La sphère marchande comme outil de résistance à la mondialisation : le cas du marché des colas - Érudit
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Document generated on 05/09/2020 12:14 a.m. Management international La sphère marchande comme outil de résistance à la mondialisation : le cas du marché des colas Philippe Robert-Demontrond, Anne Joyeau and Christine Bougeard-Delfosse Volume 14, Number 4, Summer 2010 Article abstract Day after day, the world is becoming more and more globalized. Financial URI: https://id.erudit.org/iderudit/044659ar movements, transports, means of communication facilitate the emergence of DOI: https://doi.org/10.7202/044659ar this phenomenon. Nevertheless, globalization is not without consequences on the local populations who perceive this evolution as a threat for their identity See table of contents and their culture. Through the creation or resurgence of an offer of foodstuffs, and more particularly through a world and plethoric offer of local colas, the consumer is showing resistance and refuses to standardize his consumption. The commercial success of those altercolas cannot be denied and many Publisher(s) dimensions are bound to their consumption. HEC Montréal et Université Paris Dauphine ISSN 1206-1697 (print) 1918-9222 (digital) Explore this journal Cite this article Robert-Demontrond, P., Joyeau, A. & Bougeard-Delfosse, C. (2010). La sphère marchande comme outil de résistance à la mondialisation : le cas du marché des colas. Management international / Gestiòn Internacional / International Management, 14 (4), 55–68. https://doi.org/10.7202/044659ar Tous droits réservés © Management international / International This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit Management / Gestión Internacional, 2010 (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/
La sphère marchande comme outil de résistance à la mondialisation : le cas du marché des colas Philippe Robert-Demontrond Anne Joyeau Christine Bougeard-Delfosse IGR - Université de Rennes 1 IGR - Université de Rennes 1 IGR - Université de Rennes 1 Résumé Abstract Resumen Le monde continue chaque jour de se Day after day, the world is becoming more El mundo se sigue globalizando cada día globaliser davantage. Les mouvements and more globalized. Financial move- más. Los flujos de capital, el transporte, de capitaux, les transports, les moyens de ments, transports, means of communica- los medios de comunicación promueven la communication favorisent l’émergence de tion facilitate the emergence of this aparición de este fenómeno. Sin embargo, ce phénomène. Pourtant, la mondialisa- phenomenon. Nevertheless, globalization la globalización no deja de tener conse- tion n’est pas sans conséquences sur les is not without consequences on the local cuencias sobre las poblaciones locales que populations locales qui perçoivent cette populations who perceive this evolution as ven este desarrollo como una amenaza a su évolution comme une menace pour leur a threat for their identity and their culture. identidad y su cultura. A través de la crea- identité et leur culture. A travers la créa- Through the creation or resurgence of an ción o la reactivación de un suministro de tion ou la résurgence d’une offre de pro- offer of foodstuffs, and more particularly alimentos y, en especial, a través de una duits alimentaires, et plus particulièrement through a world and plethoric offer of local oferta mundial y pletórica de bebidas de à travers une offre mondiale et pléthorique colas, the consumer is showing resistance cola locales, el consumidor entra en resis- de colas locaux, le consommateur entre and refuses to standardize his consumption. tencia y se niega a unificar su consumo. El en résistance et refuse d’uniformiser sa The commercial success of those altercolas éxito comercial de estas altercolas es inne- consommation. Le succès commercial de cannot be denied and many dimensions are gable y múltiples dimensiones están rela- ces altercolas est indéniable et de multiples bound to their consumption. cionadas con su consumo. dimensions sont liées à leur consomma- Keywords: resistance to globalization, tion. Palabras claves: resistencia a la globaliza- identical rearmament , identical consump- ción, la identidad de reinicio, la identidad Mots clés : résistance à la mondialisation, tion, identity, identical construction del consumidor, la identidad, la construc- réarmement identitaire, consommation ción de identidad identitaire, identité, construction identi- taire L e monde ne cesse de se globaliser chaque jour davan- tage (Holt, Quesh et Taylor, 2004). Les mouvements de capitaux, les transports, les moyens de communication refus de la coca-colanisation, le rejet de la mondialisation et symbolisent l’entrée en résistance des consommateurs. C’est la raison pour laquelle nous avons choisi d’analyser favorisent l’émergence de ce phénomène (Ozsomer et ces représentations négatives des colas. Simonin, 2004). Pourtant, la mondialisation n’est pas sans conséquences sur les populations locales qui perçoivent Dans ce cadre, les résultats d’une étude empirique cette évolution comme une menace… menée sur plusieurs années, de nature qualitative, portant sur le marché des altercolas, sont rapportés en seconde Menace identitaire et menace pour les cultures locales : nous nous attacherons, dans la première partie de cet partie. Un grand nombre de colas apparus sur le marché article, à démontrer que la mondialisation est souvent y sont analysés, portant chacun un discours différenciateur perçue par les différentes populations locales comme une et un positionnement propre à l’idéologie prônée : celle-ci américanisation des économies, une homogénéisation de la est tantôt religieuse, tantôt politique et majoritairement consommation, une disparition de leur culture et de leurs identitaire. traditions. En réaction, nous assistons désormais à des phé- Enfin, la troisième partie est focalisée sur l’analyse du nomènes de réarmements identitaires, à travers la création succès commercial de cette offre de colas. Celle-ci révèle ou la résurgence d’un certain nombre de produits alimen- différentes dimensions – parfois ambivalentes - liées à la taires et notamment une offre très variée de colas. Boisson emblématique, le cola est en effet devenu le symbole des consommation des altercolas. A la fois source d’homo- sociétés occidentales, et en particulier des Etats-Unis avec généisation et d’hétérogénéisation, répondant aussi à un le Coca Cola, boisson Totem. La simple présence de Coca besoin de communalisation et d’éthique, cette démarche Cola sur un territoire suffit à symboliser l’ouverture des de consommation rappelle aussi que la volonté de nuire marchés, à l’avantage de la culture américaine. Les colas, peut être appréhendée comme une motivation d’achat des utilisés comme supports de narration, expriment ainsi le consommateurs.
