TRADUIRE POUR LES ENFANTS - LE MAGAZINE D'INFORMATION DES LANGAGIERS - BANQ

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TRADUIRE POUR LES ENFANTS - LE MAGAZINE D'INFORMATION DES LANGAGIERS - BANQ
LE MAGAZINE D’INFORMATION DES LANGAGIERS                                                         Numéro 103 • Printemps 2009

                                                                                                                 www.ottiaq.org

                                                            T R A D U I R E P O U R L E S E N FA N T S
Envoi de publication canadienne convention numéro 1537393
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POUR         COMMENCER

Du tout petit à l’universel :
vastes compétences et petit marché                                                                              N   O
                                                                                                                        103         PRINTEMPS               2009

                                                                                                                        Dossier                                 5
                    Yolande Amzallag, trad. a.                                                                           Circuit s’intéresse au noble art
                                                                                                                         de faire découvrir aux jeunes
                                                                                                                         et aux enfants d’aujourd’hui

                  L      es pages de notre dossier le confirment : traduire pour les jeunes n’est pas                    des réalités différentes de la
                                                                                                                         leur. Nous explorons quelques
                         un jeu d’enfant. Et malgré la légèreté apparente du propos, l’œuvre est loin                    facettes de cette spécialité mal
                   d’être futile. Le livre est la première fenêtre ouverte à l’enfant hors du monde                      connue qu’est la traduction
                   concret. En découvrant la magie des mots et des images, l’enfant se soustrait à                       jeunesse.
                   sa pensée magique et libère la puissance créatrice de son imagination. Le livre ici
                   prend un sens large et s’entend non pas comme support, mais comme contenu.                           Sur le vif                            18
Des premiers contes et comptines à tous les « produits dérivés » de la littérature jeunesse,                             La Semaine de la terminologie 2008 ;
y compris les films, séries télé, sites Web, la traduction est à la culture ce que le livre est à l’enfance :            le Congrès mondial sur la traduction
                                                                                                                         spécialisée ; Échappées sur le futur ;
une ouverture à la différence, essentielle à l’élan vital.
                                                                                                                         Notes et contrenotes.
     Ne sommes-nous pas tous façonnés par les contes de notre enfance qui, bien avant Disney, ont
traversé le temps et l’espace pour nous émouvoir et nous émerveiller ? Or, Perrault, Grimm, Andersen
et bien d’autres célèbres conteurs ont d’abord été passeurs, ou traducteurs, de contes et légendes
                                                                                                                        Des livres                              21
populaires. À notre époque et au Québec, la traduction pour les jeunes a une fonction sociale bien                       Le Larousse des noms communs.
                                                                                                                         Les nouveautés.
particulière. C’est non seulement un tremplin vers l’universalité, mais aussi une passerelle entre le
continent de la langue française et l’univers culturel nord-américain. Pour les jeunes francophones
d’Amérique, ce lien est essentiel puisque leur univers social se situe au confluent de ces deux
                                                                                                                        Des revues                              24
sources, dont ils doivent très tôt apprendre à concilier les divergences. Philippe Caignon et Solange                    Profession : vérificateur de l’exactitude
                                                                                                                         technique de la traduction ; la traduction
Lapierre nous proposent dans ce numéro un dossier passionnant. Outre les qualités que partagent                          du genre : tout un défi.
tous les traducteurs et créateurs de littérature enfantine, on y découvre que les traducteurs
canadiens ont développé une compétence de pointe, ancrée dans une fine compréhension des
subtilités des langues anglaise et française, de la culture anglo-saxonne et du vécu nord-américain.                    Des techniques                        25
Cette compétence sera-t-elle un jour reconnue à sa juste valeur dans le marché mondial ? Lors d’une
                                                                                                                         Il est maintenant possible de faire
rencontre des Parcours professionnels pour la lecture jeunesse en 2005 (Université de Marne-la-                          des recherches dans les numéros
Vallée), Léa Mevel soulignait que « chez Hachette, 60 à 80 % de la production est étrangère car                          passés de Circuit grâce à la version
cette maison a les moyens d’assumer une chasse aux droits sans merci ». Nos éditeurs peuvent-                            Web du magazine.
ils se mesurer à la concurrence européenne ? Le problème dépasse les frontières du Québec,
puisqu’une grande part du marché mondial de la traduction littéraire demeure pratiquement                               Des mots                                26
inaccessible aux traducteurs canadiens, qu’ils soient francophones ou anglophones.                                       Certains emprunts à l’anglais
     Par ailleurs, Claire Le Brun-Gouanvic attire notre attention sur une « certaine résistance » aux                    sont utiles mais d’autres,
                                                                                                                         employés inconsciemment,
ouvrages destinés à la jeunesse canadienne traduits d’une langue officielle à l’autre. Comme le
                                                                                                                         sont plus périlleux. C’est le cas
souligne Rachel Martinez, « à peine 5 % des quelque 700 titres publiés » par Les éditions de la                          par exemple des anglicismes
courte échelle sont traduits, un chiffre bien inférieur à la proportion française citée plus haut. Ces                   syntaxiques qui ne correspondent
détails soulèvent le voile sur une tendance générale. Agnes Whitfield, traductrice et critique                           pas à la structure du français.
littéraire, auteure de Writing between the Lines, rappelle dans un article du trimestriel
Translations/Traductions, publié par l’Université de Toronto, le grand fossé qui divise les deux                        À titre professionnel                 27
solitudes au Canada : « the most alarming translation gap occurs when our important literary                             Circuit examines strategies
works, in both French and English, are not translated at all » (hiver 2007). Les traducteurs canadiens                   for limiting liability.
seraient-ils les cordonniers les plus mal chaussés de la profession ?
     Nos chroniques témoignent pourtant de l’influence incontestable du Canada et du Québec sur                          Pages d’histoire                       28
la scène mondiale. On y apprend que le Canada est une figure de proue de la Semaine de la                                Le bouddhisme : une philosophie
terminologie et du Congrès mondial sur la traduction spécialisée, deux événements organisés dans                         et un art de vivre diffusés à l’échelle
                                                                                                                         mondiale grâce à la traduction.
le cadre de l’Année internationale des langues.
     Quant à notre pratique, nous ne cessons de la perfectionner. Après le Guide des normes de
pratique professionnelles, notre Ordre nous propose un nouveau contrat type destiné à protéger                          Curiosités                              30
nos intérêts et à garantir l’intégrité de notre travail. Enfin, nous sommes fiers de présenter le                        Entretien avec Alain Côté,
nouveau Circuit version Web, une réalisation qui couronne un effort de longue haleine de la part                         traducteur québécois vivant
                                                                                                                         au Japon qui dirige un blogue
de tous les membres du comité de rédaction, mais plus particulièrement de Marie-Pierre Hétu et                           consacré à la langue et à la
de Pierre Cloutier.                                                                                                      littérature japonaises.
     Bonne lecture à tous !
2021, avenue Union, bureau 1108
          Publié quatre fois l’an par l’Ordre des traducteurs,
                                                                                                  Montréal (Québec) H3A 2S9
           terminologues et interprètes agréés du Québec
                                                                                                  Tél. : 514 845-4411, Téléc. : 514 845-9903
                                                                                                  Courriel : circuit@ottiaq.org
                                                                                                  Site Web : www.ottiaq.org

