TRADUIRE POUR LES ENFANTS - LE MAGAZINE D'INFORMATION DES LANGAGIERS - BANQ
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LE MAGAZINE D’INFORMATION DES LANGAGIERS Numéro 103 • Printemps 2009 www.ottiaq.org T R A D U I R E P O U R L E S E N FA N T S Envoi de publication canadienne convention numéro 1537393
POUR COMMENCER Du tout petit à l’universel : vastes compétences et petit marché N O 103 PRINTEMPS 2009 Dossier 5 Yolande Amzallag, trad. a. Circuit s’intéresse au noble art de faire découvrir aux jeunes et aux enfants d’aujourd’hui L es pages de notre dossier le confirment : traduire pour les jeunes n’est pas des réalités différentes de la leur. Nous explorons quelques un jeu d’enfant. Et malgré la légèreté apparente du propos, l’œuvre est loin facettes de cette spécialité mal d’être futile. Le livre est la première fenêtre ouverte à l’enfant hors du monde connue qu’est la traduction concret. En découvrant la magie des mots et des images, l’enfant se soustrait à jeunesse. sa pensée magique et libère la puissance créatrice de son imagination. Le livre ici prend un sens large et s’entend non pas comme support, mais comme contenu. Sur le vif 18 Des premiers contes et comptines à tous les « produits dérivés » de la littérature jeunesse, La Semaine de la terminologie 2008 ; y compris les films, séries télé, sites Web, la traduction est à la culture ce que le livre est à l’enfance : le Congrès mondial sur la traduction spécialisée ; Échappées sur le futur ; une ouverture à la différence, essentielle à l’élan vital. Notes et contrenotes. Ne sommes-nous pas tous façonnés par les contes de notre enfance qui, bien avant Disney, ont traversé le temps et l’espace pour nous émouvoir et nous émerveiller ? Or, Perrault, Grimm, Andersen et bien d’autres célèbres conteurs ont d’abord été passeurs, ou traducteurs, de contes et légendes Des livres 21 populaires. À notre époque et au Québec, la traduction pour les jeunes a une fonction sociale bien Le Larousse des noms communs. Les nouveautés. particulière. C’est non seulement un tremplin vers l’universalité, mais aussi une passerelle entre le continent de la langue française et l’univers culturel nord-américain. Pour les jeunes francophones d’Amérique, ce lien est essentiel puisque leur univers social se situe au confluent de ces deux Des revues 24 sources, dont ils doivent très tôt apprendre à concilier les divergences. Philippe Caignon et Solange Profession : vérificateur de l’exactitude technique de la traduction ; la traduction Lapierre nous proposent dans ce numéro un dossier passionnant. Outre les qualités que partagent du genre : tout un défi. tous les traducteurs et créateurs de littérature enfantine, on y découvre que les traducteurs canadiens ont développé une compétence de pointe, ancrée dans une fine compréhension des subtilités des langues anglaise et française, de la culture anglo-saxonne et du vécu nord-américain. Des techniques 25 Cette compétence sera-t-elle un jour reconnue à sa juste valeur dans le marché mondial ? Lors d’une Il est maintenant possible de faire rencontre des Parcours professionnels pour la lecture jeunesse en 2005 (Université de Marne-la- des recherches dans les numéros Vallée), Léa Mevel soulignait que « chez Hachette, 60 à 80 % de la production est étrangère car passés de Circuit grâce à la version cette maison a les moyens d’assumer une chasse aux droits sans merci ». Nos éditeurs peuvent- Web du magazine. ils se mesurer à la concurrence européenne ? Le problème dépasse les frontières du Québec, puisqu’une grande part du marché mondial de la traduction littéraire demeure pratiquement Des mots 26 inaccessible aux traducteurs canadiens, qu’ils soient francophones ou anglophones. Certains emprunts à l’anglais Par ailleurs, Claire Le Brun-Gouanvic attire notre attention sur une « certaine résistance » aux sont utiles mais d’autres, employés inconsciemment, ouvrages destinés à la jeunesse canadienne traduits d’une langue officielle à l’autre. Comme le sont plus périlleux. C’est le cas souligne Rachel Martinez, « à peine 5 % des quelque 700 titres publiés » par Les éditions de la par exemple des anglicismes courte échelle sont traduits, un chiffre bien inférieur à la proportion française citée plus haut. Ces syntaxiques qui ne correspondent détails soulèvent le voile sur une tendance générale. Agnes Whitfield, traductrice et critique pas à la structure du français. littéraire, auteure de Writing between the Lines, rappelle dans un article du trimestriel Translations/Traductions, publié par l’Université de Toronto, le grand fossé qui divise les deux À titre professionnel 27 solitudes au Canada : « the most alarming translation gap occurs when our important literary Circuit examines strategies works, in both French and English, are not translated at all » (hiver 2007). Les traducteurs canadiens for limiting liability. seraient-ils les cordonniers les plus mal chaussés de la profession ? Nos chroniques témoignent pourtant de l’influence incontestable du Canada et du Québec sur Pages d’histoire 28 la scène mondiale. On y apprend que le Canada est une figure de proue de la Semaine de la Le bouddhisme : une philosophie terminologie et du Congrès mondial sur la traduction spécialisée, deux événements organisés dans et un art de vivre diffusés à l’échelle mondiale grâce à la traduction. le cadre de l’Année internationale des langues. Quant à notre pratique, nous ne cessons de la perfectionner. Après le Guide des normes de pratique professionnelles, notre Ordre nous propose un nouveau contrat type destiné à protéger Curiosités 30 nos intérêts et à garantir l’intégrité de notre travail. Enfin, nous sommes fiers de présenter le Entretien avec Alain Côté, nouveau Circuit version Web, une réalisation qui couronne un effort de longue haleine de la part traducteur québécois vivant au Japon qui dirige un blogue de tous les membres du comité de rédaction, mais plus particulièrement de Marie-Pierre Hétu et consacré à la langue et à la de Pierre Cloutier. littérature japonaises. Bonne lecture à tous !
