                         année confirment la vitalité de l’œuvre
                         et du message gidiens. Gide, avec sept
                         volumes en Pléiade (et un album qui
                                                                                                                       © do e Stoc

                         lui est consacré), un grand nombre
                         d’éditions en poche et une centaine de
                         Correspondances publiées, est toujours
                         lu et relu ; son style inimitable, son
                         questionnement sans compromission,
                         sa morale de l’effort et son anticonfor-
                         misme émancipateur peuvent servir d’exemple – même s’il s’éloigne de nous.
                             Dans les pages qui suivent, nous voudrions revenir brièvement sur les manifestations
                         importantes et présenter succinctement les publications les plus marquantes. Deux lignes
                         de force se cristallisent à nos yeux. D’abord, l’intérêt accru pour l’épistolaire : négligé
                         pendant longtemps, considéré au mieux comme un complément de la biographie, la lettre
                         est aujourd’hui sur le point d’acquérir un statut littéraire propre. Cette valorisation se
                         répercute sur Gide, épistolier infatigable. Il faut signaler la publication (ou la refonte)
                         de deux Correspondances importantes, mais également de deux anthologies de lettres
                         (l’une générale, l’autre avec des peintres connus de Gide). À ces éditions s’ajoutent les
                         actes d’un colloque intitulé André Gide dans ses lettres.

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Littérature

                                  L’autre ligne de force, nous la voyons dans une approche critique novatrice proposée
                              par le Groupe de recherche « Gide-Remix » de l’Université de Haute-Alsace. Sans rompre
                              avec les formes orales et visuelles traditionnelles de la critique (colloques, séminaires,
                              expositions…), cette équipe questionne Gide par le recours à d’autres disciplines. Cette
                              entreprise ouvre l’œuvre gidienne à des personnes qui ne la connaissent pas. L’année
                              passée, « Gide-Remix » a ainsi tenté une mise en musique (moderne) de textes choisis,
                              l’adaptation scénique de quelques-uns de ses récits, la mise en image, conjointement à
                              une lecture des Caves du Vatican, des scènes de la farce par un dessinateur. Expérience
                              unique, qui permet de voir différemment le texte original, mais aussi de le découvrir. Un
                              autre « mixage » a donné lieu à l’examen des Nourritures terrestres et Paludes par une
                              botaniste ou encore la préparation, par un cuisinier, de certaines des « nourritures »
                              évoquées dans ce livre. Plus récemment, une exposition, « André Gide et l’Afrique
                              équatoriale », a rappelé la remise en question du pouvoir colonial initiée par l’écrivain.
                              Des « microlectures » ont été tentées, à l’Université de Bâle, cette fois pour « tester »
                              l’actualité de Gide. Une « immersion sonore entre parodie et mise en abyme » de Paludes
                              est également prévue, ensuite un « Gide-Day » (à partir de « La Journée de Michel », avec
                              des lectures plurielles de L’Immoraliste), et un « Quiz du sphinx », autour de l’Œdipe de
                              Gide, ici « en question(s) »...