                                                                              Publicité
                                                                              Catherine Guillemette-Bédard, OTTIAQ
Vice-président, Communications — OTTIAQ
François Abraham
                                                                              Tél. : 514 845-4411, poste 225 • Téléc. : 514 845-9903                           Nous aimons
                                                                              Avis aux auteurs : Veuillez envoyer votre article à l’attention
Directrice                                                                    de Circuit, sous format RTF, sur CD-Rom ou par courrier élec-                     vous lire.
Yolande Amzallag                                                              tronique.
Rédactrice en chef                                                            Droits de reproduction                                                           Écrivez-nous
Gloria Kearns                                                                 Toutes les demandes de reproduction doivent être achemi-
Rédaction                                                                     nées à Copibec (reproduction papier).
                                                                              Tél. : 514 288-1664 • 1 800 717-2022 licenses@copibec.qc.ca
                                                                                                                                                                pour nous
Michel Buttiens, Philippe Caignon (Des mots), Brigitte Charest
(Des revues), Pierre Cloutier (Pages d’histoire), Marie-Pierre Hétu
(Des techniques), Didier Lafond (Curiosités), Solange Lapierre
                                                                              Material from The Extinct Files by Wallace Edwards reprinted by                   faire part
                                                                              permission of Kids Can Press Ltd., Toronto. Text and illustrations
(Des livres), Barbara McClintock, Éric Poirier, Eve Renaud
(Sur le vif)
                                                                              copyright © 2006 Wallace Edwards. / Les illustrations extraites
                                                                              de Dossier Dinosaures sont reproduites avec la permission des Édi-
                                                                                                                                                                  de vos
Dossier
Philippe Caignon et Solange Lapierre
                                                                              tions Imagine inc. Tous droits réservés 2009.

                                                                              La rédaction est responsable du choix des textes publiés, mais les opinions
                                                                                                                                                              commentaires.
Ont collaboré à ce numéro                                                     exprimées n’engagent que les auteurs. L’éditeur n’assume aucune responsa-
                                                                              bilité en ce qui concerne les annonces paraissant dans Circuit.
Brigitte Cappe Guyot, Alain Côté, Christiane Duchesne,
Didier Féminier, Michel Gatignol, Margaret Jackson, Svetla                    © OTTIAQ
                                                                              Dépôt légal - 2e trimestre 2009
Kaménova, Caroline Tarue, Claire Le Brun-Gouanvic, Pascale
                                                                              Bibliothèque et Archives nationales du Québec
Lortie, Rachel Martinez, Matthieu Ricard, Bérengère Rouard,                   Bibliothèque et Archives Canada                                               2021, avenue Union, bureau 1108
Caroline Roy, Vera White, Elisabeth Wörle                                     ISSN 0821-1876                                                                  Montréal (Québec) H3A 2S9
Direction artistique, éditique, prépresse et impression                       Tarif d’abonnement
Mardigrafe                                                                                                                                                         Tél. : 514 845-4411
                                                                              Membres de l’OTTIAQ : abonnement gratuit
                                                                              Non-membres : 1 an, 40,26 $ ; 2 ans, 74,77 $. Étudiants inscrits
                                                                                                                                                                  Téléc. : 514 845-9903
                                                                              à l’OTTIAQ : 28,76 $. À l’extérieur du Canada : 1 an, 46,01 $ ; 2 ans,          Courriel : circuit@ottiaq.org
                                                                              86,27 $. Toutes les taxes sont comprises. Chèque ou mandat-                      Site Web : www.ottiaq.org
                                                                              poste à l’ordre de « Circuit OTTIAQ » (voir adresse ci-dessus).
                                                                              Cartes de crédit American Express, MasterCard, Visa :
                                                                              www.ottiaq.org/publications/circuit_fr. php
                        100 % PC

Imprimé sur papier recyclé 30 % postconsommation (couverture)                            Deux fois lauréat du Prix de la meilleure
et 100 % postconsommation (pages intérieures), fabriqué avec des                         publication nationale en traduction de la
fibres désencrées sans chlore, à partir d’une énergie récupérée, le biogaz.              Fédération internationale des traducteurs.
DOSSIER                 TRADUIRE           POUR      LES   ENFANTS

        Le fabuleux récit
        de la traduction pour
        les jeunes et les enfants

P
         armi toutes les spécialités qui s’ouvrent aux traduc-
         trices et aux traducteurs, la traduction pour les jeunes
         et les enfants reste sans doute l’une des plus nobles.
Elle fait découvrir à la jeunesse d’aujourd’hui des réalités diffé-
rentes de la sienne : des cultures, des lieux et des événements
lointains ou imaginaires. Elle contribue à l’éveil intellectuel et
social d’une génération au monde qui l’entoure.
   Le dossier que nous vous présentons rend compte de
quelques facettes de cette spécialité. La diversité des points de
vue qui y sont exprimés nous donne l’occasion d’explorer plu-
sieurs aspects d’une spécialité mal connue. C’est ainsi que
Christiane Duchesne, auteure idolâtrée des enfants, nous révèle
sa passion pour la traduction jeunesse ainsi que certains pro-
blèmes concrets qu’elle a dû surmonter dans le cadre de sa pra-
tique. Claire Le Brun-Gouanvic nous entretient de la traduction
en français de la littérature canadienne-anglaise. Elle aborde en
particulier la collection « Deux Solitudes Jeunesse » et traite de
la résistance à la traduction dans l’édition jeunesse québécoise.
Vera White nous parle de la traduction de Peter Pan au Brésil, et
de l’utilisation de la traduction pour modifier l’histoire et trans-
mettre une idéologie sociopolitique. Rachel Martinez nous ex-
plique le processus de publication de traductions aux Éditions de la courte échelle. Elle
nous dévoile le rôle de la traductrice ou du traducteur dans tout ce processus. Caroline
Larue nous fait découvrir sa pratique de la traduction de livres jeunesse, et Bérengère
Rouard, qui a traduit plusieurs films avec son collègue Thibaud de Courrèges, nous
expose les défis de l’adaptation pour le cinéma et la télévision. Elle signale plusieurs dif-   Philippe Caignon, term. a., trad. a.
                                                                                                       et Solange Lapierre
ficultés et casse-tête culturels et présente les professionnels qui travaillent à l’adapta-
tion et au doublage d’un film. Pascale Lortie et Michel Gatignol, pour leur part, nous
brossent le portrait de l’adaptateur moderne.
   Le marché de la traduction jeunesse est en pleine effervescence et engendre des pro-
jets innovateurs. Ainsi, l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la
culture (UNESCO) s’est associée avec la Foire du livre jeunesse de Bologne afin d’aider
les maisons d’édition et les traducteurs du monde entier à entrer en relation. L’Index
                                                                                                                                           Circuit • Printemps 2009

Translationum, qui liste tous les ouvrages traduits et qui constitue encore l’unique biblio-
graphie internationale des traductions, a été utilisé pour créer un répertoire international
des traducteurs pour enfants.
   Nous tenons à remercier chaleureusement nos collaboratrices et collaborateurs qui, par
leur généreuse contribution, nous révèlent les secrets de la traduction pour la jeunesse et
nous instruisent sur la place de celle-ci dans la société actuelle.
                                                                                                                                       5
DOSSIER               TRADUIRE              POUR                   LES              ENFANTS

