FAIRE FACE AU CHANGEMENT - LE CANADA ET LA DÉCENNIE INTERNATIONALE POUR LES PERSONNES D'ASCENDANCE AFRICAINE

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FAIRE FACE AU CHANGEMENT - LE CANADA ET LA DÉCENNIE INTERNATIONALE POUR LES PERSONNES D'ASCENDANCE AFRICAINE
-DEUXIÈME PARTIE-

                      FAIRE FACE AU CHANGEMENT
                              LE CANADA ET LA DÉCENNIE INTERNATIONALE
                           POUR LES PERSONNES D'ASCENDANCE AFRICAINE
                                                    Édition spéciale en partenariat avec
                                              la Commission canadienne pour l’UNESCO

VOLUME 16 | NO. 4 | 2019
FAIRE FACE AU CHANGEMENT - LE CANADA ET LA DÉCENNIE INTERNATIONALE POUR LES PERSONNES D'ASCENDANCE AFRICAINE
ZINTROSPECTION
Romain Jean-Jacques
aka Larost
FAIRE FACE AU CHANGEMENT - LE CANADA ET LA DÉCENNIE INTERNATIONALE POUR LES PERSONNES D'ASCENDANCE AFRICAINE
DEUXIÈME PARTIE
           « Vous écrivez pour changer le monde... si vous modifiez, même d'un millimètre,
    la façon dont les gens perçoivent la réalité, vous pourrez alors la changer. » – James Baldwin

       INTRODUCTION                                                   LA VUE DE L'INTÉRIEUR
       Introduction                                                   Des décennies de traumatismes psychosomatiques
3      Dahabo Ahmed Omer
                                                                 31
                                                                      pour les personnes d'ascendance africaine. Pourquoi
                                                                      devrions-nous continuer à en parler ?
       Survol du numéro                                               Darlene Lozis

4      Miriam Taylor
                                                                      Nous sommes à notre place : Les femmes noires
                                                                 34   créatives affirment leur Blackness à travers l'art
                                                                      Atieno Odera

       REGARDS SUR LE PASSÉ ET SUR L'AVENIR
       L’éradication de la discrimination raciale et la lutte
       pour un humanisme universel : D’une histoire                   COMMENT ME VOYEZ-VOUS ?
8      commune à une humanité en partage
                                                                      Le paradoxe de la visibilité dans les communautés
                                                                 39
       La très honorable Michaëlle Jean
                                                                      noires canadiennes LGBTQ2S+
                                                                      Cicely Blain
       L'enseignement de l’histoire des Africains et des
12     Afro-descendants dans les écoles est-il important ?
                                                                      Métis et/ou Afro-Métis ? Qui pensez-vous être ?
       Abdi Bileh
                                                                 42   George Elliott Clarke

       VOIR CE QUI EST ET CE QUI PEUT ÊTRE
       L'oppression et les privilèges, les deux côtés
       d'une même médaille : Déconstruire les privilèges
17     pour engager des processus qui renforcent la
       reconnaissance de la diversité en tant que ressource
       Juliana West et Christine Lwanga

       La Décennie des personnes d'ascendance africaine,
21     une perspective québécoise
       Ricardo Gustave, Didier Boucard et Bochra Manaï

       Majoritairement Jeunes, marginalisés et vilipendés :
       Quelles en sont les répercussions sur l'éducation et le
25     bien-être des jeunes noirs et de leurs communautés ?
       Carl James
FAIRE FACE AU CHANGEMENT - LE CANADA ET LA DÉCENNIE INTERNATIONALE POUR LES PERSONNES D'ASCENDANCE AFRICAINE
DIVERSITÉ CANADIENNE EST PUBLIÉ PAR                                                        Diversité canadienne est une publication trimestrielle de
                                                                                           l’Association d’études canadiennes (AEC). Les collaborateurs
                                                                                           et collaboratrices de Diversité canadienne sont entièrement
CONSEIL D’ADMINISTRATION DE L’ASSOCIATION D’ÉTUDES CANADIENNES (ÉLU LE 23 NOVEMBRE 2019)   responsables des idées et opinions exprimées dans leurs
DRE JULIE PERRONE
                                                                                           articles. L’Association d’études canadiennes et un organisme
Présidente du Conseil d'administration, Directrice, Communications & Marketing,            pancanadien à but non lucratif dont l’objet est de promouvoir
Finance Montréal, Montréal, Québec                                                         l’enseignement, la recherche et les publications sur le Canada.
                                                                                           L’AEC est une société savante et membre de la Fédération
CELINE COOPER
Rédactrice, L’Encyclopédie canadienne, Professeure, Université Concordia,
                                                                                           canadienne des sciences humaines et sociales.
Montréal, Québec

HUBERT LUSSIER
Ancien sous-ministre adjoint, Patrimoine Canadien, Ottawa, Ontario

JANE BADETS                                                                                COURRIER
Ancienne statisticienne en chef adjointe, Statistique Canada, Ottawa, Ontario

GISÈLE YASMEEN                                                                             Des commentaires sur ce numéro ?
Directrice exécutive, Réseau pour une alimentation durable, Montréal, Québec               Écrivez-nous à Diversité canadienne :
PROFESSEUR HOWARD RAMOS                                                                    Diversité canadienne/AEC
Université Dalhousie, Halifax, Nouvelle-Écosse
                                                                                           850-1980, rue Sherbrooke Ouest
L'HONORABLE MARLENE JENNINGS                                                               Montréal, Québec H3H 1E8
C.P., LLb., Avocate, Montréal, Québec
                                                                                           Ou par courriel au 
MADELINE ZINIAK
Consultante, Présidente, Canadian Ethnic Media Association, Toronto, Ontario

PROFESSEUR CHEDLY BELKHODJA
Université Concordia, Montréal, Québec
                                                                                           Cette édition spéciale de Diversité canadienne est publiée en
JEAN TEILLET                                                                               partenariat avec la Commision canadienne pour l'UNESCO.
Associé, Pape Salter Teillet LLP, Vancouver, Colombie-Britannique
                                                                                           Nous désirons les remercier pour leur précieuse collaboration.
PROFESSEURE JOANNA ANNEKE RUMMENS
Université Ryerson, Toronto, Ontario

                                                                                           Un remerciement spécial à Mireille Apollon, Vice-présidente
ÉDITEUR                                                                                    et à David Schimpky, Conseiller spécial, Initiatives stratégiques
Jack Jedwab                                                                                et relations extérieures.
RÉDACTRICE EN CHEF
Miriam Taylor