2021, avenue Union, bureau 1108 Publié quatre fois l’an par l’Ordre des traducteurs, Montréal (Québec) H3A 2S9 terminologues et interprètes agréés du Québec Tél. : 514 845-4411, Téléc. : 514 845-9903 Courriel : circuit@ottiaq.org Site Web : www.ottiaq.org Publicité Catherine Guillemette-Bédard, OTTIAQ Vice-président, Communications — OTTIAQ François Abraham Tél. : 514 845-4411, poste 225 • Téléc. : 514 845-9903 Nous aimons Avis aux auteurs : Veuillez envoyer votre article à l’attention Directrice de Circuit, sous format RTF, sur CD-Rom ou par courrier élec- vous lire. Yolande Amzallag tronique. Rédactrice en chef Droits de reproduction Écrivez-nous Gloria Kearns Toutes les demandes de reproduction doivent être achemi- Rédaction nées à Copibec (reproduction papier). Tél. : 514 288-1664 • 1 800 717-2022 licenses@copibec.qc.ca pour nous Michel Buttiens, Philippe Caignon (Des mots), Brigitte Charest (Des revues), Pierre Cloutier (Pages d’histoire), Marie-Pierre Hétu (Des techniques), Didier Lafond (Curiosités), Solange Lapierre Material from The Extinct Files by Wallace Edwards reprinted by faire part permission of Kids Can Press Ltd., Toronto. Text and illustrations (Des livres), Barbara McClintock, Éric Poirier, Eve Renaud (Sur le vif) copyright © 2006 Wallace Edwards. / Les illustrations extraites de Dossier Dinosaures sont reproduites avec la permission des Édi- de vos Dossier Philippe Caignon et Solange Lapierre tions Imagine inc. Tous droits réservés 2009. La rédaction est responsable du choix des textes publiés, mais les opinions commentaires. Ont collaboré à ce numéro exprimées n’engagent que les auteurs. L’éditeur n’assume aucune responsa- bilité en ce qui concerne les annonces paraissant dans Circuit. Brigitte Cappe Guyot, Alain Côté, Christiane Duchesne, Didier Féminier, Michel Gatignol, Margaret Jackson, Svetla © OTTIAQ Dépôt légal - 2e trimestre 2009 Kaménova, Caroline Tarue, Claire Le Brun-Gouanvic, Pascale Bibliothèque et Archives nationales du Québec Lortie, Rachel Martinez, Matthieu Ricard, Bérengère Rouard, Bibliothèque et Archives Canada 2021, avenue Union, bureau 1108 Caroline Roy, Vera White, Elisabeth Wörle ISSN 0821-1876 Montréal (Québec) H3A 2S9 Direction artistique, éditique, prépresse et impression Tarif d’abonnement Mardigrafe Tél. : 514 845-4411 Membres de l’OTTIAQ : abonnement gratuit Non-membres : 1 an, 40,26 $ ; 2 ans, 74,77 $. Étudiants inscrits Téléc. : 514 845-9903 à l’OTTIAQ : 28,76 $. À l’extérieur du Canada : 1 an, 46,01 $ ; 2 ans, Courriel : circuit@ottiaq.org 86,27 $. Toutes les taxes sont comprises. Chèque ou mandat- Site Web : www.ottiaq.org poste à l’ordre de « Circuit OTTIAQ » (voir adresse ci-dessus). Cartes de crédit American Express, MasterCard, Visa : www.ottiaq.org/publications/circuit_fr. php 100 % PC Imprimé sur papier recyclé 30 % postconsommation (couverture) Deux fois lauréat du Prix de la meilleure et 100 % postconsommation (pages intérieures), fabriqué avec des publication nationale en traduction de la fibres désencrées sans chlore, à partir d’une énergie récupérée, le biogaz. Fédération internationale des traducteurs.
DOSSIER TRADUIRE POUR LES ENFANTS Le fabuleux récit de la traduction pour les jeunes et les enfants P armi toutes les spécialités qui s’ouvrent aux traduc- trices et aux traducteurs, la traduction pour les jeunes et les enfants reste sans doute l’une des plus nobles. Elle fait découvrir à la jeunesse d’aujourd’hui des réalités diffé- rentes de la sienne : des cultures, des lieux et des événements lointains ou imaginaires. Elle contribue à l’éveil intellectuel et social d’une génération au monde qui l’entoure. Le dossier que nous vous présentons rend compte de quelques facettes de cette spécialité. La diversité des points de vue qui y sont exprimés nous donne l’occasion d’explorer plu- sieurs aspects d’une spécialité mal connue. C’est ainsi que Christiane Duchesne, auteure idolâtrée des enfants, nous révèle sa passion pour la traduction jeunesse ainsi que certains pro- blèmes concrets qu’elle a dû surmonter dans le cadre de sa pra- tique. Claire Le Brun-Gouanvic nous entretient de la traduction en français de la littérature canadienne-anglaise. Elle aborde en particulier la collection « Deux Solitudes Jeunesse » et traite de la résistance à la traduction dans l’édition jeunesse québécoise. Vera White nous parle de la traduction de Peter Pan au Brésil, et de l’utilisation de la traduction pour modifier l’histoire et trans- mettre une idéologie sociopolitique. Rachel Martinez nous ex- plique le processus de publication de traductions aux Éditions de la courte échelle. Elle nous dévoile le rôle de la traductrice ou du traducteur dans tout ce processus. Caroline Larue nous fait découvrir sa pratique de la traduction de livres jeunesse, et Bérengère Rouard, qui a traduit plusieurs films avec son collègue Thibaud de Courrèges, nous expose les défis de l’adaptation pour le cinéma et la télévision. Elle signale plusieurs dif- Philippe Caignon, term. a., trad. a. et Solange Lapierre ficultés et casse-tête culturels et présente les professionnels qui travaillent à l’adapta- tion et au doublage d’un film. Pascale Lortie et Michel Gatignol, pour leur part, nous brossent le portrait de l’adaptateur moderne. Le marché de la traduction jeunesse est en pleine effervescence et engendre des pro- jets innovateurs. Ainsi, l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) s’est associée avec la Foire du livre jeunesse de Bologne afin d’aider les maisons d’édition et les traducteurs du monde entier à entrer en relation. L’Index Circuit • Printemps 2009 Translationum, qui liste tous les ouvrages traduits et qui constitue encore l’unique biblio- graphie internationale des traductions, a été utilisé pour créer un répertoire international des traducteurs pour enfants. Nous tenons à remercier chaleureusement nos collaboratrices et collaborateurs qui, par leur généreuse contribution, nous révèlent les secrets de la traduction pour la jeunesse et nous instruisent sur la place de celle-ci dans la société actuelle. 5