56 Management international / International Management / Gestión Internacional, 14 (4) L’émergence de phénomènes de résistance à la perte de soi. Avec, en final, une crispation sur les référentiels mondialisation dans la sphère marchande axiologiques traditionnels - notamment ceux civilisation- nels, entendus ici comme ceux philosophiques et religieux. Vers un réarmement identitaire Les différences ethnoculturelles que l’on avait cru effacées font l’objet de constructions volontaires d’affiliation chez « L’herméneutique de la mondialisation », suivant de plus en plus de sujets. Des individus économiquement l’expression de Zaiki (1998), révèle des représentations intégrés aspirent à l’expression, dans l’espace public, d’une principalement articulées autour d’une thématique de identité de type ethnoculturel; des exclus, dont l’exclusion l’effacement - désertant ainsi « la dimension symbolique et socio-économique a longtemps été légitimée par l’indignité affective nécessaire à la construction d’un imaginaire posi- culturelle, s’ethnicisent dans le même mouvement qu’ils tif » (Grenade & Jacquemain, 2005) et amorçant un proces- sont ethnicisés – les rapports sociaux s’ethnicisent. Pour les sus de victimisation. La mondialisation est ainsi, souvent, “cultures défaites”, comme l’écrit Maalouf (2002), la mon- vécue comme un processus, violent, d’uniformisation dialisation, déclinée en modernisation, impliquant “l’aban- culturelle, comme un « nouvel impérialisme » culturel don d’une partie de soi-même”, impliquant l’abandon de (Smith, 1990), comme une « occidentalisation du monde » traditions jusqu’aux plus essentielles - n’est jamais vécue (Latouche, 2005) – une « globalisation du localisme occi- en conséquence sans une certaine amertume, sans un senti- dental », suivant l’expression de Boaventura de Sousa ment d’humiliation et de reniement. Sans une interrogation Santos (2001), ou encore une « américanisation du monde » poignante sur les périls de l’assimilation. Sans une profonde (Rydell & Kroes, 2005), agressive, privative d’identité, crise d’identité. Derrière l’apparent rejet de la mondialisa- dépossessive des repères existentiels traditionnels. tion, comme uniformisation du monde, c’est ainsi souvent Les résistances à ce processus que l’on voit à présent le refus du reniement de soi qui, en fait, est à l’œuvre. émerger, résistances d’ordre “alter-mondialiste” ou “anti- mondialiste”, ne sont pas seulement “positives”, tenant alors en l’affirmation d’une originalité, d’une spécificité L’offre identitaire comme vecteur de processus fortement revendiquée, mais sont également “négatives”, d’identification consistant en un refus éventuellement violent de la mon- Par identité, il faut ici entendre identification. Définition dialisation - pour la défense des particularismes régionaux, nominaliste donc, imposant de ne penser l’identité qu’en contre toute altération des référentiels axiologiques. L’anti- termes : i) de processus, de dynamique continue, et non pas impérialisme (glissant volontiers vers l’anti-colonialisme) de stase; ii) de représentation sociale, et non pas de réalité s’impose alors comme grille de lecture idéologique de ces substantielle; iii) de production, et non pas de reproduction. mouvements. Au plan psychologique, ceux-ci peuvent être C’est ainsi, quant à i) qu’il faut penser l’identité comme appréhendés comme des mécanismes adaptatifs, ayant pour étant toujours provisoire, et non pas inscrire la réflexion vertu d’aider les individus à s’ajuster aux changements, à dans les paradigmes substantialistes (Martuccelli, 2002). maintenir leur identité face aux transitions et perturbations Quant à ii) : il faut penser l’identité en termes narratifs, majeures les affectant (Robert-Demontrond, 2001). Les dans la perspective de Ricoeur (1990) - tout individu déve- affects nostalgiques contribuent de fait à compenser les loppe, tantôt consciemment et tantôt inconsciemment, un difficultés liées à ces transitions, et s’apparentent en consé- récit sur lui-même - il n’est pas d’identité qui ne s’établisse quence à des réactions défensives contre le changement, sans narration. Quant à iii), finalement : cette narration est visant à l’affaiblissement des blessures affectives, narcis- un programme de transformation (Poirier, 2004); l’identité siques, que celui-ci provoque. Prévaut alors l’impression est une invention continue (Kaufmann, 2004) et l’individu, d’une restauration de soi, d’une affirmation de l’ipséité une production de soi. Son essence est « un travail sur soi » individuelle contre les changements ou les altérations du (Dubet, 2005); toute identité relève d’une « création de soi monde. Et il en va très exactement du corps social comme par soi » (Foucault, 1984) – qui trouve appui, et seulement des individus qui le constituent et l’instituent : chaque appui, sur des micro-récits. Ce dont les marchés s’avèrent société assure son identité dans l’intégration de son passé, des pourvoyeurs essentiels, selon ce qu’en montrent les de la même façon exactement que la conscience de soi- théories récemment développées sur les modes de réalisa- même est conscience de son passé. De là l’engagement, tion des projets identitaires des consommateurs (Arnould & actuellement, au plan mondial, d’un processus sociétal de Thompson, 2005). “réarmement identitaire” (Robert-Demontrond, 