MELANCHOLY GRACE JEAN RONDEAU - IDAGIO

 
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MELANCHOLY GRACE JEAN RONDEAU - IDAGIO
M E L A N CH O LY G RACE
         JEAN RONDEAU
MELANCHOLY GRACE JEAN RONDEAU - IDAGIO
GIROLAMO FRESCOBALDI (1583–1643) Toccata Settima
                                The second book of Toccatas, Canzoni etc. (1637) - 05:04
                                                                                                     1                    ME LA N C H O LY GRAC E
                    LAURENCINIUS DI ROMA (c.1567–c.1625) Fantaisie de Mr. de Lorency
                                                           Manuscrit Bauyn (c.1660) - 03:23
                                                                                                     2                                              JEAN RONDEAU
                               LUIGI ROSSI (c.1597–1653) Passacaille Del Seigr. Louigi               3
                                                           Manuscrit Bauyn (c.1660) - 02:15
                       GREGORIO STROZZI (1615–1687) Toccata quarta per l’elevatione                  4
                               Capricci da sonare Cembali, et organi (Naples, 1687) - 05:54
                  JAN PIETERSZOON SWEELINCK (1562–1621) Fantasia cromatica - 09:27                   5
                  GIOVANNI PICCHI (c.1571–1643) Ballo alla Polacha con il suo Saltarello             6
                                      Intavolatura di Balli d’Arpicordo (Venice, 1618) - 02:28
                                                                                                               JOHN BULL (c.1562–1628)
                                                                                                          7    Melancholy Pavan - 06:42
                                                                                                          8    Melancholy Galliard - 03:07
                                                                                                          9    ANON. attrib. HEINRICH SCHEIDEMANN (1595–1663)
                                                                                                               Pavana Lachrymae WV 106 after Lachrymae - 06:09
                                               GIOVANNI PICCHI Ballo alla Polacha (alt. I)           10
                                       Intavolatura di Balli d’Arpicordo (Venice, 1618) - 00:49
                                 LUZZASCO LUZZASCHI (1545–1607) Toccata del IV tuono                 11
                “Toccata per Organo” in Il Transilvano (Venice: Alessandro Vincenti, 1625) - 02:52
                              BERNARDO STORACE (c.1637–c.1707) Recercar di Legature                  12
    Selva di varie compositioni d’intavolatura per cimbalo ed organo (Venezia, 1664) - 05:02
                                                                 GIROLAMO FRESCOBALDI
                                                                     Toccata Quarta - 05:48          13
                                                                      Toccata Prima - 06:32          14
Toccate d’intavolatura di cimbalo et organo, Partite […] Libro P.° (Rome: Nicolo Borbone, 1637)
                                               GIOVANNI PICCHI Ballo alla Polacha (alt. II)          15
                                         Intavolatura di Balli d’Arpicordo (Venice, 1618) - 00:53
                                                                                                          16   ANTONIO VALENTE (?1520–after 1580) after Philippe de Monte
                                                                                                               Sortemeplus, con alcuni fioretti (Sortez mes pleurs)
                                                                                                               Intavolatura de Cimbalo (Naples, 1578) - 03:19
                                                                                                          17   ORLANDO GIBBONS (1583–1625) after Lachrymae
                                                                                                               Pavana No. CCXCII in Fitzwilliam Virginal Book - 03:30
                                                                                                          18   JOHN DOWLAND (1562–1626)
                                                                                                               Lachrimae verae
                                                                                                               No. 7 in Lachrimae, or Seaven Teares (London: John Windet, 1604) - 05:24
                                                                               harpsichord                     polygonal virginal (arpicordo)
                                                             Philippe Humeau, Barbaste, 2007                   ?Francesco Poggi, Florence, c.1575
MELANCHOLY GRACE JEAN RONDEAU - IDAGIO
Pour François et Mireille Badoud
MELANCHOLY GRACE JEAN RONDEAU - IDAGIO
MELANCHOLY GRACE

         En 1596, John Dowland sème un air, ou plutôt le cultive, en rendant célèbre une chanson qui aura un impact
considérable en Angleterre sur toute la période musicale foisonnante de la fin du règne d’Elizabeth I et de l’ère post-
élisabéthaine. Cet hymne se transposera aussi avec force dans l’espace européen, notamment en Flandres et en
Allemagne avec des compositeurs tels que Sweelinck ou Scheidemann et il continuera d’influencer la création moderne,
comme le reflète Britten plus de trois siècles plus tard dans sa « Réflexion sur un chant de John Dowland ». Cet air, c’est un
blason, une signature. Il s’intitule « Flow My Tears ». C’est le Lacrhimae. Une forme musicale reprise, ré-écrite, improvisée,
une mélodie qui s’ancre dans le collectif créatif et n’en sort pas, demeure et se répète, se chante intérieurement comme
une ritournelle puissante.

Ce que la musique déploie, ce qu’elle tend et détend, la façon dont elle se joue de nous ou dont elle joue avec nous,
au travers de cascades d’ambiguïtés, c’est par un enchainement de substituts à notre attente, comme de multiples
surprises ou une Grande Surprise. Et pour se faire, le compositeur puis l’interprète, quand les deux ne se fondent pas
l’un dans l’autre, préparent le terrain, en jouant avec nos pré-dispositions physiques, acoustiques. Dans une note jouée,
dans un son défini en sa composante fondamentale et en ses composantes « harmoniques », s’établissent les partiels
spécifiques du son, comme les multiples d’une fréquence donnée. Cet ensemble de notes plus ou moins perceptibles
- ou même imperceptibles en fonction des instruments utilisés - d’ondes sonores, vient ce déployer dans un ordre que
cette mathématique précise dans le temps. Cet ordre nous soumet à une attente et toute bifurcation ou tout nœud dans
le tracé de cette ligne vient constamment tendre et détendre notre réception. C’est l’entrecroisement de diagonales
venant perturber notre attente qui crée l’édifice musicale. Dans cette gymnastique des harmoniques, chaque (micro)
événements musicales qui s’additionne dans le temps, et joue avec lui, est soit tension, perturbation soit détente, repos,
mais aussi préparation ou amorce, le tout par jeu de résonances. Et chacun de ces événements entrent dans la danse
avec son propre cortège d’harmoniques, son propre « potentiel de résonance ». Ce schéma simpliste et résumé tente
de mettre en lumière les infinies possibilités dont la musique regorge et comment celle-ci nous fait littéralement vibrer.