                   Expositions, colloques,                                   pour cette commémoration, avec le soutien de la
                   journée d’études, performances                            Fondation Catherine Gide4 . Dans « Je rêve », Pierre
                                                                             Antonelli (Strasbourg) cherche astucieusement
                       Il faut saluer l’exposition, organisée par Jean-      à explorer les images qui se dissimulent dans la
                   Pierre Prévost, sur les Mille visages d’André Gide,       langue gidienne. Il demande : « Voit-on “Je rêve’’
                   présentée au musée Georges-Borias d’Uzès en               comme une image et/ ou un texte transcrit ? »
                   mai-juin 2019. C’est qu’« André Gide a probablement       Vaste question, à laquelle répond, d’une manière
                   été l’un des écrivains les plus photographiés et les      originale, Juliette Solvès (Angoulême). Elle aspire à
                   plus portraiturés de son époque2 ». D’illustres           rendre visibles, simultanément, toutes les activités
                   professionnels l’ont ainsi « éternisé » : Germaine        gidiennes. Dans « Entrelacs gidiens », elle précise :
                   Krull, Philippe Halsman, Gisèle Freund. Les portraits     « Conçue comme un polyptyque, qui dispose préci-
                   ne sont pas en reste, puisqu’il a notamment posé          sément de parties séparées mais regroupées dans un
                   devant Théo van Rysselberghe, Simon Bussy,                cadre fédérateur, cette installation souhaite donner à
                   Maurice Denis, Dunoyer de Segonzac. C’est                 voir l’amplitude des intérêts de Gide dans le champ
                   justement l’exposition organisée par Alban Cerisier       de l’art en général, où il était à la fois créateur et
                   à la Galerie Gallimard, André Gide, l’inattendu3 ,        récepteur (auteur, lecteur, spectateur, musicien,
                   qui a offert plusieurs portraits « inattendus » de        auditeur5 ) ». Ces œuvres ont permis aux visiteurs
                   l’écrivain, en particulier celui de Maurice Denis         de mieux comprendre l’œuvre de Gide, les questions
                   – peu connu (1892) – ou un instantané surprenant          qu’il soulève et les réponses qu’il propose, à partir
                   de Raymond Queneau (de 1948). S’y ajoutent des            de son classicisme, qui est pour notre écrivain une
                   pages de manuscrits pour partie inédites, sur             éthique de la vérité de l’art adossée à une esthétique
                   Whitman, Goethe, Nietzsche… L’exposition ne               de la parcimonie.
                   s’est pas limitée aux éditions rares : elle mettait en        Côté colloques et journées d’études, il faut
                   valeur des vêtements et des objets ayant appartenu        mentionner les traditionnelles « Journées Catherine
                   à l’écrivain, ainsi que ses masques mortuaires, et        Gide », organisées pour la sixième année consécutive
                   ceux de Beethoven, de Leopardi et de Goethe.              par Raphaël Dupouy au Lavandou. Les intervenants
                       Deux artistes, Juliette Solvès et Pierre Antonelli,   de ces rencontres autour d’« André Gide et la pein-
                   ont prolongé l’hommage patrimonial par la présen-         ture6 » tenues en avril dernier dans l’ancien atelier
                   tation de leurs œuvres, spécialement conçues              du peintre Théo van Rysselberghe, à Saint-Clair,

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AMOPA N°229 (septembre 2020).indb 8                                                                                                   22/09/2020 11:20
Littérature

              se sont penchés sur divers
              aspects des rapports de Gide
              avec la peinture, étant entendu
              que l’écrivain a connu dans sa
              jeunesse des peintres comme
              Albert Démarest ou Maurice
              Denis, et qu’il a pu fréquen-
              ter des familles de peintres
              grâce à Paul-Albert Laurens
              ou Eugène Rouart. Plus tard, il