2002), de “revivalisme culturel” (Badie & Smouts, 1999), processus Par offre identitaire, on entend ainsi, ici, toute produc- de “re-triballisation culturelle” (Premdas, 1997), de plu- tion marchande portant un imaginaire différentialiste, déve- ralisation du monde, finalement, signant “la fin de l’occi- loppant un micro-récit d’affiliation particuliariste. Toute dentalisation” (Panhuys, 2004) en allant à l’encontre d’une marque est une machine narrative, produisant du sens, modernité vécue très souvent comme génératrice d’exclu- ayant pour fonction de produire du sens (Heilbrunn, 2003). sions, de frustrations, d’insécurité économique et ontolo- Le marché lui-même est ici compris comme un système gique. Processus allant à l’encontre de la mondialisation, fournissant aux consommateurs, au travers les offres com- donc, en ce qu’elle représente de perte de soi ou de risque de merciales qu’il porte, des ressources narratives soutenant la
La sphère marchande comme outil de résistance à la mondialisation : le cas du marché des colas 57 construction d’identités individuelles et collectives (Schau ii) analyse sémiotique des visuels exploités en complé- & Gilly, 2003). ment des discours (affiches et packaging des produits); Ce cadre d’analyse est ici retenu pour expliquer que iii) entretiens centrés, dialogués (enregistrés et retrans- les phénomènes liés à la mondialisation de l’économie et crits), conduits auprès de consommateurs d’AC (n = 66)1 et à l’uniformisation des modes de consommation – expri- auprès d’acteurs engagés dans la production et/ou la com- més à travers un certain nombre de produits vendus à mercialisation d’AC (n = 12) 2; l’échelle planétaire (Coca Cola, MC Donald’s), symboles iv) investigation de blogs et forums de discussion en de consommation uniformisée et dépourvue d’identité autre ligne, consacrant des débats sur ces produits. que celle des Etats-Unis - ont eu pour conséquence une résurgence des identités régionales qui, par leurs consom- Le monde du commerce alternatif – en particulier des mations locales et régionales, ont revendiqué leur identité. producteurs d’AC - se prête en effet particulièrement bien On a alors assisté à des comportements de buycott. Il ne à ce dernier type d’investigation, du fait du très fort niveau s’agit plus de boycotter un produit car il ne convient pas d’implication socio-politique des acteurs, les inclinant au à nos valeurs mais de favoriser la commercialisation d’un débat public. Concernant les entretiens, le principe de satu- produit qui correspond à nos aspirations, qui exprime à la ration en a déterminé le nombre, conduits par vagues en fois nos valeurs, notre identité, qui est fabriqué près de chez 2004, 2005, puis 2007 - les deux premières vagues ayant nous… un produit hors champ de la mondialisation. été effectuées peu après le lancement de la plupart des AC. Les entretiens ont été menés à partir d’une grille thématique Les différences ethnoculturelles que l’on avait cru effa- relativement souple et évolutive, en visant à épouser les cées font l’objet de constructions volontaires d’affiliation formes du dialogue ordinaire, portant toujours sur la per- chez de plus en plus de sujets. L’ethnocentrisme étant défini ception, par l’enquêté, des formes de commerce alternatif comme une propension de l’individu à prendre son groupe de colas, comme le commerce équitable ou le commerce pour le centre du monde et à considérer les autres groupes local, et de ses évolutions. Ainsi quelques thèmes majeurs exclusivement du point de vue de son propre groupe. Dans ont émergé de ces entretiens : la volonté de s’opposer à ce contexte, les symboles deviennent ainsi objet de fierté l’occidentalisation et à l’uniformisation du monde ; l’at- et d’attachement (Shimp et Sharma, 1987). Les comporte- tachement du consommateur au territoire; le souhait d’ap- ments de consommation se trouvent alors conditionnés par partenir à une communauté avec laquelle le consommateur l’importance que revêtent ces symboles. Parmi ces derniers, partage son histoire et sa culture ; le soutien à l’économie l’alimentation joue un rôle central et est facteur d’affirma- locale; la recherche de produits authentiques. L’analyse de tion de son identité, de différenciation et d’appartenance au l’ensemble de ces données qualitatives a permis de carto- groupe. Les colas, boissons conviviales volontiers consom- graphier les représentations sociales d’une part des produc- mées entre amis sont un des symboles de ce « réarmement teurs / distributeurs de colas – conduisant à la définition identitaire ». L’offre pléthorique de colas régionaux en est de la typologie de leurs positionnements et d’autre part des la démonstration. consommateurs, afin de mieux comprendre leurs motiva- tions d’achat d’AC. La typologie a ainsi été ajustée au fur et à mesure de la collecte des données et de l’analyse des L’offre identitaire des alter-colas (AC désormais) discours. Méthodologie Diverses méthodes ont été mobilisées pour la constitution Typologie des alter-colas du matériau informatif permettant de dresser la typologie A l’analyse, l’offre identitaire étudiée en ce qui suit à pré- des discours : sent se décline, au plan symbolique, dans l’exploitation de i) études d’archives (intégrant notamment les discours systèmes de signifiants se rapportant à quatre types essen- publics des producteurs d’AC lors des campagnes de tiels de référents empiriques : i) la religion et ses corré- promotion de leurs nouvelles offres) et des sites internet lats sociaux - essentiellement l’Umma (la communauté des explicitant à l’intention des consommateurs le projet d’en- musulmans, trans-régionale et trans-nationale), d’autres treprise, les caractéristiques matérielles (intrinsèques) et tentatives d’indexicalité de l’offre commerciale (notam- immatérielles (extrinsèques, symboliques) des AC; ment judaïques) ayant été sans succès; ii) la région - divers 1. 