                                                                         Traduire pour la jeunesse,
                                                                         la grande passion
                                                                         d’une vie d’écrivain !
                                                           J  e devais avoir quatorze ans lorsque j’ai lu Edgar
                                                              Allan Poe pour la première fois. J’avais été grande-
                                                                                                                                                                                      Pour moi, il allait de soi que la tortue prénommée
                                                                                                                                                                                 Franklin s’appelle Benjamin en français, tout bonne-
                               Véritable                   ment fascinée par le fait qu’il avait été traduit par
                                                           Baudelaire, comme si je découvrais que l’écriture
                                                                                                                                                                                 ment. Des années plus tard, à Vancouver, c’est dans
                                                                                                                                                                                 une classe de 5e année qu’un élève tout timide me dé-
                               coqueluche des              pouvait emprunter mille chemins et qu’un poète                                                                        clare : « Vous, vous êtes un génie ! », rien de moins.
                                                           avait le droit de faire un travail de traduction. J’ima-                                                              « À cause de Benjamin… » J’ai fini par comprendre.
                               enfants, l’auteure          ginais Baudelaire poète et seulement poète, et voilà                                                                  Allais-je décevoir toute la classe en avouant que je
                               Christiane                  que tout à coup, il s’en permettait plus !                                                                            n’avais jamais fait le rapport entre Benjamin et Frank-
                                                               Quand, aujourd’hui, les enfants que je rencontre                                                                  lin, que c’est mon inconscient qui avait fait le travail ?
                               Duchesne livre ici          dans les écoles me demandent de leur expliquer le                                                                     Non, ils n’ont pas été déçus, puisque je leur ai expliqué
                               ses réflexions sur          métier d’écrivain, je réponds que, selon les cas, il a
                                                           plusieurs facettes. Albums pour les petits, premiers
                                                                                                                                                                                 que, en plus d’avoir été philosophe, physicien et diplo-
                                                                                                                                                                                 mate, Benjamin Franklin avait inventé le paratonnerre
                               une trentaine               romans, romans tout court, chansons, dramatiques                                                                      et les palmes ; nous avons également parlé des mer-
                                                           radiophoniques, scénarios pour le cinéma et la télévi-                                                                veilles de l’inconscient. Tout ça, parce que nous avions
                               d’années de                 sion, les petits s’amusent à découvrir ce à quoi je n’ai                                                              commencé à parler de traduction…
                               travail,                    pas touché. Et quand je leur parle de traduction, les                                                                      De toutes ces expériences, la plus dure demeure la
                                                           yeux s’ouvrent très grand comme si je parlais d’un                                                                    télévision, étant donné la quantité de personnes
                               notamment la                mystère indéchiffrable. Pourtant, nombreux sont les                                                                   impliquées. Diffuseur, producteur, réalisateur, chacun
                               traduction de plus          élèves dont le français n’est pas la langue maternelle.
                                                           Pour ceux-là, traduire est chose courante. Mais non,
                                                                                                                                                                                 donne son avis. Les discussions sont longues, mais le
                                                                                                                                                                                 travail doit se faire très vite ; il faut donc un chef de la
                               de cinq cents               lorsqu’il s’agit d’un livre, c’est un autre monde, et la                                                              traduction et plusieurs traducteurs. Il faut respecter des
                                                           traductrice qui est là devant eux se sent tout à coup                                                                 délais en général très courts. On n’a pas le temps de fi-
                               titres, auprès de           investie de pouvoirs magiques.                                                                                        gnoler, alors que c’est ce que j’aime par-dessus tout… La
                               son public favori,              S’approprier l’histoire écrite par un autre, enfiler                                                              traduction de scénarios a ses exigences, et quand on
                                                           les chaussures d’un autre, deviner les émotions d’un                                                                  s’adresse aux enfants, c’est pire. La télé pour les enfants
                               les jeunes.                 autre… Rendre un nouveau texte dans une nouvelle                                                                      est sous haute surveillance. Nous devons « subir » les
                                                           langue, c’est un peu comme le tremper dans un bain                                                                    évaluations des scénarios faites par des psychologues
                                                           de teinture très pâle qui, sans masquer l’imprimé, lui                                                                souvent très à cheval sur la « sécurité » des contenus.
                                 Par Christiane Duchesne   donne une nouvelle vie.                                                                                               On dépasse largement la rectitude politique, on sombre
                                                               Traduire des textes destinés aux enfants, je crois                                                                dans une morale étouffante et réductrice.
                                                           que c’était pour moi inévitable ; j’ai tant de fois eu
                                                           envie de traduire certains textes qui m’emballaient.                                                                  La traduction de chansons,
                                                           Sauf que je ne suis pas traductrice de métier, mais
                                                           plutôt une autodidacte spécialisée en littérature pour
                                                                                                                                                                                 si fascinante
                                                           la jeunesse. Le premier éditeur qui est venu me cher-                                                                 La traduction de chansons est extrêmement difficile,
                                                           cher, il y a trente ans, tenait absolument à travailler                                                               mais tellement fascinante. J’ai fait de la musique toute
                                                           avec quelqu’un qui savait écrire pour les enfants, his-                                                               ma vie, ce qui me facilite sans doute les choses. Le gros
                                                           toire de donner un ton qui leur corresponde. Après                                                                    problème, c’est la rime, bien sûr. Mais un autre pro-
                                                           quelques expériences malheureuses avec un « tra-                                                                      blème tout aussi embêtant, c’est l’accent tonique qu’il
                                                           ducteur-traducteur », il devenait impérieux pour lui de                                                               faut ajuster sur les temps de la mesure. Une chanson
                                                           trouver quelqu’un qui sache parler aux petits…                                                                        anglaise mal traduite en français aura toujours l’air
                                                                                                                                                                                 d’une chanson anglaise, et d’une chanson qui boite.
                                                           Entre albums, chansons                                                                                                    Un exemple réussi. Ça fonctionne à merveille sur
                                                                                                                                                                                 la musique, la mélodie, le rythme ; tout est réussi.
                                                           et série télé                                                                                                         J’avoue que jamais de ma vie je n’aurais pu penser
Circuit • Printemps 2009

                                                           Depuis, j’ai traduit des centaines d’albums et des di-                                                                que je ferais un jour rimer âme avec hippopotame…
                                                           zaines de chansons, et fait l’adaptation d’une série
                                                           télé. Parmi ces centaines d’albums, il y a la série des                                                                      If you love a hippopotamus
                                                           Benjamin, écrits par Paulette Bourgeois et illustrés                                                                         And you love her a lot-amus
                                                           par Brenda Clark, les aventures d’un petit garçon                                                                            She will be your friend
                                                           tortue qui s’appelle Franklin en anglais.                                                                                    And that can be mighty handy now and then !
                           6                               C h r i s t i a n e D u c h e s n e a re ç u c e r t a i n s d e s p l u s g ra n d s p r i x l i t t é ra i re s , c o m m e l e p re s t i g i e u x p r i x M . C h r i s t i e ( 1 9 9 2 , 1 9 9 3 e t 1 9 9 5 ) e t l e Pr i x d u
                                                           Gouverneur gé né ral (1990 et 1992), et elle a é té inscrite sur la liste d’honneur I B BY international (International Board on Books for Young People)
                                                           en 1992.
Si tu aimes un hippopotame
   Si tu l’aimes de toute ton âme
   Il t’aimera aussi
   Il n’y a pas de plus précieux, précieux ami !