                                                                                                                                  © do e Stoc
              a, entre autres, été lié d’amitié
              avec Jacques-Émile Blanche et
              Théo van Rysselberghe. Avant
              d’être connu du grand public
              il a accepté, à la fois amusé et
              parfois un peu agacé, d’être portraituré par ses amis     La soirée a permis de saisir la lucidité des trois
              peintres. Mais comme pour la musique, il a tout de        protagonistes et la différence de leurs caractères,
              même préféré s’en tenir à un certain classicisme,         qui se manifeste déjà très clairement dans leurs
              saluant les grands maîtres du Louvre et d’autres          lettres de jeunesse1 0 .
              grands musées, faisant l’éloge de Poussin (plutôt             Une place de choix incombe aux performances
              que des grands peintres de son temps) et se disant        organisées par le Groupe de recherche « Gide-
              désarçonné, en 1938, devant « l’abandon du sujet          Remix », créé en 2018, qui fait partie de l’Institut
              dans les arts plastiques7 »…                              de recherche en langues et littératures européennes
                  Un colloque international, organisé par Paola         (ILLE EA 4363) de l’Université de Haute-Alsace,
              Codazzi à Paris, au printemps 2019, a été consacré        sous la direction de Martina Della Casa et Paola
              à André Gide dans ses lettres8 . Le 22 novembre           Codazzi. Comme on l’a dit, l’équipe se propose, dans
              – jour de l’anniversaire de Gide – une journée            un esprit double, de ne rien céder sur la matière
              d’étude, organisée par Pierre Masson, s’est déroulée      gidienne tout en restant à l’écoute des formes les
              à la BnF – François-Mitterrand : « André Gide, un         plus diverses pour les confronter à des médiations
              intellectuel engagé pour son temps et le nôtre9 ».        les plus variées. Il s’agit de ne pas reculer devant le
              Cette journée a mis en lumière plusieurs facettes         recours à d’autres arts, hybridations de toute sorte
              de l’engagement de Gide, manifestes dès avant la          – distorsions même. Le but recherché est de mettre
              Deuxième Guerre mondiale par la recherche – avec          entre parenthèses le discours critique classique et
              quelques amis allemands en particulier – d’une            d’amalgamer le texte gidien avec d’autres éléments
              « Europe à mesure d’homme ». Fondé sur la vision          conducteurs, artistiques ou scientifiques (ou encore
              artistique, le problème de la dissidence gidienne a été   techniques), afin de réévaluer l’œuvre originale
              discuté en lien avec un individualisme lui permettant     avec, comme constantes, la qualité de son propos, la
              de se dépasser et de se montrer généreux pour aider       richesse de ses dires, la maîtrise de son art, toujours
              des proches et parfois des inconnus. Aussi Gide           en adéquation avec son sujet. Cette entreprise est
              n’a-t-il pas craint de se mettre en danger, pendant       précieuse car elle porte l’œuvre gidienne vers des
              l’Occupation, pour voler au secours d’amis démunis        milieux qui ne la connaissent pas ou peu1 1 .
              ou persécutés. Un autre sujet abordé concernait la
              contingence : Gide en a joué avec ironie, et le prin-
              cipe d’anarchie à l’œuvre (avec, à son paroxysme,         Publications
              l’« acte gratuit »), montre que rien n’est jamais sûr,
              même dans ses livres…                                         Si l’on cherche à se faire une idée générale des
                  Une mise en scène des lettres échangées entre          publications qui ont eu lieu tout au long de 2019,
              André Gide, Paul Valéry et Pierre Louÿs, préparée          on peut les classer en deux grandes catégories :
              par Jean-Pierre Prévost, a clos la série de manifes-      1 . Édition de la Correspondances de Gide avec
              tations de ce jubilé – autre hommage à l’épistolaire.     Marcel Drouin et refonte de celle avec Ernst Robert

                                                                                                           Amopa n° 229                             9

AMOPA N°229 (septembre 2020).indb 9                                                                                                             22/09/2020 11:20
Littérature