DOSSIER TRADUIRE POUR LES ENFANTS Traduire pour la jeunesse, la grande passion d’une vie d’écrivain ! J e devais avoir quatorze ans lorsque j’ai lu Edgar Allan Poe pour la première fois. J’avais été grande- Pour moi, il allait de soi que la tortue prénommée Franklin s’appelle Benjamin en français, tout bonne- Véritable ment fascinée par le fait qu’il avait été traduit par Baudelaire, comme si je découvrais que l’écriture ment. Des années plus tard, à Vancouver, c’est dans une classe de 5e année qu’un élève tout timide me dé- coqueluche des pouvait emprunter mille chemins et qu’un poète clare : « Vous, vous êtes un génie ! », rien de moins. avait le droit de faire un travail de traduction. J’ima- « À cause de Benjamin… » J’ai fini par comprendre. enfants, l’auteure ginais Baudelaire poète et seulement poète, et voilà Allais-je décevoir toute la classe en avouant que je Christiane que tout à coup, il s’en permettait plus ! n’avais jamais fait le rapport entre Benjamin et Frank- Quand, aujourd’hui, les enfants que je rencontre lin, que c’est mon inconscient qui avait fait le travail ? Duchesne livre ici dans les écoles me demandent de leur expliquer le Non, ils n’ont pas été déçus, puisque je leur ai expliqué ses réflexions sur métier d’écrivain, je réponds que, selon les cas, il a plusieurs facettes. Albums pour les petits, premiers que, en plus d’avoir été philosophe, physicien et diplo- mate, Benjamin Franklin avait inventé le paratonnerre une trentaine romans, romans tout court, chansons, dramatiques et les palmes ; nous avons également parlé des mer- radiophoniques, scénarios pour le cinéma et la télévi- veilles de l’inconscient. Tout ça, parce que nous avions d’années de sion, les petits s’amusent à découvrir ce à quoi je n’ai commencé à parler de traduction… travail, pas touché. Et quand je leur parle de traduction, les De toutes ces expériences, la plus dure demeure la yeux s’ouvrent très grand comme si je parlais d’un télévision, étant donné la quantité de personnes notamment la mystère indéchiffrable. Pourtant, nombreux sont les impliquées. Diffuseur, producteur, réalisateur, chacun traduction de plus élèves dont le français n’est pas la langue maternelle. Pour ceux-là, traduire est chose courante. Mais non, donne son avis. Les discussions sont longues, mais le travail doit se faire très vite ; il faut donc un chef de la de cinq cents lorsqu’il s’agit d’un livre, c’est un autre monde, et la traduction et plusieurs traducteurs. Il faut respecter des traductrice qui est là devant eux se sent tout à coup délais en général très courts. On n’a pas le temps de fi- titres, auprès de investie de pouvoirs magiques. gnoler, alors que c’est ce que j’aime par-dessus tout… La son public favori, S’approprier l’histoire écrite par un autre, enfiler traduction de scénarios a ses exigences, et quand on les chaussures d’un autre, deviner les émotions d’un s’adresse aux enfants, c’est pire. La télé pour les enfants les jeunes. autre… Rendre un nouveau texte dans une nouvelle est sous haute surveillance. Nous devons « subir » les langue, c’est un peu comme le tremper dans un bain évaluations des scénarios faites par des psychologues de teinture très pâle qui, sans masquer l’imprimé, lui souvent très à cheval sur la « sécurité » des contenus. Par Christiane Duchesne donne une nouvelle vie. On dépasse largement la rectitude politique, on sombre Traduire des textes destinés aux enfants, je crois dans une morale étouffante et réductrice. que c’était pour moi inévitable ; j’ai tant de fois eu envie de traduire certains textes qui m’emballaient. La traduction de chansons, Sauf que je ne suis pas traductrice de métier, mais plutôt une autodidacte spécialisée en littérature pour si fascinante la jeunesse. Le premier éditeur qui est venu me cher- La traduction de chansons est extrêmement difficile, cher, il y a trente ans, tenait absolument à travailler mais tellement fascinante. J’ai fait de la musique toute avec quelqu’un qui savait écrire pour les enfants, his- ma vie, ce qui me facilite sans doute les choses. Le gros toire de donner un ton qui leur corresponde. Après problème, c’est la rime, bien sûr. Mais un autre pro- quelques expériences malheureuses avec un « tra- blème tout aussi embêtant, c’est l’accent tonique qu’il ducteur-traducteur », il devenait impérieux pour lui de faut ajuster sur les temps de la mesure. Une chanson trouver quelqu’un qui sache parler aux petits… anglaise mal traduite en français aura toujours l’air d’une chanson anglaise, et d’une chanson qui boite. Entre albums, chansons Un exemple réussi. Ça fonctionne à merveille sur la musique, la mélodie, le rythme ; tout est réussi. et série télé J’avoue que jamais de ma vie je n’aurais pu penser Circuit • Printemps 2009 Depuis, j’ai traduit des centaines d’albums et des di- que je ferais un jour rimer âme avec hippopotame… zaines de chansons, et fait l’adaptation d’une série télé. Parmi ces centaines d’albums, il y a la série des If you love a hippopotamus Benjamin, écrits par Paulette Bourgeois et illustrés And you love her a lot-amus par Brenda Clark, les aventures d’un petit garçon She will be your friend tortue qui s’appelle Franklin en anglais. And that can be mighty handy now and then ! 6 C h r i s t i a n e D u c h e s n e a re ç u c e r t a i n s d e s p l u s g ra n d s p r i x l i t t é ra i re s , c o m m e l e p re s t i g i e u x p r i x M . C h r i s t i e ( 1 9 9 2 , 1 9 9 3 e t 1 9 9 5 ) e t l e Pr i x d u Gouverneur gé né ral (1990 et 1992), et elle a é té inscrite sur la liste d’honneur I B BY international (International Board on Books for Young People) en 1992.
