- Coopératives d'habitants en Suisse romande - Tec21
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Dossier Coopératives d’habitants en Suisse romande Des raisons d’y croire Typologie, participation et réversibilité Entretien avec Yves Dreier the Playground project Inédit de Xavier de la Salle La géologie a déterminé le tracé optimal du tunnel de base du Gothard 11 142e année / 27 mai 2016 Bulletin technique de la Suisse romande
11 coopératives d’habitants en suisse romande Processus participatifs et typologies originales pour habiter collecti- vement autrement. 6 Coopératives d’habitants en Suisse romande : des raisons d’y croire Stéphanie Sonnette 12 Typologie, participation et réversibilité Julien Grisel et Nicolas Bassand 18 L’architecte, la CODHA et les habitants Yves Dreier, architecte, propos recueillis par Julien Grisel et Nicolas Bassand The Playground Project 20 The Playground Project Christophe Catsaros 22 Je pensais que c’était hier. Xavier de la Salle 5 ÉDITORIAL 42 Concours 30 Actualités 44 Agenda 32 pages SIA 46 statler et waldorf 38 offres d’emploi responsable «Avoir le temps, se détendre et profiter. Se réjouir de ce qui va suivre. Et se sentir sûr grâce au partenariat de longue date avec la caisse de pension. Le sens des responsabilités de la CPAT me procure un bon sentiment.» Bendicht Abrecht Directeur de projets, bureau d’ingénieurs Group Ludic, Blijdorp Park, Rotterdam, 1970 (commande De Bijenkorf, © Xavier de la Salle) Paraissent chez le même éditeur : TEC21 Nr. 22/2016 (27.05.2016) Empa NEST – Brutplatz für die Forschung Caisse de Prévoyance «Man darf scheitern» | Solides Rückgrat | Schaufen- des Associations Techniques ster für die Avantgarde SIA UTS FAS FSAI USIC TEC21 Nr. 21/2016 (20.05.2016) Landschaft 3000 Berne 14 im Dialog Erholung vor der Haustür | «Wir bauen Brücken T 031 380 79 60 zu Politik, Planung und Forschung» www.cpat.ch ARCHI Nr. 3/2016 (6.2016) Il territorio di Alptransit Cronologia AlpTransit | Successi e criticità della nuova trasversale ferroviaria alpina | L’architettura della nuova linea ferroviaria AlpTransit San Gottardo attentif · indépendant · responsable ptv_ins_traces_V_97x270mm_SS_fr.indd 1 29.03.16 09:19
Tracés 11/2016 éditorial 5 La sociabilité bâtie e numéro regroupe deux sujets distincts, sans lien apparent : un dossier de Stéphanie Sonnette sur le regain d’intérêt pour les coopératives d’habitants en Suisse romande, et un texte, inédit en langue française, de Xavier de la Salle, pionnier des aires de jeux créatives dans les années 1960. Son texte, publié dans son intégralité, est tiré du catalogue de l’exposition The Playground Project qui vient de se terminer à Zurich. On pourrait se demander quelle est la signification de ce nou- vel engouement pour les coopératives d’habitants. Pourquoi, à l’heure de la démultiplication des réseaux sociaux numé- riques, à l’heure des communautés d’amis perpétuellement reliés par leurs appareils cellulaires, à l’heure où des sondages confirment qu’un jeune sur deux dort avec son smartphone à portée de main, ceux qui manifestent le besoin d’édifier leur sociabilité ailleurs que sur les réseaux virtuels sont de plus en plus nombreux ? Dans l’absolu, les coopératives d’habitants ne sont autre chose que des sociabilités inscrites dans la pierre. Des amitiés, des parentés et d’autres affinités qui condi- tionnement la forme de l’habitat et, à partir d’un certain point, la forme de la ville. A 224 km de Zurich, nous sommes bien placés pour le savoir : les coopératives redessinent une ville plus ouverte, plus accueillante et plus conviviale pour tous, même ceux qui n’y résident pas. Au lieu de chercher à privatiser l’espace public, elles rendent public l’espace privé. C’est sur ce point que le thème des coopératives rejoint celui des aires de jeux. Car, là aussi, le clivage entre activités privée et publique s’avère déterminant. Le jeu privé est celui que pratiquent les enfants dans leur chambre devant un écran. Le jeu public est celui qu’ils pratiquent à plusieurs, de préférence dehors, avec ou sans surveillance. Aujourd’hui, résister au tout numérique, aux interfaces qui happent les enfants dès le plus jeune âge, se révèle un enjeu de premier ordre, certains diront même vital pour l’avenir. Le deuxième dossier de ce numéro permet donc de mesurer à quel point la façon dont jouent nos enfants préfigure la ville qu’ils habiteront. Sans alarmisme et sans fausse détresse, il est bon de prendre la mesure de la t endance qui se dessine. La déferlante numérique dans ce domaine est en train de modifier la sociabilité des plus jeunes, à un tel point que l’aire de jeux commence à revêtir une aura nostalgique. Cette évolution devrait, sinon nous avertir, au moins être sérieusement prise en compte. Non pour revenir en arrière, encore moins pour freiner le progrès, mais pour cher- cher et trouver des nouvelles formes d’occupation de l’espace public par les enfants. Christophe Catsaros
6 architecture Tracés 11/2016 Coopératives d’habitants en Suisse romande : des raisons d’y croire Alors qu’en Suisse alémanique et à Zurich en particulier, des quartiers entiers sont construits et gérés par des coopératives d’habitants, considérées par les municipalités comme des acteurs du logement à part entière, qu’en est-il de ce côté-ci de la Suisse ? Stéphanie Sonnette S ans refaire l’histoire des coopératives Si elles partagent avec les coopératives d’habitation d’habitation en Suisse, rappelons en deux mots les mêmes objectifs et un certain nombre de principes qu’elle commence à la fin du 19e siècle dans un dans leur montage et leur financement, les coopéra- contexte d’augmentation des loyers et d’insalubrité tives d’habitants s’en distinguaient jusqu’à présent des logements. Les coopératives, sans but lucratif, par leur échelle, celle d’un groupe d’habitants, et par produisent alors pour