Le travail en élevage et ses mutations - productions-animales.org
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Le travail en élevage INRA Prod. Anim., 2019, 32 (1), 13-24 et ses mutations Gérard SERVIÈRE1, Sophie CHAUVAT2, Nathalie HOSTIOU3, Sylvie COURNUT3 1 Institut de l’Élevage, Cité régionale de l’agriculture, 9 allée Pierre de Fermat, 63170, Aubière, France 2 Institut de l’Élevage, Montpellier SupAgro, 2 place Pierre Viala, 34060, Montpellier, France 3 Université Clermont Auvergne, AgroParisTech, INRA, Irstea, VetAgro Sup, UMR Territoires, 63170, Aubière, France Courriel : sophie.chauvat@idele.fr Les attentes sociétales, les dynamiques territoriales, les modifications des collectifs de main-d’œuvre et d’abord la volonté des éleveurs de vivre mieux, modifient en profondeur le travail et le métier des éleveurs. Grâce à la mutualisation de résultats de recherche, du vécu des praticiens de terrain et d’expériences pédagogiques, la durabilité sociale des exploitations est maintenant mieux analysée et davantage prise en compte1. Introduction L’automatisation et la rationalisation bosser ici et pas ailleurs, dans la nature et des processus prennent une place crois- de faire à mon idée », « un métier noble, En France, l’agriculture valorise sante dans la technique au quotidien et dont je suis fier » tout en ayant pour plus de la moitié (28,2 sur 55 millions le recours croissant au salariat, comme objectif un équilibre temps privé/temps d’hectares) du territoire tandis que la féminisation des chefs d’exploitation, professionnel en phase avec les modes les paysans ne représentent plus que bouleversent la répartition des tâches de vie contemporains. 1,8 % de la population active (Insee, dans les collectifs de travail (Schewe 2018). Pour le philosophe Michel et Stuart, 2015). D’autres moteurs sont Des citoyens perçoivent l’agricul- Serres cette disproportion est d’ordre à l’origine des évolutions des métiers ture comme le socle d’un système civilisationnel : « Un événement se d’éleveur. Ainsi, les injonctions socié- alimentaire pourvoyeur d’emplois, de mesure à la quantité de temps qu’il tales à « produire autrement » (Coquil solidarité, d’identité, de paysage et clôt. Or l’humanité devient paysanne et al., 2018) modifient les pratiques de produits sains mais 88 % des agri- au néolithique, il y a dix mille ans. En agricoles et les évolutions sociales inter- culteurs estiment qu’il est « assez, très France, nous étions encore 70 % de pay- pellent de manière réflexive le mode de ou extrêmement urgent » d’agir et de sans au début du xxe siècle ». vie des familles (Fillonneau, 2012). communiquer pour améliorer l’image de leur métier (Terre-net/BVA, 2017). Le renouvellement générationnel Les activités d’élevage, manuelles et est un enjeu crucial pour le maintien de plein-air comme dans le bâtiment La faible attractivité des métiers de de l’activité agricole et des emplois et les travaux publics ou forestiers, sont l’agriculture, préoccupation partagée induits, notamment pour l’élevage salissantes2 « quand je rentre mes enfants entre les organisations professionnelles qui associe pour chaque temps plein me font remarquer que je sens la vache », et les pouvoirs publics a été débattue 1,25 emploi supplémentaire dans les la durée des journées, les rythmes sont lors des récents États Généraux de l’Ali- autres secteurs économiques (Lang et rudes « on sait bien qu’en 8 heures on mentation. La plate-forme interactive al., 2015). La situation s’aggrave car la n’fera rien ». pour « découvrir, accéder et s’épanouir part des chefs de moins de 40 ans pour dans le métier d’éleveur » (encadré 1) les exploitations moyennes ou grandes, A contrario, des jeunes aux profils financée par la Confédération Nationale est passée de 34 % en 2000 à seulement variés et des moins jeunes en recon- de l’Élevage, illustre la volonté de voir 23 % en 2010. version professionnelle, choisissent « de l’élevage d’un autre œil. 1 Cet article a fait l’objet d’une présentation aux 24es Journées Rencontres Recherches Ruminants (Servière et al., 2018). 2 Sauf indication précisant le nom du projet, les verbatims rapportés sont issus d’entretiens avec des éleveurs et des acteurs territoriaux dans le cadre du programme Cas Dar (2014/2017) « Analyse de la durabilité sociale des exploitations d’élevage dans leurs territoires – SOCIEL », piloté par l’Institut de l’Élevage. https://doi.org/10.20870/productions-animales.2019.32.1.2418 INRA Productions Animales, 2019, numéro 1
14 / Gérard servière, Sophie chauvat, Nathalie hostiou, Sylvie COURNUT Dans cet article nous présentons un Encadré 1. Modernisation de l’image du métier panorama des mutations du travail et et des outils de communication. du métier d’éleveur qui dessinent des La plate-forme www.devenir-eleveur.com vise à fédérer toutes les avenirs de l’élevage. filières pour une convergence des actions et un message commun positif sur les métiers d’éleveurs. Le site comptabilise, deux ans après son lancement, 28 000 utilisateurs 1. Évolution des « attentes différents qui ont consulté au total 88 000 pages. La page Facebook comptabilise 5 500 abonnés et le travail » des éleveurs compte Twitter 1 000. De nouvelles initiatives voient le jour autour des démarches de responsabilités sociétales (RSE) et de l’intégration d’un volet durabilité sociale dans la future « Charte des Bonnes Pratiques d’Élevage ». L’usage des outils virtuels et des réseaux sociaux casse les représentations rétrogrades de l’élevage auprès des jeunes, capte leur intérêt et facilite l’accès à l’information des publics citadins. La Le choix du métier d’éleveur s’inscrit possibilité, par exemple, de s’immerger en réalité virtuelle, dans des fermes modélisées en 3D, objective dans une histoire personnelle incluant souvent une imprégnation familiale le travail agricole. Les témoignages sur le vif, les photos, les vidéos, ouvrent une fenêtre sur la vie des et