Campagnes solidaires - L'autonomie technologique pour l'agriculture paysanne Dossier - Confédération Paysanne
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Campagnes solidaires N° 361 mai 2020 – 6 € – ISSN 945863 Mensuel de la Confédération paysanne Dossier L’autonomie technologique pour l’agriculture paysanne Coronavirus Pas un·e paysan·ne de moins à l’issue de la crise !
Sommaire Dossier L’autonomie technologique pour l’agriculture paysanne Actualité 4 Pas un·e paysan·ne de moins à l’issue de la crise ! 8 Signez la pétition « Pour le jour d’après » ! 8 Sécheresse : préserver les stocks fourragers 9 La grande armée de l’agriculture dans la guerre au coronavirus Témoignages en temps de crise 10 Journal d’une chevrière ardéchoise 10 « Pas de marché, pas de visibilité, pas de prix ! » 11 Lait : une filière fragile À nos lectrices et lecteurs 11 Une grave menace pour l’horticulture Comme bien d’autres activités, la rédaction, la fabri- 12 Faire de cette crise une chance pour réinventer la production cation et la diffusion de Campagnes solidaires sont de viande bovine perturbées en ces temps de coronavirus. 12 « L’angoisse, on essaie de ne pas lui laisser trop de place » Ainsi notre imprimeur avait-il du cesser sa produc- 13 Jusqu’à quand ça va durer ? tion dans la semaine où devait être imprimé le numéro 13 De Guadeloupe d’avril. Dans un premier temps, nous l’avons proposé Initiatives en lecture libre, en le postant sur le site de la Confé- 14 Une épicerie paysanne, ambulante et solidaire dération paysanne sous format PDF (il y est tou- 14 La magie des réseaux sociaux jours). L’imprimeur ayant pu rouvrir ses ateliers à la mi-avril, 15 « Je me révolte donc nous sommes » décision a alors été prise d’imprimer le numéro et de 16 Un drive paysan à Montpellier l’adresser aux abonné·es en même temps que celui 16 La solidarité au temps du corona de mai que vous avez en main. Comprendre Ainsi reprend le bon parcours des abonnements. 17 L’exemple type d’une crise écologique Une autre chose cependant : nous n’avons pas pu Internationales passer tous les textes à une relecture attentive, tra- 18 Les paysan·nes du monde face à la crise du coronavirus quant la faute dans les moindres recoins de ce numéro 20 D’Italie au sommaire changeant de l’habitude. De ce fait, quelques coquilles se sont sans doute planquées dans 21 Humeur nos articles : nous vous prions de bien vouloir nous 21 Courrier en excuser. 22 Annonces 22 Abonnement Merci pour votre compréhension et pour votre fidélité. Action Le comité de publication de Campagnes solidaires 24 « Vous nous soignez, nous vous nourrissons » Mines de plombs 2 \ Campagnes solidaires • N° 361 mai 2020 Les textes publiés dans Campagnes solidaires peuvent être reproduits avec indication d’origine à l’exception de ceux de la rubrique Point de vue qui sont de la responsabilité de leurs auteurs et pour lesquels un accord préalable est requis. Campagnes solidaires est imprimé sur du papier recyclé
On l’ouvre Paysan, métier d’utilité publique ! En cette fin avril, cela fait bientôt deux mois que le monde tourne au ralenti, que nous cherchons partout à adapter nos pratiques collectives et individuelles. Le déconfinement devrait débuter dans quelques jours, pourtant rien n’est fini : ni pour les effets à court et moyen termes de cette période inédite et encore moins pour le chantier à venir du « retour à la normale ». Dès le départ, notre mot d’ordre a été : pas un·e paysan·ne de moins à l’issue de la crise. Nous avons travaillé collectivement pour rechercher les meilleurs moyens de maintenir la commercialisation de tous nos produits et une valorisation juste pour toujours assurer un revenu pendant et après cette crise : • la réouverture d’un maximum de marchés et la mise en place d’alternatives sécurisées pour les ventes de nos produits, • le soutien aux activités qui perdent tout ou presque pendant cette période, • des moyens de protection pour le secteur agricole et alimentaire, au niveau de notre engagement solidaire et responsable pour toujours assurer production, transformation Nicolas Girod, paysan dans le Jura, et vente, porte-parole national • la mise en place de mécanismes exceptionnels afin de combattre les opportunismes Mensuel édité par : de certains pour affaiblir encore la rémunération paysanne : chevreaux, agneaux, viande l’association Média Pays bovine ou production laitière, notamment. 104, rue Robespierre – 93170 Bagnolet Tél. : 01 43 62 82 82 – fax : 01 43 62 80 03 Cette lutte acharnée n’a été possible que grâce à notre réactivité formidable, à l’inventivité campsol@confederationpaysanne.fr dans la mise en place d’alternatives, à la capacité de chacun·e à répondre, même à distance, confederationpaysanne.fr à la demande de soutien et d’accompagnement des paysannes et des paysans. facebook.com/confederationpaysanne Twitter : @ConfPaysanne Nous devrons « capitaliser » sur cet élan, nous servir de cette crise pour éclairer l’absolue Abonnements : 01 43 62 82 82 nécessité de la généralisation de l’agriculture paysanne partout, dans toutes les productions abocs@confederationpaysanne.fr et sur toutes les fermes. Une agriculture qui emploie plus et mieux, produit pour nourrir Directeur de la publication : Nicolas Girod en qualité et quantité toutes et tous, préserve nos ressources et nos communs pour demain. Rédaction : Benoît Ducasse et Sophie Chapelle Secrétariat de rédaction : Benoît Ducasse Une agriculture qui relocalise, reconnecte et pose les bases d’une société au service Maquette : Pierre Rauzy de l’intérêt général. Dessins : Samson, Rodho Il nous faut donc, plus que jamais, imposer la rupture avec une économie néolibérale qui Diffusion : Anne Burth et Jean-Pierre Edin ne peut en aucun cas faire partie de la solution car étant la cause de nos difficultés actuelles. Comité de publication : Christian Boisgontier, Michel Curade, Joël Feydel, Florine Hamelin, La généralisation de nos alternatives passe par une protection accrue de nos systèmes Véronique Léon, Jean-Claude Moreau, paysans : fin des accords de libre-échange, révision du droit de la concurrence européen, prix Michèle Roux Impression : Chevillon minimum d’entrée, régulation, maîtrise et répartition des volumes produits et du foncier, 26, boulevard Kennedy refondation de la Pac sur des bases sociales et écologiques, sont les mesures urgentes BP 136 – 89101 Sens Cedex CPPAP n° 1121 G 88580 pour revoir notre modèle et couper avec cette « folie de déléguer notre alimentation », N° 361 mai 2020 comme disait l’autre… Dépôt légal : à parution L’agriculture est aujourd’hui mise en avant, demain les actes politiques devront reconnaître, Bouclage : 28 avril 2020 protéger, défendre et valoriser notre métier car il est d’utilité publique. Campagnes solidaires • N° 361 mai 2020 / 3