leurs membres des logements l’engagement de leurs membres dans la définition et à loyers modérés. Le système est rodé, il perdure la gestion d’un projet de vie commun. aujourd’hui sous la forme de grandes coopératives d’habitation. Décollage ? A la fin du 20 e siècle, sous l’impulsion de mouve- En Suisse alémanique, les coopératives historiques, ments militants qui revendiquent un droit au Dreieck et Kraftwerk1, ont fait des petits. Depuis logement et des formes alternatives de vie en commu- quelques années, la production s’est accélérée, les nauté, plusieurs ensembles immobiliers à l’abandon coopératives se sont institutionnalisées, soutenues sont réquisitionnés et occupés par des collectifs par les pouvoirs publics, et construisent, comme d’habitants. Associées à une forme de marginalité, n’importe quel acteur du logement, des opérations ces occupations ont mauvaise presse. C’est pour- de taille conséquente, voire des quartiers entiers tant là, dans ces foyers de contestation, que vont à l’image de Kraftwerk2, Mehr als Wohnen ou se construire puis se consolider les bases de ce qui Hunzinker (35 coopératives regroupées pour réaliser constitue aujourd’hui les coopératives d’habitants : un quartier de 450 logements). participation, engagement, partage de valeurs Qu’en est-il alors en Suisse romande ? Peut-on souvent liées à l’écologie, invention de nouvelles seulement comparer ? La culture du logement d’uti- formes de vie en commun. Moins radicales, mais lité publique n’est sans doute pas la même. A Zurich assurément héritières des premiers squats, elles par exemple, la Ville s’est dotée en 2011, par voie se développent à partir des années 1990, dans un d’initiative populaire, d’une loi prévoyant que la contexte de marché immobilier tendu (pénurie, coût proportion de ces logements (incluant les coopéra- du foncier et des loyers), dans les grandes agglomé- tives d’habitants) puisse grimper à 33 %. rations helvètes et apparaissent pour de plus en plus Si l’écart demeure, les choses sont pourtant en de personnes comme une alternative pour construire train de changer. Pour Guillaume Kaeser, vice- son propre logement à des coûts abordables. président de la CODHA, la plus grande coopérative
Tracés 11/2016 coopératives d’habitants 7 1 1 L’immeuble Les Ouches à Genève, première opération neuve de la CODHA, livré en 2004 (© CODHA) d’habitants « professionnelle » de Suisse romande, octobre 2015 répond à la « règle des quatre quarts ». on assiste à un « réel renouveau de la coopérative Chaque pièce urbaine sera ainsi répartie en quatre d’une manière générale et plus particulièrement lots : 25 % pour les sociétés de la Ville (SILL 1 et de la coopérative d’habitants », qui s’explique par FLCL 2), 25 % pour les sociétés d’utilité publique plusieurs facteurs. D’abord, la prise de conscience par (SUP) classiques, 25 % pour les coopératives d’habi- les politiques, tous bords confondus, de l’urgence à tants, 25 % pour le privé (fig. 4b). intervenir en matière de logement. Dans une logique Cette approche est nouvelle pour la Municipalité et de rattrapage, les municipalités s’attèlent à déve- a valeur de test. Elle donne leur chance aux coopé- lopper une nouvelle offre d’habitat abordable à loyers ratives d’habitants qui, dans cette configuration, maîtrisés, en menant des politiques plus volontaristes se trouvent mises en concurrence entre elles et non incluant une maîtrise du foncier, le nerf de la guerre plus avec les autres types d’investisseurs. Cet appel pour les coopératives d’habitants, qui ont besoin d’offres a fait l’effet d’un appel d’air pour plusieurs de terrains peu chers pour construire. A Lausanne coopératives qui se sont constituées spécifiquement comme à Genève, ce renouveau est perceptible. La pour y répondre : Le Bled, Baraka, C-Arts-Ouches… dynamique impulsée par les grands projets d’agglo- Un changement d’échelle important pour elles mération (Grand Genève, Lausanne-Morges…), sous puisqu’après attribution des lots (en juin 2016), elles maîtrise foncière publique, ouvre de nouvelles pers- seront amenées à construire et gérer des opérations pectives pour les coopératives. de plus d’une centaine de logements. Un risque finan- Le projet des Plaines-du-Loup, l’une des opérations cier aussi, car les coopératives ne disposent géné- phares du projet Métamorphose à Lausanne, pourrait ralement pas des fonds propres nécessaires. Pour agir comme un accélérateur du développement des les soutenir, la Municipalité a demandé au Conseil coopératives d’habitants en Suisse romande. Sur 38.5 communal l’octroi d’une enveloppe de 6 millions de hectares, le projet prévoit la construction de 3500 francs. Les coopératives pourront ainsi recourir à des logements, dont 30 % sont subventionnés, 40 % sont crédits-relais (prêts chirographaires) pour développer des loyers régulés (dont la moitié pour des coopéra- leur projet participatif jusqu’à la phase du permis tives d’habitants) et 30 % pour le marché libre et PPE de construire. (propriété par étages) (fig. 4a). Pour la première tranche de l’opération, l’appel 1 SILL : Société immobilière lausannoise pour le logement d’offres à investisseurs lancé par la Municipalité en 2 FLCL : Fondation lausannoise pour la construction de logements