parfois aussi la comparaison avec éleveurs. Des communautés d’agriculteurs se créent pour échanger sur leurs pratiques et montrer leur d’autres expériences professionnelles. métier à leur famille, amis, voisins. Le plaisir (voire la passion) du travail avec les animaux « j’adore quand les vaches sont en bâtiment l’hiver, comme Le travail est un thème complexe, L’enseignement professionnel par- ça je les ai toutes sous la main », est multidimensionnel que la zootech- fois en synergie avec les exploitations revendiqué par les éleveurs bovins et nie des systèmes d’élevage a investi agricoles des lycées, comme l’ensei- ovins (les porcs et volailles ne suscitent depuis les années 1990 (Dedieu et gnement supérieur avec la mise en pas la même affection). Ces travailleurs Servière, 2012). Sa première tâche fût place de modules pédagogiques indépendants apprécient la diversité de construire un cadre d’analyse ren- d’une semaine dans plusieurs écoles des activités et souvent aussi le défi dant compte de la diversité observée d’ingénieurs (AgroSup Dijon, VetAgro technique et la dimension entrepre- in situ, des modes d’articulation entre Sup notamment), s’investissent neuriale. La fonction nourricière est différents types de travaux (astreinte désormais sur les questions autour rappelée et renforcée lorsqu’inscrite et de saison), de travailleurs (chefs du travail. Depuis 2007, la synergie dans une démarche de qualité (AOP ou d’exploitations, bénévoles, entreprise, développement – recherche – for- filière d’entreprise). salariat), de calendrier de conduite des mation sur le thème est structurée troupeaux et des surfaces, afin de quan- dans le cadre du RMT (Réseau Mixte Les éleveurs recherchent des condi- tifier les temps passés puis de qualifier Technologique) Travail en élevage tions de travail correctes, une recon- l’organisation du travail en évaluant son (encadré 2), membre fondateur de naissance de leur rôle dans la société et efficience et sa flexibilité (Cournut et al., l’« International Association on Work aussi un revenu satisfaisant. Vivabilité 2018). Cette approche, formalisée par la in Agriculture (IAWA) » créée en 2016 sociale et viabilité économique vont méthode Bilan Travail dans les filières au Brésil. ensemble (Chauvat et al., 2016). herbivores, a depuis été étendue aux filières granivores (Martel et al., 2012), puis récemment aux centres équestres Encadré 2. Le RMT travail, et en apiculture. un dispositif résolument « bottom up ». D’autres dimensions du travail ont été explorées en collaboration avec Le RMT Travail en élevage, réseau des économistes pour la productivité national et interfilières, (Charroin et al., 2012), des sociologues de Développement – Recherche – Formation regroupe une trentaine de partenaires. Il est animé par pour les rationalités subjectives (Fiorelli l’Institut de l’Élevage, VetAgro Sup et les Chambres d’agriculture. Son ambition est de renforcer la prise et al., 2012) et le sens du métier (Dufour en compte de la dimension sociale pour construire une agriculture plus vivable et mieux adaptée aux défis et Dedieu, 2010). économiques, environnementaux et sociétaux. Ses objectifs sont de : • contribuer à la reconnaissance des métiers d’éleveur(e) et de salarié(e) et ainsi favoriser le renouvellement Des référentiels de temps de tra- des générations, vaux pour l’accompagnement des éle- • comprendre les nouvelles formes d’organisation des exploitations et expliciter leurs liens avec leur veurs ont été établis par grand type territoire, de système de production (Cournut • améliorer les conditions de réalisation du travail, et Chauvat, 2012) et des outils pour le • appuyer les démarches d’accompagnement individuel et collectif et développer les formations et exper- conseil élaborés collectivement, grâce tises pour les conseillers et aussi pour les éleveurs. à des dispositifs d’animation ponctuels Nos relations avec des partenaires d’autres pays s’affirment (Belgique, Uruguay, Vietnam, Brésil, Australie) lors de projets ou plus pérennes comme et le RMT travail participe aux activités de l’« International Association on Work in Agriculture (IAWA) ». La par exemple dans le cadre du groupe rubrique RMT Travail et la Lettre d’Info du RMT sont accessibles avec le lien : www.rmt-travail-elevage.fr « conseil travail » piloté par l’APCA. INRA Productions Animales, 2019, numéro 1
Le travail en élevage et ses mutations / 15 1.1. Pour gagner sa vie, technologies est vécue comme une et poussières en élevages de porc et travailler plus vite nouvelle compétence d’un métier volaille – Air Éleveur », piloté par la devenu plus moderne, en phase avec les Chambre d’agriculture de Bretagne, En soixante ans, les agriculteurs ont autres professions et certains estiment comme ceux du rapport de l’Agence beaucoup augmenté leurs surfaces et que la relation Homme-animal devient nationale de sécurité sanitaire, de cheptels, utilisé plus d’intrants et de meilleure car eux-mêmes et leurs ani- l’alimentation, de l’environnement et capitaux et ainsi misé sur la productivité maux sont moins contraints. Les auto- du travail sur les Expositions profes- pour atteindre leur objectif de revenu. mates, parfois couplés aux capteurs, sionnelles aux pesticides en agricul- Les calculs de coûts de production du remplacent l’éleveur pour certaines ture (ANSES, 2016) convergent sur la lait et de la viande intègrent la rému- tâches pénibles (à commencer par la hiérarchie des principes généraux de nération de l’unité de main-d’œuvre traite, le nettoyage). La production de la prévention. Il s’agit avant tout de agricole, fixée en référence au salariat et données nouvelles, instantanées et faci- supprimer la source du danger : éviter depuis 2018 sur la base de deux SMIC. lement accessibles, sur les paramètres ou réduire l’usage des pesticides, agir Ainsi l’objectif de parité avec d’autres biologiques (températures) et compor- différemment sur la ventilation