FAIRE FACE AU CHANGEMENT - LE CANADA ET LA DÉCENNIE INTERNATIONALE POUR LES PERSONNES D'ASCENDANCE AFRICAINE
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-DEUXIÈME PARTIE- FAIRE FACE AU CHANGEMENT LE CANADA ET LA DÉCENNIE INTERNATIONALE POUR LES PERSONNES D'ASCENDANCE AFRICAINE Édition spéciale en partenariat avec la Commission canadienne pour l’UNESCO VOLUME 16 | NO. 4 | 2019
DEUXIÈME PARTIE « Vous écrivez pour changer le monde... si vous modifiez, même d'un millimètre, la façon dont les gens perçoivent la réalité, vous pourrez alors la changer. » – James Baldwin INTRODUCTION LA VUE DE L'INTÉRIEUR Introduction Des décennies de traumatismes psychosomatiques 3 Dahabo Ahmed Omer 31 pour les personnes d'ascendance africaine. Pourquoi devrions-nous continuer à en parler ? Survol du numéro Darlene Lozis 4 Miriam Taylor Nous sommes à notre place : Les femmes noires 34 créatives affirment leur Blackness à travers l'art Atieno Odera REGARDS SUR LE PASSÉ ET SUR L'AVENIR L’éradication de la discrimination raciale et la lutte pour un humanisme universel : D’une histoire COMMENT ME VOYEZ-VOUS ? 8 commune à une humanité en partage Le paradoxe de la visibilité dans les communautés 39 La très honorable Michaëlle Jean noires canadiennes LGBTQ2S+ Cicely Blain L'enseignement de l’histoire des Africains et des 12 Afro-descendants dans les écoles est-il important ? Métis et/ou Afro-Métis ? Qui pensez-vous être ? Abdi Bileh 42 George Elliott Clarke VOIR CE QUI EST ET CE QUI PEUT ÊTRE L'oppression et les privilèges, les deux côtés d'une même médaille : Déconstruire les privilèges 17 pour engager des processus qui renforcent la reconnaissance de la diversité en tant que ressource Juliana West et Christine Lwanga La Décennie des personnes d'ascendance africaine, 21 une perspective québécoise Ricardo Gustave, Didier Boucard et Bochra Manaï Majoritairement Jeunes, marginalisés et vilipendés : Quelles en sont les répercussions sur l'éducation et le 25 bien-être des jeunes noirs et de leurs communautés ? Carl James
DIVERSITÉ CANADIENNE EST PUBLIÉ PAR Diversité canadienne est une publication trimestrielle de l’Association d’études canadiennes (AEC). Les collaborateurs et collaboratrices de Diversité canadienne sont entièrement CONSEIL D’ADMINISTRATION DE L’ASSOCIATION D’ÉTUDES CANADIENNES (ÉLU LE 23 NOVEMBRE 2019) responsables des idées et opinions exprimées dans leurs DRE JULIE PERRONE articles. L’Association d’études canadiennes et un organisme Présidente du Conseil d'administration, Directrice, Communications & Marketing, pancanadien à but non lucratif dont l’objet est de promouvoir Finance Montréal, Montréal, Québec l’enseignement, la recherche et les publications sur le Canada. L’AEC est une société savante et membre de la Fédération CELINE COOPER Rédactrice, L’Encyclopédie canadienne, Professeure, Université Concordia, canadienne des sciences humaines et sociales. Montréal, Québec HUBERT LUSSIER Ancien sous-ministre adjoint, Patrimoine Canadien, Ottawa, Ontario JANE BADETS COURRIER Ancienne statisticienne en chef adjointe, Statistique Canada, Ottawa, Ontario GISÈLE YASMEEN Des commentaires sur ce numéro ? Directrice exécutive, Réseau pour une alimentation durable, Montréal, Québec Écrivez-nous à Diversité canadienne : PROFESSEUR HOWARD RAMOS Diversité canadienne/AEC Université Dalhousie, Halifax, Nouvelle-Écosse 850-1980, rue Sherbrooke Ouest L'HONORABLE MARLENE JENNINGS Montréal, Québec H3H 1E8 C.P., LLb., Avocate, Montréal, Québec Ou par courriel au MADELINE ZINIAK Consultante, Présidente, Canadian Ethnic Media Association, Toronto, Ontario PROFESSEUR CHEDLY BELKHODJA Université Concordia, Montréal, Québec Cette édition spéciale de Diversité canadienne est publiée en JEAN TEILLET partenariat avec la Commision canadienne pour l'UNESCO. Associé, Pape Salter Teillet LLP, Vancouver, Colombie-Britannique Nous désirons les remercier pour leur précieuse collaboration. PROFESSEURE JOANNA ANNEKE RUMMENS Université Ryerson, Toronto, Ontario Un remerciement spécial à Mireille Apollon, Vice-présidente ÉDITEUR et à David Schimpky, Conseiller spécial, Initiatives stratégiques Jack Jedwab et relations extérieures. RÉDACTRICE EN CHEF Miriam Taylor TRADUCTION Miriam Taylor EN COUVERTURE DESIGN ET MISE EN PAGE CAMILAHGO. studio créatif Emergence 13 de Nadine Valcin camilahgo@gmail.com
INTRODUCTION Dahabo Ahmed Omer est la présidente de la Fédération des Canadiens noirs et la directrice des opérations du Centre somalien pour les services familiaux. Elle est la co-fondatrice de la Coalition Justice pour Abdirahman qui a fait pression pour des chan- gements dans le système judiciaire depuis la mort d'Abdi suite à son arrestation violente dans le centre d'Ottawa en 2016. Elle est membre du conseil d'administration de l'organisation Black Agenda Noir, un cercle de citoyens noirs unis dont le but est de renforcer la présence des Noirs sur le radar national. Elle a reçu de nombreuses distinctions au fil des ans, notamment pour ses services exceptionnels au sein de la fonction publique fédérale, le prix Canada 150 de bâtisseur communautaire, le prix de la contribution communautaire de Academy of Hope, le prix de leadership communataire du Comité de l'histoire des Noirs d'Ottawa et, plus récemment, lorsqu'elle a été nommée parmi les 100 personnes les plus influentes de moins de 40 ans d'origine africaine, un prix annuel inspiré par la Décennie internationale des Nations unies pour les personnes d'origine africaine. En tant que présidente de la Fédération des Canadiens noirs, changements radicaux aux techniques policières et au système je suis régulièrement en discussion avec des militants, des judiciaire. Abdirahman Abdi était un Somalo-Canadien de 37 dirigeants, des penseurs et les nombreuses personnes qui ans, souffrant de problèmes de santé mentale et sans antécé- composent les