Actualité Pas un·e paysan·ne de moins à l’issue de la crise ! Le 7 avril, la Confédération paysanne a publié une lettre ouverte à l’attention de tou·tes les élu·es politiques à l’échelle nationale française, du Président de la République aux parlementaires, en passant par les ministres concerné·es, afin de leur présenter 24 mesures pour assurer la continuité de l’activité agricole et de l’approvisionnement alimentaire pendant la crise Covid-19, ainsi que la viabilité à terme des fermes. Continuité de l’activité L a crise que nous traversons pour faire en quarantaine puissent se faire remplacer face à l’épidémie de Covid-19 met en agricole sur les fermes sur leur ferme. La disponibilité et le coût avant le rôle crucial des travailleurs et • Protéger la santé des paysans et pay- du service de remplacement peuvent consti- travailleuses de la chaîne alimentaire pour sannes - Il est urgent de garantir la santé tuer des freins, avec le risque que certain·es le quotidien de millions de français·es. La des opérateurs des secteurs indispensables, continuent à travailler malgré des symp- souveraineté alimentaire de la population en insistant sur la priorité absolue aux acti- tômes, mettant en danger leur santé et celle est un besoin essentiel, encore plus visible vités qui assurent la sécurité sanitaire et ali- des autres. Nous attendons donc le ren- en période de crise. Pleinement conscient·es mentaire de la population, et il est néces- forcement des services de remplacement et des enjeux sanitaires et des mesures à saire de stopper les activités non vitales. la généralisation de l’allocation de rem- prendre pour y faire face, nous poursuivons Nous demandons donc que l’outil de pro- placement, pour qu’aucun coût ne reste à malgré tout notre activité afin de nourrir duction industriel français soit réorienté la charge des paysan·nes (mesure n° 3). la population en qualité et quantité. Mais afin de produire de manière massive les les difficultés se multiplient concernant la masques, blouses et solutions hydroalcoo- • Faciliter la garde des enfants - Le tra- poursuite de notre activité, que ce soit en liques et de fournir aux paysan·nes les pro- vail agricole est difficilement compatible circuits courts ou longs, à court, moyen et tections adéquates afin qu’ils puissent pour- avec la garde des enfants au domicile. long terme. suivre leur travail en se protégeant eux et Nous voulons donc que les paysan·nes Nous souhaitons ainsi attirer votre atten- en protégeant les consommateurs et soient inclus·es sur la liste des profes- tion sur certains points cruciaux pour faci- consommatrices (mesure n° 1). sionnels prioritaires pour l’accueil de leurs liter au maximum la continuité de notre tra- enfants et puissent se faire remplacer en vail sur nos fermes et dans les territoires. • Protéger les droits et la santé des tra- cas d’arrêt de travail pour garde d’enfant Nous attendons ainsi un accompagnement vailleurs et travailleuses agricoles - L’en- (mesure n° 4). des pouvoirs publics à la hauteur de notre semble des personnes contribuant à l’acti- engagement sans faille pour assurer l’ap- vité agricole doit pouvoir accéder aux • Assurer la continuité des services de provisionnement alimentaire de nos conci- moyens de protection : salarié·es, saison- la MSA - Des dysfonctionnements ont été toyen·nes durant cette crise. nie·res, apprenti·es, stagiaires… Leurs droits constatés dans l’accompagnement des Enfin, certaines conditions sont indis- sociaux et leur santé doivent être protégés assuré·es, des paysan·nes et des employeurs pensables afin de garantir la viabilité de nos en veillant à ce que les conditions de tra- de main-d’œuvre (prélèvements de cotisa- structures agricoles à court, moyen et long vail, d’accueil ou de logement respectent tions malgré les annonces de report, stan- terme. Donnons-nous collectivement scrupuleusement les recommandations dard injoignable). Nous demandons, pen- comme objectif : « Pas un·e paysan·ne de sanitaires. Nous demandons un accès aux dant toute la durée de cette crise, une plus moins à l’issue de la crise ». protections et un renforcement des moyens grande réactivité et un accompagnement de Face à cette crise dont nous ne connais- et des contrôles effectués par l’Inspection la MSA à la hauteur pour la mise en œuvre sons pas la suite, des cellules de crise dépar- du travail (mesure n° 2). des mesures de soutien aux paysan·nes, le tementales doivent être ouvertes concernant versement des prestations et la réponse le secteur alimentaire, avec l’ensemble des • Garantir un droit effectif au rempla- aux situations urgentes (mesure n° 5). syndicats agricoles et des parties prenantes, cement - Pour assurer la continuité de pour une gestion transparente des diffi- l’activité agricole et limiter la propagation • Assurer la continuité des services à cultés du monde agricole et de l’ensemble du virus, il est essentiel que les paysan·nes la production et des industries de trans- de la chaîne alimentaire. contaminé·es par le Covid-19 ou placé·es formation et de logistique pour la sécu- rité alimentaire - Les magasins de four- niture agricole (semences, outils), les réparateurs de matériel agricole et frigo- rifique, les vétérinaires ruraux et tous les autres services indispensables à l’activité agricole doivent être maintenus. Il en va de même pour les activités de collecte et de transformation : abattoirs, transpor- teurs… Nous exigeons que les condi- tions de protection sanitaire soient assu- rées pour ces opérateurs afin de préserver le fonctionnement de l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement alimentaire (mesure n° 6). 4 \ Campagnes solidaires • N° 361 mai 2020