8 architecture Tracés 11/2016 Autre facteur favorable au développement des années 1980, la question : « comment vivre ensemble coopératives d’habitants : les « écoquartiers » qui autrement ? » reste pour la plupart des coopérateurs fleurissent dans les agglomérations romandes. au cœur du projet. Le développement récent de Affichés comme durables, écologiques, peu consom- multiples coopératives, défendant chacune sa propre mateurs d’énergie, conviviaux, mixtes, ces nouveaux vision de la participation, de la gestion et de la vie en quartiers parés de toutes les qualités ne sont souvent communauté, en témoigne. Si les regards se tournent rien d’autre que des quartiers d’habitat traditionnels, immanquablement vers Zurich et l’exemplarité de ses dont l’habillage « vert » justifie la densité. Par les opérations pour y puiser des références (les appar- valeurs qu’elles défendent, leurs montages financiers tements communautaires par exemple), le champ de et leur mode participatif, les coopératives d’habitants la réflexion et de l’expérimentation reste largement sont totalement raccord avec le concept et, à ce titre, ouvert en Suisse romande : évolution de la structure soutenues par les villes. des ménages, typologies, rapports espace commu- nautaire/espace privé, mélange des générations, Vivre ensemble autrement programmes à mutualiser, mobilités…, en lien avec Au-delà de la question du loyer modéré, qu’est- l’équilibre économique de l’opération et son montage ce que les coopératives d’habitants ont à offrir de juridique et financier. plus que les opérations traditionnelles ? Quelles Les coopératives apparaissent par exemple sont les motivations des aspirants habitants ? plus adaptées à des typologies de ménages qui ne Qu’en est-il de l’héritage des premières expériences composent pas forcément une structure familiale communautaires ? classique. Elles pourraient offrir, plus que les loge- Si la démarche est sans doute moins militante ments conventionnels, une réponse à des associations que celle qui guidait les premières coopératives des d’habitants à géométrie variable, composées par âge
Tracés 11/2016 coopératives d’habitants 9 2 3 4a 4b 2 Le projet des Plaines-du-Loup à Lausanne. A l’horizon 2030 : 3500 logements, des commerces et activités, des équipements publics (© Ville de Lausanne) 3 Au sein du PPA 1, plusieurs pièces urbaines sont délimitées (© Ville de Lausanne) 4 Principes d’attribution des lots de l’appel d’offres à investisseurs lancé par la Ville dans chaque pièce urbaine a) Types de logements : 30 % logements subvention- nés, 40 % loyers régulés, 30 % marché libre et PPE b) Types d’investisseurs : 25 % sociétés de la Ville (SIL, FLCL), 25 % sociétés privées d’utilité publique classiques (SUP) ; 25 % coopératives d’habitants ; 25 % acteurs institutionnels et privés traditionnels (© Ville de Lausanne)
10 architecture Tracés 11/2016 ou par affinités. Les différentes coopératives réflé- chissent à des typologies innovantes pour répondre à ces demandes singulières et à ces aspirations à partager des espaces communs. Dans l’opération de la CODHA de l’écoquartier Jonction à Genève (lire article page 12), des typologies de cluster, inspirées des appartements communautaires de Kraftwerk2, offrent ainsi aux habitants des appartements auto- nomes de taille très correcte (autour de 68 m 2 pour un 3,5 pièces), assortis d’un vaste espace commun sans affectation définie que la communauté pourra s’approprier librement. Laurent Guidetti, de la coopérative d’habitants Le Bled, est moins convaincu par ces espaces communs sans programmation. Citant l’exemple de Kalkbreite à Zurich, où ces espaces sont liés à des fonctions et des services, il milite pour les « construire intelli- gemment avec les habitants, sans a priori sur ce qui peut advenir ». Pour répondre aux variations de la taille des ménages au cours de la vie des logements, il envisage une forme de « Bled bed & breakfast » qui permettrait d’adapter les typologies en fonction du nombre d’ha- bitants et d’optimiser ainsi l’occupation du logement. L’élasticité de la cellule familiale (les enfants partent faire leurs études, reviennent le temps de trouver un travail ou lorsqu’ils se séparent, les grands-parents âgés peuvent aussi être accueillis…) justifie pour lui « qu’on réinvente la nature des espaces communs ». 5 Le Bled propose ainsi de construire des grands loge- ments de 6 ou 7 pièces pour un ménage, dont une partie, conçue pour être indépendante, pourrait être sous-louée. Ces chambres en plus pourraient fonc- tionner comme un hôtel ou des logements de transi- tion pour les jeunes en formation. Cette réflexion sur la typologie et les usages s’accompagne ici de l’intro- duction d’une flexibilité du droit au bail. Encouragées et soutenues par les municipalités, plébiscitées par les habitants (en témoignent les longues listes d’attente), les coopératives semblent avoir de beaux jours devant elles. Les premières réalisations d’envergure aux Plaines-du-Loup ou à la Jonction marqueront un jalon dans leur déve- loppement. A suivre donc, pour voir quels chemins elles emprunteront, en dehors des modèles et sans se départir de leur vocation d’origine et de leur héritage militant… 5 Vue depuis la coursive de l’immeuble Les Ouches à Genève (© CODHA)
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12 architecture Tracés 11/2016 Typologie, participation et réversibilité Dans l’écoquartier Jonction à Genève, une opération mixte expérimente une forme atypique de logements communautaires, née du dialogue avec les futurs habitants. Julien Grisel et Nicolas Bassand C oncilier des demandes contradictoires est En lien avec le choix d’une construction structu- certainement l’un des défis majeurs de relle simple, faite de poteaux et de dalles, la devise l’architecte, en particulier lorsqu’il est engagé du concours « Social Loft » illustre bien la volonté dans un processus participatif avec les futurs habitants des architectes d’hybrider des espaces économes et d’une coopérative d’habitation qui souhaitent contraints de type « Existenzminimum » et d’autres, expérimenter de nouvelles façons d’habiter. Il doit alors proposant des spatialités plus généreuses et évolutives, répondre tout à la fois à des demandes de sociabilité pouvant s’apparenter à des lofts (fig. 1). consolidée entre « voisins », à différentes formes de Les échanges entre le bureau d’architectes, les vivre ensemble, peu habituelles dans la production coopérateurs