                   Curtius, auxquelles s’ajoutent les deux choix de          sœurs de celle-ci, ainsi que leurs maris, plus tard
                   lettres déjà cités et les actes du colloque sur l’épis-   leurs enfants, sont souvent placés au centre. Nous
                   tolaire1 2 . Signe du temps et moment fort de cet         participons aux tergiversations de l’artiste. Gide y
                   anniversaire : notre époque valorise, on l’a dit,         évoque également ses rencontres, ses lectures, ses
                   les enjeux de la correspondance gidienne, à la fois       projets – et il compte beaucoup sur le jugement
                   moment préparatoire et miroir de son œuvre :              de son beau-frère qu’il invite à relire ses textes.
                   « Ensemble vaste et complexe, tout aussi protéiforme      Comme d’autres grandes correspondances, celle
                   que son auteur, le chantier épistolaire demande           avec Marcel Drouin, édité avec soin par Nicolas
                   aujourd’hui à être considéré comme un tout, comme         Drouin, rend avant tout une certaine atmosphère,
                   un genre à part entière1 3 . » Tel est le postulat de     un certain rythme de vie. Elle permet de comparer
                   Paola Codazzi, éditrice des actes de ce colloque          notre vie et notre temps à celui des protagonistes.
                   novateur, qui a donné la parole à une vingtaine           Bien entendu, la littérature est omniprésente et
                   de spécialistes. Des contributions sur des interlo-       bien des lettres sont des pages de critique – aux
                   cuteurs divers (la mère, Maria van Rysselberghe,          chercheurs à venir de trouver les passages qui ont
                   Eugène Rouart, Jean Schlumberger, Marc Allégret,          « migré » vers le Journal, vers telle chronique ou qui
                   les musiciens) alternent avec des ouvertures sur la       se retrouvent, modifiés, dans telle œuvre de fiction :
                   littérature italienne ou anglaise ou proposent des
                   approches thématiques : « Un
                   jeu de masques » ; « La lettre                                                 « Maintenant, je m’empresse de
                   comme lieu de formation » ; « La                                               te dire que ce que j’avais dit de
                   Correspondance gidienne ou la                                                  L’Éducation [sentimentale], que
                   vie des idées ».                                                               « c’était très mal écrit » n’était que
                       Ce n’est sans doute pas un                                                 pour te fâcher un peu. Si tu es déjà de
                   hasard si la Fondation des Treilles                                            mon avis, cela n’est plus amusant du
                   a créé, en collaboration avec les                                              tout. Oui, les phrases des premiers
                   Éditions Gallimard, une nouvelle                                               chapitres sont peut-être un peu
                   collection, fort prometteuse :                                                 embarrassées et d’un classicisme
                   « Les inédits de la Fondation                                                  un peu factice. Mais ce qui reste du
                   des Treilles ». Son premier                                                    livre, c’est décidément l’impression
                   volume offre une belle gerbe                                                   d’une œuvre magistrale, et même
                   de lettres inédites de Gide avec                                               sans trous ni faiblesses. J’aime que
                   des peintres et des illustrateurs :                                            l’impression morale soit donnée
                   Odilon Redon, Jacques-Émile                                                    (somme toute) par un procédé
                   Blanche, Walter Sickert, Paul                                                  littéraire : éclairage diffus comme
                   Signac, mais également Louis                                                   dans Wilhelm Meister, suppressions
                   Jou, Marie Laurencin, Raoul                                                    donc des préférences et des blâmes ;
                   Dufy ou Dunoyer de Segonzac,                                                   constatations sans plus (le seul
                   etc.                                                                           coup de pédale où l’émotion se
                       Écrivain toujours soucieux                                                 prolonge un peu est, s’il m’en
                   d’équilibrer son style, d’harmoniser sa langue, nous         souvient bien, le chapitre de la dernière rencontre
                   rencontrons, à parcourir l’épistolier, un auteur moins       avec Mme Arnoux) ; enfin toutes choses réduites à
                   pondéré, souvent drôle et volontiers inattendu.              leur projection en littérature. Quant au caractère
                   Celui qui prend la peine de feuilleter la grande             de Frédéric, c’est comme dans celui de Bouvard et
                   Correspondance avec Marcel Drouin, ami, conseiller,          Pécuchet l’inconsistance de la volonté qui en fait
                   confident et beau-frère de Gide, entre subitement            de si désolants cocos. D’ailleurs on peut en parler
                   dans ce monde et, sans pour autant devenir un                longuement, c’est la preuve que c’est un bon livre1 4 . »
                   voyeur, assiste aux échanges, d’une richesse et d’une
                   franchise extraordinaires. À ses débuts du moins,            Nous pénétrons certes dans un milieu privilégié,
                   le grand contempteur de la famille traditionnelle         mais où prédominent le travail, l’effort de dépasser le
                   mène une vie très « familiale », où sa femme et les       quotidien, l’idée de faire œuvre durable. Malgré son