diverses communautés noires de ce pays. Je dent criminel, qui est mort le 24 juillet 2016 lors d'une violente suis donc heureuse de pouvoir me joindre à la conversation altercation avec la police d'Ottawa. Avec nos collègues mili- qui a lieu dans ce deuxième volume du numéro spécial de tants et organisateurs des États-Unis, nous sommes affligés Diversité canadienne sur la Décennie internationale des par la tristesse de constater que d'autres continuent de mourir. personnes d'ascendance africaine, commandité par nos amis Et nous sommes frustrés par des paroles de soutien qui ne de la Commission canadienne pour l'UNESCO. débouchent pas sur des actions concrètes. Le volume précédent a été publié à la fin du mois de février, La diversité et l'inclusion ne sont pas des points de départ pour marquer la clôture du Mois de l'histoire des Noirs. Je pour l'antiracisme – ce sont des aboutissements qui résultent doute que quiconque d'entre nous ait imaginé que de tels d'une décolonisation active et concrète de notre structure événements marquants de l'histoire des Noirs se produiraient organisationnelle et de nos relations en général. dans les semaines précédant la publication de ce deuxième volume. La triste vérité, cependant, est que personne ne Les articles de ce numéro, qui ont été rédigés avant les récents devrait être surpris par les manifestations de racisme les plus événements, mettent en lumière ce que signifie être Noir au récentes. En ce qui concerne la pandémie, il est clair depuis Canada. Le thème du premier numéro était Faire face au très longtemps que les Canadiens noirs sont confrontés de changement, inspiré de la célèbre citation de James Baldwin : manière disproportionnée à la pauvreté, le racisme environ- « Tout ce à quoi on est confronté ne peut pas être changé, mais nemental et les difficultés d'accès aux soins de santé. Bien rien ne peut être changé tant qu'on n'y est pas confronté ». Ce que nous ne disposions pas encore de statistiques fondées sur volume est inspiré d'une autre citation de ce dernier : « Vous la race concernant les incidents de la COVID-19, nous savons écrivez pour changer le monde... si vous modifiez, même d'un que ces facteurs contribuent de façon importante au nombre millimètre, la façon dont les gens regardent la réalité, alors de personnes noires qui contractent le virus. vous pouvez la changer. » Nous ne devons pas non plus nous étonner d'un nouvel J'espère qu'en lisant ces documents de réflexion, vous verrez incident de violence policière contre les personnes d'origine le monde sous un angle nouveau et que vous jouerez un rôle africaine. Pendant plusieurs années, j'ai codirigé la coalition actif en vous éduquant ainsi qu’en soutenant, en investissant, Justice for Abdirahman à Ottawa, qui cherchait à apporter des et en aidant la communauté noire à prospérer. 3
SURVOL DU NUMÉRO La Dre Miriam Taylor est la directrice des publications et des partenariats de l'Association d'études canadiennes. Ce numéro spécial de Diversité canadienne, créé en partenariat La deuxième section, intitulée Voir ce qui est et ce qui peut être, avec la Commission canadienne pour l'UNESCO pour marquer rassemble trois articles qui explorent les mécanismes et les la Décennie internationale des personnes d'ascendance solutions liés à la discrimination systémique. Juliana West et africaine, et intitulé Faire face au changement : Canada et Christine Lwanga tentent de présenter une alternative à la la Décennie internationale pour les personnes d'ascendance façon dont sont perçues les différences entre les personnes et africaine, est publié en deux parties. de déconstruire le discours rigide et hiérarchique qui freine les identités positives et fait obstacle à l'inclusion. Elles mettent Avec une introduction de la présidente de la Fédération des l'accent sur la manière dont la diversité peut être comprise Canadiens noirs, Dahabo Ahmed-Omer, demandant à tous de et reconnue comme une ressource précieuse pour favoriser jouer un rôle actif en aidant la communauté noire a prospérer, une prise de conscience plus profonde de soi et des autres, le ce second numéro est divisé en quatre sections. développement humain et la justice sociale. La première partie, intitulée Regards sur le passé et sur l'avenir, Dans leur réflexion sur la situation des communautés noires s'ouvre sur une contribution de la très honorable Michaëlle au Québec, Bochra Manai, Ricardo Gustave, Didier Boucard Jean qui remet en question la notion selon laquelle l'histoire soutiennent que la Décennie internationale des personnes des Noirs appartient exclusivement aux Noirs et affirme que d'ascendance africaine offre une occasion de reconnaître et la résistance au racisme et les efforts visant à éradiquer la d’aborder les inégalités systémiques créées par les relations discrimination sont essentiels à la construction d'une société sociales racialisées et les inégalités économiques. Selon eux, fondée sur des valeurs humanistes universelles et sur la jouis- la voie à suivre consiste notamment à mettre en évidence les sance par tous de l'ensemble des droits fondamentaux de la importantes contributions des Afro-Québécois à l'enrichissement personne. Abdi Bileh se penche également sur le pouvoir de notre société et de notre culture par la création de sites pré- transformateur de l'éducation et sur son rôle essentiel dans la servant et honorant leurs traditions et leur patrimoine culturel. construction d'une société plus saine. En contribuant à l'éveil des jeunes, l'enseignement de l'histoire africaine les aide à Dans son article sur les expériences éducatives des jeunes mieux s'outiller pour construire des économies inclusives, des noirs, Carl James documente la manière dont le racisme endé- institutions civiles et politiques plus dynamiques et des villes mique anti-noir a relégué les jeunes Noirs aux programmes plus saines et plus sûres. éducatifs inférieurs, qui ont structuré leur vie, contribué à 4
