NOCHE DE LA POESIA - FRANCOPHONIE 2023 - Madrid
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SOMMAIRE Introduction 1 Andorre 2 Belgique 2 Canada 6 France 11 Haiti 15 Liban 17 Roumanie 18 Sénégal 19 Suisse 20 Tunisie 22
INTRODUCTION Cette brochure a été réalisée dans le cadre de la Nuit de la Poésie (Noche de la Poesía), que nous célébrerons le 21 mars 2023 au théâtre de l'Institut français de Madrid. Cette Nuit de la Poésie est organisée par les Ambassades francophones présentes en Espagne dans le cadre de la Francophonie 2023 et fait suite à la date du 20 mars, qui est la Journée internationale de la Francophonie, célébrée dans le monde entier. Cette date fait référence à la naissance, le 20 mars 1970 à Niamey (Niger), de l’Agence de coopération culturelle et technique, qui allait devenir ensuite l’Organisation internationale de la Francophonie. La Francophonie, ce sont tout d’abord des femmes et des hommes qui partagent une langue commune, le français, dont l’Observatoire de la langue française estime le nombre de locuteurs à 321 millions, répartis sur les cinq continents. Cette année, la Journée internationale de la Francophonie célèbrera la création culturelle francophone. La date de la Nuit de la Poésie, le 21 mars, correspond également à la Journée internationale de la poésie qui a lieu dans le monde entier. Cet événement est donc l'occasion de célébrer la diversité francophone dans le monde, et en particulier la diversité de sa poésie. Animé par le slameur français Jérôme Pinel qui sera accompagné de deux musiciens, cette soirée a pour objectif de proposer au public de partir à la découverte de poètes et d’auteurs de pays différents qui ont choisi de rédiger leurs textes poétiques en langue française. Dans ce but, les Ambassades francophones ont sélectionné elles-mêmes quelques textes que le slameur mettra ensuite en voix lors de l’événement. Vous pourrez donc retrouver dans cette brochure l’ensemble des textes choisis par les Ambassades francophones pour cette soirée. Certains seront lus par l’un des nombreux Ambassadeurs francophones qui ont souhaité intervenir ce soir-là, d’autres ne pourront pas être lus par Jérôme Pinel. NOUS VOUS SOUHAITONS DE BELLES ET POÉTIQUES DÉCOUVERTES, L’ENSEMBLE DES AMBASSADES FRANCOPHONES D’ESPAGNE. 1
AMBASSADE D'ANDORRE TERESA COLOM - LUMIÈRE DU POÈME Toujours on court vers le poème : le reste n’est que ténèbres. Lorsqu’on y est, surtout ne pas l’égrener : on a peur de ne pas y arriver. C’est comme dans les cauchemars d’enfants — Quand le couloir nous engloutit —, la salle à manger est notre seul salut. En revivant le cauchemar on ne remarque pas que la salle à manger est le lieu où nos créateurs laissent la lumière allumée. Et jamais nous ne décrivons cette pièce. Courir vers la lumière du poème. En ouvrir la porte et se réveiller autant de nuits qu’il faudra. AMBASSADE DE BELGIQUE ET WALLONIE BRUXELLES INTERNATIONAL EMILE VERHAEREN - UN MATIN Dès le matin, par mes grand’routes coutumières Par des sentiers sous bois dont je mâche les feuilles. Qui traversent champs et vergers, Il me semble jusqu’à ce jour n’avoir vécu Je suis parti clair et léger, Que pour mourir et non pour vivre : Le corps enveloppé de vent et de lumière. Oh ! quels tombeaux creusent les livres Je vais, je ne sais où. Je vais, je suis heureux ; Et que de fronts armés y descendent vaincus ! C’est fête et joie en ma poitrine ; Dites, est-il vrai qu’hier il existât des choses, Que m’importent droits et doctrines, Et que des yeux quotidiens Le caillou sonne et luit sous mes talons poudreux ; Aient regardé, avant les miens, Je marche avec l’orgueil d’aimer l’air et la terre, Se pavoiser les fruits et s’exalter les roses ! D’être immense et d’être fou Pour la première fois, je vois les vents vermeils Et de mêler le monde et tout Briller dans la mer des branchages, A cet enivrement de vie élémentaire. Mon âme humaine n’a point d’âge ; Oh ! les pas voyageurs et clairs des anciens dieux ! Tout est jeune, tout est nouveau sous le soleil. Je m’enfouis dans l’herbe sombre J’aime mes yeux, mes bras, mes mains, ma chair, mon torse Où les chênes versent leurs ombres Et mes cheveux amples et blonds Et je baise les fleurs sur leurs bouches de feu. Et je voudrais, par mes poumons, Les bras fluides et doux des rivières m’accueillent ; Boire l’espace entier pour en gonfler ma force. Je me repose et je repars, Oh ! ces marches à travers bois, plaines, fossés, Avec mon guide : le hasard, Où l’être chante et pleure et crie Et se dépense avec furie Et s’enivre de soi ainsi qu’un insensé ! 2
AMBASSADE DE BELGIQUE ET WALLONIE BRUXELLES INTERNATIONAL NORGE - SEMAINE, BENOÎT COPPÉE - AU FIL DES MOIS, DES POÈMES DE NORGE RÉSONANCES D’ENFANCE Lundi, mardi, mercredi : Janvier dépose un flocon blanc Roulis, fourbis, cliquetis. Sur les cheveux de février Cœurs et jours à folles ailes Dernières neiges et lentement Dans leur fuite de gazelles. Les jours s’allongent, mars a gagné ! Jeudi : soucis. Vendredi : giboulis. torticolis. Poisson d’avril, oeufs des jardins, Joues au vent, à petits sauts Muguet de mai, fête de juin Joutent les jours jouvenceaux. De lundi à samedi. Coquelicot, douillet, coquet, La course aux maravédis. Monsieur Soleil attend juillet, Florins, francs, ducats, roupies ! Petit pipi sur l’autoroute Tournez les ans. les toupies. Bagages, amis, vacances d'août Les monts, les mers, les mâtures Et plusieurs lunes futures. Septembre repeint ta chambre Un oiseau frappe au carreau Mais où est, fleur de pervenche Toc-toc ! Toc-toc ! Toc-t…octobre Sur son ineffable branche, Et glissent les traîneaux, novembre Naïve et douce de hanche. Ma dimanche ? Alors, O ma dimanche. Une étoile s’avance Déroule ses cadeaux, ses idées Décembre annonce les baisers LAURENCE VIELLE - MESSAGE À L’AVENIR D’une nouvelle année Je t’écris d’un pays où le pôle nord a changé de cap les moteurs dévastent l’air nos frères meurent de faim de froid noircissent nos poumons à même les trottoirs aux pays des nantis les enfants galopent dans des écrans les plus âgés croupissent dans les mouroirs les animaux sont abattus à grande vitesse l’eau la belle eau la ruisselante pour fournir à nos panses viande terne nous la filtrons pour apaiser nos soifs on achète on consomme on jette Dans ton coeur qui demain battra notre temps file file et file un peu du mien y chantera nous construisons l’arme qui nous tue tous chante oui chante le demain d’aujourd’hui en poussant juste sur un bouton tu lis ces mots c’est que tu vis nous divisons la planète par lignes invisibles célèbre la vie qui passe interdit de les franchir si tu demandes asile marche marche arpente les chemins nous rêvons de conquérir l’espace et de tes mains à d’autres reliées pour affamer une autre terre aime oui aime le monde qui est tien et de tes lèvres et de ton souffle invente les mots de ton poème chair lumineuse aux enfants de demain. Laurence Vielle | Poète National 3