des catégories socio-professionnelle est tementaux (vêlages) aide à anticiper les bâtiments pour éliminer les poussières mis en avant lors des négociations avec événements de la conduite d’élevage et et l’ammoniac. Ensuite, il convient de la grande distribution. Avec la diminu- à prévenir les risques (Allain et al., 2016), réorganiser les chantiers autant que tion continue depuis des décennies du même si l’œil et le ressenti de l’éleveur faire se peut, en tenant compte de la prix des produits agricoles, la création restent essentiels. Cependant la charge complexité des situations concrètes et de valeur ajoutée est bien moindre, mentale pour gérer les alarmes (Hostiou en utilisant des équipements de protec- aussi le revenu agricole est devenu for- et al. 2017), les difficultés d’utilisation tion individuels. tement dépendant des aides de toute par de la main-d’œuvre d’appoint ou nature (Charroin et al., 2012). La sim- lors de pannes (compétences, dispo- Le sentiment de relégation profession- plification des pratiques (alimentation, nibilité des services après-vente) ou nelle et la dévalorisation d’un métier qui reproduction, traite…), voie privilégiée encore la dépendance vis-à-vis des s’exerce au vu de tout le monde peuvent, pour améliorer l’efficience (mesurée par constructeurs sont accrues. Des syner- comme l’indiquent des responsables agri- exemple dans la méthode Bilan Travail gies sont à construire entre éleveurs coles, atteindre aussi les proches « l’écart par le nombre d’heures d’astreinte rap- pour l’utilisation, la maintenance des avec la société fait que parfois le conjoint porté à la main-d’œuvre, à l’animal, à la outils et la gestion des données. peut prendre peur et tout quitter », « être production), fait l’objet de nombreuses l’enfant de celui qui a la cuve à lisier, ça peut études dans toutes les filières (Hostiou et 1.3. « Ne pas y laisser être compliqué à vivre ». Dans le milieu Fagon, 2012). Mais travailler « plus vite » la couenne » de l’élevage, réputé pourtant taiseux et ne veut pas dire travailler « moins » car la dur au mal, la souffrance psychique est tendance persistante à l’agrandissement Actuellement les éleveurs expriment patente. Le rapport « Surveillance de la des élevages partout en Europe aboutit le désir de travailler sereinement et de mortalité par suicide des agriculteurs à travailler autant voire davantage. pouvoir atteindre l’âge de la retraite en exploitants » (Khireddine-Medouni et étant encore en bonne santé (Kolstrup al., 2016) montre pour cette population 1.2. Plus de marge et al., 2013). un taux de suicide supérieur de 20 % de manœuvre par rapport aux hommes du même âge Le nombre d’accidents du travail dans la population française. Même si La période récente est caractérisée et de maladies professionnelles des ces dernières années, les échos média- par l’essor de l’électronisation puis de la non-salariés agricoles a diminué de tiques sont amplifiés, cette tendance est robotisation qui permettent des gains 5,4 % en 2016, mais les éleveurs de observée depuis les années 1970 et se de temps (Ait-Saidi et al., 2014) dont bovins restent les plus exposés (45 retrouve également dans les pays déve- une partie est reportée sur les nou- accidents pour 1 000 chefs d’exploita- loppés (États-Unis, Canada, Finlande, velles tâches inhérentes au numérique, tion). Pour les agriculteurs, les affec- Australie…). Une typologie des causes telles la consultation de résultats sur tions péri-articulaires représentent de suicide définie parDeffontaines (2014) ordinateur, la maintenance des outils, 78 % des maladies professionnelles inclut des caractéristiques propres à la etc. (Hostiou et al., 2017). L’essentiel est reconnues. Plusieurs dizaines de cas profession agricole. Ainsi, la transmission bien souvent réinvesti dans des tâches de maladie (Parkinson, hémopathies impossible, plutôt chez les petits produc- de production (augmentation de la malignes) ont été reconnus provoqués teurs (revenu élevé et/ou propriété fon- taille des ateliers), de pilotage de l’ex- par l’usage des pesticides. Les affections cière offrant plus de marge de manœuvre ploitation (surveillance des animaux) ou respiratoires consécutives à l’inhalation sociale) ou bien refusée par les héritiers, dans des activités privées. Les éleveurs de poussières végétales ou animales explique que le taux de suicide des agri- apprécient surtout la souplesse dont représentent 2 % du total des maladies culteurs continue d’augmenter après 54 ils disposent pour organiser autrement professionnelles (Gorvan, 2018). ans, contrairement aux autres catégo- leur journée et adapter leurs horaires ries socio-professionnelles. L’imbrication de travail à leur vie familiale (Schewe et Les résultats du programme travail/famille trop étroite peut rendre Stuart, 2015). La maîtrise des nouvelles « Exposition des travailleurs aux gaz impossible l’équilibre entre attachement INRA Productions Animales, 2019, numéro 1
16 / Gérard servière, Sophie chauvat, Nathalie hostiou, Sylvie COURNUT de filiation et attachement conjugal, ou l’économie française. Les obligations 2. Transformation le passage de normes sociales de reprise réglementaires, les injonctions socié- des collectifs (plutôt la continuité) à celles de création tales, les prescriptions technico-com- de main-d’œuvre d’entreprise (plutôt l’innovation). Des rup- merciales des filières, les messages tures des liens sociaux forts conjugués au algorithmiques envoyés par les robots « piège de l’interconnaissance » propre au se cumulent et « mettent la pression ». Suite aux transformations structu- milieu rural entraîne des « disqualifica- relles et sociétales, la composition tions » en cascade (par exemple, un décès La santé est une ressource favorisant des collectifs de travail et le statut des d’un proche suivi par une dépression, une la qualité, la fiabilité de la production de exploitations se modifient. En