leur racialisation et expliqué leurs mauvais résultats sociaux et éducatifs. Il appelle à la nécessité de reconnaître et de remédier à l'échec du système éducatif et à ses conséquences sur le bien-être éducatif, psychique et social des jeunes noirs et des communautés noires en général. Intitulée La vue de l'intérieur, la troisième section se concentre sur le besoin urgent de guérison. Darlene Lozis insiste sur l'importance vitale de traiter les traumatismes psychosoma- tiques subis depuis des décennies par les personnes d'origine africaine en raison des inégalités inhérentes au système. La guérison de l'âme collective ne peut être accomplie, explique Lozis, qu'en s'attaquant à des problèmes aussi critiques que la surreprésentation des jeunes noirs dans nos prisons. Atieno Odera, pour sa part, souligne le rôle intégral joué par l'art dans la création d'identités, et son pouvoir unique de changer et de façonner l'expérience des noirs. Elle se concentre sur le travail inspirant de trois femmes artistes noires de Vancouver dont la vie et l'art servent à guérir et à valider la Blackness dans une communauté qui a souffert d'un certain effacement et d'un sentiment de fragmentation de soi. La dernière section, Comment me voyez-vous ?, aborde des questions essentielles de définition, d'identité et d'inter- sectionnalité. L'activiste Cicely Blain souligne la nécessité d'appliquer un cadre intersectionnel à la célébration de la Décennie pour les personnes d'ascendance africaine. Elle expose le paradoxe de la visibilité des communautés LGBTQ2S+ noires canadiennes qui vivent à la fois une hyper- visibilité constante, qui les rend plus vulnérables à l’examen et à la violence, mais aussi une invisibilité, tant leurs perspectives uniques sont partout marginalisées et négligées. Dans son article examinant le concept de la nation afro-métisse, le poète George Elliott Clarke soulève des questions philoso- phiques fondamentales sur le processus même par lequel les nations sont créées. L’auteur se demande à qui revient le rôle de définir les identités collectives, de contrôler les cultures collectives et d’écrire les histoires collectives. 5
REGARDS SUR LE PASSÉ ET SUR L'AVENIR « Les défis auxquels sont confrontées les personnes d'origine africaine sont en partie l'héritage de la pratique honteuse et séculaire de l'esclavage, de la discrimination et de la ségrégation. Le racisme, la discrimination structurelle, la marginalisation, les discours et les crimes haineux restent virulents et répandus, malgré tout ce que nous avons vécu et appris au fil des ans. Les migrants et les réfugiés d'Afrique comptent parmi les personnes les plus vulnérables d'aujourd'hui, à l'intersection de la discrimination fondée sur l'origine raciale ou ethnique, le statut social et économique et la citoyenneté. Il est d'autant plus impressionnant de constater que malgré cette adversité, les personnes d'origine africaine sont des leaders dans tous les domaines de la vie, de l'art aux affaires, de la politique à la philanthropie, du sport au gouvernement, de la musique, de la littérature et des sciences. » – António Guterres, Secrétaire général des Nations unies
L’ÉRADICATION DE LA DISCRIMINATION RACIALE ET LA LUTTE POUR UN HUMANISME UNIVERSEL D’UNE HISTOIRE COMMUNE À UNE HUMANITÉ EN PARTAGE La très honorable Michaëlle Jean est la 27e Gouverneure générale, Commandante en chef du Canada, ancienne envoyée spéciale de l’UNESCO en Haïti, 3e secrétaire générale de la Francophonie et cofondatrice de la Fondation Michaëlle Jean. Dans le numéro précédent de Diversité canadienne, je proposais appel lancé par les Nations Unies, le Canada, du gouvernement sous le titre Une décennie pour éradiquer la discrimination fédéral aux gouvernements provinciaux et municipaux, ses et le fléau du racisme, rompre avec l’héritage de l’esclavage : institutions et son secteur privé prennent la pleine mesure l’invitation du Sommet pancanadien des communautés noires du problème et s’engagent en mettant de l’avant des disposi- une réflexion sur la mobilisation sans précédent au Canada tions concrètes. Organisé par la Fondation Michaëlle Jean, des communautés afrodescendantes, partout au pays. L’oc- avec une première édition à Toronto en 2017, une seconde à casion à saisir est celle de la Décennie internationale des Ottawa en 2019, qui ont chaque fois rassemblé des centaines personnes d’ascendance africaine : reconnaissance, justice et de citoyens et citoyennes issus des communautés noires avec développement (2015-2024) proclamée par l’ONU qui invite une forte participation de la jeunesse, mais aussi de décideurs tous ses États membres à agir contre le racisme systémique de tous les secteurs, publics et privés, ainsi que des politiques, dont les personnes de race noire font l’objet dans tous les secteurs la troisième édition du Sommet prévue à Halifax, les 20-21- de nos sociétés. 22 mars 2020, a dû être reportée aux 19-20-21 mars 2021, en raison des mesures de confinement total décrétées pour agir Les communautés noires estiment que, s’agissant des réalités contre la pandémie de la COVID-19. Nous demeurons néan- auxquelles elles sont confrontées rien, politiques ou plans moins attentifs et il ne nous échappe pas que les communautés d’action, ne peut se penser ou être mis en œuvre sans qu’elles les plus vulnérables, en l’occurrence les communautés noires, soient impliquées. Telle est la raison d’être du Sommet pan- sont plus fortement touchées par cette crise et par ses effets canadien des communautés noires, un espace inclusif de collatéraux. rassemblement des voix et des perspectives, de débat et d’échange, d’identification des enjeux, de mise en présence Il est assez alarmant également de constater combien les d’acteurs issus de différents secteurs, de dialogue et de propo- accès de haine et de rejet viennent partout s’ajouter au fléau. sition. L’objectif est aussi de s’assurer que dans l’esprit de cet L’ONU ne cesse d’ailleurs de le déplorer et le phénomène est 8
