79JOURNAL DE L'ADC - MAI. 2021 NOVEMBRE - Pavillon ADC

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79
JOURNAL DE L’ADC — MAI. 2021 → NOVEMBRE
2021 ASSOCIATION POUR LA DANSE CONTEMPO-
RAINE PAVILLON DE LA DANSE — PLACE STURM �
1206 GENÈVE

                                             ①
                      DEDANS/DEHORS
                                             ②
                DIPLOMATIE ET DANSE
                                             ③
                    LE TEMPS
               DU BOULEVERSEMENT
                                             ④
           LE PAVILLON DE LA DANSE
                                             ⑤
                       LA CULTURE
                     PAR LES CHIFFRES
02 ① DEDANS/DEHORS

                                                                                                                                                                Et toi,
                                                                                                                                                                                                   Au moment de clore ce numéro 79 du Journal de l’ADC,
                                                                                                                                                                                                   on s’aperçoit qu’il est presque exclusivement constitué
04		� DES DANSES À CIEL OUVERT— par Wilson Le Personnic                                                                                                                                            d’entretiens. Ce n’était pas délibéré, mais c’est parlant :
12		� COHABITER EN ARTISTE CHORÉGRAPHIQUE                                                                                                                                                          en ces temps instables, empêchés, cloîtrés, claustrés,

                                                                                                                                                                comment
                                                                                                                                                                                                   quand on se recroise (enfin), après avoir été confiné·e·s,
   		 entretien avec Julie Perrin                                                                                                                                                                  fiancé·e·s à son écran, éloigné·e·s des théâtres, des res-
20		� AUTOUR D’UN THÉÂTRE— entretien avec Nicolas Dutour                                                                                                                                           taurants, des bars, des fêtes, quand on se retrouve, on
                                                                                                                                                                                                   dit simplement : « Et toi ? Toi, comment fais-tu ? Avec le
24		� ACTIVER LA DANSE EN MARCHANT— Nicole Seiler,

                                                                                                                                                                vas-tu ?
                                                                                                                                                                                                   lien, avec l’argent, avec l’incertitude, avec l’énergie, avec

       Foofwa d’Imobilité et Aurélien Dougé                                                                                                                                                        le travail, avec le sommeil, avec l’amitié, avec l’espace,
26		 � DANSES DE SEUIL — mails dialogués                                                                                                                                                           avec ce qui vient ? » Et puis aussi : « Toi, quels sont tes
                                                                                                                                                                                                   chemins pour maintenir vifs le mouvement et la joie ? »
   		 entre La Tierce et Rémy Héritier                                                                                                                                                                    Le retour de la socialisation passe davantage par
30		 � PIÈCE EN FORÊT — entretien avec Marie-Caroline Hominal                                                                                                                                      l’écoute, le questionnement, l’échange que par le mani-
                                                                                                                                                                                                   feste ou l’analyse. Donc voici un journal empli de
                                                                                                                                                                                                   questions et de réponses. Comme autant d’essais, de
36②                         RECHERCHE EN COURS — Diplomatie et danse,                                                                                                                              doutes transitoires ou de gestes provisoires. On y trouve
                                                                                                                                                                                                   une enquête intitulé dedans/dehors sur la création hors-
			                         histoire d’une tournée du Bolchoï par Annie Suquet                                                                                                                     scène, une discussion sur de nouveaux modes de travail
                                                                                                                                                                                                   titré Le temps du bouleversement, des interrogations sur les
                                                                                                                                                                                                   retombées d’une loi culture via un Observatoire du désen-
40③                         LE TEMPS DU BOULEVERSEMENT — dialogue entre Maud Blandel,                                                                                                              chevêtrement et un peer-to-peer, notre rubrique d’interview
		                          Adina Secrétan et Anne Davier                                                                                                                                          d’un·e artiste par un·e autre, sur un quatuor de Mozart
                                                                                                                                                                                                   silencieusement transposé en danse.
                                                                                                                                                                                                          Et puis oui, du récit et de l’assertif quand même,
44             ④            LE PAVILLON EN IMAGES                                                                                                                                                  dans la recherche en cours d’Annie Suquet, l’historienne
                                                                                                                                                                                                   de la danse qui livre un pan de son travail dans chaque
                                                                                                                                                                                                   numéro (on suit ici le Bolchoï en mission diplomatique
53             ⑤            GENÈVE, LA CULTURE PAR LES CHIFFRES                                                                                                                                    dans les années 50) et sur quelques photos du flambant
                                                                                                                                                                                                   neuf Pavillon de la danse à la Place Sturm.
               		 entretien avec Nathalie Tacchella et Laurent Valdès
                                                                                                                                                                                                   En échange avec Adina Secrétan et Maud Blandel dans
Responsable de publication : association    Héritier, Irène Languin, Jonas Parson,     Nathalie Tacchella et Laurent Valdès       Pavillon ADC
pour la danse contemporaine (ADC)           Wilson Le Personnic, Michèle Pralong,      Dessins : Alexia Turlin                    Association pour la                                              ces pages, j’ai vu remonter cette étrange, très étrange
Rédactrices en chef :                       Cécile Simonet, Annie Suquet, La Tierce,   Design graphique : Silvia Francia, blvdr   danse contemporaine                                              impression ressentie au moment de recevoir de la Ville
Anne Davier, Michèle Pralong                Serge Vuille                               Impression : Atar Roto Presse SA,          Place Sturm 1 — 1206 Genève
Secrétaires de rédaction :                  Entretiens avec Maud Blandel et Adina      Tirage : 3’000 exemplaires                 Tél. + 41 22 329 44 00                                           de Genève les clés de notre nouveau lieu. Depuis
Jonas Parson, Cécile Simonet                Secrétan, DD Dorvillier, Nicolas Dutour,   Parution : deux fois par an                L’ADC bénéficie du soutien                                       l’amorce du projet Pavillon en 2007, pas un jour n’est
Textes : Anne Davier, Julie Gilbert, Rémy   Marie-Caroline Hominal, Julie Perrin,      www.pavillon-adc.ch.                       de la Ville de Genève.
                                                                                                                                                                                                   passé à l’ADC sans que l’on pense au moment où on
                                                                                                                                                                                                   allait ouvrir. Ouvrir une scène spécifiquement pensée
60			 LIVRES                                                                                                                                                    Dans le corpus de dessins
                                                                                                                                                                très délicats proposés à l’ADC     pour la danse. Rien que ça. Alors que l’ADC cherche un
64			 CARNET DE BAL                                                                                                                                             par Alexia Turlin pour illustrer
                                                                                                                                                                ce Journal n°79, des pics,
                                                                                                                                                                                                   abri depuis 2000, a été nomade pendant des années,
                                                                                                                                                                des vaches, des mayens, des        puis longtemps calée comme ci comme ça dans une
                                                                                                                                                                ombres de fleurs alpestres…
                                                                                                                                                                Alexia Turlin dessine, peint,      salle communale. Lorsque le Pavillon est prêt, on est en
66             		 PEER-TO-PEER — Serge Vuille s’entretient avec DD Dorvillier                                                                                   sculpte, installe, filme,
                                                                                                                                                                enseigne, organise, curate,
                                                                                                                                                                                                   mars 2021, et on ouvre alors que tous les théâtres sont
                                                                                                                                                                rassemble… Son travail, très       fermés. On déballe, on s’installe, on s’active. Comme
                                                                                                                                                                inspiré de sa passion pour les
                                                                                                                                                                paysages de montagne, est
                                                                                                                                                                                                   isolé·e·s, clairement décalé·e·s dans une frénésie parta-
                                                                                                                                                                récompensé par plusieurs           gée avec personne. Temps singuliers. Aujourd’hui, c’est
                                                                                                                                                                prix, régulièrement exposé en
                                                                                                                                                                Suisse et à l’étranger. Elle est   ouvert. Une nouvelle histoire commence au Pavillon.
                                                                                                                                                                fondatrice et coordinatrice        Il est simple. Il est beau. Les premiers artistes qui y
                                                                                                                                                                des événements de l’atelier
                                                                                                                                                                et espace d’art Milk Shake         travaillent en disent du bien.
                                                                                                                                                                Agency à Genève. Elle est
                                                                                                                                                                aussi accompagnatrice en
                                                                                                                                                                                                   Passez !
                                                                                                                                                                montage.                                                                         ANNE DAVIER
Festival Extension sauvage. Refuge artistique Entre-deux-Eaux. Festival