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MELANCHOLY GRACE JEAN RONDEAU - IDAGIO
Concentrons-nous sur les toutes premières notes de ce fameux Lachrimae. Mélodiquement, on les retrouvera facilement
au travers de différentes œuvres composant ce programme, même légèrement modifiées ou transposées : les premières
notes de la Pavane de Gibbons (piste 17), de celle de Scheidemann (piste 9), et même le thème à nu du Recercar de
Storace (piste 12). Dans cette mélodie, dans l’agencement de ces quelques notes, dans leurs retours et croisements,
disons (en simplifiant) que la troisième est la perturbation la plus significative de ce petit système. De même, sur le plan
des harmoniques et dans leur ordre d’arrivée, ce qu’on appelle le 5ème harmonique, la « tierce » qui se met à exister,
sonne la première perturbation la plus marquée, à savoir celle qui « s’éloigne » le plus de la fondamentale, comme le
prouverait rétroactivement son écart immense en tempérament égal avec l’harmonique naturel. C’est elle qui crée ce
substitut à notre attente de manière très prononcée. En musique européenne, c’est elle qui nous invite à ressentir les
dits majeur ou mineur, et qui, de toute évidence, « colorise ».

        « And when the admiring circle mark
           The paleness of thy face,
        A half-formed tear, a transient spark
           Of melancholy grace,

        Again thou’lt smile, and blushing shun
          Some coxcomb’s raillery;
        Nor own for once thou thought’st on one,
          Who ever thinks on thee. »

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Supposons, en reprenant ces quelques vers extraits de Stanzas Composed During A Thunderstorm de Lord Byron, que ce
« temps » qui joue ces premières notes puis cette troisième, cette tierce, serait le temps qu’une larme prend à se former,
se gorger... puis choir. Une combinaison d’intervalles, dont une sixte (ou treizième) qui chante, sur-chante la musique,
comme une mathématique pouvant exister sous différentes élasticités, qui créé une infinité de tensions émotionnelles
possibles mais avec un mouvement, une direction, un sens qui se répète, qui se ritournellise : les premières notes de la
variation n°25 des « Goldberg » de Bach, celles non moins déchirantes du prélude de « Tristan et Isolde » de Wagner,
celles de Sit Down Stand Up chez Radiohead ou encore celles de My Way (dont je privilégierais la saisissante mélancolie
de la version de Nina Simone) - on notera que ces quelques exemples parmi tant d’autres ont tous un lien plus ou
moins étroit avec un chant, caractérisé ici par cette sixte, une poignante voix mélancolique. Ces notes qui empruntent
à une même couleur n’ont pourtant ni l’époque ni le style en commun, ni grand-chose d’autre d’ailleurs, mais évoquent
pourtant toutes un univers, une familiarité, un collectif. Surpuissance d’un début de mélodie !
Une question me vient : l’auteur en est-il conscient, réalise-t-il profondément ce qu’il fait ? Une autre pourrait davantage
nous intéresser : même sans savoir, le compositeur ne l’aurait-il pas fait quand même ? Autrement dit : la musique
ne dépasse-t-elle pas le savoir ? Dépassé par la musique ou plus précisément par toute une histoire, une pluralité
d’évènement « culturels », par le polissage d’une courbure musicale comme un galet sur la grève, qui invite à la répétition
perpétuelle d’un mouvement en jouant avec sa singularité. Chaque découverte analytique dans la musique semble
générer une multitude de nouveaux questionnements comme si la musique nous dictait son essence : « sachez ne
pas me savoir » ! Pour atteindre à l’essence de la musique, le musicien va devoir accueillir cette injonction avec autant
de bienveillance que de volonté (même si l’inverse n’est pas faux pour autant). Nous pouvons entendre comme une
vocation du musicien le vers d’Angelus Silesius, dans son Voyageur chérubinique de 1657 : « La rose est sans pourquoi ».

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C’est là que nous retrouvons ces musiciens du passé, en l’occurrence dans cet album ceux des 16ème et 17ème siècles
(nous parlons de plus d’un siècle de musique et non de quelques années seulement). Au travers du matériel musical, ils
nous permettent, dans un dialogue filtré par le temps, poli par la persévérance d’une œuvre dans l’histoire, de toucher à
ce que convoque, rassemble la musique. C’est ainsi qu’une communauté se créée entre compositeurs et interprètes du
passé et du présent. Dans quelle mesure un fragment musical traduirait un affect qui serait voué à se répéter au sein
de cette communauté ? Comment l’affect mélancolique par exemple peut-il demeurer présent au sein d’une portion de
musique donnée ? Cet affect ou ce chant se répétant, pouvant donc se métamorphoser ou plutôt se masquer derrière
la reprise ou le rondeau, pouvant aller jusqu’au rite, au culte ou à l’écho, cette ritournelle soulevant indéniablement
la question du temps, du temps battu, peut-il déclencher une approche musicale de l’habitat et du territoire ? Une
danse des espaces qui sonnerait le tocsin de la déterritorialisation1 ? Si on accepte de penser le territoire - ou habitus,
habitude, habitat, habitation - comme affect, ce fragment qui revient, comment permettrait-il d’habiter la mélancolie
? Comme si un son, sédimentarisé par le temps musical, nous faisait traverser les terres de l’inaudibles. À l’instar de
Mahler qui nous fait entendre le chant de la Terre, un son peut nous faire traverser le territoire de la mélancolie. Ce
terrain qui évoque en nous quelque chose, qui ravive la mémoire de cette mélancolie, qui nous saisit, nous attrape au
vol. Ce son permettrait de créer des ancrages qui ne cessent de se multiplier, de s’échoïser. Par exemple, nous avons
associé les modes majeur et mineur à des affects précis qui sont respectivement ceux de la gaité et de la joie dans le
premier cas et du triste, du tendre ou encore du mélancolique dans le second pour n’en citer que quelques-uns2. C’est
en cela que ces sons dépassent a posteriori l’unique physique musicale, en une sorte de sur-son affectif ! Un surson qui
nous fait traverser de toutes parts une inaudibilité. De toutes parts, car, non piétiné, ce territoire nous possède et nous,
nous embrassons son imparable, inesquivable tension émotionnelle. C’est peut-être en ce sens que nous pouvons dire
qu’une majeure partie des compositeurs élisabéthains, mais aussi flamands, ou même italiens de la Renaissance ont
créé un réseaux d’ineffabilité qui ne dit pas la mélancolie mais la sursonne. Comme le murmure d’un vent traversant
cette Europe du renouvellement.