et la CODHA, ont permis de mettre à courante du logement, mais également à des besoins jour les aspirations des futurs habitants à vivre dans plus conventionnels de privacité comme à des souhaits un habitat sensiblement différent de la production individuels d’appropriations diverses de l’habitat et de courante. La question d’un mode de vie organisé entre ses prolongements. Depuis 2010, date à laquelle ils ont des espaces communs et des unités privatives a été remporté le concours de l’écoquartier de la Jonction initialement posée au comité directeur de la CODHA à Genève, les architectes du bureau Dreier Frenzel par un groupe de femmes vivant seules et souhaitant s’attèlent à relever ce défi. partager leur quotidien dans un même appartement. Cette demande a été transmise aux architectes qui ont Flexibilité du processus de projet emmené en 2011 les responsables du projet à Zurich Ce concours portait sur la création d’un écoquar- pour leur faire découvrir l’immeuble du Kraftwerk2 tier composé d’une école, de surfaces d’activités et d’Adrian Streich. La visite de ces grands appartements de logements que les architectes ont organisés straté- communautaires a convaincu le maître d’ouvrage giquement en trois bâtiments distincts, de sorte que de poursuivre le développement des logements dans chacun d’eux représente un maître d’ouvrage diffé- le même esprit. La recherche typologique a pu être rent. Au sein de cette opération, le bâtiment réalisé relancée à partir d’une demande émanant des futurs pour la CODHA1 , expérimente une forme de loge- habitants eux-mêmes, intéressés à trouver une solution ments communautaires atypique, née du dialogue avec à leur rêve d’habitat commun. les coopérateurs (fig. 2). De leur côté, les architectes ont vu dans cette Dès le stade du concours, le bureau Dreier Frenzel demande spécifique de nouvelles perspectives pour a intégré le besoin de flexibilité que laissait présager mieux définir une partie du volume du bâtiment dont une démarche participative avec les futurs habitants. ils n’arrivaient pas à optimiser la grande profondeur. Après avoir proposé plusieurs variantes, ils ont abouti 1 La CODHA, Coopérative de l’Habitat Associatif, est une société coopérative active depuis 1994 en Suisse romande. Elle accompagne des groupes en 2014 à un modèle de grand appartement commu- d’habitants dans le développement de leurs projets. nautaire comprenant des clusters, c’est-à-dire des
Tracés 11/2016 coopératives d’habitants 13 1 1 La construction en poteaux-dalles permet de proposer des espaces différenciés (perspective de concours d’un espace de séjour) unités privatives avec chambres, salle de bain, cuisine « petite ville » dont les habitants, en changeant de et parfois un petit salon, agrégées au sein d’un vaste configuration familiale ou sociale, peuvent occuper espace de vie collectif. successivement différents types de logements au sein Ce principe d’association et de gestion spatiale entre du même bâtiment. le privé et le collectif a connu un vif succès auprès A ce stade du processus, chaque appartement peut des coopérateurs, si bien que plusieurs logements ont accueillir une communauté spécifique susceptible de finalement été organisés avec des unités de cluster de se transformer. Les scénarii doivent permettre une 8 à 26 pièces, qui présentent l’avantage de pouvoir adaptation des usages des espaces en fonction des accueillir des communautés aux configurations très différents regroupements d’individus possibles. Le diverses : familles recomposées, colocations intergéné- plan se présente ainsi comme une combinaison, une rationnelles, groupes de seniors, etc. succession logique et indivisible d’espaces caractérisés, Au-delà du principe initial de « Social Loft » proposé des plus grands et des plus exposés, aux plus petits lors du concours, qui devait permettre à chacun de et aux plus retirés. A noter que ce moment du projet configurer son espace de vie (puisque seules la struc- marque la fin du processus flexible qui avait prévalu ture et les gaines techniques étaient fixes), le projet jusqu’alors et tend à présent vers une notion d’appro- démontre une capacité supplémentaire : celle d’ac- priation dans la manière d’habiter. cueillir dans des immeubles neufs des logements communautaires jusqu’ici relativement inédits en terre Des espaces communs semi-publics en regard de romande. suites privatives compactes La spécificité qui paraît se cristalliser dans ces plans En quête de la définition du type et de sa durabilité de logements en cluster repose sur l’idée de « fusion des Qu’en est-il de la durabilité de ces typologies ? contraires », inscrite dans la devise « Social Loft ». D’un Depuis 2011, année durant laquelle les premiers loge- côté, on trouve un espace commun généreux, grande ments communautaires ont été proposés, les coopé- pièce polymorphe ramifiée en différents sous-espaces, rateurs intéressés à cette expérience ont changé ou très ouverte sur l’extérieur par ses baies vitrées. Cette évolué dans leurs envies, des personnes sont parties et grande pièce contient tout à la fois salon, salle à manger, de nouvelles sont arrivées. Que deviennent alors ces cuisine, espaces de travail et circulations, autant de appartements lorsque les habitants initiaux changent ? fonctions collectives calibrées en regard du nombre de C’est justement en réfléchissant à ces questions que « colocataires ». Par ses dimensions qui lui confèrent un les architectes ont cherché à concevoir des typolo- statut semi-public, elle joue un rôle déterminant avant gies capables de répondre à différents scénarii plutôt d’accéder aux unités privatives. L’avenir montrera qu’à des personnes en particulier. Pour Yves Dreier, quelle appropriation, adaptée et circonstanciée, en cet immeuble de 115 appartements est comme une feront effectivement les occupants (fig. 5).