   1
          Plastique Danse Flore. On perçoit le vent, le chant des oiseaux et le sol
          irrégulier sous les pas dans les noms de ces zones où dorénavant la
          danse se cherche, se prépare, se montre. Les lieux de résidence sont
          végétalisés, les espaces de (re)présentation paysagés. Notre dossier

DEDANS/
          s’intitule dedans/dehors, et il faut lire la barre oblique comme un
          interface communiquant. Les chorégraphes et les interprètes entrent et
          sortent. Pendulent. Ou pas. Inventent de l’in situ dans le théâtre même.
          Ce qui est sûr, c’est que dans ces expériences hors-scène, la circulation

/DEHORS
          des sensations entre émetteur et récepteur est différente. À cause du
          vent, des oiseaux, du sol. À cause de l’immersion commune.
          Un seul ancrage théorique dans ce dossier, l’entretien avec l’historienne
          de la danse Julie Perrin, qui permet de comprendre les élans actuels
          liés à la pandémie et à la transition écologique sur un fond historique,
          qui passe notamment par l’Amérique des années 60-70. Au moment
          de mettre sous presse ce numéro, on apprend le décès à 100 ans
          d’Anna Halprin, pionnière des danses de plein ciel et de pleine terre :
          la fin du dialogue avec Julie Perrin est consacrée à une parade océanique
          de cette infatigable chorégraphe américaine. La vidéo est en ligne,
          pour qui voudrait lui adresser un petit salut depuis notre rivage (p.16).
          Autour de ces réflexions analytiques sur les danses en extérieur sont
          assemblées et questionnées une douzaine d’expériences. On y lit
          quelques traits récurrents comme la notion de Tiers paysage
          de Gilles Clément, les pratiques de deep listening de la musicienne
          Pauline Oliveros, des relectures actualisées de Walden, des récits de
          marches ou encore la question du lien restauré, du care.
          On termine avec les réflexions de la chorégraphe et performeuse
          Marie-Caroline Hominal sur ce que produit le retour au théâtre après
          fermeture. Car c’est bien la question qui circule aussi, en faux-fil
          de ce dossier : qu’est-ce aujourd’hui que la boîte noire du théâtre et
          les rituels qui lui sont attachés ?
                                                                   MICHÈLE PRALONG
Les projets chorégraphiques en
                                  extérieur semblent jouir d’une                                                1
                                  nouvelle visibilité dans un contexte
                                                                                                    OLA MACIEJEWSKA
                                  marqué par la crise sanitaire.
                                                                                                 Chercher
          DES                     La danse n’a cependant pas atten-
                                  du la pandémie pour dialoguer                                la fréquence
        DANSES
                                  avec le plein air. Cette enquête
                                                                                 Fortement marquée par              des partitions et des instruc-
                                  donne la parole à une dizaine                  Simone Forti, grande figure        tions pour explorer les liens
                                                                                 de la post-modern dance            possibles entre l’humain et le
                                  d’artistes qui expérimentent,
         À CIEL
                                                                                 américaine, Ola Maciejewska        non-humain. « Dans la forêt,
                                                                                 interroge la place du corps        tout est à une autre échelle.
                                  depuis peu ou longtemps, des                   en mouvement au cœur de            La perception corporelle
                                                                                 son environnement : « Contrai-     change lorsqu’on travaille
                                  pratiques chorégraphiques en
        OUVERT
                                                                                 rement aux autres artistes         dans des espaces non sta-
                                                                                 donnant des workshops              tiques. L’image du corps
                                  dehors des théâtres. Que ce soit               durant Camping au CND à            s’étend au-delà de sa kiné-
                                                                                 Pantin, Simone Forti nous a        sphère, il n’obéit plus aux sy-
                                  sur une place de village, au cœur              sorti·e·s du studio pour nous
                                                                                 emmener au Zoo de
                                                                                                                    métries de l’espace architec-
                                                                                                                    tural. Depuis que je suis
                                  d’une forêt, par des sentiers de               Vincennes. Nous avons passé
                                                                                 l’après-midi à observer les
                                                                                                                    installée au milieu de la forêt,
                                                                                                                    j’ai pu constater physiquement
                                  montagne, sur un carré de pelouse              animaux. Expérience très
                                                                                 intense pour moi. Je me sou-
                                                                                                                    à quel point cet écosystème
                                                                                                                    change continuellement,
                                  ou un terrain vague.                           viens qu’elle nous a demandé
                                                                                 ensuite ce qu’on avait vu et
                                                                                                                    au-delà du simple rythme
                                                                                                                    des saisons : c’est un lieu qui
                                                                                 que personne n’a su quoi           vit. Contrairement à la plage,
                                  Si les chorégraphes interviewé•e•s             répondre. Je suis certaine
                                                                                 qu’elle a aimé nous voir silen-
                                                                                                                    la forêt est bruyante, anar-
                                                                                                                    chique, palpitante. J’ai essayé
                                  ici ne revendiquent pas systémati-             cieux·se·s… Plus tard, j’ai
                                                                                 appris qu’elle avait régulière-
                                                                                                                    de trouver une fréquence
                                                                                                                    pour entrer à l’intérieur de
                                  quement une pratique écologique                ment participé aux ateliers
                                                                                 d’Anna et Lawrence Halprin
                                                                                                                    cet écosystème, similaire à
                                                                                                                    celle de l’écoute profonde,
                                  de la danse, leurs recherches                  qui se déroulaient sur un pla-
                                                                                 teau de danse en plein air, en
                                                                                                                    afin de trouver ma propre
                                                                                                                    stase dans cet état. L’écoute
                                  révèlent néanmoins une grande                  contrebas de leur maison à
                                                                                 Kentfield. Elle a aussi partici-
                                                                                                                    profonde, dans mon cas, est
                                                                                                                    un outil pour m’accorder à la
                                  sensibilité aux changements                    pé à certains de leurs work-
                                                                                 shop Experiments in Environ-
                                                                                                                    multitude des relations, elle
                                                                                                                    s’applique aux textures, aux
                                  environnementaux, avec un désir                ment. Les Halprin ont princi-
                                                                                 palement contribué à une
                                                                                                                    matériaux, aux images, aux
                                                                                                                    archives et aux relations
                                  d’inscrire leur travail au cœur des            réflexion sur la relation entre
                                                                                 l’environnement et le corps
                                                                                                                    symbiotiques tant à l’intérieur
                                                                                                                    qu’à l’extérieur de mon
                                  réflexions actuelles sur l’humain              humain, ainsi que l’espace
                                                                                 public. Je suis persuadée que
                                                                                                                    corps… Maintenant, j’essaie
                                                                                                                    de comprendre comment
                                  et le non-humain. Avec surtout                 ces expériences de jeunesse        traduire ce rapport à la na-

  Dix explorations hors-scène
                                                                                 avec les Halprin ont beau-         ture en mouvement, en struc-
                                  une grande foi dans le pouvoir                 coup nourri la recherche
                                                                                 initiale de Forti. »
                                                                                                                    ture, sans le romancer ni le
                                                                                                                    poétiser. » Prévu en 2022,
                                  prospectif de la création pour                                                    Modules (titre de travail) se

comme autant d’échappées belles
                                                                                 Ola Maciejewska engage en          déclinera en 3 propositions :
                                  imaginer de nouvelles relations                2019 plusieurs expériences
                                                                                 de plein air, principalement
                                                                                                                    un solo sans aucun apport
                                                                                                                    technique qui pourra être