     10            Amopa n° 229

AMOPA N°229 (septembre 2020).indb 10                                                                                                        22/09/2020 11:20
Littérature

              amitié, Gide peut se montrer dur                                               sont restés dans leur monde, coupés
              vis-à-vis de Marcel, par exemple                                               des réalités politiques et surtout
              quand celui-ci rechigne à livrer sa                                            de celui des institutions, tant et si
              copie pour telle ou telle revue – car                                          bien que malgré bien des efforts, à
              la critique littéraire est aussi une                                           Colpach, dans l’entourage du grand
              stratégie de promotion – et, ce qui                                            industriel Émile Mayrisch, ou lors
              est plus grave, quand il lui prend                                             des « Décades de Pontigny », rien
              fantaisie de ne pas poursuivre sa                                              de concret n’a abouti, au grand dam
              monographie sur Goethe, projet                                                 de Curtius. Déçu, il s’est détourné
              pourtant bien entamé. Car écrire                                               de la France pour s’intéresser de
              compte aux yeux de Gide – or il                                                plus en plus à Rome, à la littérature
              faut publier, et des livres s’il vous                                          latine et au Moyen Âge européen.
              plaît, pas que des articles ! C’est                                            Il faut reconnaître que malgré
              que publier confère des droits :                                               sa bonne volonté, Gide ne s’est
              c’est un levier qui donne du poids.                                            jamais senti à l’aise sur les terrains
              À cogiter.                                                                     mouvants de la politique (même s’il
                  Il en va de même d’une autre correspondance,            a accepté de jouer le jeu pendant son « épisode »
              franco-allemande cette fois-ci, moins connue en             communiste). Quand Curtius lui a présenté le projet
              France du fait d’une première publication, en 1980,         d’une société européenne réunie autour du nom de
              avec bien des lettres soit inédites soit non traduites de   Nietzsche, il a aussitôt exigé l’intégration d’autres
              l’un des correspondants, Ernst Robert Curtius. Subtil       noms (à commencer par Goethe) pour ne pas limi-
              connaisseur des littératures romanes, traducteur            ter l’idée d’Europe au philosophe allemand. Cette
              talentueux de Gide, grand érudit, ami authentique,          Correspondance met à nu la complexité de l’époque,
              Curtius a été le promoteur infatigable d’un rappro-         elle rappelle les enjeux de la littérature européenne,
              chement, après 1918, entre la France et l’Allemagne.        puisque Curtius traduit non seulement l’Œdipe de
              Il rêvait d’une Europe des Lettres et une fois de           Gide ou Thésée – mythes retravaillés et moderni-
              plus, la littérature, la réflexion, les échanges d’idées    sés – mais bien des essais. Leurs échanges sur tel ou
              prévalent et nous permettent d’imaginer l’essor             tel mot, telle ou telle expression reste passionnant,
              de la culture européenne sur un continent qui eût           car le lecteur peut saisir la lucidité créatrice de Gide
              évité la Deuxième Guerre mondiale. Dans l’Alle-             et l’empathie et l’enjouement de Curtius : Gide
              magne largement réactionnaire de 1918 et hostile            s’est servi, par exemple, de certaines expressions
              à tout rapprochement avec « l’ennemi » d’hier,              désuètes dans son Thésée (tel le verbe « bander son
              Curtius a pris le parti de présenter à son public de        arc »). Amusé, il souhaitait que son ami trouve un
              plus en plus intéressé les auteurs
              français modernes (tels Romain
              Rolland, Paul Claudel, André
              Suarès, Charles Péguy, André
              Gide, et plus tard Paul Valéry). Il
              n’a craint aucun effort pour tenter
              de réunir les deux pays à partir de
              leurs élites culturelles. Il a compris
              d’emblée l’esprit d’ouverture de
              Gide et a vu en lui le représen-
              tant idéal en France pour mettre
              en œuvre un tel rapprochement.
              En Allemagne, il était proche de
              Thomas Mann, et dans les années
              vingt, cette idée de réconciliation
              informelle pouvait faire illusion.
              Malheureusement, les écrivains

                                                                                                               Amopa n° 229              11

AMOPA N°229 (septembre 2020).indb 11                                                                                                  22/09/2020 11:20
Littérature