AMBASSADE DE BELGIQUE ET WALLONIE BRUXELLES INTERNATIONAL LAURENCE VIELLE - LETTRE D’AMOUR À BRUXELLES Bruxelles aux tavernes qui brillent dans les jours courts d’hiver, phares d’une grande mer tu viens t’y réchauffer Bruxelles la joyeuse multilingue tu dis couque chouke Bruxelles des technocrates manneke dikkenek et fritkot Bruxelles aux nuits trouées de jour aux jours Bruxelles où se démènent les héros bafoués des troués de nuit grandes traversées les pipes ne sont pas des pipes Bruxelles je marche à grandes jambes je t’arpente le ciel vole dans les oiseaux prends-moi dans tes plis caresse-moi sous ton ciel bas Bruxelles où passent Cliff Rimbaud Verlaine foire enivre-moi du midi brussel au Palais de Justice gigantesque gâteau un coup de révolver résonne schieve architecte sans plan pour l’avenir, tous les trous de balles paumés du monde peuvent s’y abriter fritkots et smoutebollen s’emballent Bruxelles aux vélos sans pistes aux embout’ t’as pas cent balles ? emmène-moi dans ton sac à main Bruxelles des néons roses et mon amour y passe Bruxelles aux arbres qu’on fauche aux espaces verts en pour toujours disparition aux renards qui courent la nuit dans les Bruxelles des trains des train-train quotidiens ruelles Bruxelles faut la peindre faut la chanter la danser Bruxelles qui tient encore ajustées les pièces d’un la dorloter la rafistoler la reverdir puzzle chiffonné entre les doigts des ministres voraces des grands jardins potagers Bruxelles des perruches à chaque déclaration obsolète d’un politique on flèches vertes fait pousser un arbre Bruxelles où nos peaux cibles dansent tous les la ville est une forêt pour fleurir tes poumons possibles je te le dis allez Brussel contre vents et marées Bruxelles où les semelles étrangères amènent Brussel avec vents et marées semences fraîches pour réveiller nos visages endormis Bruxelles de toutes les guiboles ville des ville d’eau aux canaux emmurés marcheurs des arpenteurs langues de bois Bruxelles graffes-y tes rêves de ville à foison si la Belgique disparaissait il resterait encore Brussel c’est à toi c’est pour toi Bruxelles aux neuf sphères aux héros de bd qui ton chant ta voix ton souffle tes pas façonnent escaladent les murs Bruxelles Brussel en travaux la sans-tunnels aux milliers de terre libre je te déclare ville libre sentinelles ah non peut-être ? trop is te veel Brussel c’est une page blanche encore et tu l’écris Bruxelles XXL Brussel XXSmall cette page est pour toi tu fais un pas tu es au Maroc un pas encore au Bruxelles je t’aime Matongué un autre pas marché chinois un pas plus Laurence Vielle | Poète National loin tu es au port passe la Senne Bruxelles des zinneke de toutes les parades le monde entier y passe aux passoires de l’Europe 4
AMBASSADE DE BELGIQUE ET WALLONIE BRUXELLES INTERNATIONAL FREDERIC SAENEN - JE PENSE À JACQUES BREL Sous un couvercle d'ombre Ou dans le vent limpide Quand les heures sont pleines Mais les minutes vides Qund l'amour vibre à peine En absurde décombre, Je retombe du ciel, Je pense à Jacques Brel. Qund mon passé d'enfant Crache à mon nez d'adulte, Qund la tendresse fausse Prend le pas sur l'insulte Et qu'au bord de la fosse Le temps ricanne blanc Tout sel, tout gel, tout fiel, Je pense à Jacques Brel. Qund mon frè̀re défie D'On va frérer encore ! La faillite des choses, Les ironies du sort Et la risible rose, Quand s'entrouvre ma vie Comme un huis de bordel Je pense à Jacques Brel. Et si la voix s'éteint Tout soudain d'un ami Qu'on ne reverra plus, Âme et corps en semis, Si le futur est nu Et qu'il n'y a plus rien, Ni retrait ni attaque Je pense à Jacques, Jacques ... 5
AMBASSADE DU CANADA JOSÉPHINE BACON - BÂTONS À JOSÉPHINE BACON - UN THÉ DANS LA MESSAGE / TOUNDRA / NIPISHAPUI NETE TSHISSINUASHITAKANA MUSHUAT Ma vie me parle Tu es musique D’où arrives-tu Tes nuages sont sans frontières Quand ils s’approchent Je ne te vois plus Leurs odeurs se parfument de sur ta terre, brume Je ne t‘entends plus Tu danses la pureté des gouttes quand tu rêves Les yeux éteints Je perçois ta beauté j’ai perdu tes traces Tes mélodies Je dépose du tabac où sont passés la vraie terre En offrande sur une pierre les chemins de portage ? la forêt Je te suis redevable qui m’appelle Pour ma liberté On dévie tes rivières les lacs crient et t’invitent je m’assois Je ne sais pas chanter à les secourir. pour trouver Pourtant, dans ma tête la paix. Un air me rappelle On semble m’appeler La verte Toundra à monter dans le bois, Ma peine m’est venue là-bas, à l'intérieur des terres, d’une parole, Mon corps s’appuie notre terre. Sur une présence Ébahie, je vois un soir d’orage, Invisible Loin alors que le tonnerre Il y a si longtemps réclamait La ville où j’erre que je n’ai pas vu l’Innu Et l’espoir que tu m’accueilles Tu me promets une terre pure une tendresse silencieuse, passer en traineau Puisque je suis Où tu existes semble-t-il me dire. Toi Missinak m’abreuve son sourd Papakassik court avec moi que seule la pluie écouta Où sont donc passés Jambes fatiguées Le lichen me nourrit Les Innus ? J’avance, j’avance, j’avance La mousse soigne mes larmes Mon rêve ressemble à une paix Pas lents, pas accélérés Où sont passés les arbres J’ai vieilli depuis Je reviens à la grande étoile qui se bat qui poussaient quand Mon guide pour sa tranquillité. je grandissais ? Nue C’est ici que je danse Tu m’offres l’horizon Avec les aurores boréales Je connais des grands-pères L’intérieur des terres Étendue, je n’agonise pas je connais des grands-mères a été vidé enfant égaré, retrouvé comme J’ai grandi avec l’espace un souvenir Je pleure, je ide Les voix sont simples mon âme Parfois j'emprunterais Suis-je moi ? de souffle court, Les mots des poètes Suis-je innue ? assez pour respirer, Tu es là Suis-je dans mon rêve ? assez pour espérer Je suis là C’est chez toi Celui qui crie la terre Que tu me fais sonne comme l'echo Entendre la Terre de mes semblables il nous voit. 6