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Quelque soit le contenu et le thème d’un album, je souhaite toujours accompagner et chérir son écoute.
Raconter une histoire. Il se trouve qu’ici, deux sons dictent à l’oreille les chapitres de ce petit récit. Deux teintes marquées
précisément par deux instruments différents : d’un côté un grand clavecin de type italien réalisé par Philippe Humeau
en 2007, d’après un modèle anonyme du début du 18ème siècle et de l’autre un arpicordo ou virginal, originaire de
Florence et réalisé vers 1575 par un facteur inconnu, que l’on supposerait être Francesco Poggi. À l’écoute, on peut
saisir la différence flagrante de pâte sonore de ces deux instruments. La corde reste pincée, mais la facture de chacun
se distingue clairement par son agencement précis, son architecture propre. Le résultat acoustique qui en découle
vient marquer deux habitats sonores bien distincts. Ils ont tous les deux, à leur façon, un charme fou et une puissance
émotionnelle saisissante. Et ils communiquent au travers du temps par la tradition de la facture du clavecin, une
histoire folle dont les facteurs d’aujourd’hui s’évertuent à traduire et faire revivre cette folie et cette inventivité de leurs
prédécesseurs. Ici, le bois, vivant, dans son rapport au temps long, fait dialoguer ces deux objets dans l’espace au sein
d’une histoire commune. Et passer de l’un à l’autre revient à faire parler tel ou tel personnages, à changer simplement
de narrateur, et donc de perspective, plus que de changer de tome ou de chapitre. Pour se faire, il m’a semblé bienvenu
d’illustrer ce changement par l’écho d’une ritournelle, le Ballo de Picchi aux pistes 6, 10 et 15 (comme il était d’habitude
entre chaque acte des opéras de l’époque). Chaque instrument devient comme un rassurant beffroi sonnant la cloche
teintée du rappel et de l’évocation.

          Il nous faudrait repenser rétroactivement le sens de ce qu’on appelle chromatisme en musique. Comme nous le
prouvent les traces musicales européennes du siècle dernier, le tempérament dit égal a assis sa prédominance malgré
le fait que ces musiques héritaient d’un bagage de diversité considérable du point de vu des tempéraments. (Le terme «
tempérament » est évidemment polysémique, mais nous parlerons ici de « tempérament » comme procédé d’accord ou
plus précisément d’accordage, à savoir d’agencement, d’organisation et surtout de choix des fréquences sonores (des
notes) entre elles, qui peuvent être fixes ou modulables en fonction des instruments utilisés. C’est peut-être le rapport
le plus évident entre les mathématiques et la pratique musicale dont les premières sources théoriques remontent à plus
de 2500 ans, en Grèce Antique, avec notamment les Pythagoriciens).

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Si je me permets d’insister ici sur le tempérament égal, c’est afin d’éclaircir par effet miroir la mécanique des autres
tempéraments, dits « inégaux ». Vers 1596, c’est le mathématicien flamand Simon Steven qui établit les divisions d’un
monocorde au tempérament égal, même si son application voit davantage le jour au 18ème siècle avec des claviéristes
et théoriciens des tempéraments tels que Rameau, Corette ou encore Dom Bedos. Mais cette gamme dite tempérée
se diffusera relativement lentement, testée au début du 19ème siècle sur le piano et ancrée sur l’orgue à la fin de ce
même siècle. Ce tempérament prédominant, malgré sa courte pratique dans l’histoire de la musique, divise la gamme
en douze demi-tons égaux, à savoir posés à la même « distance » les uns des autres. Ce principe a changé radicalement
la perspective de la modulation et donc de l’histoire musicale, en résolvant d’un coup le problème de la transposition.
Il n’est pas anodin de soulever que l’évolution de ce tempérament fut étroitement liée à celle des styles et des formes
musicales et aussi à celle de l’instrumentation et de l’orchestration. Elle ouvrait un champ des possibles considérables.
Mais, comme par un effet de vases communiquants, ce que le tempérament égal apporte en puissance, il le perd en
teinte, en contraste et pureté acoustique. La malléabilité qui en découle uniformise et limite le spectre des couleurs.
En traduction, les sons enharmoniques (l’équivalent des homonymes, à savoir deux notes ayant le même son mais pas
le même nom et donc pas le même sens ni la même fonction) se retrouvent confondus3. Ainsi, le sens acoustique, la
fonction musicale de telle ou telle hauteur de note, peut se perdre en un sens dans l’égal, ou au contraire accentuer le
rapport affect-fonction, donc être source d’émotions, dans l’inégal. Mon but ici n’est évidemment pas de hiérarchiser
l’égal sur l’inégal ou inversement, mais plutôt de rendre compte de la puissance musicale que génère la relation étroite
entre une œuvre et un tempérament dans un contexte historique précis. Si l’on reprend notre gamme chromatique,
nous allons ici avec des tempéraments inégaux, en l’occurrence des tempéraments dits « mésotoniques », accédant
à la pureté de certains intervalles tels que la tierce et la sixte, retrouver ces bifurcations inattendues sur le chemin
de notre attente. La prédominance du tempérament égal dans le monde musical occidental actuel, à quelques rares
exceptions près, crée un certain conformisme de l’oreille contemporaine, de manière générale. Il est donc possible, et
c’est l’invitation que je formule, que vous soyez déroutés, en écoutant les œuvres de cet album.

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J’en profite pour souligner que l’utilisation ici de différents tempéraments, inégaux, en fonction de l’œuvre, de sa tonalité
et donc de sons sens, influence considérablement l’expression musicale et connecte puissamment aux gestes d’écriture
des différents compositeurs. Je constate que cela contribue grandement aux intenses émotions qui me traversent
en jouant ces musiques et c’est ce que je souhaite partager. C’est davantage en interprète assidu qu’en puriste que
s’oriente mes choix, toujours dictés par la musique elle-même. Il serait insensé d’utiliser un tempérament égal ou bien un
tempérament inégal mais qui serait inadapté à telle ou telle œuvre : on déformerait complètement la force d’expression
de la musique. Il faudrait alors parler de transcription, ou de translation, voire même de transmutation.
Pour en revenir à la gamme chromatique, rétroactivement, elle devient inattendue, pleines de surprises, presque neuve
pour une oreille trop aiguisée par le tempérament égal. Grâce à tous les répertoires auxquels ce dernier nous a habitués,
cette gamme devient ici un layon escarpé dont la succession de composantes nous surprend par son asymétrie,
sa géométrie variable et complexe. C’est très frappant dans la Fantaisie Chromatique de Sweelinck (piste 5), où le
compositeur rabote cette échelle, la retourne, l’inverse, la superpose, l’entrecroise afin de créer du liant entre toutes
les teintes, les intervalles et les possibilités d’agencement au sein d’un même tempérament. Il est difficile de trouver
l’exact équivalent musical de ce que sont le pigment et la teinte pour la peinture. J’ai toujours eu plus ou moins cette
impression qu’en essayant de parler de musique avec les mots de la technique musicale, je m’en éloignais alors qu’utiliser
métaphores et analogies, et donc ne pas en parler véritablement, m’aidait à m’en approcher. Mais le chromatisme semble
bien porter son nom. On parle plus précisément de mouvement chromatique, comme s’il fallait danse et peinture en
ingrédients de base de toute musique. Cela dépasserait ici l’analogie, il s’agirait d’un agencement spectral qui met
en lien nos modes perceptifs. Le souvenir de la couleur quand nos paupières se ferment pour mieux rentrer dans le
cercle de la danse, dans le transport spirituel qui nous invite à vibrer communément. Ce spectre chromatique ne serait
qu’affaire de distances, d’écarts, d’intervalle entre deux pigments, qui permettraient à notre capteur d’ambigüités de
créer des sensations réagissant à notre sur-sonar. Ces sons équivoques, se réfléchissant, se faisant écho, font tinter les
clochettes de l’affect dans le cosmos musical. Serait- ce le rêve qui m’a mené à cet album ? Entendre par-dessus les
siècles d’histoire et d’habitude la musique des compositeurs de la Renaissance tintinnabuler au cœur de la nuit, comme
l’écho délicat d’étoiles depuis longtemps passées qui nous éclairent encore.