    À mes yeux, la traduction de roman est sans
doute la moins périlleuse. Quoique j’ai déjà eu à tra-
duire un roman qui commençait avec une série de
blagues moches (personne ne riait… !), et c’est sur
un jeu de mots ridicule de la dernière blague que se
basait toute l’intrigue. Dans ce cas-ci, après trois se-
maines de recherches infructueuses de mon côté,
l’auteur avait accepté de modifier son premier cha-
pitre pour me faciliter la tâche, l’éditeur s’étant bien
rendu compte de la difficulté presque insurmon-
table. Au moment où l’auteur allait commencer sa
nouvelle version, j’ai trouvé une solution très rigo-         Imagine, qui ont publié la traduction. J’étais particu-
lote. Mais nous avions pris trois semaines de retard.         lièrement fière de la manière dont j’étais venue à
Et cette solution, c’est parmi les souvenirs d’école          bout de ces deux pages-ci.
primaire de mes propres enfants que je l’ai trouvée.

Un banc de poissons va à l’école…
Traduire un album illustré est un pur plaisir. C’est tou-
jours très court, très serré, je dirais même acroba-
tique. De manière générale, la difficulté ne réside pas
seulement dans le texte, mais dans le rapport entre le
texte et l’illustration. Parfois, il est absolument impos-
sible de travailler le texte tant que l’on n’a pas reçu
les esquisses. Et comme les esquisses ne sont pas
toujours finales et que certains détails pouvent venir
s’ajouter dans la version définitive, il y a toujours un
risque de passer à côté de quelque chose.
    Exemple : on parle dans un texte anglais d’un
banc de poissons ; or, dans l’illustration, on voit de
tout petits poissons qui passent devant une école…
que faire ? Si l’on dit que le banc de poissons s’en va
à l’école, on passe à côté de l’humour du texte, d’au-
tant que les poissons ne s’en vont pas à l’école, mais
qu’ils passent simplement devant. L’illustrateur s’est
amusé et, moi, je me suis arraché les cheveux. Même
lorsque l’illustration n’est pas en cause, il y a des
jeux de mots absolument intraduisibles ; il faut donc
adapter, aller dans une direction souvent fort diffé-
rente et tenter de ne pas se casser le cou.                                                                               Material from The Extinct Files by Wallace Edwards reprinted by
                                                                                                                          permission of Kids Can Press Ltd., Toronto. Text and illustrations
                                                                                                                          copyright © 2006 Wallace Edwards. / Les illustrations extraites
                                                                                                                          de Dossier Dinosaures sont reproduites avec la permission des
Et les inadaptables                                                                                                       Éditions Imagine inc. Tous droits réservés 2009.

Dans le titre The Extinct Files, de Wallace Edwards,              Il y a aussi les problèmes de style. La plupart des
publié chez Kids Can Press, le X de Extinct est en rouge      albums ont un style que je qualifierais de « normal ».
vif sur la couverture. Même les Français n’ont pas            Robert Munsch fait exception : il y va de répétitions à
traduit le titre de la série X-Files pour leurs téléspecta-   outrance, et en anglais, cela passe très bien. Il utilise
teurs. Moi, j’ai tout de même cherché un titre aussi          aussi des expressions très proches de l’onomatopée.
percutant, mais sans succès. Dossier Dinosaures, tout         Dans son cas, il faut adapter très finement, sinon c’est
                                                                                                                                                                                                   Circuit • Printemps 2009

simplement…                                                   d’une platitude !
    Dans ce magnifique ouvrage, les dinosaures ont                Jamais je n’ai reçu de plainte d’un auteur. Peut-
des noms assez tordus, Gorgeousaurus, Tricerapops,            être que certains ne connaissent pas assez le fran-
Deanosaur, Groovysaurus. Tout le jeu de l’histoire se         çais pour juger ? Moi-même, quand je suis traduite
passe dans l’illustration. C’était terrible à faire, mais     en chinois et en coréen, je dois faire confiance aux
le résultat a séduit les responsables aux Éditions            traducteurs. Certains éditeurs ont la tête dure et
                                                                                                                                                                                               7
DOSSIER   TRADUIRE               POUR                    LES              ENFANTS

                                             sont convaincus que leurs réviseurs sont excellents.                                                                      exprimer la véritable pensée de l’auteur en gardant le
                                             Mais ce n’est pas toujours le cas et là, il faut y aller à                                                                même emplacement du texte. Dans certains cas, le
                                             grands coups de dictionnaire et de Grevisse pour                                                                          montage typographique doit être complètement revu.
                                             faire comprendre que leurs suggestions sont carré-                                                                        Et il faut espérer que seul le noir est en cause, car si le
                                             ment mauvaises et qu’il s’agit, trop souvent, d’angli-                                                                    texte est en quatre couleurs, c’est la catastrophe.
                                             cismes et de faux amis.
                                                                                                                                                                       Bertrand-Clifford
                                             Jouer à la tag et manger                                                                                                  le gros chien rouge
                                             du vegemite…                                                                                                              Dans la série des Bertrand et des Benjamin, Scholas-
                                             Une dernière difficulté : les jeux (ça joue beaucoup                                                                      tic a fonctionné pendant des années avec mes noms
                                             dans les livres pour enfants) comme la « tag » ! Ici, on                                                                  de personnages français. Jusqu’au jour où des pro-
                                             joue à la tag, pas à « chat » comme les Français. Dès                                                                     ducteurs télé ont acheté les droits pour faire de ces
                                             que je vois la fichue tag venir, je m’organise, dans la                                                                   albums des dessins animés. Ils ont tenu à garder les
                                             mesure du possible, pour faire jouer les personnages                                                                      noms originaux anglais, ce qui m’a obligée (pour les
                                             à autre chose. Difficile aussi de faire manger du « ve-                                                                   livres qui ont suivi) à « renommer » mes person-
                                             gemite » à des enfants d’ici. Il faut trouver quelque                                                                     nages. Bertrand, le gros chien rouge, a donc repris
                                             chose de pas très bon équivalant au fameux « vege-                                                                        son nom de Clifford, et Benjamin la tortue s’appelle
                                             mite », sauf si le personnage aime ça ! Un jour, dans                                                                     maintenant Franklin. Un peu triste pour les enfants.
                                             un texte qui venait de l’Ouest canadien, tout tournait                                                                    Je n’aurais pas aimé, petite, voir les héros de mes
                                             autour de l’Action de grâces et d’une histoire de                                                                         livres préférés changer tout à coup de nom…
                                             dinde. On ne mange pas ça, ici, en octobre. Surtout                                                                           Je viens tout juste de recevoir un de mes petits
                                             qu’ils mangeaient le volatile avec des patates douces                                                                     romans, Un baiser pour Julos, traduit en arabe chez
                                             et de la guimauve fondue dessus. Parfois, on n’a pas                                                                      Shorouk, au Caire. Fascination et mystère, je ne
                                             envie de traduire… Alors, je demande l’autorisation                                                                       saurai jamais si le travail a été bien fait, à moins de
                                             d’adapter fortement, jusqu’à devoir changer le menu !                                                                     demander à l’écrivaine Mona Latif-Ghattas d’exami-
                                                 Encore un petit souci que certains ouvrages impo-                                                                     ner la chose. Je voudrais bien savoir comment il s’ap-
                                             sent au traducteur : le nombre de mots. Bien sûr, le                                                                      pelle, mon Julos !
                                             texte français sera toujours plus long que le texte an-                                                                       De tous les textes que je traduis, les plus courts
                                             glais. Mais lorsque le texte fait partie de l’illustration,                                                               restent toujours mes préférés (notamment les chan-
                                             qu’il se promène sur deux pages en long ruban dont                                                                        sons), les plus difficiles, les plus passionnants, les
                                             les caractères varient, du plus gros au plus petit, il                                                                    plus exigeants et, en fin de compte, ceux dont je
                                             faut se mettre à l’acrobatie olympique pour arriver à                                                                     retire les plus grands plaisirs.

