Universitas Végétarisme - Zwischen Verzicht und Verlockung - UNIL
←
→
Transcription du contenu de la page
Si votre navigateur ne rend pas la page correctement, lisez s'il vous plaît le contenu de la page ci-dessous
universitas JUIN 2016-04 I LE MAGAZINE DE L’UNIVERSITÉ DE FRIBOURG, SUISSE I DAS MAGAZIN DER UNIVERSITÄT FREIBURG, SCHWEIZ Végétarisme Zwischen Verzicht und Verlockung
Edito Inhalt Brutzelt auf Ihrem Grill gerade ein safti- ges Steak? Keine Sorge, wir wollen mit der vorliegenden Ausgabe niemandem den Appetit verderben und auch nicht den Moralapostel spielen. Es liegt jedoch in der Natur des gewählten Themas «Vegeta- rismus», dass gewisse Artikel Klartext sprechen: Gerade der Veganismus, sozu- sagen die umfassendste Weise des Vegeta- rismus, bedeutet deutlich mehr als den Verzicht auf Tierprodukte. Wer sich dafür entscheidet, vertritt eine ganz klare Ein- stellung zum heiklen Thema der Tierrech- te. Ein Thema, das im Übrigen keineswegs neueren Datums ist. Schon in der Antike vertrat Pythagoras mit seiner Philosophie in gewisser Weise die Rechte der Tiere, oder zumindest den Respekt ihnen ge- genüber. Konkreter und sehr viel später setzte sich zu Ende des 18. Jahrhunderts der Philosophieprofessor Wilhelm Diet- ler für die «Gerechtigkeit gegen Thiere» ein. Ein seinerzeit sehr fortschrittlicher Ansatz, der aber trotz allem das Verspei- sen von Tieren nicht als unmoralisch wer- tete. War Dietler also nicht konsequent? Die Frage, ob und wieviel Fleisch wir denn eigentlich essen sollten oder dür- fen, drängt sich nach der Lektüre unseres Themendossiers wohl auf. Eine alle be- friedigende Antwort darauf ist, natür- lich, unmöglich. Denn zwischen über- zeugten Veganern und eingefleischten Karnivoren liegt eine schier unerschöpf- 8 dossier > Végétarisme liche Bandbreite an möglichen Ess- und Lebensgewohnheiten. 4 fokus Explora : Une journée pour découvrir l’Université So muss ein jeder und eine jede für sich selber entscheiden, wo die Latte zwischen 44 forschung Verlockung und Verzicht anzubringen ist. Entwicklungsbiologie: Gebrochene Zebrafischherzen Tatsache scheint, dass der Anteil an Men- schen, die ihren Fleischkonsum bewusst 46 recherche einschränken, im Steigen begriffen ist. Archéologie : Prendre le temps de Rhodes Ein Trend, den man der eigenen Gesund- heit zuliebe, aus Respekt vor dem Tier 48 recherche oder aus ökologischen Gründen nur be- Fédéralisme : Des cimetières propres en ordre grüssen kann. 50 portrait Ich wünsche Ihnen, liebe Leserinnen François Nordmann, ancien ambassadeur und Leser, viele schöne Grillabende. Tes- et actuel président du fiff ten Sie doch, zur Abwechslung, mal die Chermoula mit Gemüse (Rezept Seite 17). 52 lectures Herzlich, 54 news Claudia Brülhart Chefredaktorin Illustrations : Jérôme Berbier | www.digsen.ch UNIVERSITAS / JUNI 2016 3
Explora : la journée pour fokus découvrir l’Université L’Université de Fribourg n’est pas une tour d’ivoire ! Le 24 septembre prochain, notre institution ouvrira ses portes à la population. Au menu, conférences, expériences scientifiques et même, plus inattendue, une course populaire. Christian Doninelli Moins de six mois avant sa première édi- de 10 kilomètres organisée lors de la jour- tion, Explora n’en est encore qu’au stade du née portes ouvertes du 125e anniversaire gros œuvre. Le projet est toutefois suffi- de l’Université. samment avancé pour déjà lever une partie La programmation fait d’ailleurs la part du voile. Cette manifestation, que la rec- belle aux activités sportives. Sous la super- trice appelle de ses vœux, risque de deve- vision d’étudiants en sport de l’Université nir un jalon incontournable de l’année de Fribourg, jeunes et moins jeunes pour- académique : « La création d’une journée ront s’adonner à l’escalade ou tester leur portes ouvertes permettra aux membres de équilibre sur une slackline. Plat de résis- l’Université de se rencontrer par-delà les tance : la course de 10 kilomètres à travers la frontières des facultés, s’enthousiasme ville, une réédition de l’épreuve de 2014. Astrid Epiney. Autre avantage, les Fribour- « Mens sana in corpore sano, s’enthousiasme geois pourront aussi découvrir les activi- la Rectrice, grande sportive devant l’Eter- tés de notre institution. » Car, en dépit de nel. Il est avéré que l’activité physique son rayonnement national, voire interna- contribue à la performance cérébrale. » Et de tional, l’ancrage régional demeure très s’essayer à la métaphore : « Une université fort. « Les étudiants de l’Université de Fri- bouge toujours. Elle développe de nouvelles bourg représentent le tiers des 37’000 habi- méthodes d’enseignement, elle défriche de tants de la ville. Nous ne souhaitons pas nouveaux champs de recherche et doit nous couper de nos racines. Nous vivons s’adapter à des conditions cadres chan- du soutien des autorités et de la population, geantes. Une course me semble bien illus- et pas seulement sur le plan financier», trer ce mouvement perpétuel. Et je ne parle conclut la rectrice. même pas du plaisir que nous ressentons à effectuer un effort physique en groupe. » Une journée bien remplie Comme pour démontrer que l’esprit et le Bien que rien ne soit encore définitivement corps sont liés, cette épreuve de 10 kilo- gravé dans le marbre, la programmation mètre a inspiré une animation scienti- d’Explora ressemble comme deux gouttes fique à l’association des anciens étudiants d’eau à un inventaire à la Prévert : confé- de médecine de Fribourg. Jean-Pierre rences, faculty crawl, ateliers, visite gui- Montani, professeur au Département de dée, show de chimie, etc. « Les thèmes abor- médecine, compte monter un stand où les dés iront de la dimension affective de athlètes pourront mesurer gratuitement l’argent à la place de l’islam en Suisse. Et leur pression artérielle et le taux de sucre personne ne restera les bras ballants », s’ex- dans le sang. Non loin de là, il envisage clame Jérémie Aebischer, écartant d’em- également d’organiser deux conférences, blée la perspective d’allocutions longues l’une sur l’hypertension artérielle, afin de et rébarbatives. Diplômé en gestion du savoir en quoi cela consiste, comment on sport et des loisirs, ce jeune Fribougeois est la mesure et quels sont les traitements à la cheville ouvrière de la manifestation. Il disposition, l’autre sur le diabète sucré et n’est pas inconnu au bataillon, lui qui fut l’obésité. Deux sujets qui font l’objet de re- l’instigateur et l’organisateur de la course cherches au sein de son département. 4 UNIVERSITAS / JUIN 2016
