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Quel virage énergétique? ..................................... 10 Quand les plantes s e Des sous-vêtements Parents homosexuels souviennent ........... 28 intelligents ............ 36 en Israël ................ 38
Jogging sans virage énergétique Avec un ami, nous arrivons souvent à nous organiser, le week-end, un programme sportif de deux heures que nous appelons «move & talk». Lorsque le temps le permet (en cas de pluie, nous jouons au badminton), nous courons le long de l’Aar et soufflons bruyamment, tout en discu- tant. Nous abordons des problèmes quotidiens ou plus fondamentaux, des questions personnelles et des thèmes politiques. Nous évoquons, par exemple, les mots d’ordre pour les votations, les conflits au bureau et en famille, ou ce que cela fait que de porter une barbe. Nous ne parlons en revanche jamais du «virage énergétique», même si le mot dégage une dynamique positive. Peut-être parce que je ne vois pas clairement comment l’on remplacera l’énergie atomique. Dois-je faire confiance aux progrès fulgurants de la technologie solaire et partir de l’idée que les réserves nécessaires de terres rares seront suffisantes et que les gens qui les extraient seront traités et payés de manière équi- table? Dois-je croire à un approvisionnement décentralisé en énergie et à l’électricité produite à partir du compost? Ou simplement accepter l’idée que nos enfants et petits-enfants devront mener une vie plus modeste que la nôtre? Je manque de repères. Je n’arrive pas à voir où mène ce virage et quelle orientation la société entend lui donner. Face à cette incertitude, nous avons jusqu’ici renoncé avec mon partenaire sportif à parler de nou- velles formes d’énergie, de potentiels d’économies et d’autres résultats de recherche encourageants. Ceux qui sont présentés dans ce numéro d’Horizons devraient toutefois nous pousser à faire également du «virage énergétique» un thème de discussion lors de notre prochain «move & talk». Ori Schipper, rédaction
Sommaire 30 Davide Corti Luca Zanier Point fort virage énergétique Biologie et médecine 10 Quelles énergies pour demain? 28 La mémoire des plantes des prés Ces végétaux semblent se souvenir du site d’origine de leurs ancêtres. 30 L’humanité est confrontée à un choix crucial. Anticorps porteurs d’espoirs Les cellules immunitaires renferment un Pour éviter pénurie et désastre écologique, potentiel pour lutter contre les virus de la grippe, de la malaria et de la dengue. elle est tenue de miser sur des sources 31 d’énergie renouvelables. La Suisse entend Chanvre et patrimoine génétique Une évolution différenciée renoncer au nucléaire et opérer un grand Des neurones «mis en quarantaine» virage énergétique. Les chercheurs sont sollicités afin d’apporter des solutions nouvelles, également en sciences sociales. «L’invention technique procède de l’homme seul et non de ses besoins vitaux, mais de ses rêves, c’est-à-dire de ses vrais désirs.» Denis de Rougemont ▴ LEIBSTADT I, INTÉRIEUR DE LA TOUR DE REFROIDISSEMENT DE LA CENT RALE NUCLÉAIRE, 2010. ◂ BEZNAU II, SALLE DE COMMANDE DE LA CENTRALE NUCLÉAIRE, 2010. Photos: Luca Zanier 4 Fonds national suisse – Académies suisses: Horizons n°99
32 38 Irit Amit Andrea Madella En image 6 Des champignons comme engrais naturel Débat 8 Des fonds de recherche privés dans les universités? Questions-réponses 23 Regina Kiener, le suicide est-il un droit humain? Portrait 24 David Sander, psychologe et lauréat du Environnement et technique Culture et société Prix Latsis 32 38 Quand l’eau fait pousser les pierres Qui a le droit d’être père ou mère? Lieu de recherche La forme que prend une montagne dépend En Israël, la médecine reproductive est 26 aussi du climat. Du moins dans les Andes libéralisée, tout en étant empreinte de Astronomie au Chili centrales. représentations rabbiniques. Entretien 34 40 Meilleur que sa réputation? Dans les «chambres d’écho» 46 Le «fracking» est risqué. En géothermie, les d’Internet Le climatologue Reto Knutti est déçu par bénéfices pourraient toutefois l’emporter. Twitter, Researchgate et blogs: de bonnes les politiques en matière de climat. plateformes pour le discours scientifique? 36 Sous-vêtements malins Comment ça marche? 42 Les habits du futur feront bien plus que Pots de miel à l’horizon 49 nous tenir chaud. L’Union européenne n’a jamais mis autant Ecran tactile: bienvenue dans l’ère d’argent à disposition de la recherche, digitale! 37 également en Suisse. Le son qui fait bouger les objets Les Alpes avant les glaciers Verbatim 44 Science-fiction sur une puce Les gardiens de la vertu au cinéma 50 Un sein dénudé est-il choquant ou a-t-il Le chercheur citoyen une valeur éducative? En direct du FNS et des Académies 45 Que des sornettes? 51 Une histoire des conflits en Suisse Chercheuses primées L’Etat mécène et producteur de cinéma Fonds national suisse – Académies suisses: Horizons n°99 5