Actualité rer cruciales en cas de confinement prolongé afin d’assurer un approvisionnement ali- mentaire régulier de qualité, au plus proche des lieux d’habitation. Nous demandons l’implication des pou- voirs publics, locaux et nationaux, dans la création et le maintien de ces circuits de proximité afin de préserver les débouchés des productrices et producteurs locaux, assurer à chacun·e l’accès à une alimenta- tion de proximité et choisie, et poser les bases d’une relocalisation de nos systèmes alimentaires et de la revitalisation de nos territoires (mesure n° 10). • Garantir le maintien et la bonne pour- ment à proximité est un non-sens. Nous • Ne pas verbaliser les consommateurs suite des installations agricoles en cours - demandons la réouverture rapide d’autres et les consommatrices qui s’approvi- Les installations en cours ne doivent pas marchés, y compris dans les grandes et sionnent en vente directe - Depuis le être pénalisées, les déplacements des por- petites villes qui doit donc se faire rapide- début du confinement de nombreuses teurs et porteuses de projet agricole auto- ment sur le critère de leur capacité à mettre personnes ont été verbalisées pour s’être risés, et les installations récentes ne doivent en œuvre les mesures barrières. Une expres- approvisionnées « trop loin » de chez elles pas être fragilisées. Nous alertons notam- sion politique au plus niveau est urgem- alors qu’un supermarché était plus proche ment sur les prêts « jeunes agriculteurs » : ment attendue pour soutenir les produc- ou pour avoir acheté des plants potagers il n’est pas possible pour les banques de teurs et les élus des territoires dans ces pourtant autorisés ; ceci au détriment de rééchelonner ces prêts, encadrés régle- démarches (mesure n° 9). la production locale. Nous demandons mentairement. Cela contraint de nom- qu’une instruction claire soit transmise breuses personnes à contracter des prêts • Renforcer les débouchés alternatifs aux forces de l’ordre pour éviter que de courts termes pour pallier la perte de chiffre de proximité et préserver la vente directe telles verbalisations se reproduisent d’affaires. Nous exigeons la levée de cette avec l’appui des collectivités locales - (mesure n° 11). impasse réglementaire de toute urgence Depuis le début de la crise, de nombreuses pour pouvoir rééchelonner les prêts « jeunes initiatives ont émergé ou se sont renforcées • Mettre en avant les filières en diffi- agriculteurs », et ce sans intérêts induits sup- pour développer des formes diverses de culté, les signes de qualité et les pro- plémentaires (mesure n° 7). vente directe ou de circuit de proximité : ductions nationales dans les grandes et plateformes numériques, mise à disposition moyennes surfaces de vente (GMS) - Les • Assouplir les déclarations Pac face aux de lieux de dépôt-livraison de produits filières en difficulté (horticulture, fruits et incertitudes - Les services d’accompagne- locaux, aménagement de points d’appro- légumes, produits frais, agneaux et che- ment à la déclaration Pac sont globalement visionnement, poursuite de l’activité de vreaux…) doivent être mises en avant indisponibles. Nous demandons des effec- restauration collective pour la livraison de durant cette période pour minimiser les tifs suffisants pour traiter tous les dossiers repas à domicile pour les personnes âgées pertes économiques et le gaspillage ali- qui en ont besoin. Avec la crise, les éleveurs ou isolées… Ces initiatives présentant mentaire. De même, les produits sous signe et éleveuses, notamment, ne peuvent éva- l’avantage d’un nombre limité d’intermé- de qualité ne doivent pas être délaissés luer le nombre d’animaux qu’ils auront sur diaires sur la chaîne alimentaire et ont été mais, au contraire, mis en exergue auprès leur ferme. Nous demandons qu’une sou- pleinement réfléchies au regard des impé- des consommateurs et consommatrices plesse soit prévue pour que les paysan·nes ratifs sanitaires. Elles pourront aussi s’avé- pour valoriser les savoir-faire paysans et sen- puissent modifier leur déclaration Pac a posteriori et sans pénalité (mesure n° 8). Maintien de l’approvisionnement alimentaire dans les territoires • Maintenir les marchés – Aujourd’hui, trop peu nombreux sont encore les mar- chés de plein vent et couverts qui ont été maintenus, en particulier dans les villes. Or tous ceux qui ont été maintenus ont fait preuve d’une rigueur et d’une réactivité exemplaire dans la mise en place des mesures barrières. Montrant ainsi que le maintien des marchés sur le seul critère de l’absence d’autres points d’approvisionne- Campagnes solidaires • N° 361 mai 2020 /5
Actualité pallier l’urgence. Toutefois, elles ne suffi- ront pas à compenser les pertes écono- miques réelles des fermes. En exemple, la quasi-totalité du chiffre d’affaires des pro- ducteurs et productrices de plants et de fleurs est réalisée entre mars et mai. Sans soutien à la hauteur, la viabilité de ces structures est en jeu. Les pertes de pro- duction (y compris celles impactant le chiffre d’affaires en dessous de 50 %) liées aux mesures sanitaires prises pour enrayer l’épidémie doivent être indemnisées, même celles qui seraient consécutives à la période dite de confinement. Ces indemnisations doivent permettre de maintenir l’emploi paysan partout. Nous demandons ainsi un sibiliser sur la valeur de l’alimentation au Assurer la viabilité à terme prolongement de ce fonds de solidarité regard de son rôle essentiel pour nos socié- des fermes durant la totalité des arrêts d’activités dus tés. C’est aussi l’occasion de refonder les • Reporter les échéances bancaires - au confinement, y compris pour les fermes filières alimentaires sur des chaînes de Les rentrées d’argent ont été fortement en déclaration de cessation de paiements. proximité plus équitables, et de remettre réduites depuis la mi-mars, voire nulles Nous demandons également un système en cause notre dépendance aux importa- parfois, du fait de la crise. Le système ban- d’indemnisation complémentaire com- tions. Nous voulons qu’en grande distri- caire doit accompagner de manière res- pensant les pertes économiques réelles sur bution la priorité soit donnée à la produc- ponsable ces structures pour assurer leur l’ensemble de cette même période. Cette tion nationale et locale pendant