De la science et des jeux Toutes les disciplines académiques ne pré- sentant pas, de prime abord, le même inté- rêt pour le grand public, le plus grand défi consiste à encourager les profanes à oser, malgré tout, à explorer de nouveaux terri- toires. « Pour peu qu’on y mette les formes, chaque discipline peut s’avérer passion- nante. J’en ai l’intime conviction », assure Gian-Andri Casutt, responsable de la com- munication de l’Université de Fribourg. Il en veut pour preuve l’invention du terme « sciencetainment », fusion des mots « science » et « entertainment ». Le science slam est sans doute l’exemple archétypal de cette science qui ose désormais s’aven- turer dans l’arène. Au cours de cet exercice scénique de plus en plus populaire, des doctorants scandent leur thèse à un public profane. « Le science slam que nous avons or- ganisé ce printemps à Fribourg a fait salle comble. Preuve que la science peut devenir un vrai divertissement ! » L’exercice n’est pas que ludique : les profes- seurs et les chercheurs de l’Université peuvent également tirer un profit direct de leur participation à Explora. « Les ques- © Marcel Lanzilao tions du public ne manquent pas de les sur- prendre, voire de les désarçonner, té- moigne Gian-Andri Casutt, ils doivent s’adapter et développer d’importantes compétences de vulgarisation. » Les premiers coureurs franchissent la ligne d’arrivée de la course du Jubilé125. Des qualités, par ailleurs, indispensables à qui souhaite s’adresser aux politiciens et « Si on sait les écouter, les alumni ont beau- aux bailleurs de fonds. « En Suisse, il y a ré- coup à apporter à l’institution. Je trouve gulièrement des votations populaires sur qu’ils posent des questions très perti- des sujets scientifiques. Il est donc impor- nentes à leur alma mater. Ce sont égale- tant que les chercheurs communiquent de ment des personnalités susceptibles de manière ouverte et qu’ils s’engagent dans nous soutenir, non seulement financière- la Cité. Explora y contribue. Cela dit, ce qui ment, mais aussi par la mise à disposition m’importe le plus, c’est que le programme de leurs compétences ou de leurs réseaux. » de la journée soit passionnant et intelli- Sabrina Fellman leur a déjà concocté un gible pour tous, de 7 à 77 ans et au-delà ! » programme sur mesure : une visite spé- ciale en compagnie du rectorat in corpore. Rassembler la famille universitaire Celle-ci comprendra une étape au centre En Europe, le sentiment d’appartenance à Human-IST, projet que la Fondation sou- une université n’est pas aussi fort qu’aux haite appuyer en 2017. Et de conclure : « Les Etats-Unis. Difficile, une fois leur diplôme donateurs pourront ainsi découvrir son en poche, de maintenir les étudiants dans stade d’avancement autrement que par un le giron de l’alma mater. Sabrina Fellmann, simple courrier ! » responsable du développement à la Fon- Et pour ne rien gâcher, une fois leur soif dation de l’Université, en est pourtant de savoir étanchée, les vétérans de l’Uni- convaincue : Explora va offrir l’opportunité versité de Fribourg pourront sans peine de rassembler plusieurs générations d’étu- se désaltérer dans l’un des cinq bars, à diants et, surtout, de les rencontrer dans l’image des cinq facultés, qui garniront le un contexte plus festif que lors du « Dies site de Miséricorde. très academicus ». Elle compte profiter de la manifestation pour exprimer sa recon- Une forme de partenariat public-privé naissance aux alumni et, se prend-elle à Organiser une telle manifestation néces- rêver, pour attirer de nouveaux donateurs : site d’importantes ressources, mais pas UNIVERSITAS / JUNI 2016 5
fokus question de délier complètement les cor- Stars dons de la bourse. De fait, l’investissement Des invités vedettes sont également pres- principal consiste en heures de travail, sentis, mais impossible d’en savoir plus celles des chercheurs qui créeront les ani- car, pour l’heure, les organisateurs se mations, ainsi que celles des collabora- fendent d’un péremptoire wait and see. teurs et bénévoles qui assureront le bon déroulement d’Explora. La location d’une La pizza métagénomique scène, de l’éclairage, de stands, d’un mur Dans la peau du pizzaiolo, on retrouve de grimpe et d’un château gonflable occa- Laurent Falquet, professeur au Départe- sionneront quelques sorties d’argent, de ment de biologie. Le but de l’atelier qu’il a même que la publication d’annonces dans concocté est de mettre en avant la bioin- les journaux. formatique, une discipline à cheval entre Afin de ne pas détourner des sommes des- la biologie, la médecine, l’informatique et tinées à l’enseignement ou à la recherche, les statistiques. « Grâce aux nouvelles l’Université de Fribourg cherche égale- technologies de séquençage, il devient ment des sponsors. Le Groupe E, l’un des possible d’obtenir rapidement des sé- quatre piliers de l’économie fribour- quences d’ADN génomique de presque geoise, financera la course de 10 kilo- n’importe quel composé vivant, explique- mètres. « Au final, explique Gian-Andri t-il. En combinant ces séquences avec des Casutt, ce sera certainement la journée bases de données, on peut reconnaître portes ouvertes la moins chère de Suisse ! » l’espèce et parfois même l’individu à qui cet ADN appartient. » Partant de ces considérations, l’atelier « Pizza métagénomique » se déroulera sous Quelques amuse-bouches forme d’une enquête de type « police scien- tifique ». Les participants se verront