Si tu aimes un hippopotame Si tu l’aimes de toute ton âme Il t’aimera aussi Il n’y a pas de plus précieux, précieux ami ! À mes yeux, la traduction de roman est sans doute la moins périlleuse. Quoique j’ai déjà eu à tra- duire un roman qui commençait avec une série de blagues moches (personne ne riait… !), et c’est sur un jeu de mots ridicule de la dernière blague que se basait toute l’intrigue. Dans ce cas-ci, après trois se- maines de recherches infructueuses de mon côté, l’auteur avait accepté de modifier son premier cha- pitre pour me faciliter la tâche, l’éditeur s’étant bien rendu compte de la difficulté presque insurmon- table. Au moment où l’auteur allait commencer sa nouvelle version, j’ai trouvé une solution très rigo- Imagine, qui ont publié la traduction. J’étais particu- lote. Mais nous avions pris trois semaines de retard. lièrement fière de la manière dont j’étais venue à Et cette solution, c’est parmi les souvenirs d’école bout de ces deux pages-ci. primaire de mes propres enfants que je l’ai trouvée. Un banc de poissons va à l’école… Traduire un album illustré est un pur plaisir. C’est tou- jours très court, très serré, je dirais même acroba- tique. De manière générale, la difficulté ne réside pas seulement dans le texte, mais dans le rapport entre le texte et l’illustration. Parfois, il est absolument impos- sible de travailler le texte tant que l’on n’a pas reçu les esquisses. Et comme les esquisses ne sont pas toujours finales et que certains détails pouvent venir s’ajouter dans la version définitive, il y a toujours un risque de passer à côté de quelque chose. Exemple : on parle dans un texte anglais d’un banc de poissons ; or, dans l’illustration, on voit de tout petits poissons qui passent devant une école… que faire ? Si l’on dit que le banc de poissons s’en va à l’école, on passe à côté de l’humour du texte, d’au- tant que les poissons ne s’en vont pas à l’école, mais qu’ils passent simplement devant. L’illustrateur s’est amusé et, moi, je me suis arraché les cheveux. Même lorsque l’illustration n’est pas en cause, il y a des jeux de mots absolument intraduisibles ; il faut donc adapter, aller dans une direction souvent fort diffé- rente et tenter de ne pas se casser le cou. Material from The Extinct Files by Wallace Edwards reprinted by permission of Kids Can Press Ltd., Toronto. Text and illustrations copyright © 2006 Wallace Edwards. / Les illustrations extraites de Dossier Dinosaures sont reproduites avec la permission des Et les inadaptables Éditions Imagine inc. Tous droits réservés 2009. Dans le titre The Extinct Files, de Wallace Edwards, Il y a aussi les problèmes de style. La plupart des publié chez Kids Can Press, le X de Extinct est en rouge albums ont un style que je qualifierais de « normal ». vif sur la couverture. Même les Français n’ont pas Robert Munsch fait exception : il y va de répétitions à traduit le titre de la série X-Files pour leurs téléspecta- outrance, et en anglais, cela passe très bien. Il utilise teurs. Moi, j’ai tout de même cherché un titre aussi aussi des expressions très proches de l’onomatopée. percutant, mais sans succès. Dossier Dinosaures, tout Dans son cas, il faut adapter très finement, sinon c’est Circuit • Printemps 2009 simplement… d’une platitude ! Dans ce magnifique ouvrage, les dinosaures ont Jamais je n’ai reçu de plainte d’un auteur. Peut- des noms assez tordus, Gorgeousaurus, Tricerapops, être que certains ne connaissent pas assez le fran- Deanosaur, Groovysaurus. Tout le jeu de l’histoire se çais pour juger ? Moi-même, quand je suis traduite passe dans l’illustration. C’était terrible à faire, mais en chinois et en coréen, je dois faire confiance aux le résultat a séduit les responsables aux Éditions traducteurs. Certains éditeurs ont la tête dure et 7
DOSSIER TRADUIRE POUR LES ENFANTS sont convaincus que leurs réviseurs sont excellents. exprimer la véritable pensée de l’auteur en gardant le Mais ce n’est pas toujours le cas et là, il faut y aller à même emplacement du texte. Dans certains cas, le grands coups de dictionnaire et de Grevisse pour montage typographique doit être complètement revu. faire comprendre que leurs suggestions sont carré- Et il faut espérer que seul le noir est en cause, car si le ment mauvaises et qu’il s’agit, trop souvent, d’angli- texte est en quatre couleurs, c’est la catastrophe. cismes et de faux amis. Bertrand-Clifford Jouer à la tag et manger le gros chien rouge du vegemite… Dans la série des Bertrand et des Benjamin, Scholas- Une dernière difficulté : les jeux (ça joue beaucoup tic a fonctionné pendant des années avec mes noms dans les livres pour enfants) comme la « tag » ! Ici, on de personnages français. Jusqu’au jour où des pro- joue à la tag, pas à « chat » comme les Français. Dès ducteurs télé ont acheté les droits pour faire de ces que je vois la fichue tag venir, je m’organise, dans la albums des dessins animés. Ils ont tenu à garder les mesure du possible, pour faire jouer les personnages noms originaux anglais, ce qui m’a obligée (pour les à autre chose. Difficile aussi de faire manger du « ve- livres qui ont suivi) à « renommer » mes person- gemite » à des enfants d’ici. Il faut trouver quelque nages. Bertrand, le gros chien rouge, a donc repris chose de pas très bon équivalant au fameux « vege- son nom de Clifford, et Benjamin la tortue s’appelle mite », sauf si le personnage aime ça ! Un jour, dans maintenant Franklin. Un peu triste pour les enfants. un texte qui venait de l’Ouest canadien, tout tournait Je n’aurais pas aimé, petite, voir les héros de mes autour de l’Action de grâces et d’une histoire de livres préférés changer tout à coup de nom… dinde. On ne mange pas ça, ici, en octobre. Surtout Je viens tout juste de recevoir un de mes petits qu’ils mangeaient le volatile avec des patates douces romans, Un baiser pour Julos, traduit en arabe chez et de la guimauve fondue dessus. Parfois, on n’a pas Shorouk, au Caire. Fascination et mystère, je ne envie de traduire… Alors, je demande l’autorisation saurai jamais si le travail a été bien fait, à moins de d’adapter fortement, jusqu’à devoir changer le menu ! demander à l’écrivaine Mona Latif-Ghattas d’exami- Encore un petit souci que certains ouvrages impo- ner la chose. Je voudrais bien savoir comment il s’ap- sent au traducteur : le nombre de mots. Bien sûr, le pelle, mon Julos ! texte français sera toujours plus long que le texte an- De tous les textes que je traduis, les plus courts glais. Mais lorsque le texte fait partie de l’illustration, restent toujours mes préférés (notamment les chan- qu’il se promène sur deux pages en long ruban dont sons), les plus difficiles, les plus passionnants, les les caractères varient, du plus gros au plus petit, il plus exigeants et, en fin de compte, ceux dont je faut se mettre à l’acrobatie olympique pour arriver à retire les plus grands plaisirs. DEUX SOLITUDES JEUNESSE Bientôt trente ans de présence du roman canadien-anglais dans l’édition jeunesse québécoise « D eux Solitudes Jeunesse » occupe une position tout à fait particulière dans le champ de l’édi- tion jeunesse québécoise : remarquable de longé- cette tiédeur ? Après avoir brièvement retracé l’his- toire de la collection et présenté ses artisans et son contenu, nous terminerons par quelques réflexions vité, puisqu’elle a été officiellement lancée en 1980, sur la réception de « Deux Solitudes Jeunesse », dé- elle est la seule collection exclusivement consacrée à sormais abrégée en DSJ. Circuit • Printemps 2009 la traduction en français de la littérature canadienne- anglaise. Cette présence durable est cependant discrète. Si l’excellence de la collection est souvent Naissance d’une collection reconnue par les spécialistes, celle-ci attire rarement DSJ est le pendant jeunesse de la collection « Les deux l’attention des chroniqueurs dans les médias et ne Solitudes », créée en 1974 et ainsi baptisée en hom- jouit pas d’une grande visibilité en librairie. Pourquoi mage à Two Solitudes de Hugh MacLennan (1945). Un 8 C l a i re Le B r u n - G o u a n v i c e s t p ro f e s s e u re t i t u l a i re a u D é p a r t e m e n t d ’ é t u d e s f ra n ç a i s e s d e l ’ U n i ve r s i t é C o n c o rd i a .