                                                           DEUX SOLITUDES JEUNESSE

                                                           Bientôt trente ans de présence
                                                           du roman canadien-anglais
                                                           dans l’édition jeunesse
                                                           québécoise
                                             «   D   eux Solitudes Jeunesse » occupe une position
                                                     tout à fait particulière dans le champ de l’édi-
                                             tion jeunesse québécoise : remarquable de longé-
                                                                                                                                                                       cette tiédeur ? Après avoir brièvement retracé l’his-
                                                                                                                                                                       toire de la collection et présenté ses artisans et son
                                                                                                                                                                       contenu, nous terminerons par quelques réflexions
                                             vité, puisqu’elle a été officiellement lancée en 1980,                                                                    sur la réception de « Deux Solitudes Jeunesse », dé-
                                             elle est la seule collection exclusivement consacrée à                                                                    sormais abrégée en DSJ.
Circuit • Printemps 2009

                                             la traduction en français de la littérature canadienne-
                                             anglaise. Cette présence durable est cependant
                                             discrète. Si l’excellence de la collection est souvent
                                                                                                                                                                       Naissance d’une collection
                                             reconnue par les spécialistes, celle-ci attire rarement                                                                   DSJ est le pendant jeunesse de la collection « Les deux
                                             l’attention des chroniqueurs dans les médias et ne                                                                        Solitudes », créée en 1974 et ainsi baptisée en hom-
                                             jouit pas d’une grande visibilité en librairie. Pourquoi                                                                  mage à Two Solitudes de Hugh MacLennan (1945). Un
                           8                 C l a i re Le B r u n - G o u a n v i c e s t p ro f e s s e u re t i t u l a i re a u D é p a r t e m e n t d ’ é t u d e s f ra n ç a i s e s d e l ’ U n i ve r s i t é C o n c o rd i a .
programme d’aide à la traduction du Conseil des Arts         et les années 1990-2000. Vingt-quatre volumes parais-
du Canada permet à Pierre Tisseyre, directeur du             sent d’abord en grand format. Au cours de cette pre-
Cercle du livre de France, et à son épouse Michelle, de      mière période, il semble que la directrice de collection        Depuis la fin des
présenter aux lecteurs francophones les Robertson            procède à un rattrapage en publiant des œuvres qui
Davies, Margaret Laurence ou Mordecai Richler. Jouant        jouissent du statut de classiques dans la culture source.
                                                                                                                             années 1970, la
à la fois les rôles de directrice de collection et de tra-   Au premier rang, Lucy Maud Montgomery, l’écrivaine ca-          maison d’édition
ductrice, Michelle Tisseyre publie, à titre d’essais,        nadienne sans doute la plus connue à l’étranger. DSJ
quelques traductions d’ouvrages pour la jeunesse,            publie le cycle d’Emily, traduit par la directrice de collec-   montréalaise Pierre
signés par des auteurs consacrés, comme Margaret
Atwood. Puis un roman historique traitant de la migra-
                                                             tion elle-même (1983-1988). Parallèlement à ces valeurs
                                                             sûres paraissent des livres plus récents, qui ont souvent
                                                                                                                             Tisseyre se propose
tion vers le Canada, au XIXe siècle, d’esclaves évadés       obtenu un prix en version originale. À la fin de 1989, la       de faire connaître
des plantations américaines, paraît en 1979 : Les che-       collection passe au format de poche et numérote ses
mins secrets de la liberté (Underground to Canada,           titres. Dès le numéro 4 de la nouvelle formule édito-
                                                                                                                             aux adolescents
1977), de Barbara Smucker. Les conditions paraissent         riale, Marie-Andrée Clermont remplace Paule Daveluy à           francophones les
donc alors réunies pour lancer une collection jeunesse,      la tête de la collection. Comme sa prédécesseure,
qui naît en 1980. Parmi les titres de lancement figurent     Mme Clermont a commencé par être traductrice pour DSJ           meilleurs romans
trois classiques : La promesse de Luke Baldwin (Luke
Baldwin’s Vow, 1948), de Morley Callaghan, et Deux
                                                             (à partir de 1986). Mais, à la différence de son aînée,
                                                             elle commencera sa carrière d’auteure pour la jeunesse
                                                                                                                             écrits au Canada
grands ducs dans la famille (Owls in the Family, 1961)       après avoir traduit de nombreux ouvrages de l’anglais.          anglais pour les
ainsi que La malédiction du tombeau viking (The              Plusieurs succès parus en grand format sont réédités,
Curse of the Viking Grave, 1966), de Farley Mowat.           dont les quatre tomes d’Émilie de la Nouvelle Lune.
                                                                                                                             lecteurs de leur
Le quatrième titre a remporté le prix du Canada              Parmi ces rééditions se trouvent des traductions pri-           âge. Riche d’une
Council Children’s Literature en 1977 : Écoute, l’oiseau     mées, telle celle réalisée par Claude Aubry de You Can
chantera (Listen for the Singing), de Jean Little. Les       Pick Me Up at Peggy’s Cove, de Brian Doyle, qui a rem-          soixantaine de
deux collections, adulte et jeunesse, annoncent le           porté le prix du Conseil des Arts en 1984, prix décerné         titres, la collection
même objectif, rappelé dans chaque volume : « faire          pour la première fois à un ouvrage pour la jeunesse.
connaître les ouvrages les plus marquants de la littéra-     Certains auteurs ont une forte présence : outre Brian           « Deux Solitudes
ture canadienne de ces dernières années ».
    À la tête de DSJ, on retrouve, non Michelle
                                                             Doyle, citons Farley Mowat, Lucy Maud Montgomery,
                                                             Barbara Smucker, puis William Bell, Kevin Major, Frank
                                                                                                                             Jeunesse » jouit
Tisseyre, qui continuera cependant de traduire,              O’Keefe, Kit Pearson, Robert Sutherland et enfin John           d’une excellente
mais Paule Daveluy. Le choix est fort judicieux.             Wilson, qui apparaissent au moins trois fois dans la col-
M me Daveluy, dont les romans pour la jeunesse               lection. Se dessine donc, à travers ces récurrences, un
                                                                                                                             réputation :
ont connu un succès international à la fin des               paysage de la littérature jeunesse canadienne-anglaise.         l’intérêt des textes
années 1950, joue alors un rôle très actif dans la           L’obtention d’un prix dans la culture source demeure un
promotion de la littérature pour la jeunesse, en             critère de sélection constant : Prix du Gouverneur géné-        traduits et la
qualité de membre fondateur de l’organisme
Communication-Jeunesse, dont elle a été la première
                                                             ral, Prix M. Christie, etc. Cependant, Mme Clermont, di-
                                                             rectrice de la collection jusqu’en 1998 et lectrice
                                                                                                                             qualité des
présidente en 1971. C’est elle qui a traduit Under-          passionnée de ce qui se publie pour les jeunes Cana-            traductions ne font
ground to Canada. Dans un article de présentation            diens anglais, dit avoir aussi procédé par « coups de
de la collection, la directrice souligne l’urgence d’ef-     cœur », prenant soin de trouver des sujets différents de
                                                                                                                             aucun doute pour
fectuer un « travail de repossession de nos                  ce qui se publie en français à la même époque.                  les spécialistes.
richesses1 ». Il lui paraît en effet crucial de publier au
Canada des traductions françaises de grandes                                                                                 Mais qu’en est-il de
                                                             Thèmes dominants
œuvres canadiennes-anglaises, avant que l’Europe
ne s’en empare. Elle cite à cet effet le cas de Farley       Les thèmes abordés se rangent sous deux rubriques
                                                                                                                             la réception auprès
Mowat, célèbre romancier du Grand Nord, dont elle            principales : l’Histoire et l’adolescence. Si les sujets        du lectorat cible ?
n’a pu publier le chef-d’œuvre, Lost in the Barrens,         abordés dans la seconde rubrique sont conformes aux
traduit en France quelques années auparavant pour            tendances internationales du roman pour adolescents              Par Claire Le Brun-Gouanvic
les éditions Robert Laffont (Perdus dans le Grand            — difficultés familiales et sociales, recherche identi-
Nord, 1974). Ainsi, le premier lectorat visé, ce sont        taire, apprentissage de la sexualité —, le contenu des
les francophones du Québec et du Canada, mais                romans historiques est beaucoup plus riche que celui
Paule Daveluy envisage aussi de rejoindre les élèves         des romans québécois. Les récits se situent à des
anglophones des classes d’immersion.                         époques et dans des cadres divers : marine à voile, ex-
                                                             ploration du Grand Nord, Grande Dépression, guerres
                                                                                                                                                                Circuit • Printemps 2009