Des champignons comme engrais naturel Une multitude de petits ballons pro- lifèrent sur la surface d‘une étrange structure sinueuse. Quelques-uns semblent être en suspens, tout en restant attachés par des fils très fins. Cette image prise au microscope optique montre une racine de manioc, entourée par un champi- gnon mycorhizien. Les ballons sont des spores produites par le champi- gnon Rhizophagus irregularis et qui colonisent la racine. L’objectif est de capturer le sucre que la plante a assimilé durant la photosynthèse. En contrepartie, le champignon lui four- nit des nutriments qu’il peut extraire plus efficacement du sol grâce à ses minces filaments, un réel bénéfice pour la plante. Ainsi, les mycorhizes agissent, notamment dans les sols tropicaux et pauvres en phosphate, comme en- grais et augmentent la biomasse du manioc. Le groupe de Ian Sanders, à l’Université de Lausanne, exploite la diversité génétique naturelle du champignon pour développer, grâce à des croisements, de nouvelles variantes génétiques. Avec des chercheurs colombiens, Ian Sanders a trouvé que celles-ci améliorent le rendement des racines de manioc dans une proportion de 20%. Ce résultat est aussi prometteur pour les paysans sud-américains qui pourraient atteindre des rendements supérieurs tout en utilisant moins d’engrais phosphatés. Liselotte Selter Source: I. Ceballos, M. Ruiz, C. Fernández et al. (2013): The In Vitro Mass-Produced Model Mycorrhizal Fungus, Rhizophagus irre- gularis, Significantly Increases Yields of the Globally Important Food Security Crop Cassava. PLoS One 8:e70633. Photo: Jeremy Bonvin, Université de Lausanne Fonds national suisse – Académies suisses: Horizons n°99 7
Débat Valérie Chételat (photomontage) Des fonds de recherche privés dans les universités? Entreprises, fondations et particuliers officient de plus en plus souvent comme bailleurs de fonds des hautes écoles en Suisse. Mais certains dons sont contestés, comme celui de 100 millions de francs accordé par UBS à l’Université de Zurich. Quels sont les arguments pour et contre un financement privé de la recherche? «L ’Université revendique la li- versités, et donc l’institution en tant que D’où l’importance de protections insti- berté d’enseignement et de telle, qui sont en jeu. tutionnelles qui, coulées dans des règles recherche», disent les chartes Bien entendu, tous les financements fermes, garantissent l’intégrité du cher- de l’Université de Berne et privés ne sont pas diaboliques. Pour les cheur et l’indépendance des universités. Il des autres universités de Suisse. Cette re- infrastructures communes (bibliothèques, faudra notamment déterminer, pour toute vendication de la liberté académique, de auditoires, bâtiments) ou les manifesta- la Suisse, les droits des sponsors par rapport l’indépendance de l’enseignement et de la tions (séminaires, congrès, festivités), il au choix des sujets de recherche, à la sélec- recherche est par ailleurs ancrée au plus est positif. Mais lorsqu’un sponsor privé fi- tion des chercheurs, à la publication des haut niveau: la Constitution et la loi en nance une chaire, ou toute une institution, résultats de recherche et à leur utilisation. font une obligation pour les universités. Et alors que ses résultats d’enseignement et Il s’agira aussi d’établir dans quelle mesure ce pour une bonne raison: la société attend de recherche présentent pour lui un inté- l’accord de sponsoring doit être rendu pu- que ces dernières soient des lieux de forma- blic. De telles règles font défaut jusqu’à au- tion, mais aussi d’expertise et de recherche jourd’hui. Elles doivent être mises sur pied fondamentale indépendantes. Sans liberté maintenant, avant que la part de finance- de penser et d’agir, les hautes écoles ne L’indépendance et la ment privé n’augmente encore. Les enjeux, peuvent honorer cette exigence. Jusque-là, crédibilité des universités ce sont la crédibilité des universités et l’as- tout le monde est d’accord. surance de leur pérennité. Ni plus ni moins. En revanche, les esprits sont divisés sur sont en jeu. la question de savoir à quel point cette in- Markus Müller Markus Müller est professeur de droit public et dépendance universitaire est menacée par administratif à l’Université de Berne. le sponsoring privé. Les uns jugent celui-ci tout à fait bienvenu, dans un contexte de fi- rêt économique direct, cela devient pro- nances publiques tendues, alors que l’esprit blématique. L’institution ainsi sponsorisée de la croissance et de la concurrence est est vite soupçonnée d’être influencée par omniprésent. Le président de la Conférence le bailleur de fonds et par ses intérêts. Or, des recteurs des universités suisses décla- aux yeux du public, ce soupçon suffit à por- rait ainsi récemment au journal Schweiz am ter durablement atteinte à la crédibilité de Sonntag: «Ne pas recourir aux bailleurs de l’institution. Car comment faire confiance fonds privés serait suicidaire. Nous devons aux résultats obtenus par un chercheur nous rapprocher d’eux.» D’autres, dont je «payé»? fais partie, jugent préoccupants l’esprit de Ce dernier ne peut pas s’immuniser par la croissance et de la concurrence, ainsi que ses propres moyens contre les influences, l’augmentation de la part privée dans le le processus étant inconscient en règle financement de la recherche. A leurs yeux, générale. Ni la bonne volonté ni un accord c’est l’indépendance, la crédibilité des uni- contractuel ne suffisent à le mettre à l’abri. 8 Fonds national suisse – Académies suisses: Horizons n°99