programme d’aide à la traduction du Conseil des Arts et les années 1990-2000. Vingt-quatre volumes parais- du Canada permet à Pierre Tisseyre, directeur du sent d’abord en grand format. Au cours de cette pre- Cercle du livre de France, et à son épouse Michelle, de mière période, il semble que la directrice de collection Depuis la fin des présenter aux lecteurs francophones les Robertson procède à un rattrapage en publiant des œuvres qui Davies, Margaret Laurence ou Mordecai Richler. Jouant jouissent du statut de classiques dans la culture source. années 1970, la à la fois les rôles de directrice de collection et de tra- Au premier rang, Lucy Maud Montgomery, l’écrivaine ca- maison d’édition ductrice, Michelle Tisseyre publie, à titre d’essais, nadienne sans doute la plus connue à l’étranger. DSJ quelques traductions d’ouvrages pour la jeunesse, publie le cycle d’Emily, traduit par la directrice de collec- montréalaise Pierre signés par des auteurs consacrés, comme Margaret Atwood. Puis un roman historique traitant de la migra- tion elle-même (1983-1988). Parallèlement à ces valeurs sûres paraissent des livres plus récents, qui ont souvent Tisseyre se propose tion vers le Canada, au XIXe siècle, d’esclaves évadés obtenu un prix en version originale. À la fin de 1989, la de faire connaître des plantations américaines, paraît en 1979 : Les che- collection passe au format de poche et numérote ses mins secrets de la liberté (Underground to Canada, titres. Dès le numéro 4 de la nouvelle formule édito- aux adolescents 1977), de Barbara Smucker. Les conditions paraissent riale, Marie-Andrée Clermont remplace Paule Daveluy à francophones les donc alors réunies pour lancer une collection jeunesse, la tête de la collection. Comme sa prédécesseure, qui naît en 1980. Parmi les titres de lancement figurent Mme Clermont a commencé par être traductrice pour DSJ meilleurs romans trois classiques : La promesse de Luke Baldwin (Luke Baldwin’s Vow, 1948), de Morley Callaghan, et Deux (à partir de 1986). Mais, à la différence de son aînée, elle commencera sa carrière d’auteure pour la jeunesse écrits au Canada grands ducs dans la famille (Owls in the Family, 1961) après avoir traduit de nombreux ouvrages de l’anglais. anglais pour les ainsi que La malédiction du tombeau viking (The Plusieurs succès parus en grand format sont réédités, Curse of the Viking Grave, 1966), de Farley Mowat. dont les quatre tomes d’Émilie de la Nouvelle Lune. lecteurs de leur Le quatrième titre a remporté le prix du Canada Parmi ces rééditions se trouvent des traductions pri- âge. Riche d’une Council Children’s Literature en 1977 : Écoute, l’oiseau mées, telle celle réalisée par Claude Aubry de You Can chantera (Listen for the Singing), de Jean Little. Les Pick Me Up at Peggy’s Cove, de Brian Doyle, qui a rem- soixantaine de deux collections, adulte et jeunesse, annoncent le porté le prix du Conseil des Arts en 1984, prix décerné titres, la collection même objectif, rappelé dans chaque volume : « faire pour la première fois à un ouvrage pour la jeunesse. connaître les ouvrages les plus marquants de la littéra- Certains auteurs ont une forte présence : outre Brian « Deux Solitudes ture canadienne de ces dernières années ». À la tête de DSJ, on retrouve, non Michelle Doyle, citons Farley Mowat, Lucy Maud Montgomery, Barbara Smucker, puis William Bell, Kevin Major, Frank Jeunesse » jouit Tisseyre, qui continuera cependant de traduire, O’Keefe, Kit Pearson, Robert Sutherland et enfin John d’une excellente mais Paule Daveluy. Le choix est fort judicieux. Wilson, qui apparaissent au moins trois fois dans la col- M me Daveluy, dont les romans pour la jeunesse lection. Se dessine donc, à travers ces récurrences, un réputation : ont connu un succès international à la fin des paysage de la littérature jeunesse canadienne-anglaise. l’intérêt des textes années 1950, joue alors un rôle très actif dans la L’obtention d’un prix dans la culture source demeure un promotion de la littérature pour la jeunesse, en critère de sélection constant : Prix du Gouverneur géné- traduits et la qualité de membre fondateur de l’organisme Communication-Jeunesse, dont elle a été la première ral, Prix M. Christie, etc. Cependant, Mme Clermont, di- rectrice de la collection jusqu’en 1998 et lectrice qualité des présidente en 1971. C’est elle qui a traduit Under- passionnée de ce qui se publie pour les jeunes Cana- traductions ne font ground to Canada. Dans un article de présentation diens anglais, dit avoir aussi procédé par « coups de de la collection, la directrice souligne l’urgence d’ef- cœur », prenant soin de trouver des sujets différents de aucun doute pour fectuer un « travail de repossession de nos ce qui se publie en français à la même époque. les spécialistes. richesses1 ». Il lui paraît en effet crucial de publier au Canada des traductions françaises de grandes Mais qu’en est-il de Thèmes dominants œuvres canadiennes-anglaises, avant que l’Europe ne s’en empare. Elle cite à cet effet le cas de Farley Les thèmes abordés se rangent sous deux rubriques la réception auprès Mowat, célèbre romancier du Grand Nord, dont elle principales : l’Histoire et l’adolescence. Si les sujets du lectorat cible ? n’a pu publier le chef-d’œuvre, Lost in the Barrens, abordés dans la seconde rubrique sont conformes aux traduit en France quelques années auparavant pour tendances internationales du roman pour adolescents Par Claire Le Brun-Gouanvic les éditions Robert Laffont (Perdus dans le Grand — difficultés familiales et sociales, recherche identi- Nord, 1974). Ainsi, le premier lectorat visé, ce sont taire, apprentissage de la sexualité —, le contenu des les francophones du Québec et du Canada, mais romans historiques est beaucoup plus riche que celui Paule Daveluy envisage aussi de rejoindre les élèves des romans québécois. Les récits se situent à des anglophones des classes d’immersion. époques et dans des cadres divers : marine à voile, ex- ploration du Grand Nord, Grande Dépression, guerres Circuit • Printemps 2009 mondiales, luttes syndicales, etc., alors que la majorité Sélection des auteurs et des titres des romans historiques québécois portent sur la Quels auteurs canadiens-anglais sont devenus familiers Nouvelle-France. Les lieux choisis dépassent large- aux lecteurs du Québec et des autres francophonies du ment les frontières canadiennes : un roman de William Canada grâce à DSJ ? Il importe, pour répondre à cette Bell aborde la révolution étudiante de la place Tien An question, de distinguer deux phases : les années 1980 Men peu de temps après les événements. Dans les 9