27 entretiens ont été réalisés auprès de consommateurs d’AC mani- 2. Les entretiens ont été conduits en Corse, Bretagne et région Ile- festant un positionnement de type « commerce équitable »; 18 ont été de-France en vue notamment d’assurer la diversité de l’échantillon et entrepris auprès de consommateurs d’AC explicitant un positionnement compte tenu de l’importance prise dans les deux premières régions par de type « produit musulman »; 21 entretiens ont été entrepris auprès de le développement commercial de certains AC – positionnement « régio- consommateurs d’AC affichant un positionnement de type « produit nal » en Corse et Bretagne, et positionnement « commerce équitable » régional ». Le choix de ces positionnements est fondé sur le succès des adopté en « première mondiale » selon les promoteurs de l’un des colas. produits en question. Les entretiens réalisés en Ile-de-France ont notamment visé la popu- lation des consommateurs d’AC « à positionnement musulman », mais aussi la population « en diaspora » des Bretons.
58 Management international / International Management / Gestión Internacional, 14 (4) référents topologiques et historiques connotant l’ethnicité, sociétés musulmanes, « pour les affaiblir en les pervertis- autrement dit renvoyant indirectement, implicitement, sub- sant, en leur faisant perdre leur identité, en les éloignant de jectivement, à l’ethnicité; iii) la nation ou le peuple (déno- leur religion, en les ramenant à l’ère de la jâhiliyya, c’est-à- tant l’ethnicité autrement dit faisant explicitement référence dire à l’époque de l’ignorance préislamique, donc de l’igno- à l’ethnicité); iv) des caractéristiques intrinsèques de l’offre, rance de Dieu » (Benchenane, 1997). Contre ces produits finalement, signant sa singularité commerciale, son carac- occidentaux, il en faudrait ainsi d’autres, locaux – « halal ». tère authentique, et plus encore, son caractère endotique 3. Comme ceux de la société Zam Zam. Celle-ci, créée en 1954 en Iran, a été partenaire de Pepsi Co jusqu’à la révolution Micro-récits de piété religieuse islamique de 1979. L’interdiction des produits américains précipita alors le développement économique du substitut Un premier type d’offres identitaires, parmi les AC, est local, explicitement revendiqué comme « islamique » – aujourd’hui développé par des sociétés commerciales com- tirant d’ailleurs son nom d’une source mecquoise dont l’eau posant des micro-récits islamiques, sinon islamistes (au est, selon la tradition, sacrée pour ses vertus miraculeuses. sens où le projet alors défendu est de réactivation socio- En conséquence de quoi, les pèlerins qui, par millions, se politique de l’islam), décliné sur le registre discursif du rendent annuellement à La Mecque, la recueillent pieuse- refus de « l’occidentalisation » – al taghrib. C’est ainsi ment, avec dévotion. Ainsi donc, l’appellation « Zam Zam » que, face aux difficultés d’adaptation à la modernité - à la retenue en nom de marque du concurrent local de Coca déliquescence du lien social et la désagrégation des struc- Cola est non seulement très largement connue des musul- tures anciennes, à la profonde érosion des contenus de la mans mais, qui plus est, sa charge symbolique est forte - ses tradition, la dissolution des repères hérités du passé -, indui- connotations emportent d’emblée l’idée d’une purification, sant un fort sentiment d’impuissance et de dévalorisation, d’une restauration de soi, dans sa plénitude corporelle et le discours islamiste propose aux populations en déshé- spirituelle. Profitant notamment de ce que, hors d’Iran, Coca rence, sans claires visions d’avenir, le confort du « retour et Pepsi ont été déclarés « non-islamiques », et profitant plus à l’identité » (Lamchichi, 1993). Retour couplé à la contes- largement de ce que les musulmans se sont engagés depuis tation de l’hégémonie politique, économique et culturelle quelques années dans une logique de boycott des produits d’un Occident cristallisant toutes les frustrations (Cesari, américains, les ventes de Zam Zam Cola sont en plein essor 2004; Roy, 2002). Retour couplé, finalement, à l’opposi- (Robert-Demontrond & Joyeau, 2005). D’une situation pre- tion à une domination très explicitement (et massivement) mière d’alternative pratique, répondant au problème, vécu vécue comme une colonisation des imaginaires (Baeck, par les consommateurs iraniens, de ne plus pouvoir acheter 2005), comme une invasion culturelle – al gazu taqafi. À de Coca ou de Pepsi, la marque Zam Zam Cola s’est ainsi son encontre, le retour à la religion est présenté comme trouvée redéfinie comme une alternative éthique, répon- un retour à la solution : al islam quwa al hall - l’islam est dant au devoir ressenti par les consommateurs