                                                                                                                                Jean Rondeau

1. F. Guattari, L’inconscient machinique, Paris, Recherche, 1979 / G. Deleuze et F. Guattari, Mille plateaux, Paris, Minuit, 1990.
2. Marc-Antoine Charpentier, « Règles de composition par M. Charpentier » / J.P. Rameau, Traité de l’Harmonie, chap. 24, livre second, Paris, 1722.
3. Pour ceux qui souhaiteraient se pencher sur l’univers foisonnant des tempéraments, je recommande vivement la lecture de « Gammes,
Accords, Tempéraments » de Dominique Amann.

                                                                        11
MELANCHOLY GRACE

         In 1596 John Dowland sows a melodic seed, or rather nurtures it, cultivating fame for a song that would
have considerable impact in England throughout the period of burgeoning musical activity coinciding with the end
of Elizabeth I’s reign and the post-Elizabethan era. This tune would also make a strong impression across Europe,
particularly in Flanders and Germany on composers such as Sweelinck and Scheidemann, and would go on to influence
modern creators like Britten, who echoed it in his Reflections on a Song of John Dowland more than three centuries
later. This song is an emblem, a signature. Its name is “Flow, my tears”. It is Dowland’s Lachrimae. A musical shape
repeated, rewritten, improvised, a melody embedded in the creative collective that will not fade, it lingers, resonates,
sung inwardly like a powerful refrain.
What music unleashes – what it furls and unfurls, the way it plays on us as well as with us, through ripples of ambiguities
– comes to us in a sequence of confounded expectations, as from multiple surprises or one Great Surprise. And for this
to happen, the composer and then the performer – when they are not one and the same person – set the stage by
playing on our physical and acoustical predispositions. In a single sounded note, in a tone defined by its component
fundamental and “harmonics”, are the tone’s specific partials, multiples above the given frequency. This is a spectrum:
formed of individual pitches that are more or less perceptible (even imperceptible, depending on the timbre of the
instrument played); formed of soundwaves arranged in an order that is governed by mathematical principles over time.
This order is something we come to expect, and every deviation and distortion in the sequence’s natural unfolding
engenders an ongoing push and pull in our perception. It is this intersecting rise and fall confounding our expectations
that creates the musical edifice. In this circus of harmonics, every musical (micro)event that enters the timeline and
plays with it is either a confounding/tension or a fulfilment/relaxation, but also a preparation or anticipation – all this
through the interplay of resonances. And each of these events enters the dance with its own retinue of harmonics, its
own resonant potential. This simple, summary explanation is meant only to highlight the infinite possibilities inherent in
music and how it literally makes us vibrate.

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Let us look at the very first notes of this famous Lachrimae. Melodically, the same notes can easily be found to recur
(including with light modifications or transposed) in various works in this programme, for example in the opening notes
of the Pavanas by Gibbons and Scheidemann (tracks 17 and 9) and even the bare outline of the Recercar by Storace
(track 12). In this Lachrimae melody – the way these few notes are arranged, the way they recur and coincide – let’s (in
simplest terms) call the third note the most significant perturbation in this little system. Likewise, it’s this fifth harmonic
in the natural series, source of the third scale degree (mediant), that sounds to us the first really prominent perturbation,
specifically because it’s the most “distant” thus far from the fundamental, as our later understanding of its immense
deviation in equal temperament from the natural harmonic retroactively proves. It is this mediant that so emphatically
generates the confounding of our expectation and, in European music, engenders our perception of the so-called major
and minor modes and so obviously “colours” the mood.

        And when the admiring circle mark
           The paleness of thy face,
        A half-formed tear, a transient spark
           Of melancholy grace,

        Again thou’lt smile, and blushing shun
          Some coxcomb’s raillery;
        Nor own for once thou thought’st on one,
          Who ever thinks on thee.

Let us suppose, taking up this pair of Lord Byron’s Stanzas Composed during a Thunderstorm, that the “time” it takes
to sound these first two notes, then the third, this mediant, is the time it takes a teardrop to form, to swell… then fall.
A combination of intervals – in it a sixth (or thirteenth) that sings, rings out over the music – like a single mathematics
behind different forces, able to engender an infinite amount of possible emotional tensions but with one gesture, one
trajectory, one sense, repeated, revisited: the initial notes of Variation 25 of Bach’s Goldberg Variations, or the no less
heartrending opening of the Prelude to Wagner’s Tristan und Isolde, the beginning of Radiohead’s “Sit Down. Stand Up”
or even the start of “My Way” (for me, in the arresting melancholy of Nina Simone’s rendition) – you’ll find that these
few examples among so many others are all linked, some more closely than others, by a melody, defined in this case by
that sixth, a poignant, melancholy turn of the voice. These notes, though they draw from the same well of colour, have
little else in common, neither style nor period, and yet they all conjure a single universe, a familiarity, a collective. The
overriding power of a melody’s first steps!

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I ask myself: is this a conscious choice, is the author aware of this on some level? Maybe more to the point: even
unaware, wouldn’t the composer go there anyway? In other words: does music trump knowledge? And is it trumped by
music, or more precisely by an entire history, an accumulation of “cultural” events, the polishing of a musical phrase like
a pebble on a beach inviting the ceaseless repetition of a motion that toys with its singularity? In music each analytical
discovery seems only to pose a host of new questions, as though music were dictating to us its essence: “know how
to know me not”! To reach the essence of music, the musician will have to meet this injunction with as much goodwill
as willpower (even if the opposite is not necessarily wrong). We might take this line from Angelus Silesius’s Cherubinic
Pilgrim of 1657 as the musician’s vocation: “The rose is without why”.