                   équivalent en allemand !                                                             par Jean-Claude Perrier,
                   Ajoutons que Curtius s’est                                                           qui en forme en quelque
                   toujours considéré comme                                                             sorte la clef de voûte :
                   un auteur, au grand dam                                                              L’Univers d’André Gide1 7 .
                   de ses collègues (sûrement                                                           Frank Lestringant a signé
                   jaloux de ses nombreux                                                               un petit volume attachant,
                   contacts avec des auteurs                                                            Le Paris de Gide1 8 . Il y a
                   européens). S’il a admiré                                                            ensuite deux traductions
                   Gide pour l’audace de son                                                            à mentionner : Arden of
                   cheminement artistique,                                                              Faversham, une tragé-
                   l’écrivain a trouvé en l’ami                                                         die élisabéthaine publiée
                   allemand un interlocuteur                                                            anonymement en 1592,
                   de choix. Après avoir passé                                                          traduite par André Gide, et
                   quelques jours à Bonn,                                                               un essai tardif, À Naples,
                   chez Ilse et Ernst Robert                                                            éloge à la ville et à la région
                   Curtius, il note ceci dans                                                           que Gide a tant aimées1 9 .
                   son Journal, résumant                                                                   S’y ajoutent plusieurs
                   cette amitié si riche de                                                             volumes d’études ou
                   plus de trente ans :                                                                 d’actes de colloques :
                                                                                                        Patrick Pollard fait le point
                         « Conversations “infinies” avec Ernst             sur les accointances gidiennes avec la mythologie
                       Robert Curtius. Je me sens souvent plus             dans André Gide et le mythe grec, et Martina Della
                       près de lui que peut-être d’aucun autre et          Casa est parvenue à synthétiser dans les actes d’un
                       non seulement je ne suis pas gêné par notre         colloque qu’elle a organisé à l’Université de Haute-
                       diversité d’origine, mais ma pensée trouve un       Alsace les enjeux d’André Gide, l’Européen, où
                       encouragement dans cette diversité même.            figure un texte inédit d’une grande actualité : « La
                       Elle me semble plus authentique, plus valable,      Suisse est une île2 0 ».
                       lorsqu’au contact de la sienne je me persuade           Un autre ouvrage, sous forme d’un album illustré,
                       qu’il n’était pas besoin de telle culture           est issu d’un voyage investigateur sur les traces de
                       particulière pour la produire et que, partis        l’écrivain, dans une dizaine de pays de par le monde :
                       tous deux de lieux si différents, nous nous         André Gide autour du monde. Un carnet de voyage
                       retrouvons sur tant de points1 5 . »                gidien2 1 . Ambre Philippe a mené une enquête qui
                                                                           provoque chez elle une réflexion sur l’impact d’un
                       Avec la publication des Correspondances Gide-       écrivain au-delà des frontières et, finalement, au-delà
                   Drouin et la réédition de celle de Gide-Curtius, tous   des livres : « Et ce travail est l’occasion de montrer
                   les grands ensembles épistolaires sont dorénavant       que Gide ne conduit pas seulement à lui-même
                   accessibles tant aux spécialistes qu’aux amateurs.      (comme on le voit souvent dans les études qui
                   Il ne reste plus que celles avec l’orientaliste russe   alimentent Gide par Gide, Gide pour Gide), mais aux
                   Fédor Rosenberg (entreprise par Nikol Dziub),           autres. » À ce titre, Gide, comme tout grand écrivain
                   ensuite avec Henri Thomas, et quelques rééditions       est « le créateur de son propre dépassement2 2 ».
                   qui vont s’imposer par la suite. Dans son anthologie    On ne saurait mieux dire et c’est au fond le message
                   de lettres de Gide, Pierre Masson rappelle que ce       du film récemment remastérisé de Marc Allégret
                   massif, qui va de Pierre Louÿs à Albert Camus, est      (1951), Avec André Gide, qui nous montre un Gide
                   « le reflet idéal de plus de soixante ans d’histoire    très convaincant, notamment lorsqu’il parle de
                   littéraire1 6 ». On l’a dit : nous avons devant nous    Chopin, malgré ses 81 ans… Augustin Voegele a
                   le laboratoire de l’écrivain, une contrepartie du       pris sur lui de jouer plusieurs compositions de
                   Journal et une porte dorée vers l’œuvre.                Chopin « à la manière » de Gide. Il a suivi les
                       L’année du jubilé a fait converger un nombre        instructions que Gide donne aux pianistes dans
                   non négligeable d’ouvrages, d’études et d’albums.       les Notes sur Chopin et dans son Journal. Gide se
                   C’est un album somptueusement illustré, préparé         dresse contre les virtuoses, qui « exécutent » Chopin,