AMBASSADE DU CANADA LOUISE DUPRÉ - EXERCICES DE JOIE Les femmes qui ont habité avant d’être condamnés tu dis compassion même si le sic̀le s’enfonce ton nom à l’oubli ou bonté dans la mer tu les as quittées c’est si vite effacé en te dressant comme un paquebot l’une après l’autre un tableau noir contre la langue létale éventré qu’on t’impose dans leurs robes si fragile, la mémoire il y a eu des orchestres démodées des livres c’est partout capables d’accompagner leur noyade et te voici maintenant qui tentent de résister c’est patience et ruse nue à toutes les pollutions qui piratent chaque jour il y a eu des désespoirs devant le miroir la tête qui ont trouvé courage tu empruntes aux siècles jusqu’à la fin te voici visage anciens comme un réseau videm vaisseau la voix des pendus mal protegé tu ne veux pas mourir fantôme avant la mort implorant la pitié tu souhaiterais parfois ville sans patrie de leurs frères humains l’amnésie et tu comptes et tu écoutes sur tes doigts tranquille mais tu ne crois pas mais tu choisis les années qu’il te reste la mélodie du monde pouvoir la souffrance ébranler les murs en cherchant en laissant surgir plutôt que de renoncer de quelle résistance des images érigés aux quatre coins à l’inquiétude te réclamer qui ne te blessent plus de la honte du monde sinon de la vie tu cherches depuis peu c’est partout le poème ressucite que tu veux user à pratiquer et tout près des paroles jusqu’à la corde la douceur assassinées comme une fièvre tu reviens comme une discipline sans remède il dépose des oeillets au verbe vouloir de combat sur le malheur un acide tu le répètes une charité à te faire qui gruge la raison afin de le rendre comme s’il pouvait se montrer à toi-moi-même supportable assez bienveillant on te rend folle toi, la mendiante et tu le sais le poème est une prière pour apaiser tes pleurs de minuscules joies secrète arrachées à la détresse mais tu préfères ton tourment et sans attendre à la maladie une nuit qui désire le moindre secours tu es une glaneuse des coeurs endurcis faire entendre fouillant les opéras du passé tu lèves le regard dans les poubelles tu apprivoises ton élire vers l’espérance de l’aube et tu écris tu chantes faux et tu recycles et mal et misère et tu l’accueilles fleurs séchées, bibelots malgré la peur dans ta paume ou poèmes qu’on te coupe la main mais tu chantes mille fois récités tu cherches des synonymes car rien ne sert dans les écoles modernes de larmoyer au mot merci 7
AMBASSADE DU CANADA RODNEY SAINT-ÉLOI - NOUS NE TRAHIRONS PAS LE POÈME, MÉMOIRE je ne suis pas un guerrier la guerre n’est pas mon métier D’ENCRIER je ramasse mes visages pierres faites grêle fais le tour de la maison pour atteindre pour ancrer le souvenir les os du ciel le piroguier avance je calque je suis le vent ondule mes sens divague aquatique le sourcier chante eaux profondes dérive azur bon vent je saute caïman émerge eucalyptus à l’enfant qui féconde les m’endors ville je dis je eaux me réveille forêt rien bonne route marron rien qui puisse trahir à la fleur qui enchante le j’habite infini le cri regard la nuit les métamorphes fragile bateau bonne mer je suis un être humain résiste à l’île qui arrime les ciels je m’appelle volan cri vibrant signe les tumultes limpides au corps des typhons ne mange pas de la main droite fenêtre sur bleu je suis noir ce qu’offre la main gauche tilleul de la cour cormoran ou goéland donne ta chemise aux cerfs- colline contre colline mes ailes ne changent rien volants je marche à la couleur de la pluie confie ta part de merveilles brindille forêt boréale je suis noir de peau aux guerriers de silice noir de jour je compte noir de nuit assigne ta voix aux cachots mortel parmi les mortels si cela ne te convient pas dis-moi tout simplement le sourcier dit je dis humain tu ne ressembles pas à ta race ta maison ne t’appartient pas au carnaval des ombres je te répondrai que je n’ai pas de race la maison appartient à la pluie visage contre visage je dirai un jour mes credos la maison appartient à l’air ni moins triste j’écrirai mon histoire ne construis pas de grattes- ni moins idiot qu’un autre arrêtez vos larmes ciels la joie aux poumons je serai ingouvernable ne construis pas d’autoroutes la colère aux viscères personne ne volera ma voix le ciel sauve les nuages le soleil bat le tambour dans ma tête personne ne volera mon corps le ciel déride les morts d'où mon rire extravagant j’aurai un lit pour la bonté fais-toi chant des sentiers pour la lenteur je tourne ma langue un continent pour l’amour sept fois une famille pour les monarques ma bouche ma voix ouvrira la porte des exils me déclare demain ma douleur étoilée gouffres dira la douceur du poisson rouge gravats je ferai provision de voyance oiseau des marées noires et mes ombres auront le visage de mes vieilles légendes 8 je serai terre
AMBASSADE DU CANADA AMÉLIE PRÉVOST - UNE HISTOIRE VRAIE Ce serait une histoire vraie. Ou pas. Une histoire qu’on n’a jamais fini de raconter L’histoire d’une famille, ou celle d’un peuple Non, ce serait plutôt l’histoire de deux amoureux la passion d’une femme et un dieu qui referaient le monde ensemble Ça commencerait un soir de mai, dans la lumière rose d’un pré il y aurait des étoiles et un lac, le reflet d’une chevelure et l’onde circulaire d’une larme qui tombe dans l’eau Une main géante sur une épaule blanche Il y aurait des branches grises et des bourgeons qui déplient très lentement leur mystère pour ombrager les balançoires Ce serait l’histoire d’un gamin, sur cette balançoire qui regarde le ciel et le sol et le ciel et le sol et le bout de ses pieds dans le vide tout étourdi de rêves qui en resteront ou se transformeront en pas de géant sur la lune Ce serait une histoire de grandes idées et de grandes découvertes L’histoire d’une nature comme un coffre au trésor dont on déchiffrerait la combinaison à force de sagesse et de