This brings us to the musicians of the past, in this case those of the 16th and 17th centuries (we’re talking more than a
century of music here, not just a few years). Through their musical documents, they grant us – in a dialogue filtered by
time, perfected by the persistence of a work through history – access to where the music comes from, what it’s made
of. In this way a community is formed between past composers and present performers. How could a musical fragment
possibly convey an affect destined to re-echo in the heart of this community? How can the affect of melancholy, for
example, remain locked within a given passage of music? Can this repeating affect or melody – through repetition able
to transform itself or rather conceal itself behind reprises and rondos to the point of becoming ritual, chant, echo, that
ritornello inexorably posing the question of time, of musical time – build up a musical analogue of habitat and territory?
A dance of spaces that would sound the alarm of deterritorialization1? If we allow ourselves to view territory – or habitus,
habit, habitat, habitation – as affect, how then might this recurring fragment allow us to inhabit melancholy? As though
a sound, laid down as sediment through music history, might lead us through the realm of the soundless. Like Mahler
who gives us the “song of the earth”, a sound can lead us through the territory of melancholy, that space that evokes
something in us, revives the memory of melancholy, seizes us, catches us on the wing. This sound would allow us to
form connections with it that continually multiply and re-echo. For example, we have come to associate the major and
minor modes with specific affects: gaiety and joy for the former; sadness, tenderness and again melancholy for the
latter; to name but a few2. This means that these sounds have transcended their unique musical physics to become a
sort of a posteriori affective metasound! A metasound that leads us through a soundlessness on all sides. On all sides
because this territory is not walked, it possesses us, and we, we embrace its unstoppable, inevitable emotional tension.
It’s perhaps in this sense that we can say most Elizabethan, as well as Flemish and even Renaissance Italian composers
created a mesh of ineffability able to metasound melancholy rather than speak it out loud. Like the whisper of a wind
across their renewing Europe.

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Whatever the content or theme of my albums, I always try to guide the listening experience, make it special. Tell
a story. As it happens, in this case there are two sound-worlds delineating the chapters in this little essay, which is written
in two inks, each belonging to a different instrument: a large Italian-style harpsichord made by Philippe Humeau in 2007
after an anonymous early-18th-century model, and a Florentine arpicordo, or polygonal virginal, produced around 1575 by
an unknown maker who may have been Francesco Poggi. Listeners will immediately notice the marked timbral difference
between these two instruments. While the strings are plucked in both, their design is clearly distinct, each with its specific
action and particular shape, and the sound they produce as a result defines two very distinct acoustical territories.
Each in its own way has tremendous charm and striking emotional power, and they resonate across time because of a
harpsichord-making tradition with a splendid history that today’s makers do their utmost to replicate, bringing to life that
splendour and the inventiveness of their predecessors. Here the long-lived wood of their construction allows these two
objects to converse in space in the common tongue of a shared history. And alternating between them is like having lines
spoken by two characters, a simple change of narrator (and point of view), rather than moving from one chapter or one
volume to another. In doing so, I thought it apt to accentuate this change with the return of a ritornello (as was the custom
between each act of an opera of the day): the Ballo by Picchi heard on tracks 6, 10 and 15. Each instrument thus becomes
a sort of reassuring belfry, tolling a bell that reminds and evokes with its colour.

         With that, we ought to think back on the meaning of what we call chromaticism in music. Developments in
European music over the last century saw the temperament we call “equal” established as the predominant one, despite
the fact that this music descended from a background of considerable diversity with respect to temperaments. (The
term “temperament” clearly has several different meanings, but here we are talking about temperament in the sense of
tuning or, more precisely, intonation; in other words the arrangement, organisation and above all specification of exact
sonic frequencies – notes – which may be fixed or variable depending on the instrument played. This is perhaps the
clearest link between mathematics and musical practice, whose earliest theoretical origins date back more than 2,500
years to ancient Greece and the Pythagoreans in particular.)

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By discussing equal temperament here, my aim is to clarify by contrast how the other so-called “unequal” temperaments
work. It was around 1596 that the Flemish mathematician Simon Stevin established the divisions of a monochord in
equal temperament, though it would be only later, in the 18th century, that his findings would be more fully explored by
clavierists and theoreticians of temperaments such as Rameau, Michel Corrette and Dom Bédos. But what was termed
the “tempered” scale would be relatively slow to take hold, used experimentally by tuners on the piano in the early 19th
century and fixed in organ tunings by the end of that century. This temperament, overwhelmingly used today despite
its only recent emergence in the history of music, divides the scale into twelve equal semitones, in other words placed
at equal “distances” apart. This principle radically changed the prospect of moving from one key to another, thereby
altering music history, at once resolving the problem of transposition. It’s important to note that the development
of this temperament was very closely linked to the development of the various musical styles and forms as well as
instrumentation and orchestration. It opened up a considerable range of possibilities. But, as though by the law of
equal and opposite reactions, what equal temperament adds in terms of capability is lost in terms of colour, contrast
and acoustic purity. Its very flexibility homogenises and limits the spectrum of colours. Put another way, notes that
are enharmonics (the equivalent of homonyms in language, or two notes with the same sound but different names
and therefore differing meanings and functions) became indistinguishable3. Thus, the acoustic meaning, the musical
function of a given pitch, can in equal temperament be lost to some degree, while in unequal temperament it can
accentuate the affect–function relationship and thereby become a source of emotional expression. My aim here is
certainly not to prioritise equal temperament over unequal, or vice versa, but rather to demonstrate the musical power
inherent in the close relationship between a work and a temperament within a specific historical context. Returning now
to our chromatic scale, we proceed with unequal temperaments – for this album in particular the so-called “meantone”
temperaments, which draw on the purity of certain intervals such as the third and the sixth – in order to discover those
surprise deviations from the path of our expectation.

With extremely few exceptions, the prevalence of equal temperament in today’s Western music creates a certain
conformity in the contemporary ear, broadly speaking. It is therefore possible – and in fact my intention – that you will
be thrown off course listening to the pieces on this album.