L orsque j’évoque devant mes collè- ment vaciller la domination de la politique cisément les projets novateurs et interdis- gues aux Etats-Unis le débat helvé- scientifique publique. En forçant un peu le ciplinaires qui trouvent plus facilement tique sur le financement privé de la trait: être indépendant, c’est avoir le choix. du soutien auprès de bailleurs de fonds science, ils froncent les sourcils d’un Cela vaut aussi pour le financement des privés qu’auprès des services d’encourage- air étonné. Pour eux, le financement privé sciences. C’est seulement une fois qu’elles ment publics, car, souvent, ils ne cadrent est une attestation de performance et non ont le choix entre un financement de base, pas avec des structures d’encouragement une marque d’infamie. En même temps, des fonds publics d’encouragement par prédéfinies et politiquement négociées. Si ils m’envient la sécurité d’un financement le FNS ou l’UE, et des fonds privés, que les ces projets de recherche financés au départ public. Les universités d’élite, comme Har- universités peuvent développer leur auto- par des privés réussissent, il n’est pas rare vard et Yale, ont beaucoup plus souffert des nomie. Enfin, l’Etat conditionne lui aussi qu’ils soient ensuite inclus dans le budget conséquences de la crise financière que les de la haute école. universités européennes, dont les budgets Au final, le reproche de la vénalité n’af- sont garantis par l’Etat. fecte pas les universités, mais il jette sur les Toutefois, cette faiblesse financière ne Etre indépendant, c’est chercheuses et chercheurs qui obtiennent s’est par répercutée favorablement sur les avoir le choix, également des soutiens privés un inacceptable soup- universités européennes au niveau des çon. Comme par le passé, personne, dans classements internationaux. La garantie pour le financement des les hautes écoles de Suisse, n’est obligé d’ac- publique de la liberté de la recherche et le sciences. cepter ou d’acquérir des financements pri- fait que l’Etat assure la majeure partie du fi- vés. En même temps, le fait de réussir à les nancement sont étroitement liés. Pourtant, Georg von Schnurbein attirer ne semble pas dommageable pour en fin de compte, la qualité de la recherche la réputation, mais plutôt donner raison ne dépend pas du mode de financement, l’octroi de deniers publics à la recherche à la maxime «On ne prête qu’aux riches»: mais de l’adhésion de la communauté moyennant des instructions et des attentes en matière de subsides de recherche, des scientifique à ses résultats. Dans la compé- bien claires, dans le cadre de contrats de hautes écoles comme l’EPFL et des scienti- tition internationale des procédures d’ap- prestations. fiques comme l’économiste Ernst Fehr, di- pel, des coopérations de recherche et des Plus de la moitié des étudiants en Suisse recteur du nouvel UBS International Cen- publications, la question du financement sont immatriculés dans une université ter of Economics in Society à l’Université devient marginale. figurant parmi les 100 meilleures, selon le de Zurich, ont apparemment une longueur Le montant de certains dons, comme classement international QS; cette propor- d’avance. Eux qui, dans le passé, ont solli- celui d’UBS, ne doit pas faire oublier que tion est à la fois la plus élevée au monde et cité et obtenu des fonds de tiers, publics ou les fonds privés, en Suisse, représentent un indice de l’homogénéité de la qualité de privés. tout juste 6% du budget des hautes écoles. nos hautes écoles. Cependant, le finance- Le financement privé de la science ne ment public de base ne suffit pas à couvrir Georg von Schnurbein est professeur assistant de remet donc pas en question le primat du les investissements croissants en sciences gestion des fondations et directeur du Centre for financement public. Mais il fait certaine- naturelles et en médecine. Or, ce sont pré- Philanthropy Studies de l’Université de Bâle. Fonds national suisse – Académies suisses: Horizons n°99 9
Point fort virage énergétique «Aussi longtemps que nous nous représentons la technique comme un instrument, nous restons pris dans la volonté de la maîtriser.» Martin Heidegger ETH I, CHAUFFAGE À DISTANCE DE L’EPFZ, ZURICH, 2001. INTÉRIEUR DE LA CHAMBRE DE C OMBUSTION, LONGUEUR 15 m, L ARGEUR 8 m, HAUTEUR 15 m. Photo: Luca Zanier 10 Fonds national suisse – Académies suisses: Horizons n°99
Quelles énergies pour demain? L’humanité est confrontée à un choix crucial. Pour éviter pénurie et désastre écologique, elle est tenue de miser sur des sources d’énergie renouvelables. La Suisse entend renoncer au nucléaire et opérer un grand virage énergétique. Les chercheurs sont sollicités afin de trouver des solutions nouvelles, également en sciences sociales. Fonds national suisse – Académies suisses: Horizons n°99 11
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Point fort virage énergétique La recherche environnementale a beaucoup fait pour comprendre certains problèmes comme le changement climatique. A l’avenir, elle doit se concentrer davantage sur les besoins de l’humanité tels l’énergie et développer des solutions. Par Marcel Falk Pour un échange intelligent «L ’influence de l’homme sur le de l’eau, de la croissance économique ou de climat est claire.» Cette phrase l’énergie. figure dans le résumé du der- Recentrer davantage la recherche envi- nier rapport sur le climat. «Tous ronnementale sur les besoins de l’huma- les Etats membres du GIEC cautionnent nité est l’objectif essentiel de l’initiative cette phrase», a déclaré le climatologue «Future Earth» de l’ICSU (Conseil interna- suisse Thomas Stocker, codirecteur du rap- tional pour la science) qui vient de démar- port, lors de la présentation de ce dernier. rer. Les Académies suisses des sciences ont Le GIEC (Groupe d’experts intergou- aussi fondé une Commission Energie pour vernemental sur l’évolution du climat) a accompagner le tournant énergétique, remporté un grand succès. Aucune autre afin de mettre des faits et des scénarios à organisation scientifique n’a réussi à sen- disposition