mondial. On a vu comment, à Minneapolis, l’interpellation la découverte de continents pourtant déjà habités. Face à la policière violente et cruelle de George Floyd, cet Afro-Américain somme de ces injustices et la violence raciste qui entachent de 46 ans, mort par étouffement, a créé l’émoi et entraîné des notre passé, il serait bon de se rappeler que ce qui fonde aussi manifestations de révolte tournant à l’émeute dans plusieurs le Canada c’est une résistance farouche, ce sont ces luttes villes américaines. « C’est le dernier d’une longue série de constantes pour la reconnaissance et le respect de la dignité meurtres d’Afro-Américains non armés commis par des poli- intrinsèque de tous les êtres humains et l’égalité entre tous ciers américains et des autojusticiers » a fermement déclaré les peuples. C’est de cette résistance et de ces luttes qu’est la Haute-commissaire aux droits de l’Homme de l’ONU, née la Charte canadienne des droits et des libertés, ce pacte Madame Michelle Bachelet, dans un communiqué demandant fondamental dans lequel sont clairement énoncés les droits que justice soit faite. Le premier ministre du Canada, le très à l’égalité, que chacun soit « traité avec le même respect, la honorable Justin Trudeau, a commenté à son tour la situation même dignité et la même considération (c’est-à-dire sans dis- aux États-Unis en appelant les Canadiens à lutter contre le crimination), peu importe ses caractéristiques personnelles racisme au pays. « De nombreux Canadiens de toutes origines comme la race, l’origine ethnique ou nationale, la couleur, la regardent les informations en provenance des États-Unis religion, le sexe, l’âge, les déficiences intellectuelles ou phy- avec stupéfaction et horreur » a-t-il souligné. « Le racisme est siques, l’orientation sexuelle, la situation matrimoniale ou la réel : il est présent aux États-Unis, mais aussi au Canada. » citoyenneté. » Pour en attester, des manifestants très nombreux sont des- cendus dans la rue en scandant « Black Lives Matter ! La vie C’est sur ce pacte que le Canada s’est constitué comme une des Noirs compte aussi ! » et en reprenant les derniers mots de terre d’accueil par excellence où la diversité ne désigne pas George Floyd « I can’t breathe ! J’étouffe ! » l’autre, mais l’ensemble, une société qui s’affirme interculturelle et multiraciale. Statistique Canada rapporte que plus d’une Qu’en est-il de l’histoire du racisme au Canada ? Deux fils personne sur cinq, soit 22 % de la population ont été classées d’un récit captivant, mais combien méconnu, rivalisent sur dans la catégorie des minorités visibles en 2016, et que plus le sujet. D’une part, il est rappelé combien le passé du Canada d’un jeune sur quatre, soit 27 % des jeunes âgés de 15 à 34 ans foisonne de conflits ethniques et raciaux dont la teneur est s’identifient comme faisant partie d’un groupe racial ou assument très oppressive et destructrice, manifestement et brutalement pleinement leur origine ethnique. évidentes aujourd’hui encore. De l’autre, c’est la vision édifiante d’une société post-raciale, d’un Canada projeté comme un Les Canadiens noirs ou d’ascendance africaine forment le havre de paix, de parfaite harmonie sociale dans la diversité, troisième groupe de minorités visibles en importance au où les conflits et les préjugés ont été surmontés. Canada, après les Canadiennes et les Canadiens d’origine sud-asiatique et chinoise. Selon le recensement de 2016, la Comparé à d’autres régions du monde où la haine ethnique et population noire du Canada totalisait près de 1,2 million de la violence raciale font rage, il va sans dire que le Canada peut, personnes, soit 3,5 % de la population. et à bien des égards, être salué comme un pays exemplaire du vivre ensemble et de l’interculturalité. Il n’en reste pas moins Un récente enquête sociale menée par Environics Institute que la société canadienne n’est d’aucune façon à l’abri ni des for Survey Research et la Fondation canadienne des relations mouvements extrémistes xénophobes qui d’ailleurs se font raciales1, la première à couvrir les relations raciales à travers le entendre y compris au sein de certains partis politiques, ni pays, a révélé que le racisme demeure cependant, comme l’a du racisme outrageant, de la haine affligeante et des préju- souligné le premier ministre canadien, une réalité au Canada, gés sournoisement lovés dans tous les secteurs de la société, qu’une personne sur cinq rapporte avoir été victime de discri- administrations publiques, institutions et entreprises qui mination, en raison de sa race, régulièrement ou de temps à systématiquement pratiquent l’exclusion. Voilà qui appelle autre, tandis que trois personnes sur dix disent en avoir fait à une vigilance constante et qui exige que nous agissions l’expérience, quoique très rarement. Si la moitié des Cana- pour transcender un lourd héritage dont il nous faut avoir diennes et des Canadiens a eu à vivre personnellement un ou conscience. plusieurs épisodes de discrimination, la même étude révèle aussi qu’une grande majorité reconnait la persistance de la En effet, d’est en ouest, du sud au nord, l’histoire du Canada discrimination raciale. Près de trois personnes sur quatre au a été forgée au feu et au marteau de la conquête coloniale, Canada disent avoir conscience que les peuples autochtones, propulsée par l’idéologie de la suprématie de la race blanche les Noirs et les Sud-Asiatiques en sont souvent ou occasion- et la pratique odieuse, des siècles durant, de l’esclavage, de la nellement les premières cibles. Seul un petit nombre, à peine domination radicale édictée par les métropoles et les monar- 5 % des Canadiennes et des Canadiens croient que les com- chies européennes qui ont vite fait de s’attribuer dans le sang munautés racialisées sont à l’abri de toute discrimination au 1 Les relations raciales au Canada 2019, sondage mené par Environics Institute for Survey Research et la Fondation canadienne des relations raciales, Toronto, 10 décembre 2019. 9