toute la pérennité, sans les engager dans un cercle indemnisation doit être plafonnée par actif durée de cette crise (mesure n° 12). infernal d’endettement. Ainsi, nous deman- ou active afin de permettre à toutes et tous dons la possibilité de report des échéances d’en bénéficier (mesure n° 16). • Garantir la transparence sur les prix bancaires, et ce sans intérêt supplémen- d’achat et prix justes par les GMS - Avec taire, contrairement à ce que proposent • Mettre en place une procédure de sau- la fermeture de la restauration collective certaines banques. Il convient que cette vegarde simplifiée - La procédure de sau- et hors domicile, les ventes de la grande possibilité soit ouverte également aux prêts vegarde est une procédure collective qui distribution ont fortement augmenté. bonifiés et aux fermes en difficulté, y com- protège les entreprises en difficulté en sus- Dans ce contexte, une éventuelle solida- rité pour l’écoulement des volumes n’est pas suffisante ; elle doit se traduire aussi sur les prix d’achat pratiqués. Les produits agricoles doivent être achetés à un prix juste et de manière transparente. Nous exi- geons la transparence des prix d’achat de la GMS. Cette transparence doit être éta- blie avec un suivi des pouvoirs publics. Les prix pratiqués doivent être fixés au- dessus du prix de revient des produits agricoles (mesure n° 13). • Assurer la protection du personnel de l’industrie agroalimentaire et des GMS - Le secteur alimentaire est prioritaire et doit pouvoir poursuivre son activité en pris celles en déclaration de cessation de pendant le paiement de dettes à l’ouverture protégeant les salarié·es tout au long de la paiements (mesure n° 15). de la procédure. Quand la procédure de sau- chaîne. Le personnel de la GMS est parti- vegarde simplifiée est une solution à la culièrement exposé au risque de conta- • Permettre une réelle indemnisation pérennité de la ferme, nous demandons mination. Nous interpellons le gouverne- des pertes des producteurs et des pro- que celle-ci soit prise en charge par l’État ment pour assurer l’attribution des ductrices face à la crise - A ce jour, les aides (mesure n° 17). équipements nécessaires à sa protection, du fonds de solidarité, dont le premier à la protection des client·es et des four- volet (accessible à partir d’un niveau de perte • Soutenir l’association Solidarité Pay- nisseurs : masques en quantité suffisante, de chiffre d’affaires) vise à compenser en sans - Le besoin d’écoute et d’accompa- solutions hydroalcooliques, adaptation des partie les pertes de chiffres d’affaires du gnement des paysan·nes va s’accroître consi- locaux pour la mise en place des mesures seul mois de mars 2020, pour un montant dérablement face aux difficultés qui vont barrières, etc. (mesure n° 14). de 1 500 euros maximum, permettent de survenir sous l’effet de cette crise. Nous vou- 6 \ Campagnes solidaires • N° 361 mai 2020
Actualité lons que le soutien aux associations d’ac- de la crise et son impact catastrophique sur d’hui, en pleine crise, certains « jouent » compagnement des paysan·nes en diffi- l’ensemble de la filière laitière justifient encore avec la sécurité et la souveraineté culté, comme Solidarité Paysans, soit aug- l’absolue nécessité d’imposer un pourcen- alimentaire de nous tou·tes. C’est intolé- menté immédiatement et que le tage de réduction obligatoire sur l’ensemble rable et impensable alors que nous devrions gouvernement soit à l’écoute de leurs des fermes laitières. La Confédération pay- penser la coopération et la solidarité à demandes concernant la protection des sanne est consciente de l’effort et des sacri- l’échelle planétaire. Nous exigeons que débiteurs et débiteuses et la sécurisation des fices que cela représente pour les éleveurs cesse toute spéculation des marchés finan- procédures collectives durant cette crise et les éleveuses, mais celui-ci est indis- ciers sur des denrées agricoles et alimen- (mesure n° 18). pensable pour permettre à la filière laitière taires qui vont venir, à terme, mettre en dan- française de survivre à la crise sanitaire ger l’accès à l’alimentation des plus • Assurer le paiement des aides Pac - actuelle. vulnérables (mesure n° 22). Face à la situation économique des fermes, nous voulons que le ministère de l’Agri- culture se dote des effectifs nécessaires à l’instruction des dossiers Pac afin que les délais de versements des aides soient res- pectés (mesure n° 19). • Soutenir l’accompagnement à la tran- sition - Les mesures agro-environnemen- tales et climatiques (Maec), ainsi que les aides à l’agriculture biologique, sont les principaux outils de la Pac en faveur de la transition agricole. La crise actuelle nous montre la nécessité d’accompagner mas- sivement les paysan·nes vers cette transi- tion. À l’ouverture des déclarations Pac 2020, nous ne connaissons pas quelles La Confédération paysanne demande • Aider au stockage de viandes - Excep- Maec seront reconduites. Nous deman- qu’une réduction obligatoire des volumes tionnellement, nous devons pouvoir effec- dons que ces mesures du second pilier de soit mise en place dès à présent. La réduc- tuer du stockage privé et public de viandes la Pac soient pérennisées en 2020 et tion des volumes pour le mois d’avril 2020 afin que les animaux puissent rapidement ouvertes plus largement dans les territoires devra être de l’ordre de 10 % et ajustable quitter les fermes pour être abattus mal- (mesure n° 20). en fonction des flux réalisés dans la filière gré l’engorgement actuel de certains débou- laitière. Chaque producteur ou produc- chés (ovins, caprins, bovins) et que ces Soutien aux filières trice pourra s’inspirer des mesures tech- volumes ne pèsent pas sur les cours déjà de productions niques de réduction de volume proposées en baisse. Ils seront réintroduits ensuite, • Mettre en place la réduction obliga- par l’Institut de l’Élevage (Idele) et leurs lai- de manière graduée, afin de ne pas désta- toire des volumes de la filière laitière teries pour réduire leur production à la biliser les filières et nous devrons en pro- bovine - C’est un effort collectif et soli- ferme (mesure n° 21). fiter pour réfléchir à des mécanismes de daire indispensable à la pérennité des struc- régulation de la production à moyen