14 architecture Tracés 11/2016 De l’autre côté, les clusters, entités compactes, présentent des proportions sensiblement réduites par rapport à l’espace commun. Dans un équilibrage savant mené avec le service cantonal du logement et de la planification foncière (OCLPF), les architectes ont dû prouver que l’économie des surfaces ne nuisait pas aux standards d’habitabilité et permettait d’accorder à ces espaces « semi-publics » les quelques mètres carrés gagnés, tout en garantissant une densité d’usage supé- rieure à des appartements traditionnels. Disposés sur les façades extérieures du bâtiment sur cour, les clusters reçoivent suffisamment de lumière naturelle et fonctionnent en autonomie, avec kitchenette et salle de bains. Ils peuvent être fermés à clé comme un appartement. Ainsi, cette dualité espace commun / cluster renouvelle fondamentalement les notions de seuil traditionnellement associées aux appartements standards (fig. 3 et 4). 2 La chambre blanche privatisable et la chambre d’accueil A mi-chemin entre les clusters et l’espace commun se trouve une autre pièce importante pour l’habita- bilité de certains appartements communautaires, que les architectes ont appelé « chambre blanche ». Polyvalente et privatisable, elle occupe le centre du bâtiment et légitime ainsi la grande profondeur des appartements (20 mètres). Bordée par un atrium, elle bénéficie de lumière naturelle en suffisance. Elle peut être utilisée de différentes manières : par une grande famille occupant le cluster adjacent et souhaitant un espace privatif plus généreux, comme salle de repli ou lieu de travail pour l’ensemble des occupants de l’appartement. Autre espace offrant une souplesse à certains de ces appartements, la chambre d’accueil se trouve très souvent à une extrémité de l’espace commun. Pensée en premier lieu pour les visites de passage, elle auto- rise aussi des scénarii variés en fonction des différents regroupements d’habitants possibles. Elle pourra ainsi se transformer en petit salon, en espace de travail ou encore en pièce de jeu ou éventuellement en chambre pour adolescent. Bien qu’elle bénéficie de la proximité directe d’une salle de bains collective, elle restera a priori dépendante de la cuisine partagée des espaces communs ou de l’un des clusters, sans être en lien direct avec l’un d’eux. Percevoir les limites de la réversibilité et la valeur de l’indétermination La réversibilité n’est généralement pas exploitée dans les immeubles de logements contemporains ou modernes conçus pour offrir cette possibilité. Cela demande en effet des travaux conséquents et complexes dans du logement collectif occupé par ses habitants. Il a pourtant été demandé aux architectes de pouvoir transformer certains appartements communautaires en 2 Les appartements communautaires sont développés appartements « traditionnels » s’ils venaient à ne plus sur deux niveaux dans la partie basse du bâtiment donnant sur la cour (maquette de travail) fonctionner après les premières rotations d’habitants. 3 Plan du premier niveau sur cour Si en effet on peut envisager de cloisonner certaines 4 Plan du deuxième niveau
Tracés 11/2016 coopératives d’habitants 15 3 4
16 architecture Tracés 11/2016 6 5 Plan d’un appartement communautaire d’angle. Une vaste pièce commune équipée d’une cuisine et d’une salle de bains, accueille un salon, une salle à manger et des espaces de travail. Elle dessert trois clusters, une chambre blanche et une chambre d’accueil. 6 Vue intérieure du même appartement communautaire. La grande pièce polymorphe sur laquelle s’ouvrent les clusters. A droite, le patio amène de la lumière natu- relle au cœur de l’appartement (maquette de travail). (Les documents illustrant cet article ont été fournis par 5 Dreier Frenzel architectes.) parties pour revenir à des logements plus standards ou une norme dans le monde du logement qui peine à moins grands, il faut cependant prendre en compte la offrir des appartements pour les familles recompo- grande dimension des espaces communs qui resteront sées. Cet exemple illustre une tentative de concilia- probablement marqués par leur nature semi-publique, tion architecturale entre l’individualisme devenu une donc peu privatisable (grandes baies vitrées, trajet de norme et l’envie de reformer des groupements d’indi- l’entrée au cluster, etc.). Il faut en outre rester attentif vidus partageant des valeurs communes. au fait que la disparition de la souplesse et des alterna- tives actuelles de ces plans (la chambre blanche et la Julien Grisel, architecte, docteur ès sciences, enseignant chambre d’accueil en particulier) fera perdre l’attrait et EIA-FR / HES-SO, associé bunq architectes l’équilibre des appartements, qui fonctionneraient alors