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Let me stress here that my use here of different temperaments, all unequal, depending on the piece, its key and therefore
its meaning, has a considerable effect on my interpretation and is strongly connected to the various composers’ way
or writing. This contributes greatly to the intensity of the emotions I feel while playing these pieces, and it’s this in
particular I would like to share. Moreover, my choices are made from the perspective of an assiduous player rather than
that of a purist, never governed by anything other than the music itself. It would make no sense to use an equal or
unequal temperament in a work it was not suited for: the expressive power of the music would be completely distorted.
That would rather be a case of transcription or translation, even transmutation.

To go back again to the chromatic scale, it becomes something unexpected, full of surprises, almost brand new, to an ear
too attuned to equal temperament. Thanks to the huge amount of repertoire the latter has accustomed us to, this scale
now becomes a jagged pathway whose successive paving stones surprise us with their asymmetry, their variable and
complex geometry. This is particularly noticeable in the Sweelinck’s Fantasia cromatica (track 5) in which the composer
has taken this flight of steps and shaved it down, turned and flipped it, superimposed it and crossed it on itself in his
quest to bring together all the colours, intervals and structural possibilities available within a single temperament. It
is difficult to find exact musical equivalents for what pigment and hue are to painting. I’ve always had the notion that
trying to discuss music using a technical musical vocabulary tends to distance me from it, whereas using metaphors
and analogies to avoid speaking about it directly has helped me get closer to it. Still, chromaticism seems well named,
though it’s more accurate to speak of chromatic movement, as though dance and painting were indispensable basic
ingredients in all music. But that would be too much for our analogy. That would mean a spectral organisation that
linked our perceptive faculties. The memory of the colour when our eyes close to better rejoin the circle of the dance,
in that spiritual rapture that beckons us all to vibrate as one. The chromatic spectrum would consist of nothing but
distances, gaps, the interval between two pigments allowing our ambiguity-receptor to create sensations in response
to our meta-sonar. Such ambiguous sounds, reflecting and echoing each other, ring the bells of affect in the musical
cosmos. Could this be the dream that led me to this album? To hear, across centuries of history and habit, the music of
the Renaissance composers tinkling in the depths of night, like the delicate echo of stars long gone that shine on us still.

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1. F. Guattari, L’Inconscient machinique, Paris, Recherche, 1979 / G. Deleuze and F. Guattari, Mille plateaux, Paris, Minuit, 1990
2. Marc-Antoine Charpentier, “Règles de composition par M. Charpentier” / J.P. Rameau, Traité de l’Harmonie, chap. 24, livre second, Paris, 1722
3. Anyone interested in exploring the vast and varied world of temperaments, please see J. Murray Barbour’s Tuning and Temperament: A Historical Survey.

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MELANCHOLY GRACE

1596 sät John Dowland den Keim einer Melodie, oder kultiviert ihn, indem er ein Lied berühmt macht, das großen
Einfluss auf die gesamte – ohnehin blühende – musikalische Epoche in Großbritannien zum Ende der Regierungszeit
von Königin Elisabeth I. und des postelisabethanischem Zeitalter haben wird. Dieses Lied wird sich aber auch im Rest
Europas verbreiten, insbesondere in Flandern und Deutschland mit Komponisten wie Seelinck und Scheidemann, und
wird im Laufe der Zeit noch viele moderne Werke beeinflussen, wie zum Beispiel drei Jahrhunderte später Brittens
Reflections on a Song of Dowland zeigt. Die Melodie ist ein Wappenzeichen, eine Signatur. Sie heißt „Flow, my tears“.
Es ist Dowlands Lachrimae, eine musikalische Form, die wiederaufgenommen, wiederholt, umgeschrieben, variiert
wurde, eine Melodie, die sich dauerhaft in das kreative kollektive Bewußtsein eingeschrieben hat, dort bleibt und sich
wiederholt, sich wie von selbst singt wie ein mächtiges Ritornell.

Was die Musik enthüllt, was sie spannt und entspannt, die Art wie sie uns umspielt und mit uns spielt, über Wellen von
Widersprüchlichkeiten hinweg, das erfahren wir als eine Aneinanderreihung von Irritationen, als wären es lauter kleine
Überraschungen – oder eine ganz große. Und um diese Überraschung einzuleiten, bereiten erst der Komponist und dann
der Interpret – sofern es nicht ein und dieselbe Person ist – das Feld, indem sie mit unseren physischen, akustischen
Empfänglichkeiten spielen. In einer gespielten Note, in einem bestimmten Ton mit seiner grundsätzlichen Beschaffenheit
und seinen „harmonischen“ Eigenschaften legen sich die spezifischen Einzelteile des Tons dar, wie das Vielfache einer
gegebenen Frequenz. Die Gesamtheit der Noten, die mehr oder weniger – oder je nach verwendetem Instrument auch
gar nicht – wahrnehmbar sind, diese Schallwellen, entfalten sich in einer Ordnung, die von den mathematischen Prinzipien
der Zeit bestimmt sind. Diese Ordnung bestimmt, was wir in der Musik erwarten, und jede Abweichung, jeder Knoten
im Verlauf dieser Linie reißt uns dabei hin und her. Es ist die Kreuzung der Diagonalen, die unsere Erwartungshaltung
durcheinander bringt, die das musikalische Gefüge erschafft. In dieser Gymnastik der Harmonien ist jedes musikalische
(Mikro-)Ereignis, das sich mit der Zeit hinzufügt, mit der Zeit spielt, entweder Spannung/Verwirrung oder Entspannung/
Erholung, aber auch Vorbereitung oder Vorfreude – all dies durch das Spiel der Resonanzen. Und jedes dieser Ereignisse
reiht sich ein in den Tanz mit einem eigenen harmonischen Gefolge, seinem eigenen „Resonanzpotenzial“. Dieses
vereinfachte und zusammengefasste Schema soll lediglich die unendlichen Möglichkeiten aufzuzeigen, von denen
Musik überquillt, und wie diese uns wortwörtlich zum Schwingen bringt.

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Betrachten wir die allerersten Noten dieses berühmten Lachrimae. Melodisch findet man sie ohne Schwierigkeiten
in den verschiedenen Werken dieses Programms wieder, bisweilen leicht modifiziert und transponiert: in den ersten
Noten der Pavanen von Gibbons (Track 17) und Scheidemann (Track 9), und selbst im Thema des Recercar von Storace
(Track 12). In dieser Melodie, in der Anordnung dieser Handvoll Noten, in ihrem Hin und Her und Vor und Zurück, können
wir (vereinfachend) feststellen, dass die dritte Note die größte Verwirrung in diesem kleinen System darstellt. Und
gleichermaßen, auf der harmonischen Ebene und in der Reihenfolge wie sie auftreten, lässt die sogenannte fünfte
Harmonik, wo diese „3. Stufe“ herkommt, die erste und markanteste Störung läuten, und zwar jene, die sich am
grundlegendsten „entfernt“, wie es rückblickend ihr enorme Abweichung der gleichstufig temperierten Stimmung
von der natürlichen Harmonik beweist. Diese 3. Stufe ist es, die unsere Erwartung so massiv unterläuft, die in der
europäischen Musik unser Empfinden der Tonarten formt, und die ganz klar „Farbe“ in die Musik bringt.