                                                             mondiales, luttes syndicales, etc., alors que la majorité
Sélection des auteurs et des titres                          des romans historiques québécois portent sur la
Quels auteurs canadiens-anglais sont devenus familiers       Nouvelle-France. Les lieux choisis dépassent large-
aux lecteurs du Québec et des autres francophonies du        ment les frontières canadiennes : un roman de William
Canada grâce à DSJ ? Il importe, pour répondre à cette       Bell aborde la révolution étudiante de la place Tien An
question, de distinguer deux phases : les années 1980        Men peu de temps après les événements. Dans les
                                                                                                                                                            9
DOSSIER   TRADUIRE     POUR        LES     ENFANTS

                                              derniers titres, le roman historique domine nettement,      Si DSJ connaît un grand succès d’estime, elle semble
                                              rappelant la Première Guerre mondiale (Au petit matin,      remporter moins de suffrages que d’autres collec-
                                              John Wilson), la Seconde, vue du côté allemand              tions pour adolescents. Une collection exclusivement
                                              (Les flammes du tigre et À quatre pas de la mort, John      consacrée à des traductions se heurterait-elle à une
                                              Wilson), et ses lendemains au Canada (À la guerre           certaine résistance ? Les éditeurs semblent l’avoir
                                              comme à la guerre !, Brian Doyle ; Te voilà, Joanne         constaté, qui ont essayé en 1996 de publier deux
                                              Taylor). Par ailleurs, beaucoup de romans, historiques      titres traduits de l’anglais dans leur collection
                                              ou non, dont l’action se situe dans le Grand Nord, se       « Conquêtes » pour adolescents : Le fantôme de ma
                                              rattachent au courant Outdoor Survival Story2, très         mère, de Margaret Buffie, auteure déjà traduite dans
                                              bien représenté au Canada anglais. De façon générale,       DSJ, et Clair-de-lune, de Michael Carroll. Corrobore-
                                              l’intrigue a souvent pour cadre la nature, alors que le     rait cette hypothèse de la résistance à la traduction
                                              roman québécois est majoritairement urbain. Pour ré-        le constat que l’édition jeunesse québécoise recourt
                                              sumer brièvement les critères de sélection, on pourrait     à la traduction dans des proportions bien moins im-
                                              dire qu’au-delà de la légitimation obtenue par les          portantes que, par exemple, la France. Le magazine
                                              livres dans la culture source, la direction littéraire      Lurelu, spécialisé en littérature jeunesse, s’est inter-
                                              semble soucieuse de présenter en traduction des             rogé sur les raisons de cet accueil mitigé, deman-
                                              textes qui ne fassent pas double emploi avec ceux qui       dant : « Est-ce l’origine canadienne-anglaise qui fait
                                              sont produits dans la culture cible. On pourrait dire       échec à cette collection ?4 » Divers intervenants de
                                              qu’elle mise sur le différent plutôt que sur le familier.   l’édition jeunesse, dont des directeurs de collection
                                                                                                          et des traducteurs, ont évoqué la longueur des
                                              Des traducteurs-auteurs                                     textes, en comparaison des romans québécois, et les
                                                                                                          différences culturelles5. On a allégué aussi qu’il vau-
                                              pour la jeunesse                                            drait mieux lire les romans en version originale. Mais
                                              Au cours de cette trentaine d’années, l’équipe de           les lecteurs francophones de la tranche d’âge visée
                                              traducteurs frappe par sa cohésion. À ses débuts,           sont-ils nombreux à posséder une connaissance suf-
                                              DSJ recrute surtout parmi les traducteurs littéraires       fisante de l’anglais ? Quoi qu’il en soit, il est indé-
                                              de « Deux Solitudes », mais très vite, on observe           niable que les parutions se sont espacées au cours
                                              une dominance d’écrivains pour la jeunesse. Le              des dernières années. Depuis 1998, DSJ n’a plus de
                                              signe distinctif des traducteurs de DSJ est sans            direction : les romans à traduire sont choisis par un
                                              doute qu’ils sont, pour la plupart, ce qu’on pourrait       comité. Le dernier titre (no 44) est paru en 2007.
                                              appeler des « professionnels de la littérature pour la          Il serait vain de minimiser la fameuse différence
                                              jeunesse », à la fois écrivains et traducteurs. Plu-        culturelle, alors qu’elle vient de nouveau d’être mise
                                              sieurs d’entre eux mènent de front les deux activités,      en lumière par un projet universitaire mené à l’Uni-
                                              qui se nourrissent mutuellement. Marie-Andrée               versité de Winnipeg, portant sur le concept du Home
                                              Clermont se définit en entrevue comme « quelqu’un           dans la littérature canadienne pour la jeunesse6. Les
                                              qui travaille pour les jeunes » : « Les modalités en        résultats susciteront assurément la discussion :
                                              sont l’écriture et la traduction3. » En 2004, on voit se    dans le roman canadien-anglais dominerait le
                                              joindre à l’équipe Laurent Chabin, romancier proli-         schéma du départ d’un milieu hostile à la recherche
                                              fique et primé, qui devient le traducteur attitré de        d’une maison d’élection, alors que le roman québé-
                                              John Wilson. Il est significatif à cet égard que le texte   cois serait centré sur le Home. Serait-ce l’une des
                                              de présentation de DSJ sur le site Web de l’éditeur         raisons pour lesquelles la culture canadienne-
                                              comporte une citation de L’art d’écrire, de Pierre          anglaise est perçue comme « à la fois si proche et si
                                              Tisseyre : « Il faut à celui qui veut faire connaître       différente7 » de sa voisine francophone ? On souhai-
                                              dans une langue ce qui a été écrit dans une autre un        terait certes que la différence, d’obstacle qu’elle
                                              véritable talent d’écrivain. » Parmi les traducteurs        semble être, devienne source de curiosité.
                                              particulièrement assidus, outre les deux directrices
                                              de collection, Paule Daveluy et Marie-Andrée
                                                                                                          1 . D AV E LU Y , Pa u l e , « U n e r i c h e s s e n o u ve l l e : l a c o l l e c t i o n
                                              Clermont, qui signent respectivement quatorze et                d e s D e u x S o l i t u d e s / J e u n e s s e » , C C L , n os 1 8 - 1 9 , 1 9 8 0 ,
                                              onze traductions, il faut mentionner Michelle                   p. 5 - 9 ( p. 6 p o u r l a c i t a t i o n ) .
                                              Tisseyre-Robinson, fille de Pierre et Michelle              2 . E G O F F , S h e i l a e t J u d i t h S A LT M A N , T h e N e w Re p u b l i c o f
                                                                                                              C h i l d h o o d . A C r i t i c a l G u i d e t o C a n a d i a n C h i l d re n’s L i t e -
                                              Tisseyre, qui traduit sept romans de 1984 à 2007.               ra t u re i n E n g l i s h , D o n M i l l s , O n t a r i o , Ox f o rd U n i ve r s i t y
                                                                                                              P re s s , p. 2 2 – 3 3 .
                                                                                                          3 . P O U L I N , A n d r é e , « M a r i e - A n d r é e C l e r m o n t , a u t e u re » ,
                                              Deux cultures « si proches                                      Lu re l u , vo l . 9 , n o 2 , 1 9 8 7 , p. 2 0 - 2 1 .
Circuit • Printemps 2009