re- mettre des séquences d’ADN, tirées au ha- Faculty crawl sard d’une pizza. Ils devront alors chercher Inspiré des pub crawls des îles britanniques dans les bases de données bioinforma- – en français et en aparté, une beuverie de tiques des séquences similaires afin d’iden- bar en bar – le faculty crawl consiste en une tifier leurs propriétaires légitimes. « Dans visite de l’Université par groupes de 20 per- une pizza, on trouve évidemment des to- sonnes environ. Sous la houlette d’un étu- mates, des olives et des anchois, mais, diant bénévole, les participants iront d’un poursuit Laurent Falquet, il y a aussi des poste à l’autre, sur le site de Miséricorde, intrus, comme des bactéries pathogènes, pour assister à des conférences ou partici- des virus, ou d’autres contaminants indési- per à des ateliers. Un exemple ? La Faculté rables, comme les cheveux du cuisinier. » Et de droit proposera une « comédie iusicale », de conclure : « A l’époque des grands scan- un spectacle qui soulèvera des questions dales alimentaires – et on se souvient des de droits fondamentaux, comme par lasagnes à la viande de cheval – on com- exemple le contrôle d’identité dans la rue prend bien l’utilité du séquençage et de la ou la fouille corporelle. « A chaque fois, ce bioinformatique ! » Miam ! sera l’occasion d’interroger le public sur la conformité du comportement des forces de l’ordre », conclut Jacques Dubey, créa- teur de ce spectacle. Tels les pèlerins sur le Facts & figures chemin de Saint-Jacques, les visiteurs pourront faire viser un passeport attestant leur participation à chacune des étapes. A plus de 25 animations (stands, la fin de la journée, un tirage au sort sera expositions, ateliers) effectué et un gagnant désigné. 10 conférences 40 enseignants Ateliers 70 bénévoles Les participants pourront remonter dans La manifestation débute à 10 heures le temps et s’adonner à des jeux à la mode à et se termine à 18 heures. l’époque romaine, comprendre le fonction- L’entrée est gratuite. nement de leur cerveau grâce à une batte- rie de tests, ou encore se prendre pour Les Experts en analysant une pizza pas très ra- goûtante ! (Lire ci-après). 6 UNIVERSITAS / JUIN 2016
Alma&Georges Découvrez le magazine en ligne de l’Université de Fribourg Entdecken Sie das Online-Magazin der Universität Freiburg www.unifr.ch/alma-georges
Végétarisme dossier 10 Pourquoi devient-on végétarien ? Farida Khali 14 Das Fleisch ist schwach Silvan Imhof 16 Pas pour moi, s’il vous plaît Andrea Boscoboinik 19 Fatale Fleischeslust Hansruedi Völkle, Sophia Delgado & Florian Wüstholz 22 Plantes sauvages : recette d’antan sauce moderne Damien Krattinger, Francesca Poglia Mileti 24 Vegetarisch im Namen Gottes Mariano Delgado 26 Bon pour les uns, fatal pour les autres Chryssa Bourbou, Véronique Dasen, Sandra Loesch 29 Go Veggie – Zurück in die Zukunft!? Florian Lippke 31 Hauptsache fleischlos Stefan Rindlisbacher 34 «Ich bin dann mal Veggie» Gisela Kilde 36 Une question de responsabilité et de respect François-Xavier Amherdt 39 Mehr als Superfood und Recycling Florian Wüstholz 42 Le végétarisme : antidote des maladies modernes ? Nathalie Charrière, Abdul Dulloo 8 UNIVERSITAS / JUIN 2016
Japan Thaila nd India i n e ukra frib Fre ourg iBU exico RG m co roc Mo
Pourquoi devient-on dossier végétarien ? La réponse est plus complexe qu’on ne le pense. Pas de raison unique, mais une toile dont les fils remontent à l’Antiquité et une image intéressante des sociétés concernées. Un peu d’histoire avec Alexandre Wenger ? Farida Khali Alexandre Wenger, en tant que spécia- structurent donc à ce moment-là et, en liste des liens qui unissent la médecine et 1822, passe la première loi anglaise de la société, vous connaissez bien l'histoire protection des animaux utilisés pour du végétarisme. Cette notion, qui oscille le labeur et pour le sport. C’est aussi entre les raisons médicales, religieuses la première qui les protège spécifique- et culturelles, a-t-elle toujours existé ? ment, dans une société occidentale. La pratique remonte à la plus haute Anti- quité. Vous vous souvenez de Pythagore, On assiste alors à un véritable prosé- le mathématicien ? Si nous connaissons lytisme. tous son fameux théorème, on sait moins La Vegetarian Society, créée en 1847, la qu’il avait aussi une école philosophique. première à utiliser le terme végétarisme, Il croyait à la transmigration des âmes: dispose d’un organe de presse officiel, quand on meurt, le corps est un déchet le Vegetarian Messenger. Parallèlement matériel qui réalimente l’univers, tandis aux considérations religieuses, se déve- que l’âme se métamorphose et intègre une loppent non seulement une réflexion nouvelle forme de vie, pas forcément hu- médicale, selon laquelle manger des maine. Cette croyance confère à l’animal animaux susciterait certaines maladies un statut moral proche ou égal à celui de chroniques – en particulier gastriques, l’homme, d’où une réticence certaine à digestives ou cardio-vasculaires – mais consommer de la viande. aussi des considérations hygiénistes. La cruauté et l’insalubrité des abattoirs est, Le terme, par contre, apparaît beaucoup en effet, l’un des arguments les plus an- plus tardivement. ciens. La sensibilité anglaise émigre en- Le terme découle de réf lexions menées au suite assez rapidement aux Etats-Unis, XVIIIe siècle déjà par des mouvements phi- où naissent de nombreux courants. losophiques anglais sur la notion d’animal right, ou animal welfare. Jérémy Bentham, Vous relevez qu’en France la situation un grand philosophe utilitariste, affir- est très différente. mait, par exemple, que la question n’est Il y a un vrai fossé entre la France et pas de savoir si un être vivant peut rai- l’Angleterre. D’une part, dans une sonner ou parler, mais s’il peut souffrir. France plutôt catholique, le repas est C’est le pathocentrisme. Le courant s’est un moment convivial, où l’on partage développé durant le siècle suivant en inté- les mêmes mets et les conversations grant les considérations de mouvements sont réglementées – on ne parle pas de protestants, qui luttent conjointement religion, de politique ou de sexe à table. contre l’esclavage, le travail des enfants Il y a un aspect très normatif, alors et les abus sur les animaux. Un certain que, dans la tradition protestante, on nombre de ces militants sont devenus vé- est plus attentif aux choix individuels. gétariens, parce qu’ils voyaient une forme Mais cela ne concerne pas que les repas: d’humanité à ne pas manger d’animaux. en médecine, par exemple, au début Les premiers mouvements de défense se du XIXe siècle, se crée en France l’école 10 UNIVERSITAS / JUIN 2016