dans une bipolarité un peu frontale « espace commun - Nicolas Bassand, architecte, docteur ès sciences, chargé de cluster », peut-être plus subie que souhaitable. cours hepia / HES-SO Vers une société du partage ? Le projet des architectes Dreier Frenzel démontre qu’il existe dans le milieu de l’habitat associatif une réelle demande pour des structures de logements plus ouvertes à la vie en communauté. Comme le relève Yves Dreier, ces typologies poursuivent et consolident le modèle du « vivre ensemble » des années soixante, tout en s’en démarquant par une définition plus nette de la sphère privée vis-à-vis des espaces communs. Les grands appartements de la CODHA apportent ainsi une réponse originale aux modèles définis par une société qui souffre d’un individualisme exacerbé. On peut se demander si, à terme, les clusters rempla- ceront les homes de personnes âgées, s’ils deviendront
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18 architecture Tracés 11/2016 L’architecte, la CODHA et les habitants Entretien avec Yves Dreier, du bureau Dreier Frenzel, architecte de l’opération de la CODHA dans l’écoquartier de la Jonction à Genève. Yves Dreier, architecte, propos recueillis par Julien Grisel et Nicolas Bassand D ans cette opération en cours de construction, Ensuite, il y a un deuxième niveau avec tous les les futurs habitants sont engagés depuis futurs habitants qui se réunissent en plénière pour 2011 dans un processus participatif de choix prendre des décisions collectivement. collectifs concernant la typologie des appartements, Le troisième niveau est celui des quatre groupes les finitions et la configuration des espaces de travail. Ils font des pré-choix pour les présenter communautaires. Yves Dreier revient sur les marges de en plénière. Ils peuvent par exemple travailler sur manœuvre des habitants et le rôle de l’architecte dans les matériaux intérieurs. Nous leur faisons plusieurs la conception et les processus de décision. propositions et ils en choisissent une qui s’applique ensuite à l’ensemble de l’immeuble, par exemple pour Julien Grisel et Nicolas Bassand : Pour le projet de les revêtement de sol (lino, parquet ou chape). C’est l’écoquartier de la Jonction, comment la démarche donc un choix collectif qui impacte, sans exception, participative a-t-elle été menée avec la Coopérative tous les appartements. de l’Habitat Associatif (CODHA) ? Le quatrième niveau est celui des choix indivi- Yves Dreier : La CODHA a procédé à la répartition duels. Chacun a ainsi la possibilité de choisir dans une des appartements au stade de l’avant-projet. Lorsque gamme prédéfinie, par exemple pour la couleur des 80 % des locataires, c’est-à-dire environ 150 personnes, portes, mais les coloris ont été validés collectivement, ont été connus, ils ont constitué une association qui en amont. prendra à terme la gestion de l’immeuble. Cette asso- Il est intéressant d’observer que ce travail de parti- ciation a organisé avec nous les séances de participa- cipation crée des liens entre les futurs habitants. Lors tion. Pour le suivi du projet au sein de la CODHA, des différentes séances, il y a déjà une vie d’immeuble, quatre groupes de travail composés des futurs habi- on la sent. Il y a une attitude, une atmosphère. tants ont été formés sur différents sujets : « aménage- ments extérieurs », « locaux communs », « matérialisa- Le premier appartement communautaire de tion intérieure » et « programmation ». l’opération est issu d’un groupe de personnes qui a La participation fonctionne ensuite selon quatre demandé cette typologie particulière. Par la suite, « niveaux ». Le premier est celui de la relation entre vous avez dessiné d’autres appartements de ce type le maître d’ouvrage et l’architecte. Avec la CODHA, que les habitants ont choisis. Ce sont-ils organisés en nous définissons les éléments structurels, les façades, fonction des typologies proposées ? la distribution, la taille des appartements, l’affectation Oui, notre seul mérite est d’avoir rebondi et des rez et tous les éléments techniques. Il n’y a rien de amplifié l’idée initiale. Lors de la première séance nouveau, c’est ce que nous faisons traditionnellement de participation-présentation publique, les gens ont dans un projet normal. commencé à discuter ensemble. Des groupes se sont