France, forte consommation d’anxiolytiques, un l’entreprise et donc sa pérennité, voire la part des femmes (exploitantes ou repli sur soi et chez soi puis le conjoint qui même l’épanouissement professionnel conjointes collaboratrices) est passée se sépare) qui peuvent conduire au pire. des personnes. Le système français et de 8 % en 1970 à 27 % en 2010 (Laisney, particulièrement celui de l’agriculture, 2012) et elles représentent maintenant Une étude de Solidarité Paysans très marqué par la réparation, doit 22 % des installations aidées et près de (Louazel, 2016) constate que le recours s’orienter vers plus de prévention pri- 45 % des non aidées (Gambino e t al., aux soins des exploitants agricoles en maire et collective. Ce qui implique de 2012). Certaines sont co-exploitantes, souffrance psychique est peu fréquent, renforcer la formation des éleveurs et d’autres installées à la suite de leur même si les signes d’alerte sont facile- celle des accompagnants afin qu’ils conjoint retraité et d’autres encore des ment identifiables (irritabilité, troubles aient conscience des risques spéci- chefs d’exploitation « nouvelle généra- du sommeil…) et l’épuisement patent. fiques à l’élevage, puissent les évaluer tion ». Les revendications des agricul- L’intervention de proches (association et aussi envisager des pistes d’amélio- trices pour un travail reconnu et non d’aide mais aussi famille, voisins, tech- ration. L’action dans l’exploitation doit plus dans "l’ombre des statistiques" ont niciens…) devient alors déterminante pouvoir bénéficier des coopérations rendu possibles la création des EARL pour prévenir et atténuer la détériora- entre les organismes professionnels, en 1985, le statut de conjoint collabo- tion de la santé. Grâce à une attitude le législateur, les organisations syndi- rateur en 1999 et d’associée de Gaec d’écoute et d’empathie ils peuvent cales et à terme d’une mutualisation entre époux en 2010, contribuant à la détendre des situations de crise et des moyens et compétences. croissance des formes sociétaires (36 % enrayer la spirale mortifère. de sociétés en 2016 vs 30 % en 2010) En filigrane, une attention toute par- (Agreste Primeur, 2018). En phase avec de nombreuses actions ticulière doit être portée à la posture et notamment l’initiative « Saisir la main de l’éleveur vis-à-vis de sa propre santé. Parallèlement, la part de la main- tendue » de la Saône-et-Loire consécu- Prendre soin de soi est un comporte- d’œuvre bénévole baisse tandis tive à plusieurs suicides en quelques ment qui reste minoritaire face aux qu’augmente celle de l’emploi salarié, semaines (encadré 3), un réseau natio- risques respiratoires (et probablement permanent et saisonnier, qui représente nal "agri-sentinelles" qui implique tech- pour la plupart des autres). Les éle- plus de 35 % des UTA en 2016 (vs 27 % niciens, conseillers et vétérinaires dans veurs adoptent trois types d’attitudes : en 2000) (Agreste, 2018). la prévention de la détresse des agricul- le déni « le corps s’adapte », « pour les teurs est en cours de structuration. tâches à risques, c’est pas long », la prise Plus d’attention doit être accordée de conscience qui n’implique que rare- à l’organisation du travail entre tiers, 1.4. Prévention ment des modifications de pratiques employés ou associés, car des tensions et responsabilisation « c’est pas ma priorité » et enfin l’action internes non régulées induisent un turn- pour se protéger, même si le confort au over important des salariés et des dis- En 40 ans, la productivité apparente travail peut être diminué par le port d’un solutions de sociétés (Durst et al., 2018). du travail en agriculture a augmenté casque ou d’un masque (Depoudent La gestion des relations humaines (dans deux fois plus rapidement que celle de et al., 2016). un contexte hiérarchique ou non) deve- nue capitale, reste pourtant pas ou peu Encadré 3. Des professionnels à l’écoute abordée en formation initiale pour les des a griculteurs en difficulté. éleveurs comme pour les conseillers. Chambre d’agriculture, MSA et Agri Solidarité se sont coordonnés en 2.1. Les spécificités Saône-et-Loire pour inciter les éleveurs qui traversent une période du travail des femmes difficile à ne pas rester seul. Ce document riche de témoignages et d’avis (agriculteurs/agricultrices, formateurs, avocate, sociologue, Les femmes s’installent plus tard sophrologue, psychologue, travailleur social et vétérinaire) est éga- que les hommes (31 vs 29 ans) et ont lement destiné à sensibiliser l’environnement personnel, familial et moins souvent suivi une formation professionnel des éleveurs. agricole pour obtenir la Dotation Jeunes Agriculteurs (Laisney, 2012). Leur moindre investissement tech- nique favorise une prise de recul par INRA Productions Animales, 2019, numéro 1
Le travail en élevage et ses mutations / 17 rapport aux systèmes traditionnels. peut-être rassurant car la gestion des Dans des élevages bovins laitiers Elles s’adaptent, innovent et impulsent relations humaines dans un cadre pro- d’Auvergne, Malanski et al. (2017) ont de nouvelles dynamiques en rupture fessionnel ne va pas de soi. Mais réussir identifié 5 types de trajectoires de sala- avec les stéréotypes. Les tailles de leurs à organiser efficacement le travail du riés, selon l’évolution de la diversité des exploitations étant inférieures (36 vs salarié, le rétribuer à sa juste valeur, tâches qu’ils effectuent, de leur degré 62 ha), elles développent des activités proposer des contrats avec suffisam- de spécialisation et de leur autonomie. moins demandeuses de surface et plus ment d’heures pour assurer un revenu Certains demeurent des exécutants en lien avec le territoire : accueil à la décent et communiquer sereinement des tâches d’astreinte3 et travaillent ferme, transformation et vente en cir- sont essentiels pour éviter les conflits en binôme avec un autre salarié ou cuits courts (Contzen et Forney, 2017). et