du politique. sibiliser gouvernements et populations Pendant son élaboration, le rapport du à une situation aussi complexe. Dans la GIEC a été soumis à trois reprises aux gou- foulée, de nombreuses initiatives privées vernements. Si l’on veut qu’ils puissent et publiques ont vu le jour. Le débat sur le poser certaines questions importantes à la climat est aussi le moteur du «virage éner- société, les destinataires de rapports scien- gétique» que vise la Suisse. Mais au final, tifiques doivent être impliqués. Pour un le bilan du GIEC reste décevant: chaque projet aussi complexe que le virage éner- année, les émissions de gaz à effet de serre gétique, de nouveaux partenariats entre augmentent. science et société – dans le respect des En matière de thématiques environne- rôles de chacun – et de nouvelles formes mentales, la science s’est jusqu’ici mobili- de dialogue sont nécessaires. sée autour des problèmes. Le GIEC étudie Comme le relève Roland Fischer dans les causes et les effets du changement cli- son article (voir pages 19 et 20), il n’existe matique, en indiquant quelques axes d’ac- pas de «recette technologique» pour le tion. Dans le domaine de la biodiversité tournant énergétique. Ni de «recette scien- également, une organisation a été créée tifique». A elle seule, la science n’est pas sur le modèle du GIEC. Pourtant, les gens – en mesure de tout résoudre. Mais si elle et les gouvernements – ne s’intéressent dialogue intelligemment avec la société, souvent pas directement au climat et à la beaucoup de choses peuvent devenir pos- biodiversité, mais veulent de la nourriture, sibles. «Rien n’est plus laid qu’un outil brisé et jeté sur un tas, rien n’est plus laid qu’une machine rouillée, une roue brisée au bord de la route.» Alain T RIANEL I, CENT RALE AU CHARBON À LÜNEN ( WEST PHALIE), 2001. INTÉRIEUR DE LA TOUR DE REFROIDISSEMENT, HAUTEUR 160 m. Photo: Luca Zanier Fonds national suisse – Académies suisses: Horizons n°99 13
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Point fort virage énergétique Optimiser la consommation et la production d’énergie De nombreux scientifiques suisses se penchent sur la problématique de l’énergie, qu’il s’agisse de rendre plus efficace sa production ou de limiter le gaspillage lié à sa consommation. Certains visent, par exemple, à contenir les quantités d’électricité sans cesse croissantes que consomme Internet, d’autres à optimiser la production d’énergie éolienne. Par Anton Vos I nternet est un monstre boulimique. La le moins efficient qui soit du point de vue quantité d’informations dont il regorge énergétique.» et la circulation de données qui le tra- Le concept RESPONSE optimise ce fonc- verse augmentent continuellement. tionnement dispendieux en calculant au Par voie de conséquence, l’énergie que préalable le plus d’informations de routage cette vaste infrastructure consomme suit possible et en utilisant un mécanisme en la même pente, au point de devenir une ligne qui active et désactive les éléments source d’inquiétude pour l’économie et du réseau sur demande, selon qu’ils sont l’environnement. Rien qu’en Suisse, selon utilisés ou non. Les travaux des chercheurs une estimation basée sur des données de ont montré que ce système, s’il est installé 2009 et réalisée par l’Empa, la consomma- dans un réseau informatique, obtient un tion d’Internet atteint 4,6 TWh par an, soit meilleur résultat que d’autres solutions environ 7,8% de la consommation totale déjà existantes mais avec l’avantage de d’électricité dans le pays. Une centrale nu- n’avoir quasiment aucun impact sur la cléaire comme celle de Mühleberg ne suffit réactivité du réseau. plus à assurer le fonctionnement de l’en- L’équipe a poursuivi ses investigations semble du matériel impliqué dans le réseau en s’intéressant à la partie plus en amont helvétique (ordinateurs, routeurs, serveurs, d’Internet que constituent tous les mo- etc). Et la tendance, à l’échelle mondiale, dems, routeurs et autres multiplexeurs n’est pas à la baisse. d’accès présents chez chaque utilisateur du réseau. Ces engins ne consomment en RESPONSE au gaspillage eux-mêmes pas beaucoup d’énergie mais C’est à cet appétit apparemment sans li- représentent au total plus des trois quarts mites que s’est attaqué Dejan Kostic, pro- de l’électricité engloutie par Internet. La fesseur au Laboratoire de systèmes en solution originale proposée par l’équipe de réseau de l’EPFL, et, depuis novembre 2012, Dejan Kostic permet, du côté des utilisa- à l’Institut IMDEA Networks à Madrid. En teurs comme des fournisseurs d’accès, de collaboration avec les chercheurs de Tele- mettre en veille les appareils qui peuvent fonica Research (Espagne) et avec l’aide de se le permettre grâce à l’analyse du trafic Nedeljko Vasic, il a mis au point un concept sur Internet. Si cette technologie était ap- baptisé RESPONSE qui rendrait possible pliquée à l’échelle mondiale, les chercheurs une économie de 30 à 40% de l’énergie estiment les économies à quelque 33 TWh «Plus le niveau de la technique consommée par les différents éléments par année, soit la production annuelle de est élevé, plus les avantages que d’un réseau d’ordinateurs. trois centrales nucléaires. peuvent apporter des progrès «Les réseaux sont conçus pour répondre nouveaux diminuent par rapport aux à deux impératifs: redondance et bande Gestion des opérations inconvénients.» passante surdimensionnée, explique le Dans le même état d’esprit, Ari-Pekka Simone Weil chercheur. Cela leur permet d’encaisser Hameri, professeur au Département des KAT RIN II, INSTITUT DE TECHNOLOGIE les grandes variations de trafic et de main- opérations de la Faculté des hautes études DE KARLSRUHE, 2001. INTÉRIEUR DU tenir en toutes circonstance les services commerciales de l’Université de Lausanne, S PECT ROMÈT RE PRINCIPAL. qu’ils offrent aux internautes. Du coup, a choisi d’appliquer à des fermes d’ordina- Photo: Luca Zanier les réseaux fonctionnent dans le régime teurs (clusters) les principes de «gestion des Fonds national suisse – Académies suisses: Horizons n°99 15