TRADUCTION
Miriam Taylor                                                                              EN COUVERTURE
DESIGN ET MISE EN PAGE
CAMILAHGO. studio créatif                                                                  Emergence 13 de Nadine Valcin
camilahgo@gmail.com
FAIRE FACE AU CHANGEMENT - LE CANADA ET LA DÉCENNIE INTERNATIONALE POUR LES PERSONNES D'ASCENDANCE AFRICAINE
INTRODUCTION
Dahabo Ahmed Omer est la présidente de la Fédération des Canadiens noirs et la directrice des opérations du Centre somalien
pour les services familiaux. Elle est la co-fondatrice de la Coalition Justice pour Abdirahman qui a fait pression pour des chan-
gements dans le système judiciaire depuis la mort d'Abdi suite à son arrestation violente dans le centre d'Ottawa en 2016. Elle
est membre du conseil d'administration de l'organisation Black Agenda Noir, un cercle de citoyens noirs unis dont le but est
de renforcer la présence des Noirs sur le radar national. Elle a reçu de nombreuses distinctions au fil des ans, notamment pour
ses services exceptionnels au sein de la fonction publique fédérale, le prix Canada 150 de bâtisseur communautaire, le prix de
la contribution communautaire de Academy of Hope, le prix de leadership communataire du Comité de l'histoire des Noirs
d'Ottawa et, plus récemment, lorsqu'elle a été nommée parmi les 100 personnes les plus influentes de moins de 40 ans d'origine
africaine, un prix annuel inspiré par la Décennie internationale des Nations unies pour les personnes d'origine africaine.

En tant que présidente de la Fédération des Canadiens noirs,      changements radicaux aux techniques policières et au système
je suis régulièrement en discussion avec des militants, des       judiciaire. Abdirahman Abdi était un Somalo-Canadien de 37
dirigeants, des penseurs et les nombreuses personnes qui          ans, souffrant de problèmes de santé mentale et sans antécé-
composent les diverses communautés noires de ce pays. Je          dent criminel, qui est mort le 24 juillet 2016 lors d'une violente
suis donc heureuse de pouvoir me joindre à la conversation        altercation avec la police d'Ottawa. Avec nos collègues mili-
qui a lieu dans ce deuxième volume du numéro spécial de           tants et organisateurs des États-Unis, nous sommes affligés
Diversité canadienne sur la Décennie internationale des           par la tristesse de constater que d'autres continuent de mourir.
personnes d'ascendance africaine, commandité par nos amis         Et nous sommes frustrés par des paroles de soutien qui ne
de la Commission canadienne pour l'UNESCO.                        débouchent pas sur des actions concrètes.

Le volume précédent a été publié à la fin du mois de février,     La diversité et l'inclusion ne sont pas des points de départ
pour marquer la clôture du Mois de l'histoire des Noirs. Je       pour l'antiracisme – ce sont des aboutissements qui résultent
doute que quiconque d'entre nous ait imaginé que de tels          d'une décolonisation active et concrète de notre structure
événements marquants de l'histoire des Noirs se produiraient      organisationnelle et de nos relations en général.
dans les semaines précédant la publication de ce deuxième
volume. La triste vérité, cependant, est que personne ne          Les articles de ce numéro, qui ont été rédigés avant les récents
devrait être surpris par les manifestations de racisme les plus   événements, mettent en lumière ce que signifie être Noir au
récentes. En ce qui concerne la pandémie, il est clair depuis     Canada. Le thème du premier numéro était Faire face au
très longtemps que les Canadiens noirs sont confrontés de         changement, inspiré de la célèbre citation de James Baldwin :
manière disproportionnée à la pauvreté, le racisme environ-       « Tout ce à quoi on est confronté ne peut pas être changé, mais
nemental et les difficultés d'accès aux soins de santé. Bien      rien ne peut être changé tant qu'on n'y est pas confronté ». Ce
que nous ne disposions pas encore de statistiques fondées sur     volume est inspiré d'une autre citation de ce dernier : « Vous
la race concernant les incidents de la COVID-19, nous savons      écrivez pour changer le monde... si vous modifiez, même d'un
que ces facteurs contribuent de façon importante au nombre        millimètre, la façon dont les gens regardent la réalité, alors
de personnes noires qui contractent le virus.                     vous pouvez la changer. »

Nous ne devons pas non plus nous étonner d'un nouvel              J'espère qu'en lisant ces documents de réflexion, vous verrez
incident de violence policière contre les personnes d'origine     le monde sous un angle nouveau et que vous jouerez un rôle
africaine. Pendant plusieurs années, j'ai codirigé la coalition   actif en vous éduquant ainsi qu’en soutenant, en investissant,
Justice for Abdirahman à Ottawa, qui cherchait à apporter des     et en aidant la communauté noire à prospérer.

                                                                                                                                       3
FAIRE FACE AU CHANGEMENT - LE CANADA ET LA DÉCENNIE INTERNATIONALE POUR LES PERSONNES D'ASCENDANCE AFRICAINE
SURVOL DU NUMÉRO
    La Dre Miriam Taylor est la directrice des publications et des partenariats de l'Association d'études canadiennes.

    Ce numéro spécial de Diversité canadienne, créé en partenariat        La deuxième section, intitulée Voir ce qui est et ce qui peut être,
    avec la Commission canadienne pour l'UNESCO pour marquer              rassemble trois articles qui explorent les mécanismes et les
    la Décennie internationale des personnes d'ascendance                 solutions liés à la discrimination systémique. Juliana West et
    africaine, et intitulé Faire face au changement : Canada et           Christine Lwanga tentent de présenter une alternative à la
    la Décennie internationale pour les personnes d'ascendance            façon dont sont perçues les différences entre les personnes et
    africaine, est publié en deux parties.                                de déconstruire le discours rigide et hiérarchique qui freine les
                                                                          identités positives et fait obstacle à l'inclusion. Elles mettent
    Avec une introduction de la présidente de la Fédération des           l'accent sur la manière dont la diversité peut être comprise
    Canadiens noirs, Dahabo Ahmed-Omer, demandant à tous de               et reconnue comme une ressource précieuse pour favoriser
    jouer un rôle actif en aidant la communauté noire a prospérer,        une prise de conscience plus profonde de soi et des autres, le
    ce second numéro est divisé en quatre sections.                       développement humain et la justice sociale.