                                  avec le dehors.                                en Bretagne où elle s’est ins-
                                                                                 tallée, dans la région du Mor-
                                                                                                                    présenté dans n’importe quel
                                                                                                                    type d’espace, un film de
                                                                                 bihan : un territoire qui com-     danse (dont le protagoniste
                                  ENQUÊTE DE WILSON LE PERSONNIC
                                                                                 bine à la fois 800 km de           principal est un arbre) et un
                                                                                 littoral et une énorme superfi-    atelier tout public.
                                                                                 cie de forêt. Elle y développe

                                                            7      DEDANS / DEHORS — JOURNAL DE L’ADC N° 79
3
                                                                                         BASTIEN MIGNOT

                                                                                         Morsure
                                                                                         de loup                                                                            4
                                                                     Formé initialement au théâtre,     installe sa performance dans
                                                                     Bastien Mignot a intégré en        une longue mare au crépus-                                 VANIA VANEAU

                                                                                                                                                                  Danser
                                                                     2013 le master de recherche        cule. On y voit des figures
                                                                     ex.e.r.ce au Centre chorégra-      mi-humaines mi-ombres, des

                                                                                                                                                                                                                                                     5
                                                                     phique national de Montpellier     chutes comme autant de mé-
                                                                     sous la direction de Mathilde      tamorphoses, puis des élans
                                                                     Monnier. « J’ai passé mon
                                                                     enfance dans les Cévennes
                                                                     ardéchoises, en relation très
                                                                                                        sur l’eau, dans la nuit.

                                                                                                        « Les lieux où habitent la
                                                                                                                                                                  la forêt                                                                DANIEL LINEHAN
                                                                     forte à l’extérieur, aux végé-     pierre, la mousse, l’arbre, sont

                                                                                                                                                                                                                                         Écouter
                                                                     taux, aux reliefs de la vallée,    des lieux d’une grande puis-        Depuis ses premiers projets         Cette expérience de la forêt
                                                                     à la chouette qui hulule, à la     sance. J’ai le sentiment qu’en      au sein de la compagnie Ar-         a fait naître chez Vania Vaneau
                                                                                                                                            rangement Provisoire, Vania         une nouvelle dramaturgie,

                             2
                                                                     nuit épaisse autour de la mai-     travaillant dans ces espaces-

                                                                                                                                                                                                                                        les arbres
                                                                                                                                            Vaneau développe une recher-        celle de la nature elle-même :
                                                                     son, aux dessins des étoiles       là, je suis ramené à une juste
                                                                                                                                            che qui entrelace le corps et       « J’ai été en grande partie
                                                                     dans le ciel, aux méandres         place en tant qu’humain, je
                                                                                                                                            la matière à l’environnement.       seule lors des résidences en
                                                                     des ruisseaux dans les             me sors de ma condition de
                                                                                                                                            Dans des pièces comme               forêt, c’était important pour
                    COSIMA GRAND                                     pentes. Pour créer, j’ai besoin    colonisateur des mondes.
                                                                                                                                            Blanc, Ornement et ORA              moi de faire cette expérience
                                                                     d’aller dehors. » Il commence      Je me mets à l’écoute des                                                                                     Actuellement en répétition         de nos têtes… Quelle joie !

                  Marcher
                                                                                                                                            (Orée), la chorégraphe s’inté-      sans être regardée. Dans la
                                                                     en 2012 une résidence aux          moindres variations de densité      resse à l’animisme et aux pay-      forêt, il n’y a pas de face public,   dans la forêt de Soignes au        Tous ces éléments influent
                                                                     Sentiers des Lauzes dans           de l’air, cet air invisible empli   sages. Elle creuse l’idée d’une     on est entouré et on fait partie      sud-est de Bruxelles, Daniel       inconsciemment sur notre
                                                                     la vallée de la Drobie au sud-     de l’oxygène fabriqué par           archéologie du futur, pour          d’un tout vivant. Au fur et à         Linehan prépare sa prochaine       manière de bouger, d’envisa-