     12            Amopa n° 229

AMOPA N°229 (septembre 2020).indb 12                                                                                                      22/09/2020 11:20
Littérature

              selon l’écrivain, étant soucieux                                                                          Ce mot de Périclès cité par Thucydide
              avant tout de briller plutôt que de                                                                       s’applique parfaitement à André Gide.
              rendre l’essence musicale confiée à                                                                       Il est significatif qu’en 2019, un livre
              la partition2 3 . Entreprise tentante,                                                                    se soit attaché à son « Paris » et un
              car « Gide traite Chopin comme un                                                                         autre à son « univers ». Comme nous
              alter ego2 4 ». Cette consonance entre                                                                    avons tenté de le montrer, l’œuvre de
              lui et le compositeur, ne reflète-t-elle                                                                  Gide, malgré son fort ancrage dans
              pas également le souci majeur de                                                                          les milieux éditoriaux parisiens,
              l’écrivain : « Si le grain de blé tombé en                                                                malgré ses accointances avec l’es-
              terre ne meurt, il reste seul ; mais s’il                                                                 pace culturel européen, garde une
              meurt, il porte beaucoup de fruit2 5 » ?                                                                  dimension universelle. Ses livres et sa
                  « Il n’y a pas de bonheur sans                                                                        personnalité continuent à interpeller
              liberté, et pas de liberté sans courage. »                                                                les lecteurs jeunes et moins jeunes.