    La première partie, intitulée Regards sur le passé et sur l'avenir,   Dans leur réflexion sur la situation des communautés noires
    s'ouvre sur une contribution de la très honorable Michaëlle           au Québec, Bochra Manai, Ricardo Gustave, Didier Boucard
    Jean qui remet en question la notion selon laquelle l'histoire        soutiennent que la Décennie internationale des personnes
    des Noirs appartient exclusivement aux Noirs et affirme que           d'ascendance africaine offre une occasion de reconnaître et
    la résistance au racisme et les efforts visant à éradiquer la         d’aborder les inégalités systémiques créées par les relations
    discrimination sont essentiels à la construction d'une société        sociales racialisées et les inégalités économiques. Selon eux,
    fondée sur des valeurs humanistes universelles et sur la jouis-       la voie à suivre consiste notamment à mettre en évidence les
    sance par tous de l'ensemble des droits fondamentaux de la            importantes contributions des Afro-Québécois à l'enrichissement
    personne. Abdi Bileh se penche également sur le pouvoir               de notre société et de notre culture par la création de sites pré-
    transformateur de l'éducation et sur son rôle essentiel dans la       servant et honorant leurs traditions et leur patrimoine culturel.
    construction d'une société plus saine. En contribuant à l'éveil
    des jeunes, l'enseignement de l'histoire africaine les aide à         Dans son article sur les expériences éducatives des jeunes
    mieux s'outiller pour construire des économies inclusives, des        noirs, Carl James documente la manière dont le racisme endé-
    institutions civiles et politiques plus dynamiques et des villes      mique anti-noir a relégué les jeunes Noirs aux programmes
    plus saines et plus sûres.                                            éducatifs inférieurs, qui ont structuré leur vie, contribué à

4
FAIRE FACE AU CHANGEMENT - LE CANADA ET LA DÉCENNIE INTERNATIONALE POUR LES PERSONNES D'ASCENDANCE AFRICAINE
leur racialisation et expliqué leurs mauvais résultats sociaux
et éducatifs. Il appelle à la nécessité de reconnaître et de
remédier à l'échec du système éducatif et à ses conséquences
sur le bien-être éducatif, psychique et social des jeunes noirs
et des communautés noires en général.

Intitulée La vue de l'intérieur, la troisième section se concentre
sur le besoin urgent de guérison. Darlene Lozis insiste sur
l'importance vitale de traiter les traumatismes psychosoma-
tiques subis depuis des décennies par les personnes d'origine
africaine en raison des inégalités inhérentes au système. La
guérison de l'âme collective ne peut être accomplie, explique
Lozis, qu'en s'attaquant à des problèmes aussi critiques que la
surreprésentation des jeunes noirs dans nos prisons. Atieno
Odera, pour sa part, souligne le rôle intégral joué par l'art dans
la création d'identités, et son pouvoir unique de changer et
de façonner l'expérience des noirs. Elle se concentre sur le
travail inspirant de trois femmes artistes noires de Vancouver
dont la vie et l'art servent à guérir et à valider la Blackness
dans une communauté qui a souffert d'un certain effacement
et d'un sentiment de fragmentation de soi.

La dernière section, Comment me voyez-vous ?, aborde des
questions essentielles de définition, d'identité et d'inter-
sectionnalité. L'activiste Cicely Blain souligne la nécessité
d'appliquer un cadre intersectionnel à la célébration de la
Décennie pour les personnes d'ascendance africaine. Elle
expose le paradoxe de la visibilité des communautés
LGBTQ2S+ noires canadiennes qui vivent à la fois une hyper-
visibilité constante, qui les rend plus vulnérables à l’examen et
à la violence, mais aussi une invisibilité, tant leurs perspectives
uniques sont partout marginalisées et négligées. Dans son
article examinant le concept de la nation afro-métisse, le
poète George Elliott Clarke soulève des questions philoso-
phiques fondamentales sur le processus même par lequel les
nations sont créées. L’auteur se demande à qui revient le rôle
de définir les identités collectives, de contrôler les cultures
collectives et d’écrire les histoires collectives.

                                                                      5
FAIRE FACE AU CHANGEMENT - LE CANADA ET LA DÉCENNIE INTERNATIONALE POUR LES PERSONNES D'ASCENDANCE AFRICAINE
REGARDS SUR LE PASSÉ ET SUR L'AVENIR
« Les défis auxquels sont confrontées les personnes d'origine africaine
     sont en partie l'héritage de la pratique honteuse et séculaire de
  l'esclavage, de la discrimination et de la ségrégation. Le racisme, la
    discrimination structurelle, la marginalisation, les discours et les
    crimes haineux restent virulents et répandus, malgré tout ce que
 nous avons vécu et appris au fil des ans. Les migrants et les réfugiés
       d'Afrique comptent parmi les personnes les plus vulnérables
d'aujourd'hui, à l'intersection de la discrimination fondée sur l'origine
 raciale ou ethnique, le statut social et économique et la citoyenneté.
    Il est d'autant plus impressionnant de constater que malgré cette
adversité, les personnes d'origine africaine sont des leaders dans tous
      les domaines de la vie, de l'art aux affaires, de la politique à la
      philanthropie, du sport au gouvernement, de la musique, de la
                        littérature et des sciences. »
      – António Guterres, Secrétaire général des Nations unies
FAIRE FACE AU CHANGEMENT - LE CANADA ET LA DÉCENNIE INTERNATIONALE POUR LES PERSONNES D'ASCENDANCE AFRICAINE
TROU DE MÉMOIRE
Eugène Gumira
FAIRE FACE AU CHANGEMENT - LE CANADA ET LA DÉCENNIE INTERNATIONALE POUR LES PERSONNES D'ASCENDANCE AFRICAINE
L’ÉRADICATION DE LA DISCRIMINATION RACIALE ET LA LUTTE POUR UN HUMANISME UNIVERSEL

    D’UNE HISTOIRE COMMUNE À UNE HUMANITÉ EN PARTAGE
    La très honorable Michaëlle Jean est la 27e Gouverneure générale, Commandante en chef du Canada, ancienne envoyée
    spéciale de l’UNESCO en Haïti, 3e secrétaire générale de la Francophonie et cofondatrice de la Fondation Michaëlle Jean.