Point fort virage énergétique «Notre objectif est de produire plus de biens informatiques en consommant moins d’électricité.» Ari-Pekka Hameri, économiste opérations», bien connue dans l’industrie interactions avec des éoliennes. L’idée, à d’air d’altitude n’est d’ailleurs pas une idée manufacturière. L’idée de son projet, qui a terme, est d’optimiser la conception de nouvelle. Deux stratégies sont possibles. démarré au début de cette année, consiste champs de turbines tout en mesurant l’im- Soit le générateur d’électricité est embar- en effet à considérer que ces ensembles de pact d’une telle installation sur la météoro- qué à bord de l’aile (pas mal d’efforts ont processeurs et de disques durs connectés logie locale. été menés dans ce sens), soit le générateur pour augmenter leur capacité de calcul et/ «Les équations de la dynamique des reste au sol. Nous avons choisi de suivre ou de stockage fonctionnent comme des fluides permettent déjà d’élaborer une ex- cette seconde approche. L’idée consiste à usines traditionnelles. Ils ont une liste de cellente compréhension du comportement exploiter la force de traction de l’aile sur travaux à réaliser et doivent livrer un pro- des flux d’air à toutes les échelles qui inté- le fil. Ce dernier est en effet accroché à duit fini dans des délais impartis. ressent l’étude de l’énergie éolienne (allant une bobine qui, en se déroulant, produit de «Notre objectif revient donc à produire du kilomètre jusqu’au mètre), explique l’électricité. Bien sûr, les phases de produc- plus de biens informatiques en consom- le chercheur. La difficulté de l’exercice tion alternent avec des pauses durant les- mant moins d’électricité grâce à une ges- consiste cependant à faire entrer dans ces quelles il faut rembobiner …» tion des ressources informatiques comme modèles les composantes des turbulences La tâche du chercheur dans le pro- s’il s’agissait d’une ligne de production qui apparaissent à des échelles plus petites jet consiste à développer un moyen de d’automobiles, précise le chercheur. A notre que la grille de simulation elle-même, mais contrôle automatique de l’aile, surtout connaissance, cette approche est originale. qui sont indispensables pour assurer une lorsqu’il se trouve dans des conditions mé- Il faut dire que jusqu’à maintenant, la ten- bonne précision du modèle.» téorologiques extrêmes. Le dispositif est en dance générale a consisté à augmenter Plusieurs solutions numériques ont été effet censé pouvoir fonctionner de manière simplement le nombre d’ordinateurs en proposées ces dernières décennies mais autonome, durant de longues périodes et fonction des besoins croissants plutôt qu’à elles présentent toutes des inconvénients par tous les temps. Ce qu’aucun parmi le optimiser leur fonctionnement.» rendant les simulations instables dans dif- très petit nombre de groupes de recherche Les premières tentatives dans le do- férents contextes météorologiques. Dans par le monde actuellement actifs dans ce maine de la physique – réalisées au CERN un récent article, Fernando Porté-Agel et domaine n’a réussi. à Genève, qui compte pas moins de 200 000 son équipe proposent notamment un nou- Ces quatre projets ne prétendent pas ré- ordinateurs en réseau – ont montré que veau modèle dont ils estiment qu’il accom- soudre la problématique énergétique à eux l’optimisation de la charge de travail d’une plit un important progrès dans ce domaine. seuls. La plupart des experts s’accordent ferme d’ordinateurs peut doubler ses per- Un autre travail a, quant à lui, permis de d’ailleurs à dire que la solution ne provien- formances finales tout en réduisant de ma- valider la simulation des flux d’air autour dra pas d’un deus ex machina technologique. nière importante la consommation d’élec- d’une éolienne par des mesures dans une Cependant, en s’attaquant à des théma- tricité. D’autres tests ont également été soufflerie. tiques bien précises mais très diverses – menés depuis le début de l’année. Les ré- tant en matière de développement de nou- sultats sont prometteurs mais demandent Plus haut, plus fort, plus longtemps velles techniques de production d’énergie, maintenant d’être approfondis avant de L’influence de la topographie sur le régime d’amélioration de l’efficience des techno- pouvoir être commentés. des vents, Colin Jones, professeur assistant logies actuelles (cellules photovoltaïques, «On s’attend à ce que nos résultats au Laboratoire d’automatique de l’EPFL, batteries, stockage de l’hydrogène, etc.) puissent être utiles pour le cloud computing, n’en a cure. Et pour cause. Le but de son que de baisse de la consommation – la re- les médias sociaux et autres services com- projet consiste à exploiter l’énergie éo- cherche peut offrir un puzzle de solutions merciaux», estime Ari-Pekka Hameri. lienne très loin du sol, à 100 ou 150 mètres à même de faciliter le virage énergétique. d’altitude, à l’aide de cerfs-volants un peu L’éolienne au