                                                                                                          4 . T H I B A U LT , S u z a n n e , « S u r vo l d e s c o l l e c t i o n s d e ro m a n s
                                              et si différentes »                                             j e u n e s s e » , Lu re l u , vo l . 1 6 , n o 1 , 1 9 9 3 , p. 4 - 9 ( p. 7 p o u r
                                                                                                              la citation).
                                              À ses débuts, DSJ s’adresse à des lecteurs d’âges           5 . P O U L I N , A n d r é e , « Le s a u t e u r s c a n a d i e n s a n g l a i s e n t ra -
                                              divers, selon les titres. Actuellement, selon le site           d u c t i o n » , Lu re l u , vo l . 2 5 , n o 2 , 2 0 0 2 , p. 5 – 1 0 .
                                              Web, elle vise les « 12 ans et plus ». Le flou initial      6 . R E I M E R , M a v i s , d i r. , H o m e Wo rd s . D i s c o u r s e s o f C h i l -
                                                                                                              d re n’s L i t e ra t u re i n C a n a d a , Wa t e r l o o , O n t a r i o , Wi l f r i d
                                              quant au public cible a pu freiner son essor en nui-            L a u r i e r U n i ve r s i t y P re s s , 2 0 0 8 .
                                              sant à l’effet collection, à la fidélisation du lectorat.   7 . P r é s e n t a t i o n d e D S J s u r l e s i t e We b.

                           10
Brazilian Translations
              of Children’s Literature:
              Peter Pan – a Case Study
P    eter Pan was written by J. M. Barrie in 1911, but
     the character made its first appearance in a
story he wrote in 1904 and it is now a classic in chil-
                                                                                                                    work in publications which are often called transla-
                                                                                                                    tions, really equates to shortened adaptations.
                                                                                                                    Some of the works produced have a clear aim. The
                                                                                                                                                                                         By Vera White

dren’s literature worldwide. Looking at printed edi-                                                                Disney version, for instance, tries to “purify” the text
tions of Peter Pan published in Brazil from 1930                                                                    with the purpose of producing a film that would be
onwards, I found some attention-grabbing data                                                                       considered “morally acceptable” for young kids.
about translations.                                                                                                      Another example is Monteiro Lobato’s Peter Pan,       Peter Pan had such an enormous success
    One of my realizations is that, after Disney                                                                    the first edition of the book published in Brazilian       that it has since been revived every
Studios launched the film Peter Pan, a very specific                                                                Portuguese in 1930. Besides the innovations he in-         Christmas, ostensibly as a holiday
image of the character was built in the minds of the                                                                troduces, such as the use of various voices in the         entertainment, but really as a play
readers of children’s literature, which is one of a slim                                                            story, Lobato takes advantage of certain sociopoliti-      for grown up people: for as you know,
boy, around 9 or 10 years of age, who has brown hair                                                                cal allegories present in the original to insert his own   when we buy toys for children,
and wears clothes made of a green fabric and a hat                                                                  ideological ideas, producing a final text which in-        we take care to choose the ones
with a feather on the side. And this does not match                                                                 cludes radical changes to the story. Peter Pan is de-      which amuse ourselves.
the descriptions given by Barrie of the smallest of                                                                 veloped into an anarchic figure and the book became
the gang of Lost Boys, who initially wears a white                                                                  a censorship target in the 1930s.1 According to Wyler,                   George Bernard Shaw, 1910.
nightgown but then changes into clothes made of                                                                     Lobato was “accused of, among other things, creat-
“skeleton leaves.”                                                                                                  ing a communist and anti-Catholic character.”2
    Disney productions are easy to find on the                                                                           A large number of versions use intersemiotic
market and they are very much present in the minds                                                                  transposition, i.e. “an interpretation of verbal signs
of consumers. The animated feature film version                                                                     by means of nonverbal sign systems.”3 When text be-
Disney created was released in 1953 and it almost                                                                   comes illustration, the final result tends to be an edi-
immediately acquired the status of an original and                                                                  tion for young children with fewer pages, short texts,
became a paradigm for all later publications in                                                                     and lots of visual information. Omissions tend to
Brazil, especially regarding illustrations. Such is the                                                             occur due to moral issues: the texts have to be
power of the film that the image of Peter Pan in the                                                                “cleansed” for young kids and extracts which contain
Western world is the one created by Walt Disney.                                                                    sexual and criminal references, for instance, have to
    Only recently was there an attempt in Brazil to re-                                                             be left out. Additions can be used when the transla-
establish J. M. Barrie’s book as the original again,                                                                tor intends to insert his or her own thoughts and be-
when Ana Maria Machado embarked on a translation                                                                    liefs to the story, such as the political ideas of
of the complete story. The illustrations in this edition                                                            Monteiro Lobato. The linguistic style and register
were created by Fernando Vicente and they do not                                                                    also have to be adapted.
resemble those created by Disney at all. On the other                                                                    Readers can find more than 45 different editions
hand, this translation was only requested by                                                                        of Peter Pan on the Brazilian market nowadays; some
Salamandra, the publisher, because the official                                                                     publishers have six or seven different versions of the
sequel to Peter Pan, entitled Peter Pan in Scarlet,                                                                 title currently in stores. It is therefore necessary to
                                                                                                                                                                                                         Illustration by
written by Geraldine McCaughrean, was to be                                                                         understand the mechanisms that determine the                                         Fernando Vicente
launched in 2006. Salamandra had already acquired                                                                   choice of the publishing house to edit and publish
the rights to publish the Brazilian translation and                                                                 one more version of the same story, simply after in-
could take advantage of a profitable market stunt:                                                                  troducing minor changes. There is a variation in some
publishing both stories in consecutive years. Maria                                                                 aspects between these editions, such as the number
Luiza Newlands Silveira translated the sequel, which                                                                of pages and illustrations, as well as their size; the
became available in 2007. The production and re-                                                                    amount of written text, involving cuts, abridgments
                                                                                                                                                                                                                                 Circuit • Printemps 2009

lease of Peter Pan in Scarlet was not only authorized,                                                              and additions to the story; the quality of the material
but also promoted by the Great Ormond Street                                                                        used, among other things. These changes are intro-
Hospital in London, England, the copyright holder of                                                                duced for different reasons, with the central purpose
Peter Pan since 1929.                                                                                               being to adapt the story to a specific age group, but
    The level of intervention by a children’s literature                                                            there are also marketing factors and particular goals
rewriter, through modifications introduced into the                                                                 of the translator or publisher.