pérenniser les emplois. l’exploitant. D’autres renforcent leur Cette interaction avec les réseaux polyvalence en suivant des consignes locaux catalyse des dynamiques en Les Cuma ont adapté les techniques de précises avec une vérification régu- phase avec les attentes sociétales. Elles GPEC (Gestion Prévisionnelle des Emplois lière par l’éleveur. La troisième trajec- s’affranchissent des tâches pénibles et des Compétences) pour répondre à toire caractérise les polyvalents pour en améliorant l’ergonomie des outils. l’accroissement du nombre et de la diver- le remplacement (notamment ceux Pour rééquilibrer vie privée/vie profes- sité des métiers (chauffeur, responsable employés par les Services du même sionnelle, elles externalisent certains d’atelier, secrétaire, directeur…) dans nom) lorsqu’un membre du collectif chantiers, ont recours aux services de leur réseau. La FnCuma déploie cette s’absente (congés, week-ends, acci- remplacement (Gambino et al., 2012), démarche auprès de ses structures dents, maladie, responsabilité exté- mettent en place des organisations col- locales en renforçant l’appui au transfert rieure…). D’autres encore deviennent lectives ou travaillent à temps partiel. de compétences, y compris entre salariés des techniciens d’élevage capables, Elles déploient, à partir de leur forma- lors de changement de carrière. par exemple, d’identifier les chaleurs tion et expériences professionnelles ou de détecter des animaux malades ; antérieures, des compétences de ges- 2.3. Diversité leur niveau d’autonomie augmente en tion (travail administratif, négociation, des trajectoires de salariés lien avec la diminution de la fréquence rapport au public…) devenues fonda- des contrôles par l’éleveur. Enfin, le mentales (Dahache, 2014). Pour autant, Dans une exploitation, employeur et dernier groupe correspond à ceux qui elles sont encore peu reconnues dans le employé partagent souvent les mêmes deviennent éleveurs. La phase salariale milieu agricole et trop rarement repré- tâches (par exemple la traite en alter- favorise la montée en compétences sentées dans les organisations profes- nance le week-end et la semaine). et constitue une « période d’essai » sionnelles. Ces spécificités demandent Aussi le salarié calque ses façons de pendant laquelle employeur et sala- des moyens particuliers pour les accom- faire sur celles de son patron « on l’a rié confrontent leurs objectifs et leur pagner dans leur parcours profession- formé à notre façon, il travaille comme façon de travailler. L’autonomie aug- nel, de la formation à la retraite (Billon on veut qu’il travaille » ce qui diminue mente de façon régulière et, au final, le et al., 2017). ses marges de manœuvre. La proxi- salarié participe à la prise de décision. mité fonctionnelle (Torrès, 2000) et 2.2. Professionnalisation ses risques doivent être mieux pris en En Europe du Nord, dans les du management compte lors de la conception de forma- grandes exploitations (laitières, porcs tions d’employeurs (encadré 4) ou de la et volailles), les éleveurs emploient L’emploi, avec une attitude paterna- rédaction de recommandations à l’em- plusieurs salariés généralement en liste « on a l’esprit famille, on déjeune bauche afin d’ajuster le management mixant des profils d’encadrement, ensemble, le salarié, mon père et moi », des entreprises agricoles. d’exécutants et d’autres plus polyva- lents pour les week-ends, les congés et l’absentéisme. Les processus d’au- tomatisation et de rationalisation des Encadré 4. Formation tâches sont développés pour améliorer au management auprès d’éleveurs laitiers (Dessin : Erno Rifeu). les conditions de travail (réduction de la pénibilité des tâches, limitation de Initié par le CNIEL, animé par le BTPL et l’Insti- leur répétitivité) et ainsi fidéliser les tut de l’Élevage, cet accompagnement (3 jours) salariés (Chauvat et al., 2016). d’une dizaine d’employeurs Alsaciens s’est appuyé sur la diversité des expériences (Chauvat et al., 2017). Pour favoriser un parcours d’apprentissage dynamique et interactif, il apparaît nécessaire : • de définir des modules variés, basés sur l’action et guidés par les besoins « à la carte » (primo employeur, embauche en vue de préparer une succession…), • de séquencer une progression (fiche de poste, communication et fidélisation du salarié…) adaptée au groupe, • d’accompagner les temps intersessions de mise en pratique, pour faciliter l’appropriation des concepts 3 Tâche d’astreinte : travail sur le troupeau, et aussi éviter le risque de détérioration de situations parfois déjà tendues. quotidien et non différable : la traite, le paillage, l’alimentation, etc. INRA Productions Animales, 2019, numéro 1
18 / Gérard servière, Sophie chauvat, Nathalie hostiou, Sylvie COURNUT 2.4. Pour le renouvellement pour reconfigurer le développement de 3.1. Des systèmes des générations l’agriculture. plus autonomes Une meilleure prise en compte de la Des tests psychotechniques réalisés Les animateurs Civam qui étudient gestion des ressources humaines, par par des cabinets de recrutement, ont les évolutions vers des systèmes her- les formateurs et conseillers, nécessite montré que les aptitudes à exercer bagers économes écrivent que le un renforcement de leurs compétences un « métier de soin à la personne ». travail leur a « sauté à la figure » car et la fourniture d’outils adaptés. sont très appréciées pour un travail la perspective d’avoir à faire de nou- technique en maternité porcine et veaux apprentissages agit comme un Nombre d’organismes (chambres qu’ainsi il est possible d’inventer un frein aux transitions agro-écologiques. d’agriculture, CUMA, centres de ges- nouveau métier de salariée d’élevage Les premiers résultats du projet en tion…) proposent des formations plutôt mieux rémunéré, plus proche de cours « Transformation du travail et aux employeurs pour analyser leur son domicile et avec des horaires « de transitions vers