DOSSIER TRADUIRE POUR LES ENFANTS derniers titres, le roman historique domine nettement, Si DSJ connaît un grand succès d’estime, elle semble rappelant la Première Guerre mondiale (Au petit matin, remporter moins de suffrages que d’autres collec- John Wilson), la Seconde, vue du côté allemand tions pour adolescents. Une collection exclusivement (Les flammes du tigre et À quatre pas de la mort, John consacrée à des traductions se heurterait-elle à une Wilson), et ses lendemains au Canada (À la guerre certaine résistance ? Les éditeurs semblent l’avoir comme à la guerre !, Brian Doyle ; Te voilà, Joanne constaté, qui ont essayé en 1996 de publier deux Taylor). Par ailleurs, beaucoup de romans, historiques titres traduits de l’anglais dans leur collection ou non, dont l’action se situe dans le Grand Nord, se « Conquêtes » pour adolescents : Le fantôme de ma rattachent au courant Outdoor Survival Story2, très mère, de Margaret Buffie, auteure déjà traduite dans bien représenté au Canada anglais. De façon générale, DSJ, et Clair-de-lune, de Michael Carroll. Corrobore- l’intrigue a souvent pour cadre la nature, alors que le rait cette hypothèse de la résistance à la traduction roman québécois est majoritairement urbain. Pour ré- le constat que l’édition jeunesse québécoise recourt sumer brièvement les critères de sélection, on pourrait à la traduction dans des proportions bien moins im- dire qu’au-delà de la légitimation obtenue par les portantes que, par exemple, la France. Le magazine livres dans la culture source, la direction littéraire Lurelu, spécialisé en littérature jeunesse, s’est inter- semble soucieuse de présenter en traduction des rogé sur les raisons de cet accueil mitigé, deman- textes qui ne fassent pas double emploi avec ceux qui dant : « Est-ce l’origine canadienne-anglaise qui fait sont produits dans la culture cible. On pourrait dire échec à cette collection ?4 » Divers intervenants de qu’elle mise sur le différent plutôt que sur le familier. l’édition jeunesse, dont des directeurs de collection et des traducteurs, ont évoqué la longueur des Des traducteurs-auteurs textes, en comparaison des romans québécois, et les différences culturelles5. On a allégué aussi qu’il vau- pour la jeunesse drait mieux lire les romans en version originale. Mais Au cours de cette trentaine d’années, l’équipe de les lecteurs francophones de la tranche d’âge visée traducteurs frappe par sa cohésion. À ses débuts, sont-ils nombreux à posséder une connaissance suf- DSJ recrute surtout parmi les traducteurs littéraires fisante de l’anglais ? Quoi qu’il en soit, il est indé- de « Deux Solitudes », mais très vite, on observe niable que les parutions se sont espacées au cours une dominance d’écrivains pour la jeunesse. Le des dernières années. Depuis 1998, DSJ n’a plus de signe distinctif des traducteurs de DSJ est sans direction : les romans à traduire sont choisis par un doute qu’ils sont, pour la plupart, ce qu’on pourrait comité. Le dernier titre (no 44) est paru en 2007. appeler des « professionnels de la littérature pour la Il serait vain de minimiser la fameuse différence jeunesse », à la fois écrivains et traducteurs. Plu- culturelle, alors qu’elle vient de nouveau d’être mise sieurs d’entre eux mènent de front les deux activités, en lumière par un projet universitaire mené à l’Uni- qui se nourrissent mutuellement. Marie-Andrée versité de Winnipeg, portant sur le concept du Home Clermont se définit en entrevue comme « quelqu’un dans la littérature canadienne pour la jeunesse6. Les qui travaille pour les jeunes » : « Les modalités en résultats susciteront assurément la discussion : sont l’écriture et la traduction3. » En 2004, on voit se dans le roman canadien-anglais dominerait le joindre à l’équipe Laurent Chabin, romancier proli- schéma du départ d’un milieu hostile à la recherche fique et primé, qui devient le traducteur attitré de d’une maison d’élection, alors que le roman québé- John Wilson. Il est significatif à cet égard que le texte cois serait centré sur le Home. Serait-ce l’une des de présentation de DSJ sur le site Web de l’éditeur raisons pour lesquelles la culture canadienne- comporte une citation de L’art d’écrire, de Pierre anglaise est perçue comme « à la fois si proche et si Tisseyre : « Il faut à celui qui veut faire connaître différente7 » de sa voisine francophone ? On souhai- dans une langue ce qui a été écrit dans une autre un terait certes que la différence, d’obstacle qu’elle véritable talent d’écrivain. » Parmi les traducteurs semble être, devienne source de curiosité. particulièrement assidus, outre les deux directrices de collection, Paule Daveluy et Marie-Andrée 1 . D AV E LU Y , Pa u l e , « U n e r i c h e s s e n o u ve l l e : l a c o l l e c t i o n Clermont, qui signent respectivement quatorze et d e s D e u x S o l i t u d e s / J e u n e s s e » , C C L , n os 1 8 - 1 9 , 1 9 8 0 , onze traductions, il faut mentionner Michelle p. 5 - 9 ( p. 6 p o u r l a c i t a t i o n ) . Tisseyre-Robinson, fille de Pierre et Michelle 2 . E G O F F , S h e i l a e t J u d i t h S A LT M A N , T h e N e w Re p u b l i c o f C h i l d h o o d . A C r i t i c a l G u i d e t o C a n a d i a n C h i l d re n’s L i t e - Tisseyre, qui traduit sept romans de 1984 à 2007. ra t u re i n E n g l i s h , D o n M i l l s , O n t a r i o , Ox f o rd U n i ve r s i t y P re s s , p. 2 2 – 3 3 . 3 . P O U L I N , A n d r é e , « M a r i e - A n d r é e C l e r m o n t , a u t e u re » , Deux cultures « si proches Lu re l u , vo l . 9 , n o 2 , 1 9 8 7 , p. 2 0 - 2 1 . Circuit • Printemps 2009 4 . T H I B A U LT , S u z a n n e , « S u r vo l d e s c o l l e c t i o n s d e ro m a n s et si différentes » j e u n e s s e » , Lu re l u , vo l . 1 6 , n o 1 , 1 9 9 3 , p. 4 - 9 ( p. 7 p o u r la citation). À ses débuts, DSJ s’adresse à des lecteurs d’âges 5 . P O U L I N , A n d r é e , « Le s a u t e u r s c a n a d i e n s a n g l a i s e n t ra - divers, selon les titres. Actuellement, selon le site d u c t i o n » , Lu re l u , vo l . 2 5 , n o 2 , 2 0 0 2 , p. 5 – 1 0 . Web, elle vise les « 12 ans et plus ». Le flou initial 6 . R E I M E R , M a v i s , d i r. , H o m e Wo rd s . D i s c o u r s e s o f C h i l - d re n’s L i t e ra t u re i n C a n a d a , Wa t e r l o o , O n t a r i o , Wi l f r i d quant au public cible a pu freiner son essor en nui- L a u r i e r U n i ve r s i t y P re s s , 2 0 0 8 . sant à l’effet collection, à la fidélisation du lectorat. 7 . P r é s e n t a t i o n d e D S J s u r l e s i t e We b. 10