Ve r a W h i t e i s a n M . A . s t u d e n t i n Tra n s l a t i o n St u d i e s a t t h e U n i ve r s i t y o f S ã o Pa u l o ( U S P ) i n B ra z i l .
                                                                                                                                                                                                                            11
DOSSIER                TRADUIRE     POUR        LES     ENFANTS

                                                                                                                          1 . S e e J o h n M i l t o n . “ T h e Re s i s t a n t P o l i t i c a l Tra n s l a t i o n s o f
                                                                  We can thus conclude that, between 1953 and                 M o n t e i ro Lo b a t o , ” i n T h e M a s s a c h u s e t t s Re v i e w, Fa l l
                                                                                                                              2 0 0 6 , Vo l . 4 7 , n o. I I I , p p. 4 8 6 – 5 0 9 .
                                                              2005, the norm when translating or adapting Peter           2 . My t ra n s l a t i o n . L i a Wy l e r. L í n g u a s , P o e t a s e B a c h a r é i s –
                                                              Pan in Brazil was to use Disney’s Peter Pan as a para-          U m a C r ôn i c a d a Tra d u ç ã o n o B ra s i l . R i o d e J a n e i ro :
                                                                                                                              Ro c c o , 2 0 0 3 .
                                                              digm, mainly regarding illustrations. This is a case in
                                                                                                                          3 . Ro m a n J a k o b s o n ( 2 0 0 4 ) . “ O n L i n g u i s t i c A s p e c t s o f Tra n s -
                                                              which the refrection accedes to a more central posi-            lation,” in Venuti, Lawrence (Ed.) The Translation Studies
                                                              tion in the literary polysystem than the original itself,       Re a d e r. 2 n d e d . Lo n d o n : Ro u t l e d g e , 2 0 0 6 .
                                                                                                                          4 . A n d r é Le f e ve re ( 2 0 0 4 ) . “ M o t h e r C o u ra g e’s C u c u m b e r s :
                                                              even acquiring the status of an original in the target
                                                                                                                              Te x t , Sy s t e m a n d Re f re c t i o n i n a T h e o r y o f L i t e ra t u re” , i n
                                                              culture.4                                                       Ve n u t i , L a w re n c e ( E d . ) T h e Tra n s l a t i o n St u d i e s Re a d e r.
                                                                                                                              2 n d e d . Lo n d o n : Ro u t l e d g e , 2 0 0 6 .

                                                                     Plaisir et liberté
                                                                   Circuit : Vous avez reçu le prix John-Glassco, dé-     rendre justice au talent de l’auteur. J’ai trouvé cet
                                                              cerné par l’Association des traducteurs et traductrices     exercice extrêmement stimulant.
                                                              littéraires du Canada, qui souligne la qualité d’une            C. : Quelles difficultés avez-vous affrontées ?
                                                              première traduction littéraire parue sous forme de              C. L. : J’ai eu la chance de travailler très étroite-
                                                              livre chez un éditeur canadien. Qu’est-ce qui vous a        ment avec la directrice littéraire et l’auteure. En cas
                                Entrevue de                   intéressée dans l’ouvrage d’Elaine Arsenault, Ophe-         de difficulté, on discutait pour trouver la meilleure
                                Caroline Larue,               lia’s Prophecy ?                                            solution. Par exemple, le nom de certains person-
                                                                   Caroline Larue : J’ai été charmée par cet ou-          nages avait été créé à partir d’une association
                                prix John-Glassco             vrage dès les premières pages. Elaine Arsenault             d’images ou d’idées. Si on les conservait tels quels
                                2008                          est une véritable conteuse. Elle sait créer des per-
                                                              sonnages attachants et des récits très vivants,
                                                                                                                          dans la version française, ces noms perdaient tout
                                                                                                                          leur sens. Si on les traduisait par des associations
                                     Propos recueillis        remplis de rebondissements. Son imagination est             d’idées à peu près équivalentes, ils devenaient
                                   par Solange Lapierre       sans borne, et son style est imagé, coloré. J’ai par-       moins percutants. On a donc convenu qu’il était
                                                              ticulièrement aimé l’univers dans lequel l’histoire         préférable de les changer. J’ai pu donner mon avis
                                                              est campée… La protagoniste, une jeune gitane,              et faire des suggestions et, après quelques séances
                                                              voyage avec son cheval et vit au gré du vent. Elle          de remue-méninges, on a adopté les noms qui se
                                                              concocte des potions magiques et peut lire l’ave-           trouvent dans la version française.
                                                              nir. Elle est libre et joyeuse, et à la fois forte et           C. : Avez-vous eu beaucoup de recherche à
                                                              mystérieuse. Bref, c’est un personnage inspirant            faire, par exemple à propos des Gitans ? S’agit-il
                                                              et c’est le genre de roman que j’aurais aimé lire à         d’un travail sous pression ?
                                                              10 ou 12 ans.                                                   C. L. : Il s’agit d’un travail sous pression dans la
                                                                   Ce qui m’a aussi vivement intéressée dans ce           mesure où il y a des échéances à respecter, mais en
                                                              projet, ce fut la possibilité de travailler avec la di-     ce qui me concerne, ce fut d’abord et avant tout un
                                                              rectrice littéraire, Agnès Huguet. Sa passion pour la       plaisir immense. J’ai adoré chaque minute que j’ai
                                                              littérature jeunesse est contagieuse, et elle a un          passée à traduire cet ouvrage. Ce fut une belle oc-
                                                              flair à toute épreuve.                                      casion d’élargir mes connaissances (sur la bota-
                                                                   C. : Pensez-vous vous spécialiser dans ce do-          nique, par exemple) et mon vocabulaire.
                                                              maine du fait que l’auteure prépare une série dont              C. : La formation des traducteurs est souvent
                                                              vous avez traduit le premier ouvrage ?                      très diverse. Quelle est la vôtre ?
                                                                   C. L. : Il s’agissait de ma première traduction            C. L. : Je possède un baccalauréat en traduction
                                                              dans le domaine littéraire. J’ai aussi traduit le           ainsi qu’un certificat en création littéraire. Au cours
                                                              deuxième et le troisième tome de la série, parus            des quinze dernières années, mon expérience de
                                                              l’automne dernier. J’ai adoré l’expérience et j’aime-       travail a été plutôt variée : traduction technique,
                                                              rais beaucoup traduire soit de la littérature jeu-          générale, administrative, notamment dans les do-
                                                              nesse, des romans ou de la poésie.                          maines de l’aviation et des services bancaires. J’ai
                                                                   C. : Qu’avez-vous aimé de cette première               également rédigé et traduit un bon nombre de
                                                              expérience ?                                                textes promotionnels, de sites Internet et de cata-
                                                                   C. L. : Transposer une œuvre dans une autre            logues pour des maisons d’édition. Il est certain
                                                              langue, tout en respectant le style de l’auteur, le         que ma formation universitaire m’a préparée à la
Circuit • Printemps 2009

                                                              rythme, l’humour, la finesse, le ton et la sensibilité      traduction littéraire, mais je crois que c’est surtout
                                                              du texte, représente tout un défi. Comparativement          la passion de la littérature, l’amour de la langue et
                                                              à une traduction technique ou administrative où le          le souci de rendre hommage au texte d’un auteur
                                                              style, aussi important soit-il, est secondaire, on          qui constituent les meilleurs outils pour devenir un
                                                              s’applique à traduire le texte le plus fidèlement           (bon) traducteur littéraire.
                                                              possible, avec le souci de plaire aux lecteurs et de
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