                  la poésie
                                                                     ouest du Parc naturel régio-       les plantes à photosynthèse         questionner le renouvellement       mesure des résidences, les            création, Listen Here, en al-      ger le geste. »
                                                                     nal des Monts d’Ardèche,           et qui me permet d’être là,         de nos rapports au temps, à la      gestes et l’écriture du corps         ternant résidences en studio
                                                                     « à quelques kilomètres à vol      vivant. Je me suis aussi rendu      fabrication, à la terre, aux ani-   avec les matières et l’environ-       et en pleine nature. Un nou-       L’environnement forestier,
                                                                     d’oiseaux de la vallée de mon      compte à quel point le rituel       maux et au cosmos. Pour Ne-         nement se sont posées. J’ai pu        veau projet qui s’annonce en       dans sa complexité et sa
Cosima Grand répète parfois       qu’on venait de lire en obser-     enfance », précise-t-il. Là-bas,   du spectacle est fragile à          bula, la chorégraphe a alterné      les partager avec les collabo-        deux versions : Listen Here :      luxuriance, invite à l’écoute
en plein air pour le plein air,   vant et en humant ce qui           pendant trois semaines,            l’extérieur, à quel point il de-    plusieurs résidences en studio      rateur·rice·s et le public lors       These Woods en forêt à l’été       sensible. Inspiré par le travail
parfois dans des théâtres         était autour de nous. C’était      Bastien Mignot loge dans un        mande de partager collecti-         et en pleine nature, en Ardèche,    des sorties de résidence ».           2021, et Listen Here : This        et les recherches de la com-
pour des théâtres, elle pro-      essentiel pour moi de ne           refuge sans eau courante           vement de nouvelles atten-          en Aveyron et en Loire-Atlan-       Accompagnée de la scéno-              Cavern pour une scène en           positrice Pauline Oliveros,
duit aussi des pièces desti-      pas fonder notre travail uni-      ni électricité, avec le photo-     tions comme des préalables          tique : « Je voulais retrouver      graphe Célia Gondol, appli-           intérieur à l’automne 2021.        grande figure de la musique
nées à la boîte noire qui         quement sur des textes, de         graphe Grégoire Édouard.           à l’expérience. Pratiquer en        une nouvelle forme d’expé-          quée à comprendre les gestes          Même si cette pièce pour 4         minimaliste et électronique
résultent d’un processus de       manière théorique, mais aussi      Ensemble, ils expérimentent        extérieur, c’est un apprentis-      rience de la création. J’avais      liés au travail de la terre, à ce-    interprètes est en gestation       des années 1970, Daniel
travail en extérieur. Ainsi de    sur des expériences physiques      des formes d’apparitions-          sage d’humilité. J’ai l’impres-     besoin de sortir du cadre, de       lui de l’artisanat, au soin ou en-    depuis plus d’un an, elle s’ins-   Linehan rejoue son deep
Restless Beings. Avant de         en milieu naturel, de faire        disparitions à l’aube et au        sion que ça nous connecte à         sortir du studio de danse.          core aux rituels cathartiques         crit dans une constellation de     listening : « Pauline Oliveros
débuter le travail en studio      résonner les mots et les idées     crépuscule. « Au tout début,       ce que Baptiste Morizot dé-         L’expérience du corps dans          de la guérison, la chorégraphe        projets initiés pendant le         a développé des pratiques
avec ses interprètes, la cho-     par tous les sens. » Nourries      nos temps de travail consis-       veloppe dans son dernier ou-        la nature était le principe de      a choisi des matières natu-           confinement, notamment des         d’écoutes attentives, pas
régraphe est partie une           par une pensée écologique          taient à marcher à la recher-      vrage Manières d’être vivant,       cette création mais je n’étais      relles comme le charbon, l’or,        workshops gratuits dans les        seulement avec les oreilles
                                                                                                                                            pas sûre que cela aboutirait        l’argile, ou des matières trans-
semaine en résidence avec         et des lectures scientifiques,     che de lieux ayant une parti-      à savoir des attentions qui                                                                                   parcs de la ville de Bruxelles     mais en engageant active-
                                                                                                                                            forcément à une pièce desti-        formées comme des miroirs et
Oliver Roth à la chocolaterie     philosophiques, éco-fémi-          cularité. Ces particularités       reposent sur la considération                                                                                 (Land Connection Practices)        ment tout le corps. Elle a d’ail-
                                                                                                                                            née à être présentée à l’exté-      des loupes. « J’ai l’habitude de
Cima Norma dans le Tessin.        nistes, ces balades ont inspi-     nous amenaient à y inscrire        des autres formes de vie que                                                                                  ou encore des marches en           leurs collaboré avec une dan-
                                                                                                                                            rieur. » Finalement, à l’instar     partir d’un espace vide pour
Situé à une altitude de           ré à Oliver Roth une série de      une danse. Cette danse deve-       la vie humaine, et tentent de                                                                                 forêt (Forest Walks) menées        seuse sur des exercices de
                                                                                                                                            du processus de recherche,          créer un environnement, avec
800 m, intégré dans le pay-       poèmes : il y est question de      nait un rituel permettant la       rendre justice à leur altérité. »   qui s’est joué sur deux fronts,     tous les artefacts et les outils      avec des membres fidèles de        pratique méditative. Pour elle,
sage alpin de la Valle Blenio,    la temporalité et des mouve-       levée des esprits du lieu. »       Sa prochaine pièce Un regard        Nebula verra le jour en deux        que permettent la boîte noire :       la compagnie. « Avec les activi-   écouter est un acte créatif.
ce lieu de résidence artis-       ments naturels des plantes,                                           suffit à rayer l’invisible, qu’il   formats distincts : une pre-        la lumière, la fumée, etc. Avec       tés hors-théâtre de la compa-      Dans ses performances d’im-
tique au pied des montagnes       des relations symbiotiques         En 2013, il signe une pre-         sous-titre pièce pour pierres,      mière version, pour des es-         Nebula, il y a l’idée de révéler      gnie proposées la saison der-      provisation, elle considérait
a été l’occasion pour le binô-    perçues alentours, ou encore       mière pièce intitulée Likofos      humains, animaux, forêts,           paces naturels, sera créée en       un espace vivant qui est déjà         nière, j’ai pu me rendre           l’écoute comme le processus
me d’intégrer dans leur travail   de l’interdépendance et l’inter-   (le crépuscule en grec, littéra-   théâtre, sera présentée en          juin 2021 au Festival Exten-        là, et de saisir ce qu’il pro-        compte de la difficulté de         par lequel la musique était in-
des marches quotidiennes          action entre humain et non-        lement « la morsure du loup »)     mars 2022 dans une boîte            sion Sauvage en Bretagne, et        voque comme sensation, ce             pratiquer en extérieur, mais       terprétée. Je ne souhaite pas
sur des sentiers de randon-       humain. Cette poésie a été         au festival Format dans le         noire, au Festival des Gibou-       une seconde version spécifi-        qu’il ouvre comme imaginaire.         aussi découvrir de nouvelles       avoir la forêt comme décor,
née. « On lisait des textes que   remise sous la forme d’un          parc du Château de Roche-          lées à Strasbourg. Elle est         quement pour la boîte noire         Ensuite, on peut créer une            sensations inconnues en stu-       mais l’écouter, rester poreux,
j’avais collectés avant de par-   libretto aux interprètes, pour     mure à Jaujac, siège du Parc       issue de longs séjours noc-         l’automne prochain.                 sorte de fiction, comme un vrai       dio : l’herbe sous les pieds, la   me laisser traverser. Dans un
tir. L’idée était de progresser   les accompagner tout le long       naturel régional des Monts         turnes en nature.                                                       moment d’expérience partagée          pression de l’air qui change, la   environnement vivant, il faut
en silence, de digérer ce         de ce processus de création.       d’Ardèche. Le chorégraphe                                                                                  avec le public. »                     présence du ciel au-dessus         constamment s’adapter. »

                          DEDANS / DEHORS — JOURNAL DE L’ADC N° 79                               8                                                                               9              DEDANS / DEHORS — JOURNAL DE L’ADC N° 79
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                                                                                                                                                                              8
                   FRANK MICHELETTI

                       À                                                                     Tiers
                  ciel ouvert                                                               paysage                                                             GREGORY STAUFFER

                                                                       Depuis ses premiers projets,       en l’érodant de sa part humai-                     Processus                                                                                9
                                                                                                                                                             artistiques
Juillet 2016. Le danseur et         pour Frank Micheletti et           Louise Vanneste se situe           ne, de me mettre à l’écoute
chorégraphe Frank Micheletti,       Chiara Piai, doctorante en         au carrefour des médiums,          d’autres vibrations très peu
directeur artistique du festi-      anthropologie et géographie :      travaillant le son, la lumière,    conscientisées. Gilles Clément
val pluridisciplinaire Constel-     un travail avec des habi-          l’espace et l’écriture de la       raconte par exemple que l’hu-                                                                                                   LAURENT PICHAUD

                                                                                                                                                              durables
lations à Toulon, crée une mi-      tant·e·s du territoire, des        danse avec le désir de créer       main a perdu certaines de