musulmans, présenté comme la solution par excellence. Idée qui fonde hors d’Iran, de ne plus acheter de Coca ou de Pepsi. En notamment une contestation académique de la théorie éco- ce sens, le buycott de Zam Zam Cola s’avère correspondre nomique et sociologique occidentale du développement, à un acte de résistance passive, visant à saper le pouvoir postulant que sécularisation et modernisation sont néces- économique de l’adversaire politique. Selon certains des sairement liées. Avec un ensemble de travaux montrant que consommateurs rencontrés, c’est en effet « dire stop un peu la sécularisation n’est aucunement une règle universelle, à tout ce qui se passe dans le monde » (E2); « c’est un petit, ou un modèle de valeur absolue; que le sécularisme est aller, c’est un petit signe rebelle » (E15); « c’est pour ça une idéologie culturelle occidentale - al ru’ya gharbiya; que les gens ont sorti Mecca-Cola (cf. infra), c’est pour... que le développement économique, finalement, implique un geste de sabotage » (Z); « ne serait-ce que pour casser une renaissance culturelle, un réveil éthique, spirituel - ce monopole, partout dans le monde… Maintenant, Coca religieux (Al-Qaradawi, 2000; Benzine, 2004; Hashmi, a trop de pouvoir et moi je suis contre ça » (E1). Et ce, 2002; Miassepassi, 2000). L’opposition de la modernité (al sans « coût charnel », sans pénalité sur le plan hédonique hadata) à l’authenticité (al asala) est dénoncée comme un puisque le renoncement à la consommation de Coca et de mythe de l’Occident (Baeck, 2005), mythe du dés-ensen- Pepsi n’est pas un renoncement à la consommation de cola; castrement socio-culturel de l’économique. Tandis que avec même un « profit spirituel », défini par l’incidence le caractère endogène du développement économique est positive sur l’estime de soi et l’affirmation même de soi que vivement promu - avec une forte insistance sur l’autosuffi- procure le choix du produit « islamique ». Ainsi témoigne sance (al-Ítimâd`ala al-dhât). ce consommateur musulman interrogé dans le cadre de Dans cette perspective, Coca Cola concrétise pour cer- l’étude, à propos du Zam-Zam Cola : « Donc ils (ceux qui tains une logique de subversion que l’Occident est présenté boycottent Coca-Cola) vont changer Coca-cola par ce pro- suivre - plaçant ses produits et marques au coeur même des duit là. Donc en gros, ça va pas les déranger. Ca va être 3. La typologie dressée ici ne vise pas à rendre compte de l’exhaustivité des AC qui existent aujourd’hui à travers le monde. Dans le cadre de la problématique retenue, les seuls pris en considération sont ceux qui portent, plus ou moins explicitement, des revendications identitaires.
La sphère marchande comme outil de résistance à la mondialisation : le cas du marché des colas 59 un plus pour eux. En même temps ils ne vont pas se priver effectivement une promesse implicite de solidarité, de lien d’une boisson qu’ils consommaient assez fréquemment et communautaire (Appaduraï, 2001) – de sécurité, au final. en même ils auront un produit qui pour eux est marqué hal- Le consommateur témoigne par ces achats de son désir « de lal. Donc c’est hallal » (E8). s’intégrer à la communauté » (I17) et « d’appartenir à la région, sans aller le crier sur les toits, juste comme… mes En conséquence de son succès commercial, le détourne- voisins… mes amis » (I12). Promesse implicite que renforce ment sémantique de la consommation de Zam Zam Cola a l’évocation d’une communauté de destin : évocation de ce « fait paradigme » – ayant inspiré le lancement en 2002, en que le prochain ne l’est pas seulement en termes de proxi- France, de la marque Mecca-Cola. Avec notamment pour mité physique, géographique, mais l’est aussi en termes répliques, en 2003, celui de Qibla Cola en Grande Bretagne d’identité socio-historique, et plus encore, ethnique. Avec, et de Muslim Up en France, d’Al-Aqsa Cola au Danemark en ce domaine, une exaltation nouvelle des identités mino- puis, en 2004, celui de Salaam Cola, en Californie. En ce ritaires ayant été longtemps stigmatisées - inversant ainsi dernier cas, une innovation marketing d’importance est les assignations négatives sur le « local ». introduite : l’offre commerciale n’est plus halal, mais béné- ficie d’une certification officielle par l’IFANCA (Islamic Food and Nutrition Council of America) – minimisant explicitement les « risques spirituels » de consommation Encadré 1. Le processus de stigmatisation (Robert-Demontrond, 2007), tout en introduisant simulta- ethnique : le cas lapon nément une dissonance cognitive pour tout consommateur Pour en saisir le sens, il faut en bref détour reprendre musulman d’autres sodas. ici les travaux ethnologiques, paradigmatiques, origi- nellement entrepris sur le vécu des Lapons. Afin d’évi- Micro-récits à connotations ethniques ter ou minorer les sanctions infligées à leur encontre La promotion du terme « ethnique » en anthropologie par la population dominante, ces derniers, subissant culturelle, pour désigner les différences inter-groupales et une dévalorisation systématique de leur identité eth- construire des référentiels identitaires (Hutchinson & Smith nique, ont été contraints de développer des techniques 1996; Cornell & Hartmann, 1998), l’a éloigné de sa voca- de socialisation spécifiques (Eidham, 1969, cité par tion première, visant à rendre compte d’un