Tracés 11/2016 coopératives d’habitants 19 formés et chacun a fait une proposition avec trois Lors de la première séance, nous avons présenté les choix en définissant ses priorités. Le dispositif mis typologies séparément et expliqué leurs potentiels, en place par la CODHA fonctionne très bien. S’il leurs spécificités et les scénarios d’appropriation que n’existait pas, nous n’aurions sans doute pas obtenu nous avions imaginés. Nous avons montré que certains ce résultat et dans l’autre sens, sans cette participa- appartements fonctionnaient plus pour les seniors car tion, la CODHA n’aurait pas pris le risque de faire ils étaient sur un niveau et de plain-pied avec la cour. ces appartements. D’autres scénarios étaient pensés pour les familles recomposées, monoparentales ou intergénération- Il y a donc une attribution des appartements à des nelles. Ensuite, les gens se sont inscrits selon leurs groupes qui se constituent lors de ces assemblées propres critères et nous ont fait changer des choses sur participatives, mais que se passera-t-il si des habi- cette proposition de base. Ils avaient déjà choisi leur tants quittent le groupe ? appartement en fonction de son emplacement dans Avec la CODHA, nous avons décidé de traiter cette l’immeuble et selon notre proposition de scénario. question au cas par cas au moment où elle surviendra. Les cas de figure sont très variés : dans certains appar- Quels sont les éléments du plan des appartements tements, les gens se séparent, dans d’autres un partant communautaires qui pouvaient être adaptés ou est remplacé par un entrant et certains groupes ont discutés par le groupe des futurs habitants ? tendance à s’assembler en cherchant à former des clus- Les habitants pouvaient choisir d’avoir une ters plus grands. On sait aussi que pour certains clus- « chambre d’accueil », ce qui leur permettait de former ters, on peut revenir en arrière et recréer des apparte- une suite avec trois espaces, plutôt que deux avec ments traditionnels. une chambre en plus. Ils pouvaient également définir l’emplacement de la cuisine parmi plusieurs propo- Il y a deux options finalement. Soit la construction sitions, et intervertir le salon et la salle à manger, ne change pas, comme vous l’avez proposé dans cette chose qui est toujours possible aujourd’hui dans tous opération, soit l’espace peut être reconfiguré en fonc- les appartements. tion de la typologie des nouveaux ménages. Les typologies polymorphes donnent toujours la Oui, on doit le prévoir, mais sans pouvoir le gérer possibilité d’utiliser leurs « méandres », leurs zones réellement. De toute façon, dans ce type de projet « résiduelles », mais surdimensionnées, pour en faire qui s’élabore collectivement sur huit ans environ un petit bureau, ou un autre type d’espace qui permet – ici entre 2010 et 2018 – 30 % des gens qui étaient de privatiser encore l’entrée de chaque suite. présents au début ne sont plus là. Enfin, il y a ces « pièces blanches », que l’on peut Ces changements interviennent dans tous les s’approprier de multiples manières. Elles peuvent appartements et aussi au sein des clusters. L’idée être rattachées à un appartement avec une fonction est donc de remplacer les ménages qui s’en vont par spécifique ou à la logique commune de l’immeuble. d’autres qui ont une configuration similaire. Prenons Elles peuvent devenir un sas d’entrée pour un appar- l’exemple le plus simple, celui d’un appartement inter tement qui appartient au cluster par exemple, ou un générationnel, dans lequel on trouve une famille et les bureau, ou la chambre d’un adolescent qui souhaite grands-parents. Lorsque les grands-parents partent, vivre de manière semi-autonome. Je crois beaucoup ils sont remplacés par d’autres personnes âgées. Cela à ces espaces « non programmés », qui sont dans des veut dire que cet appartement intergénérationnel ne situations extrêmement spécifiques, voire inédites, concerne pas forcément la même famille. dans l’intériorité de l’appartement, de l’immeuble. Ils ne donnent jamais sur l’extérieur, mais sur un patio. Est-ce la CODHA qui arbitre ces changements ? Ils sont toujours en lien avec d’autres espaces dans une Ils sont d’abord arbitrés par les habitants eux- forme d’habitat très dense, et leur positionnement a mêmes, puis par la CODHA. Evidemment, les habi- quelque chose de résiduel et de peu usuel, de l’ordre tants de chaque appartement ont un droit de vote pour de l’atelier. les nouveaux arrivants, comme dans une colocation. Ils font passer des entretiens. Ca fonctionne par affi- Yves Dreier est architecte et fondateur du bureau Dreier nités. Cet immeuble a le potentiel d’une petite « ville ». Frenzel architectes. On peut changer d’appartement tout en restant dans le même cadre social. Des échanges ont déjà eu lieu entre les différents appartements et clusters avant même qu’ils ne soient construits. Ces appartements communautaires n’ont-ils pas introduit une dynamique un peu particulière dans les discussions sur les typologies ? Comment se passe l’adaptation du plan ? Est-ce que la concréti- sation dans l’espace du désir de communauté a des influences sur le groupe et inversement ?