                                                                                                                                                                                                                                     Dans la ville
cro-édition satellite, sous les     professionnel·le·s de la mon-      une expérience holistique.         ses facultés primaires : notre
étoiles, au Refuge d’Entre          tagne et le bureau d’accom-        Après une série de pièces          manière de vivre nous a fait
Deux Eaux au cœur du parc           pagnement Lo Link basé en          pour la scène et d’installations   perdre certains sens, comme
national de la Vanoise en           Savoie. « Je m’appuie peu sur      vidéos filmées en extérieur,       notre capacité à ressentir les     Le chorégraphe Gregory               de rencontre, de partage et de
Savoie. On est à 2120 m d’al-       des phénomènes d’intériori-        la chorégraphe belge travaille     vibrations dans la terre, ou       Stauffer s’apprête à situer          créativité sociale. » En s’inspi-    Si de nombreux chorégraphes        travaillais systématiquement
titude. Ces deux jours et nuits     té, je branche mes canaux                                                                                sa prochaine recherche, pen-         rant du concept de permacul-         quittent l’architecture du         à vue, ça n’a pas été facile
                                                                       actuellement à deux projets        l’odorat sensible. C’est aussi
                                                                                                                                             dant un an, dans la forêt de         ture, l’artiste fait du corps dans   théâtre pour rejoindre des         au départ, c’était cocasse,
de performances en plein air        sensoriels sur le dehors.          qui s’intègrent dans des espa-     pour cette raison que je sou-
                                                                                                                                             Malvaux, à quelques foulées          le processus artistique l’équi-
sont un moment déclencheur          La première chose à faire          ces naturels : « J’élabore un      haite aller dans ces espaces                                                                                 milieux naturels, loin de l’agi-   même parfois violent. Ce
                                                                                                                                             de Bienne où il vit (lire l’entre-   valent de ce qu’est le sol dans
pour l’artiste : « J’étais subju-   en montagne, c’est tourner         travail du corps en lien avec      de faunes et de flores : pour                                                                                tation urbaine, d’autres font      type de processus artistique
                                                                                                                                             tien L’esprit des lieux réalisé      la permaculture : « Les principes
gué de voir la profondeur et        le dos à la ville : on quitte la   le fonctionnement du végétal       être immergée dans ce qui                                                                                    de la ville un terrain de jeu.     se frotte à un réel qui n’est
                                                                                                                                             par Cécile Simonet dans le           de conception de la permacul-
la clarté de ces cieux, c’est       pollution sonore, le panorama      depuis trois ans. Après avoir      m’occupe, pour m’y confron-                                                                                  Parmi eux, le chorégraphe          pas artistique. J’ai dû prendre
                                                                                                                                             Journal de l’ADC no 78). Si le       ture ont été pensés pour être
comme si je n’avais jamais          sensoriel aiguise les percep-      travaillé cette matière en stu-    ter aussi, pour le connaître,      chorégraphe développe de-            applicables à tout champ d’ac-       Laurent Pichaud, qui officie       en compte cette nouvelle
été aussi près d’eux. Je savais     tions, le pas est plus léger,      dio et en plateau, c’est une       pour en être chargée, pour en      puis une quinzaine d’années          tivité humaine, principalement       hors des théâtres depuis 20        donnée lorsque je répète en
que le cadre de la montagne         précis. Sortir des sols artifi-    évidence d’aller maintenant à      quelque sorte disparaître et       un travail qui frotte le corps       à travers le jardinage mis au        ans. Sa première pièce exté-       extérieur, même si cette
pouvait sublimer des matières       ciels change les fibres mus-       l’extérieur ». Avec sa nouvelle    trouver ce qui pourrait être       et l’architecture à travers des      service d’autres domaines.           rieure, lande part est créée       notion de répétitions n’est
corporelles, mais après cette       culaires. Le tact nécessaire       création Metakutse qui verra       ma juste place d’artiste. »        créations in situ, il va aujour-     Je voudrais transposer ces           en 2001 : « Ce fut un choc tel-    plus adaptée. Être systémati-
première expérience, j’ai eu        pour poser ses pas sur des         le jour à la rentrée 2021 au       Lauréate du Fonds de Re-           d’hui vers la nature. Encouragé      principes au processus de            lement fort que je ne suis         quement exposé au regard
l’intuition que le corps allait     assemblages mouvants com-          festival Plastique Danse Flore     cherche en Art — qui dépend        par sa création Dreams for the       création artistiques. » Pour         jamais retourné à l’intérieur      des autres modifie le travail
en retour troubler ce cadre,        posés de terre/pierre/bois/        à Versailles, Louise Vanneste      du Fond National de Recher-        Dreamless, pour laquelle il a        cette recherche appliquée, le        d’un théâtre (excepté en 2011      et demande d’inventer une
aussi monumental soit-il.           humus/et autres changent           investit des espaces naturels,     che Scientifique en Fédération     arpenté pendant plusieurs            chorégraphe est soutenu par          avec indivisibilités, un duo       médiation de nos répétitions,
Et entrer en conversation ».        le tonus corporel. À partir de     aménagés ou non, en partant        Wallonie-Bruxelles —, Louise       semaines une forêt primaire          La Manufacture à Lausanne            coécrit avec la chorégraphe        d’entrer en dialogue avec les
Frank Micheletti initie une         cette simple caractéristique       de la notion du tiers paysage      Vanneste travaillera égale-        enneigée à Mustarinda, en            et l’Institut de recherche en        Deborah Hay, qui questionne        riverain·e·s. L’interaction fait
première Balade à Ciel Ou-          du terrain, la manière de bou-     de Gilles Clément, concept         ment sur Pangée, vaste pro-        Finlande, le chorégraphe             musique et arts de la scène          justement l’espace du théâtre      désormais automatiquement
vert pendant l’été 2019 lors        ger n’est pas la même qu’en        désignant l’ensemble des es-       jet pour le bois de Lauzelle       insiste avec le sylvestre.           (l’IRMAS). Cinq jours par mois       en tant que lieu public de         partie du processus. Habituel-
du festival Andiamo ! organisé      studio. Il n’y a plus aucune       paces négligés ou inexploités      (forêt périurbaine liée à          Appuyant sa recherche sur les        pendant un an, il mettra en          représentation). Depuis, la        lement, en tant que chorégra-
par Malraux Scène nationale         régularité du sol. L’environne-    par l’humain, là où l’évolution    l’Université Catholique de         savoir-faire du travail en plein     pratique les 12 principes de la      notion d’in situ est au cœur       phe, on est en dialogue avec
Chambéry Savoie sur les ver-        ment change en fonction des        du paysage est laissée à la        Louvain) qui s’étend sur près      air, notamment les travaux           permaculture définis par son         de mon travail. En 20 ans, je      un·e direct·eur·rice et un·e
sants franco-italiens. Diffé-       saisons : la température, les      seule nature. « J’ai toujours      de 200 hectares. Pendant           d’Andy Goldsworthy et d’Anna         fondateur, l’écologiste et es-       n’ai pas épuisé la question.       chargé·e de communication
rents groupes de specta-            intempéries, les éboulis, les      dansé pour m’éloigner du           un an, la chorégraphe va y         Halprin, son nouveau projet          sayiste David Holmgren :             Travailler sur et avec des lieux   mais ce type de projet permet
teur·rice·s entament une            animaux, etc. C’est tout l’inté-                                                                         s’intitule processus artistiques     « Observer et interagir ; attra-     qui ne sont ni équipés ni          de réunir autour d’une même
                                                                       fonctionnement basé sur un         délimiter un espace de travail
                                                                                                                                             durables. Sa visée : éprouver        per et stocker l’énergie ; obte-     aménagés pour des ques-            table un·e élu·e à la culture,
marche (environ 2h30) à             rêt de ces pratiques : évoluer     ordre sociétal construit et        dans lequel elle expérimen-
                                                                                                                                             la création en dehors des con-       nir un rendement ; appliquer
partir du Refuge de Plan Sec,       dans un cadre vivant appelle       maîtrisé, où le geste, les com-    tera plusieurs pratiques                                                                                     tions artistiques nécessite de     le·la maire du village, parfois
                                                                                                                                             textes institutionnels classi-       l’autorégulation et la rétroac-
niché au cœur des alpages,          de nouvelles disponibilités,       portements et les choix sont       somatiques et d’écritures,                                                                                   réinventer systématiquement        la police municipale, etc.
                                                                                                                                             ques. Gregory Stauffer réaf-         tion ; utiliser et valoriser des
à 2320m d’altitude, et dé-          une nouvelle proprioception.       chargés par la tradition, les      entrecroisées avec un travail                                                                                mes outils et mes processus.       Toutes ces interactions sont
                                                                                                                                             firme ainsi un ancrage des           énergies renouvelables ; ne
couvrent quelques impromp-          Nos présences sont conju-          habitudes, la morale. C’est        botanique, scientifique et                                                                                   Être dans l’espace, l’éprouver,    nécessaires pour que le projet
                                                                                                                                             gestes artistiques dans et           produire aucun déchet ; con-
tus chorégraphiques. Les            guées avec celles des arbres,      une manière de déjouer les         philosophique, en contact          pour la vie. « Plus jeune, j’abor-   cevoir des modèles aux dé-           pratiquer le lieu, voilà ce qui    soit viable. Le rapport à l’art
parcs naturels régionaux des        des ruisseaux. » Une nouvelle      habitudes, de questionner          avec les acteur·rice·s de          dais la forêt comme Henry            tails ; intégrer, ne pas séparer ;   est le ferment du processus        n’est pas uniquement d’entrer
Baronnies, du Massif des            version des Balades à Ciel         ce qui fait autorité, d’ouvrir     l’étude/gestion de cet envi-       David Thoreau, le philosophe         diversifier les utilisations et      de chaque projet. »                dans un théâtre, il se nourrit
Bauges et du Vercors accueil-       Ouvert est à découvrir dans        d’autre circuits, au-delà même     ronnement (garde forestier,        américain transcendantaliste,        les valeurs ; utiliser les arêtes                                       d’autres interactions. » Son
lent ensuite une nouvelle           le massif jurassien, le long de    de ceux qui « vont contre ».       l’UCL, Earth and Life Institute)   qui incarne dans Walden l’idée       et évaluer la marge ; réagir de      Entre 2014 et 2018, Laurent        nouveau projet... en jumelle,
version du projet : chaque          la frontière entre la France et    Je crois que ma recherche          et en collaboration avec l’IAD     d’être seul, de se reconnecter       manière créative au change-          Pichaud développe mon nom          pour communes et paysages
Balade à Ciel Ouvert est le         la Suisse, pendant le festival     actuelle vient plus spécifique-    (Institut supérieur des Arts       à soi-même. Mais aujourd’hui,        ment. » La première session de       des habitants, autour de la        jumelés, a été accueilli au far°
fruit d’une semaine de repé-        de La Bâtie 2021.                  ment d’un énorme besoin            de Diffusion).                     je vois plutôt cette expérience      travail dans la forêt de Malvaux     question des monuments             festival des arts vivants de
rage et d’un mois de résidence                                         de considérer l’environnement                                         de la forêt comme un moyen           est prévue ce mois de juin.          aux mort. « Avec ce projet, je     Nyon en 2020.