Brazilian Translations of Children’s Literature: Peter Pan – a Case Study P eter Pan was written by J. M. Barrie in 1911, but the character made its first appearance in a story he wrote in 1904 and it is now a classic in chil- work in publications which are often called transla- tions, really equates to shortened adaptations. Some of the works produced have a clear aim. The By Vera White dren’s literature worldwide. Looking at printed edi- Disney version, for instance, tries to “purify” the text tions of Peter Pan published in Brazil from 1930 with the purpose of producing a film that would be onwards, I found some attention-grabbing data considered “morally acceptable” for young kids. about translations. Another example is Monteiro Lobato’s Peter Pan, Peter Pan had such an enormous success One of my realizations is that, after Disney the first edition of the book published in Brazilian that it has since been revived every Studios launched the film Peter Pan, a very specific Portuguese in 1930. Besides the innovations he in- Christmas, ostensibly as a holiday image of the character was built in the minds of the troduces, such as the use of various voices in the entertainment, but really as a play readers of children’s literature, which is one of a slim story, Lobato takes advantage of certain sociopoliti- for grown up people: for as you know, boy, around 9 or 10 years of age, who has brown hair cal allegories present in the original to insert his own when we buy toys for children, and wears clothes made of a green fabric and a hat ideological ideas, producing a final text which in- we take care to choose the ones with a feather on the side. And this does not match cludes radical changes to the story. Peter Pan is de- which amuse ourselves. the descriptions given by Barrie of the smallest of veloped into an anarchic figure and the book became the gang of Lost Boys, who initially wears a white a censorship target in the 1930s.1 According to Wyler, George Bernard Shaw, 1910. nightgown but then changes into clothes made of Lobato was “accused of, among other things, creat- “skeleton leaves.” ing a communist and anti-Catholic character.”2 Disney productions are easy to find on the A large number of versions use intersemiotic market and they are very much present in the minds transposition, i.e. “an interpretation of verbal signs of consumers. The animated feature film version by means of nonverbal sign systems.”3 When text be- Disney created was released in 1953 and it almost comes illustration, the final result tends to be an edi- immediately acquired the status of an original and tion for young children with fewer pages, short texts, became a paradigm for all later publications in and lots of visual information. Omissions tend to Brazil, especially regarding illustrations. Such is the occur due to moral issues: the texts have to be power of the film that the image of Peter Pan in the “cleansed” for young kids and extracts which contain Western world is the one created by Walt Disney. sexual and criminal references, for instance, have to Only recently was there an attempt in Brazil to re- be left out. Additions can be used when the transla- establish J. M. Barrie’s book as the original again, tor intends to insert his or her own thoughts and be- when Ana Maria Machado embarked on a translation liefs to the story, such as the political ideas of of the complete story. The illustrations in this edition Monteiro Lobato. The linguistic style and register were created by Fernando Vicente and they do not also have to be adapted. resemble those created by Disney at all. On the other Readers can find more than 45 different editions hand, this translation was only requested by of Peter Pan on the Brazilian market nowadays; some Salamandra, the publisher, because the official publishers have six or seven different versions of the sequel to Peter Pan, entitled Peter Pan in Scarlet, title currently in stores. It is therefore necessary to Illustration by written by Geraldine McCaughrean, was to be understand the mechanisms that determine the Fernando Vicente launched in 2006. Salamandra had already acquired choice of the publishing house to edit and publish the rights to publish the Brazilian translation and one more version of the same story, simply after in- could take advantage of a profitable market stunt: troducing minor changes. There is a variation in some publishing both stories in consecutive years. Maria aspects between these editions, such as the number Luiza Newlands Silveira translated the sequel, which of pages and illustrations, as well as their size; the became available in 2007. The production and re- amount of written text, involving cuts, abridgments Circuit • Printemps 2009 lease of Peter Pan in Scarlet was not only authorized, and additions to the story; the quality of the material but also promoted by the Great Ormond Street used, among other things. These changes are intro- Hospital in London, England, the copyright holder of duced for different reasons, with the central purpose Peter Pan since 1929. being to adapt the story to a specific age group, but The level of intervention by a children’s literature there are also marketing factors and particular goals rewriter, through modifications introduced into the of the translator or publisher. Ve r a W h i t e i s a n M . A . s t u d e n t i n Tra n s l a t i o n St u d i e s a t t h e U n i ve r s i t y o f S ã o Pa u l o ( U S P ) i n B ra z i l . 11