Canada. Par conséquent, on pourrait supposer que la force dans le monde entier. C’est aussi dans cet esprit que s’inscrit la du nombre va de pair avec une propension à reconnaître le Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine racisme au Canada, et espérons-le, la volonté de l’éradiquer. comme un appel pressant et l’occasion de tout engager pour mettre fin à un patrimoine barbare à la source du racisme et s’assurer que personne ne soit laissé pour compte. Il va sans dire qu’exclure est contreproductif et génère un déficit abyssal ÉRADIQUER LE RACISME ET LA DISCRIMINATION de participation, de forces, d’idées, de solutions, de justice, de citoyenneté, par conséquent de croissance partagée, de développement responsable et viable. Tous les secteurs de la « Nous devons voir le racisme pour ce qu’il est. C’est- société doivent être judicieusement de la partie, telle est la à-dire un mythe de la race supérieure et inférieure. vision portée et défendue par la Fondation Michaëlle Jean. L’idée fausse et tragique qu’un groupe particulier, une Que l’expérience, la condition, les perspectives et les aspira- race particulière serait à la source de tous les progrès, tions des communautés noires puissent embrasser également de toutes les idées dans le flux global de l’histoire. C’est celles des peuples autochtones, des autres communautés aussi la théorie selon laquelle une autre population racialisées, des femmes, des personnes LGBTQ2, de toutes ou une autre race serait totalement dépravée, intrin- celles et tous ceux marginalisés, livrés à l’exclusion au sèquement impure et naturellement inférieure. En Canada. Que nous puissions ainsi tracer un nouveau modèle dernière analyse, le racisme est un mal, car sa logique ultime est le génocide. » de leadership réellement inclusif et fortement transformateur pour le bien de l’ensemble. Il y va d’un projet de société à édi- — Dr. Martin Luther King Jr., The Other America, fier de manière pragmatique, par des actions concrètes, une avril 1967 mobilisation de masse et un engagement résolu des princi- paux décideurs et législateurs aux côtés et à l’écoute de ces populations qu’il faut cesser de reléguer à l’écart de la famille Et si les valeurs humanistes universelles et la jouissance intégrale humaine. de tous les droits de la personne étaient le plus grand héritage d’une histoire dont les horreurs et les crimes seraient enfin Comment imaginer l’éradication définitive de toutes reconnus, leur fausse justification rejetée, leurs avanies fina- les formes de racisme et de discrimination ? L’histoire nous lement surmontées et transcendées par la reconnaissance, la l’enseigne. justice et le développement ? Au début du XIXe siècle, l’abolition de l’esclavage était impen- La Décennie internationale des personnes d’ascendance sable. Cette pratique ignoble, mais combien rentable, n’était- africaine célèbre ainsi l’existence et la condition des peuples elle pas, depuis 400 ans, le principal moteur des économies noirs, leur résistance et leur apport à l’humanité dans son mondiales ? Les puissants régimes esclavagistes européens ensemble, la valeur du combat pour l’émancipation, la quête dominaient le monde, se constituaient, sans foi ni loi, d’ines- de justice comme une condition de développement, à un timables richesses grâce à ce système d’exploitation d’une moment où les effets meurtriers du changement clima- innommable cruauté et au pillage des ressources dans leurs tique, la terreur et la haine, la criminalité transnationale, les colonies. Les idées fulgurantes et lumineuses pour qu’advienne replis identitaires et nationalistes, la prolifération des armes un humanisme universel, la hardiesse des mouvements abo- chimiques et nucléaires, les fossés toujours plus larges et plus litionnistes révolutionnaires, des décennies d’actions valeu- profonds des inégalités menacent de plus en plus notre exis- reuses de résistance et de révolte des esclaves conscients tence même. Dans le même temps, diverses formes de mobili- et convaincus qu’ils ne pouvaient s’affranchir que par eux- sations collectives émergent. Des voix s’élèvent, des femmes, mêmes, finira par avoir gain de cause et forcera l’interdiction des hommes, des jeunes par milliers, toutes races et origines du trafic humain et de l’esclavage à la fin du siècle. confondues, gagnent les rues, déterminés à agir contre toutes les formes d’exclusions larvées et récurrentes. Le racisme a À partir de 1791, les soulèvements incessants des esclaves fourni un modèle séculaire pour d’autres types d’oppression. entraîneront le démantèlement de la très rentable colonie Par conséquent, la lutte contre le racisme, la discrimination et française de Saint-Domingue, une lutte couronnée par la les iniquités fatales qu’ils produisent est également une lutte proclamation en 1804 de la République d’Haïti. Naît ainsi la contre l’oppression générique, donc pour une humanisation première république noire libre du monde. Un exploit sans de l’humanité. commune mesure, voire inimaginable. La France avec le reste des puissances alliées, royaumes et empires coloniaux Le Programme de développement durable à l’horizon 2030 esclavagistes, d’un commun accord mettront tout en œuvre adopté par tous les États membres des Nations Unies en 2015, pour qu’échoue l’entreprise de ces Noirs rebelles, à commencer ainsi que les Objectifs de développement durable (ODD) sur par un embargo économique total. Qu’à cela ne tienne, la lesquels il repose visent à réaliser des progrès cruciaux pour jeune République d’Haïti avec ses bien maigres ressources l’amélioration des conditions de vie et l’avancement des droits poussera l’audace jusqu’à financer les expéditions de Simon 10