                            DEDANS / DEHORS — JOURNAL DE L’ADC N° 79                              10                                                                               11            DEDANS / DEHORS — JOURNAL DE L’ADC N° 79
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                      BORIS CHARMATZ                                                                 11
                     Sans toit                                                          LAURENT PICHAUD
                                                                                       ET LOUISE VANNESTE

                      ni mur                                                                ÉVOQUENT
                                                                                       LA RECONNAISSANCE
Depuis ses premiers projets,          Le premier test de [terrain],                         POLITIQUE
Boris Charmatz multiplie              un essai à ciel ouvert, a été                      DU HORS-SCÈNE
les escapades en dehors               réalisé à Zurich en 2019 dans

                                                                                   Ce qui change
du théâtre, en investissant           le cadre du Zürcher Theater
notamment des espaces                 Spektakel. Durant 18 jours,
muséaux (MoMA à New York              l’équipe s’est installée sur un
en 2013, Tate Modern à                carré de pelouse en bordure
Londres en 2015) et des               du lac de Zurich, sous le         LAURENT PICHAUD :                 du débat social a ouvert
espaces publics (sa pièce             squelette en bois d’un théâtre.   « En 2010, j’ai été exclu des     de nouvelles portes dans le
danse de nuit, spécialement           « Ce qui change fondamenta-       subventions de la Direction       specta-cle vivant, notamment
conçue pour être jouée en             lement dans le fait de travail-   régionale des affaires cultu-     celles qui mènent dehors.
extérieur à la tombée du              ler en extérieur c’est que        relles à cause de l’in situ.      La place/responsabilité de
jour). Après avoir dirigé à           traditionnellement au théâtre,    J’étais pourtant visible et       l’artiste sur ces questions
Rennes le Musée de la danse           les danseurs sont dans les        investi dans plusieurs lieux      urgentes change aussi. »
pendant dix ans, Boris                loges, le public est dans le      de la région Languedoc-
Charmatz crée [terrain],              hall puis s’installe dans les     Roussillon depuis plusieurs       LOUISE VANNESTE :
projet né en janvier 2019             gradins, les corps ne se ren-     années, mais mes projets se       « Je ne m’en rends compte
avec l’ambition d’imaginer un         contrent que symbolique-          radicalisaient dans ce sens.      qu’avec le recul mais pour
nouveau lieu dédié à la danse,        ment, à l’endroit de la scène.    Je sortais trop des cadres        obtenir une visibilité et des
mais sans architecture, et            Le plein air fait qu’il y a une   économiques et des conven-        subventions, j’ai dû adopter
perméable à la ville : « Le dé-       perméabilité, on est dans la      tions du théâtre. Je travaille    le format théâtre (scène et
clic a eu lieu en 2015 lors de        même aventure, avec une           sans murs, sans billetterie,      salle séparées, frontalité).
la première édition de Fous           horizontalité des perceptions     sans privatisation de l’espace    Je ne le regrette pas car cela
de danse sur l’esplanade              et de l’expérience. » Un essai    public, etc. Même si ce n’était   m’a amenée à penser l’es-
Charles-de-Gaulle à Rennes.           à ciel ouvert a proposé des       rien de vraiment sauvage,         pace scénique comme un
Je me suis rendu compte que           échauffements publics tous        ce type de format en dehors       territoire à apprivoiser. Ce
l’absence de bâtiment était           les jours, des ateliers pour      des cadres traditionnels de       format est plus facilement
peut-être l’architecture idéale       enfants, amateur·trices, dan-     production et de diffusion        compréhensible et appréhen-
pour la danse. Il n’y avait pas       seuses et danseurs profes-        était inaudible pour l’institu-   dable par des pouvoirs publics
une succession de petites             sionnel�le�s. Des interventions   tion. On me sollicite davan-      qui subventionnent. La crise
salles avec une grande salle,         avec des personnalités de la      tage sur ces questions            sanitaire actuelle pose la
c’était un espace qui se              danse, des workshops qui          récemment. Ce type de             question des modes de par-
modifiait par l’architecture          donnaient lieu à des perfor-      projet exotique fait aujour-      tage, avec moins de public
humaine, les danseur·euse·s           mances, un symposium              d’hui son apparition dans les     par exemple, ou en extérieur.
et la foule reconfiguraient           autour de [terrain], puis en      programmations de lieux ins-      Même si des programmes
l’espace toute la journée.            journée ainsi qu’en soirée        titutionnels, même si je suis     et des festivals dédiés à la
Puis, à la même période, notre        des projets et des représen-      parfois étonné de la naïveté      création en extérieur existent
relation à l’espace a changé          tations suivies d’after où se     de certaines propositions.        depuis longtemps, davantage
en France avec les attentats          mélangeaient les artistes et      Je pense que cela vient aussi     de programmateurs s’ouvrent
et le plan vigipirate. [terrain]      le public. « Cette première       des artistes, qui sont à nou-     désormais à ce type de projet.
vient de là : d’une intuition qu’il   expérience de [terrain] a mis     veau sensibles aux questions      Je m’en réjouis. »
faut se remettre à bouger             en évidence les limites phy-      écologiques, qui rencontrent
dans l’espace public et qu’il         siques de notre engagement :      la nature et le paysage par un
faut réfléchir à une institution      après ces trois semaines sur      autre biais que le mien à
sans toit ni mur. » Aujourd’hui,      place, on a mis six mois à se     l’époque. Depuis dix ans, les
le chorégraphe rêve de s’ins-         remettre ! Si nous voulons        discours et le vocabulaire ont
taller sur un terrain vert pour       nous installer sur un terrain     beaucoup changé, la manière
« fabriquer un centre d’art où        plusieurs années, il faut ima-    dont on nomme les démar-
toute l’action culturelle, les        giner des formes d’occupa-        ches a évolué. Avant les
résidences de création, l’en-         tion sur d’autres rythmes.        artistes citaient beaucoup
traînement quotidien, les évé-        Avec des habitant·e·s, des        Gilles Deleuze, aujourd’hui
nements et les représenta-            écoles, des chercheur·euse·s,     ils citent Baptiste Morizot.
tions auraient lieu dans un           des artistes… etc. »              Au-delà des effets de mode,
espace ouvert sur la ville. »                                           l’arrivée de l’écologie au cœur

                              DEDANS / DEHORS — JOURNAL DE L’ADC N° 79                            12
Entretien
                                                                                                     ment dit, quelles sont les conditions de visibi-
                                                                                                     lité d’une chorégraphie, mais surtout en quoi