anatomo-pathologique qui pratique cou- extrêmement violent. Il y raconte, notam- ramment la vivisection. Ce type d’expéri- ment, l’histoire d’ouvriers qui tomberaient mentations est plus difficilement accepté régulièrement dans les cuves de malaxage dans le monde anglo-saxon. de la viande et se perdraient dans les boîtes de corned beef. Des personnalités étonnantes ont joué un rôle important dans la large diffusion de C’est l’ancêtre de nombreuses légendes ces idées. urbaines … Oui, ce sont des personnages connus de Exactement. D’ailleurs, dans Tintin en Amé- tous, mais pas forcément pour leur ac- rique, le syndicat des gangsters de Chicago tion première. Par exemple, John Harvey invite le héros à visiter les cuves de ma- Kellog (1852–1943), dont tout le monde laxage des abattoirs. Quelqu’un appuie connaît aujourd’hui les fameuses céréales. sur un bouton, la barrière s’abat et Tintin Né dans le centre des Etats-Unis, il a suivi tombe dans la cuve. Hergé s’est inspiré de un cursus médical tout à fait classique. Il The Jungle. La viande transformée suscite la faisait également partie de l’Eglise adven- méfiance. C’est toujours le cas aujourd’hui. tiste du 7e jour. Ce mouvement de l’éveil En 2013, les lasagnes de bœuf, qui étaient protestant a lancé une réforme sanitaire, en réalité du cheval ayant servi à l’expéri- basée sur des principes de simplicité na- mentation pharmaceutique, ont suscité turelle, comme une alimentation saine un grand scandale. Cette défiance repré- composée de céréales et de végétaux, l’ex- sente une motivation forte pour adopter position à l’air pur et à la lumière du so- un mode de vie végétarien. Mais tout cela leil, ainsi que l’exercice physique. Ses mo- n’est pas nouveau : au Moyen-âge déjà cir- tivations sont médicales et religieuses, culait le mythe du pâté de chat. Lors de mais aussi pratiques. Le paupérisme pose foires ou de marchés, des bouchers itiné- de graves problèmes de malnutrition, rants vendaient de petites boulettes recou- particulièrement infantile. Certains ré vertes de pâte. La viande broyée, malaxée, formateurs cherchent à produire de ma- dont le goût était masqué par des épices et nière industrielle – donc bon marché – des l’aspect caché par la pâte, suscitait déjà l’in- aliments protéinés pour remplacer la quiétude. Les marchands, venus d’ailleurs, viande. C’est ainsi que Kellog a créé ses inspiraient aussi déjà la suspicion. toasted corn f lakes, mais aussi – ça on le sait moins – le beurre de cacahuète, ainsi C’est aussi le mythe de l’Italien qui mange qu’un produit très intéressant, mais au- des chats … jourd’hui tombé dans l’oubli : le protose, Ces légendes sont véhiculées, encore au- une sorte de viande végétale créée à base jourd’hui, par la culture populaire, le ciné- de cacahuètes. ma, la littérature, la bande dessinée … Par exemple, Les bouchers verts, ce génial film Et ses théories ont-elles des fondements danois de 2003 avec Mads Mikkelsen. Deux scientifiques ? bouchers peinent à faire fonctionner leur En effet, il utilisait également des argu- commerce. Jusqu’au jour où ils commer- ments bactériologiques, liés à la théorie des cialisent la viande d’un électricien décédé miasmes, pour expliquer que la consom- dans leur frigo. Il existe également de nom- mation de viande contamine l’estomac. Il breuses versions – littéraires, théâtrales a publié de nombreux livres et, même si sa et cinématographiques – de La légende médecine est assez largement naturopathe, de Sweeney Todd. Un barbier londonnien il a un ancrage scientifique fort. Il y a éga- égorge ses clients, tandis que sa maîtresse Titulaire de la Chaire Médecine et lement eu un effet de mode : dans son sani- se débarrasse des cadavres en les vendant Société, Alexandre Wenger est tarium du Michigan, il a converti de nom- sous forme de petits pâtés. professeur aux Universités de breuses célébrités au régime végétarien. Fribourg et de Genève. Ses domaines En Suisse, Maximilian Bircher a contri- de recherche portent sur l’évolution Les questions autour de la salubrité ali- bué à la diffusion du végétarisme. des rapports entre la littérature et mentaire tiennent également une grande Il est né environ une quinzaine d’année la médecine du XVIIe siècle à nos place dans l’argumentaire. après Kellog. C’est, lui aussi, un médecin jours, sur la figure du médecin et sur L’abattage industriel posait des problèmes qui s’ouvre à la nathuropatie. Il fonde éga- différentes formes de la communi d’hygiène. Aux Etats-Unis, au début du XXe lement un sanatorium, le Lebendige Kraft cation médicale (écriture du cas, siècle, de plus en plus de livres dénoncent où il prône le même type d’hygiène de vie. poésie scientifique, formulaires les conditions d’hygiène des abattoirs, en Plus en marge de la médecine orthodoxe, de consentement éclairé pour la particulier ceux de Chicago. The Jungle d’Up- cependant, Bircher a publié plusieurs arti recherche clinique, etc.). ton Sinclair est, par exemple, un pamphlet cles qui n’ont pas été très bien reçus par la alexandre.wenger@unifr.ch UNIVERSITAS / JUNI 2016 11