mieux de sa forme particuliers. Lui et ses collègues de l’EPFZ Dans un tout autre secteur de l’énergie, et de la Haute école spécialisée de la Suisse Fernando Porté-Agel, professeur au Labo- du Nord-Ouest développent en effet un «Chaque progrès donne un nouvel ratoire d’ingénierie éolienne et d’énergie système qui ressemble fort à un kitesurf. espoir, suspendu à la solution d’une renouvelable à l’EPFL, ne cherche pas à di- Sauf qu’à la place de l’amateur de glisse se nouvelle difficulté.» minuer la consommation d’électricité mais trouve un camion muni d’un générateur Claude Lévi-Strauss à en produire le plus possible. L’objectif de d’électricité. son projet consiste en effet à développer «En altitude, le vent est beaucoup plus SPLIT I, INTÉRIEUR DU PÉT ROLIER STENA un modèle de simulation numérique ultra- fort et plus constant que près du sol, ex- P ROGRESS, 2009. C APACITÉ DE 65 065 tpl. précis des turbulences du vent et de leurs plique Colin Jones. Exploiter ces courants Photo: Luca Zanier 16 Fonds national suisse – Académies suisses: Horizons n°99
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Point fort virage énergétique Pour le tournant énergétique, et surtout pour une transformation effective du sys- tème suisse (de l’énergie), des compétences en sciences sociales sont nécessaires.» Si l’on regarde de plus près sa stratégie Recherche énergétique: de recherche énergétique, la Confédération semble, au premier abord, avoir pris ce mes- sans les humanités? sage à cœur: en été 2012, deux nouveaux Programmes nationaux de recherche ont été mis au concours afin de nous aider à né- gocier le «virage énergétique». Le premier, intitulé justement «Virage énergétique» Tournant énergétique, gestion (PNR 70), se concentre sur les innovations durable des ressources: les scientifiques et technologiques, tandis que le second, «Gérer la consommation de sciences humaines et sociales sont l’énergie» (PNR 71), s’attache principale- peu impliquées dans les efforts ment aux questions socio-économiques». Il a pour but «de préparer le virage éner- déployés pour relever ces défis. Un gétique en fournissant aux autorités de changement de mentalité doit-il régulation des bases scientifiques en vue s’opérer dans les instituts ou en de leurs choix de stratégie et en leur propo- sant des approches pratiques». politique? Par Roland Fischer Priorité aux technologies Toutefois, l’ordre et, bien entendu, les bud- gets de ces programmes (37 millions de francs pour le premier, 8 millions pour le second) signalent clairement que, dans la U logique de la Confédération, les innova- ne souris qui fixe, pétrifiée, la gueule tions technologiques ont la priorité. Pour- du serpent: telle est la posture de tant, «au niveau international, le standard la planète face à la menace de la est de considérer le tournant énergétique catastrophe climatique. La science comme une thématique sociétale, et pas connaît-elle une issue? La Suisse, en tout avant tout technologique», souligne Paul cas, place de grands espoirs en elle, comme Burger, expert en développement durable l’écrit le Fonds national suisse: «La ‹Straté- à l’Université de Bâle, en citant les grands gie énergétique 2050› de la Confédération programmes allemands de recherche en marque un tournant de la politique énergé- sciences sociales sur le sujet. Selon lui, le tique basée sur une utilisation accrue des programme de la Confédération est trop énergies renouvelables et une meilleure timide, la limite supérieure de 400 000 efficacité énergétique. La recherche a un francs par projet ne permettant pas «de rôle stratégique à y jouer.» grandes choses». Une question reste entière: de quelle Heinz Gutscher, psychologue social, an- recherche parle-t-on? Qui sont les scienti- cien président de l’Académie des sciences fiques qui trouveront la réponse à ces ques- humaines et sociales, et président de Pro- tions? Des ingénieurs, des climatologues, Clim, est agacé par ce penchant pour le des physiciens? Lors d’un micro-trottoir «technological fix» (recette technologique sur la question, les personnes interrogées toute prête). Il déplore aussi la séparation citeraient sans doute différentes pers- du programme en deux domaines articulés pectives scientifiques, sauf une: celle des autour de disciplines différentes, «même si, sciences humaines et sociales. admet-il, d’un point de vue pragmatique, Pourtant, tous les experts du climat c’était probablement la bonne décision. Il s’accordent à dire que la technologie à elle n’existe malheureusement toujours pas de seule ne résoudra pas le dilemme entre points de contact entre les approches tech- croissance économique et réduction des nologiques et sociétales dans la recherche émissions de CO2. Nombre de solutions sur l’énergie». techniques existent déjà, mais leur uti- A l’inverse, Andreas Balthasar, spécia- lisation à grande échelle se heurte à des liste en sciences politiques à l’Université «ll me semble qu’ils confondent but obstacles. Comme le formule une prise de de Lucerne et président du Comité de di- et moyen, ceux qui s’effraient par position de 2012 de ProClim, le «Forum for rection du PNR 71, est d’avis qu’il existe une trop de nos progrès techniques. La Climate and global Change» de l’Académie étroite collaboration avec le PNR 70. Pour machine n’est pas un but, c’est un des sciences naturelles: «Sans une volonté lui, cette dernière a commencé avec l’éla- outil, comme la charrue.» de la société toute entière de modifier son boration commune de la mise au concours. Antoine de Saint-Exupéry usage de l’énergie, de tels changements «Comme le PNR 70 soutiendra en première FERRERA III, VALLE DI LEI, GRISONS, sont inconcevables. Sur ce point, la poli- ligne des projets en lien avec les chaînes 2009. GALERIE D’ACCÈS À LA CENTRALE tique énergétique est aussi une politique de valorisation, les questions sociales vont S OUTERRAINE, LONGUEUR 180 m, sociétale, et la recherche énergétique doit inévitablement se poser, comme la tarifi- H AUTEUR 5 m. Photo: Luca Zanier également être une recherche sociétale. cation, la mise en œuvre juridique ou l’ad- Fonds national suisse – Académies suisses: Horizons n°99 19