type de confi- O’Brien, 1990). L’accès aux ressources matérielles, guration sociale existant dans les « sociétés primitives ». Le économiques, mais aussi socio-politiques, a été ainsi concept est ainsi devenu d’extension pleinement légitime à conditionné par la disparition ponctuelle des traits toutes autres sociétés – et l’on retient ici, dans cette pers- sociaux définis par les Norvégiens comme signes pective, la définition qu’en propose Hobsbawm (1993), d’appartenance à l’ethnicité lapone. Disparition ponc- qualifiant d’ethnique « tout groupe qui, pris comme un tout, tuelle : dissimulation des traits saillants, des signifiants se différencie de façon permanente des autres groupes qui de l’appartenance ethnique – traits linguistiques et vivent ou interviennent sur un certain territoire »4. para-linguistiques, comportementaux, vestimentaires, etc. - au passage de la sphère privée à celle publique; Cette référence au territoire est de première importance. pratiques d’occultation des marques d’identité lapone C’est ainsi qu’alors que les sociétés commerciales ayant pour l’adoption de celles d’identité norvégienne. mis sur le marché les AC islamistes insistent régulièrement dans leur communication sur la dimension agonistique de leur engagement, sur leur combat contre la main visible des En France, de mêmes stratégies individuelles que politiques, dimension sur laquelle on reviendra plus après, celles ainsi décrites dans l’encadré 1 ont longtemps carac- d’autres entreprises ont récemment fait irruption sur le térisé le vécu ordinaire des gens en Bretagne (Larvor & marché des AC qui affichent un autre type de visée polé- Chartier, 2002; Le Coadic, 1998, 2002; Simon, 1999) et au mique – contre, cette fois, la main visible des marchands -, Pays Basque (Severiano, 2002; Urteaga, 2004), ou encore et affirment à cet effet leur ancrage territorial, régional. « La en Corse (Culioli, 1999; Dargent, 2001), en Catalogne rhétorique de l’uniformisation du monde », comme le note (O’Brien, 1990), etc. – toutes régions « périphériques » où Rautenberg (2002), s’accompagne de fait souvent « d’une les identités ethniques ont été soumises à un long proces- inquiétude, parfois vive, devant les effets d’un processus sus de stigmatisation (Dupoirier, 1998). Processus d’autant dont on craint (...) qu’il favorise une certaine anomie des plus accentué ici, que légitimé par la matrice idéologique relations sociales, en tout cas une mutation profonde des de la République : les principes, dogmatiques, d’individua- règles du vivre-ensemble. Le « local » peut sembler être un lité de la citoyenneté et d’égalité inter-individuelle en droits recours rassurant » (ibid.). De nombreux consommateurs s’y déclinent effectivement en rejet des corps intermé- ont le sentiment de « connaître la provenance des produits diaires (dont les communautés), et en principe d’uniformité et ça rassure » (I8). Le « local », suggérant le prochain, porte 4. L’ethnicité est donc comprise ici comme tout ce qui nourrit un sen- partagées par l’ensemble des membres d’une collectivité et qui ont pour timent d’identité, d’appartenance, et les expressions qui en résultent. effet, sinon pour fonction, de la singulariser» (Bouchard, 2001). Ce sont encore «toutes les caractéristiques culturelles ou symboliques
60 Management international / International Management / Gestión Internacional, 14 (4) interindividuelle, imposant la stricte séparation des uni- essentielle un vaste mouvement de riacquistu (réacquisi- vers public et privé, le dépouillement à l’entrée de l’es- tion) de la culture historique que marque la référence conti- pace public de tous les caractères identitaires autres que nue à « l’ethnie corse » et à un « ethos corse » (Galibert, ceux venant de l’appartenance commune à la République. 2004). En Catalogne également, l’économie identitaire, Avec, au final, une stigmatisation si fortement intériorisée toujours explicitement conçue comme une alternative à la de ces caractères, jusqu’à l’identité linguistique – le plus globalisation des marchés, est vivement soutenue par les important des signifiants de l’identité ethnique –, qu’en institutions socio-économiques locales – la valeur ajoutée ces régions périphériques, dans la sphère privée même, de l’identité étant appréhendée comme une opportunité par honte, les parents ont interdit aux enfants de parler de premier rang pour un territoire en manque d’économie les langues historiques et/ou se sont interdits de les parler devant eux. Les Bretons, comme le note Le Coadic (2001), ont ainsi longtemps été vu comme « des barbares » - ils ont Encadré 2. Le développement des colas régionaux consacré l’essentiel du XXe siècle à effacer leur origina- Dans le cadre générique de cette économie identitaire lité, en quête de reconnaissance morale et de promotion se développe une offre de produits d’ « appartenance ». sociale. Et il en est de même des Corses, des Basques, etc. Il en est ainsi notamment de Breizh Cola, lancé en mai Pour autant cependant qu’elle a été forte en sa violence, 2002 par la société Phare Ouest contre la mondialisa- la stigmatisation subie n’a pas entraîné la disparition des tion - considérée comme uniformisation socio-cultu- signes de ces identités ethniques. Ces signes n’ont été que relle, privative d’identité. Contre celle-ci, il n’est donc temporairement