dossier communauté scientifique. Il a développé panacée ou d’un médicament comme cela la notion d’énergie solaire vivante, qu’on a été parfois dit dans le cadre de certains trouverait dans les fruits crus à différents régimes anti-cancer. degrés. C’est dans ce cadre qu’il a inventé le bircher, inspiré par la nourriture saine On se méfie maintenant des fruits et des des petits bergers de montagne. Son sana- céréales, à cause des pesticide et des abus torium a aussi attiré de grands noms de de Monsanto. C’est un peu l’histoire du l’Europe entière. C’était un lieu de prosé- serpent qui se mord la queue, non ? lytisme assez mondain, joliment teinté du La solution réside probablement dans le mythe suisse de la vie saine. choix de circuits courts, les solutions alter- natives, tels que les paniers saisonniers … Voilà une vision très bucolique … Force est tout de même de constater que, On voit bien, dans ces exemples, que le vé- depuis la Seconde Guerre mondiale, notre gétarisme est lié à de multiples sphères. confort alimentaire n’a cessé de s’amélio- Côté suisse, d’ailleurs, il y a encore un pro- rer. L’espérance de vie augmente, on mange duit phare fascinant : l’Ovomaltine, créée de mieux en mieux, de plus en plus riche au milieu du XIXe siècle par le pharmacien et équilibré. Le paradoxe étant que, alors Georg Wander pour lutter contre la malnu- que dans certaines régions du monde il y trition infantile. Comme le Coca Cola, le a encore des gens qui souffrent de la faim, produit a été vendu en pharmacie jusqu’au on se lance chez nous dans des diètes et des milieu du XXe siècle, avant de devenir un cures épuisantes … produit de consommation courante. Le végétarisme est-il alors une préoccupa- Peut-on rapprocher ces produits des ac- tion élitaire ? tuels alicaments ? La dichotomie n’est pas si clairement géo- C’est une bonne question. Il n’y a pas de dé- graphique. La question réside plutôt dans finition de l’alicament, parce qu’il n’y a pas l’accès à la nourriture. Le problème, au- de processus d’homologation. Ce sont sou- jourd’hui, ce sont les déserts alimentaires. vent des produits naturels, complétés d’ad- Dans certaines villes américaines, par ditifs dont les apports ne sont pas scienti- exemple, il faut faire plus de deux kilo- fiquement vérifiés. Par contre, l’alicament mètres pour avoir accès à un magasin qui entre dans ce même souci du bien manger. vend des fruits frais. Bien que vivant dans Cette idée est l’une des plus vieilles du un pays considéré comme riche, les habi- monde. Hyppocrate dit « que ton aliment tants ne trouvent que de la nourriture en soit ton médicament ». Comme les substi- boîte, du fast food et des produits transfor- tuts à base de soja, d’algue ou de champi- més. On est au cœur de la malbouffe. Il est gnons, c’est aussi une forme de réaction à difficile d’être végétarien, dans ces régions, l’industrie de la malbouffe. A prendre avec car, même lorsqu’ils sont accessibles, les des pincettes cependant, parce que, finale- fruits coûtent beaucoup plus cher que des ment, ce sont les mêmes grandes firmes de saucisses de mauvaise qualité. Par contre, l’agro-alimentaire qui les produisent. un paysan isolé, plutôt pauvre, qui possède quelques vaches et un verger, peut manger On se souvient de Popeye et ses épinards la viande et les fruits qu’il produit lui- ou des produits laitiers qui sont « nos même. A l’inverse, dans la campagne in- amis pour la vie » … Alors, le « manger dienne, si le végétarisme résulte probable- cinq fruits et légumes par jour » qu’on ment en partie de convictions religieuses, nous martèle actuellement : réalité scien- il peut peut-être aussi s’expliquer par le fait tifique ou nouveau slogan ? que le fruit sera beaucoup moins cher que La vogue des épinards résultait d’une er- la viande. reur de report dans leur teneur en fer, qui a été estimée dix fois supérieure à ce qu’elle est vraiment. Concernant les cinq fruits et légumes quotidiens, je ne suis pas mé- decin, mais, on s’accorde à dire qu’une ali- mentation équilibrée, qui fait la part belle aux légumes et aux céréales, permet de lut- ter contre les maladies cardio-vasculaires, le diabète, l’obésité et un certain nombre d’autres maux de la société moderne. At- tention, cependant, il ne s’agit pas d’une 12 UNIVERSITAS / JUIN 2016
Das Fleisch ist schwach dossier Dürfen wir Tiere töten und essen? Eine Frage, so alt wie die Philosophie. Einige Gelehrte kamen wohl zum Schluss, dass Tiere Rechte haben – es aber nicht gegen die «Gerechtigkeit gegen Thiere» sei, sie zu verspeisen. Silvan Imhof Droits des animaux – Die Frage, ob wir Tiere töten dürfen, um sie und Bürgerrechte in Frankreich erörtert pour quoi faire ? zu essen, wurde in der abendländischen er die Frage, ob Tiere Rechte besitzen. Da- Le débat sur l’éthique animale re- Philosophie seit deren Anfängen diskutiert. bei verwendet er vermutlich als erster den monte au XVIIe siècle, mais ce n’est Schon Pythagoras soll den Vegetarismus deutschen Ausdruck «Tierrechte», und vor qu’à l’époque des Lumières qu’il verteidigt haben; in der gesamten Antike allem kommt er zum Resultat, dass den commence à porter ses fruits. Jus wurde das Thema immer wieder bespro- Tieren tatsächlich Rechte zugestanden qu’à la fin du XVIIe siècle, dans les chen – dann verlor man es jedoch für lange werden müssen. Mit dieser Haltung distan- pays germanophones, très peu de voix s’élèvent ; parmi elles, celle de Zeit aus den Augen. Erst in der Neuzeit wur- ziert sich Dietler klar von der damals vor- Wilhelm Dietlers avec son Gerech- de das Interesse an den Tieren durch um- herrschenden Auffassung. Diese spricht tigkeit gegen Thiere. Appell von 1787, strittene Thesen aus zwei unterschiedlichen den Tieren jegliche Rechte ab, «aus dem ouvrage indubitablement progres- Kontexten wieder geweckt: Zum einen hat- wunderlichen Grunde, weil sie keine Ver- siste. Deux ans avant la Déclaration te Descartes behauptet, Tiere seien bloss nunft haben». Tiere werden demzufolge des droits de l’homme et du citoyen seelenlose Automaten. War diese Behaup- bloss als Sachen angesehen, über die der en France, l’auteur explique déjà que tung aber vertretbar, da Tiere doch offenbar vernünftige Mensch willkürlich verfügen les animaux aussi