Point fort virage énergétique hésion de la société. Des experts des deux miques, rappelle-t-il, et cela n’empêche pas programmes auront des échanges intensifs de mener à bien une recherche fondamen- sur ces questions.» tale remarquable. Andreas Balthasar pense pour sa part que de nombreux chercheurs Expertise approfondie en sciences sociales apprécient «que le L’argument ne convainc pas Paul Burger: Conseil fédéral ait compris que les sciences les sciences naturelles continuent à ne sociales étaient susceptibles d’apporter concéder guère plus aux sciences sociales une contribution importante au tournant que la conduite d’études sur l’adhésion, af- énergétique». firme-t-il. Alors que les sciences humaines Pour Paul Burger et Heinz Gutscher, le pourraient contribuer à une expertise problème demeure le manque d’incitations approfondie, faire davantage qu’étudier si à se montrer actif dans ce champ. Le pre- la population locale accepte bien un parc mier estime que si, jusque-là, les sciences éolien. Ici, rappelle-t-il, les questions sont sociales ne se sont pas assez penchées sur structurelles et plus vastes, comme celle de les sujets liés à l’énergie, c’est parce que la savoir dans quelle mesure il existe un rap- politique de la recherche n’a pas amorcé port entre de nouvelles formes d’énergie de mouvement dans ce sens. Une oppor- et de nouvelles structures économiques, tunité manquée malgré le PNR 71. Et qu’en telles que des associations régionales. Ou est-il des sciences humaines? Elles restent encore celle de la définition de critères de à l’écart, admet le deuxième, notamment qualité de vie. parce qu’en vertu d’une «vision naïve» de la En guise d’exemple réussi, Heinz Guts- situation, empreinte de scientisme, seules cher cite le Bits to Energy Lab. Cette initia- les sciences sociales pourraient à la rigueur tive de recherche de l’EPFZ et des universi- contribuer au tournant énergétique. tés de Saint-Gall et de Bamberg (Allemagne) analyse le comportement des consomma- Utilisation durable des ressources teurs. Son objectif: faire en sorte d’obtenir Mais des voix autocritiques s’élèvent aussi. des économies de consommation d’énergie Ainsi, il y a un an, dans sa prise de position grâce aux technologies de l’information. «Pour un renouvellement des sciences hu- Heinz Gutscher invite aussi les historiens maines», l’Académie des sciences humaines à étudier la manière dont les sociétés, par et sociales écrivait: «La conscience que les le passé, ont géré des crises comparables: moyens techniques seuls ne permettent «L’histoire de l’humanité a été ponctuée de pas de résoudre les difficultés actuelles pénuries d’énergie, et des issues ont tou- suscite une demande considérable de jours fini par être trouvées, rappelle-t-il. Il contributions des sciences humaines en ce y aurait encore beaucoup à apprendre à cet qui concerne les problèmes sociaux. Celle- égard.» ci n’est toutefois pas suffisamment satis- Les exemples et les idées sont donc là, et faite.» Pour y remédier, «la formation pour- pourtant, dans ce domaine, la Suisse a en- rait être améliorée de façon substantielle core des allures de pays en développement. grâce à une conscience aiguë de la contri- Pourquoi ne mène-t-on pas davantage de bution possible des sciences humaines recherche «appliquée» en sciences sociales à gérer les grands défis de notre temps», pour certains problèmes écologiques pres- précisait l’Académie qui citait notamment sants? La retenue s’explique-t-elle par la en exemple «l’utilisation durable des res- crainte de se faire instrumentaliser? Les sources (eau, énergie, matières premières)». sciences sociales seraient-elles en train L’une de ses recommandations concer- d’être rattrapées par le débat, bien connu nait aussi le fossé évoqué par Paul Burger: en sciences naturelles, de savoir à quel l’obligation pour les étudiants en sciences point la recherche fondamentale «pure» humaines de suivre durant leur cursus doit quitter la haute mer de la curiosité du au moins un cours dans une faculté des chercheur pour aborder les bancs de sable sciences naturelles. Pour Heinz Gutscher, d’un agenda politique? il existe au minimum un point de contact: Selon Paul Burger, «le blocage est plutôt les histoires, qui sont un moteur pour les dû au profond fossé qui s’est creusé entre changements sociétaux, pour la motiva- sciences sociales et sciences naturelles. tion des êtres humains: «Mais qu’est-ce Il n’existe pas de véritable intérêt pour qu’une bonne histoire?» demande-t-il. Un une coopération, ni pour les problèmes de vaste champ, bien sûr. Qu’un spécialiste en l’autre bord». A ses yeux, il faut créer une littérature sait sans doute mieux cultiver «Le souci de l’homme et de son nouvelle génération de chercheurs: «Nous qu’un ingénieur. destin doit toujours constituer avons besoin de jeunes gens qui ne sont l’intérêt principal de tous les efforts pas tombés dans ce piège.» Et le refus de se techniques; ne jamais l’oublier laisser manipuler? «Faire de la recherche au milieu des diagrammes et des intégrée ne signifie pas forcément que équations.» je sois manipulé, objecte l’expert bâlois. Albert Einstein Même si mon travail de master porte sur JOSEFST RASSE I, INTÉRIEUR DE L’USINE une question posée par une ONG.» Faire de D’INCINÉRATION DE LA JOSEFS TRASSE, la recherche intégrée signifie être intégré ZURICH, 2008. Photo: Luca Zanier dans des processus politiques et écono- 20 Fonds national suisse – Académies suisses: Horizons n°99