terme. tures laitières et des entreprises impliquées. • Stopper la spéculation - Le président Nous demandons la mise en place d’une Tous les producteurs et productrices doi- Macron a reconnu la folie de laisser notre aide au stockage privé et public par des vent mutualiser leurs efforts pour préser- autonomie, notamment alimentaire, dans fonds publics français et européens ver l’équilibre de toute la filière. L’ampleur les mains des marchés spéculatifs. Aujour- (mesure n° 23). • Réguler les échanges internationaux - Les importations agricoles et alimentaires intra ou extra-européennes viennent un peu plus nous déstabiliser dans un contexte où nous devons avant tout réfléchir à sou- tenir les acteurs de nos territoires pour favoriser notre autonomie alimentaire. Nous demandons l’arrêt de tous les échanges agricoles internationaux non indispensables à l’alimentation des populations et l’ins- tauration de prix minimum d’entrée au sein du marché européen afin de soutenir les prix de nos productions intérieures, notamment fruits et légumes, miel, agneaux (mesure n° 24). Campagnes solidaires • N° 361 mai 2020 /7
Le ruraleur Le ruraleur Jo vers Actualité les étoiles Joseph Bourgeais. Une mon- tagne de détermination jume- Signez la pétition Sécheresse Les paysan·nes s’inquiètent d’une lée à un pic de générosité, et ce credo porté comme un « Pour le jour d’après » ! météo sèche durant de longues phare dans les tempêtes : ne À l’initiative de 16 organisations (dont la Confédération semaines. « Il faut prioriser les res- pas oublier les plus fragiles, les paysanne, la CGT, la FSU, l’Union syndicale Solidaires, l’Unef, sources fourragères disponibles pour petits paysan·nes qui n’ont que Attac, CCFD Terre Solidaire, Greenpeace, les Amis l’alimentation des animaux plutôt que leurs mains et leur courage de la Terre…), rejointes par une dizaine d’autres pour la production énergétique », face aux difficultés des temps et aux ogres du libéralisme. (dont le Syndicat des Avocats de France et le Syndicat demande la Confédération paysanne Jo a emprunté des chemins qui de la Magistrature), une pétition est proposée à la signature dans un communiqué du 15 avril. Le ont pu troubler celles et ceux depuis le 6 avril. Pour faire face et pour tirer les leçons syndicat appelle à la plus grande vigi- qui ne voyaient que de l’obs- de la crise mondiale du coronavirus, les signataires lance sur l’utilisation de fourrages tination dans la démarche de demandent au gouvernement français de prendre notre ami, alors que ce n’était dans les méthaniseurs en estimant immédiatement quatre mesures et de s’engager sur trois que la certitude puisée dans que « l’herbe doit être comptabilisée axes de politiques publiques (un plan de développement les réflexions de sa foi dans la dans les 15 % maximum d’apports en fraternité. de tous les services publics, une fiscalité bien plus juste culture ». L’objectif affiché est « d’as- Depuis la JAC, il n’a pas eu et redistributive, et un plan de réorientation surer la pérennité des fermes d’élevage besoin de révolution culturelle et de relocalisation solidaire de l’agriculture, de l’industrie déjà fragilisées par les sécheresses à comme certains de ses com- et des services). pagnons des paysans-tra- répétition ». Si le déficit en pluie se « Mobilisons-nous dès maintenant et donnons-nous rendez- vailleurs, au début des années confirme dans plusieurs régions, la vous le ”jour d’après” pour réinvestir les lieux publics 1970. Son expérience, sa vie, situation pourrait affecter la consti- pour reconstruire ensemble un futur, écologique, social étaient de suffisants généra- et démocratique, en rupture avec les politiques menées tution des stocks de fourrages de teurs de conscience. Jamais les jusque-là. » printemps nécessaires aux élevages. sirènes du pouvoir politique ne l’ont troublé, souvenance Pour lire le texte, signer la pétition et la transmettre : Aussi est-il « primordial de préserver sans doute des sirènes d’Ho- policat.org/p/8925 les stocks fourragers ». mère pour qui « celui qui écoute leur chant est perdu ». Il a préféré les mélodies de sa chorale. Hommage Un résistant s’en est allé Il a prêté sa plume exigeante, toujours lucide, à Vent d’Ouest, au Travailleur paysan et à Cam- P atrick Herman nous a quit- tés, terrassé par une mala- die auto-immune fou- droyante, à 72 ans, le 31 mars. l’OMC, citoyen du monde et alter- mondialiste convaincu. Ayant été professeur de lettres, il sera aussi un des moteurs d’un très investi auprès de la Confédé- ration paysanne dans cette lutte de dénonciation, de reconnais- sance et de droits. pagnes solidaires. Manuscrites, Patrick s’est toujours impliqué festival de théâtre à Nant et écrira Il était heureux et comblé d’avoir ses réflexions stimulaient notre dans des combats, des engage- pour plusieurs journaux, dont Le transmis sa ferme à une jeune engagement, pour nous dépas- ments et des pratiques liés à ses monde diplomatique, Politis et… femme, Lucie, qu’il a formée et ser, être plus que nous-mêmes. convictions écologiques et parfois dans Campagnes solidaires. accompagnée jusqu’au bout. Lors de sa dernière rencontre sociales. Mai 1968, puis dès le Nous lui devons aussi plusieurs Mais que celles et ceux contre qui à Bagnolet avec tout·es ses début des années 1970 dans la ouvrages dont le dernier, le fasci- il a tant combattu, les industriels ami·es de la Conf’, nous avions lutte du Larzac. Avec Nicole, sa nant Dystopia (éd. Le Bec en l’air) de l’amiante, de l’agrochimie et levé le verre dans un geste qu’il compagne, ils s’installent alors à aura été le sujet de notre dossier les nouveaux esclavagistes, ne se Nant, retapent une maison puis de l’été 2014. réjouissent pas trop vite : nous appréciait – partager le vin. Et démarrent en bio, pas commun Les dernières victoires de son sommes encore nombreuses et quand il a poussé la lourde dans ces années-là ni encouragé engagement auront été contre nombreux à promettre de conti- porte du siège de notre syndi- par les instances agricoles. Ils l’exploitation des gaz de schiste. nuer ses combats, sans relâche, cat, il s’est retourné, son regard replantent des variétés anciennes Pour lui, la lutte pour l’environ- portés par le souvenir de cet brillant a balayé l’espace, de pommiers, cultivent des fraises. nement n’était pas dissociable de homme debout ! n comme un dernier signe d’en- Patrick sera de la création de la la défense des droits sociaux, en Christian Roqueirol, couragement, d’amour. Le bruit Confédération paysanne de particulier celle des migrant·es paysan dans l’Aveyron métallique de la porte se fer- l’Aveyron, dans les années 1980, dont il a dénoncé l’exploitation puis de tous ses combats, du Mac dans un livre remarquable et NB : il est possible de relire les articles de mant fut son ultime salut. Patrick publiés dans Le Monde diplomatique : Jo courait déjà vers les étoiles. Do de Millau aux faucheurs volon- remarqué, La roue ou la noria des monde-diplomatique.fr/recherche?s=patrick taires d’OGM et à la lutte contre saisonniers agricoles (ed. Khiasma), +herman NB : la bio de Jo est à (re)lire dans notre numéro d’avril. 8 \ Campagnes solidaires • N° 361 mai 2020