possèdent des empfindende Wesen waren? Zum andern darf. Dagegen macht Dietler geltend, dass droits, prenant ainsi de la distance versuchte man seit dem 17. Jahrhundert, die der Besitz von Vernunft nicht das Kriterium avec les avis qui dominent alors, et fait valoir qu’être doué de raison natürlichen Rechte des Menschen zu be- sein kann, um einem Wesen Rechte zuzu- n’est pas l’unique critère pour accor- gründen. Was aber war der Mensch von Na- schreiben. Denn wir gestehen ja auch un- der des droits à un être vivant. tur aus – ein Raubtier im permanenten mündigen Menschen wie Kindern Rechte D’après lui, notre devoir consiste à Kriegszustand oder ein friedliebender zu und behandeln sie nicht wie Sachen. bannir toute forme de cruauté en- Pflanzenfresser mit sozialer Ader? Je nach- Dietler schlägt ein anderes Kriterium für vers les animaux. En revanche, il ne dem wie die Antworten auf diese Fragen den Besitz von Rechten vor: die Fähigkeit, revendique pas l’interdiction de les ausfielen, ergaben sich auch Konsequenzen Glück zu empfinden. Zur Vollkommenheit utiliser pour ses propres besoins, ni für unseren Umgang mit Tieren. der Schöpfung gehört nämlich, so Dietler, de les tuer dans un but alimentaire. Wenn auch die Wurzeln der tierethischen dass in ihr ein optimales Mass an Glück Debatte im 17. Jahrhundert liegen, so zeig- seligkeit realisiert wird. Zur Glückseligkeit ten sich doch erst mit der Aufklärung deren fähig sind aber nicht nur die vernünftigen, erste, zaghafte Triebe. Im deutschsprachi- sondern alle empfindenden Wesen, also gen Raum waren bis zum Ende des 18. Jahr- auch die Tiere. Das bedeutet, dass jedes hunderts nur vereinzelte Stimmen zu ver- empfindende Wesen in gleicher Weise das nehmen, dazu gehören Wilhelm Dietler mit Recht darauf hat, seine Bedürfnisse zu be- seiner Schrift «Gerechtigkeit gegen Thiere. friedigen. Und das wiederum bedeutet, Appell von 1787» sowie Johann Georg Hein- dass alle empfindenden Wesen ein Recht rich Feders Aufsatz «Ueber die Rechte der darauf haben, dass ihre Bedürfnisse von Menschen in Ansehung der unvernünfti- uns berücksichtigt werden. Tiere haben gen Thiere» (1792). also genauso wie Menschen ein natürliches Recht auf Glückseligkeit. Tiere im Glück Dietlers († 1797) Schrift ist aus tierethi- Zum Fressen gern scher Sicht zweifellos fortschrittlich. Zwei Welche Konsequenzen ergeben sich nun Jahre vor der Erklärung der Menschen- daraus für unseren Umgang mit Tieren? 14 UNIVERSITAS / JUIN 2016
Dietler zufolge ist es lediglich unsere nicht bloss eine Tiernutzung, bei der auf das Pflicht, jede Form von Grausamkeit gegen- Wohl der Tiere Rücksicht genommen wir- über Tieren zu unterlassen. Dagegen sind fordern, sondern ein Nutzungs- und Tö- wir dazu berechtigt, Tiere für unsere Zwe- tungsverbot. cke zu nutzen sowie zur Nahrungsbeschaf- fung zu töten. Allerdings muss man sich Wer A sagt fragen, ob die Nutzung und Tötung von Tie- Sowohl in Dietlers wie auch in Feders Fall ren mit dem von Dietler statuierten natürli- kann man also feststellen, dass zwar der chen Recht der Tiere auf Glückseligkeit ver- herrschende Ratiozentrismus überwunden träglich ist. Tatsächlich stellt man fest, dass und das Tier in Bezug auf seinen Anspruch Dietler nicht konsistent argumentiert. auf Glückseligkeit bzw. den Wert seines Le- Zwar zieht er aus seiner Grundannahme, bens als mit dem Menschen gleichrangig dass die Bedürfnisse aller empfindenden angesehen wird. Wenn es dann aber um die Wesen gleicherweise zählen, zunächst die ethischen Forderungen zu unserem Um- richtige Schlussfolgerung: Die Glückselig- gang mit Tieren geht, kommen beide Philo- keit von Tieren darf nur durch Handlungen sophen auf ein Ergebnis, das mit dieser Auf- eingeschränkt werden, die «unvermeid- wertung der Stellung der Tiere nicht lich» sind. Wir hätten folglich nur dann ein verträglich ist. Statt ein grundsätzliches Recht, Tiere zu nutzen und zu töten, wenn Verbot der Nutzung und Tötung von Tieren die Nutzung und Tötung von Tieren zu die- zu fordern, bestehen Dietler und Feder Quellen / Literatur sen unvermeidlichen Handlungen zählt. bloss darauf, unnötiges Leid zu vermeiden > Dietler, W.: Gerechtigkeit gegen Dietler weist aber nicht nach, dass der bzw. das Wohl der Tiere zu berücksichtigen. Thiere. Appell von 1787. Bad Mensch seine elementaren Bedürfnisse Letztlich akzeptieren und rechtfertigen sie Nauheim 1997. > Feder, J. G. H.: Ueber die Rechte der nicht befriedigen kann, ohne Tiere zu nut- auf diese Weise den Status quo des Um- Menschen in Ansehung der zen und zu töten. Fehlt aber ein solcher gangs mit Tieren. unvernünftigen Thiere. In: Neues Nachweis, ist die Nutzung und Tötung von Ganz unverblümt hatte einige Jahre zuvor Hannoverisches Magazin 60 (1792), Tieren grundsätzlich «pflichtwidrig». Wäre der Arzt Johann August Unzer (1727–99) die- 945–60. Dietler also konsequent gewesen, hätte er ses inkonsequente Argumentationsmuster > Ingensiep, H. W.: Tierseele und aufgrund seiner Einschätzung des ethi- auf den Punkt gebracht: Es sei zwar klar, tierethische Argumentationen in der schen Status der Tiere zum Resultat kom- dass für uns Menschen keine Notwendig- deutschen philosophischen men müssen, dass wir kein Recht dazu ha- keit bestehe, Tiere zu verspeisen. Dennoch Literatur des 18. Jahrhunderts. In: ben, Tiere zu nutzen und zu töten. würden wir es gewohnheitsmässig tun und Internationale Zeitschrift für Geschichte und Ethik der Naturwis daran wolle niemand ernsthaft etwas än- senschaften, Technik und Medizin 3 Aus dem gleichen Holz dern, diese Gewohnheit möge «nun recht (1995), 103–18. Dem gleichen Muster begegnet man auch oder unrecht seyn». Die «Gelehrten» hätten > Maehle, A.