cahiers de notes de sarraus blancs, dans des maisons remplies de fioles et curiosité Il y aurait des tablettes de bois empoussiérées et des centaines, des milliers, des millions de livres! Et de regards illuminés qui se croisent au dessus d’un microscope ou d’un corps qui se ranime dans un hôpital de fortune, une tente prospecteur Un éclaireur, une allumette, une explosion Ce serait une histoire de poudre à canon ou celle d’un mineur qui se crache les poumons entre les miettes d’un pain rassis et les pleurs d’un bébé de trop désespérément accroché à un sein fatigué et sec. Il y aurait des linceuls et des drapeaux défripés par la jeunesse, un matin d’élections Et puis la déception des perdants Leur grave solitude qui rentre en métro, un masque sur la bouche pour éviter de manquer d’air pour éviter de crier, aussi il y aurait des baillons et des mascarades des carnavals, seins nus et emplumés des rapaces, prêts à vous arracher l’espoir Ce serait l’histoire sans fin de l’acteur aviné qui se cherche une scène dans l’œil de la serveuse Il y aurait là des chansons à boire et des anecdotes banales des mers d’alcool et des bateaux à voile des horizons miroitant, des mouettes des sirènes, peut-être! En tout cas, il y aurait des baleines et des planctons des bas-fonds et des poissons lanternes éclairant des épaves Il y aurait eu la mort lente et solitaire d’un naufragé avalé par les vagues des tempêtes, le calme juste après Et des silences plats 9
AMBASSADE DU CANADA AMÉLIE PRÉVOST - UNE HISTOIRE VRAIE Ce serait l’histoire d’un monde perdu en lui-même trop grand pour tenir sur une bille L’histoire d’une implosion à l’heure de pointe quand trop de monde en même temps cherche à s’en sauver Une histoire racontée à toute vitesse sans égard pour les nuances Comme le road movie de trois gars, fenêtres ouvertes qui ne reviendraient jamais de leurs imprudences Et puis, les pleureuses au salon et le monde autour qui continuerait de tourner, brûlant et qui se mangerait, se cracherait en lambeaux Dans cette histoire terrible il y aurait des pieds sales sur des prélarts usés des ventres creux et des ongles cassants Tout un siècle de poussière, de pillages et de barbarie Il y aurait des hommes, forts comme des montagnes roulant d’énormes pierres pour bâtir des palais, des pyramides, des forteresses Les rouages de ce monde seraient huilés à la sueur et au sang Il y aurait des rois de fer, fiers, barbus et gras des banquets, des bals et des reines dans des robes à paniers brodées de la misère féodale des ballots de foins, fin août-début septembre sur lesquels un palefrenier retrousserait vite fait les jupes de la laitière et elle mourrait en couche, neuf mois plus tard le nez et le cœur gonflés de l’odeur des lilas. Cette histoire-là serait pleine d’erreurs et de honte Bourrée d’iniquités Ce serait une histoire qu’on n’a jamais fini de raconter et en plein cœur cette histoire, il y aurait vous et moi il y aurait nous tous et nous n’aurions plus peur d’en connaître la fin parce qu’on se saurait capable d’en décider AMÉLIE PRÉVOST - POUR QUE J’EXISTE Par quel hasard inouï ai-je la chance d’être au monde ici et maintenant? Avec mes libertés ramifiées dans la chair avec l’abondance et la facilité avec tous les possibles fragiles venus d’un autre temps avec, en moi, la vie de toutes les femmes d’avant. Épouilleuses de marmaille arides espoirs aux ventres trop féconds dans des huttes cabanes de fortune où se donnait la vie entre deux peaux de daim et trois pointes de lance au cœur du quotidien Cueilleuses de petits fruits dans des paniers tressés comme leurs cheveux et comme les fils des tapisseries racontant l’impossible qu’elles savaient tisser mieux encore que des rêves 10
AMBASSADE DU CANADA AMÉLIE PRÉVOST - POUR QUE J’EXISTE (SUITE) Jambes lourdes aux marches lentes sur les chemins boueux en bas de soie raccommodés faits main les soirs d’hiver grandes liseuses en cachette les soirs de couvent avec les craquelures quand, après le feu couvert aux doigts de blanchisseuses aux épluchures de pommes les questions fusaient dans le silence austère pelleteuses de roches et de fumier d’une solitude résignée Braves fuites, traversées périlleuses depuis un autre mais résiliente continent le vent dans les voiles Cavalières autrices à l’œuvre travestie de leurs mariages forcés de leurs deuils prématurés le nom de quelqu’un d’autre de leurs dévotions de dernier recours pour échapper à la sur la couverture bandée comme un arc pour que misère tous les mots flèchent jusqu’à la cible entre les yeux lecteurs Sorcières, putains ridées de honte scandaleuses filles de l’amour ravalant leur naïveté Têtes fortes, cheveux courts allumeuses de une larme à la fois une insulte à la fois une flamme à la cigarettes suffragettes enragées fois par trop d’ignorance la lippe écumante des chiennes de garde Enrubannées de soie cadeaux de chair siégeant sur leurs petites victoires à défaut d’un écarlate de poudre ou de gêne les yeux baissés, noircis, digne trône mouillés loyal service délicat à la tête de l’assemblée portant la porcelaine et l’uniforme règlementaire Danseuses de grand ballet chanteuses de cabaret bergères et aubergistes les jupes ramassées Grand-mères boudinées de corsets cheveux cousus, le regard enligné chevilles cassées dans de petits souliers vernis vers la suite du monde vers bras blancs comme des vierges en plâtre le dos raidi par moi les bancs de bois dur Qui peux tout, mais ne fais presque rien et qui les Au chevet, nuit et jour de quelque grabataire miasmes remercie étouffants j’ai tout leur héritage lésions, fluides, sécrétions qui me donne souffle, voix et soif À tiédir les froideurs de l’agonie l’humaine sans trousse et et je m’abreuve au sang qu’elles ont versé pour sans salaire que j’existe si aisément mais le plexus ouvert espérant de tout cœur que nos filles, demain pourront dire de moi qu’à défaut d’avoir grandes liseuses en cachette les soirs de couvent contribué j’aurai au moins préservé des acquis quand, après le feu couvert et honoré leur mémoire les questions fusaient dans le silence austère d’une solitude résignée mais résiliente 11