Actualité La grande armée de l’agriculture dans la guerre au coronavirus « Rejoignez la grande armée de l’Agriculture française » : en dépit des mesures de confinement, le ministre de l’Agriculture, Didier Guillaume, a appelé le 24 mars celles et ceux sans activité ou au chômage partiel à « travailler dans les champs ». Un appel désespéré et méprisant. L a déclaration du ministre de l’Agri- un tour de main, un savoir-faire, insiste Domi- hébergement sur place, en attribuant « si pos- culture a d’abord mis en lumière tout nique Técher, secrétaire général de la Confé- sible une chambre par salarié ». À défaut, pré- un pan de l’agriculture française qui dération paysanne de Gironde. Un fraisi- cise-t-elle, « espacez davantage la distance vit d’emplois saisonniers habituellement culteur de Dordogne avait pris les bonnes volontés entre chaque lit (au moins 1 mètre) ». pourvus par des dizaines de milliers de mais il a constaté qu’il lui fallait dix travailleurs Pour Olivier Bel, porte-parole de la Confé- ressortissants venus de Roumanie, de au lieu des trois saisonniers qu’il prenait habi- dération paysanne en Paca : « On met en Pologne, du Maroc ou d’Espagne… sans qui tuellement. Il a arrêté de prendre des personnes place des forces de police pour maintenir le ces exploitations ne seraient pas si « com- et va ramasser ce qu’il peut. » Le reste sera pro- confinement et, en même temps, on envoie du pétitives ». bablement amené à pourrir sur le champ. monde dans les champs sans avoir mis en place La crise du coronavirus confirme aussi la les mesures nécessaires pour préserver la main- proximité du gouvernement avec la Fnsea. Des métiers où il faut être d’œuvre. Or ce n’est pas possible de respecter Le jour même de la déclaration du ministre, formé les gestes barrières, on le voit bien sur le ter- celle-ci lançait une plateforme mettant en « Le message du ministre de l’Agriculture a rain. » De son côté, notre inspecteur du relation agriculteurs et « volontaires », avec pu paraître un peu méprisant pour les emplois travail a reçu une invitation de sa direction l’appui de Pôle emploi et de l’Anefa (Asso- agricoles, appuie Pénélope Bourcart, média- générale à ne pas contrôler. ciation nationale pour l’emploi et la for- trice-juriste à l’association Solidarité Pay- La fragilité de certaines productions, tota- mation des agriculteurs). Une semaine plus sans en région Paca. Ça reste un métier où lement dépendantes d’une main-d’œuvre tard, plus de 200 000 personnes avaient il faut être formé, sinon ce n’est pas rentable. » très précarisée, est ici mise à nu. Olivier Bel : répondu à l’appel Des bras pour ton assiette, « Nombre de salariés saisonniers reviennent « L’appel du ministre donne l’impression qu’il conformément à l’objectif du syndicat. régulièrement sur les exploitations », précise faut de la chair à canons. Mais faut-il récol- Les contrats saisonniers proposés, répan- l’inspecteur du travail précédemment cité. ter à tout prix ces productions industrielles ? dus en agriculture, ont le Smic pour base « Les agriculteurs leur font confiance, ils savent Ne vaut-il pas mieux indemniser les produc- légale. « Un CDD au rabais », commente comment ça se passe dans l’exploitation. Le tra- teurs plutôt que de les conforter dans un sys- un inspecteur du travail en milieu agri- vail saisonnier peut exiger des gestes très tech- tème qui pousse à exploiter la main-d’œuvre, cole. « Il est prévu par la loi que ce contrat niques et des compétences fortes. » industrialiser et pousser tout le monde dans le ne donne pas lieu à l’indemnité de précarité, Autre préoccupation : la promiscuité. La mur ? Il est plus que temps de repenser les par exemple. » Avec la difficulté de contrô- Mutualité sociale agricole (MSA) autorise le modèles de production ! » n ler des abus fréquents, permis par le code covoiturage des saisonniers, avec « deux per- Sophie Chapelle, l’article initial, publié sur le site rural : « Les exploitants n’ont rien à justifier sonnes par véhicule et installation en croix (un Bastamag et plus complet est à lire sur : pour dépasser les 10 heures de travail par devant, un derrière) ». Elle autorise aussi leur bastamag.net jour, ni pour aller jusqu’à 72 heures par semaine. » Pour des travaux pénibles, d’au- tant plus pour un public inexpérimenté : « On est exposés lors de la cueillette ou du ramassage à des troubles musculo-squelet- tiques en permanence », précise l’inspecteur. Sans compter l’exposition aux pesticides et à leurs résidus, un risque fort pour celles et ceux devant travailler sous les serres. Pour faciliter les embauches, le gouverne- ment a autorisé les salarié·es en chômage par- tiel à cumuler leur indemnité avec un contrat saisonnier agricole. La durée de disponibi- lité peut poser problème, comme en témoigne une productrice de melons en Vendée : « Des gens candidatent, mais souvent pour une durée trop courte pour nous qui avons besoin d’embaucher pour six mois. » Surtout, outre les qualités physiques et les disponibilités nécessaires, les travaux des Récolte des asperges au printemps : « Il faut avoir le coup de main, explique un producteur. Il faut sentir la champs ne se font pas n’importe comment. taille de l’asperge en plantant la gouge, la dégager sans l’abîmer et la sortir sans la casser. Sinon, c’est perdu « Pour ramasser les fraises par exemple, il y a pour la vente. Ce savoir-faire ne peut se transmettre qu’avec un peu de temps… » Campagnes solidaires • N° 361 mai 2020 /9