-H.: Vom rechtlosen bei Feder (1740–1821). Aus ähnlichen Grün- dabei nichts weiter zu tun, als uns wider Geschöpf zum Träger von Rechten? den wie Dietler spricht er sich dagegen aus, besseres Wissen zu überzeugen, dass unser Die historischen Wurzeln unserer dass ein Rechtsverhältnis nur zwischen Verhalten korrekt ist – also unser Gewissen Tierethik im Denken der Aufklärung. vernünftigen Wesen bestehen kann. Und zu beruhigen. In: Tiere ohne Rechte? Hg. v. J. C. indem er davon ausgeht, dass alles Leben Natürlich wird sich jeder Philosoph und Joerden und B. Busch. Berlin, einen intrinsischen, «absoluten Werth» be- Ethiker empört dagegen wehren, dass es Heidelberg, New York 1999, 1–11. > Unzer, J. A.: Der Arzt. Eine medicini sitzt, stellt er das Leben der Tiere auf die seine Aufgabe sei, den allgemein akzeptier- sche Wochenschrift. Bd. 1, Neun und gleiche Stufe wie das menschliche Leben. ten Status quo zu untermauern. Vielmehr zwanzigstes Stück. Hamburg, Feder geht es allerdings nicht darum, den muss aus ethischer Sicht gerade kritisch ge- Lüneburg, Leipzig 1769, 396–409. Tieren Rechte zuzusprechen, sondern er fragt werden, ob es für etablierte Hand- will die Frage klären, welche «Rechte der lungsweisen wie die Nutzung und Tötung Mensch in Ansehung der unvernünftigen von Tieren gute, rechtfertigende Gründe Thiere» hat. Und in diesem Punkt kommt gibt. Und wenn sich die Nutzung und Tö- Feder zum gleichen Ergebnis wie Dietler: tung von Tieren nicht rechtfertigen lässt, Der Mensch hat das Recht, Tiere für seine müssen wir unseren Umgang mit den Tie- Zwecke zu nutzen und zu töten. Berücksich- ren ändern. Nicht die gesellschaftlichen tigt werden muss dabei bloss das «Wohl- Gepflogenheiten, Gewohnheiten und Gau- seyn» der Tiere. menpräferenzen dürfen unser Handeln Noch deutlicher als bei Dietler ist bei Feder gegenüber den Tieren bestimmen, sondern eine inkonsistente Argumentation zu er- die vernünftige Einsicht. Dietler und Feder kennen: Wenn Tiere tatsächlich, wie Feder haben diesen Weg ein Stück weit geebnet, annimmt, einen absoluten Wert haben, ist sind ihn aber nicht konsequent bis an sein Silvan Imhof ist wissenschaftlicher es grundsätzlich unrecht, die Bedürfnisse Ende gegangen. Mitarbeiter am Departement der Tiere unseren Zwecken unterzuordnen. für Philosophie. Konsequenterweise müsste Feder demnach silvan.imhof@unifr.ch UNIVERSITAS / JUNI 2016 15
Pas pour moi, dossier s’il vous plaît Manger est un moment de convivialité. Singulariser son régime peut être com- pris comme un refus de l’hospitalité. Le végétarisme brise-t-il les liens sociaux ou invente-t-il de nouvelles formes de partage ? Andrea Boscoboinik Sag mir, was du isst Depuis une vingtaine d’années, la nourri- sociales. Dans toutes les sociétés, tradi- Beim Menschen beinhaltet die Er- ture est devenue un sujet à la mode, servi tionnelles ou complexes, l’établissement nährung eine starke soziale und kul- à toutes les sauces : numéros spéciaux de et le maintien des relations humaines turelle Komponente. Was wir essen magazines, livres de cuisine, concours et passent avant tout par le partage de la und wie wir etwas essen verbindet émissions de télévision consacrés à l’art nourriture. Partager la table joue donc un uns mit einer bestimmten Gruppe, culinaire, forums et sites dédiés à la gastro- rôle fondamental dans la consolidation einer Kultur oder einer Ideologie und unterscheidet uns gleichzeitig nomie, écoles et cours de cuisine sont au- des liens sociaux. Le terme français « com- von den anderen. Die Ernährung tant de formes de mettre la table à l’hon- pagnon » vient d’une expression latine si- stellt damit einen stark identitäts- neur. Les individus se préoccupent de plus gnifiant « partager le pain avec quelqu’un », stiftenden Faktor dar, sowohl in so- en plus de ce qu’ils mangent, de l’origine tout comme les mots « commensal » ou zialer wie auch individueller Hin- de leur nourriture et de ses effets sur leur « commensalité » sont dérivés du latin com- sicht. Du bist, was du isst, so heisst santé ou leur bien-être. mensalis, composé de cum (avec) et mensa es im Volksmund. Die aktuelle Ten- (table, nourriture). denz geht je länger, je mehr in Rich- Partager la table tung einer spezialisierten Ernäh- rung, die aus verschiedensten Bien que se nourrir soit un acte physiolo- Chacun son choix ? Gründen gewählt wird – von medizi- gique essentiel pour la survie, cette activi- L’alimentation comporte une forte valeur nischen Problemen bis hin zu religi- té naturelle a une forte composante sociale identitaire, tant sociale qu’individuelle. ösen, politischen oder ethischen et culturelle chez les êtres humains. La cui- Elle définit qui l’on est et aussi qui l’on veut Überzeugungen. So verschieden die sine d’une population marque souvent une être. Nous sommes ce que nous mangeons, Gründe aber auch sein mögen, die frontière entre un groupe et « les autres » : dit le dicton. La multiplication de cam- kulinarische Abgrenzung stösst in ce que l’on mange ou comment on mange pagnes et de programmes de prévention jedem Fall auf ein Problem: Das ge- nous identifie à un groupe, à une culture, à concernant l’importance de la nourriture meinsame Essen mit anderen, das une idéologie et, en même temps, nous indique que de plus en plus de personnes Teilen oder Erhalten von Speisen. distingue des autres. Chaque communau- veillent à se réapproprier leur alimenta- Bedroht die Multiplikation unserer Ernährungsgewohnheiten schliess- té estime que ses préférences alimentaires tion. Celle-ci prend alors une dimension lich unsere sozialen Beziehungen? sont justifiées et que tout ce qui s’en écarte centrale pour se définir non seulement en Oder ist es vorstellbar, dass daraus peut être source de méfiance, voire de com- tant qu’individu, mais aussi en tant que neue Rituale oder Gepflogenheiten plet dégoût. Chaque individu justifie sa membre d’un groupe spécifique, qui se dif- entstehen; neue Formen des Aus- propre manière de manger et n’apprécie férencie des autres collectivités. tausches und der Erfahrungen? pas forcément celle de l’autre. L’alimen Si cela a toujours été le cas pour les commu- tation marque une frontière culturelle nautés religieuses observant des interdits entre « nous » et « les autres ». Elle définit alimentaires, l’adoption d’alimentations une appartenance, qu’elle soit religieuse, singulières aujourd’hui peut également nationale, idéologique ou sociale. En déci- être analysée comme comportant des as- dant d’être végétarienne, par exemple, une pects religieux, sous la forme d’une vision personne appartient à un groupe qui la particulière de la vie, d’un système de sym- distingue des mangeurs de viande. boles, de valeurs, de croyances et de pra- Les études anthropologiques sur l’alimen- tiques. Or, la « conversion » d’un individu à tation dans différentes cultures ont montré une diète particulière répond à une défini- le caractère éminemment social du manger tion individuelle – et non collective – de ce ensemble, qui est au cœur des relations qui lui convient. Les adhérents sont ainsi 16 UNIVERSITAS / JUIN 2016