AMBASSADE DE FRANCE LOUIS ARAGON - LES YEUX AIMÉ CÉSAIRE - CÉRÉMONIE D’ELSA VAUDOUE POUR SAINT JOHN PERSE Tes yeux sont si profonds qu'en me penchant pour boire J'ai vu tous les soleils y venir se mirer celui qui balise l’aire d’atterrissage des colibris S'y jeter à mourir tous les désespérés celui qui plante en terre une hampe d’asclépias de Curaçao Tes yeux sont si profonds que j'y perds la mémoire pour fournir le gîte aux plus grands monarques du monde qui sont en noblesse d’exil et papillons de passage À l'ombre des oiseaux c'est l'océan troublé Puis le beau temps soudain se lève et tes yeux changent celui pour qui les burseras de la sierra L'été taille la nue au tablier des anges suant sang et eau et plus de sang que d’eau et pelés Le ciel n'est jamais bleu comme il l'est sur les blés n’en finissent pas de se tordre les bras grotesques dans leur parade de damnés Les vents chassent en vain les chagrins de l'azur Tes yeux plus clairs que lui lorsqu'une larme y luit celui qui contemple chaque jour la première leerte Tes yeux rendent jaloux le ciel d'après la pluie génétique Le verre n'est jamais si bleu qu'à sa brisure qu’il est superflu de nommer jusqu’à parfait rougeoiement Mère des Sept douleurs ô lumière mouillée avec à recueillir le surplus de forces hors du vide historique Sept glaives ont percé le prisme des couleurs Le jour est plus poignant qui point entre les pleurs le chercheur de sources perdues L'iris troué de noir plus bleu d'être endeuillé le démêleur de laves cordées Tes yeux dans le malheur ouvrent la double brèche celui qui calcule l’étiage de la colère Par où se reproduit le miracle des Rois dans les terres de labour et de mainbour Lorsque le coeur battant ils virent tous les trois celui qui du sang rencontré la roue du temps et du Le manteau de Marie accroché dans la crèche contretemps mille fois plus gémissante que norias sur l’Oronte Une bouche suffit au mois de Mai des mots Pour toutes les chansons et pour tous les hélas celui qui remplace l’asphodèle des prairies infernales Trop peu d'un firmament pour des millions d'astres par –sacrale- la belle coiffure afro de l’haemanthus Il leur fallait tes yeux et leurs secrets gémeaux -Angela Davies de ces Linux- riche de toutes les épingles de nos sangs hérissés L'enfant accaparé par les belles images Écarquille les siens moins démesurément (le vit-il le vit-il l’Etranger Quand tu fais les grands yeux je ne sais si tu mens Plus rouge pourtant que le sang de Tammouz On dirait que l'averse ouvre des fleurs sauvages et nos faces décebales le vit-il le vit-il l’Etranger?) Cachent-ils des éclairs dans cette lavande où Des insectes défont leurs amours violentes phlégréennes Je suis pris au filet des étoiles filantes oiseaux profonds Comme un marin qui meurt en mer en plein mois d'août tourterelles de l’ombre et du grief et que l’arc s’embrase J'ai retiré ce radium de la pechblende et que l’un à l’autre océan Et j'ai brûlé mes doigts à ce feu défendu les magmas fastueux en volcans se répondent pour Ô paradis cent fois retrouvé reperdu de toutes gueules de tous fumants sabores honorer Tes yeux sont mon Pérou ma Golconde mes Indes en route pour le grand large l’ultime Conquistador en son dernier voyage Il advint qu'un beau soir l'univers se brisa Sur des récifs que les naufrageurs enflammé rent 12 Moi je voyais briller au-dessus de la mer Les yeux d'Elsa les yeux d'Elsa les yeux d'Elsa
AMBASSADE DE FRANCE PAUL ELUARD - AU FOND DU COEUR Au fond de notre coeur, un beau jour, le beau jour de tes yeux continue. Les champs, l’été, les bois, le fleuve. Fleuve seul animant l’apparence des cimes. Notre amour c’est l’amour de la vie, le mépris de la mort. A même la lumière contredite,souffrante, sans croissance ni fin, un jour sur terre, plus clair en plein terre que les roses mortelles dans les sources de midi. Au fond de notre cœur, tes yeux dépassent tous les ciels, leur cœur de nuit. Flèches de joie, ils tuent le temps, ils tuent l’espoir et le regret, ils tuent l’absence. La vie, seulement la vie, la forme humaine autour de tes yeux clairs. FRANCIS PONGE - L’HUÎTRE L'huître, de la grosseur d'un galet moyen, est d'une apparence plus rugueuse, d'une couleur moins unie, brillamment blanchâtre. C'est un monde opiniâtrement clos. Pourtant on peut l'ouvrir : il faut alors la tenir au creux d'un torchon, se servir d'un couteau ébréché et peu franc, s'y reprendre à plusieurs fois. Les doigts curieux s'y coupent, s'y cassent les ongles : c'est un travail grossier. Les coups qu'on lui porte marquent son enveloppe de ronds blancs, d'une sorte de halos. A l'intérieur l'on trouve tout un monde, à boire et à manger : sous un firmament (à proprement parler) de nacre, les cieux d'en dessus s'affaissent sur les cieux d'en dessous, pour ne plus former qu'une mare, un sachet visqueux et verdâtre, qui flue et reflue à l'odeur et à la vue, frangé d'une dentelle noirâtre sur les bords. Parfois très rare une formule perle à leur gosier de nacre, d'où l'on trouve aussitôt à s'orner. PAUL ELUARD - JE T’AIME RENÉ CHAR - LEÇON SÉVÈRE Je t’aime pour toutes les femmes que je n’ai pas connues Le saut iliaque accompli Je t’aime pour tous les temps où je n’ai pas vécu L’attrait quitte la rêverie Pour l’odeur du grand large et l’odeur du pain chaud L’aimant baigné de tendresse est un levier mort Pour la neige qui fond pour les premières fleurs Les tournois infantiles Pour les animaux purs que l’homme n’effraie pas Sombrent dans la noce de la crasse Je t’aime pour aimer Le relais de la respiration Je t’aime pour toutes les femmes que je n’aime pas Qui me reflète sinon toi-même je me vois si peu L’air était maternelle Sans toi je ne vois rien qu’une étendue déserte Les racines croissaient Entre autrefois et aujourd’hui Il y a eu toutes ces morts que j’ai franchies sur de la paille Un petit nombre Je n’ai pas pu percer le mur de mon miroir A touché le jour Il m’a fallu apprendre mot par mot la vie À la première classe Comme on oublie que l’amour forme à l’étoile d’enfer Je t’aime pour ta sagesse qui n’est pas la mienne D’un sang à jamais entendu Pour la santé Je t’aime contre tout ce qui n’est qu’illusion Pour ce cœur immortel que je ne détiens pas Tu crois être le doute et tu n’es que raison Tu es le grand soleil qui me monte à la tête Quand je suis sûr de moi. 13