l’agro-écologie en éle- travail, gérer le recrutement, mais bureau » (Depoudent, 2013). vages de bovins – Transaé » montrent une démarche équivalente pour les que le pâturage écrête les pointes de employés reste à construire d’autant travail et réduit l’astreinte (alimenta- plus que leur faible organisation col- 3. Des injonctions tion et paillage) en bâtiments. Mais lective et l’hétérogénéité de leurs par- sociétales remettent ces tâches restent pénibles pour des cours professionnels rendent difficiles en cause le métier éleveurs qui, par volonté d’économie l’application de mesures sécurisant les ont peu investi dans les équipements emplois. Les salariés peuvent contribuer de distribution d’autant plus que leurs au renouvellement de la main-d’œuvre À cause de l’hyper médiatisation, la durées peuvent augmenter avec la et donc à la pérennité des élevages, en crise sanitaire dite « de la vache folle » taille du cheptel (lors d’un passage à la remplaçant (partiellement compte tenu est vite devenue sociale et l’année 1996 mono-traite par exemple). La volonté là encore de l’augmentation continue marque le début d’une forte défiance des de cohérence personnelle entre « ce de la productivité du travail) un départ consommateurs vis-à-vis des pratiques qu’on fait et ce qu’on pense » (valeurs, en retraite. L’image de ce métier dans d’élevage et des craintes pour leur propre normes professionnelles, pratiques) et la société, encore plus dévalorisée que santé (zoonoses, antibiotiques, allergies, le désir d’être en phase avec la nature celle d’agriculteur, mérite d’être réhabi- cancer) qui depuis perdure. Les préoccu- expliquent souvent ce choix de système lité et sa promotion auprès des établis- pations environnementales se focalisent dont la conduite implique de privilégier sements scolaires, des professionnels d’abord sur l’élevage intensif, accusé le « faire avec » les aléas climatiques et de l’orientation, des personnes en de pollution de l’eau par l’usage des autres incertitudes plutôt que s’épuiser recherche d’emploi reste à développer. nitrates et de perte de biodiversité. Plus à « agir sur » (Lémery et al., 2005). Les récemment, les études de controverses phases de transition sont toujours com- Des femmes « planteuses d’hommes » attestent des montées en puissance des pliquées, comme par exemple lorsque assurent la transmission intergénéra- exigences de bien-être pour les animaux la pose de clôtures et l’adduction d’eau tionnelle du patrimoine, symbolique (Delanoue et al., 2018). Ces arguments des herbages sont insuffisantes pour autant qu’économique, des fermes. cumulés induisent une diminution des pouvoir supprimer l’ensilage de maïs. « Filles de », puis « épouses de » et « mères consommations individuelles de viande de », souvent elles doivent adapter leur (sauf de volaille) et de lait (51 litres par Dans le Bassin parisien, la baisse du activité professionnelle, par exemple Français en 2015 vs 61 litres en 2003). nombre de fermes classées (selon les certaines travaillent d’abord en dehors OTEX) « polyculture-élevage », entre les de l’exploitation, puis peuvent devenir Ces remises en cause, voire ces recensements agricoles de 1970 à 2000 agricultrice pendant 4 à 5 ans avant de attaques, bouleversent à la fois les et leur marginalisation (Mignolet et al., laisser ensuite leur place à une belle- conceptions du métier des éleveurs et 2012) s’expliquent par la tendance lourde fille (Jacques-Jouvenot et Schepens, leur travail au quotidien « depuis que je à la spécialisation des systèmes de pro- 2007). La double-activité, fréquente à suis installé, j’en suis au neuvième contrôle. duction. Les comparaisons des marges l’échelle des ménages agricoles, sécu- Le dernier coup, ça s’est mal passé avec le d’ateliers animaux et végétaux rappor- rise la situation économique de l’exploi- contrôleur ». Les pratiques comme l’épan- tées au temps passé et la diminution tation, contribue à l’ouverture sociale dage des fertilisants sont réglementées de la main-d’œuvre dans les fermes ont et humaine et incite à porter plus et des aides agro-environnementales conduit à la mise en culture des prairies d’attention à la vie privée et au temps dites « de verdissement » proposées ; cer- et à l’abandon de l’élevage. Les réunions libre. Les questions du développement tains éleveurs redoutent d’être réduits à de groupes d’éleveurs engagés dans le de structures d’accueil pour la petite un rôle de « jardinier de la nature ». projet en cours « Résilience Efficacité et enfance en milieu rural qui concerne Durabilité des Systèmes de PolYCulture d’autres catégories socio-profession- Des initiatives nombreuses visent Elevage – RED-SPyCE » montrent le grand nelles (artisans, commerçants, travail- à rendre le travail vivable, à améliorer intérêt des agriculteurs pour la variété leurs indépendants) donnent la mesure l’image de l’élevage, à renforcer (parfois des travaux, la diversité saisonnière et de la primauté de l’approche territoriale à recréer) du lien sociétal. journalière des tâches et le p ilotage d’un INRA Productions Animales, 2019, numéro 1