        „And when the admiring circle mark
           The paleness of thy face,
        A half-formed tear, a transient spark
           Of melancholy grace,

        Again thou’lt smile, and blushing shun
          Some coxcomb’s raillery;
        Nor own for once thou thought’st on one,
          Who ever thinks on thee.“

Nehmen wir einmal an, um diese Verse aus Lord Byrons Stanzas Composed during a Thunderstorm aufzugreifen,
dass die „Zeit“, die es braucht, um die ersten Töne bis hin zur dieser 3. Stufe zu spielen, die Zeit sei, die eine Träne
braucht, sich zu bilden, zu wachsen ... und schließlich zu fallen. Eine Kombination von Intervallen – darunter eine Sexte
(oder eine Dreizehnte), die singt, ja die Musik übersingt –, wie eine einzelne Mathematik hinter verschiedenen Kräften,
die unendlich viele Gefühlsspannungen hervorruft, aber in einer Bewegung, einer Richtung, sich wiederholt und
wiederkehrt: Die ersten Noten der Goldberg Variation Nr. 25 von Bach, oder jene nicht weniger herzzerreißenden aus
dem Beginn des Vorspiels von Wagners Tristan und Isolde, jene des Anfangs von Radioheads Sit Down. Stand up oder
auch die ersten von My Way (für mich persönlich in der ergreifenden Melancholie der Version von Nina Simone). Diese
wenigen willkürlichen Beispiele sind alle mehr oder weniger direkt durch eine Melodie verbunden, hier durch eine Sexte
charakterisiert, eine mitreißend melancholische Stimme. Diese Noten, die weder derselben Epoche entstammen noch
demselben Stil angehören und auch sonst nicht viel gemeinsam haben, bedienen sich dennoch derselben Färbung
und vermögen es, ein ganzes Universum, eine Verbundenheit, eine Gemeinschaft heraufzubeschwören. Was für eine
überwältigende Macht die ersten Töne einer Melodie haben kann!

                                                           22
Eine Frage stellt sich mir: Ist dies eine bewusste Entscheidung, weiß der Urheber auf einer gewissen Ebene, was er
da tut? Oder vielleicht noch interessanter zu wissen: Wäre der Komponist nicht auch ohne dieses tiefe Wissen dort
gelandet? Anders gesagt: Wird das Wissen nicht von der Musik übertrumpft? Und wird es von der Musik übertrumpft,
oder genauer gesagt von einer ganzen Geschichte, einer Fülle von „kulturellen“ Ereignissen, der Verfeinerung einer
musikalischen Phrase, rundgeschliffen wie ein Kiesel am Strand, der die unaufhörliche Wiederholung einer Bewegung
heraufbeschwört und dabei doch einzigartig ist. Jede analytische Entdeckung in der Musik scheint eine Vielzahl
neuer Fragen nach sich zu ziehen, als würde die Musik uns sagen: „Begreift, dass ich nicht zu begreifen bin.“ Um zum
Kern der Musik zu gelangen, muss ein Musiker dieser Mahnung in gleichem Maße mit Gewogen- und Gewilltheit
(obwohl andersherum auch nicht unbedingt falsch wäre) folgen. Ein Vers des Angelus Silesius aus seinem Gedicht
Der Cherubinische Wandersmann von 1657 kann als die Berufung des Musikers verstanden werden: „Die Rose
ist ohne Warum.“

Dies führt uns zu den Musikern der Vergangenheit, und zwar auf diesem Album jene des 16. und 17. Jahrhunderts (wir
sprechen hier von über einem Jahrhundert Musikgeschichte, nicht nur von einigen Jahren). Mit ihrem musikalischen
Material geben sie uns – durch ein von der Zeit gefiltertes Zwiegespräch, perfektioniert durch die historische
Beständigkeit der Werke – Zugang dazu, wo die Musik herkommt und was sie ausmacht. Auf diese Art und Weise
entsteht eine Gemeinschaft zwischen Komponisten der Vergangenheit und Interpreten der Gegenwart.

Wie aber kann ein musikalisches Fragment eine Gefühlsregung vermitteln, die dazu bestimmt ist, sich innerhalb dieser
Gemeinschaft fortzusetzen? Wie kann zum Beispiel der melancholische Affekt in einer bestimmten Passage präsent
bleiben? Und kann dieser sich wiederholende Affekt oder Gesang – der sich durch Wiederholung verwandeln oder
vielmehr sich hinter Wiederholungen und Rondos verstecken kann, bis er zu einem Ritus, einem Kult oder einem Echo
wird, zu einem Ritornello, das unweigerlich die Frage nach der Zeit stellt, nach dem Tempo – ein musikalisches Äquivalent
zu Heimat oder Lebensraum hervorrufen? Einen Tanz der Räume, der die Sturmglocken der Entwurzelung läutet1?
Wenn man gewillt ist, Lebensraum – oder Heimat, Heim, Heimstatt – als Affekt zu betrachten, wie erlaubt es uns dieses
wiederkehrende Fragment dann, die Melancholie zu bewohnen? Als ob ein Ton, der sich im Laufe der Musikgeschichte
abgelagert hat, uns das Reich des Unhörbaren durchqueren liesse.

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Wie bei Mahler, der uns den „Gesang der Erde“ gab, kann uns ein Klang durch das Land der Melancholie führen, eine
Landschaft, die in uns etwas hervorruft, das die Erinnerung an diese Melancholie wiederbelebt, die uns ergreift, uns
im Flug erwischt. Dieser Klang erlaubte es uns, Verbindungen herzustellen, die sich unaufhörlich vervielfältigen, sich
wiederholen. Zum Beispiel verbinden wir Dur- und Molltonleitern mit präzisen Gefühlen, Dur mit Freude und Glückseligkeit,
und Moll mit Trauer, Zärtlichkeit oder auch Melancholie, um nur ein paar zu nennen2. In dieser Weise gehen diese Klänge
a posteriori über die reine Physik der Musik hinaus, in einer Art von affektivem Über-Klang! Ein Über-Klang, der uns
erlaubt, von allen Seiten Unhörbares wahrzunehmen. Von allen Seiten, weil dieses unbetretene Land uns besitzt und wir
seine unabwendbare, unvermeidbare emotionale Spannung umschlingen. Vielleicht können wir in diesem Sinne davon
reden, dass ein Großteil der elisabethanischen, aber auch der flämischen oder sogar der italienischen Komponisten
der Renaissance ein Netzwerk der Unbeschreibbarkeit geschaffen haben, das die Melancholie nicht laut ausspricht,
sondern über-tönt – wie das Flüstern des Windes, der über ein Europa der Erneuerung hinwegweht.