AMBASSADE DE FRANCE GUILLAUME APOLLINAIRE - LA CHANSON DU MAL-AIMÉ Et je chantais cette romance D’attente et d’amour yeux pâlis En 1903 sans savoir Caressant sa gazelle mâle Que mon amour à la semblance J’ai pensé à ces rois heureux Du beau Phénix s’il meurt un soir Lorsque le faux amour et celle Le matin voit sa renaissance. Dont je suis encore amoureux Un soir de demi-brume à Londres Heurtant leurs ombres infidèles Un voyou qui ressemblait à Me rendirent si malheureux Mon amour vint à ma rencontre Regrets sur quoi l’enfer se fonde Et le regard qu’il me jeta Qu’un ciel d’oubli s’ouvre à mes voeux Me fit baisser les yeux de honte Pour son baiser les rois du monde Je suivis ce mauvais garçon Seraient morts les pauvres fameux Qui sifflotait mains dans les poches Pour elle eussent vendu leur ombre Nous semblions entre les maisons J’ai hiverné dans mon passé Onde ouverte de la Mer Rouge Revienne le soleil de Pâques Lui les Hébreux moi Pharaon Pour chauffer un coeur plus glacé Oue tombent ces vagues de briques Que les quarante de Sébaste Si tu ne fus pas bien aimée Moins que ma vie martyrisés Je suis le souverain d’Égypte Mon beau navire ô ma mémoire Sa soeur-épouse son armée Avons-nous assez navigué Si tu n’es pas l’amour unique Dans une onde mauvaise à boire Au tournant d’une rue brûlant Avons-nous assez divagué De tous les feux de ses façades De la belle aube au triste soir Plaies du brouillard sanguinolent Adieu faux amour confondu Où se lamentaient les façades Avec la femme qui s’éloigne Une femme lui ressemblant Avec celle que j’ai perdue C’était son regard d’inhumaine L’année dernière en Allemagne La cicatrice à son cou nu Et que je ne reverrai plus Sortit saoule d’une taverne Voie lactée ô soeur lumineuse Au moment où je reconnus Des blancs ruisseaux de Chanaan La fausseté de l’amour même Et des corps blancs des amoureuses Lorsqu’il fut de retour enfin Nageurs morts suivrons-nous d’ahan Dans sa patrie le sage Ulysse Ton cours vers d’autres nébuleuses Son vieux chien de lui se souvint Je me souviens d’une autre année Près d’un tapis de haute lisse C’était l’aube d’un jour d’avril Sa femme attendait qu’il revînt J’ai chanté ma joie bien-aimée L’époux royal de Sacontale Chanté l’amour à voix virile Las de vaincre se réjouit Au moment d’amour de l’année Quand il la retrouva plus pâle 14
AMBASSADE D'HAITI LOUIS-PHILIPPE DALEMBERT - ON MY MIND HAÏTI Un jour les odeurs reviennent Pour Edwidge Danticat Dans le lointain du monde Racinée dans la même mémoire Reviennent du lointain du monde Un jour les odeurs détournées “Ooh Georgia, no peace Les odeurs un jour renaissent I find De l’éloigné du temps Just an old sweet song Celles de l’enfance les odeurs et celles fortes Keeps Georgia d’aujourd’hui On my mind” Mêlées à n’en plus avoir STUART GORRELL Mêlées jusqu’au désespoir On ne quitte pas ce pays On ne le quitte pas Un jour le port d’une femme Dans le lointain du monde Un jour on croit partir loin Longeant lasse la poussière de ses rêves S’en aller à jamais Qui un à un se noient Laissant les nuages derrière soi Natifs de basses eaux Ivres de transhumance Un jour se démarche Lourds de fragilité Épuisant la vanité de la vie Laissant les nuages Et majestueux ses effluves retissent Nouer et dénouer haut perché(e)s Cette chanson d’un temps Leurs arabesques dans le ciel Pareille à un sanglot perdu Un jour on croit s’en aller On ne quitte pas ce pays Laissant la ville s’éteindre On ne le quitte pas Puis se raviver Toi-même ne s’en va Phénix aux mille songes de désespoir repu(s) La pluie déraciner l’ultime dialogue Un jour l’espoir et le désespoir fondus Des arbres avec la terre Comme hier et demain à n’en plus savoir Comme ces échos du jour dans le sommeil Un jour on croit partir Perpétués à n’en plus pouvoir Laissant la mer Ces lambeaux de mémoire Se rétrécir Ritournelles de l’enfance au soir de l’étoile De tant de deuils et de déchets Se taire les rivières On ne laisse pas ce pays Jusqu’à se consumer Ni même ne s’en va Telle l’ultime note d’un blues De cette terre De cette femme On ne quitte pas ce pays On ne le quitte pas Sortir peut-être Et encore 15
AMBASSADE D'HAITI LOUIS-PHILIPPE DALEMBERT - VOYAGE Quand j’étais jeune Je rêvais de vivre Maintenant que j’ai vécu A paris new York rome Partout je rêve de vivre Jérusalem Dakar ou Santiago Chez moi Maintenant que j’ai vécu Maintenant j’ai voyagé A paris a roma et a yerushalayim Que je voyage Que je connais new York Dakar Jusqu’à en avoir le tournis Je rêve des lumières absentes Aujourd’hui que mes pas De la ville natale Ont emprunté leur rythme Quand j’étais jeune Au battement d’ailes sans fin du colibri Je rêvais de vivre l’envie me prend parfois Ailleurs partout de descendre Quelque part dans le monde en cours de route J’enfourchais alors une branche d’arbre et de rentrer chez moi ou l’une des nombreuses étoiles de retrouver l’enfance sous le vieil de la nuit caraïbe acajou vaste et profonde pour une partie de billes comme seule en invente l’enfance ou un corps à corps gorgé d’orgueil et je m’envolais (loup-garou insouciant et végétarien) maintenant que j’ai voyagé Loin de mon quartier que je voyage Loin de ma ville la vie Avant que les notes fausses d’un coq j’ai envie par moments Trahi par ses cauchemars de m’arrêter Ne viennent m’arracher comme lorsque enfant nos semelles Aux tièdes clins d’œil vagabondes Des premiers rayons du soleil nous ramenaient à la maison Quand j’étais jeune dans l’espoir de troquer Je rêvais de voyager la sueur la poussière et la faim La vie contre une bonne douche Je partirais vers un monde des vêtements moins crasseux Sans faim et un hypothétique repas Où les lumières auraient emprunté Leur éclat à nos rêves d’enfants j’ai envie de tout arrêter Aux reflets argentés de la mer au soleil et de rentrer au pays A l’eau de la ravine de l’enfance Qui accueillait nos ébats clandestins mais j’ai perdu Le lendemain des jours de pluie le chemin du retour Aux avions dont l’envol matinal Se confondait avec la saison des cyclones quelque rapace amblyope et Maintenant que je connais le monde gourmand Et la beauté de ses femmes aura gobé les cailloux Les yeux rieurs de ses enfants que j’avais oublié de semer L’arrogante impuissance de ses hommes 16