Bolivar pour l’indépendance des colonies d’Amérique latine, mais à l’unique condition que partout il abolisse l’esclavage. À l’exemple de la révolution haïtienne, l’impossible rêve se répandra partout auprès des opprimés de la terre et traversera le siècle jusqu’à la décolonisation des peuples du continent africain. Qui eut cru qu’en 2009, une femme noire d’origine haïtienne Gouverneure générale et Commandante en chef du Canada accueillerait un dénommé Barack Hussein Obama élu Président et Commandant en chef des États-Unis d’Amérique, lui aussi d’ascendance africaine ? Nous avons marché ensemble d’un pas résolu, portés par une joie immense, conscients du poids de l’histoire et ayant bien à l’esprit, durant nos échanges, tous ceux et celles qui nous ont précédés et qui ont lutté, de toutes leurs forces rassemblées, pour que ce jour improbable se réalise. C’est un long chemin toujours à défricher, car rien n’est jamais tout à fait acquis, tant les va-et-vient de l’histoire sont redoutables si l’on n’y prend garde. Mettre à mort un Noir, le genou sur sa nuque jusqu’à son étouffement, sans jamais prêter attention à ses suppliques, est une violence d’une autre époque, mais elle est aussi d’aujourd’hui. Exclure, dédaigner, humilier, maltraiter l’autre, prononcer à son endroit un verdict d’infériorité, d’indésirable, en raison de la couleur de sa peau, demeure une expérience on ne peut trop fréquente. C’est ce qui motive le Sommet pancanadien des communautés noires, la Fondation Michaëlle Jean et de nombreux alliés qui osent penser et réclamer un plan national pour l’éradication de la discrimination raciale, vestige de l’esclavage, à l’intersection d’autres inégalités basées notamment sur le sexe, l’âge, la religion, le handicap, l’orientation sexuelle. Dans cette époque incertaine et de repli sur soi, alors que les discours et les crimes haineux regagnent du terrain dans le monde entier, souvent en toute impunité, notre devoir est d’agir. Que rien ne nous déroute, ni les épreuves, ni le mépris, ni l’indifférence. L’aspiration à un humanisme universel est un combat de tous les jours que nous voulons voir triompher. 11
L'ENSEIGNEMENT DE L’HISTOIRE DES AFRICAINS ET DES AFRO-DESCENDANTS DANS LES ÉCOLES EST-IL IMPORTANT ? Abdi Bileh est le fondateur et le directeur général de l'Association canadienne pour la promotion des héritages africains (ACPHA). Originaire de la Corne de l'Afrique, il a fait ses études secondaires et collégiales à Montréal et ses études postsecondaires à l'Université d'Ottawa. Enseignant certifié de l'Ontario (EAO), il est titulaire d'une maîtrise en études africaines, d'une licence en histoire ainsi qu'une licence en éducation. Il a plus de 15 ans d'expérience dans le domaine de l'éducation et du service à la communauté. Il a fondé une organisation à but non lucratif dont la vision humanitaire permet la construction d'hôpitaux et d'écoles dans les régions pauvres d'Afrique de l'Est et d'Haïti. Au-delà des partisaneries politiques, l’enseignement de l’his- séparation entre l’Afrique et le reste du monde, donc de son toire des personnes d’ascendance africaine dans les écoles exclusion de la modernité, n’est pas non plus l’enseignement est un besoin légitime. Contrairement à ce qui est véhiculé qu’il faut proposer dans les programmes scolaires. Mais pour- par les soi-disant connaisseurs d’Afrique1, l’histoire africaine quoi donc enseigner l’histoire des Afro-descendants dans nos s’étend sur plus de 3000 ans. Sans contredit, il y a plus de écoles, me demanderiez-vous ? 30002 ans que l’Afrique a connu la naissance des Etats, celle de la science, des grandes religions, des architectures, en parti- Parmi les arguments fort populaires pour l’enseignement de culier des temples et des palais, de l'écriture... Riche et complexe, l’histoire des Afro-descendants dans les écoles, il y a la néces- l'histoire africaine mériterait une reconnaissance dans l’histoire sité de s'adapter au profil des salles de classe de plus en plus nationale, mondiale, bref dans la mémoire collective. multicuturelles. Ce n'est pas faux, mais les Afro-descendants sont en Amérique depuis plus de 400 ans et, jusqu’à mainte- Ce besoin légitime, c’est-à-dire d’être enseigné dans les écoles nant, leur histoire est presque inexistante dans les manuels primaires et secondaires, est nécessaire, mais pas sous la scolaires de l’Ontario et du pays. En réalité, l'enseignement forme de sous-histoire. Nourrir l’idée fausse de la primitivité de de l'histoire des personnes d’ascendance africaine se limite l’Afrique qu’entretiennent les Africanistes et certains intellec- souvent à des sujets sur l'esclavage et l'immigration d'après- tuels à leur compte n’est absolument pas l’enseignement dont guerre ou la célébration du Mois de l'histoire des Noirs. il est question. Perpétuer le discours colonialiste et paterna- liste qui promeut l’ignorance ; une ignorance destinée à une Malgré leur contribution importante dans plusieurs sphères, 1 Les Africanistes étudient les civilisations africaines selon des critères exclusivement européens. Fort habiles, ils ont construit un discours très solide qui participe à une idéologie dont le but est de fournir une explication logique à la traite négrière, à l’esclavage et à la colonisation, d’une part. D’autre part, les Africanistes refusent systématiquement l'existence d’une culture et civilisation africaine. 2 Histoire générale de l’Afrique de l’UNESCO, Histoire de l'humanité Volume II : 3000 à 700 av. J.-C.,Directeurs du volume : A. H. Dani et J.-P. Mohen, Co-directeurs : J. L. Lorenzo, V. M. Masson, T. Obenga, M. B. Sakellariou, B. K. Thapar et Shang Changshou,Préface : Jean Pierre Mohen. 12