DOSSIER TRADUIRE POUR LES ENFANTS 1 . S e e J o h n M i l t o n . “ T h e Re s i s t a n t P o l i t i c a l Tra n s l a t i o n s o f We can thus conclude that, between 1953 and M o n t e i ro Lo b a t o , ” i n T h e M a s s a c h u s e t t s Re v i e w, Fa l l 2 0 0 6 , Vo l . 4 7 , n o. I I I , p p. 4 8 6 – 5 0 9 . 2005, the norm when translating or adapting Peter 2 . My t ra n s l a t i o n . L i a Wy l e r. L í n g u a s , P o e t a s e B a c h a r é i s – Pan in Brazil was to use Disney’s Peter Pan as a para- U m a C r ôn i c a d a Tra d u ç ã o n o B ra s i l . R i o d e J a n e i ro : Ro c c o , 2 0 0 3 . digm, mainly regarding illustrations. This is a case in 3 . Ro m a n J a k o b s o n ( 2 0 0 4 ) . “ O n L i n g u i s t i c A s p e c t s o f Tra n s - which the refrection accedes to a more central posi- lation,” in Venuti, Lawrence (Ed.) The Translation Studies tion in the literary polysystem than the original itself, Re a d e r. 2 n d e d . Lo n d o n : Ro u t l e d g e , 2 0 0 6 . 4 . A n d r é Le f e ve re ( 2 0 0 4 ) . “ M o t h e r C o u ra g e’s C u c u m b e r s : even acquiring the status of an original in the target Te x t , Sy s t e m a n d Re f re c t i o n i n a T h e o r y o f L i t e ra t u re” , i n culture.4 Ve n u t i , L a w re n c e ( E d . ) T h e Tra n s l a t i o n St u d i e s Re a d e r. 2 n d e d . Lo n d o n : Ro u t l e d g e , 2 0 0 6 . Plaisir et liberté Circuit : Vous avez reçu le prix John-Glassco, dé- rendre justice au talent de l’auteur. J’ai trouvé cet cerné par l’Association des traducteurs et traductrices exercice extrêmement stimulant. littéraires du Canada, qui souligne la qualité d’une C. : Quelles difficultés avez-vous affrontées ? première traduction littéraire parue sous forme de C. L. : J’ai eu la chance de travailler très étroite- livre chez un éditeur canadien. Qu’est-ce qui vous a ment avec la directrice littéraire et l’auteure. En cas Entrevue de intéressée dans l’ouvrage d’Elaine Arsenault, Ophe- de difficulté, on discutait pour trouver la meilleure Caroline Larue, lia’s Prophecy ? solution. Par exemple, le nom de certains person- Caroline Larue : J’ai été charmée par cet ou- nages avait été créé à partir d’une association prix John-Glassco vrage dès les premières pages. Elaine Arsenault d’images ou d’idées. Si on les conservait tels quels 2008 est une véritable conteuse. Elle sait créer des per- sonnages attachants et des récits très vivants, dans la version française, ces noms perdaient tout leur sens. Si on les traduisait par des associations Propos recueillis remplis de rebondissements. Son imagination est d’idées à peu près équivalentes, ils devenaient par Solange Lapierre sans borne, et son style est imagé, coloré. J’ai par- moins percutants. On a donc convenu qu’il était ticulièrement aimé l’univers dans lequel l’histoire préférable de les changer. J’ai pu donner mon avis est campée… La protagoniste, une jeune gitane, et faire des suggestions et, après quelques séances voyage avec son cheval et vit au gré du vent. Elle de remue-méninges, on a adopté les noms qui se concocte des potions magiques et peut lire l’ave- trouvent dans la version française. nir. Elle est libre et joyeuse, et à la fois forte et C. : Avez-vous eu beaucoup de recherche à mystérieuse. Bref, c’est un personnage inspirant faire, par exemple à propos des Gitans ? S’agit-il et c’est le genre de roman que j’aurais aimé lire à d’un travail sous pression ? 10 ou 12 ans. C. L. : Il s’agit d’un travail sous pression dans la Ce qui m’a aussi vivement intéressée dans ce mesure où il y a des échéances à respecter, mais en projet, ce fut la possibilité de travailler avec la di- ce qui me concerne, ce fut d’abord et avant tout un rectrice littéraire, Agnès Huguet. Sa passion pour la plaisir immense. J’ai adoré chaque minute que j’ai littérature jeunesse est contagieuse, et elle a un passée à traduire cet ouvrage. Ce fut une belle oc- flair à toute épreuve. casion d’élargir mes connaissances (sur la bota- C. : Pensez-vous vous spécialiser dans ce do- nique, par exemple) et mon vocabulaire. maine du fait que l’auteure prépare une série dont C. : La formation des traducteurs est souvent vous avez traduit le premier ouvrage ? très diverse. Quelle est la vôtre ? C. L. : Il s’agissait de ma première traduction C. L. : Je possède un baccalauréat en traduction dans le domaine littéraire. J’ai aussi traduit le ainsi qu’un certificat en création littéraire. Au cours deuxième et le troisième tome de la série, parus des quinze dernières années, mon expérience de l’automne dernier. J’ai adoré l’expérience et j’aime- travail a été plutôt variée : traduction technique, rais beaucoup traduire soit de la littérature jeu- générale, administrative, notamment dans les do- nesse, des romans ou de la poésie. maines de l’aviation et des services bancaires. J’ai C. : Qu’avez-vous aimé de cette première également rédigé et traduit un bon nombre de expérience ? textes promotionnels, de sites Internet et de cata- C. L. : Transposer une œuvre dans une autre logues pour des maisons d’édition. Il est certain langue, tout en respectant le style de l’auteur, le que ma formation universitaire m’a préparée à la Circuit • Printemps 2009 rythme, l’humour, la finesse, le ton et la sensibilité traduction littéraire, mais je crois que c’est surtout du texte, représente tout un défi. Comparativement la passion de la littérature, l’amour de la langue et à une traduction technique ou administrative où le le souci de rendre hommage au texte d’un auteur style, aussi important soit-il, est secondaire, on qui constituent les meilleurs outils pour devenir un s’applique à traduire le texte le plus fidèlement (bon) traducteur littéraire. possible, avec le souci de plaire aux lecteurs et de 12
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