AMBASSADE DU LIBAN NADIA TUÉNI - NADIA TUÉNI - FEMMES DE MON PAYS HOMMES DE MON PAYS Femmes de mon pays, Dans nos montagnes il y a des hommes, Une même lumière durcit vos corps, ce sont des amis de la nuit; une même ombre le repose; leurs yeux brillent du noir des chèvres, doucement élégiaques en vos métamorphoses. leurs gestes raides comme la pluie. Une même souffrance gerce vos lèvres, Ils ont pour maître l'olivier, et vos yeux sont sertis par un unique orfèvre. simple vieillard aux bras croisés. Vous, Eux, qui rassurez la montagne, leurs mains sont de chardons, qui faites croire à l'homme qu'il est homme, leurs poitrines sanctuaires, à la cendre qu'elle est fertile, "le ciel tourne autour de leurs fronts, au paysage qu'il est immuable. comme un insecte lourd à la chaude saison". Femmes de mon pays, Dans nos montagnes il y a des hommes, vous, qui dans le chaos retrouvez le durable. qui ressemblent au tonnerre, et savent que le monde est gros comme une pomme NADIA TUÉNI - CÉDRES Je vous salue, ANDRÉE CHEDIDE - CE QUE vous qui êtes, NOUS SOMMES dans la simplicité dúne racine, avec la nuit pour chien de garde. Tu es radeau dans l'éclaircie Vos bruits ont la splendeur deS mots, Tu es silence dans les villes et la fierté des cataclysmes. Tu es debout Je vous connais, Tu gravites vous qui êtes, Tu es rapt d'infini hospitaliers comme mémoire; Mais tel que je suis vous portez le deuil des vivants, que j'écris que je tremble cars lénvers du temps, cést le temps. Je te sais parfois Je vous épèle, refroidi de toi-même vous qui êtes, quand les fables et le sel t'ont quitté! Aussi unique que le Cantique. Je te sais Un grand froid vous habille, Tantôt mutilé et le ciel à portée de branche. Tantôt espace Je vous défie, Tantôt épave vous qui hurlez sur la montagne Ou illumination usant les syllabes jusquáu sang, Je te sais disloqué par les parcelles du monde Aujourdh́ui cést demain dh́ier, Mais je te sais Sur vos corps un astre couchant. De face Je vous aime, Dans la forge de ton feu. Vous qui partez avec pour bannière le vent. 17 Je vous aime comme on respire, vous êtes le premier Poème.
AMBASSADE DE ROUMANIE BENJAMIN FONDANE - AUTOPORTRAIT N’est-il rien qui pût nous apaiser ? un peu de neige aux lèvres des étoiles, un peu de mort donnée en un baiser ? Moi-même dans tout ça – Qui donc - moi-même ? Fondane (Benjamin) Navigateur - BENJAMIN FONDANE - ÉLÉGIE Il traverse à pied, pays, poèmes, le tourbillon énorme d’hommes morts Je me suis déchaussé pour entrer dans la maison penchés sur leur journal. La fin du monde du passé, j’ai ouvert le piano aux dents jaunes le retrouva, assis, dans le vieux port* – j’ai essayé ma voix comme un couteau cassé jouant aux sorts. ce n’est rien. Je vous dis que ce n’est rien. À peine Regarde-toi, Fondane Benjamin – un souffle qui pourrait éteindre une bougie dans une glace. Les paupières lourdes. un cœur usé qui craint les escaliers raidis Un homme parmi d’autres. Mort de faim. une main qui tâtonne pour trouver une clé qui n’ouvre rien qui ne soit déjà ouvert depuis longtemps, une molle jambe qui fait sur le tapis des traces. BENJAMIN FONDANE - TOUT À COUP J’étais en train de lire un livre quand tout à coup En ai-je vu je vis ma vitre neiger la neige emplir son œil absent d’oiseaux légers et ivres dans le cœur nu ! Oui, il neigeait. Ah Dieu ! Que n’ai-je La folle neige ! su garder dans mon cœur un peu de cette neige ! Elle tombait Toujours en train tranquille et fraîche de lire un livre ! dans le cœur tout troué comme un filet de Toujours en train pêche. d’écrire un livre ! C’était si bon ! Et tout à coup la neige tranquille dans ma vitre. et j’étais ivre de ces flocons heureux de vivre que ma main oublieuse, laissa tomber le livre ! 18
AMBASSADE DU SÉNÉGAL LÉOPOLD SEDAR SENGHOR - FEMME NOIRE Femme nue, femme noire Vêtue de ta couleur qui est vie, de ta forme qui est beauté J'ai grandi à ton ombre ; la douceur de tes mains bandait mes yeux Et voilà qu'au cœur de l'Eté et de Midi, Je te découvre, Terre promise, du haut d'un haut col calciné Et ta beauté me foudroie en plein cœur, comme l'éclair d'un aigle Femme nue, femme obscure Fruit mûr à la chair ferme, sombres extases du vin noir, bouche qui fais lyrique ma bouche Savane aux horizons purs, savane qui frémis aux caresses ferventes du Vent d'Est Tamtam sculpté, tamtam tendu qui gronde sous les doigts du vainqueur Ta voix grave de contralto est le chant spirituel de l'Aimée Femme noire, femme obscure Huile que ne ride nul souffle, huile calme aux flancs de l'athlète, aux flancs des princes du Mali Gazelle aux attaches célestes, les perles sont étoiles sur la nuit de ta peau. Délices des jeux de l'Esprit, les reflets de l'or ronge ta peau qui se moire A l'ombre de ta chevelure, s'éclaire mon angoisse aux soleils prochains de tes yeux. Femme nue, femme noire Je chante ta beauté qui passe, forme que je fixe dans l'Eternel Avant que le destin jaloux ne te réduise en cendres pour nourrir les racines de la vie. 19
AMBASSADE DE SUISSE CHARLES-FERDINAND RAMUZ - DIMANCHE SOIR On commence à danser, les filles rient, les gros souliers vont battant la mesure, et l’accordéon assis sur la table presse et distend tour à tour ses soufflets aigres. C’est l’heure où le soleil se couche, la lune est ronde, l’air est bleu; on dirait qu’une poussière d’étoiles monte des champs avec la nuit. Les cloches du dimanche ont sonné ce matin, les cloches se sont tues, mais il y a comme un souvenir qui reste d’elles dans le balancement des arbres du jardin; et les gens sur le seuil de leurs maisons regardent, heureux de voir grandir la lune à la cime des peupliers. CHARLES-FERDINAND RAMUZ - LES MAISONS Les vieilles maisons sont toutes voûtées, elles sont comme des grands-mères qui se tiennent assises, les mains sur les genoux, parce qu’elles ont trop travaillé dans leur vie ; mais les neuves sont fraîches et jolies comme des filles à fichus qui, ayant dansé, vont se reposer et qui se sont mis une rose au cou. Le soleil couchant brille dans les vitres, les fumées montent dévidées et leurs écheveaux embrouillés tissent aux branches des noyers de grandes toiles d’araignées. Et, pendant la nuit, sur les toits, l’heure du clocher dont les ressorts crient – et le poids descend – s’en va vers les champs 20 et réveille subitement toutes les maisons endormies.