dossier convainc us de leur foi et du bien-être que ou autoproclamés […]. D’autres sont cela leur procure. d’ordre éthique, politique ou religieux, comme diverses formes de végétarisme ; ils Les goûts et les couleurs peuvent revêtir des formes individuelles Dans notre rapport à la nourriture, nous ou passer par l’adhésion à un mouvement trouvons deux grandes tendances : la néo- organisé. D’autres encore relèvent de l’idio- philie et la néophobie. La première corres- syncrasie, de préférences ou d’aversions, pond à une attitude ouverte vers d’autres de particularités culturelles ou sociales goûts et aliments nouveaux. Le néophile revendiquées personnellement (comme est capable de dépasser le possible dégoût dans le cas ‹ classique › de l’ail ou de l’oi- que peut provoquer une nourriture incon- gnon). Aussi hétérogènes soient-ils, tous nue. La deuxième tendance désigne l’inca- ces particularismes se heurtent à un pro- pacité d’incorporer des aliments inconnus blème : manger avec les autres, se situer par et un refus de la nouveauté. Le néophobe se rapport à la nourriture offerte et partagée. » limite donc à incorporer des aliments identifiés et valorisés. Ces deux tendances Casse-tête chinois sont le résultat de traits identitaires et dis- « Toutes ces alimentations particulières tinguent une personnalité ouverte, cu- impliquent d’affronter une ‹ exclusion › ou rieuse, d’une autre plutôt fermée et préfé- une extraction, volontaire ou non, du Pour aller plus loin rant ce qui est familier. Ces deux tendances cercle des convives, du repas partagé, une > C. Fischler, Les alimentations sont à comprendre en lien avec la crainte exception ou une revendication de l’indivi- particulières. Mangerons-nous de l’incorporation et le paradoxe de L’Hom- du par rapport à la collectivité.» (Fischler encore ensemble demain ?, nivore (Fischler 1990). Lors de voyages, un 2013 : 12–13). Il relève ainsi la clé du pro- Odile Jacob, 2013 néophobe va préférer manger la cuisine in- blème que posent les particularismes ali- > C. Fischler, L’Homnivore, Odile ternationale rassurante que goûter les cui- mentaires: celui de la commensalité. Cette Jacob, 1990 sines et spécialités locales. valorisation absolue de l’individu, qui non Lorsqu’ils sont sur le terrain pour mener seulement privilégie désormais son bien- leurs recherches, les anthropologues être et ses valeurs propres, mais exige et doivent, un jour ou l’autre, affronter cette revendique que les autres s’y soumettent, situation de goûter ou partager la nourri- n’est-elle pas en train de négliger l’impor- ture de la population qu’ils étudient. Une tance d’une des composantes essentielles des meilleures manières de comprendre du vivre ensemble : le partage ? un groupe, c’est de partager sa table : d’un Si la cuisine d’une population marque sou- côté, la commensalité favorise une relation vent une frontière entre un groupe et « les de confiance et un dialogue ouvert ; de autres » – servant ainsi de base de discrimi- l’autre, il est possible d’apprendre beau- nation – la multiplication des particula- coup sur une société en observant ce que rismes alimentaires menace de faire écla- mangent ses membres, comment ils se pro- ter nos liens sociaux, préservés par le curent leurs aliments, comment et quand partage des repas. Ou, dit autrement : si la ils se nourissent, quel budget ils destinent nourriture peut raffermir les liens sociaux à l’alimentation, qui prépare les aliments, lorsqu’on la partage, elle peut les couper qui est servi en premier, les quantités ser- lorsqu’on la refuse. vies à chacun, etc. L’alimentation, comme les autres fron- Comme le rappelle Claude Fischler (2013) tières, peut représenter une rencontre ou l’anthropologue doit dépasser le dégoût une exclusion. La revendication de l’ali- que peut provoquer la nourriture de mentation particulière, l’intransigeance l’Autre pour aller à sa rencontre. En effet, le de nos valeurs individuelles plutôt que col- refus de partager un aliment peut être in- lectives, liées au partage, risque de nous terprété comme un refus de la relation éloigner toujours davantage. Si celui qui elle-même, ce qui entraîne une réaction de reçoit doit désormais se plier aux exigences méfiance et donc l’exclusion du groupe. alimentaires particulières de chacun de Au-delà de la néophobie et de la néophilie, ses invités, préparer un menu pour tous de- la tendance actuelle va aux alimentations vient une tâche très difficile. Pourtant, une Andrea Boscoboinik est maître particulières. Claude Fischler explique autre hypothèse est envisageable : celle d’enseignement et de recherche ainsi l’augmentation des particularismes : d’une commensalité modifiée et réinven- au Département des sciences « Certains sont d’ordre sanitaire ou médi- tée, où les nourritures de chacun condui- sociales, domaine sciences des cal. Il peut s’agir de pathologies graves, raient à de nouvelles formes de partage et sociétés, des cultures et des avec des conséquences potentiellement de découvertes. religions, anthropologie sociale. mortelles dans le cas de certaines allergies. andrea.boscoboinik@unifr.ch Il peut s’agir de diagnostics autosuggérés 18 UNIVERSITAS / JUIN 2016
Vous pouvez aussi lire