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Point fort virage énergétique Cartoon Créativité contrôlée? Le «virage énergétique» annoncé par la Confédération apporte des innovations en termes de politique énergétique. Mais il ne faudrait pas trop attendre des scientifiques. Par Urs Hafner L e «virage énergétique» est sur toutes La politique du tournant énergétique les lèvres. Après Fuskushima et à l’ins- s’inscrit donc dans la tradition helvétique, tigation de la Confédération, la Suisse mais apporte trois nouveautés, comme le est censée modifier au cours des pro- relève Ueli Haefeli, historien de l’environ- chaines décennies son approvisionnement nement. La première réside dans la volonté en énergie: en abandonnant le nucléaire, le de la Confédération d’influencer l’offre par pétrole et le charbon, et en se tournant vers le biais de la promotion des énergies re- des sources propres et durables, comme le nouvelables ou de l’abandon du nucléaire. solaire, l’éolien et l’hydraulique. La Confé- Deuxième nouveauté: l’Etat central veut dération réserve aux scientifiques un rôle contrôler la demande, en augmentant les important dans cette transformation: à subsides pour l’assainissement des bâti- eux de montrer à la société comment réali- ments, ou en imposant des directives d’ef- ser le tournant énergétique. ficacité énergétique plus strictes pour les Cette volonté politique de contrôle, appareils. Jusque-là, la politique énergé- légitimée par le peuple, favorisera sans tique s’était contentée de créer des condi- doute la transformation écologique, mais tions-cadres neutres du point de vue tech- elle a de quoi étonner. Ne vivons-nous pas nologique, cela pour une offre ne cessant de dans une économie de marché où la libre croître. Troisième nouveauté: selon Daniel concurrence devrait finir par accoucher de Krämer, historien économiste, le tournant la meilleure solution? Le fait est que, tradi- énergétique pourrait signifier un retour tionnellement, en Suisse, l’approvisionne- vers l’approvisionnement énergétique «Le tournant ment énergétique porte la marque de l’Etat communal et décentralisé du XIXe siècle. (Confédération, cantons et villes). Comme Le changement de paradigme est d’au- énergétique pourrait il ressort du «Dictionnaire historique de la tant plus frappant si l’on compare le virage signifier un retour vers Suisse», il est en mains communales depuis énergétique avec la «Conception globale de que les villes ont racheté les producteurs l’énergie» lancée par la Confédération dans l’approvisionnement privés de gaz et d’électricité au XIXe siècle. les années 1970. Cette dernière a constitué communal et Les cantons ont joué un rôle décisif lors une première conséquence de la politisa- de la fondation des grandes compagnies tion de l’approvisionnement en énergie. déecentralisé.» d’électricité. Elaborée sous l’effet de la crise pétrolière, Daniel Krämer, des contestations antinucléaires et du rap- historien économiste La houille blanche port du Club de Rome (1972), elle avait pour Avec la Première et la Deuxième Guerres premier objectif de faire des économies. mondiales, la Confédération a renforcé ses Mais elle a finalement eu un impact réduit, activités en matière de politique énergé- explique Ueli Haefeli. tique afin de se soustraire à la dépendance Les déclarations des offices fédéraux au charbon importé de France et d’Alle- concernés témoignent de l’ampleur des magne, qui constituait alors la principale espoirs placés dans les sciences. On attend source d’énergie, et de jouir d’une autar- d’elles qu’elles développent de nouveaux cie en la matière. Elle a misé sur l’hydrau- programmes, des technologies nova- lique (la «houille blanche») qui avait per- trices pour une utilisation plus efficace mis l’électrification précoce des chemins des sources d’énergie, mais aussi qu’elles de fer et, dès les années 1950, sur l’énergie identifient dans le comportement humain nucléaire. L’importance du pétrole allait ce qui pourrait empêcher ou favoriser le croissant, mais il fallait l’importer. Les va- tournant énergétique. Il ne faudrait pour- gues de libéralisation des années 1980 et tant pas en attendre trop. Les chercheurs 1990, portées par l’Union européenne, n’ont ne peuvent pas accomplir des miracles, pas changé grand-chose à ce refus d’aban- surtout pas sur commande: les sciences et donner l’approvisionnement en énergie leur indispensable créativité ne sont guère aux forces du marché. Contrairement au contrôlables. Il est rare qu’elles trouvent domaine des télécommunications, elles des réponses convaincantes à des ques- n’ont eu pratiquement aucun impact sur le tions fixées d’avance. Souvent, la connais- secteur de l’énergie. sance émerge de manière anarchique. 22 Fonds national suisse – Académies suisses: Horizons n°99
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