Le travail en élevage et ses mutations / 19 système « complet, où tout se mange ». ouvertes ») qu’il s’en acquitte correcte- (30), Livradois-Forez (63), Argonne et La création de valeur ajoutée et l’image ment. Delanoue et al. (2018) indiquent Crêtes pré-ardennaises (08)) pour tenir d’être « moins pollueur » sont également que de plus en plus souvent les gens compte de sa nature située. La dura- essentielles, mais l’association élevage– cherchent à vérifier que leur nourriture bilité sociale a été définie à partir de culture alourdit le travail et complexifie respecte leurs valeurs (vis-à-vis de la l’expression cumulée d’une trentaine son organisation. Les difficultés (concur- rémunération équitable du travail de d’éleveurs dans cinq filières animales rence entre l’astreinte auprès des ani- l’éleveur par exemple), répond à leurs (bovin lait, bovin viande, ovin viande, maux et chantiers culturaux, plus de inquiétudes (notamment de protection porc, volaille) et d’autant d’acteurs connaissances théoriques et pratiques à de la nature), voire apaise leur culpabi- territoriaux (conseillers techniques acquérir, plus d’investissement en maté- lité (quant aux modes d’élevage inten- et de la MSA, opérateurs des filières, riel…) se cumulent. Une étude fine des sifs). Ces interrogations, qui sans doute banquier, parcs naturels, élus de col- calendriers de travaux de ces agricul- concernent l’ensemble des produits lectivités locales, environnementaliste, teurs, caractérise, en durée et intensité, animaux, seraient en passe de consti- association de consommateurs, ensei- la concurrence entre ateliers qui varie de tuer une nouvelle norme sociale que gnant) avec l’objectif de donner à voir « une période inférieure à deux mois » les producteurs devront intégrer dans et d’expliciter la diversité des registres jusqu’à « deux périodes qui couvrent leur métier. La formule « viande bonne (Cournut et Servière, 2015). Cette étude quasiment trois trimestres » (en hiver les à penser », proposée suite aux 70 entre- identifie trois volets de la durabilité travaux du sol sont rares). Globalement tiens en France et dans cinq autres pays sociale qui mettent en jeu les liens entre deux agriculteurs enquêtés sur trois européens (Delanoue et al., 2018) pour- l’exploitation d’élevage et son territoire. restent satisfaits de leur (ré) orientation rait aussi initier un nouveau position- Le premier concerne les réseaux (pro- principalement parce que, grâce à la nement professionnel susceptible de fessionnels, associatifs, familiaux ou de synergie végétal-animal, ils n’ont « pas convaincre les citoyens que « l’élevage voisinage) dans lesquels les agriculteurs besoin d’avoir une exploitation immense ». est une relation de travail et d’affection, trouvent une reconnaissance (Dufour et que s’en passer aurait de graves consé- et al., 2016), mais aussi des ressources 3.2. Le respect des métiers quences sociales et environnementales » pour leur activité (Van Tilbeurgh et al., de l’élevage (Porcher et Néron de Surgy, 2017). 2008). Le deuxième renvoie aux condi- tions territoriales jouant sur la durabi- L’élevage devient un sujet de société lité sociale des exploitations, définie avec parfois des arguments philoso- 4. Vers une approche comme durabilité externe (Terrier et phiques et éthiques qui privilégient la plus territoriale du travail al., 2010) qui englobe les infrastruc- défense de la cause animale au détri- en élevage tures (route, couverture internet, abat- ment de l’élevage. Ainsi des environ- toir, hôpital, école…), les dynamiques nementalistes militent pour que le démographiques et économiques favo- loup, qui en 2017 a prédaté 12 000 ani- La majorité des approches dévelop- risant ou non l’emploi des conjoints, le maux d’élevage (ovins, caprins, bovins, pées au sein du RMT Travail en Élevage se recrutement des salariés d’exploitation, équins…), soit toujours considéré sont focalisées à l’échelle de l’exploitation. les activités pour les enfants, l’organisa- comme une espèce « sous protection La dimension territoriale a toutefois été tion des filières et la proximité de villes. stricte », ce qui rend très difficile une abordée par l’analyse des facteurs jouant Le troisième traite de la contribution politique de régulation ciblée avec des sur l’organisation du travail, celle des des exploitations à la vitalité territoriale tirs létaux (Meuret et al., 2017). Dans les identités professionnelles ou des formes dont nous parlons plus loin. S’intéresser zones concernées un dispositif est mis d’organisation collective. Comprendre à la situation actuelle ne suffit pas, la en place pour soigner les « morsures les mutations touchant l’élevage et la reprise et l’installation des exploita- invisibles » (titre d’une vidéo de la MSA diversification des formes d’agriculture tions, enjeu primordial de renouvelle- Ardèche-Drôme-Loire) des éleveurs. (Purseigle et al., 2017) nécessite de mieux ment des générations d’éleveurs, est prendre en compte les liens entre l’exploi- maintenant mieux pris en compte par Les abolitionnistes rejettent le prin- tation et son territoire. les collectivités locales avec la mise en cipe selon lequel l’humain est un ani- place d’actions d’accompagnement à mal supérieur (Burgat, 2017) et trouvent 4.1. La durabilité sociale la transmission et à l’installation ainsi immoral de manger de la viande. des exploitations que d’outils de communication pour Même s’ils ne représentent que 2 % améliorer l’attractivité des métiers de de la population française (sondage Le projet « SOCIEL – Analyse de la l’élevage (encadré 5). Ifop pour ACCEPT, Delanoue et al., durabilité sociale des exploitations 2018) leur influence est beaucoup plus d’élevage dans leurs territoires », a 4.2. Reconfiguration large. Le bien-être animal est la ques- co-construit son cadre d’analyse dans des actions collectives tion la plus exposée (Wolff, 2010) et le quatre petites régions contrastées monde de l’élevage se doit de respec- en termes de contexte socioculturel, L’agriculture a toujours évolué en ter les exigences biologiques de chaque géographique et économique et aussi s’appuyant sur des actions collec- espèce et de prouver au grand public de dynamique de l’élevage (Bélinois tives, pour produire, stocker, gérer des (par exemple lors de journées « fermes et Vallée de la Sarthe (72), Cévennes ressources, échanger et prévenir les INRA Productions Animales, 2019, numéro 1