dévalorisés, par rapport à ceux de l’identité pas question d’ambition extra-territoriale pour Breizh française; ou encore, ces signes ont été différemment valo- Cola; il n’est pas question d’exportation, mais plutôt risés. L’interprétation menée (dans les années ayant suivies d’une « re-création de diversité » dans l’offre faite aux les décolonisations), du processus étatique, multiséculaire, consommateurs. Ce en quoi l’offre commerciale est d’uniformisation culturelle de la nation française, s’est ins- ici plus anti-mondialiste qu’alter-mondialiste. L’offre crite en termes, justement, de colonisation. En réaction à est présentée « sans aucun esprit de communauta- celle-ci, les minorités « absorbées mais non assimilées » risme ». Elle procède, suivant les récits de ses créa- (Hsab, 2003), ont entrepris activement la renaissance de teurs, d’un mouvement de révolte; elle relève d’un leurs identités. Et parce que les stigmatisations subies ont esprit de rébellion – d’individus se levant, se dressant été justement fortes en leur violence, sommant les cultures « pour ne pas perdre leur identité » contre le fait qu’il vaincues de s’anéantir, de s’enfermer dans la seule sphère y ait « un modèle économique unique pour le monde du privé, la réaction a été vive - s’étirant jusqu’à présent. entier (...) un modèle culturel qui s’impose à tous. En nombre, les gens ne se satisfont ainsi plus de l’identité Et (...) des produits qui, par leur diffusion planétaire, réservée à l’intimité et inclinent à l’affirmation publique de tendent à un modèle unique de consommation ». De leurs différences ethno-culturelles. Surtout : de stigmate, même exactement que le Zam Zam Cola, pour la série l’identité ethnique a été transformée en ressource - écono- des AC islamiques, le succès commercial de Breizh mique et symbolique, et économique parce que symbolique. Cola a fait paradigme : étant notamment suivi (avec L’authenticité, et plus encore, la typicité, sont des caracté- l’appui technique des Bretons), du lancement en 2003 ristiques d’offre de plus en plus demandées (Camus, 2002), de Corsica Cola et de l’Ehka (Euskal Herriko Kola soutenant le développement d’avantages concurrentiels Alternatiboa - soit, en basque, « Cola alternatif du Pays importants, ainsi pour les consommateurs que nous avons Basque »). Puis viennent, en 2004, Chtilà Cola – « euch interviewés « ce sont de vrais produits avec des recettes tra- Cola d’ch’Nord » –, et Elsass Cola pour les Alsaciens ditionnelles, des produits d’ici, des produits authentiques, (avec également l’appui technique des Bretons), enfin on sait d’où ils viennent et qui les a fabriqués » (I4). Alter Cola, pour les Catalans – « Cola Català » –, et plus récemment encore, Colt Cola en Aveyron, (2007), Cela même fonde le principe du développement d’une Vendée Cola (fin 2008), Auvergnat Cola (février 2009) « économie identitaire » (Taddéi & Antomarchi, 1997). En et enfin Anjou Cola (lancement en janvier 2010). En Corse, celle-ci est explicitement conçue en refus de la mon- chaque cas, la sémiotique du conditionnement marque dialisation, pour la préservation et la promotion des pro- le positionnement régional du produit - par affichage ductions locales. La « fierté retrouvée » des acteurs sociaux de références géographiques et/ou historiques, tradi- (Pesteil, 2001a), soutenant la quête de critères distinctifs, tionnelles, ou encore politiques. Carte de la région, fonde ainsi notablement l’insistance de la Collectivité ter- rose des vents et phare sur une vague déferlante pour ritoriale de Corse, et plus largement les institutions socio- le Breizh Cola; Alsacienne en tenue folklorique pour économiques locales, à concilier « identité » et « marché » Elsass Cola; « tête de Maure » du drapeau corse pour en prônant un « développement identitaire » : un encas- Corsica Cola, défense de « l’esprit région, sa langue et trement ethno-culturel du champ économique, infléchis- sa culture » pour le Chtilà Cola - ses premières bou- sant les déterminismes du marché, une patrimonialisation teilles proposant ainsi (inscrits sur leurs étiquettes), des produits, insérant l’offre dans une économie du signe, divers « exercices linguistiques » en ch’timi. à forte valeur ajoutée (Pesteil, 2001b). Avec pour assise
La sphère marchande comme outil de résistance à la mondialisation : le cas du marché des colas 61 productive. Au Pays Basque encore, si l’expression d’ « éco- Micro-récits à dénotation ethnique nomie identitaire » n’est que peu utilisée, sinon en quelques Dans le prolongement immédiat du précédent axe de posi- milieux nationalistes (Itçaina, 2005b), la dimension iden- tionnement, et en radicalisation de sa logique, un autre type titaire d’offres commerciales de plus en plus diversifiées d’offres, également développé sur le registre discursif de transparaît au travers les motivations de leurs concepteurs l’opposition à la main visible des marchands, caractérise et dans la genèse idéologique et historique des entreprises explicitement ses produits comme ethniques. (Robert-Demontrond & Joyeau, 2005). Trait des dyna- miques commerciales que l’on retrouve en Bretagne, où les Il en est ainsi du « Cola Turka », lancé en 2003 en initiatives mêlant commerce et culture se multiplient éga- Turquie par le géant de l’agroalimentaire Ülker avec pour lement, donnant notablement