Témoignages en temps de crise Journal d’une chevrière ardéchoise 20 février : premières nais- beaucoup d’autonomie). Ça va aller, il faut nous informe que trois chèvres étaient mal sances, c’est reparti après se dire ça pour avancer. bouclées : moins 200 euros sur nos aides trois mois de tarissement. 15 jours après, mes démarches n’ont rien Pac (le contrôleur avait pourtant dit que On est bien contents, dans deux mois on donné. Je suis abattue et dégoûtée. J’en- la situation était régularisée en partant reprend les marchés, on retrouve nos tends que les grandes surfaces sont prises avec notre commande, payée, de rebou- client·es et on rentre un peu d’argent. d’assaut. Et nous ? clage). Nous sommes dans une situation 10 mars : pandémie mondiale, crise Ces premières semaines, chargées d’in- catastrophique et il nous annonce ça sanitaire, l’économie s’arrête. Nos restos certitude, sont passées très vite à la maintenant : aucune compassion. De et marchés ferment. Nous sommes ferme. Et avec la Conf’ (Carole est porte- nouveau le moral dans les chaussettes. Il inquiets. parole départementale, NDLR), on ne pleut pas, la sécheresse s’annonce (n’y 16 mars : les enfants restent à la mai- bosse : coups de fil, courriels, commu- pensons pas). son, les chèvres sont au pic de lactation, niqués de presse, réunions télépho- 4e semaine de confinement : la pression 70 chevreaux sont encore là, les fromages niques, on n’arrête pas. est toujours grande. Je suis désespérée de vont s’accumuler… Réagir. J’appelle la l’inertie des élus locaux. Je passe par la communauté de communes pour leur Quels revenus nous restera-t-il colère, l’incompréhension et la morosité, demander de recenser les producteurs et en fin d’année ? mais aussi par la joie de voir et entendre productrices en vente directe, d’organi- Je pense constamment à notre com- le soutien de nos client·es. Ça fait comme ser des points de vente sur chaque com- mercialisation. On fait moins de fro- les montagnes russes. Souvent les larmes mune et d’informer la population. Après mages, la moitié du lait part aux che- montent. tout, en tant que représentante de la vreaux. Quels revenus nous restera-t-il Je ne sais pas combien de temps ça va Confédération paysanne, j’ai participé à en fin d’année ? Plus question d’embau- durer mais c’est sûr, ce sera très dur à de nombreuses réunions pour réaliser cher, on va redoubler d’efforts. J’ai gérer dans le temps. Je veux bien vivre un diagnostic agricole local, ils ont donc quelques numéros, une page Facebook, cette situation si on en tire les consé- la logistique et les capacités pour tout on doit communiquer. Le bouche-à- quences. Il y a 20 ans, on disait qu’un mettre en place rapidement et nous per- oreille se met en place et là, je deviens autre monde était possible. Aujourd’hui, mettre d’écouler nos productions. J’ap- secrétaire. Le téléphone sonne sans arrêt, je pense qu’un autre monde est inévi- pelle les maires de mes quatre marchés, les commandes arrivent enfin. Mais c’est table. n je ne les sens pas motivés pour deman- très dur à gérer : les prises de commandes, Carole Pouzard, der une dérogation en préfecture pour la préparation et les livraisons, ça prend paysanne en Ardèche rouvrir leur marché. énormément de temps, mais bon, c’est Tout paraît calme, pas d’avion, ni cir- mieux comme ça. culation. Pourtant, ça se bouscule dans Mais voilà qu’un matin, le service « iden- (1) Agence de Services et de Paiement, principal orga- nisme payeur français désigné pour gérer les 2 fonds ma tête, trop de choses à faire et à pen- tification » nous demande de régulariser agricoles européens de la Politique agricole commune ser (dont mes enfants à qui je demande des incohérences de mars 2019, et l’ASP (1) (Pac). « Pas de marché, pas de visibilité, pas de prix ! » « Pas de marché, pas de visibilité, pas de prix ! » : voilà la réponse qu’a obtenue Jérôme, un collègue et ami paysan, lorsqu’il a appelé son occasionnant des frais et une nette déva- lorisation. Sensibilisé à cette alerte, l’interprofession (Interbev-ovin) a lancé une campagne de du producteur ou de la productrice. Depuis, le marché est retombé dans le marasme et l’écoulement s’est nettement ralenti. acheteur d’agneaux, la semaine avant le communication à destination des consom- Alors que la production hexagonale repré- dimanche des Rameaux. Comme tous mateurs. Couplé à l’implication de la sente moins de 50 % de la consommation les éleveurs d’agneaux de bergerie, sa grande distribution mettant en avant française, les distributeurs qui certifient ne production est calée pour sortir au l’agneau français pendant la semaine de pas pouvoir contractualiser avec nous le moment des fêtes de Pâques, période où Pâques (et uniquement cette semaine-là, font plusieurs mois à l’avance pour les la viande ovine est traditionnellement depuis les viandes irlandaises ou néo- importations (+ 39 % entre 2019 et 2020, très demandée avec, en plus cette année, zélandaises ont repris leur place), le pire sur janvier, en provenance de Nouvelle- une concordance de plusieurs fêtes reli- au niveau débouché a été évité, mais à quel Zélande !). Ce sont donc nos agneaux qui gieuses. Mais en ces périodes de confi- prix ! servent de variable d’ajustement, au risque nement, l’isolement et la fermeture des Globalement, les cours ont perdu un de mettre en péril la pérennité de nos restaurants plombent le marché. Résul- euro (six euros le kilo, au lieu de sept), fermes. n tat : deux tiers d’agneaux abattus en soit une bonne vingtaine d’euros par Denis Perreau, moins. Les autres restent sur les fermes, agneau… ce qui correspond à la marge paysan en Côte-d’Or. 10 \ Campagnes solidaires • N° 361 mai 2020