    Dans le numéro précédent de Diversité canadienne, je proposais         appel lancé par les Nations Unies, le Canada, du gouvernement
    sous le titre Une décennie pour éradiquer la discrimination            fédéral aux gouvernements provinciaux et municipaux, ses
    et le fléau du racisme, rompre avec l’héritage de l’esclavage :        institutions et son secteur privé prennent la pleine mesure
    l’invitation du Sommet pancanadien des communautés noires              du problème et s’engagent en mettant de l’avant des disposi-
    une réflexion sur la mobilisation sans précédent au Canada             tions concrètes. Organisé par la Fondation Michaëlle Jean,
    des communautés afrodescendantes, partout au pays. L’oc-               avec une première édition à Toronto en 2017, une seconde à
    casion à saisir est celle de la Décennie internationale des            Ottawa en 2019, qui ont chaque fois rassemblé des centaines
    personnes d’ascendance africaine : reconnaissance, justice et          de citoyens et citoyennes issus des communautés noires avec
    développement (2015-2024) proclamée par l’ONU qui invite               une forte participation de la jeunesse, mais aussi de décideurs
    tous ses États membres à agir contre le racisme systémique             de tous les secteurs, publics et privés, ainsi que des politiques,
    dont les personnes de race noire font l’objet dans tous les secteurs   la troisième édition du Sommet prévue à Halifax, les 20-21-
    de nos sociétés.                                                       22 mars 2020, a dû être reportée aux 19-20-21 mars 2021, en
                                                                           raison des mesures de confinement total décrétées pour agir
    Les communautés noires estiment que, s’agissant des réalités           contre la pandémie de la COVID-19. Nous demeurons néan-
    auxquelles elles sont confrontées rien, politiques ou plans            moins attentifs et il ne nous échappe pas que les communautés
    d’action, ne peut se penser ou être mis en œuvre sans qu’elles         les plus vulnérables, en l’occurrence les communautés noires,
    soient impliquées. Telle est la raison d’être du Sommet pan-           sont plus fortement touchées par cette crise et par ses effets
    canadien des communautés noires, un espace inclusif de                 collatéraux.
    rassemblement des voix et des perspectives, de débat et
    d’échange, d’identification des enjeux, de mise en présence            Il est assez alarmant également de constater combien les
    d’acteurs issus de différents secteurs, de dialogue et de propo-       accès de haine et de rejet viennent partout s’ajouter au fléau.
    sition. L’objectif est aussi de s’assurer que dans l’esprit de cet     L’ONU ne cesse d’ailleurs de le déplorer et le phénomène est

8
mondial. On a vu comment, à Minneapolis, l’interpellation                la découverte de continents pourtant déjà habités. Face à la
policière violente et cruelle de George Floyd, cet Afro-Américain        somme de ces injustices et la violence raciste qui entachent
de 46 ans, mort par étouffement, a créé l’émoi et entraîné des           notre passé, il serait bon de se rappeler que ce qui fonde aussi
manifestations de révolte tournant à l’émeute dans plusieurs             le Canada c’est une résistance farouche, ce sont ces luttes
villes américaines. « C’est le dernier d’une longue série de             constantes pour la reconnaissance et le respect de la dignité
meurtres d’Afro-Américains non armés commis par des poli-                intrinsèque de tous les êtres humains et l’égalité entre tous
ciers américains et des autojusticiers » a fermement déclaré             les peuples. C’est de cette résistance et de ces luttes qu’est
la Haute-commissaire aux droits de l’Homme de l’ONU,                     née la Charte canadienne des droits et des libertés, ce pacte
Madame Michelle Bachelet, dans un communiqué demandant                   fondamental dans lequel sont clairement énoncés les droits
que justice soit faite. Le premier ministre du Canada, le très           à l’égalité, que chacun soit « traité avec le même respect, la
honorable Justin Trudeau, a commenté à son tour la situation             même dignité et la même considération (c’est-à-dire sans dis-
aux États-Unis en appelant les Canadiens à lutter contre le              crimination), peu importe ses caractéristiques personnelles
racisme au pays. « De nombreux Canadiens de toutes origines              comme la race, l’origine ethnique ou nationale, la couleur, la
regardent les informations en provenance des États-Unis                  religion, le sexe, l’âge, les déficiences intellectuelles ou phy-
avec stupéfaction et horreur » a-t-il souligné. « Le racisme est         siques, l’orientation sexuelle, la situation matrimoniale ou la
réel : il est présent aux États-Unis, mais aussi au Canada. »            citoyenneté. »
Pour en attester, des manifestants très nombreux sont des-
cendus dans la rue en scandant « Black Lives Matter ! La vie             C’est sur ce pacte que le Canada s’est constitué comme une
des Noirs compte aussi ! » et en reprenant les derniers mots de          terre d’accueil par excellence où la diversité ne désigne pas
George Floyd « I can’t breathe ! J’étouffe ! »                           l’autre, mais l’ensemble, une société qui s’affirme interculturelle
                                                                         et multiraciale. Statistique Canada rapporte que plus d’une
Qu’en est-il de l’histoire du racisme au Canada ? Deux fils              personne sur cinq, soit 22 % de la population ont été classées
d’un récit captivant, mais combien méconnu, rivalisent sur               dans la catégorie des minorités visibles en 2016, et que plus
le sujet. D’une part, il est rappelé combien le passé du Canada          d’un jeune sur quatre, soit 27 % des jeunes âgés de 15 à 34 ans
foisonne de conflits ethniques et raciaux dont la teneur est             s’identifient comme faisant partie d’un groupe racial ou assument
très oppressive et destructrice, manifestement et brutalement            pleinement leur origine ethnique.
évidentes aujourd’hui encore. De l’autre, c’est la vision édifiante
d’une société post-raciale, d’un Canada projeté comme un                 Les Canadiens noirs ou d’ascendance africaine forment le
havre de paix, de parfaite harmonie sociale dans la diversité,           troisième groupe de minorités visibles en importance au
où les conflits et les préjugés ont été surmontés.                       Canada, après les Canadiennes et les Canadiens d’origine
                                                                         sud-asiatique et chinoise. Selon le recensement de 2016, la
Comparé à d’autres régions du monde où la haine ethnique et              population noire du Canada totalisait près de 1,2 million de
la violence raciale font rage, il va sans dire que le Canada peut,       personnes, soit 3,5 % de la population.
et à bien des égards, être salué comme un pays exemplaire du
vivre ensemble et de l’interculturalité. Il n’en reste pas moins         Un récente enquête sociale menée par Environics Institute
que la société canadienne n’est d’aucune façon à l’abri ni des           for Survey Research et la Fondation canadienne des relations
mouvements extrémistes xénophobes qui d’ailleurs se font                 raciales1, la première à couvrir les relations raciales à travers le
entendre y compris au sein de certains partis politiques, ni             pays, a révélé que le racisme demeure cependant, comme l’a
du racisme outrageant, de la haine affligeante et des préju-             souligné le premier ministre canadien, une réalité au Canada,
gés sournoisement lovés dans tous les secteurs de la société,            qu’une personne sur cinq rapporte avoir été victime de discri-
administrations publiques, institutions et entreprises qui               mination, en raison de sa race, régulièrement ou de temps à
systématiquement pratiquent l’exclusion. Voilà qui appelle               autre, tandis que trois personnes sur dix disent en avoir fait
à une vigilance constante et qui exige que nous agissions                l’expérience, quoique très rarement. Si la moitié des Cana-
pour transcender un lourd héritage dont il nous faut avoir               diennes et des Canadiens a eu à vivre personnellement un ou
conscience.                                                              plusieurs épisodes de discrimination, la même étude révèle
                                                                         aussi qu’une grande majorité reconnait la persistance de la
En effet, d’est en ouest, du sud au nord, l’histoire du Canada           discrimination raciale. Près de trois personnes sur quatre au
a été forgée au feu et au marteau de la conquête coloniale,              Canada disent avoir conscience que les peuples autochtones,
propulsée par l’idéologie de la suprématie de la race blanche            les Noirs et les Sud-Asiatiques en sont souvent ou occasion-
et la pratique odieuse, des siècles durant, de l’esclavage, de la        nellement les premières cibles. Seul un petit nombre, à peine
domination radicale édictée par les métropoles et les monar-             5 % des Canadiennes et des Canadiens croient que les com-
chies européennes qui ont vite fait de s’attribuer dans le sang          munautés racialisées sont à l’abri de toute discrimination au