20 / Gérard servière, Sophie chauvat, Nathalie hostiou, Sylvie COURNUT attentes des consommateurs (prêts à Encadré 5. Une initiative territoriale en cuisiner, l ivraison, emballage isotherme) faveur de l’agriculture : Mon voisin paysan (Photo : Parc Naturel Livradois-Forez). et la diversité des modalités de vente (points collectifs, AMAP, drives fermiers, Le réseau foncier agricole Livradois-Forez a été créé en sites internet individuels ou collectifs, 2005 à l’initiative du Parc Naturel Régional, du Conseil grandes surfaces) complexifient la ges- Départemental du Puy-de-Dôme et de communautés de tion de la clientèle. Les 489 enquêtes du communes, pour faciliter les créations et reprises d’exploita- programme Références sur les Circuits tions ainsi que leurs restructurations grâce à une meilleure Courts montrent la fréquente sous-es- maîtrise du foncier. Cherchant à maintenir une agriculture dynamique et créatrice d’emplois sur un territoire timation des difficultés et le temps menacé par l’extension de la forêt, il élargit son champ d’actions vers : nécessaire pour parvenir à un rythme • l’amélioration de l’image des métiers agricoles par la réalisation de films et le lancement du projet de croisière (Chiffoleau et al., 2013). « Mon voisin paysan » pour favoriser la rencontre des scolaires et des agriculteurs, • l’accompagnement des exploitants pour résoudre leur problème de main-d’œuvre. 4.4. Les fonctions sociales de l’élevage L’élevage contribue directement et risques. Sous l’effet des défis écono- 4.3. Évolution des liens indirectement à l’emploi. À la main- miques et agro-écologiques et aussi aux filières d’œuvre des exploitations, y compris des mutations sociales et territoriales salariée, s’ajoute celle des entreprises (Lucas et al., 2014) des agriculteurs, le Les liens entre agriculteurs et leur d’amont et d’aval, notamment les plus souvent dans le cadre de leurs filière d’aval participent aussi de la coopératives d’approvisionnement, expériences en Cuma de mutualisa- durabilité sociale des exploitations. Les les organisations de producteurs, les tion de matériel et/ou de travail, voire éleveurs de volaille de Loué sont fiers organismes de collecte, d’abattage et de salariat partagé, élargissent leur d’appartenir à une filière reconnue, de transformation, les CUMA, les ser- projet collectif : concertation pour les porteuse d’identité territoriale, dont la vices de remplacement, les vétérinaires assolements, maternités collectives en communication met en avant la qua- (Lang et al., 2015). Certaines formes production porcine, regroupement de lité des produits et la préservation de la d’élevages semblent favorables à l’em- troupeaux bovins laitiers et allaitants, ruralité d’un milieu très urbanisé « il y a ploi direct sur l’exploitation comme transformation et/ou commercialisa- une vraie fierté à être éleveur de Loué », « ils les systèmes diversifiés transformant tion communes. Ces arrangements, ont tous le panonceau Loué à l’entrée de et vendant en circuits courts (Mundler qui modifient toujours l’organisation leur ferme ». Il en est de même dans une et Jean-Gagnon, 2017) ou d’autres sys- du travail, visent, selon les cas, l’aug- moindre mesure, des rillettes du Mans, tèmes (les herbagers économes sont mentation de la productivité du travail, de la fourme d’Ambert et de l’oignon des cités) qui en augmentant la valeur ajou- la sécurisation du système face aux Cévennes. Les produits « du terroir » sont tée par hectare et par actif, ralentissent aléas climatique et économique ou d’abord une reconnaissance des savoir- la tendance lourde de substitution encore la recherche de valeur ajoutée. faire traditionnels, même sans signe offi- du travail par le capital (Garambois et Ces coopérations mettent en jeu des ciel de qualité « quand à Reims on dit que Devienne, 2012). Les élevages de porc liens sociaux et symboliques qui parti- c’est de la viande qui vient des Ardennes, à forte productivité et division du travail cipent à la construction d’une identité les consommateurs se jettent dessus. On favorisent l’emploi en aval, notamment professionnelle (Sabourin, 2012) via a vraiment une image de qualité, c’est très dans la transformation (6 emplois pour notamment les échanges de pratiques positif pour nous ». Lorsque ce type de 1 en élevage) (Lang et al., 2015). entre agriculteurs : « c’est bien d’avoir filière est vécu comme limitant l’autono- l’avis des autres, de savoir ce qui se passe mie, des producteurs choisissent la vente L’élevage participe à la préservation ailleurs, de partager un peu nos façons en circuits courts pour « retrouver la maî- des patrimoines paysager, architectu- de travailler ». Ces dynamiques ne trise de leur activité, en allant jusqu’au ral et culturel et à la cohésion sociale peuvent toutefois masquer la tendance bout du processus et en valorisant mieux (Houdart et al., 2015). Ainsi pour un inverse de montée de l’individualisme leur produits ». Ils en retirent des satisfac- acteur territorial « le label Unesco c’est et d’accroissement du sentiment d’iso- tions en matière d’épanouissement pro- pour les paysages de l’agro-pastoralisme lement des agriculteurs. La diminu- fessionnel et de reconnaissance sociale, cévenol. Les éleveurs c’est le fondement de tion du nombre d’exploitations et leur notamment grâce à leurs relations avec l’inscription, sans eux il ne sera pas pos- agrandissement avec en conséquence les consommateurs (Dufour et al., 2016). sible de la maintenir ». l’augmentation de la charge de travail, Ce mode de commercialisation exigeant les progrès techniques et l’automati- en temps et en compétences corres- 4.5. La dimension sation incitent des agriculteurs à tra- pond à l’exercice de plusieurs métiers territoriale du travail vailler seuls (Gasselin et al., 2014) : « ils (production, transformation, logistique ne s’arrêtent même pas pour se parler et vente) et donc implique une forte Plusieurs pistes sont possibles pour parce qu’ils sont pressé s » observe un tension sur le travail en quantité et en plus investir la dimension territoriale conseiller agricole. charge mentale. La multiplication des du travail des éleveurs. La première INRA Productions Animales, 2019, numéro 1
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