Écobrèves Écobrèves Témoignages en temps de crise Encombrement La section veaux d’Interbev (interprofession bétail et Une filière fragile viandes) a lancé une campagne de com du 14 au 24 avril. Le Rémi Le Mézec est éleveur laitier à Tressignaux, dans les Côtes-d’Armor. En Gaec à 3 associés, confinement a provoqué une sa ferme de 66 hectares produit 530 000 litres de lait par an, livrés à Sodiaal. baisse des abattages de veaux de boucherie de 35 %, qui « Pour l’instant, les sion incite à une baisse de pro- des surproductions, il faudrait « s’explique par l’arrêt quasi- mesures prises pour duction pour consolider les prix, une franchise en deçà de laquelle total des commandes passées contrer l’épidémie du mais ce sera une baisse volon- la réduction de production ne par la restauration commer- coronavirus n’ont pas encore eu taire et limitée, de l’ordre de s’appliquerait pas, 200 000 litres ciale » (plus de 20 % des d’effets négatifs sur notre ferme. 2 % et plafonnée à 5 %, sur les par exemple. débouchés). La situation est La paie du lait de mars était référentiels de production On verra le résultat. Sur notre proche de celle de l’agneau : stable. On ne sait pas trop ce d’avril 2019, pour gros comme ferme, nous avons un faible plutôt consommés aux beaux qu’en pensent les autres éleveurs pour petits producteurs. Je ne endettement, nous sommes jours, « les veaux ne peuvent du coin : avec le confinement, on suis pas très optimiste sur le donc un peu plus solides. Nous (…) pas être “stockés” dans les ne se croise plus, il n’y a plus résultat : déjà pour avril, l’in- sommes aussi en conversion cours des fermes en attendant de réunion de la Cuma… Mais demnisation du lait volontaire- bio, une décision mûrement que la situation s’améliore », c’est une filière fragile, sans véri- ment non produit est inférieure réfléchie à l’approche de la rappelle Interbev. Alors pour- table outil de maîtrise de la pro- au prix du lait produit… transmission et d’un change- quoi pas la com ? duction depuis la fin des quo- ment de génération : cette tas. Le moindre grain de sable Réduction obligatoire conversion rendra la ferme plus Fermeture peut tout enrayer. Début avril, Il faudrait une réduction non attractive pour les nouveaux « Face à la baisse importante le prix « spot » du lait, celui pas volontaire mais obligatoire, associés et repreneurs, au vu de la demande, nous avons dû des marchés à court terme, s’est pour toutes et tous, de l’ordre de sa taille modeste pour la fermer momentanément cer- effondré jusqu’à moins de de 8 à 10 % et ajustable en fonc- région qui nécessite une tains de nos sites de produc- 200 euros pour 1 000 litres. tion des flux réalisés dans la meilleure valorisation de la pro- tion », a annoncé la coopéra- Les lettres d’info de la laiterie filière laitière. Et pour ne pas duction. » n tive laitière Sodiaal, le 7 avril. commencent doucement à pré- pénaliser les petits producteurs Propos recueillis Il s’agit de sites de fabrication parer le terrain. L’interprofes- qui ne sont pas responsables par Benoît Ducasse de fromages AOP : le brie de Meaux à Biencourt (Haute- Marne) et à Courtenay (Loi- ret), la fourme d’Ambert et le Une grave menace pour l’horticulture bleu d’Auvergne à Saint-Flour (Cantal). A priori, pas de risque de défaut de collecte des pro- J e suis horticulteur, produc- mais j’explique que le maraî- d’à côté leur proposent de teur de plants de légumes et cher ou la maraîchère, suivant reprendre la totalité de leur pro- ducteurs, mais l’arrêt de la res- aromatiques pour particuliers, la date de déconfinement, duction pour la vendre… mais tauration hors domicile, la fer- en vente directe sur ma ferme et pourra toujours rentrer un mini- bien sûr en leur achetant à un prix meture de marchés et celle de sur les marchés (quatre hebdo- mum de trésorerie avec les indécent. rayons à la coupe dans les madaires et des foires aux plantes légumes d’été et d’automne. On se doit de défendre toutes les grandes surfaces ont entraîné le dimanche). Pour les horticulteurs et les hor- productions horticoles, et vite. « une baisse des commandes Le 17 mars, je viens juste de ticultrices, la saison est là et Pour celles et ceux qui ont la pos- de 25 à 80 %, selon les fromages commencer ma saison. J’en suis à bien là, le chiffre d’affaires de sibilité de vendre se mettent en AOP, depuis le début du confi- mon sixième marché quand le l’année doit se faire dans les place de nouvelles formes de dis- nement ». maire, le placier et les gendarmes semaines qui viennent. tribution, comme la vente sur des Indispensables arrivent pour annoncer que nous Le 30 mars, une dérogation est fermes ou des drive ; le fait de pré- Réalisme économique avant n’avons plus le droit de déballer. accordée pour la vente des plants parer des paniers ou cagettes est tout : l’Allemagne a finalement Coup de massue. La production de légume et les aromatiques un nouveau travail, très prenant laissé entrer 40 000 travailleurs est bien avancée, les serres sont (depuis le début du confinement, pour nous qui n’avons pas ces saisonniers étrangers afin d’as- presque pleines. Que faire ? Déve- les grandes surfaces ne se gênaient références. surer les récoltes dans ses lopper la vente a domicile ? Impos- pas pour en vendre). Mais – encore Je pense que la Conf’ a joué champs en avril et mai. Avec sible, ces plantes ne sont pas consi- à ce jour, à la mi-avril – toujours son rôle dans cette crise et a été toutefois un contrôle médical dérées comme produits de pas d’accord pour la plante à mas- à l’écoute de la filière. J’espère que et 14 jours séparés des autres première nécessité. sif, la plante en pot, les rosiers, la cela va donner un coup de souffle saisonnier·es à leur arrivée. Pen- C’est la panique générale. Com- fleur coupée… Si rien n’est fait à la commission horticole du dant la récolte, ils devront res- mencent des soirées de réunions rapidement, un nombre impor- syndicat. Mon souhait : que la pecter des distances de sécu- téléphoniques avec les collègues, tant de structures horticoles va Conf’ devienne le syndicat des rité et, si pas possible, porter la Conf’ au niveau départemental, disparaître. horticultrices et des horticul- des gants et un masque de pro- régional, national… Des collègues me contactent teurs. Ils en ont bien besoin ! n tection. Une main-d’œuvre On parle beaucoup de sauver pour m’expliquer que la grande Coco Badie, indispensable pour assurer par les maraîchers. Oui, bien sûr, surface et le magasin de bricolage paysan dans le Lot-et-Garonne son bas coût la « compétiti- vité » des grandes fermes alle- Campagnes solidaires • N° 361 mai 2020 / 11 mandes.
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