1   Les relations raciales au Canada 2019, sondage mené par Environics Institute for Survey Research et la Fondation canadienne des relations
    raciales, Toronto, 10 décembre 2019.

                                                                                                                                                9
Canada. Par conséquent, on pourrait supposer que la force              dans le monde entier. C’est aussi dans cet esprit que s’inscrit la
     du nombre va de pair avec une propension à reconnaître le              Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine
     racisme au Canada, et espérons-le, la volonté de l’éradiquer.          comme un appel pressant et l’occasion de tout engager pour
                                                                            mettre fin à un patrimoine barbare à la source du racisme et
                                                                            s’assurer que personne ne soit laissé pour compte. Il va sans
                                                                            dire qu’exclure est contreproductif et génère un déficit abyssal
     ÉRADIQUER LE RACISME ET LA DISCRIMINATION                              de participation, de forces, d’idées, de solutions, de justice,
                                                                            de citoyenneté, par conséquent de croissance partagée, de
                                                                            développement responsable et viable. Tous les secteurs de la
         « Nous devons voir le racisme pour ce qu’il est. C’est-            société doivent être judicieusement de la partie, telle est la
        à-dire un mythe de la race supérieure et inférieure.                vision portée et défendue par la Fondation Michaëlle Jean.
        L’idée fausse et tragique qu’un groupe particulier, une             Que l’expérience, la condition, les perspectives et les aspira-
        race particulière serait à la source de tous les progrès,           tions des communautés noires puissent embrasser également
        de toutes les idées dans le flux global de l’histoire. C’est        celles des peuples autochtones, des autres communautés
        aussi la théorie selon laquelle une autre population
                                                                            racialisées, des femmes, des personnes LGBTQ2, de toutes
        ou une autre race serait totalement dépravée, intrin-
                                                                            celles et tous ceux marginalisés, livrés à l’exclusion au
        sèquement impure et naturellement inférieure. En
                                                                            Canada. Que nous puissions ainsi tracer un nouveau modèle
        dernière analyse, le racisme est un mal, car sa logique
        ultime est le génocide. »                                           de leadership réellement inclusif et fortement transformateur
                                                                            pour le bien de l’ensemble. Il y va d’un projet de société à édi-
        — Dr. Martin Luther King Jr., The Other America,                    fier de manière pragmatique, par des actions concrètes, une
          avril 1967                                                        mobilisation de masse et un engagement résolu des princi-
                                                                            paux décideurs et législateurs aux côtés et à l’écoute de ces
                                                                            populations qu’il faut cesser de reléguer à l’écart de la famille
     Et si les valeurs humanistes universelles et la jouissance intégrale   humaine.
     de tous les droits de la personne étaient le plus grand héritage
     d’une histoire dont les horreurs et les crimes seraient enfin          Comment imaginer l’éradication définitive de toutes
     reconnus, leur fausse justification rejetée, leurs avanies fina-       les formes de racisme et de discrimination ? L’histoire nous
     lement surmontées et transcendées par la reconnaissance, la            l’enseigne.
     justice et le développement ?
                                                                            Au début du XIXe siècle, l’abolition de l’esclavage était impen-
     La Décennie internationale des personnes d’ascendance                  sable. Cette pratique ignoble, mais combien rentable, n’était-
     africaine célèbre ainsi l’existence et la condition des peuples        elle pas, depuis 400 ans, le principal moteur des économies
     noirs, leur résistance et leur apport à l’humanité dans son            mondiales ? Les puissants régimes esclavagistes européens
     ensemble, la valeur du combat pour l’émancipation, la quête            dominaient le monde, se constituaient, sans foi ni loi, d’ines-
     de justice comme une condition de développement, à un                  timables richesses grâce à ce système d’exploitation d’une
     moment où les effets meurtriers du changement clima-                   innommable cruauté et au pillage des ressources dans leurs
     tique, la terreur et la haine, la criminalité transnationale, les      colonies. Les idées fulgurantes et lumineuses pour qu’advienne
     replis identitaires et nationalistes, la prolifération des armes       un humanisme universel, la hardiesse des mouvements abo-
     chimiques et nucléaires, les fossés toujours plus larges et plus       litionnistes révolutionnaires, des décennies d’actions valeu-
     profonds des inégalités menacent de plus en plus notre exis-           reuses de résistance et de révolte des esclaves conscients
     tence même. Dans le même temps, diverses formes de mobili-             et convaincus qu’ils ne pouvaient s’affranchir que par eux-
     sations collectives émergent. Des voix s’élèvent, des femmes,          mêmes, finira par avoir gain de cause et forcera l’interdiction
     des hommes, des jeunes par milliers, toutes races et origines          du trafic humain et de l’esclavage à la fin du siècle.
     confondues, gagnent les rues, déterminés à agir contre toutes
     les formes d’exclusions larvées et récurrentes. Le racisme a           À partir de 1791, les soulèvements incessants des esclaves
     fourni un modèle séculaire pour d’autres types d’oppression.           entraîneront le démantèlement de la très rentable colonie
     Par conséquent, la lutte contre le racisme, la discrimination et       française de Saint-Domingue, une lutte couronnée par la
     les iniquités fatales qu’ils produisent est également une lutte        proclamation en 1804 de la République d’Haïti. Naît ainsi la
     contre l’oppression générique, donc pour une humanisation              première république noire libre du monde. Un exploit sans
     de l’humanité.                                                         commune mesure, voire inimaginable. La France avec le
                                                                            reste des puissances alliées, royaumes et empires coloniaux
     Le Programme de développement durable à l’horizon 2030                 esclavagistes, d’un commun accord mettront tout en œuvre
     adopté par tous les États membres des Nations Unies en 2015,           pour qu’échoue l’entreprise de ces Noirs rebelles, à commencer
     ainsi que les Objectifs de développement durable (ODD) sur             par un embargo économique total. Qu’à cela ne tienne, la
     lesquels il repose visent à réaliser des progrès cruciaux pour         jeune République d’Haïti avec ses bien maigres ressources
     l’amélioration des conditions de vie et l’avancement des droits        poussera l’audace jusqu’à financer les expéditions de Simon