            JULIE PERRIN
                                                                                                     les lieux choisis viennent-ils modifier — dans
                                                                                                     certains cas profondément — les savoirs du

COHABITER
                                                                                                     mouvement ? Car présenter une chorégraphie
                                                                                                     hors du cadre théâtral conduit nécessaire-
            PROPOS RECUEILLIS PAR MICHÈLE PRALONG                                                    ment l’artiste à s’interroger sur la place de son
                                                                                                     activité au sein de la vie sociale ou parmi les

    EN
                                                                                                     vivant·es (en particulier dans le cas d’une cho-
            La question de l’espace, les contours                                                    régraphie en nature). Et là, maintes réponses
                                                                                                     sont possibles, depuis le souhait de préserver
            du dedans et du dehors, leurs vibrations,                                                les conditions spectaculaires traditionnelles

 ARTISTE
            la marche, les spectacles situés : ce sont                                               (ainsi que les techniques et formes de danse)
                                                                                                     malgré des conditions qui ne sont pas appro-
            quelques-unes des obsessions de Julie                                                    priées, jusqu’à des projets qui ont complète-
                                                                                                     ment remis en question les ingrédients même
            Perrin, chercheuse en danse. Plutôt que
CHORÉGRA-
                                                                                                     de ce qui compose une chorégraphie.

            de pièces in situ, elle préfère parler d’œuvre-                                                 Par exemple ?
            lieu. Échanges sur la cohabitation de la                                                 C’est le cas pour ce que j’appelle les œuvres

  PHIQUE
                                                                                                     chorégraphiques en forme de marche, qu’on
            danse avec le dehors, le monde, le paysage.                                              voit apparaître dans les années 1970 1, des
                                                                                                     pièces qui n’offrent plus de danse à regarder,
                                                                                                     mais proposent des traversées, collectives ou
                                                                                                     solitaires, de territoires ou de quartiers ur-
                                                                                                     bains, sur des durées qui bien souvent n’ont
                                                                                                     plus rien à voir non plus avec un format spec-
                                                                                                     taculaire normatif.
                                                                                                         J’ai donc commencé à nommer les enjeux
                                                                                                     et les manières de faire des artistes, afin de
                                                                                                     distinguer des traits singuliers ou des ten-
                                                                                                     dances, au sein de ce grand ensemble d’œuvres
                                                        Un des socles de vos recherches,             et de pratiques dansées hors des théâtres, qui
                                                        c’est la spatialisation de la danse.         existe depuis les débuts de la danse moderne.
                                                        Notamment, la manière dont
                                                        chaque pièce chorégraphique                         Vous utilisez peu l’expression
                                                        travaille le regard depuis les dis-                 danse in situ : pourquoi ?
                                                        positifs de perception de la scène           Cela fait à peine quinze ans que l’expression in
                                                        occidentale. Dans le cadre de                situ (ou « site specific » dans le monde anglo-
                                                        notre dossier dedans-dehors,                 phone) commence à être utilisée dans le
                                                        comment penser l’échappée hors               champ chorégraphique. Mais cette termino-
                                                        de ces dispositifs scéniques                 logie devenue relativement commune reste
                                                        traditionnels ?                              insuffisante, car toute œuvre présentée hors
                                                 JULIE PERRIN : Lorsque j’ai commencé à m’in-        des théâtres n’est pas une œuvre in situ, loin
                                                 téresser à la chorégraphie hors des théâtres,       s’en faut. Nombre d’entre elles sont des œuvres
                                                 au début des années 2000, j’étudiais en effet       simplement délocalisées, c’est-à-dire conçues
            Julie Perrin est enseignante-
            chercheuse en danse à l’univer-      le lieu théâtral occidental comme machine de        pour la scène théâtrale et transportées ail-
            sité Paris 8 Saint-Denis (labo-      vision. J’observais l’histoire des liens entre ce   leurs, le plus souvent en réponse à un contexte
            ratoire MUSIDANSE) et cher-
            cheuse à l’Institut universitaire
                                                 lieu et les techniques dansées, comment le          de programmation. Elles s’intéressent en vé-
            de France (2016-2021) pour un        théâtre a forgé des modalités d’adresse, des        rité peu au site qu’elles occupent. Il y a donc
            projet intitulé Chorégraphie et      formes de présentation de la danse ou même          un mésusage de l’expression in situ, que pour
            paysage. Elle soutient à l’univer-
            sité de Lille en 2019 une            des corporéités dansantes. J’observais aussi        ma part je n’emploie plus, en effet, car elle
            habilitation intitulée Questions     comment les artistes jouent avec ces codes à        suppose un rapport d’extériorité entre le lieu
            pour une étude de la chorégra-
            phie située. Elle est l’auteure de   partir de tout un savoir spatial du geste, de la    et l’œuvre. Je préfère parler de chorégraphie si-
            plusieurs ouvrages, dont             chorégraphie. Je demandais : hors du théâtre,       tuée ou d’œuvre-lieu : des démarches chorégra-
            Figures de l’attention. Cinq
            essais sur la spatialité en danse
                                                 à quelles conditions un geste chorégraphique        phiques qui interrogent réellement la façon
            (Les presses du réel, 2012).         peut-il trouver à exister pour autrui ? Autre-      dont un acte artistique forge une situation à