Was auch immer der Inhalt oder das Thema eines meiner Alben sein mag, mein Wunsch ist dabei jedes Mal, das
Hörerlebnis zu verstärken und zu bereichern, eine Geschichte zu erzählen. Auf diesem Album sind es zwei besondere
Klangwelten, die die Kapitel dieser kleinen Erzählung diktieren. Zwei Schattierungen, die von zwei unterschiedlichen
Instrumenten geprägt sind: einerseits ein Cembalo italienischer Machart, 2007 nach einem anonymen Modell vom
Beginn des 18. Jahrhunderts von Philippe Humeau nachgebaut, und das andere ein florentinisches Arpicordo, oder
Virginal, um 1575 herum von einem unbekannten Meister geschaffen, bei dem es sich möglicherweise um Francesco
Poggi gehandelt haben könnte. Der Hörer wird die unterschiedlichen Klangcharaktere der beiden Instrumente sofort
wahrnehmen. Die Saiten werden nach wie vor bei beiden gezupft, aber jedes Instrument hat seine eigene Form, seine
eigene Bauart. Als Resultat entstehen zwei vollkommen verschiedene akustische Persönlichkeiten. Sie haben jedes auf
seine Art einen außergewöhnlichen Charme und eine verführerische emotionale Kraft. Über die Tradition der Cemballo-
Fertigung erzählen sie über die Zeit hinweg eine eindrucksvolle Geschichte, und moderne Hersteller geben sich viel
Mühe, diese nachzuahmen und die Extravaganz und den Erfindungsreichtum ihrer Vorgänger wieder aufleben zu lassen.
Hier lässt das langlebige Holz die beiden Instrumente durch den Raum in ihrer gemeinsamen Sprache einer geteilten
Geschichte miteinander kommunizieren. Und der Grund, weshalb ich von einem zum anderen wechsele, ist, dass ich die
eine oder die andere Persönlichkeit ihre Geschichte erzählen lassen will, um sozusagen den Erzähler zu wechseln, und
damit auch die Perspektive, anstatt nur von einem Buch oder Kapitel zum anderen wechseln. In diesem Sinne hielt ich
es für sehr angebracht, diesen Wechsel anhand der Wiederholung eines Ritornellos (so wie es damals zwischen den
einzelnen Akten einer Oper üblich war) zu veranschaulichen: Das Ballo von Picchi ist auf den Tracks 6, 10 und 15 zu
hören. Dadurch wird jedes der Instrumente zu einer Art Glockenturm, der beruhigend die Stunden der Nostalgie und
der Evokation schlägt.

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Es wäre daher gut, sich hier noch einmal die Bedeutung des Begriffs Chromatik in der Musik vor Augen zu halten.
Die Entwicklung der Musik des vergangenen Jahrhunderts in Europa hat zur Folge gehabt, dass die sogenannte
gleichstufig temperierte Stimmung die Oberhand genommen, obwohl diese Musik einer weitreichenden Vielfalt an
temperierten Stimmungssystemen entsprungen war. (Das Wort „Temperament“, von dem temperiert sich ableitet, ist
selbstverständlich mehrdeutig; hier bezieht es sich natürlich auf das Stimmverfahren, oder genauer die Intonation;
anders gesagt, das Arrangement, das Schema und vor allem die Spezifizierung der genauen klanglichen Frequenzen
– der Noten – untereinander, die je nach verwendetem Instrument fixiert oder modulierbar sein können. Es handelt
sich hier vielleicht um die engste Verbindung zwischen Mathematik und musikalischer Praxis, deren erste theoretische
Ursprünge mehr als 2.500 Jahre ins antike Griechenland, insbesondere zu den Pythagoräern, zurückreichen.)

Wenn ich hier auf der gleichstufig temperierten Stimmung beharre, so um spiegelbildlich die Mechanik der anderen,
sogenannten ungleichstufigen Stimmungen zu beleuchten. Um 1596 herum erstellte der flämische Mathematiker
Simon Stevin die Unterteilungen eines gleichstufig temperierten Monochords, auch wenn seine Ausführung erst im
18. Jahrhundert mit den Klavieristen und Theoretikern wie Rameau, Michel Corrette oder auch Dom Bédos in die Tat
umgesetzt werden sollten. Diese sogenannte temperierte Tonleiter setzt sich verhältnismäßig langsam durch, zunächst
zu Beginn des 19. Jahrhunderts versuchsweise auf dem Klavier, zum Ende des Jahrhunderts auf der Orgel. Diese heute
vorherrschende Temperierung, die musikhistorisch gesehen eine junge Erscheinung ist, unterteilt die Tonleiter in zwölf
gleiche Halbtöne, also in jeweils gleichen „Abständen“. hat Dieses Prinzip hat die Betrachtungsweise der Modulation –
und damit die Musikgeschichte – radikal geändert, indem es das Problem der Transposition auf einen Schlag löste. Es
ist wichtig hervorzuheben, dass die Entwicklung dieser Temperierung direkt mit der Entwicklung von Musikstilen und
-formen verbunden ist, ebenso wie mit der Instrumentierung und Orchestrierung. Sie eröffnete einen bemerkenswerten
Möglichkeitsraum.

Aber – wie bei dem Prinzip der kommunizierenden Röhren – was die gleichstufige Temperierung an Kraft hinzufügt,
verliert sie an Schattierung, an Kontrast und an akustischer Reinheit. Die daraus entspringende Formbarkeit uniformiert
und begrenzt das Spektrum. Übersetzt bedeutet das: enharmonische Noten (das Äquivalent zu Homonymen in
der Sprache, also zwei Noten, die sich den gleichen Ton teilen, aber unterschiedlich benannt sind und deswegen
nicht die gleiche Bedeutung haben und nicht die gleiche Funktion) sind nicht mehr unterscheidbar3. So kann in der
Gleichmäßigkeit der akustische Sinn, die musikalische Funktion dieser oder jener Notenhöhe verloren gehen, oder das
Verhältnis zwischen Affekt und Funktion kann sich im Gegensatz dazu in der Ungleichmäßigkeit zuspitzen und damit
Quelle von Emotionen sein.

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