10
Bolivar pour l’indépendance des colonies d’Amérique latine,
mais à l’unique condition que partout il abolisse l’esclavage.
À l’exemple de la révolution haïtienne, l’impossible rêve se
répandra partout auprès des opprimés de la terre et traversera le
siècle jusqu’à la décolonisation des peuples du continent africain.

Qui eut cru qu’en 2009, une femme noire d’origine haïtienne
Gouverneure générale et Commandante en chef du Canada
accueillerait un dénommé Barack Hussein Obama élu Président
et Commandant en chef des États-Unis d’Amérique, lui aussi
d’ascendance africaine ? Nous avons marché ensemble d’un
pas résolu, portés par une joie immense, conscients du poids
de l’histoire et ayant bien à l’esprit, durant nos échanges, tous
ceux et celles qui nous ont précédés et qui ont lutté, de toutes
leurs forces rassemblées, pour que ce jour improbable se réalise.

C’est un long chemin toujours à défricher, car rien n’est
jamais tout à fait acquis, tant les va-et-vient de l’histoire sont
redoutables si l’on n’y prend garde. Mettre à mort un Noir,
le genou sur sa nuque jusqu’à son étouffement, sans jamais
prêter attention à ses suppliques, est une violence d’une autre
époque, mais elle est aussi d’aujourd’hui. Exclure, dédaigner,
humilier, maltraiter l’autre, prononcer à son endroit un verdict
d’infériorité, d’indésirable, en raison de la couleur de sa peau,
demeure une expérience on ne peut trop fréquente. C’est ce
qui motive le Sommet pancanadien des communautés noires,
la Fondation Michaëlle Jean et de nombreux alliés qui osent
penser et réclamer un plan national pour l’éradication de la
discrimination raciale, vestige de l’esclavage, à l’intersection
d’autres inégalités basées notamment sur le sexe, l’âge, la
religion, le handicap, l’orientation sexuelle.

Dans cette époque incertaine et de repli sur soi, alors que les
discours et les crimes haineux regagnent du terrain dans le
monde entier, souvent en toute impunité, notre devoir est
d’agir. Que rien ne nous déroute, ni les épreuves, ni le mépris,
ni l’indifférence. L’aspiration à un humanisme universel est
un combat de tous les jours que nous voulons voir triompher.

                                                                      11
L'ENSEIGNEMENT DE L’HISTOIRE DES AFRICAINS ET
     DES AFRO-DESCENDANTS DANS LES ÉCOLES EST-IL IMPORTANT ?
     Abdi Bileh est le fondateur et le directeur général de l'Association canadienne pour la promotion des héritages africains
     (ACPHA). Originaire de la Corne de l'Afrique, il a fait ses études secondaires et collégiales à Montréal et ses études postsecondaires
     à l'Université d'Ottawa. Enseignant certifié de l'Ontario (EAO), il est titulaire d'une maîtrise en études africaines, d'une licence
     en histoire ainsi qu'une licence en éducation. Il a plus de 15 ans d'expérience dans le domaine de l'éducation et du service à la
     communauté. Il a fondé une organisation à but non lucratif dont la vision humanitaire permet la construction d'hôpitaux et
     d'écoles dans les régions pauvres d'Afrique de l'Est et d'Haïti.

     Au-delà des partisaneries politiques, l’enseignement de l’his-                 séparation entre l’Afrique et le reste du monde, donc de son
     toire des personnes d’ascendance africaine dans les écoles                     exclusion de la modernité, n’est pas non plus l’enseignement
     est un besoin légitime. Contrairement à ce qui est véhiculé                    qu’il faut proposer dans les programmes scolaires. Mais pour-
     par les soi-disant connaisseurs d’Afrique1, l’histoire africaine               quoi donc enseigner l’histoire des Afro-descendants dans nos
     s’étend sur plus de 3000 ans. Sans contredit, il y a plus de                   écoles, me demanderiez-vous ?
     30002 ans que l’Afrique a connu la naissance des Etats, celle
     de la science, des grandes religions, des architectures, en parti-             Parmi les arguments fort populaires pour l’enseignement de
     culier des temples et des palais, de l'écriture... Riche et complexe,          l’histoire des Afro-descendants dans les écoles, il y a la néces-
     l'histoire africaine mériterait une reconnaissance dans l’histoire             sité de s'adapter au profil des salles de classe de plus en plus
     nationale, mondiale, bref dans la mémoire collective.                          multicuturelles. Ce n'est pas faux, mais les Afro-descendants
                                                                                    sont en Amérique depuis plus de 400 ans et, jusqu’à mainte-
     Ce besoin légitime, c’est-à-dire d’être enseigné dans les écoles               nant, leur histoire est presque inexistante dans les manuels
     primaires et secondaires, est nécessaire, mais pas sous la                     scolaires de l’Ontario et du pays. En réalité, l'enseignement
     forme de sous-histoire. Nourrir l’idée fausse de la primitivité de             de l'histoire des personnes d’ascendance africaine se limite
     l’Afrique qu’entretiennent les Africanistes et certains intellec-              souvent à des sujets sur l'esclavage et l'immigration d'après-
     tuels à leur compte n’est absolument pas l’enseignement dont                   guerre ou la célébration du Mois de l'histoire des Noirs.
     il est question. Perpétuer le discours colonialiste et paterna-
     liste qui promeut l’ignorance ; une ignorance destinée à une                   Malgré leur contribution importante dans plusieurs sphères,

     1   Les Africanistes étudient les civilisations africaines selon des critères exclusivement européens. Fort habiles, ils ont construit un discours
         très solide qui participe à une idéologie dont le but est de fournir une explication logique à la traite négrière, à l’esclavage et à la colonisation,
         d’une part. D’autre part, les Africanistes refusent systématiquement l'existence d’une culture et civilisation africaine.
     2   Histoire générale de l’Afrique de l’UNESCO, Histoire de l'humanité Volume II : 3000 à 700 av. J.-C.,Directeurs du volume : A. H. Dani et J.-P.
         Mohen, Co-directeurs : J. L. Lorenzo, V. M. Masson, T. Obenga, M. B. Sakellariou, B. K. Thapar et Shang Changshou,Préface : Jean Pierre Mohen.