il est inconcevable que l’on parle encore au XXIe siècle de l’im- d’opération de l’esclavage et de la traite négrière ainsi que des portance d'enseigner leur histoire et culture dans nos écoles. enjeux et des conséquences de l’esclavage dans le monde. De Comme diraient certains, il y a un mois destiné pour cela. Un surcroît, l’enseignement de l’histoire dans nos écoles permettrait mois pour raconter plus de 3000 ans d’histoire, quelle ironie ! aux jeunes de saisir les transformations globales et les interac- Chose certaine, G. Woodson et Du Bois, deux penseurs amé- tions culturelles issues de l’histoire de la traite négrière et l’es- ricains qui ont proposé la nécessité des programmes d’ensei- clavage qui ont impliqué tous les continents et provoqué des gnement de l’histoire des Afro-descendants dans les années bouleversements considérables que modèlent en conséquence 1930, se retourneraient dans leurs tombes en apprenant que nos sociétés modernes. Parallèlement, les élèves seraient en 90 ans plus tard le sujet est encore d’actualité. mesure de découvrir les apports de l’Afrique à la construction et à la transformation des sociétés contemporaines. Pour revenir à la question initiale, c’est-à-dire l’enseignement de l’histoire des personnes d’ascendance africaine dans les En valorisant l’histoire et la culture des personnes d’ascendance écoles. Briser le cycle de l’ignorance est la première chose qui africaine dans les écoles ontariennes, on ne peut qu’espérer me vient à l’esprit. Dans nos sociétés contemporaines, des l’épanouissement et la fierté des élèves issus d’une commu- préjugés hérités de l’histoire continuent à polluer les esprits et nauté dont le taux de décrochage scolaire est très élevé. Certains entretiennent le racisme ordinaire contre les personnes d’as- croient que les politiques d’éducation multiculturelles n’ont cendance africaine. L’enseignement de leur histoire est un pas produit les effets escomptés. Selon eux, des facteurs qui bon moyen pour lutter contre les préjugés et le racisme dont découlent de l’échec relatif du modèle multiculturel figurent le sont victimes ces gens à cause de l’ignorance. Comme dit le racisme, le décrochage alarmant, la non-inclusion de l’histoire et dicton l'ignorance mène à la peur. La peur mène à la haine. La des cultures minoritaires dans les pratiques pédagogiques. Bien haine conduit à la violence... Voilà l’équation. Ignorer l’histoire que la question ait agité les milieux politiques et éducatifs et la culture d’une tranche de la société canadienne ne fait que torontois3 un certain temps, la marginalisation de l’histoire perpétuer la marginalisation d’un groupe de citoyens. Pour- des minorités noires semble être à l’origine de la création de tant la stratégie ontarienne d’éducation internationale mise la première école alternative centrée sur l’histoire et la culture en place par le Ministère de l’Éducation de l’Ontario (MEO) africaines. Les défenseurs de cette école sont convaincus que est censée refléter la vision de l’UNESCO pour l'Éducation prendre connaissance des réalisations et contributions de à la citoyenneté mondiale qui veut encourager le respect de leurs ancêtres sont une source de motivation pour freiner les tous, susciter un sentiment d’appartenance à une humanité handicaps scolaires de leurs enfants. commune et aider les apprenants à devenir des citoyens du monde, responsables et actifs. La corrélation entre le décrochage scolaire et la surreprésen- tation des Afro-descendants dans les prisons est évidente et En effet, enseigner l’histoire des personnes d'ascendance afri- c’est supporté par les recherches qui affirment qu’une grande caine dans les écoles permet de valoriser le patrimoine culturel part de la population carcérale n'a pas complété ses études de ce groupe de citoyens, mais aussi de fortifier la santé de la secondaires. Au Canada, les Noirs et les autochtones consti- province et de notre pays. Si par exemple nos élèves appre- tuent une proportion démesurée de la population carcérale naient dans un cours d’histoire que les grandes civilisations et leur présence derrière les barreaux a explosé au cours des africaines (Mali, Ghana, Songhai, Éthiopie, Soudan, etc.) dix dernières années. Selon Radio-Canada (novembre 2013) n’étaient pas un monde clos et renfermé, mais des sociétés les Noirs sont surreprésentés dans les prisons : « le nombre dynamiques et ouvertes sur le monde extérieur, l’image sou- de Noirs a particulièrement augmenté de 80 % au cours des vent négative perpétuée sur l’histoire des Afro-descendants 10 dernières années. Ils représentent près de 10 % de la popu- serait différente ; sans doute, il y aurait une compréhension lation carcérale canadienne (9,5 %) alors qu'ils représentent mutuelle. De toute évidence, en éduquant nos élèves à acquérir moins de 3 % de la population civile »4. En fait, selon le rap- une perspective globale de la citoyenneté, on leur permet- port annuel du Bureau de l’enquêteur correctionnel (février trait de mieux saisir le monde diversifié et interconnecté 2014) les personnes d’ascendance africaine représentent près d’aujourd’hui. Ils comprendraient mieux les grands enjeux de 10 % de la population carcérale canadienne alors qu’elles historiques tels que la traite négrière et la colonisation ainsi représentent moins de 3 % de la population civile du Canada5. que les séquelles que ces moments tragiques de l’histoire ont laissées sur la mémoire collective. En fait, les jeunes auraient En conclusion, l’enseignement de l’histoire des Afro-descendants une meilleure compréhension des causes et des modalités dans les écoles aurait un impact positif aussi bien chez les 3 En 2009, la première école publique Africentric public school de Toronto ouvre ses portes. Cette école a vu le jour suite à un mécontente- ment d’un groupe de parents. Elle a pour but de réduire le taux de décrochage élevé des jeunes noirs de la ville. 4 http://ici.radio-canada.ca/nouvelles/societe/2013/11/26/002-canada-prisons-noirs-autochtones.shtml 5 www.rcinet.ca/fr/2014/02/17/noirs-et-autochtones-surrepresentes-dans-les-prisons-canadiennes 13