naissance au label « Produit objectif - accompli - de prendre 25 % du marché. Ceci, en en Bretagne », soutenu par le Conseil régional de Bretagne. réponse à une forte demande du marché local : les consom- mateurs turcs manifestent effectivement des revendications En chaque cas, donc, pour ces diverses offres déve- identitaires marquées, ne se reconnaissent pas, entre autres, loppant des micro-récits à connotations ethniques, la dans les différents types ethniques retenus dans les films sémiotique du conditionnement marque la réappropriation publicitaires de Coca Cola, contraignant ainsi la firme à identitaire du produit : offrant aux consommateurs un pro- adapter en la matière une communication fortement par- duit atypique, différencié et différenciant, avec le senti- ticularisée. L’axe de communication retenu par Ülker est ment de résister à la mondialisation. Ce qu’illustrent ces très explicitement identitaire, mettant en scène la métamor- témoignages : « j’achète du Breizh Cola parce que c’est phose des buveurs de Cola Turka, occidentalisés et retrou- breton, et je préfère acheter un produit breton, c’est mon vant immédiatement les habitudes traditionnelles turques identité aussi…(E14). Ou encore : « Ne serait-ce que le fait - jusqu’à l’apparition d’une moustache archétypique. que ce soit une boisson anti-américaine, par exemple, bah Mise en récit réussie de cette pensée magique, révélée en aujourd’hui, j’achète plus qu’une fois sur deux du Coca- anthropologie (Fischer, 2001), selon laquelle l’alimenta- Cola. Maintenant, je préfère acheter du Breizh Cola » (E1). tion est ontologiquement à risque : on est, ou on devient, ). D’autres consommateurs mettent, en plus, l’accent sur la ce que l’on absorbe. Le succès commercial du produit a volonté de soutenir l’économie régionale « sur la bouteille été fulgurant, amenant au développement d’exportations on voit bien que c’est de Bretagne, le cola du phare ouest vers la diaspora turque en Allemagne – population la plus avec un phare et tout… il est plus cher mais c’est pas grave, exposée au questionnement identitaire, au besoin de réas- je soutiens l’économie bretonne… le Breizh Cola c’est un surance ontologique. Les résidents d’origine turque en peu pour contredire la mondialisation » (I7). L’attachement Allemagne sont d’ailleurs aussi la cible privilégiée du Zelal populaire au produit local peut engendrer des succès mar- Cola, lancé par une société allemande. Ce même position- chands tels que les marques mondiales sont contraintes à nement nationaliste a également été adopté (sans succès des concessions d’importance. L’Inca Cola, commercialisé cette fois, pour des raisons essentiellement opérationnelles) au Pérou depuis 1935, en est un cas exemplaire. Positionné par Russian Cola produit lancé en 2004 en Russie - où la depuis les années 1950 comme une boisson péruvienne tra- mondialisation est massivement associée « à la « standardi- ditionnelle (la bebida del Perù), à bas prix (passant cou- sation », au « nivellement » et à la « destruction » des iden- ramment pour un complèment alimentaire), l’Inca Kola tités nationales » (Yakovenko, 2004). « Cola russe pour les (suivi par Inti Cola, Perú Cola, Kola Real, etc.), domine le Russes », l’offre a d’emblée affiché des slogans clairement marché local en exploitant les symboles iconographiques patriotiques – « notre cola pour notre peuple », « à ceux qui des peuples indigènes d’Amérique. Dans ses caractéris- aiment notre pays et croient en son avenir » -, retenant pour tiques intrinsèques, le produit se différencie fortement du élément central de sa communication visuelle l’étoile rouge Coca Cola en présentant une couleur jaune fluo et un goût à cinq branche : symbole de la résistance armée du pays à prononcé de Malabar, en se buvant également souvent à l’invasion. température ambiante, et non pas glacé. Son attractivité D’autres offres ethniques ont encore suivi : ainsi notam- commerciale l’a un temps imposé en produit de substi- ment d’Arab Cola, lancé en France en 2002 à l’adresse d’ tution de Coca Cola dans les divers établissements de la « un peuple responsable et fier de son identité ». Avec, en chaîne nationale de restauration rapide Bembos, concur- ce cas, une préoccupation d’affirmation de soi sans exclu- rente de McDonald’s – contraignant en réaction celle-ci à sion du non-soi, sans rapport conflictuel au non-soi, que également offrir Inca Kola. Scénario reproduit en Ecosse, marquent en pointillé, dans les discours tenus, de fréquents où l’ouverture de restaurants McDonald’s ne proposant pas appels à l’ouverture ethno-culturelle. Idée retrouvant donc le soda local, Irn-Bru, fit scandale. Ce produit, commercia- la vocation pacifique énoncée d’emblée, par dénotation, lisé depuis 1901 sous l’appelation Iron Brew, celtisée en par les marques Salam et Salaam, comme l’explique ce 1946, dispose aujourd’hui de parts de marché équivalentes consommateur : « Salam Cola, « Salam » ça veut dire bon- à celles de Coca-Cola. Sous la pression consumériste, très jour. C’est pas comme Muslim et Mecca, parce que Salam, vive, McDonalds a également été contraint de servir l’Irn- c’est vraiment de l’arabe. C‘était là avant même la religion Bru dans ses points de vente. musulmane. Ça vise plus la communauté maghrébine qui
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