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il est inconcevable que l’on parle encore au XXIe siècle de l’im-        d’opération de l’esclavage et de la traite négrière ainsi que des
portance d'enseigner leur histoire et culture dans nos écoles.           enjeux et des conséquences de l’esclavage dans le monde. De
Comme diraient certains, il y a un mois destiné pour cela. Un            surcroît, l’enseignement de l’histoire dans nos écoles permettrait
mois pour raconter plus de 3000 ans d’histoire, quelle ironie !          aux jeunes de saisir les transformations globales et les interac-
Chose certaine, G. Woodson et Du Bois, deux penseurs amé-                tions culturelles issues de l’histoire de la traite négrière et l’es-
ricains qui ont proposé la nécessité des programmes d’ensei-             clavage qui ont impliqué tous les continents et provoqué des
gnement de l’histoire des Afro-descendants dans les années               bouleversements considérables que modèlent en conséquence
1930, se retourneraient dans leurs tombes en apprenant que               nos sociétés modernes. Parallèlement, les élèves seraient en
90 ans plus tard le sujet est encore d’actualité.                        mesure de découvrir les apports de l’Afrique à la construction
                                                                         et à la transformation des sociétés contemporaines.
Pour revenir à la question initiale, c’est-à-dire l’enseignement
de l’histoire des personnes d’ascendance africaine dans les              En valorisant l’histoire et la culture des personnes d’ascendance
écoles. Briser le cycle de l’ignorance est la première chose qui         africaine dans les écoles ontariennes, on ne peut qu’espérer
me vient à l’esprit. Dans nos sociétés contemporaines, des               l’épanouissement et la fierté des élèves issus d’une commu-
préjugés hérités de l’histoire continuent à polluer les esprits et       nauté dont le taux de décrochage scolaire est très élevé. Certains
entretiennent le racisme ordinaire contre les personnes d’as-            croient que les politiques d’éducation multiculturelles n’ont
cendance africaine. L’enseignement de leur histoire est un               pas produit les effets escomptés. Selon eux, des facteurs qui
bon moyen pour lutter contre les préjugés et le racisme dont             découlent de l’échec relatif du modèle multiculturel figurent le
sont victimes ces gens à cause de l’ignorance. Comme dit le              racisme, le décrochage alarmant, la non-inclusion de l’histoire et
dicton l'ignorance mène à la peur. La peur mène à la haine. La           des cultures minoritaires dans les pratiques pédagogiques. Bien
haine conduit à la violence... Voilà l’équation. Ignorer l’histoire      que la question ait agité les milieux politiques et éducatifs
et la culture d’une tranche de la société canadienne ne fait que         torontois3 un certain temps, la marginalisation de l’histoire
perpétuer la marginalisation d’un groupe de citoyens. Pour-              des minorités noires semble être à l’origine de la création de
tant la stratégie ontarienne d’éducation internationale mise             la première école alternative centrée sur l’histoire et la culture
en place par le Ministère de l’Éducation de l’Ontario (MEO)              africaines. Les défenseurs de cette école sont convaincus que
est censée refléter la vision de l’UNESCO pour l'Éducation               prendre connaissance des réalisations et contributions de
à la citoyenneté mondiale qui veut encourager le respect de              leurs ancêtres sont une source de motivation pour freiner les
tous, susciter un sentiment d’appartenance à une humanité                handicaps scolaires de leurs enfants.
commune et aider les apprenants à devenir des citoyens du
monde, responsables et actifs.                                           La corrélation entre le décrochage scolaire et la surreprésen-
                                                                         tation des Afro-descendants dans les prisons est évidente et
En effet, enseigner l’histoire des personnes d'ascendance afri-          c’est supporté par les recherches qui affirment qu’une grande
caine dans les écoles permet de valoriser le patrimoine culturel         part de la population carcérale n'a pas complété ses études
de ce groupe de citoyens, mais aussi de fortifier la santé de la         secondaires. Au Canada, les Noirs et les autochtones consti-
province et de notre pays. Si par exemple nos élèves appre-              tuent une proportion démesurée de la population carcérale
naient dans un cours d’histoire que les grandes civilisations            et leur présence derrière les barreaux a explosé au cours des
africaines (Mali, Ghana, Songhai, Éthiopie, Soudan, etc.)                dix dernières années. Selon Radio-Canada (novembre 2013)
n’étaient pas un monde clos et renfermé, mais des sociétés               les Noirs sont surreprésentés dans les prisons : « le nombre
dynamiques et ouvertes sur le monde extérieur, l’image sou-              de Noirs a particulièrement augmenté de 80 % au cours des
vent négative perpétuée sur l’histoire des Afro-descendants              10 dernières années. Ils représentent près de 10 % de la popu-
serait différente ; sans doute, il y aurait une compréhension            lation carcérale canadienne (9,5 %) alors qu'ils représentent
mutuelle. De toute évidence, en éduquant nos élèves à acquérir           moins de 3 % de la population civile »4. En fait, selon le rap-
une perspective globale de la citoyenneté, on leur permet-               port annuel du Bureau de l’enquêteur correctionnel (février
trait de mieux saisir le monde diversifié et interconnecté               2014) les personnes d’ascendance africaine représentent près
d’aujourd’hui. Ils comprendraient mieux les grands enjeux                de 10 % de la population carcérale canadienne alors qu’elles
historiques tels que la traite négrière et la colonisation ainsi         représentent moins de 3 % de la population civile du Canada5.
que les séquelles que ces moments tragiques de l’histoire ont
laissées sur la mémoire collective. En fait, les jeunes auraient         En conclusion, l’enseignement de l’histoire des Afro-descendants
une meilleure compréhension des causes et des modalités                  dans les écoles aurait un impact positif aussi bien chez les