élèves d’origine européenne que ceux originaires de l’Afrique. Les uns et les autres peuvent apprendre davantage sur l’his- toire et la culture des personnes de descendances africaines ; développer chez les élèves le dialogue interculturel et de faire un rapprochement entre les différentes cultures présentes dans les écoles et dans la communauté. Pour les élèves d’ascendance africaine, la valorisation de leur histoire risque de rehausser leur fierté par rapport à leur origine. Pour certains élèves, cette fierté peut se traduire par un plus grand investissement dans leurs études et une plus grande implication dans la com- munauté. De plus, l’enseignement de l’histoire et de la culture africaines dans les écoles permettraient au personnel enseignant de connaître et de se familiariser avec des référents culturels des personnes d’ascendance africaine. D’une façon générale, l’enseignement de l’histoire des personnes d’ascendance afri- caine dans les écoles aurait une retombée positive au niveau de la province et du pays. Sans doute, cet enseignement peut contribuer à l’éveil des jeunes qui, à leur tour, bâtissent une économie inclusive, des institutions civiles et politiques plus dynamiques et des villes plus saines et plus sûres. Pour ter- miner, repenser l’enseignement de l’histoire des personnes d’ascendance africaine dans les milieux scolaires et à divers paliers nécessite un engagement auprès des personnes de communautés issues de l’Afrique et de ses diasporas. 14
AFRICA Yasmeen Souffrant SELF ISOLATION WITH A POTTED PLANT Komi Olaf FEMMES AFRICAINES Yasmeen Souffrant
VOIR CE QUI EST ET CE QUI PEUT ÊTRE « La douleur et la colère sont encore ressenties. Les morts, à travers leurs descendants, réclament justice. Le sentiment de continuité avec le passé fait partie intégrante de l'identité de chaque homme ou de chaque femme... Mais les torts passés ne doivent pas nous détourner des maux présents. Notre objectif doit être de bannir de ce nouveau siècle la haine et les préjugés qui ont défiguré les siècles précédents. La lutte pour y parvenir est au cœur même de notre travail aux Nations unies. » – Kofi Annan, Secrétaire général des Nations unies, 1997-2006 16
L'OPPRESSION ET LES PRIVILÈGES, LES DEUX CÔTÉS D'UNE MÊME MÉDAILLE : DÉCONSTRUIRE LES PRIVILÈGES POUR ENGAGER DES PROCESSUS QUI RENFORCENT LA RECONNAISSANCE DE LA DIVERSITÉ EN TANT QUE RESSOURCE Juliana West, Ph. D., est professeure canadienne non racialisée de deuxième génération en travail social à l’Université Thomson Rivers et coauteure avec Bob Mullaly de l’ouvrage intitulé Challenging Oppression and Confronting Privilege : A Critical Approach to Anti-Oppressive and Anti-Privilege Theory and Practice, Oxford University Press, 2018. Christine Lwanga, Ph. D., est une Canadienne d’origine africaine naturalisée. Elle est chercheuse et consultante en développement social et communautaire dans le cadre d’une bourse postdoctorale à la faculté de travail social de l’Université du Manitoba. Son travail s’inscrit dans le post-modernisme et la théorie sociale critique, les droits de la personne et les discours centrés sur l’humain qui intègrent la spiritualité et le bien-être, et la pratique fondée sur des données probantes. Notre dialogue a été amorcé par une question soulevée appartenance à un groupe social particulier », se produit sur à la suite de la présentation de Juliana sur Au-delà de la trois plans dynamiques et interactifs : personnel, culturel et discrimination : Oppression et privilège – Théorie et pratique structurel (p. 1).À l’inverse, le privilège, qui constitue les avan- de l'anti-oppression et de l'anti-privilège (AOAP)., lors tages non mérités de l’appartenance à un groupe particulier, d’une conférence. Dans sa réponse, Juliana a expliqué que est à la fois un ensemble invisible d’atouts non mérités sur l’oppression et les privilèges représentent les deux côtés lesquels on peut compter au quotidien et une série de désavan- d’une même médaille : les relations sociales qui entre- tages auxquels une personne échappe précisément en raison tiennent l’oppression sont les mêmes qui produisent des de son identité (Carbado, 2002). privilèges. Les processus et les structures qui préservent un meilleur accès aux possibilités, aux récompenses et au statut « Le privilège n’est pas quelque chose que je choisis et des situations sociales privilégiées se font au détriment de que j’ai donc la possibilité de ne pas choisir. Il s’agit la réduction ou du refus de l’accès aux mêmes possibilités, de quelque chose que la société me donne, et à moins récompenses et statut pour les groupes victimes d’oppression que je ne change les institutions qui me le donnent, (Mullaly et West, 2018). elles continueront de me le donner, et je continuerai à l’avoir, aussi nobles et égalitaires que soient mes inten- tions. » (Harry Brod, cité dans Mullaly et West, 2018, p. 35) OPPRESSION ET PRIVILÈGE Ces désavantages fonctionnent comme des formes d’oppres- sion quotidienne qui servent à maintenir les groupes mar- L’oppression, « un type de citoyenneté de deuxième classe, ginalisés dans un statut social et économique inférieur. Par est attribuée aux personnes non pas sur la base de l’échec ou exemple, si deux diplômés en travail social de la même univer- de la faiblesse ou du manque de mérite, mais en raison de leur sité canadienne peuvent réussir aussi bien sur le marché du 17
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