                                                 15           DEDANS / DEHORS — JOURNAL DE L’ADC N° 79
partir de ce qui est déjà là. Je m’intéresse
     moins à la façon dont une chorégraphie s’in-
                                                                 En sortant des théâtres, on croise
                                                                 toutes sortes de disciplines et de
                                                                                                                 vées par des pièces sur scène. Mais disons que
                                                                                                                 hors-scène, les frontières entre représenta-
                                                                                                                                                                     « Toutes les œuvres présentées hors
     sère dans un site (in situ), qu’aux façons dont             savoirs qui s’interpénètrent…                   tion et réel sont beaucoup plus ténues : le lieu    des théâtres ne sont pas in situ. Souvent,
     une chorégraphie située compose avec le réel.        D’une manière générale, la recherche sur la            même d’existence de la chorégraphie conduit
     Comme la phénoménologie ou encore la pen-            chorégraphie située m’a amenée à puiser dans           soudain à considérer autrement les contextes        elles sont simplement conçues pour la
     sée géographique du terrain ou des milieux y
     invitent, il s’agit de considérer l’intrication
                                                          d’autres champs que l’histoire de l’art : la socio-
                                                          logie urbaine, la géographie, l’anthropologie
                                                                                                                 qui nous environnent et où nous nous tenons.
                                                                                                                 Il conduit aussi à réinventer les manières de       scène théâtrale et transportées ailleurs en
     entre lieu, geste et perception. Par consé-
     quent, ces démarches situées supposent de
                                                          du quotidien ou des lieux, les théories du pay-
                                                          sage, l’éco-critique ou plus récemment l’éco-
                                                                                                                 faire — celles de la danse et de la chorégraphie.
                                                                                                                 L’expérience de l’art proposée ici diffère de
                                                                                                                                                                     réponse à un contexte de programmation.
     mettre en jeu — c’est-à-dire de mobiliser mais       logie. Ces échanges interdisciplinaires sont           celle proposée dans un théâtre, ne serait-ce        Elles s’intéressent peu au site qu’elles
     aussi de mettre en question — les savoirs cho-       particulièrement riches.                               que parce qu’elle nous engage à inventer col-
     régraphiques portés au contact du réel.                                                                     lectivement ce que signifie traverser une expé-     occupent »
                                                                 Vous travaillez souvent par études              rience artistique dans l’espace public ou dans
            Est-ce que vous menez aussi une                      de cas : y a-t-il un·e ou deux choré-           un espace de nature. Il s’agit, me semble-t-il,
            approche analytique au travers                       graphes dont vous aimeriez décrire              de découvrir comment cohabiter (à savoir,                  Quels sont les effets des questions
            des catégories de lieux investis?                    les explorations du dehors, ou du               exister avec) sur un mode inédit, et non d’impo-           climatiques et sanitaires actuelles
     L’expression in situ employée dès le XIXe siècle            dedans/dehors ?                                 ser au site des manières d’être préformées.                sur ces pratiques extra-scéniques ?
     en géologie et archéologie, n’apparaît dans          En effet, ma recherche se déploie le plus sou-         C’est une question délicate qui fait l’objet de     La crise sanitaire qu’on traverse produit en
     l’histoire des arts visuels que dans les années      vent en réponse à des rencontres avec des              toute l’attention des chorégraphes. En tout         effet une accélération d’un attrait pour le plein
     1970, conduisant certain·e·s historien·ne·s à        pièces précises. Cela donne lieu à des analyses        cas, de ceux qui ne se contentent pas d’animer      air. Mais peu de chorégraphies situées sont
     calquer les périodisations de l’histoire de la       très ciblées. De même qu’il ne viendrait à per-        l’espace public, d’interrompre la vie qui s’y       programmées. La danse en lien avec des sites
     danse sur celles des arts visuels 2. Il me semble    sonne l’idée de parler de la danse théâtrale           déroule déjà, ou de faire du lieu un décor.         (forêt, montagne, contexte rural…) reste une
     au contraire intéressant de commencer à pen-         comme un genre unifié, il semble compliqué                                                                 culture relativement méconnue, sinon décon-
     ser les continuités chorégraphiques : entre la       d’évoquer en bloc la chorégraphie hors des                   Est-ce que vous pouvez constituer             sidérée. Il s’agit au fond de rendre visible une
     modernité et la danse dite contemporaine,            théâtres, sans se pencher sur des exemples                   des cartes ou des chronologies de             continuité historique et de permettre qu’ar-
     mais aussi entre la chorégraphie comme art           concrets. Je travaille avec ou auprès des                    différentes pratiques, découper               tistes, mais aussi acteurs et actrices du milieu
     du spectacle et la danse comme pratique fes-         œuvres. J’essaye de comprendre les questions                 des tendances ou des périodes ?               culturel, prennent appui sur l’histoire. Une
     tive, traditionnelle ou encore activiste (inter-     qu’elles soulèvent.                                    Les études de cas ne sont sans doute pas suf-       histoire susceptible de nuancer et contextua-
     vention urbaine). Il s’agirait d’ouvrir des              Dans mes articles 3, il s’agit de réfléchir à la   fisantes. Un questionnement historique les          liser les effets de surgissements circonstan-
     enquêtes historiques et collectives sur les lieux    façon dont les œuvres nous permettent de               accompagne. Je me suis jusqu’à présent plutôt       ciels qu’on peut observer aujourd’hui.
     où l’on danse : ils sont extrêmement diversifiés     penser : le geste quotidien (Odile Duboc et les        intéressée à l’histoire de la danse nord-améri-
     au cours de l’histoire, comme en témoigne par        Fernand à partir des années 1980) ; une rela-          caine pour la période 1945-1980, traversant                 Une vidéo a circulé à l’occasion du
     exemple l’histoire du ballet avant qu’elle ne soit   tion affective à la ville (Lucinda Childs dans         ainsi un pan de l’histoire de la danse hors des             91e anniversaire d’Anna Halprin,
     associée à celle du théâtre à l’italienne au         Street Dance, 1964) ; le pouvoir de l’imagination      théâtres avec Merce Cunningham, Anna et                     pionnière de danses qui considèrent
     XVIIIe siècle, ou encore l’histoire de la danse      liée à la sensation (Myriam Lekfowitz pour             Lawrence Halprin, Lucinda Childs, Elaine                    le paysage : on la voit jouer avec le
     moderne qui s’est déployée aussi bien au caba-       Walk, Hands, Eyes (a city), à partir de 2008) ;        Summers, Simone Forti, Trisha Brown… Et j’ai                mouvement de l’eau sur un rivage 4.
     ret, au music-hall, dans des théâtres universi-      l’activité d’un·e spectat·eur·rice en situation        entamé un dialogue avec différent.es choré-                 Vous qui avez récemment mené une
     taires que dans des jardins.                         (Catherine Contour et ses Autoportraits en             graphes contemporain·e·s, surtout en France                 recherche sur la plage, pouvez-vous
                                                          jardin, à partir de 2003 ou Gustavo Ciriaco et         — ceux et celles déjà mentionné·e·s, mais                   commenter ce petit film ?
            Tellement d’espaces, de contextes             Andrea Sonnberger dans Aqui enquanto camin-            aussi Lætitia Angot, Armelle Devigon, Patricia      J’ai rassemblé au fil des années tout un corpus
            spécifiques… Comment embrasser                hamos, à partir de 2006) ; le rapport au réel          Ferrara, Joanne Leighton, Alain Michard, Mic-       de pièces chorégraphiques pour rivage mari-
            toutes ces singularités ?                     comme enjeu d’une mémoire historique, so-              kaël Phelippeau, Mathias Poisson… Je travaille      time 5. Il y a sans doute, dans cette histoire de
     Les anglo-saxon·ne·s disposent d’un vocabu-          ciale et personnelle (Laurent Pichaud dans             actuellement à établir, pour la France, une         la chorégraphie pour littoral au XXe siècle, des
     laire beaucoup plus nuancé pour qualifier les        domaine nomade, dès 2012) ; le sens donné au           chronologie de la chorégraphie hors des             stéréotypes, des codes, des continuités ges-
     œuvres hors des théâtres. On parlera par             terme environnement (chez Anna et Lawrence             théâtres, rassemblant des œuvres ou des mo-         tuelles et chorégraphiques qui participent
     exemple de chorégraphie pour site générique (le      Halprin, 1960s) ; le maintien d’un espace cho-         ments importants, des dispositifs d’aide et des     d’une forme d’artialisation 6 proprement cho-
     parking, la place, la piscine, etc.), de chorégra-   régraphique abstrait par juxtaposition (les            programmations qui l’ont favorisée, des publi-      régraphique. Ces archétypes gestuels contri-
     phie s’adaptant au site, de chorégraphie générée     events de Cunningham, à partir de 1964) ; une          cations qui l’ont mise à l’honneur. C’est une       buent à la constitution de schémas perceptifs
     par le site ou répondant au site, de chorégraphie    pensée du lieu en tant que strates tempo-              façon de rendre compte d’une histoire relati-       dominants à travers lesquels la perception du
     environnementale, de chorégraphie multi-site,        relles où la chorégraphie et le lieu existent,         vement invisible, car il faut rappeler que les      réel se solidifie. C’est à proprement parler ce
     etc. Cette fluctuation terminologique permet         comme alternativement, dans un battement               artistes œuvrant dans ce champ sont, pour           que l’on nomme l’invention d’un paysage,
     de ne pas classer trop vite la question. Il s’agit   (Rémy Héritier, Relier les traces, 2019).              beaucoup, restés en marge des réseaux domi-         c’est-à-dire l’invention de modalités spéci-
     à chaque fois d’interroger la nature de la rela-                                                            nants, parfois adoptant des modes de vie non        fiques et commune d’apprécier une portion
     tion au site et la possibilité, pour une choré-           Exister comme alternativement,                    urbains, ou choisissant d’inscrire leur travail     de territoire 7.
     graphie, d’être déplacée, telle que l’économie            dans un battement : c’est une belle               dans un contexte local.                                   Dans cette séquence extraite du DVD
     du spectacle vivant le suppose.                           manière de lier la danse et le lieu…                                                                  Anna Halprin — Dancing Life/Danser la vie édité
                                                          Ces questions peuvent également être soule-                                                                par Contredanse en 2014, Halprin improvise

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