                 1 . Romans et récits. Œuvres lyriques et dramatiques, t. II,                              2019 ; André Gide, Correspondance 1888-1951, éd. de Pierre
                             éd. de Pierre Masson, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la                  Masson, Paris, Gallimard, « Folio », 2019 ; André Gide et
                             Pléiade », 2009, p. 369.                                                      les peintres. Lettres inédites, éd. de Pierre Masson et Olivier
                  2 . Les 1 000 visages d’André Gide. Exposition de Jean-Pierre                            Monoyez, avec la collaboration de Geneviève Masson, Paris,
                             Prévost avec la collaboration de Pierre Masson, Guide de                      Gallimard, « Les Cahiers de la NRF / Les inédits de la Fonda-
                             visite, p. 2.                                                                 tion des Treilles », t. I, 2019. Ce volume contient des illus-
                        3 . Du 7 juin au 20 août 2019. En partenariat avec la Fonda-                       trations ; André Gide dans ses lettres, éd. de Paola Codazzi,
                             tion Catherine Gide, la Fondation des Treilles et le musée                    Épistolaire, n° 45, Paris, Champion, 2019. Ce volume contient
                             Georges-Borias d’Uzès.                                                        des illustrations.
                         4 . La photographe milanaise Ilaria Crosta a exposé dans                1 3    . André Gide dans ses lettres, ibid., p. 17.
                             Omnibus Circus. Galerie nomade (4 e édition, décembre                1 4   . André Gide à Marcel Drouin, Caux sur Montreux, Noël 1897,
                             2019 et janvier 2020), son travail photographique autour des                  op. cit., p. 153.
                             Nourritures terrestres.                                             1 5    . André Gide, Journal, t. I, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de
                   5 . Texte explicatif. Voir le site « www.fondation-catherine-gide.                      la Pléiade », 1997, p. 238, « Heidelberg, 12 mai 1927 ».
                             org » pour les comptes rendus, photos, etc. autour de ces           1 6    . André Gide, Correspondance (1888-1951), op. cit., p. 9.
                             manifestations et les publications récentes ; voir également        1 7    . Jean-Claude Perrier, L’Univers d’André Gide, Paris, Flamma-
                             le site du Centre d’études gidiennes de l’Université de Metz :                rion, 2019.
                             « www.andre-gide.fr ».                                              1 8    . Frank Lestringant, Le Paris de Gide, Paris, Alexandrines,
                    6 . Les actes de cette journée ont été publiés dans le Bulletin des                    2019.
                             Amis d’André Gide, n° 199, automne 2019.                            1 9    . Arden of Faversham, trad. de l’anglais par André Gide.
                     7 . André Gide, Quelques réflexions sur l’abandon du sujet dans                       Édition publiée sous la direction de Jean-Yves Tadié, préface
                             les arts plastiques. Avec un texte explicatif de Pierre Masson,               de Jean-Pierre Prévost, Paris, Gallimard, « Le manteau
                             Fontfroide, Fata Morgana, 2011.                                               d’Arlequin. Théâtre français et du monde entier », 2019 ;
                      8 . Paris, 14-16 mars 2019, aux bibliothèques Sainte-Geneviève                       André Gide, A Napoli. Saggio introduttivo, cura e traduzione
                             et Sainte-Barbe, avec le concours de la Bibliothèque littéraire               a fronte di Carmen Saggiomo. Prefazione di Pierre Masson,
                             Jacques-Doucet. Et c’est à la bibliothèque Sainte-Barbe que                   Caserta, Adhoc Cultura, 2019.
                             s’est déroulée, le 21 novembre, une soirée-lecture, organisée       2 0     . Patrick Pollard, Gide et le mythe grec. Suivi de fragments du
                             par Catherine Naugrette avec ses étudiants (IET, Paris 3 –                    Traité des Dioscures et autres textes inédits ; Martina Della
                             Sorbonne Nouvelle).                                                           Casa (dir.), André Gide, l’Européen. Avec un texte inédit
                       9 . « André Gide, un intellectuel engagé pour son temps et le                       d’André Gide. L’un et l’autre de ces ouvrages sont publiés par
                             nôtre », BnF – François-Mitterrand, 22 novembre 2019. Les                     les Classiques Garnier, « Bibliothèque gidienne », en 2019.
                             exposés ont été enregistrés ; ils seront publiés dans le Bulletin   2 1    . Ambre Philippe, André Gide autour du monde. Un carnet
                             des Amis d’André Gide, courant 2020.                                          de voyage gidien, Paris, Orizons, 2019. – Le film qu’elle a
              1 0 . Théâtre de La Flèche, 77, rue Charonne, Paris XIe. – Gide                              réalisé sur le même sujet, Après le livre. Une enquête sur
                             continuera à intéresser les spécialistes : en juillet 2020 aura               André Gide (2016, 90 min.), est disponible sur Viméo en libre
                             lieu, à la Fondation des Treilles, un colloque sur « La belle                 accès : .
                             ment dans le champ littéraire entre Barrès et Gide », et en         2 2     . Ambre Philippe, op. cit., p. 16.
                             novembre, la Maison de la littérature de Québec organisera          2 3     . Augustin Voegele, Chopin par André Gide, Augustin Voegele,
                             un colloque sur « André Gide et les femmes ».                                 Fondation Catherine Gide, 2019. Avec André Gide, un film
               1 1 . Voir le programme sur les sites www.ille.uha.fr / cycle confé-                        de Marc Allégret, Doriane Films, 2019, avec un livret illustré
                             rences, et www.fabula.org / Agenda. – L’équipe prévoit une                    de 32 pages (textes de Marc Allégret, André Gide, Jean-
                             publication sur ses activités pour 2020.                                      Pierre Prévost, Pierre Masson, Garance Fromont et Bernard
                1 2 . André Gide, Marcel Drouin, Correspondance 1890-1943,                                 J. Houssiau).
                             éd. de Nicolas Drouin, Paris, Gallimard, 2019 ; André Gide,         2 4     . Prospectus qui accompagne le CD, sans pagination.
                             Ernst Robert Curtius, Correspondance (1920-1950), éd. de            2 5     . Jn, 12, 24c.
                             Peter Schnyder et Juliette Solvès, Paris, Classiques Garnier,

                                                                                                                                                  Amopa n° 229                  13

AMOPA N°229 (septembre 2020).indb 13                                                                                                                                         22/09/2020 11:20
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