3   En 2009, la première école publique Africentric public school de Toronto ouvre ses portes. Cette école a vu le jour suite à un mécontente-
    ment d’un groupe de parents. Elle a pour but de réduire le taux de décrochage élevé des jeunes noirs de la ville.
4   http://ici.radio-canada.ca/nouvelles/societe/2013/11/26/002-canada-prisons-noirs-autochtones.shtml
5   www.rcinet.ca/fr/2014/02/17/noirs-et-autochtones-surrepresentes-dans-les-prisons-canadiennes

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élèves d’origine européenne que ceux originaires de l’Afrique.
     Les uns et les autres peuvent apprendre davantage sur l’his-
     toire et la culture des personnes de descendances africaines ;
     développer chez les élèves le dialogue interculturel et de faire un
     rapprochement entre les différentes cultures présentes dans les
     écoles et dans la communauté. Pour les élèves d’ascendance
     africaine, la valorisation de leur histoire risque de rehausser
     leur fierté par rapport à leur origine. Pour certains élèves,
     cette fierté peut se traduire par un plus grand investissement
     dans leurs études et une plus grande implication dans la com-
     munauté.

     De plus, l’enseignement de l’histoire et de la culture africaines
     dans les écoles permettraient au personnel enseignant de
     connaître et de se familiariser avec des référents culturels
     des personnes d’ascendance africaine. D’une façon générale,
     l’enseignement de l’histoire des personnes d’ascendance afri-
     caine dans les écoles aurait une retombée positive au niveau
     de la province et du pays. Sans doute, cet enseignement peut
     contribuer à l’éveil des jeunes qui, à leur tour, bâtissent une
     économie inclusive, des institutions civiles et politiques plus
     dynamiques et des villes plus saines et plus sûres. Pour ter-
     miner, repenser l’enseignement de l’histoire des personnes
     d’ascendance africaine dans les milieux scolaires et à divers
     paliers nécessite un engagement auprès des personnes de
     communautés issues de l’Afrique et de ses diasporas.

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AFRICA
Yasmeen Souffrant

                       SELF ISOLATION WITH A POTTED PLANT
                       Komi Olaf

   FEMMES AFRICAINES
Yasmeen Souffrant
VOIR CE QUI EST ET CE QUI PEUT ÊTRE
      « La douleur et la colère sont encore ressenties. Les morts, à travers
     leurs descendants, réclament justice. Le sentiment de continuité avec
      le passé fait partie intégrante de l'identité de chaque homme ou de
     chaque femme... Mais les torts passés ne doivent pas nous détourner
      des maux présents. Notre objectif doit être de bannir de ce nouveau
      siècle la haine et les préjugés qui ont défiguré les siècles précédents.
        La lutte pour y parvenir est au cœur même de notre travail aux
                                  Nations unies. »
        – Kofi Annan, Secrétaire général des Nations unies, 1997-2006

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L'OPPRESSION ET LES PRIVILÈGES, LES DEUX CÔTÉS D'UNE MÊME MÉDAILLE :

DÉCONSTRUIRE LES PRIVILÈGES POUR ENGAGER
DES PROCESSUS QUI RENFORCENT LA RECONNAISSANCE
DE LA DIVERSITÉ EN TANT QUE RESSOURCE
Juliana West, Ph. D., est professeure canadienne non racialisée de deuxième génération en travail social à l’Université Thomson
Rivers et coauteure avec Bob Mullaly de l’ouvrage intitulé Challenging Oppression and Confronting Privilege : A Critical Approach
to Anti-Oppressive and Anti-Privilege Theory and Practice, Oxford University Press, 2018.

Christine Lwanga, Ph. D., est une Canadienne d’origine africaine naturalisée. Elle est chercheuse et consultante en développement
social et communautaire dans le cadre d’une bourse postdoctorale à la faculté de travail social de l’Université du Manitoba. Son
travail s’inscrit dans le post-modernisme et la théorie sociale critique, les droits de la personne et les discours centrés sur l’humain
qui intègrent la spiritualité et le bien-être, et la pratique fondée sur des données probantes.

Notre dialogue a été amorcé par une question soulevée                 appartenance à un groupe social particulier », se produit sur
à la suite de la présentation de Juliana sur Au-delà de la            trois plans dynamiques et interactifs : personnel, culturel et
discrimination : Oppression et privilège – Théorie et pratique        structurel (p. 1).À l’inverse, le privilège, qui constitue les avan-
de l'anti-oppression et de l'anti-privilège (AOAP)., lors             tages non mérités de l’appartenance à un groupe particulier,
d’une conférence. Dans sa réponse, Juliana a expliqué que             est à la fois un ensemble invisible d’atouts non mérités sur
l’oppression et les privilèges représentent les deux côtés            lesquels on peut compter au quotidien et une série de désavan-
d’une même médaille : les relations sociales qui entre-               tages auxquels une personne échappe précisément en raison
tiennent l’oppression sont les mêmes qui produisent des               de son identité (Carbado, 2002).
privilèges. Les processus et les structures qui préservent un
meilleur accès aux possibilités, aux récompenses et au statut                 « Le privilège n’est pas quelque chose que je choisis et
des situations sociales privilégiées se font au détriment de                  que j’ai donc la possibilité de ne pas choisir. Il s’agit
la réduction ou du refus de l’accès aux mêmes possibilités,                   de quelque chose que la société me donne, et à moins
récompenses et statut pour les groupes victimes d’oppression                  que je ne change les institutions qui me le donnent,
(Mullaly et West, 2018).                                                      elles continueront de me le donner, et je continuerai
                                                                              à l’avoir, aussi nobles et égalitaires que soient mes inten-
                                                                              tions. » (Harry Brod, cité dans Mullaly et West, 2018, p. 35)

OPPRESSION ET PRIVILÈGE                                               Ces désavantages fonctionnent comme des formes d’oppres-
                                                                      sion quotidienne qui servent à maintenir les groupes mar-
L’oppression, « un type de citoyenneté de deuxième classe,            ginalisés dans un statut social et économique inférieur. Par
est attribuée aux personnes non pas sur la base de l’échec ou         exemple, si deux diplômés en travail social de la même univer-
de la faiblesse ou du manque de mérite, mais en raison de leur        sité canadienne peuvent réussir aussi bien sur le marché du

                                                                                                                                              17
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