20 livres Tracés 11/2016 The Playground Project L’exposition qui vient de se terminer le 15 mai dernier à la Kunsthalle de Zurich et le catalogue auquel elle a donné lieu constituent une remarquable tentative de sortir de l’oubli les grandes étapes de l’évolution des aires de jeux au 20e siècle. Christophe Catsaros T he Playground Project regroupe des réalisations du milieu qu’ils occupaient tout naturellement : les des quatre coins de la planète, datant pour délaissés, les terrains vagues et les rues secondaires. l’essentiel de 1950 à 1980. S’efforçant de La réplique de certains architectes et urbanistes penser le sujet au-delà de l’innovation plastique, le à cette éviction sera d’essayer de freiner ce repli. Le décryptage de Gabriela Burkhalter1 aborde les aspects travail d’Aldo van Eyck pour la ville d’Amsterdam sociologiques et politiques. reste emblématique de ce désir de maintenir les Des terrains d’aventures dans les décombres des enfants dans la rue. S’y ajoute une véritable reconnais- villes européennes bombardées, aux parcs métabo- sance d’une « fonction » urbaine au jeu des enfants. La listes japonais des années 1970, le tour d’horizon que présence des enfants dans l’espace public est, pour le propose l’ouvrage donne à voir un esprit partagé, entre grand architecte structuraliste, un élément constitutif des réalisations distinctes. de l’urbanité. Il permet surtout d’établir à quel point certaines L’ouvrage de Burkhalter a le mérite d’étayer cette aires de jeux préfigurent une conception de l’urbain, idée avec de nombreux cas bien moins connus. Au tantôt généreuse, ouverte et participative, tantôt modèle de van Eyck d’une activation des parcelles épurée et structurante. La place faite aux enfants dans vides par des micro-aires de jeux disséminées dans le l’espace public serait-elle un indice sur le type de ville tissu urbain, viennent s’ajouter d’autres interventions que l’on souhaite mettre en place ? Si la recherche de emblématiques, souvent oubliées. Burkhalter ne répond pas directement à cette ques- Les aires de jeux brutalistes du New-Yorkais tion, elle livre la plupart des éléments nécessaires pour Richard Dattner sont caractéristiques de cette exten- y répondre. sion des champs de références que l’ouvrage rend possible. Connues aux Etats-Unis pour les nombreuses Situation et spatialité des aires de jeux, polémiques qu’elles ont générées, notamment par des miroirs de la ville mouvements NIMBY (Not In My BackYard) qui s’y Ce qui caractérise certaines aires de jeux de la sont opposés, les aires de jeux de Dattner posent la seconde moitié du 20e siècles, c’est la volonté de mettre question des enjeux socio-économiques du partage de en place des dispositifs qui vont permettre le jeu l’espace public. libre, de préférence sans surveillance. Si cela devient Situées, pour certaines d’entre elles, dans les parties soudain une nécessité, c’est que la modernisation huppées de Central Park, elles ont suscité une levée de est en train d’expulser les enfants de la rue. L’arrivé boucliers de la part de riverains qui redoutaient l’ar- de l’automobile, l’habitat de masse et la métropolisa- rivé massive dans leur pré carré des habitants du nord tion des grands centres urbains chassent les enfants du parc, essentiellement afro-américains. Dattner s’est ainsi retrouvé au cœur d’une polémique émanant d’une planification urbaine socialement, pour ne pas 1 Gabriela Burkhalter est urbaniste et mène depuis 2008 une recherche sur l’histoire des aires de jeux. www.architekturfuerkinder.ch dire racialement clivante. Une partie des nombreuses 2 Centre de création industrielle qui deviendra par la suite le Centre Pompidou. aires de jeux qu’il a réalisées à Central Park ont depuis
Tracés 11/2016 livres 21 (© Xavier de la Salle) (© Xavier de la Salle) fait l’objet d’une rénovation quasi patrimoniale, la De Paris à New York en passant par Copenhague et dernière datant de 2015. Tokyo, The Playground Project dresse un formidable The Playground Project fait aussi une part impor- inventaire d’usages partagés autour d’une fonction tante à un collectif mythique de l’esprit de 1968. A précise : le jeu des enfants. A une époque où les enfants Paris, Group Ludiq est à l’origine de l’aménagement sont de plus en plus tôt appelés à entrer dans la socia- par ce CCI 2 d’une aire de jeux dans un des pavillons bilité individualisante des supports numériques, la des Halles Baltard désaffectées. Le lieu sera pendant recherche de Burkhalter pourrait constituer un appel quelques années une parfaite illustration des théories à maintenir la sociabilité des enfants de tous âges dans situationnistes du détournement. Un édifice fonc- l’espace public. tionnel, transformé avec peu de moyens en espace consacré au jeu. Ironie de l’histoire, la touche de Group Ludiq, notamment les espaces sphériques praticables, semble avoir influencé le nouveau terrain d’aventures imaginé par le sculpteur Henri Marquet, livré en 2013 dans le cadre de la rénovation du jardin des Halles. Une des idées les plus intéressantes de la recherche de Burkhalter consiste à expliquer l’apparition des aires de jeux comme une réaction aux catastrophes, humaines ou naturelles. Y aurait-il des vertus cathar- tiques dans l’activité des enfants ? Au-delà des terrains d’aventures européens, il est question des aires de jeux japonaises, étroitement corrélées à des destructions massives comme les tremblements de terre. Les aires de jeux du sculpteur Isamu Noguchi ne viennent pas seulement combler le vide laissé par des catastrophes naturelles. Elles ont aussi pour fonction de constituer des terrains pouvant être réutilisés pour héberger The Playground Project dans l’urgence des rescapés. Il en va ainsi de certains Gabriela Burkhalter, Kunsthalle Zurich, JRP|Ringier, Zurich, jeux conçus pour pouvoir être transformés et accueillir 2016 / CHF 48.– des équipements d’urgence. Moins de tracas pour les indépendants. L’assurance des chefs d’entreprise de la Suva offre une pro- tection financière unique en son genre aux personnes exerçant une activité lucrative indépendante en cas de maladies pro- fessionnelles et d’accidents du travail ou durant les loisirs. Les membres de la famille travaillant dans l’entreprise sans perce- voir de salaire soumis à l’AVS peuvent également en bénéficier. Infos complémentaires: le site www.suva.ch/afc. : u n e offre z a n de 20 Dem 48 820 8 0 8
22 urbanisme Tracés 11/2016 1 Je pensais que c’était hier. Nous publions, avec l’aimable autorisation de son auteur, ainsi que de l’éditrice Gabriela Burkhalter, le texte du catalogue qui se réfère à Group Ludic, le collectif dont les travaux, disparus pour l’essentiel, portent la trace indélébile de l’optimisme et de la « liberté de faire » des années 1960. Xavier de la Salle
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