AMBASSADE DE SUISSE JEAN-JACQUES ROUSSEAU - LE VERGER DE MME DE WARENS Verger cher à mon cœur, séjour de l'innocence, Honneur des plus beaux jours que le ciel me dispense. Solitude charmante, Asile de la paix ; Puissé-je, heureux verger, ne vous quitter jamais. JEAN-JACQUES ROUSSEAU - Ô jours délicieux coulés sous vos ombrages ! À MADAME LA BARONNE DE De Philomèle en pleurs les languissants ramages, WARENS D'un ruisseau fugitif le murmure flatteur, Excitent dans mon âme un charme séducteur. J'apprends sur votre émail à jouir de la vie : Virelai. J'apprends à méditer sans regrets, sans envie Madame, apprenez la nouvelle Sur les frivoles goûts des mortels insensés. De la prise de quatre rats; Leurs jours tumultueux l'un par l'autre poussés Quatre rats n'est pas bagatelle, N'enflamment point mon cœur du désir de les suivre. Aussi n'en badiné-je pas: À de plus grands plaisirs je mets le prix de vivre ; Et je vous mande avec grand zèle Plaisirs toujours charmants, toujours doux, toujours purs, Ces vers qui vous diront tout bas, A mon cœur enchanté vous êtes toujours sûrs. Madame, apprenez la nouvelle Soit qu'au premier aspect d'un beau jour près d'éclore De la prise de quatre rats. J'aille voir les coteaux qu'un soleil levant dore ; A l'odeur d'un friand appas, Soit que vers le midi chassé par son ardeur, Rats sont sortis de leur caselle; Sous un arbre touffu je cherche la fraîcheur ; Mais ma trappe arrêtant leurs pas, Là portant avec moi Montaigne ou La Bruyère, Les a, par une mort cruelle, Je ris tranquillement de l'humaine misère ; Fait passer de vie à trépas. Ou bien avec Socrate et le divin Platon, Madame, apprenez la nouvelle Je m'exerce à marcher sur les pas de Caton : De la mort de quatre rats. Soit qu'une nuit brillante en étendant ses voiles Mieux que moi savez qu'ici-bas Découvre à mes regards la lune et les étoiles, N'a pas qui veut fortune telle; Alors, suivant de loin La Hire et Cassini, C'est triomphe qu'un pareil cas. Je calcule, j'observe, et près de l'infini Le fait n'est pas d'une allumelle; Sur ces mondes divers que l'Éther nous recèle Ainsi donc avec grand soulas, Je pousse, en raisonnant, Huyghens et Fontenelle ; Madame, apprenez la nouvelle Soit enfin que surpris d'un orage imprévu, De la prise de quatre rats. Je rassure en courant le berger éperdu, Qu'épouvantent les vents qui sifflent sur sa tête ; Les tourbillons, l'éclair, la foudre, la tempête ; Toujours également heureux et satisfait, Je ne désire point un bonheur plus parfait. 21
AMBASSADE DE TUNISIE ZOUBEÏDA KHALDI - UNE TORCHE SVP! Jouer à saute-mouton Ce n’est pas drôle d’avoir si peu de bol A fait sauter tous mes boutons De se sentir mal calibrée, écorchée, Et décollé mon étiquette de fille … Effilochée, ébréchée… Les choses ont empiré Que dois-jea jouter ou retrancher, Quand j’ai joué au ballon et aux billes… Coudre, couper ou coller, Pour être un être achevé, Me voilà traitée de garçon manqué, Enrichi, apaisant et apaisé ? A qui il manque on ne sait quel bout… A peine debout … En attendant, vais-je avoir de gros seins Et de fille tronquée, toquée, manquée, moquée, Ou une longue barbe en crin ? Marquée, naine et floue. Que faire de ces manques à gagner ? Par où commencer ? Mais moi, même poisson, je veux voler …. Comment me réparer, me rapiécer ? Au bout de moi-même, je veux aller. Comment rattraper, récupérer Je veux me multiplier, exploser… Et implanter les bonnes prothèses Qu’ai-je fait et qui ai-je lésé Pour que tous se sentent à l’aise, En me sentant ailée ?... En espérant qu’il n’y ait pas de rejet. En voulant être sapeur-pompier, Trapéziste ou plombier ? En vérité, je n’arrive pas à saisir Pourquoi les jeux, les goûts et les métiers De quoi je suis censée guérir. Sont-ils sexués… Être un garçon manqué, mutilé Et moi, des deux camps, honnie, renvoyée ? Allégé, allongé, demi-écrémé… Ou une fille préfabriquée, déshydratée, Condamnée à perdre des deux côtés. Invertébrée, désossée, Malmenée, oppressée, dépossédée… Répondant aux normes agréées… Des deux bords, rejetée. En robe ajourée ou cravate et complet … Qu’a-t-on à me reprocher ? Gris, noir, blanc, à pois ou zébré ? Une choquante pilosité Comment y voir clair ? le saurai-je jamais ? De goût, de passions et de pensées ? Une torche, s’il vous plaît ! Honte, complexes ou fierté ? TAHAR BEKRI - SI TOUTE L’ÉTENDUE T’EST ÉTROITE Si tes sentinelles n’aiment guère Si la mer n’est pas pour nourrir ton port Les oiseaux migrateurs Mais les mille naufrages Si ta muraille a peur d’elle-même Si toute l’étendue t’est étroite Si ta tour de guet ne voit que des feux ennemis Si ta chanson est une corne de brume Si tu te cernes de fossés Si ton rivage est un cimetière pour les errants Comment peux-tu aimer le salut des voyageurs ? Comment ta main peut-elle être hospitalière ? Si ta porte n’est pas un portail ouvert Si ton seuil est Mur après Mur 22 Comment peux-tu honorer la Terre ?
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